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ethgri wyrda

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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Sam 22 Oct 2022 - 22:41
Quelques passages ont été corrigés suite à tes suggestions. D'autres non
C'est le but de ces remarques ^^ Tu prends ce que tu veux !

J'aime bien mes retours en arrière moi Whistling . En fait, j'aime bien les intros "pile dans l'action" avant de faire un petit flashback pour expliquer ce qu'il s'est passé depuis le précédent passage avec les personnages concernés. Mais là j'avoue qu'il est peut-être un peu long.
Effectivement c'est un ressenti très subjectif, j'aurais dû le préciser ^^ J'aime bien quand c'est très linéaire dans la chronologie, mais je comprends tout à fait l'effet cherché

Guy est tombé parce que l'autre lui a fauché les jambes d'un balayage, mais ce n'est pas écrit parce que du point de vue de Guy, ça s'est passé trop vite pour qu'il le réalise sur le moment. Par contre, pourquoi la Dame ne l'a pas protégé ? C'est une sorte de triche de ma part, où j'ai décrété que sa protection ne marchait que contre les attaques directes, mais pas contre quelqu'un qui va te coller au corps sans t'attaquer.
J'avais a peu près deviné ça oui ^^ Peut-être que si tu mettais "Guy sentit ses jambes se faire balayer et chut au sol" à la place de "Guy perdit l'équilibre" ça serait plus explicite.
Je ne prends pas ça comme de la triche, si on estime que la Dame protège contre les coups mortels ou dangereux, c'est toujours cohérent que ça ne fasse rien contre une simple poussée sur les jambes ^^

Sinon, je te dis merci, merci pour tous tes compliments, les lire m'a vraiment fait très plaisir. Que ce soit sur mes personnages ou sur mon style, ça fait beaucoup de bien.
De rien ! Content d'avoir fait plaisir, et si ça motive pour la suite c'est encore mieux !

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Ethgrì-Wyrda, Capitaine de Cythral, membre du clan Du Datia Yawe, archer d'Athel Loren, comte non-vampire, maitre en récits inachevés, amoureux à plein temps, poète quand ça lui prend, surnommé le chasseur de noms, le tueur de chimères, le bouffeur de salades, maitre espion du conseil de la forêt, la loutre-papillon…
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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Sam 7 Jan 2023 - 22:12
chapitre 12

sur la vaste place en-dessous de lui, se concentra une énorme concentration de magie, si soudaine
tite répétition qui je pense pourrait être améliorée
Caisses, futs et étagèrent étaient en morceaux éparpillés dans tous les coins



Un beau défilé monstrueux que ces créatures. Elles font froids dans le dos et je ne souhaite pas savoir d'où te sont venues les idées de leurs apparences...

J'aurais aimé moi avoir encore davantage de description de la cité souterraine. En plus de sa taille, ses baraquements, les roches lumineuses aux murs, la tour à la cloche. Voir davantage la parodie de civilisation qu'est leur espèce tout en ayant ce côté étranger et définitivement non-humain, celui-là même qu'on les impériaux qui visitent les cités elfiques, naines ou on le malheur de se retrouver dans une cité-temple des lézards. D'ailleurs au vu du bordel qui s'y trouve avec la bataille, cela ferait une sacré scène de film ou artwork. D'ailleurs pareille grotte pourrait avoir des "stalagmites de soutènement" aménagés par la vermine et autres curiosités ?

Un peu ironique qu'un chevalier alité ai une révélation et trouve aussitôt un passage secret employé par les rats alors que le chasseur de sorcières paranoïaque n'y a pas songé une seule seconde. Bon certes il flairait une proie, cela a joue dans cette négligeance. D'un autre côté, cela va permettre de justifier que tout le monde se retrouve sous terre au même moment.


Chapitre 13 (le chapitre maudit !!)


Guy hoche la tête, sans répondre, puis s’élança sur la pente escarpé
temps incohérent non ?
Messire Guy est un grand guerrier, c’est indéniable, mais il devrait au minimum
idem

Le coup de l'assassin, toujours tout proche quand on a besoin de lui, est tellement skaven dans l'idée. Et pourtant, Rélimus ne le réalise pas. Oui, l'assassin est toujours proche afin de pouvoir répondre à ses requêtes en un temps record. Mais si l'on reformule : un assassin skaven est toujours proche pour réaliser une tâche. Ce qui n'a absolument rien de rassurant. Mais je pinaille sur une anecdote du chapitre.

Sacrément endurant le chevalier pour avoir survécu au-dit assassin et emporter son meurtrier dans la tombe. Ce combat est d'ailleurs une belle description du cauchemar que doit être affronter un représentant du clan eshin. Belle note à Reiner qui semble-t-il va pouvoir enseigner au répurgateur pourquoi il n'a jamais entendu parler des tueurs skavens. D'ailleurs ce pauvre Reiner qui perds son maître mais dont je doute qu'il puisse accéder à son dernier vœux si facilement...

Le duel des chevaliers enfin... que dire... si ce n'est que le conclure sur un cliffhanger c'est aussi adroit que méchant envers tes lecteurs.

Aller ne nous fait pas attendre, nous voulons savoir si ce cher chevalier du graal tout neuf va survivre


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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Sam 7 Jan 2023 - 22:22
Merci pour tes commentaires ! Je vais appliquer immédiatement les corrections nécessaires.

Moi-même a écrit:Messire Guy est un grand guerrier, c’est indéniable, mais il devrait au minimum s’arrêter pour reprendre son souffle de temps à autre
Alors là par contre je ne vois pas la faute. Tout est au présent dans la phrase, non ?

Une petite précision concernant Guy. Il n'est pas devenu un chevalier du Graal, car il n'a eu droit qu'à une vision et une guérison magique par la Dame. Techniquement, c'est toujours un chevalier de la quête, vu qu'il a prononcé ce vœux, même si c'était plus de 10 ans auparavant. Mais la Dame lui a "ordonné" de détruire Ferragus, qui l'a trahie et qui se rendait complice d'une abomination, et Guy était plus ou moins son seul moyen à portée de main. C'est elle qui lui a révélé l'emplacement du passage secret.

vg11k a écrit:Sacrément endurant le chevalier pour avoir survécu au-dit assassin et emporter son meurtrier dans la tombe.
J'ai imaginé Gottfried comme Porthos des trois mousquetaires : exubérant, endurant, brutal au combat, meneur par l'exemple plus que par les compétences de commandement, et très attaché à ses principes.

Ravi que mes combats t'aient plu. Je pense que ça doit se voir que je n'y connais en réalité rien en combat médiéval, alors je compense en restant suffisamment flou pour que le lecteur n'ait pas trop de moyen de se dire "meh, c'est pas comme ça qu'on fait". J'ai effectivement essayé de rendre l'assassin vraiment redoutable, et je constate que ça a bien marché Happy .

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Livre d'armée V8 : 8V/2N/3D

Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun

Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Sam 9 Nov 2024 - 19:29
Chapitre XIV


La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Pgfsl1366

DOEEING

« Vite ! Nous en avons pour environ quinze minutes. Pourvu que nous soyons assez loin ! »

Rottmann se sentait mieux. Beaucoup mieux. Certes, il était toujours dans une immense cité souterraine peuplée de créatures aussi malfaisantes que dangereuses. Certes, la tour derrière lui allait s’effondrer dans une violente explosion dont il devait s’enfuir le plus vite possible. Mais il était à nouveau sur la terre ferme. Plus de hauteur, plus de vertige. Et ça lui redonnait espoir, au moins un peu.

Rapière en main, pistolet chargé dans l’autre, il courait à toutes jambes en longeant des murs couverts d’immondices. Les suppôts du mal continuaient de s’entre-massacrer sur la place, inconscients de ce qui s’était joué au sommet de la tour. Voir d’aussi répugnantes créatures se retourner aussi férocement les unes contre les autres avait été une des seules bonnes nouvelles de la journée. Mais qu’attendre d’autre de la part d’êtres aussi dégénérés ?

Reiner et lui ne cherchaient même pas à être discrets. Pas le temps. Plusieurs hommes-rats avaient bien tenté de les intercepter, mais aucuns ne les avaient véritablement pris en chasse, et tous deux se contentèrent d’abattre ceux qui se dressaient sur leur chemin. Et par la grâce de Sigmar, la plupart des autres étaient occupés ailleurs. De toute façon, était-il seulement possible de repérer qui que ce soit au milieu de tout ce chaos ? L’endroit était saturé de hurlements en tous genres, et grouillait toujours autant. Des formes se ruaient les uns sur les autres par-dessus un tapis de cadavres. Rottmann espérait simplement que les deux camps ne reçussent plus aucun renfort. Ses poumons étaient en feu, ses bras en plomb, et chaque pas était plus dur que le précédent. L’air empestait mille odeurs fétides qui agressaient continuellement ses narines. Mais il ne pouvait pas flancher. Pas maintenant.

Haletant, il finit par atteindre l’autre extrémité de la place. Reiner était derrière-lui une seconde plus tard. Se passant un bras sur le front pour en essuyer la sueur, Rottmann jeta un rapide regard dans un passage qui s’enfonçait entre plusieurs rangées de bâtiments délabrés dans les profondeurs de la cité skaven. Vus de près, ces bâtiments semblaient surtout faits d’empilements hétéroclites de planches et de gravats grossièrement assemblés et cloués. Rien que sur le chemin devant lui, trois amas de débris informes témoignaient que ces structures s’effondraient facilement. Pitoyable.

« Danger en vue ? » La voix de Reiner avait quelque-chose de changé. Toute une après-midi de course, de combats et de mort avait fini par écorner son ton policé habituel, et Rottmann y décelait une pointe d’empressement. C’était presque rassurant en réalité. Ce jeune homme avait vécu en quelques heures plus que ce qu’un être humain ‘normal’ était capable de subir en une vie, et voir qu’il ne s’en tirait pas indemne le ramenait à sa condition d’homme. Ou une bêtise du genre. Rottmann savait surtout qu’il aurait surtout été terrifié si ce jeune écuyer était resté de marbre devant la mort de son mentor.

« Pas plus qu’ailleurs » répondit-il en hurlant presque pour se faire entendre. Ce qui voulait dire que le chemin était parsemé de petites poches de combats, où mutants et skavens s’affrontaient avec une sauvagerie à peine croyable. Rottmann enragea de ne pas pouvoir reprendre le chemin par lequel ils étaient arrivés, qui était bien plus sûr comparé à celui-là. Mais celui qui se trouvait devant eux était le plus direct pour rejoindre ce satané chevalier, Guy du Fort aux Roses. Et surtout son adversaire, le chevalier noir. Ferragus. Rottmann n’en revenait toujours pas. Quand ils avaient quitté Guy, quelques heures et au moins deux fins du monde auparavant, il était au plus mal, au fond d’un lit après avoir été blessé par les flammes impies qui se dégageaient de l’épée de son ancien compagnon d’arme. Alors quand il les avait aperçus dans sa longue-vue, engagés dans un combat sans merci sur un promontoire surplombant la cité, il avait d’abord cru avoir mal regardé. Mais non, c’avait bien été eux. Il avait même vu l’écuyer de Herr Guy, le jeune Wilhelm, qui se battait avec férocité aux côtés de son mentor. Rottmann avait d’abord pesté à l’idée de devoir les rejoindre, mais avait été forcé de reconnaître qu’il ne pouvait rien laisser au hasard : ce Ferragus devait mourir, et c’était là l’occasion parfaite. Mais la question restait entière : comment ce satané chevalier avait-il fait pour être à nouveau en état de combattre ? Et surtout pour atteindre la cité skaven ? Il serra les dents en plissant les lèvres d’exaspération. Ce bretonnien était une mine de surprises. De mauvaises surprises.

« Allons-y » souffla-t-il en se tournant vers Reiner. Ce dernier était tellement couvert de poussière qu’on devinait à peine que son gambison était rouge. Son beau visage blond était trempé de sueur, mais son regard affichait une détermination à faire pâlir un nain. Le jeune homme acquiesça en silence, et ils s’enfoncèrent, armes au poing, en direction du promontoire.

*

Rélimus laissa échapper un sifflement essoufflé, tout en explorant la pièce d’un regard rapide. Il se trouvait dans un des nombreux entrepôts de choses-esclaves, désormais totalement silencieux, ses occupants étant précédemment occupés à construire le grand-œuvre. Et maintenant à mourir dehors. C’était une grande pièce, basse de plafond, dans laquelle régnait une tenace odeur de musc, ajoutée à celles des divers déchets que produisait inévitablement l’amoncellement de centaines d’individus de toutes sortes. Le sol était jonché de détritus et de quelques ossements – des choses-esclaves mourraient chaque jour, mais ils étaient toujours dévorés par les autres. Ses sens étaient aux aguets, surtout sa vue des vents du divin rat cornu. Une poignée de secondes auparavant, il avait senti la sorcellerie de chose-oiseau dans ce bâtiment, et s’y était téléporté. Mais l’endroit semblait vide de toute vie. Étrange.

Il plissa presque inutilement les yeux. Dans cet endroit, la seule lumière venait des quelques trous dans les murs, de sorte qu’il lui était difficile d’y distinguer quoi que ce fut. Frétillant ses moustaches, il résista à l’instinct qui lui disait de produire de la lumière avec son bâton. Il utilisa plutôt ses autres sens pour avancer, tout en se faufilant parmi les ombres avec vélocité. Si c’était pour le piéger dans le noir que chose-oiseau l’avait attiré ici, c’était un très mauvais calcul, qui montrait toute l’étendue de la bêtise de cette créature. N’importe-quel skaven est aussi à l’aise dans le noir qu’une chose-poisson dans l’eau, mais lui, l’incomparable prophète gris Rélimus, futur seigneur-devin, était la quintessence de son espèce. Cette obscurité sera ton cercueil-tombe, ricana-t-il intérieurement en esquivant une cage thoracique posée au sol. Je te trouverai et je t’arracherai les pattes avant de te jeter en pâture aux esclaves.

Rélimus s’immobilisa, soudain en alerte. Là, dans l’obscurité, il avait cru entendre un bruit. Comme le léger frottement d’un tissu. Etait-ce son imagination, un leurre prévu par chose-oiseau, ou bien…

L’éclair le prit presque par surprise, illuminant brusquement la salle d’un bleu aveuglant. S’il n’avait pas focalisé son attention sur cet endroit précis la seconde d’avant, il aurait fini en cendres fumantes. Au lieu de quoi, il se retrouva à rouler dans la poussière, ayant esquivé d’un poil. Ses moustaches frémirent d’indignation à cette idée, et il fit claquer ses dents en enroulant nerveusement sa queue. L’éclair percuta le mur derrière, faisant entrer une lumière bienvenue qui montra à Rélimus que son adversaire se trouvait bien devant lui, à une trentaine de mètres. Sa robe bleue pâle semblait animée d’un vent imaginaire, et son long cou d’oiseau était arqué vers l’avant. La créature éructait des syllabes grinçantes à un rythme effréné, mais Rélimus ne se laissa pas avoir deux fois. Se lançant dans un effort de concentration, il tendit le bras et entrepris de dissiper les énergies magiques rassemblées par chose-oiseau. L’effort lui fit pourtant serrer les crocs. Cet innommable importun était puissant, très puissant. Mais il avait eu tort de sous-estimer un être tel que lui, Rélimus. Il allait désormais se battre pour de bon. « Tu vas crever-mourir maintenant, oui-oui ! » Hurla-t-il !

Plongeant la patte dans un des nombreux replis de sa robe grise, Rélimus en sortit un morceau de roche de la taille d’un pouce, grossièrement taillé, qui luisait d’une intense lueur verdâtre. Sans perdre une seconde, il porta le fragment de malepierre à sa bouche, et l’avala d’un seul coup.

Aussitôt, il sentit une vague d’énergie l’envahir et se diffuser en lui avec la violence d’un raz-de-marée. C’était presque trop, trop bon, trop fort, trop de puissance ! Il ne put retenir un hurlement d’extase alors que sa puissance, il le sentait, venait d’être multipliée. Les vents divins lui obéissaient désormais totalement, et le Rat Cornu lui-même devait reconnaître en lui son serviteur le plus puissant de tous les temps. Il se sentait capable de vaporiser des montagnes d’un revers de la main, d’anéantir des nations par sa seule volonté. Sa fourrure se mit à grésiller alors que des éclairs craquaient entre ses poils, et un regard vers chose-oiseau lui montra que ce dernier venait de faire un pas en arrière alors que son faciès aviaire affichait une expression désemparée.

Parfait-splendide-oui-oui !


Chose-oiseau se remit à psalmodier, mais Rélimus ne le laissa pas faire. Brandissant sa patte ouverte, il prononça une succession de mots qui résonnèrent dans son crâne alors que les vents se plièrent à sa volonté avec une incroyable rapidité. Aussitôt, une gerbe d’éclairs verdâtres jaillit de ses doigts et percuta chose-oiseau qui n’eut que le temps de piailler de douleur avant d’être projeté en arrière. Un nuage de poussière et de fumée s’envola à l’impact. Rélimus partit d’un grand rire tout en avançant vers la scène à pas lents : « AAAAAHAHAHAHA ! Mon pouvoir-puissssssssssance est énorme-infini ! ». Il dut plisser les yeux cependant, en partie parce que de la poussière volatile emplissait l’espace suite au choc, mais aussi parce que sa soudaine perception accrue des vents divins rendait plus compliquée sa vision de la réalité. Mais peu importait. Chose-oiseau était morte et bien morte ! Plus qu’à trouver le corps...

Une forme bougea dans les ombres, se dirigeant vers…le mur au fond ? Rélimus réalisa à ce moment que son sort avait frappé tellement fort qu’il avait lui aussi soufflé une des parois du bâtiment. Mais qu’attendre de moins d’un de ses éclairs, à lui ? Il n’hésita qu’une fraction de seconde à s’avancer. Avec toute cette puissance, cette incroyable force, si délicieuse, qui parcourait à présent son corps, il se savait invincible. Mais d’abord, faire disparaître cette maudite poussière. Il tendit une patte dont les griffes étaient parcourues d’étincelles et concentra à nouveau les vents devant lui. Ce n’était pas quelque petites fumées qui allaient séparer le grand, le puissant, l’incroyable, le splendide Rélimus ! D’une parole, il les relâcha en un sort d’une simplicité élémentaire : une onde de choc.

Plusieurs choses se produisirent alors très rapidement. Tout d’abord, il réalisa qu’il avait attiré trop d’énergie magique, sans aucun doute par la faute de quelque machination extérieure. L’instant d’après, alors que les derniers mots de sa formule buttaient sur sa langue, Rélimus se rendit compte qu’il n’arrivait pas à s’arrêter. Toujours plus de vents s’agglutinaient autour de lui, sans qu’il ne puisse rien y faire. C’était déjà trop tard.

Puis tout bascula.

L’onde de choc provoquée par son sort souffla la poussière, les piliers qui retenaient le bâtiment, l’air ambiant, puis le mur tout entier qui fut balayé tel un fétu de paille. Le tout en une fraction de seconde. Rélimus se sentit quitter le sol alors qu’une force énorme lui broyait les entrailles dans une explosion de souffrance. Son bâton lui échappa, et il percuta l’un des piliers qui tenaient le grand bâtiment debout. Un craquement inquiétant résonna dans tout son corps lors de l’impact, et il glissa au sol. Son être entier n’était plus qu’une immense douleur. Mais alors qu’il sombrait dans l’inconscience, d’autres craquements retentirent, partout autour de lui, dans la structure même de l’entrepôt.

La rapide fin de son existence ne fut que supplice.

*

Wilhelm leva les yeux, puis les écarquilla. Un filet de sueur froide glissa le long de son dos alors qu’il découvrait la scène devant lui. Messire Guy, son chevalier, son maître depuis trois ans, gisait au sol, les bras en croix. Transpercé au torse par l’épée de Ferragus. La lumière douce qu’il émettait était presque éteinte. Comme si les flammes multicolores de l’épée de Ferragus l’avaient absorbée. Son cerveau n’était plus qu’un amas de voix qui hurlaient de façon incohérentes, ses pensées s’entrechoquant avec une violence phénoménale. L’horreur. La douleur. Le chagrin. La haine. La peur. Il voulait hurler. Il voulait pleurer. Il voulait s’effondrer au sol. Il voulait tuer Ferragus. L’empilement de ses émotions le cloua sur place. Totalement immobile. Son regard se posa sur la blessure du bretonnien, faille béante dans son armure, alors que le chevalier noir riait aux éclats. Sa voix glissa sur Wilhelm comme de l’eau sur la roche. Il ne l’entendait pas, il ignorait même ce qu’entendre voulait dire. Ses oreilles ne fonctionnaient plus. Des souvenirs l’assaillirent sans ordre ni logique. Guy lors de leur première rencontre. Guy lors de la bataille dans cette ville aux côtés de l’ordre. Guy quand il l’avait pris pour écuyer, en cette soirée d’automne où Wilhelm ruminait le souvenir de la dispute avec son père. Il sentit une goutte couler le long de sa joue, et il se mit à trembler. Une pensée finit cependant par dominer tout le reste : que va-t-il se passer maintenant ?

« …et pour ça, mon cher Guy, je te remercie ! Dis bonjour à la Dame pour moi, je crois que je dois lui manquer. Sur-ce, adieu ! »

Ferragus rengaina son épée dont les flammes s’étaient éteintes, et fit un geste de révérence parodique et théâtral vers le corps brisé de Guy. Puis il tourna le dos à Wilhelm dans un tourbillon de sa cape et se dirigea vers l’escalier d’une démarche tranquille. Ce fut ce geste qui fit réagir Wilhelm. Ce geste de mépris qui fit s’effacer chaque sentiment de ses pensées confuses, à l’exception d’un seul. Un seul qui prit toute la place. Wilhelm serra les dents et s’essuya les yeux d’un revers de la manche, le souffle soudain animé d’une colère brûlante. Il pointa son épée en s’avançant vers Ferragus de son pas le plus résolu.

« Ce n’est pas fini. Revenez vous battre ! »

Wilhelm fut surpris que sa voix ne tremblât pas. Il avait l’impression d’être prêt à exploser. Son cœur battait à tout rompre dans ses oreilles. Ferragus marqua un mouvement d’arrêt, puis se retourna d’un coup.

« Si tu tiens tellement à mourir, jeune homme, je ne vois pas pourquoi je te refuserais ce droit. Tu l’aimais beaucoup, hein ? »

L’homme souriait de toutes ses dents. Son troisième œil tournoyait joyeusement dans son orbite. Wilhelm ne répondit pas, déclenchant une nouvelle moquerie de Ferragus.

« Tu devrais te réjouir, il déçoit toujours ceux qui l’aiment. Sa mort sera un soulagement pour beaucoup.

- TAISEZ-VOUS ! »

Wilhelm bondit, l’épée pointée vers l’avant dans une attaque qu’il voulait mortelle dirigée droit vers la bouche du meurtrier de son maître, pour le faire taire une bonne fois pour toute. Mais l’autre ne se donna même pas la peine de dégainer. Le troisième œil de Ferragus se ferma à demi tandis que le chevalier noir esquiva d’un simple pas de côté, avant de forcer Wilhelm à reculer d’un violent coup de bouclier au torse.

Wilhelm reprit rapidement son équilibre, et, affectant une garde plus prudente, il se lança dans un nouvel assaut. Cette fois-ci, Ferragus ne se contenta pas de simplement parer. Empoignant son épée de la main droite, il dévia l’arme de Wilhelm qui recula aussitôt, sentant son ardeur refroidir rapidement à la vue des flammes autour de la lame. S’il n’y prenait pas attention, il risquait de mourir très vite. Et stupidement. Sa mâchoire se crispa alors qu’il reprenait sa garde pour repartir à l’assaut.

« IDIOT ! » lui hurla son adversaire en le voyant à nouveau attaquer. « Je l’ai dit, je vois toutes tes attaques avant que tu ne les portes ! Comment veux-tu arriver à me battre en attaquant continuellement ? » Ferragus n’avait plus l’air de s’amuser du tout. Son regard était dur, sa voix glaciale, et sa bouche une fine ligne droite. Au moment où Wilhelm essayait un coup par le haut, visant le front, le chevalier noir piégea sa lame dans la sienne, et la seconde suivante Wilhelm sentit son arme lui échapper des mains. L’épée toucha le sol quelques mètres plus loin alors que Ferragus enfonçait le torse de Wilhelm d’un violent coup de pied. Il recula sous la force du coup en titubant, grimaçant de douleur, et ne put s’empêcher de chuter lourdement au sol.

Il agit alors par réflexe, et roula sur le côté pour échapper à un coup qui, il le sentait, allait suivre très rapidement. Un choc sur sa gauche accompagné d’un juron lui indiqua qu’il avait bien fait. Ferragus arma une nouvelle frappe, profitant de la position de Wilhelm pour essayer de l’achever. Le jeune homme esquiva à nouveau d’un cheveu en roulant, pestant contre son bouclier qui l’handicapait beaucoup dans cette posture, et sentit sa main droite se poser sur un objet dur. Une épée. Sans réfléchir, il se retourna en la brandissant et parvint à bloquer juste à temps le nouveau coup vertical que lui portait Ferragus.

Leurs regards se croisèrent en même temps que leurs lames. Les yeux de Ferragus étaient éclairés par les flammes qui courraient le long de son épée et dont Wilhelm sentait à présent la puissante chaleur. Au milieu de son front, son troisième œil luisait d’un éclat bleu qui lui était propre, et était rivé sur lui. En une fraction de seconde, Wilhelm passa en revue toutes les contre-attaques qu’il pouvait faire pour se tirer de cette situation désastreuse, mais toutes avaient un point faible, un moyen d’être bloqué, et donc une issue fatale. Il choisit alors la plus improbables d’entre elles, afin d’essayer de gagner au moins le temps de se relever.

Il cracha au visage de Ferragus.

Celui-ci fut surpris avant-même que Wilhelm n’agisse, et sa seule réaction fut d’entrouvrir la bouche avec une expression de stupeur alors que le glaviot toucha sa joue gauche. Un ahurissement qui ne dura qu’une seconde, mais dont Wilhelm profita pour rouler à nouveau sur le côté et se remettre debout. Il réalisa à ce moment que l’épée qu’il avait en main était celle de messire Guy, qui se trouvait juste à ses pieds. Etrangement, l’épée luisait toujours, et Wilhelm sentit une douce tiédeur dans sa main droite.

Ferragus avait l’air fou de colère.

« Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Pourquoi continuer ainsi de te battre ? Tu as perdu, vous avez perdu ! Regardes autour de toi ! Ces saloperies d’hommes-rats seront bientôt anéanties, et cette merveilleuse cloche fera grossir les rangs de nos armées ! Tu es seul, isolé, une petite merde perdue au milieu de créatures qui veulent toutes ta mort et qui sont touchées par les dieux sombres, les seuls dignes de ce nom ! Et toi, toi, TOI, tu restes ici ? Pourquoi ne t’enfuis-tu pas ? Pourquoi ne me laisses-tu pas triompher ? POURQUOI ? »

Sa voix n’avait plus rien du calme apparent aux accents amusés et méprisants qu’elle avait précédemment. Elle était maintenant rauque, sans aucune noblesse alors que des insultes fusaient comme autant de carreaux d’arbalète. Ses trois yeux luisaient d’une rage à peine contenue, celui situé sur son front étant désormais immobile, fixé sur Wilhelm. Ce dernier encaissa les injures sans broncher, et planta à nouveau son propre regard dans celui de Ferragus mais cette fois pour le défier.

« Parce que vous êtes le mal incarné. Parce que vous abattre fait partie de mon rôle en tant que soldat. En tant que futur chevalier. C’est ma mission, et en le faisant je protègerai ceux qui en ont besoin. »

Sa réponse parut augmenter encore plus la colère de son adversaire. Ferragus se mit à lui hurler dessus avec une telle violence qu’il en vint à couvrir les bruits de combats alentours. Il semblait proprement ivre de rage, le visage rougi, et tout en criant il se jeta sur Wilhelm en faisant de grands moulinets de son épée.

« Mais tais-toi, tais toi ! TAIS-TOI ! Tu n’es rien, tu comprends ça ? RIEN ! Tu n’es qu’un petit grain de poussière dans les desseins de ce monde ! Tu ne comptes même pas ! Combien crois-tu que je vaille de petites fientes comme toi, hein ? Moi qui me suis battu pour en arriver là ! Moi qui ai sué mon sang depuis dix ans pour que notre plan aboutisse ! Moi qui ai triomphé de celui qui avait causé toutes mes souffrances, et qui représentait mon ancienne vie ! Et dans tout ça, tu crois que tu comptes ? Toi ? »

Il s’époumonait en imprécations entre chaque attaque. Wilhelm ne répondait rien, trop concentré qu’il était sur sa défense. Un pas en arrière, une parade du bouclier, une esquive, c’était presque trop simple. Il se rendit compte que si la garde de Ferragus était imparable, c’était loin d’être le cas de ses offensives, que sa colère rendait encore plus prévisibles. Sa propre rage était retombée, mais l’ampleur de celle du chevalier noir l’étonnait plus qu’elle ne l’impressionnait. Ses hurlements devenaient de plus en plus incohérents.

« Mais tu la sens ? Tu la sens cette odeur ? Cette immonde odeur de pourriture et de déjections pourries ? C’est celle d’un immense champ de bataille, où sont morts tous ceux que tu aimes, tous ceux qui ont un jour comptés pour toi ! Je le vois, là, le charnier remplis de leurs pauvres stupides cadavres, où ils sont tous morts, tous autant qu’ils sont ! Démembrés, éventrés, décapités, tranchés, mutilés, écharpés, écartelés, étranglés, éviscérés, égorgés, écorchés, dépiautés, exterminés ! »

Un coup à droite, bloqué du bouclier en le déviant pour absorber la force de l’assaut et ne pas l’encaisser frontalement, suivi d’un coup de pieds que Wilhelm esquiva d’un pas de côté. Facile. Les attaques de Ferragus n’avaient plus rien de technique, il se contentait de frapper tout droit en hurlant de plus en plus fort.

« Et là, au milieu de tout ce paysage, un ridicule petit tas de terre, sous lequel on a enterré tes petits ossements de merde, avec dessus, trois planches pourries sur lesquelles on a gravé ton pauvre petit nom de paysan ! »

Le cerveau de Wilhelm travaillait à toute vitesse alors que son corps gérait presque instinctivement le combat. L’homme face à lui pouvait voir toutes ses attaques à l’avance et ne donnait aucun signe de fatigue, alors que lui-même sentait qu’il parvenait peu à peu au bout de ses forces. Il était en sueur, et son souffle se faisait court. Il fallait rapidement trouver une solution. Ce Ferragus pouvait-il vraiment voir tout ce qui passait à sa portée ? « Utilisez l’environnement. Cela peut vous sauver lors d’un combat qui semble perdu d’avance » lui avait un jour dit le maître d’arme de son petit frère. L’environnement. Est-ce que ça pouvait marcher ? Wilhelm décida de tester une théorie. Après tout, il n’avait pas grand-chose à perdre. Profitant d’un nouvel assaut de Ferragus, qui déversait toujours un torrent d’insultes, il se mit en position. L’épée enflammée arriva droit sur lui, mais Wilhelm recula en brandissant son bouclier, encaissant sans trop de mal. Puis, il porta sa propre attaque.

Ferragus ne réagit pas alors que l’épée de Wilhelm brassa l’air à dix centimètres de sa tête sans rien toucher. L’espace d’un instant, une expression de réelle surprise marqua les traits du chevalier noir. Elle disparut juste après dans un grand éclat de rire.

« Eh bien mon garçon, on ne sait même plus viser ? Tu ferais mieux d’abandonner maintenant. Peut-être que je te laisserai un peu d’avance avant de te poursuivre. »

Wilhelm n’écoutait plus. Son cœur se mit à battre plus vite alors que son esprit passait en revue ses possibilités. Il se fixa sur l’une d’elles. J’ai une chance de le battre. Une seule. S’il échouait, il doutait de toute façon pouvoir le regretter longtemps.

D’un pas chassé, il se décala sur sa droite tout en reculant à nouveau. Tout en ricanant, Ferragus pressa son avantage, un sourire fou vissé sur son visage alors qu’il enchaînait les moulinets sans même plus affecter de posture martiale. L’effort et la concentration faisaient suer Wilhelm à grosses gouttes qui ruisselaient sur ses joues. Il en avait oublié sa haine, sa peine, la proximité d’horribles bêtes folles à lier, tout, pour se focaliser sur les quelques secondes décisives qui arrivaient. Il fallait qu’il donne le change, au bon moment. Même si la rage qui semblait habiter l’homme en face de lui l’aveuglait sûrement, il ne fallait pas le laisser se douter qu’il avait un plan.

Un coup d’œil furtif en arrière lui apprit qu’il approchait de la falaise, à l’endroit exact où il était tombé quelques minutes plus tôt. Faisant crisser le gravier sous ses bottes, il recula à nouveau d’un pas, puis d’un autre alors que l’épée enflammée brassait l’air devant lui. Ferragus exultait, partant d’un grand rire alors que Wilhelm lui jeta un regard terrifié.

« Hi hi hi ha ha ha ho ho ho ! Tu ne peux plus t’échapper, sale petit avorton insignifiant ! Alors, que vas-tu faire ? Décide-toi, mais vite ! »

Il avait hurlé ce dernier mot en frappant à nouveau, mais l’arme frappa le vide. Wilhelm avait sauté.

L’atterrissage était le point faible de son plan. Il le savait, mais avait décidé de prendre le risque. Cependant, si l’étroite passerelle émit bien des bruits inquiétants et tangua quand il la percuta, elle ne céda pas. Wilhelm se surprit à bénir les compétences de bâtisseurs des hommes-rats, qui lui avaient sans doute sauvé la vie deux fois. Le choc du plongeon passé, il s’empressa de reculer jusqu’à la plate-forme la plus proche, sous l’échafaudage qui lui avait permis de remonter. Ce faisant, il vit Ferragus pencher la tête au-dessus du vide, et leurs regards se croisèrent. Ferragus hurla.

« AAAAAAAAAAH ! Mais tu vas enfin mourir oui ? Tu ne t’en tireras pas en feignant la mort ! Pas deux fois ! » L’instant suivant, le chevalier noir s’élançait dans les airs avec une souplesse surprenante pour quelqu’un engoncé dans une telle armure. Il atterrit à son tour sur la passerelle, qui trembla de nouveau, le forçant à écarter les bras pour reprendre son équilibre. Mais il ne chuta pas non-plus. Puis il se tourna vers Wilhelm et un rictus carnassier déforma ses traits, son troisième œil luisant d’une lueur malsaine.

« C’est enfin terminé. Ta mort sera le point final de ma quête de vengeance contre mon passé. » Il parlait tout en avançant pas à pas sur la planche, la lame pointée devant lui, vers un Wilhelm qui n’avait plus d’endroit où reculer. La passerelle ne bougeait presque plus, toujours tenue par les cordes qui la reliaient aux échafaudages.

« Eh bien, je ne t’entends plus. Où sont tes belles paroles ? Tes fières déclarations de chevalier ? Tu réalises maintenant que toute fuite est futile ? Couard, et idiot à la fois, peuh ! Tu vas subir ce que Guy a subi. Ce que j’ai subi, par sa faute ! Je vais brûler ta chair et tes os jusqu’à ce que toute trace de ton être ait disparu. Je ne te laisserai même pas la chance d’accepter le don de... »

La lame de Wilhelm fusa, et une seconde fois la phrase de Ferragus mourut dans sa gorge. À nouveau, l’attaque ne le toucha pas. Ferragus fronça les sourcils. Son instinct de guerrier balaya la scène des yeux, et son regard se porta sur une corde tranchée qui pendait devant son nez.

La corde qui soutenait la passerelle.

« Qu’est-ce que… »

Dans la seconde qui suivit ils échangèrent un dernier regard. Le visage de Ferragus n’exprimait soudain plus qu’un mélange d’incompréhension et de panique. Toute sa morgue avait disparue, balayée par la sensation, nouvelle, de l’incertitude. L’œil sur son front s’était révulsé. La cloche sonna à nouveau sa note déformée. Puis Wilhelm donna un coup de pied dans la planche, qui n’était plus accrochée à rien.

Ferragus hurla en tombant.


*

« Vite, mon garçon, nous n’en avons plus pour très longtemps. Cinq minutes, à peine. »

Rottmann savait qu’il parlait inutilement. D’abord parce que ça usait son souffle déjà trop court, et ensuite parce que Reiner était à son niveau, et ne paraissait pas prêt à se laisser distancer. Avec amertume, il réalisa qu’il parlait surtout pour lui, parce que distribuer des ordres lui donnait toujours l’impression d’avoir plus de contrôle sur la situation. Mais pas cette fois, et devant la futilité de cette manœuvre il replongea dans son mutisme. Ils avaient sprinté à travers les ruelles, les passages encombrés et les escaliers défoncés de l’immense cité en évitant le plus possible les affrontements. Leur course les rapprochait du promontoire où Rottmann avait aperçu Guy en plein duel avec le chevalier noir. Autre effet bénéfique : plus ils couraient, plus ils s’éloignaient des combats. Cela faisait deux ou trois minutes que Rottmann n’avait pas vu de skaven, et il en était presque soulagé.

Un cri à sa droite lui fit perdre le fil de sa pensée, alors qu’un homme-rat esseulé émergea d’un tas de bois pour se jeter sur eux en brandissant une lame rouillée. Sans même réfléchir, Rotmann dégaina son avant-dernier pistolet chargé et l’abattit en un claquement sourd avant de ranger son arme. Il ignora l’odeur âcre de la fumée qui s’en dégageait, car la puanteur ambiante était de toute façon bien pire, et reprit sa course, tous les sens en éveil et les dents serrées. Dire qu’il avait osé penser qu’ils étaient plus en sécurité. C’est en se maudissant mille fois qu’il rattrapa Reiner. Il fallait rester vigilant.

DIONEING

Ils arrivèrent soudain devant une falaise de cinquante mètres de haut, percée de multiples fissures d’où émergeaient des protubérances de bois et de métal en tous genres. Une impressionnante structure faite de planches et de poutres grossièrement encordées les unes aux autres couvrait une bonne partie de la façade, et semblait menacer de s’effondrer à tout moment. Essoufflé, Reiner s’appuya à l’une des poutres pour reprendre sa respiration, mais retira aussitôt sa main quand il sentit l’objet se déplacer légèrement. Rottmann pencha la tête en arrière, essayant de trouver un passage sécurisé vers le haut. Ce faisant, il dégrafa une grosse flasque métallique de sa ceinture et porta le goulot à ses lèvres, avant de la tendre à Reiner en grimaçant après avoir bu quelques gorgées du contenu.

« C’est de l’alcool ? » demanda le jeune homme de son habituelle voix dépassionnée. Rottmann secoua la tête sans le regarder, toujours à son observation de la falaise et à sa recherche d’un moyen d’y monter. « Café » coassa-t-il en réponse. Il sentit sa flasque lui être retirée des mains, et ne put réprimer un petit sourire satisfait quand il entendit un hoquet surpris venir de sa gauche. Visiblement, le jeune homme n’était pas prêt à ce breuvage exotique. Alors qu’il se déplaçait, il sentit qu’on lui remettait vigoureusement la flasque dans la main. À priori, il y avait un moyen de contourner la falaise pour accéder au sommet…

Il n’acheva pas le fil de sa pensée : un mouvement capta son attention dans les hauteurs. Quelque-chose tombait des derniers étages, brisant plusieurs poutres dans sa violente chute. L’objet était enflammé, mais étrangement les flammes semblèrent…s’éloigner ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Rottmann poussa un juron et recula par réflexe alors que la chose qui tombait s’écrasa finalement devant lui dans un grand fracas. Elle fut suivie par un second objet, en métal, qui rebondit plus loin en vibrant. Le répurgateur écarquilla les yeux alors qu’une fine pluie d’échardes se répandait aux alentours. Il ne revenait pas de qui venait d’atterrir à ses pieds.

C’était Ferragus.

Le corps du chevalier chaotique était brisé. Ses membres faisaient des angles improbables, son heaume avait disparu, mais c’était bien lui, impossible de confondre cette armure. Et il ne pouvait dire s’il était vivant ou mort. Rottmann leva un instant les yeux, essayant vainement de deviner ce qu’il s’était passé là-haut, mais il ne distinguait rien. Le visage du bretonnien acquis aux dieux sombres était figé en un cri muet, mais le répurgateur ne prit pas le temps de le détailler, l’attention entièrement focalisée sur la paupière ouverte qui lui ceignait le front.

*

Une gerbe de flammes multicolores embrasa l’air là où l’instant d’avant il n’y avait rien. Dansant comme si une main invisible les façonnait, elles prirent instantanément une forme vaguement humanoïde, puis disparurent aussi rapidement qu’elles étaient apparues, laissant derrière elles la silhouette voutée d’un être qui avait fait frémir les rares ayant pu poser les yeux sur lui.

La créature aviaire poussa un grognement et claudiqua en avant, appuyée sur son bâton tout en pressant un bras filiforme contre son flanc. Les innombrables bouches qui recouvraient sa peau poussaient des plaintes ininterrompues, signe de son immense douleur. Leurs voix étaient tantôt rauques, tantôt aigues, autant sifflantes que brusques. Mais malgré tout cela, un sourire éclairait le visage d’aigle de la créature. Un sourire triomphant. Au-dessus de lui, l’immense cloche sonna à nouveau son carillon si mélodieux. Il partit d’un rire sec, qui s’acheva dans un gémissement. Son flanc le lançait terriblement, là où la foudre du prophète gris avait frappé.

Tout en s’avançant difficilement vers la plate-forme située en haut d’une courte passerelle, il détailla son environnement, ce qui le fit plisser les yeux dans ce qui s’apparentait à de la surprise. Il ne s’était pas attendu à voir des stigmates de combat au sommet de la tour de la cloche. Cet endroit était censé avoir été en sécurité, oublié de tous. Et pourtant, là, devant lui, gisait un cadavre humain à qui on avait pris la peine de donner une posture digne, les mains jointes sur la poitrine. Il portait une armure rouge sombre, et ses armes étaient soigneusement posées près de lui. De son assassin il n’y avait aucune trace, mais il n’en avait cure. Tout cela signifiait que, en dépit de tous ses plans et de toutes ses intrigues, des humains étaient venus ici. Et alors…

Le long corps du mage au faciès d’oiseau s’anima alors violemment, accélérant le pas tout en affectant une démarche dangereusement chaloupée. Il éructa une série de cris, qui ressemblaient à ceux que pousseraient de concert cent hommes et femmes pris d’une colère violente. Il se rua vers la passerelle montante qu’il grimpa difficilement. La cloche sonna à nouveau, mais il ne l’écoutait même plus.

Quand il parvint au sommet de la tour, juste sous l’immense instrument qui brillait toujours d’une si belle lumière bleutée, le mage se figea. Il mit quelques secondes pour détailler son environnement et en isoler les éléments essentiels. Et pendant ce temps, la dizaine de mèches qui fumaient se réduisirent des derniers centimètres qui les séparaient des sphères noires à l’aspect sinistre disséminées partout sur la plate-forme.

Il ouvrit le bec pour pousser un dernier cri de rage. Seul lui répondit un ricanement au fond de sa cervelle.

*

« Par le marteau du fondateur… » murmura Rottmann pour lui-même d’une voix tremblante en contemplant le troisième œil de Ferragus. Il se reprit immédiatement, et se redressa de toute sa hauteur.

« À TERRE ! »

Une masse se jeta sur lui, le percutant et l’envoyant au sol qu’il heurta de plein fouet. Une vive douleur envahit sa tête alors que son souffle lui échappait des poumons. J’ai encore perdu mon chapeau nota-t-il dans un coin de sa tête, comme si c’était la seule chose qui importait. Rottmann sentit ses muscles endoloris se raidir. Mais avant qu’il ne puisse réagir, une immense explosion résonna dans la caverne.

*

Le haut de la tour fut pulvérisé dans une immense boule de feu multicolore, projetant des milliers de fragments dans toutes les directions. Juste en-dessous, skavens et mutants encore en vie furent renversés par une onde de choc qui se propagea aussi bien dans leurs chairs que dans leurs esprits. Les hommes-rats furent pour la plupart écrasés par la pression titanesque, leurs maigres squelettes ne pouvant soutenir une telle puissance. Tout se passa tellement vite qu’ils n’eurent même pas le temps de hurler leur souffrance que leurs os étaient déjà broyés et leurs organes réduits en charpie. Les mutants, plus solides, accusèrent également le coup. Beaucoup d’entre eux moururent d’une façon tout aussi atroce, mais ce fut pire pour les autres. La décharge magique les affecta avec encore plus de violence, la sorcellerie qui l’instant d’avant était pour eux le fanal qui les réunissait et qui les unifiait avait déferlé sur sans plus aucun contrôle. Leurs cerveaux furent saturés d’images insoutenables, d’émotions contradictoires et indicibles. Ceux dont la matière grise ne fondit pas se jetèrent sur tout ce qui vivait encore, avec ce qui semblait une rage incroyable contre la réalité. Un nouveau massacre commença, où toute l’énergie de ces créatures contre-nature fut dirigée dans la destruction totale de l’existence.

Le souffle parcourut l’espace en une fraction de seconde, passant sur Rottmann et Reiner, l’un maintenu au sol par l’autre, avec une violence qui les souleva à nouveau de terre. Plusieurs débris s’écrasèrent près d’eux, leurs impacts couverts par l’explosion. Rottmann sentit le choc passer dans tout son corps, comprimant ses os et ses organes alors que l’air était brutalement expulsé de ses poumons. Plus haut, sur le promontoire, Wilhelm fut projeté en avant alors qu’il tournait le dos à la scène. Tête la première, il atterrit dans les gravats et la poussière. Une vive douleur lui vrilla la mâchoire, et il sentit le goût de la terre dans sa bouche. Le sol trembla sous lui alors que le bruit se répercutait en écho sur les parois, faiblissant progressivement.

Wilhelm se releva avec difficultés, respirant bruyamment tout en s’appuyant sur l’épée bâtarde de messire Guy. Son visage lui faisait un mal de chien, qui s’ajoutait à ses affres musculaires et à ses nombreuses blessures. Mais Wilhelm le sentait à peine. Le martyr n’était qu’une information inutile, noyée dans l’océan de désespoir qui se répandait en lui. Il ne parvenait pas à ressentir de fierté d’avoir vaincu l’ancien compagnon de son maître. Cet homme, il aurait voulu le transpercer, le décapiter, le tuer de ses mains. Pas par ruse. Cette haine qu’il avait ressentie contre lui, il l’avait tue pendant tout leur affrontement, par nécessité. Et elle ressortait avec encore plus de force à présent que l’ennemi était mort. Mort trop tard.

Wilhelm essaya de hurler, mais ses poumons ne semblaient pas lui obéir. Il mit plusieurs secondes à réaliser qu’il n’entendait plus très bien. Mais c’était sans importance. Par miracle, cette cloche infernale avait été détruite. Avec le décès de Ferragus, la menace était définitivement écartée. Quelle menace ? Il ne s’en rappelait plus vraiment. Ses pensées se bousculaient alors que les battements de son cœur étaient désormais le seul son dans l’univers. Il ne restait plus qu’à rejoindre messire Guy et à le ramener à la surface. Où était-il ? L’obscurité de la grotte rendait la chose compliquée, et ce n’était pas le faible halo doré autour de son épée qui facilitait les choses.

Il trébucha sur quelque-chose à ses pieds. Le son lui parvint comme à travers trois couches d’oreillers, et il le sentit plus qu’il ne l’entendit. Qu’est-ce que c’était ? Un bouclier ! Pas de doute, c’était bien celui de Guy. Ce dernier devait être juste à côté. Wilhelm plissa les yeux tout en avançant à tâtons. Les lumières qui éclairaient l’endroit avaient comme disparu. Les incendies, les éclairs verdâtres, tout semblait s’être éteint après le passage de l’onde de choc. Ou bien était-ce une illusion ? Etait-il en fait en train de devenir aveugle ? Il s’en moquait.

Son pied toucha un autre élément métallique. Il se baissa, toucha, et reconnut un soleret. Son pouls s’accéléra encore. Une seconde plus tard, agenouillé et agité de tremblements, il mettait sa main sous la tête de messire Guy. Il parvint – non sans difficultés à cause de son agitation – à lui retirer son heaume, qui était tellement couvert de suie qu’on aurait dit celui de Ferragus. En-dessous, le visage du chevalier était si pâle qu’un instant Wilhelm crut qu’il irradiait encore. Mais non. Ses yeux étaient fermés, et ses traits tirés dans une expression de souffrance. Et il ne bougeait plus.

Wilhelm garda son calme pendant une demi-seconde. Puis il craqua.

*

Rottmann leva les yeux en s’appuyant sur la paroi pour reprendre son souffle. Plus qu’une dizaine de mètres à parcourir, et ils seraient arrivés en haut. Enfin. Machinalement, il chercha sa flasque de café, puis se rappela que Reiner et lui l’avaient terminée quinze minutes plus tôt. Murmurant un juron accompagné d’une prière à Sigmar pour que tout se termine rapidement, il prit une nouvelle inspiration et reprit son ascension du promontoire. Toute cette histoire l’avait forcé à drastiquement piocher dans ses réserves. Nourriture, fortifiant, et grenades, presque tout semblait y être passé. Une grimace de dépit passa sur son visage. Parce que mis à part les deux lames de l’assassin, il n’avait rien trouvé d’utile pour compenser. Il ne lui restait que les branches récupérées à l’entrée pour faire de nouvelles torches. Au moins ne manqueraient-ils pas de lumière dans les heures à venir.

Une chape de plomb semblait être tombée sur la ville souterraine. Après l’onde de choc, Rottmann et Reiner s’étaient aperçus en se relevant qu’ils avaient d’importants acouphènes. Aucun d’entre eux n’était sérieusement blessé, n’ayant souffert que de quelques contusions et coupures dans la chute. Rottmann avait même récupéré son chapeau, qui s’était retrouvé sous un tas de planches qui avait peut-être été un escalier. Ils avaient ensuite retrouvé le corps de Ferragus, mais ce dernier n’avait pas eu autant de chance qu’eux. Il avait fini écrasé sous une tonne de débris, qui étrangement avaient laissé son visage intact, mais immobile, toujours figé avec la même expression de hurlement de fureur. Il n’y avait pas à s’y tromper, l’homme était mort et bien mort, et cette certitude avait été le premier moteur de l’énergie qui avait poussé Rottmann et Reiner à continuer leur avancée dans la cité désormais silencieuse. La surdité avait progressivement disparu, mais il ne s’en était aperçu qu’en entendant le bruit de ses propres pas. Ils étaient dans le silence, un silence presque total, uniquement brisé par d’occasionnels bruits sourds qui se répercutaient en écho pendant de longues secondes. Après le capharnaüm de la bataille, les hurlements, les plaintes, les détonations, tout cela semblait irréel, presque fantasmagorique.

Rottmann jeta un énième regard derrière lui, mais dans la lumière de sa torche réalisée à la va-vite, il ne vit que la pente rocailleuse qui descendait. Les ombres semblaient plus menaçantes que jamais, mais elles étaient parfaitement immobiles. Trop parfaitement. Ce qui le rendait d’autant plus méfiant. Derrière s’étendaient les silhouettes désormais tranquilles de la cité souterraine dévastée par le souffle de l’explosion cataclysmique qu’il avait lui-même causée. À cette pensée, il sentit ses poumons se gonfler de fierté et sa moustache s’étirer en un fin sourire. Sigmar serait satisfait. De la cloche elle-même, ainsi que de la tour sur laquelle elle trônait, il ne voyait plus rien. Rottmann se dit qu’il ne devait rester qu’un tas de gravats et de planches brisées de cet ignoble monument. La seule chose qui le chiffonnait était la violence imprévue de la détonation. Il s’était attendu à une réaction puissante, mais jamais les bombes qu’il avait apportées n’auraient pu causer autant de dévastation. Pas seules. Peut-être que la sorcellerie chaotique qui s’agglutinait autour de cette cloche avait amplifié la réaction. Mais ce mystère était d’une importance mineure, car après tout le résultat était meilleur que prévu, alors pourquoi s’en plaindre ?

Il en était là dans ses réflexions quand il entendit un son.

Rottmann se dressa, posant instinctivement la main sur la poignée de sa rapière. Son regard croisa celui de Reiner, qui avait déjà un pistolet à la main. Un léger mouvement de tête de l’écuyer suffit à confirmer ce que ses sens lui disaient déjà : cela venait de plus haut. Ce son ressemblait à une plainte, à un gémissement. Un survivant agonisant ? Il fallait en avoir le cœur net. Prudemment, les deux hommes s’avancèrent, trop conscients d’être visibles et donc vulnérables, mais aussi de l’être encore plus s’ils abandonnaient leurs lumières.

Ils débouchèrent sur une vaste surface plane, manifestement naturelle, dominant la cité skaven. Sur leur droite, la paroi continuait, et ils devinaient la silhouette d’un échafaudage qui montait encore plus haut. Ce dernier semblait encore tenir, par quelque miracle mécanique dont Rottmann préférait ignorer les détails. Mais peu importait, car la cible se trouvait plus à gauche. Etrangement, une lumière jaunâtre la rendait très facile à repérer. Quoi que ce fût, ça n’avait pas du tout fait attention à eux. Le son devenait de plus en plus clair au fur et à mesure qu’ils approchaient, jusqu’à ce que…

*

La lumière contracta les pupilles embuées de larmes de Wilhelm, sans qu’il ne réagisse. Elle fut suivie d’un bruit de pas. Une partie de son esprit, maigre ilot dans un océan de peine, nota que c’étaient des pas humains. Et que l’individu approchait. Non, les individus. Pourquoi ? Qui viendrait ici ? D’autres serviteurs des puissances sombres ? Qui viennent m’achever ? Finir le sale boulot ? Mais qu’ils viennent ! Ils n’auront pas le plaisir de me tuer sans combat.

Dans un geste brusque, Wilhelm se redressa et attrapa l’épée bâtarde encore légèrement brillante posée à côté de lui. Son bouclier avait disparu il ne savait où, et il tenait l’arme à deux mains. Il ressentit un léger vertige en se levant si brusquement. Sa poigne était tremblante, et son regard encore imbibé par ses pleurs, mais il rassembla ses dernières forces et se mit en position de combat.

« C’est…toi…Wilhelm ? »

Le silence qui suivit cette question fut des plus assourdissants. Wilhelm se sentit à nouveau bombardé d’émotions. Face à lui, à la place de cultistes, se trouvaient Albrecht Rottmann et Reiner, l’air tout aussi prêts à en découdre que surpris de le rencontrer. Mais avant même qu’aucun d’entre eux n’ait pu réagir, c’était le corps étendu à ses pieds qui avait parlé. Le tintement de l’épée chutant au sol résonna partout autour d’eux. Wilhelm s’était précipité au chevet de celui qu’il pleurait encore un instant plus tôt. De nouvelles larmes brouillèrent sa vision alors qu’il pensait ne plus en avoir pour toute une vie. À la lumière des torches de ses compagnons, il put voir le regard de messire Guy, dont les yeux étaient à peine ouverts, mais bien vivants.

« Oui…c’est…toi. » Un chuchotement. Un mouvement. Il essayait de bouger la main droite. « Tu…as…réussi ? »

Les lèvres du bretonnien étaient d’une teinte indéfinissable, et elles bougeaient faiblement. Sa voix sonnait comme un courant d’air, et son visage avait pris un teint crayeux. Wilhelm pouvait à présent parfaitement distinguer la plaie béante, noire comme l’obsidienne, qui trouait le thorax de messire Guy. L’épée de Ferragus l’avait transpercé juste au niveau du sternum, et s’était enfoncée en carbonisant tout sur son passage, fusionnant maille, tissu, chairs et os. Wilhelm sentit ses dents claquer. Il avait l’impression que de l’eau glacée était versée dans son ventre en même temps que de l’huile bouillante dans sa tête. C’était un vrai miracle. Messire Guy était vivant. Vivant ! Il peina à articuler une réponse cohérente.

« Oui, me..messi…messire. Il a…Il a basculé dans le vide. »

L’ombre d’un sourire passa sur les lèvres gercées du chevalier. Son regard était fixé sur un point invisible au-dessus de l’épaule de Wilhelm. Est-il encore capable de voir ? Wilhelm décida qu’il ne voulait pas savoir. Rottmann prit à cet instant la parole, sa voix nasillarde comme enrouée par les épreuves récentes.

« L’homme a chuté près de moi. Il est mort, je peux en jurer. »

Le répurgateur fixait des yeux étonnés sur Wilhelm. Sa bouche s’entrouvrit un instant, puis se referma en une ligne interrogatrice, mais il tint sa langue. Reiner, jusqu’alors resté en retrait, s’avança à son tour pour s’accroupir près du chevalier. Wilhelm vit à la lueur de la torche de son ancien major que ce dernier avait vécu des épreuves intenses. Son visage pâle était recouvert de poussière et de sang, ses cheveux blonds étaient tellement salis qu’ils paraissaient bruns, et son équipement était un canevas de brûlures, de cendre et de traces moins définissables mais qui racontaient une histoire terrible. Pourtant, son regard n’avait pas changé, ses deux yeux bleus pâles étaient aussi froids qu’à l’ordinaire, et le pli de sa bouche n’exprimait pas le moindre sentiment de fatigue. Wilhelm réalisa alors qu’ils n’étaient que quatre.

« Où est mein Herr Gottfried ? N’était-il pas avec vous ? »

Il y eut un silence, pendant lequel Reiner baissa presque imperceptiblement le regard. L’espace d’un instant, on n’entendit que la respiration rauque de messire Guy, dont les yeux se fermèrent. Wilhelm demanda d’une voix tremblante :

« Lui aussi ? »

Rottmann semblait plongé dans ses pensées, le visage à moitié caché par l’ombre de son immense chapeau, et avait recommencé à tripoter sa barbe. Ce fut Reiner qui répondit de son habituelle voix monocorde. Pourtant, Wilhelm y décela une différence, une sorte de dissonance, de déraillement.

« Il a été pris par surprise par un skaven aussi agile que silencieux, armé de lames maléfiques. Mais son honneur est sauf, car il a emporté la créature dans la tombe. »

Wilhelm poussa un soupir de douleur. Dans sa tête ressurgissaient des images du fier chevalier moustachu au langage fleuri. Cet officier hautement respecté par les autres soldats du fort, chevaliers comme soldats, dont les manières directes cachaient une personnalité vibrante d’émotion, et qui souriait toujours à l’adversité comme à une vieille amie, cet homme-là était mort. Il fut surpris de sentir de nouvelles larmes se former à la lisière de ses yeux. Reiner gardait le visage fermé, et son regard d’habitude si droit se détournait à cet instant.

Contre toute attente, l’instant fut interrompu par la voix de Guy.

« Messire…Rottmann,…Reiner…Soutenez-moi, s’il vous plait. Je dois…me mettre…droit. »

Cette fois-ci, Rottmann réagit :

« Pardon ? Vous voulez être comment ?

- Droit...Sur…mes…genoux. »

Le répurgateur paraissait interloqué.

« Mais pourquoi ? »

Messire Guy mit quelques secondes à répondre, ses lèvres bougeant plusieurs fois sans qu’aucun son ne sorte.

« S’il vous plait. »

Ce fut une opération laborieuse. Les deux hommes commencèrent par confier leurs torches à Wilhelm, qui essaya vainement de les aider avant qu’un regard de messire Guy ne l’arrête. Puis ils empoignèrent le corps du chevalier, un de chaque côté, à la nuque et sous le dos. L’expression de Guy se contracta de douleur quand ils le soulevèrent, mais il ne prononça aucun son, aucune plainte. Sous la surveillance silencieuse de Wilhelm, qui se demandait à quoi tout cela rimait, ils réussirent à le mettre droit, les cuisses alignées sur son torse, en soutenant chacun une épaule.

« Et maintenant ? » demanda la voix un peu exaspérée de Rottmann, qui assurait le côté gauche. Pour seule réponse, la main droite de Guy s’ouvrit.

« Mon…épée. »

Wilhelm se précipita, empoignant l’objet demandé par la lame avant de le présenter à son chevalier. Ce dernier tenta alors de refermer sa main dessus pour la saisir. Mais rien n’y fit. Ses dernières forces ne paraissaient pas suffisantes, et il eut beau fermer et refermer ses doigts, sa poigne n’avait plus la moindre vigueur. Wilhelm sentit une nouvelle boule se former au fond de sa gorge à voir ce spectacle pathétique. Ce fut Reiner qui sauva la situation. Faisant glisser son bras le long de celui de Guy, il posa sa propre main sur celle du chevalier, et la ferma pour lui. Ainsi équipé de son épée, Guy prit encore un instant pour reprendre son souffle, dont le son rauque résonnait de plus en plus faiblement. Wilhelm prit un instant conscience de l’incongruité de la situation. Ils étaient toujours dans la caverne aux dimensions cyclopéennes, qui n’était plus parcourue que par quelques courants d’air et par l’écho de chutes de gravats. Il eut l’impression fugace d’être dans un rêve. Mais il l’oublia aussi vite. Son univers se résumait à l’éclat de ses torches, et aux trois autres hommes près de lui.

Guy finit par murmurer à nouveau.

« Wilhelm…À genoux. »

En entendant ces paroles prononcées à ce moment précis, Wilhelm eut l’impression que son cerveau grilla d’un seul coup. Son cœur se mit à battre avec une telle force qu’il était impossible que personne ne l’entende. Sa vue se troubla, et, pris de vertige, il tituba sur les trois mètres qui le séparaient du chevalier, trébuchant sur la rocaille et sur le bouclier toujours posé au sol. Il se rendit compte qu’il s’était agenouillé après l’avoir fait, comme si un autre avait pris le contrôle de son corps. Il ferma les yeux. La sensation des pierres sous ses tibias semblait être la chose la plus réelle autour de lui. La voix de messire Guy lui parvint à nouveau, mais s’il l’entendait, le sens des mots lui échappa au début. Ce ne fut qu’après quelques secondes qu’il comprit ce que le chevalier était en train de lui dire.

« Sois…sans peur…au-devant de tes ennemis. Sois brave…et…sans reproches, que…nul ne puisse….te haïr. »

Quelque-chose toucha doucement l’épaule gauche de Wilhelm, puis se retira. Ouvrant un œil, il réalisa que Reiner faisait bouger le bras de Guy, et que ce dernier venait de le toucher du plat de l’épée avant de la soulever à nouveau. L’arme n’avait rien perdu de sa lueur diaphane. Sans attendre, Guy continua sa litanie alors que Wilhelm refermait les yeux.

« Ne profère point…de…mensonges,…même en face…de la mort…Aide…les plus faibles,…et ne fais…point…le mal. »

Cette-fois, l’épée se posa sur son épaule droite. Pendant la seconde que dura le contact, Wilhelm sentit une agréable tiédeur, similaire à ce qu’il avait ressenti en l’empoignant. Messire Guy s’arrêta à nouveau, la respiration presque éteinte. Wilhelm eut peur l’espace d’un instant, mais le bretonnien reprit dans un souffle à peine audible.

« Que ceci…soit…ton serment. Prends…ton…épée…chevalier…Wilhelm Kruger…Et lève-toi. »

Wilhelm ouvrit les yeux. Son souffle était court, sa vision brouillée, et il avait l’impression qu’une montagne s’était abattue sur son échine dorsale. Ses muscles refusèrent d’abord de bouger, le clouant au sol aussi sûrement que s’il avait été fait de pierre. La seule chose qu’il put faire fut de lever la tête.

Ses yeux rencontrèrent ceux de messire Guy. Ils étaient à peine ouverts, mais dans ce regard qu’ils échangèrent à cet instant, Wilhelm put voir une immense sensation de calme, et de fierté. L’homme devant lui était apaisé, libéré de ce qui l’avait oppressé depuis toutes ces années. Un sourire éclairait son visage pourtant moribond. Il paraissait heureux, heureux de le voir, et de le contempler une dernière fois. Alors, naturellement, Wilhelm se leva, et posa sa main sur celle de Guy, laissant Reiner retirer la sienne pour que tous deux portent ensemble cette épée. La main de Guy se détacha doucement, une seconde passa, puis sa tête retomba en avant. Et l’épée s’éteignit.


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Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun

Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Sam 9 Nov 2024 - 19:31
*

Wilhelm agrippa le rocher saillant et se hissa d’un mètre. Essuyant son front du revers de sa manche, il constata que cela n’avait pas grand effet tant ses vêtements étaient eux-mêmes imbibés de sueur. Il avait terriblement soif, mais il parvenait encore à transpirer. Cependant, la pensée que le tunnel approchait, et avec lui à la fin de ce calvaire, le faisait tenir bon.

« Vous avancez, Herr Kruger ? »

Wilhelm baissa ses yeux fatigués pour considérer ses deux compagnons. Rottmann et Reiner le suivaient tant bien que mal à travers le pierrier qu’ils étaient en train d’escalader. Les solutions de sortie s’étaient révélées très réduites, et tous avaient constaté qu’il serait certainement plus simple de rejoindre l’entrée par laquelle Wilhelm et Guy étaient passés. Plus simple peut-être, mais pas plus reposant. Le passage était en effet plus d’une centaine de mètres au-dessus, et après avoir couru et combattu encore et encore depuis plus d’heures qu’aucun d’entre eux n’avaient pu les compter, cette ascension se révéla des plus difficile.

La mort de messire Guy avait été suivie par une courte dispute. Wilhelm avait tenté de convaincre ses compagnons de ne pas laisser le corps du chevalier dans cet endroit, mais il dut finir par se rendre à l’évidence : c’était impossible. Impossible de le transporter jusqu’en haut à bout de bras. La mort dans l’âme, il avait ravalé sa tristesse et les mots durs qui lui étaient venus alors que son esprit refusait d’accepter la justesse du raisonnement. Il dut se contenter d’un enterrement sommaire sous un cairn fait de pierres et rochers trouvés çà et là sur le promontoire. La dépouille du fier bretonnien fut déposée les bras le long du corps, son heaume enfoncée sur sa tête, avec pour pierre tombale son bouclier noirci par les flammes posé sur les rochers. Ils ne prirent ensuite que quelques secondes pour se recueillir chacun leur tour, et Wilhelm jura tout bas d’être digne de l’honneur qui venait de lui être fait.

Ils avaient ensuite entamé l’escalade de la paroi. Le début s’était révélé très périlleux, car il fallut passer par un nouvel échafaudage skaven. Il n’y avait tout simplement pas d’autre choix, si ce n’était celui de grimper le long d’une paroi à pic sur une trentaine de mètres. Or, si la construction s’était trouvée trop éloignée de l’épicentre de l’explosion pour avoir volé en éclat, celle-ci l’avait tout de même fragilisé. Wilhelm perdit rapidement le compte des marches qui avaient cédé, des poutres qui s’étaient déchaussées, et globalement des moments où ils crurent que tout allait s’effondrer autour d’eux. Mais contre toute attente, ils réussirent à en atteindre le sommet, avec un soulagement certain. Seul Rottmann, curieusement, avait l’air serein, et à l’interrogation de Wilhelm il déclara qu’il voyait mal Sigmar lui avoir permis de vivre tout cela pour ensuite le vouer à une mort aussi stupide. Reiner, lui, avait gardé le silence, mais plus que son visage concentré, c’étaient les mille précautions qu’il prenait en montant qui révélèrent son trouble.

Après quelques instants de pause, ils s’étaient lancés à l’assaut du pierrier, dont la pente plus douce garnie de rochers saillants permettait de monter à mains nues, mais qui eut vite raison de leurs forces. Reiner avançait avec une lenteur infinie, tout son corps semblant tendu comme un arc, et Rottmann avait la respiration  sifflante, et se prenait parfois les pieds dans son manteau avec un juron. Seul Wilhelm, qui depuis longtemps savait comment grimper en économisant son énergie, parvint à garder un rythme plus rapide, et tout en s’éloignant peu à peu de ses compagnons il lutta pour éviter de se perdre dans ses pensées. C’était un exercice difficile, la tristesse l’assaillant à chaque seconde d’inattention pour le percer de ses vrilles noires, et il ne la retenait qu’à grand-peine en tentant de se focaliser sur l’effort. Seule l’action pouvait le garder hors de l’abattement total. L’action qui lui permettait d’ignorer les dagues empoisonnées que la désolation voulait plonger dans sa tête. Chaque pas après l’autre, chaque pierre après l’autre, où poser la main, où arquer son corps pour se hisser sur le niveau suivant, c’étaient ces pensées qui le maintenaient debout. Et la perspective d’arriver dehors, de revoir le ciel, et peut-être le soleil. Car il avait l’impression d’être enterré là depuis toute une vie.

Au cri de Rottmann il tourna la tête en arrière, pour s’apercevoir que ses deux compagnons s’étaient rapprochés. Visiblement, il avait faibli, ou bien était-ce eux qui gagnaient en habileté à l’escalade. Ignorant cet excès de fierté, Wilhelm fit volte-face et se remit à avancer, petit à petit, mètre par mètre. Quand sa main fouillait la roche pour y trouver une prise ferme, quand ses pieds s’enfonçaient dans une aspérité, quand il tournait la tête pour regarder devant lui, et aussi parfois derrière, se forçant à se concentrer sur toutes ces taches, Wilhelm savait qu’il ne faisait que repousser le moment où tout lui semblerait s’effondrer. Il ignorait par quel miracle il tenait encore debout, mais il savait parfaitement que ça ne durerait plus très longtemps.

Enfin, il arriva un moment où, en se hissant sur une énième pierre, son regard se posa sur l’entrée sombre d’une petite galerie. Près d’elle se trouvait encore la torche qu’il y avait laissée, éteinte depuis longtemps, ainsi que les cadavres des hommes-rats qui les avaient attaqués Guy et lui. Wilhelm avait les mains presque en sang, les pieds constellés d’ampoules, et les membres aussi douloureux que si on les lui avaient arrachées puis rattachés de force. Mais à cet instant, et pour la première fois depuis...il ne se rappelait même plus, il se mit à sourire. C’était un sourire fugace, léger, mais il se surprit lui-même à en sentir les effets, comme si un poids était retiré de ses épaules. Sa bouche se referma aussitôt, mais l’impression resta. Il tituba jusqu’au tunnel, se rattrapant sur la paroi avant de se laisser glisser au sol pour s’accorder quelques instants de repos. Le fourreau de son épée le gêna, et il dut le détacher pour s’asseoir, ou plutôt s’écrouler dans un raclement métallique. Distraitement, il se mit à jouer avec l’objet. Son épée. Car c’était la sienne à présent. Wilhelm se demanda quel parcourt elle avait fait avant de parvenir jusqu’à lui. Qui sait où elle a été forgée, par qui et pour qui ? Depuis sa rencontre avec messire Guy, ce dernier avait toujours eu cette épée à une main et demie, à la lame longue, au pommeau parfaitement sphérique et à la garde sobrement ouvragée. C’était l’arme avec laquelle le chevalier avait affronté les skavens, il y a tant d’années, lors de leur première bataille contre eux, dans cette même grotte. La lame qu’il magnait avec tant d’adresse meurtrière, fauchant ses ennemis avec une telle aisance, une telle élégance, qu’on aurait dit un artiste, un artiste qui n’utilisait que du rouge. Et désormais cette arme était la sienne. Cette idée fit disparaître l’impression laissée par son sourire, et son regard désormais lourd se perdit dans les motifs chevalins ornant le fourreau sans même les regarder. Une boule se forma à nouveau dans sa gorge, insistante, suppliante. Guy était partout, où que se posent ses yeux, comme on se rappelle d’un rêve au réveil. Le chevalier le regardait tour à tour heureux, en colère, satisfait, fier, et de tant d’autres manières, jusqu’à son dernier regard. Cet ultime regard, que Wilhelm avait vu se figer sur son visage avant de lui fermer les yeux. C’était celui d’un homme épuisé mais apaisé, vaincu mais fier. Un regard que, Wilhelm le comprenait à présent, seuls ceux qui vont mourir heureux peuvent porter. Sa mâchoire se crispa alors qu’il se mit à trembler. Mais aucune larme ne vint. Il n’en avait plus.

Quelques minutes après, les deux autres arrivèrent et le rejoignirent dans une pause silencieuse. Rottmann s’assit lourdement sur un rocher et retira son chapeau pour s’éponger le front. À la lumière de la torche, sa figure livide ressemblait à de la pierre fissurée, et ses yeux à deux trous noirs. Wilhelm fut surpris de le voir jeter des regards effrayés vers le bas avant de s’asseoir. Reiner, lui, s’adossa au mur et resta ainsi, son visage noirci tourné vers le plafond. Chacun semblait souhaiter garder le silence, et Wilhelm leur en fut reconnaissant. Lui-même resta simplement là à considérer les ténèbres, et se surprit à se demander ce qu’était devenue Lydia. Le fait de n’avoir pas pensé à elle avant lui donna un curieux sentiment de honte. Il espérait qu’elle avait pu s’enfuir sans danger, et qu’elle était en sécurité.

Ce fut Reiner qui donna le signal du départ. Il se contenta de se redresser, et sans une parole tous trois se mirent à nouveau en route, entrant dans le tunnel que Wilhelm et Guy avaient emprunté pour venir. Ils laissaient définitivement derrière eux l’immense cité souterraine et ses horreurs, du moins l’espéraient-ils de toute leur âme, mais Wilhelm savait au fond de son cœur que jamais il ne pourrait l’oublier. Il en avait trop vu, et y avait trop perdu.

Cette ultime marche leur parut durer une éternité. Le passage était lugubre, et terriblement long. Les bruits de leurs pas résonnaient tout autour d’eux, et plus que jamais Wilhelm pria que rien ne les ait suivis. C’était Reiner qui menait à présent, sa torche à la main, avançant d’une démarche prudente et mesurée qui était tout à fait appropriée au vu de la fatigue qui les accablait. Venant en second, Wilhelm avait de plus en plus de mal à tenir debout. Portant lui-même un brandon, il marchait courbé, s’appuyant régulièrement sur le mur, reprenant quelquefois ses esprits pour faire quelques pas en se redressant avant que l’épuisement ne le rattrape. Il entendait vaguement Rottmann murmurer derrière lui, sans que d’autres mots que « Sigmar » et « purge » ne lui parviennent. Il crut à un moment l’entendre prononcer « Félix ». Le répurgateur avait les mains jointes devant son visage, les doigts repliés, et semblait totalement absent. Son train machinal résonnait avec la régularité d’une horloge.

Leur marche dura quelques heures à crapahuter dans le noir, s’aidant tout d’abord de deux sources de lumière. Mais Wilhelm savait dès le départ que cela ne suffirait pas, car Guy et lui avaient dû en changer deux fois en venant. Il n’en pipa mot cependant, n’osant même pas élever sa voix. Une sorte de pression silencieuse écrasait sa langue, serrait ses mâchoires l’une contre l’autre, et il en vint même à se demander s’il serait capable de parler à nouveau. Il n’en eut pas besoin. Quand les flammes faiblirent, Rottmann s’approcha en faisant apparaître un couteau dans sa main droite. Sans une parole, il sectionna des morceaux du tabard de Reiner, qui le laissa faire. Il en fit des lanières puis sortit un bout de bois de son manteau. Une seconde plus tard, la nouvelle torche brûlait dans son poing, et leur chemin reprit, avec Rottmann qui passa devant.

Les estimations de Wilhelm furent confirmées, et l’opération dut être renouvelée au cours de leur interminable avancée où tout se ressemblait. La seule chose qui changeait était l’odeur. Ils avaient eu le temps de s’habituer aux infernales puanteurs des tunnels des hommes-rats, mais, alors qu’ils s’en éloignaient, ces relents fétides disparurent peu à peu, remplacés par d’autres moins agressifs comme l’humidité. Une autre chose qui changeait, à son grand regret, était la pente. Alors qu’au début de leur marche le tunnel était plus ou moins horizontal, il réalisa à un moment que cela faisait plusieurs minutes qu’ils montaient, et que cela ne semblait pas prêt de s’arrêter. Mais à part un grognement accompagné d’un haussement des yeux, il ne manifesta aucune réaction. Pas plus que les autres. Il continua d’avancer pas à pas, un pied après l’autre, n’autorisant même plus son esprit à vagabonder. Il n’en avait plus la force.

Puis son pied se posa sur de la terre.

Wilhelm eut un instant d’arrêt. Devant lui, Reiner et Rottmann étaient arrêtés aussi, la tête penchée en arrière, regardant autour d’eux. Il les imita, et sentit son cœur faire un bond.

Ils étaient dans la cave du temple.

Il reconnut l’endroit sans peines, avec les tonneaux défoncés, et la porte arrachée, et il se souvint alors que ses compagnons n’étaient jamais venus. Il sentit son souffle s’accélérer alors que son corps tremblait de soulagement. Ils étaient sortis. Réellement sortis. Sa voix retentit sans même qu’il s’en aperçoive.

« Oui, oui, OUI ! On est sortis ! Sortis ! »

Il avait l’impression d’être revenu d’entre les morts, d’être retourné chez lui, dans le monde des vivants. Toute pression avait disparu, et c’est gonflé de joie qu’il sentit ses forces lui revenir pour foncer vers la sortie. Il parcourut au pas de course le couloir qui menait à la grande salle, passant sa même regarder devant les autres portes, ses deux compagnons cavalant derrière lui. En quelques secondes, il arriva dans la salle principale du temple, que seuls éclairaient les rayons de Mannslieb à travers les vitraux. Il la traversa comme un éclair, et finit par se retrouver dehors. Dehors sous le ciel.

Wilhelm s’arrêta. Ses yeux étaient fixés sur la lune. Il avait l’impression de la voir pour la première fois. La nuit était claire. Un chat-huant poussa quelque-part un cri rauque qui résonna entre les maisons de pierre. Ici, à la surface, les rongeurs étaient encore des proies. Son souffle était court, son cœur battait dans ses tempes, et ses genoux cédèrent. Il ne résista pas, s’écroulant sur le sol comme une masse, roulant sur le dos. Les étoiles le regardaient, lui souhaitaient la bienvenue, se réjouissant de le revoir autant que lui de les retrouver. Il voulut tendre le bras vers elles, pour les saluer, mais ne parvint même pas à le soulever. Elles ne s’en offusquèrent pas, les étoiles étant plus hautes que cela.

Des bruits de pas s’approchèrent doucement, s’arrêtant à quelques centimètres de lui. Wilhelm se rendit compte qu’un son s’élevait, mais ne l’écouta pas. Ce n’était pas important. Un autre son, plus fort, sembla répondre au premier. C’étaient des paroles. Mais ils ne veulent pas se taire ? On ne s’entend plus. Il espérait que les bruits s’arrêteraient bientôt, et ce fut le cas pendant quelques secondes, mais à nouveau le même cri reprit, juste à côté. Franchement, j’en ai ras-le…

SHLACK

La gifle lui infligea une cuisante douleur à la joue droite, plaquant l’autre sur les graviers. Wilhelm resta une seconde interdit, puis redressa la tête. Ses yeux croisèrent ceux de Reiner, qui se tenait penché au-dessus de lui. Il arborait le même masque qu’avant, dépassionné, sans émotions, vide. Au même moment, tout le corps de Wilhelm se mit à greloter. Il avait oublié qu’il faisait froid.

« Mein Herr Wilhelm, êtes-vous mieux ? »

Il mit un instant à répondre.

« Je…oui, merci.

- Pouvez-vous vous relever ?

- Je vais essayer. »

Wilhelm se redressa en s’appuyant sur ses mains. Reiner lui tendit un bras, qu’il saisit aussitôt, et il se hissa sur ses pieds avec un grognement de lassitude. Il grelota à nouveau, exhalant des volutes blanchâtres qui se perdirent dans le noir. Il fallait trouver un abri.

« Allez, dépêchons » maugréa Rottmann qui était déjà parti vers l’une des ruelles attenante. « Entrons dans l’une de ces maisons. Il n’y a personne dedans de toute façon. »

C’était vrai, l’endroit était complètement désert. Wilhelm n’en fut pas surpris. C’était l’état de ce village depuis qu’ils y étaient rentrés, la veille. Ou était-ce l’avant-veille ? Il ne savait même plus. Les maisons étaient verrouillées, leurs volets cadenassés, et il n’y avait pas la moindre petite lueur chaleureuse d’une cheminée ou d’une bougie. Les seules lumières venaient d’en haut, des lunes et des étoiles. Il avait l’impression d’être face à un vestige du passé. La ville de Gullenburg était quasiment morte.

Il ne fallut guère de temps à Rottmann pour enfoncer la porte d’une maison un peu plus grosse que les autres – et donc susceptible de les accueillir tous les trois. L’intérieur était tout aussi glacial que l’extérieur, et encore moins éclairé, mais au moins étaient-ils à l’abri du vent. Le répurgateur entra le premier, brandissant sa torche qui révéla un mobilier simple, avec une table et quatre chaises au milieu, ainsi qu’un âtre au fond. Une odeur de renfermé planait dans l’air. Quelques secondes plus tard, un tas de bois brûlait dans la cheminée, diffusant une chaleur inespérée. Rottmann, qui avait posé son chapeau sur une chaise, se mit à chuchoter.

« Bien. Je vous conseille de trouver un moyen de bloquer l’entrée, nous ne sommes pas forcément aussi seuls que nous l’espérons. »

Tout en parlant, il ouvrit une porte qui fermait une petite chambre. Un lit en bois d’une place trônait au milieu, garni d’un matelas et d’une épaisse couverture en laine, et une petite armoire occupait l’angle gauche. La pièce adjacente était identique, à ceci près que l’armoire était remplacée par des étagères garnies d’étoffes. Wilhelm crut voir quelques toiles d’araignées.

« Pour le reste, que chacun fasse comme il veut, mais je ne vois pas comment organiser des tours de garde dans l’état où nous nous trouvons. Je préconise plutôt de se reposer. »

L’exploration les mena à une troisième chambre, avec un lit deux places, ce qui indiquait une famille plutôt aisée. Ils n’en demandaient pas plus. Avec leurs dernières forces, ils bloquèrent la porte du mieux qu’ils purent avec force pièces de mobilier, et Rottmann insista même pour qu’un lit fût placé dans le tas. Une fois cette opération terminée, il retira son manteau, son baudrier, s’écroula dessus tout habillé et s’immobilisa totalement. Il ne leur avait même pas souhaité bonne nuit.

Wilhelm et Reiner s’entre-regardèrent. Wilhelm n’aima pas ce qu’il vit. Son compagnon avait plus l’air d’être un soldat en rupture de ban qu’un écuyer du fier Ordo Draconis. Ses cheveux brunis par la crasse étaient plaqués contre son crâne, et son visage n’avait presque plus de peau visible sous le sang et les humeurs. De même, son tabard encore immaculé le matin précédent était lacéré et couvert de taches sombres, témoins éloquents des terribles évènements récents. Et le pire était son regard, qui était anormalement éteint. Et au vu du pincement des lèvres de son ami, Wilhelm devina que lui-même devait offrir un spectacle similaire. Ils n’échangèrent pas un mot, et d’un pas vif se dirigèrent vers les deux lits vides. Wilhelm prit le plus grand, et eut à peine le temps de retirer son tabard et sa maille que le sommeil l’enserra d’une étreinte irrésistible qu’il accueillit avec bonheur. Il s’y abandonna.

*

Il était plus de midi quand, Wilhelm ouvrit les yeux. La lumière du jour filtrait des interstices entre les volets, éclairant la chambre où il avait à peine près le temps de retirer ses équipements avant de s'endormir. Il était étendu sur le dos, fixant des yeux le plafond de bois sombre, cherchant à remettre de l'ordre dans le tourbillon de ses souvenirs. Tout lui revenait par bribes, la journée de la veille et tout ce qu'elle avait contenu de malheur, d'horreurs et de peines. Il y eut quelques seconder où il espéra que tout n'ait été qu'en rêve, mais un seul regard autour de lui brisa cette illusion comme le vent balaye les feuilles mortes. Un voile passa devant ses yeux alors qu'il serrait les dents. Il avait mal aussi, partout. Les efforts phénoménaux qu'il avait fournis durant les dernières vingt-quatre heures prélevaient leur dû. Le moindre mouvement d'épaule ou de cheville lui arrachait une grimace de douleur.

La maison n'était pas silencieuse. Il entendait clairement le parquet grincer dans la salle principale sous les pas de quelqu'un. Cela calma le début de méfiance qui s'était instinctivement éveillé en lui. Qui que ce fut, cette personne se moquait d'être entendue, et n'était donc sans doute pas un intrus. Sans doute mais pas certainement, et il devait être certain.

Ignorant les courbatures qui lui brûlaient les articulations, Wilhelm se redressa aussi silencieusement que possible. Peine perdue, car le lit émit alors une longue plainte. Tant-pis pour la discrétion pensa-t-il en se ruant sur son épée avant de s'élancer dans le petit couloir d'un pas brusque. Une seconde plus tard, il déboulait dans la salle principale, arme au poing, face à un Reiner aussi calme qu'à son habitude qui achevait de poser une miche de pain sur la table.

Ils se regardèrent en silence.

« Avez- vous bien dormi mein Herr? » demanda doucement Reiner en retournant à son ouvrage, « le repas est servi. »

Interloqué, Wilhelm posa son épée contre un mur sans répondre, décontenancé par la situation. Une douce lumière blanche, diffusée entre les planches qui barraient les fenêtres, éclairait une table où étaient disposés une cruche fumante, trois gobelets, un épais morceau de fromage et la dite miche de pain. Il cligna les yeux, conscient de l'incongruité de sa réaction, mais Reiner ne paraissait – évidemment – pas s’en formaliser.

« Je vous ai préparé un bac pour vous débarbouiller mein Herr », ajouta ce dernier en désignant une bassine en métal sur le rebord de laquelle était potée un linge, faisant aucun cas du mutisme de Wilhelm. « Ensuite vous pourrez vous mettre à table. »

Wilhelm ne se fit pas prier tant son estomac hurlait famine. Après s’être aspergé le visage, il s’installa à table et se mit à dévorer la nourriture devant lui, mordant avidement dans le fromage. Mangeant son premier repas depuis plus de vingt-quatre heures, il sentait ses forces revenir progressivement. Le pain était rassis, et le fromage dur, mais à ce moment c’étaient les meilleurs qu’il ait jamais mangés. Ce n’est qu’après de longues minutes d’un repas sans une parole qu’il commença à réfléchir, et à réaliser qu’il manquait quelqu’un.

« Où est Herr Rottmann ?

- Il est parti explorer les environs mein Herr. Pour, selon ses dires, ‘s’assurer qu’il ne reste plus de cultistes ou d’hommes-rats’. Il a débarrassé les meubles qui bloquaient la porte puis s’en est allé.

- Très bien, je vois.

- Et je crois que vous devriez aller le surveiller mein Herr.

- Pardon ? »

Wilhelm dévisagea Reiner, réalisant tout à coup que ce dernier le vouvoyait depuis le début de la conversation, alors qu’il ne l’avait jamais fait depuis qu’ils étaient devenus écuyers et que la relation hiérarchique qui avait existé entre eux avait disparu. Et de plus il lui donnait du ‘mein Herr’. Wilhelm but une longue gorgée du thé – plutôt amer – que Reiner avait certainement préparé, se coupa un nouveau morceau de fromage, et décida de tirer ça au clair plus tard. L’affaire de Rottmann semblait plus pressante.

« Tu penses qu’il risque d’être violent s’il trouve des survivants ? »

Toujours debout, raide comme un piquet, Reiner planta son regard glacial dans le sien sans ciller une seule fois. Sa réponse fut par une autre question :

« M’autorisez-vous à parler sincèrement mein Herr ?

- Oui, vas-y » soupira Wilhelm, que cette nouvelle déférence exaspérait déjà.

« Herr Rottmann est un homme dangereux, très dangereux, surtout pour ceux qui ne peuvent pas se défendre contre ses accusations. Il est le fléau du mal où qu’il soit, et hier je l’ai personnellement vu anéantir les ennemis de l’humanité avec une terrible efficacité. Mais son zèle peut le pousser à commettre le pire en voulant faire le meilleur. Et vous, mein Herr, êtes le seul à avoir assez d’autorité à présent pour l’en empêcher. Vous êtes un chevalier maintenant. Vous avez prêté serment, et ses termes étaient très clairs : ‘aide les plus faibles’. »

Tout au long de ce discours, Wilhelm avait mâchonné son bout de pain, écoutant attentivement. Il détourna le regard, fixant tour à tour la porte, puis son épée toujours posée à la verticale.

« Tu dis que j’ai l’autorité pour le…juguler depuis que j’ai été adoubé ? Oui, évidemment que c’est ce que tu veux dire. »

Il réfléchit pendant quelques secondes, se rappelant le comportement de Rottmann avec les villageois, qu’il accusait sans vergogne d’être complices. Avec Lydia, qu’il avait menacée. Il pâlit à ce souvenir, et hocha la tête.

« Tu as raison. S’il maltraite encore des gens comme ça, s’il les…Je vais y aller. On va y aller. »

Il se leva brusquement, puis se rassit, assailli de vertiges. Mon corps n’était manifestement pas remis, pas encore pensa-t-il avec dépit. Prenant une grande inspiration, il recommença avec plus de douceur. Une fois debout, il dévisagea à son tour Reiner qui commençait à ranger, cherchant ses mots. Puis laissa tomber et décida de tout balancer.

« Avant que nous ne partions à sa recherche, Reiner, j’ai une chose à te dire.

- Laquelle mein Herr ?

- Mais ça justement ! Ce ‘mein Herr’ que tu me sors, ce vouvoiement. Rien n’a changé entre nous enfin, enfin je l’espère. Je ne veux pas que toi, le seul qui me connaisse depuis aussi longtemps, tu mettes cette distance entre nous. »

Il sut qu’il avait fait mouche quand Reiner finit par baisser les yeux. Il avait l’air penaud, ce qui contrastait avec son apparence de guerrier revenant du front à peine débarbouillé et mal rasé. Reiner plissa les lèvres, ouvrit la bouche puis la referma. Il se creusait visiblement la tête à la recherche de la réponse appropriée. Le résultat fut hésitant.

« Je ne suis qu’un écuyer. Au fort, les règles sont très claires. Les écuyers doivent respect et obéissance aux chevaliers, doivent veiller à leur pitance et sur leur équipement.

- Mais nous ne sommes pas au fort Reiner. Et après tout ce que nous venons de vivre, je ne veux pas que tu te comportes comme ça. Si tu préfères, tu peux considérer ça comme un manque de respect envers moi.

- Je n’ai pas le droit, c’est comme ça. Nous n’avons pas le même rang, mein Herr. Lorsque j’étais major, j’attendais de vous de la déférence. Il n’est que justice que vous en attendiez autant de moi aujourd’hui. »

Pour toute réponse, Wilhelm lui prit des mains la vaisselle qu’il commençait à ranger.

« Toi et moi, à l’époque, nous n’étions que condisciples, pas…pas amis. »

Wilhelm était le premier surpris de ce qu’il venait de dire. Il n’avait jamais vraiment réfléchi à sa relation avec Reiner, mais le fait de l’énoncer la lui avait révélé dans sa grande clarté : ils étaient amis. Et Wilhelm se rendit compte qu’à présent, l’homme qu’il avait en face de lui était peut-être son seul ami.

Le silence s’installa alors que Reiner se frottait nerveusement les mains. Wilhelm en profita pour ranger lui-même les assiettes et les tasses dans un coin, cherchant comment dissiper l’étrange malaise qui commençait à s’installer. Mais ce fut Reiner qui reprit la parole en premier.

« Alors, comment, de quelle façon dois-je…hum

- Me parler ?

- Oui. »

Wilhelm soupira. « Mais comme avant Reiner. Appelle-moi Wilhelm et tutoie-moi. » Il tenta de sourire chaleureusement en allant s’équiper. « Ça ne devrait pas être trop difficile, tu le faisais encore hier. »

*

À l’extérieur, Wilhelm s’aperçut que le soleil était déjà en train d’amorcer sa descente. Ils étaient visiblement en plein après-midi. Le ciel était bleu avec quelques nuages, et malgré un léger vent qui le fit greloter, la seule sensation de se trouver en extérieur l’enchanta. Les rares sons qui venaient troubler la quiétude des lieux étaient des cris de corbeaux ou le battement de quelque volet décroché par le vent. Sur le chemin, tous deux restèrent plongés dans leurs pensées. Wilhelm ressassait les évènements de la veille, en essayant vainement de fixer son esprit sur des choses plus joyeuses.

Ils trouvèrent Rottmann en train de fureter dans une des ruelles proches. Son long corps était ramassé sur lui-même alors qu’il collait son oreille contre une porte fermée, son chapeau pressé dans ses mains noueuses. En s’approchant, Wilhelm croisa le regard du répurgateur, et n’y lut qu’un épuisement profond. À leur vue, ce dernier se contenta de leur faire signe de rester silencieux, puis concentra à nouveau son attention sur la porte. Il s’écoula de longues secondes sans que rien ne se passe, pendant lesquelles Wilhelm réfléchissait à l’attitude à prendre avec cet homme. Ce dernier était visiblement nerveux, et tapotait machinalement le pommeau de sa rapière. Le seul son audible était le claquement d’un volet mal accroché. Au bout d’un moment, visiblement résigné, Rottmann se redressa, remit son chapeau d’un geste rageur, et les salua proprement mais avec un léger sourire ironique.

« Herr Kruger, Herr Von Enghelhoff. Ravi de voir que vous avez bien dormi. »

Sa voix était aigre. Wilhelm répondit sur le même ton.

« Ravi de vous retrouver aussi vite, Herr Rottmann. Et de voir que vous êtes toujours aussi prévenant. Vous avez trouvé des survivants ?

- Pas un seul. On dirait que l’endroit est désert. Mais ils doivent bien être là, je le sens, je le sais. Je les débusquerai. »

Il semblait parler à lui-même, ne regardant pas Wilhelm mais les bâtiments. La moustache en désordre, il tournait la tête vers chaque fenêtre, et se mit même à taper à grands coups sur la porte qu’il venait d’examiner, le bruit résonnant dans la maison manifestement inoccupée. Wilhelm ne le laisse pas faire longtemps, et lui attrapa le poignet.

« Arrêtez ! »

Rottmann le dévisagea comme s’il le voyait pour la première fois.

« Vous osez me donner des ordres, Kruger ? Vous oubliez qui je suis, qui je…

- Silence ! »

La bouche du répurgateur resta entrouverte alors que sa réplique mourrait dans sa gorge. Il sembla réfléchir, puis tenta de dégager son bras. Mais la poigne de Wilhelm était de fer.

« S’il y a des gens ici vous êtes surtout en train de les terrifier, alors que nous devons les protéger.

- Les protéger ? Mais ils sont peut-être complices ! Nous sommes sans doute déjà perdus ! »

Le visage de Rottmann était pâle, et déformé par une expression de panique. Ses yeux, enfoncés dans leurs orbites, tourbillonnaient comme dans un siphon. L’homme était visiblement en plein délire, et Wilhelm décida de passer à la vitesse supérieure.

« Voici ce qui va se passer, Rottmann. Vous allez revenir avec nous, vous étendre dans un lit, et dormir jusqu’à demain matin. Ensuite, nous quitterons ce village pour retourner au Fort de sang. Vous avez fait assez de dégâts comme ça, et ce que nous avons vu hier ne peut souffrir d’attendre avant d’être appris à l’ordre. Et si vous refusez, je vous jure que je vous attache à une corde et que la seule différence de programme ce sera que vous ferez le voyage ligoté comme un rôti. C’est clair ? »

Tout en disant cette longue tirade qu’il n’avait pas du tout prévue, Wilehlm, surpris par sa propre audace, avait plaqué le répurgateur contre la porte de la maison. L’homme cligna plusieurs fois des yeux sans répondre, le visage traversé par de multiples expressions de colère et d’incrédulité. Puis il poussa un grand soupir, et hocha la tête.

« Bien. »

Wilhelm répondit en acquiesçant à son tour. Lâchant la main de Rottmann, il s’écarte pour le laisser passer, croisant ce faisant le regard de Reiner, dont l’expression impénétrable se déforma en un fugace sourire qui disparut aussitôt.

Le reste de la journée se passa sans évènement marquant. Wilhelm fit le tour du village à la recherche de provisions, d’éventuelles montures, et si possible d’autres survivants. Reiner insista pour venir avec lui, mais Wilhelm ne voulait pas laisser le répurgateur seul, et finit par convaincre son ami – il tenait à l’appeler ainsi – de rester le surveiller. Cependant, il comprit rapidement pourquoi Reiner avait mis tant de répugnance à accepter de le laisser partir seul. Gullenburg avait désormais l’allure d’une ville en ruine, abandonnée depuis des lustres. Une singulière atmosphère régnait dans ses rues et ses carrefours qui, sous l’effet du silence, paraissaient factices, comme un décor de théâtre inachevé. Çà et là les murs des maisons étaient percés d’immenses brèches qui béaient sur des intérieurs obscures, mais les seuls êtres vivants que croisa Wilhelm étaient les corbeaux. Ces macabres volatiles au croassement rauque semblaient naître et disparaître dans les ombres, et leur présence était abondante. Très abondante. Wilhelm ne tarda pas à comprendre pourquoi.

Ce fut peu après avoir quitté Reiner qu’il rencontra le premier cadavre, ou plutôt ce qu’il en restait. Le squelette de ce qui semblait avoir été une femme – au vu des lambeaux de robe – gisait sur le pas de la porte d’une maison barricadée. Ses os éparpillés avaient été nettoyés récemment, et c’est avec dégoût et après un examen succin que Wilhelm comprit comment. Ils avaient été rongés. Un corbeau esseulé retournait un tibia de son bec, manifestement à la recherche de quelque lambeau de chair à avaler. Wilhelm le chassa d’un coup de pied, puis, l’estomac retourné, il pressa le pas en prenant de grandes inspirations pour chasser les nausées.

Il n’était pas au bout de ses peines. Au détour d’une rue non-loin de là, il eut un mouvement de recul instinctif devant le spectacle funeste qui se révéla à lui. Le sol était couvert d’ossements jaunâtres, jetés pêle-mêle sur les pavés et devant les bâtiments dont les portes étaient parfois ouvertes, laissant entrevoir que l’horreur s’était répandue jusqu’à l’intérieur des habitations. Çà et là les corps portaient encore des lambeaux de vêtements, désignant ainsi que celui-ci avait été une femme, celui-là un homme, et cet autre un enfant. Wilhelm s’avançait lentement parmi les morts, la main sur la poignée de son épée. Les seules autres formes de vie étaient les charognards, qui farfouillaient avidement dans ce charnier en quête de quelque-chose à picorer. La plupart étaient regroupés autour des crânes, dont le contenu avait visiblement échappé au nettoyage effectué par les skavens. Quand il vit un des volatiles noirs retirer sa tête d’une orbite avec, engoncé dans son bec, un morceau d’une substance noirâtre, Wilhelm s’empressa de détourner le regard. Du reste, son exploration ne s’éternisa pas, il était clair que l’endroit n’avait plus aucun survivant.

Ils partirent le lendemain.

*

Leur périple fut initialement lent et morose. Lent parce qu’en l’absence de monture, ils durent avancer à pied, transportant eux-mêmes leurs équipements – dont leurs armures, dont le poids substantiel n’arrangeait rien – et les vivres. Chacun avait un sac récupéré en ville après une fouille rapide, rempli de tout ce qui pourrait servir à un voyage de plusieurs jours dans la campagne impériale. La majorité de leur chargement était constitué de nourriture, récupérée dans certaines des habitations de Gullenburg. Ils avaient vite réalisé que les bâtiments verrouillés étaient les seuls à ne pas avoir été pillés, leur offrant des réserves de viande et de poisson séché. Wilhelm emporta également une corde, imitant feu messire Guy qui ne partait jamais dans la nature sans en emporter une dans ses fontes.

La morosité survint quand il apparut bien vite qu’ils n’avaient rien à se dire. Rottmann, d’un naturel déjà taciturne, était complètement mutique depuis la conversation dans la rue de Gullenburg. Quand il daignait s’exprimer, c’était uniquement par des grognements ou regards si froids qu’ils évoquaient à Wilhelm ceux que lui avait parfois lancés son père dans ses pires moments. Le reste du temps, le répurgateur avançait en tête, tournant ostensiblement le dos à Reiner et Wilhelm, qui du reste s’en satisfaisaient très bien. Pour ce qui était de Reiner lui-même, il avait beaucoup de mal à se faire à l’idée qu’il n’était pas le serviteur de Wilhelm. Au cours du premier jour, il ajoutait « mein Herr » à chaque fois qu’il s’adressait à lui, avant de s’arrêter brusquement. Il finit par considérer que se taire était encore la solution la plus simple, et leurs échanges en furent réduits à peau de chagrin.

La campagne Wissenlandaise était accueillante, et ils n’eurent aucun mal à trouver une auberge où passer la première soirée dans le village de Tacher, situé non-loin. Cela surprit beaucoup Rottmann, qui s’attendait à y trouver des stigmates des évènements récents, mais personne ici n’avait entendu parler du culte du « grand aigle ». C’est alors qu’ils étaient tous trois attablés devant un ragoût bien chaud que Wilhelm parvint, au prix de grandes difficultés, à dissuader le répurgateur de mener une enquête approfondie pour le moment. Ils devaient retrouver l’ordre au plus vite, pour qu’il puisse prendre les choses en main. De mauvaise grâce et la moustache en bataille à force de la triturer, Rottmann céda à ces arguments.

Le lendemain, ils purent se procurer des montures de fortune à un paysan prospère local. Après quelques tractations où il poussa des cris d’orfraie très convaincants affirmant qu’ils le mettaient sur la paille, il accepta de leur céder trois chevaux de trait en échange de pratiquement tout ce qu’il leur restait d’or. Leur avancée s’en trouva être un peu plus rapide, malgré l’inadéquation de ces animaux à la monte. Wilhelm trouva son propre cheval incroyablement placide, ne réagissant qu’aux indications les plus « insistantes ». En lieu de selle, il dut se contenter d’une couverture pliée, et ils n’avaient évidemment aucun étrier, rendant l’opération plutôt instable. La route était également mieux tracée dans cette région, car ils n’avaient qu’à suivre les abords verdoyants de la rivière Rohr jusqu’au pont, puis à continuer tout droit. Durant la chevauchée, que le bruissement du vent dans les feuilles et le vol des martins-pêcheurs rendait plus agréable, Wilhelm finit par aborder avec Reiner une question qui lui brûlait les lèvres.

« Reiner ?

- Oui mein…oui ? »

Wilhelm eut une courte hésitation.

« Je ne t’ai pas demandé…Comment vas-tu depuis la mort de Mein Herr Gottfried ? »

Le silence qui s’ensuivit n’était entrecoupé que par le claquement des sabots sur le sol pierreux. Au loin, un pic creusait son nid.

« Si je comprends bien votre…ta question, tu te demandes si mon état psychologique est altéré à la suite de cet évènement ? »

Wilhelm cligna un instant des yeux en prenant une courte inspiration qu’il relâcha d’un soupir sec.

« Oui, c’est exactement ce que je me demande Reiner. Tu n’en as jamais rien dit, et je ne t’ai pas vu être plus perturbé que ça. Pourtant, ça doit bien te faire quelque-chose, et je te propose seulement de m’en parler. Si tu le veux. »

Reiner secoua la tête.

« Je suis désolé Wilhelm, mais je ne suis pas…perturbé, comme tu dis. Je sais depuis longtemps que je n’ai pas les mêmes réactions que tout le monde, que je n’ai pas les mêmes sentiments. Herr Gottfried est mort, et je n’ai pas versé une larme. Il n’y a pas de vide qui s’est créé en moi. Nous étions seulement chevalier et écuyer, et maintenant il n’y a plus que l’écuyer. C’est tout. »

Leur chevauchée continuait, au rythme des clapotis de l’eau sur les silex bordant la route. Les feuillages laissaient parfois place à des zones moins boisées, plus rocailleuses, alors qu’ils approchaient de l’amont. À leur gauche, les montagnes grises s’élevaient, déjà couvertes d’un épais manteau blanc.

« Je sais que ce n’est pas normal. Toi, tu t’es effondré devant la mort de Mein Herr Guy, tout comme tu l’as fait devant les morts de Dieter et du capitaine Stillmann. Comme tout le monde. Je sais que je devrais ressentir quelque-chose, mais il n’y a rien. »

Wilhelm n’en espérait pas tant. Sans s’en rendre compte, Reiner avait plus parlé que depuis le début de leur voyage. Et son oubli de le vouvoyer en disait long sur son trouble. C’était comme ça avec lui, il fallait être attentif aux détails, aux fissures dans l’armure.

« Ne t’en fais pas, tu n’as pas à être quelqu’un d’autre. Je sais que tu ne réagis pas comme la plupart des gens, et j’ai appris à t’apprécier malgré ça. Mais sans parler de tristesse, y-a-t-il des choses qui te manquent ? Vous n’aviez pas réussi à vraiment vous entendre, mais je me disais qu’il y avait une forme de respect entre vous. »

Reiner s’arrêta de parler pendant un long moment, au point que Wilhelm finit par se dire qu’il n’avait plus rien à ajouter. Il se concentra momentanément sur sa monture, qui ralentissait un peu. Il avait écopé d’un cheval paresseux et têtu, et dut le stimuler plusieurs fois pour lui faire reprendre son rythme de croisière.

« Son rire. »

Wilhelm se redressa. « Pardon ? »

- Son rire, » répéta Reiner, « il avait un rire franc, et contagieux. C’était un homme joyeux, et ça, ça me manque. »

Wilhelm hocha la tête, sans rien dire. Reiner reprit après quelques secondes.

« Et il était un bon chevalier, malgré ses excès. Je n’aimais pas sa façon de se comporter, mais il était fidèle au crédo de l’ordre. Il était droit, et ne dérogeait pas à ses principes, même face à l’horreur. Même face à la mort… »

Sa voix mourut, et il continua de chevaucher dans un mutisme total, le regard rivé sur le sol devant lui. Après une heure de silence, il finit par dire un seul mot.

« Merci. »

Ce fut en fin de journée qu’ils tombèrent sur l’Ordo Draconis.


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Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun

Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Sam 9 Nov 2024 - 19:31
*

« Ainsi donc, si je comprends bien, la ville de ces skavens était encore en activité, mais leurs forces ont été momentanément neutralisées, c’est bien ça ?

- Oui, herr Von Hündrodburg, » répondit Wilhelm qui s’efforçait de regarder devant lui sans trembler. Il venait de raconter la fin de leur aventure dans les souterrains, et notamment l’épisode de la mort de Guy, ce qui n’avait pas été facile. Dans la chaleureuse lumière diffusée par la cheminée, Bastian Von Alte Brücke faisait les cent pas dans la chambre, le visage fermé par une intense réflexion. Derrière lui, le kasztellan Erwin Linde Von Hündrodburg se tenait les bras croisés adossé à la cheminée, ses doigts pianotant sur son bras. Wilhelm, Reiner et Rottmann étaient debouts, tournant le dos à la porte.

« Loin de moi l’envie de douter de vos dires, herr Kruger », fit le grand-maître d’un ton las en s’asseyant brutalement sur l’une des deux seules chaises de la pièce, « mais vous comprenez qu’on ne peut pas se limiter au témoignage de trois hommes pour une affaire aussi grave. Il va nous falloir y aller, et examiner les lieux. Moi-même, si je n’avais pas pénétré cette cité il y a quelques années, je n’aurais pas cru un mot de votre histoire, alors imaginez la comtesse. »

Ce fut Reiner qui réagit le premier : « La comtesse pourra-t-elle être convaincue par vos dires ? La situation semble excessivement grave si on prend du recul. Comptez-vous vraiment lui annoncer que potentiellement, des hommes-bêtes sournois et fort d’une population innombrable se terrent dans les sous-sols de la province, et peut-être même d’ailleurs ?

- Je ne sais pas, écuyer. Et quelle que soit la décision que je prendrai à ce sujet, elle ne regardera que moi. »

Si Reiner accusa le coup de se faire ainsi rebuter, il n’en laissa rien paraître, gardant la même expression neutre sur son visage pâle et rasé de frais. Tous trois avaient eu droit à des ablutions après que le grand-maître eut appris leur arrivée ce matin-là, mais il avait voulu les voir immédiatement après. L’armée de l’ordo draconis s’était arrêtée autour du village de Segeldorf, et le grand-maître avait établi ses quartiers dans l’auberge, réquisitionnée pour l’occasion. La lumière du crépuscule inondait la chambre où il s’était installé, leur rapport ayant duré la majeure partie de l’après-midi.

Herr Bastian se mura momentanément dans le silence, rejeté en arrière sur son siège, le menton enfoui dans la main droite. Le kasztellan le fixa de son regard bleu acier.

« Nous avons l’avantage de l’initiative, mais il faut couvrir nos arrières. Cette histoire de culte me préoccupe. Qui sait combien de villages de la région ont été affectés ? Combien sont potentiellement des charniers à ciel ouvert, ou bien des nids de cultistes ? Je préconise d’envoyer des éclaireurs dans chaque bourgade alentour, au moins pour savoir s’ils ont été touchés par des massacres récents, ou quoi que ce soit que nous pourrions relier à cette affaire. »

Herr Bastian hocha sa tête barbue.

« Allez-y, je vous laisse vous en occuper Herr Erwin. »

Puis, tout en se levant, il ajouta : « Herr Rottmann, herr Von Enghelhoff, vous pouvez sortir. Je vous demanderais de vous tenir à ma disposition d’ici à ce que je demande à vous revoir. »

Le pas de Von Hündrodburg s’éloignait déjà quand Reiner et le répurgateur sortirent à leur tour, laissant Wilhelm face au grand-maître. Etrangement, il ne ressentait aucune anxiété à l’idée se retrouver seul avec le supérieur de son ordre. Herr Bastian prolongea le silence, et se contenta d’ouvrir un imposant coffre de bois cerclé de fer posé contre le mur. Wilhelm le vit s’y pencher avant de le refermer avec douceur.

« Guy vous a donc adoubé. »

Wilhelm prit une grande inspiration. Il ignorait si Herr Bastian souhaitait une réponse détaillée, d’autant que ce n’était pas prononcé comme une question. Il se contenta de répondre « oui » d’une voix ferme.

Le grand maître se tourna vers lui. Wilhelm eut la surprise de voir qu’il tenait une bouteille couleur sombre et deux coupes métalliques. L’expression habituellement neutre, voire grave, du vieux chevalier, était déformée par un sourire triste.

« J’avais prévu de boire cette bouteille avec Guy à son retour. J’en ai fait venir une caisse spécialement de Bretonnie. Du Château Havras, son préféré. » Il entreprit de déboucher la bouteille, qui s’ouvrit avec un ‘pop’ discret. D’un geste, il invita un Wilhelm silencieux à prendre la seconde chaise et à s’asseoir.

« En vérité, je n’osais même plus espérer que ce jour viendrait. Guy m’a toujours présenté sa quête comme une cause perdue. Il avait abandonné tout espoir de venger son ami. Au moins, je sais qu’avant de mourir il est parvenu, d’une certaine façon, à la mener à son terme. »

Tout en parlant, Herr Bastian s’était assis à son tour, et servit les deux coupes avant d’en tendre une à Wilhelm.

« Trinquons à sa mémoire. Qu’il puisse enfin avoir le repos qu’il a longtemps mérité sans jamais pouvoir le trouver. »

Leurs coupes s’entrechoquèrent, puis Wilhelm goûta au contenu de la sienne. Immédiatement, une sensation d’onctuosité fruitée se répandit dans sa bouche et son gosier, avec une pointe d’acidité sur la langue. Il regarda son verre d’un œil surpris. Herr Bastian lui décrocha un regard amusé.

« Alors ? Ce n’est pas le vin de tous les jours, hein ? »

Wilhelm se passa la langue sur les lèvres. « Je n’en avais jamais goûté d’aussi bon.

- Ce sont les vins bretonniens, ils savent y faire dans leur pays bizarre » répondit le grand-maître tout en faisant claquer sa langue. « Ils y attachent une fichue importance, c’est un véritable culte chez eux. En comparaison, nos pauvres vinasses impériales font figure de jus de chaussettes. Guy ne manquait jamais de les qualifier de ‘honte internationale’, avec sa retenue habituelle. »

Il but une nouvelle gorgée. Wilhelm regardait le vin et sourit à son tour.

« Il est mort avec le sourire aux lèvres. Il avait l’air heureux. Bien plus que toutes ces années où je l’ai connu. »

Son supérieur secoua la tête.

« Et à présent, depuis l’interrogatoire mené par cet ignoble répurgateur, vous savez tous pourquoi. Ce chapitre est clos, j’aurais juste aimé pouvoir le clore avec Guy. Pouvoir lui dire que son calvaire est enfin terminé. En quelques sortes, c’est bien le cas, mais… »

Wilhelm prit une deuxième lampée de vin, s’efforçant de le garder un peu en bouche pour le savourer du mieux possible. Mais les sensations nouvelles s’entrechoquaient presque, et il ne put qu’avaler en regrettant de n’être pas assez habitué pour apprécier ce breuvage à sa juste valeur. Pendant ce temps, un silence s’était installé.

« Grand-maître » finit-il par dire, « est-ce que la vie de chevalier de l’ordre est toujours ainsi ? »

Herr Bastian parut sur le point de répondre, puis s’arrêta et baissa les yeux vers son propre verre. Sa voix, quand elle s’éleva enfin, était descendue d’un ton.

« Toujours. Une victoire n’est jamais pour tout le monde, même les plus éclatantes d’entre elles. Si on ne perd qu’un seul soldat au cours d’une bataille, il y aura quand-même un corps à enterrer, une famille à prévenir, des larmes à essuyer. Notre vie n’est qu’un enchaînement de morts, elle rôde à chaque seconde. »

Il secoua la tête, puis la releva d’un coup, le regard soudain perçant.

« Mais nous ne faisons pas cela en vain, oh non. Nous combattons pour que les hommes, les femmes et les enfants de notre Empire puissent dormir sur leurs deux oreilles. Pour qu’ils aient une vie heureuse, le plus loin possible des horreurs de ce monde. »

Wilhelm se redressa à son tour, et plongea ses yeux dans ceux du grand-maître.

« Je sais mein Herr. Je l’ai vécu. Je sais qu’il n’y a pas plus grande gloire pour des guerriers comme nous que ce moment où les gens nous disent ‘merci, vous nous avez sauvés’. »

Le grand-maître hocha la tête, un sourire franc éclairant sa barbe blanche. Ils trinquèrent à nouveau, puis vidèrent leurs coupes.

« Vous savez, herr Kruger, votre adoubement n’est techniquement pas conforme aux traditions de l’ordre. Mais ce sont des circonstances exceptionnelles. Vous avez fait preuve, sans aucun doute, d’un dévouement, d’un courage et d’une force qui vous donne amplement votre place au sein des chevaliers de l’ordo. Vous pouvez être fier de vous. »

Ce fut comme si un seau d’eau bouillante était tombé sur Wilhelm. Il écarquilla les yeux alors que ce qu’il venait d’entendre faisait son chemin dans son esprit. Il se força à rester le plus neutre possible, mais ne put s’empêcher de sourire. Devant lui, Herr Bastian le lui rendit.

« Il y aura une cérémonie plus protocolaire, j’en ai peur, une fois que nous aurons terminé cette histoire. Et vous ne serez sans doute pas le seul concerné. » Il avait ajouté cette dernière phrase avec une expression d’espièglerie qui arracha un petit rire à Wilhelm. « Je crois que je vois ce que vous voulez dire. Reiner sera sans doute un meilleur chevalier qu’écuyer, mais je plains ceux qui seront sous sa responsabilité ». Ils rirent tous deux de bon cœur.

« Oh, j’allais oublier ! » Herr Bastian se leva brutalement et retourna vers son coffre. « Il y a quelque-chose que je dois vous remettre, Herr Kruger. » Intrigué, Wilhelm se leva à son tour et s’approcha. Le grand-maître se redressa avec une petite bourse en cuir à la main. Il l’ouvrit délicatement, et en sortit un anneau. Plus précisément c’était une chevalière, que Wilhelm reconnut sans l’ombre d’un doute : c’était celle que Guy avait confiée à Lydia.

« La jeune porteuse du message qui nous a alerté m’a confié cette bague. Je pense qu’il est juste qu’elle vous revienne désormais, herr Kruger. Après tout, je ne saurais à qui d’autre la confier, et il vous a bien légué son épée. »

Wilhelm tendit la main, laissant Herr Bastian placer la bague entre ses doigts. Il la fit tourner délicatement, admirant le blason orné d’une rose gravé dessus, ne sachant quoi répondre. Et alors que leurs regards se croisèrent à nouveau, il ne put que bredouiller un « merci » qui lui parut faux. Son esprit avait enregistré une information supplémentaire qui brouillait sa réflexion.

« Grand-maître, vous…vous avez parlé d’une jeune personne ? »

Herr Bastian l’observa d’un œil soudain curieux, puis amusé.

« Oui, une jeune femme. Vous pouvez la remercier, elle a parcouru tout ce chemin seule, et sans elle je n’aurais pas mobilisé l’armée que vous avez vue ici. Elle a tenu à nous accompagner, car si j’ai bien compris ce village est le sien. Une personne d’un caractère particulier apparemment. Je ne l’ai pas beaucoup vue, elle m’a simplement transmis le message de Guy, mais j’avoue que rarement une paysanne ne m’avait regardé avec autant de…hauteur. Et on m’a rapporté que plusieurs hommes de la troupe avaient fait les frais de leurs assiduités. Elle vous est familière ? »

Wilhelm sentit ses oreilles s’échauffer, et évita le regard de son supérieur. Il n’avait pu s’empêcher de sourire quand le grand-maître avait évoqué les échecs des soldats.

« Un peu, je crois. Peut-être. » Dans son poing, la chevalière de Guy était devenue chaude à force d’être serrée.

Herr Bastian secoua la tête.

« Vous la trouverez sans doute près de la cuisine. Elle a été prise au service d’Ulrike je crois, histoire qu’elle ne soit pas une bouche inutile à nourrir. » Puis, voyant Wilhelm qui commençait à danser sur ses pieds, il ajouta, mi souriant mi sérieux, « allez-y, et prenez le reste de vin avec vous. Reposez-vous aussi, vous l’avez bien mérité. Je m’occupe de la suite, faites-moi confiance. » Puis, il ajouta après une courte réflexion : « mais ne faites pas de bêtise que vous pourriez regretter. Vous avez un rang, et désormais vous représentez l’ordre. Faites-lui honneur, chevalier Kruger. »

Wilhelm ne se le fait pas dire deux fois. Il fit sa meilleure révérence, bien que précipitée, accompagnée d’un « merci beaucoup grand-maître. » Puis, s’emparant de la bouteille, il quitta précipitamment la pièce, le cerveau en feu et les entrailles gelées.

*

Ce fut effectivement dans la cuisine du camp, installée sous une grande tente où régnaient un mélange de douce chaleur et d’appétissants effluves aromatiques, qu’il trouva la jeune femme. Lydia était occupée à peler et couper des pommes de terre, imitée par plusieurs autres filles d’âges similaires, le tout sous la houlette de la cuisinière en chef, Ulrike Becker, une femme courtaude et forte, qui dirigeait sa cuisine aussi efficacement que Herr Bastian dirigeait ses troupes. Maniant une grande louche comme un sceptre, elle circulait d’un pas martial parmi les aides qui préparaient le repas de plusieurs centaines d’hommes, jetant des ordres brefs et secs qui n’attendaient aucune autre réponse que l’obéissance totale et silencieuse. Néanmoins, à la vue de Wilhelm qui l’observait sur le seuil, son visage renfrogné s’éclaira d’une sincère expression réjouie.

« Bonsoir jeune homme ! » Sourit-elle en se précipitant vers lui. « On m’avait dit que tu étais là, avec le jeune Reiner, mais je me demandais si tu passerais me voir. »

Wilhelm prit une inspiration avant de répondre. Il aimait bien Ulricke, mais la savait plutôt prompte aux réactions à chaud.

« Ravi de vous voir toujours aussi en forme. Mais vous allez m’en vouloir. J’étais venu vous prier de me prêter quelqu’un. »

Son regard passa par-dessus la tête cuisinière désormais, et il s’aperçut que Lydia avait cessé sa découpe et le regardait droit dans les yeux. Son visage était inquiet, et ses yeux posaient mille questions, auxquelles il savait qu’il n’apporterait pas la réponse attendue. Mais il devait le faire.

« Aaah, je vois je vois, jeune homme. On veut me piquer une fille pour décompresser un peu hein ? » Ulrike lui fit un clin d’œil amusé, avant de reprendre un peu de sérieux et de secouer la tête. « Mais il n’en est pas question, on a du travail, et plein de bouches à nourrir, la tienne comprise apparemment. Allez, jeune fille, ce n’est pas le moment de tirer au flanc, je veux ces patates en tranches dans dix minutes ! »

Wilhelm baissa les yeux vers elle et l’interrompit. « Je sors de chez le grand-maître. Il vient de m’autoriser à lui parler. J’ai des informations concernant son village. »

La cuisinière leva les yeux au ciel en soupirant. « Oooooh, il se croit vraiment tout permis celui-là. Ha ! C’est lui qui m’a demandé que les repas soient prêts à heures fixes. Il faudrait qu’il soit un peu cohérent, pour changer. » Elle désigna Lydia et lui fit signe de venir. « Vas-y, profitez-en bien. Et si le grand-maître vient se plaindre que sa soupe est en retard, je lui dirai que c’est sa faute. »

Lydia rejoignit Wilhelm d’un pas pressé, sans prendre le temps d’enlever son tablier ou sa toque. Dessous, elle portait une jupe de laine brune assez mal ajustée, que Wilhelm soupçonna être sortie de la garde-robe d’une autre femme. Son visage était marqué par l’angoisse, et ses immenses yeux le dévisageaient avec tant d’intensité que Wilhelm en fut presque effrayé.

« Alors ? » demanda-t-elle sans ambages, « que s’est-il passé ? Est-ce que tu as retrouvé mes parents ? »

Il ferma un instant les yeux, cherchant vainement ses mots tandis que sa bouche restait hermétiquement fermée. Puis, osant affronter son regard, il secoua la tête.

Il y eut un moment de flottement où il put voir toute la composition de Lydia disparaître en une fraction de seconde. Ses épaules s’affaissèrent, sa bouche s’entrouvrit, puis se referma en un pli tragique, ses yeux s’emplirent de larmes et de désespoir. Une seconde plus tard, elle s’effondrait en pleurs.

Toute l'assistance les regardait, même Ulricke s’était tue, fusillant Wilhelm d’un regard qui en disait long sur ce qu’elle pensait de lui à cet instant, sa louche brandie telle une menace. Sans un mot, prenant la jeune femme dans ses bras, il quitta la tente-cuisine et la mena jusqu’au centre du village, sur un rocher qu’il avait repéré près de l’auberge. La froideur de la soirée les fit frissonner, et il enveloppa Lydia de sa cape. Ils étaient face à une petite place avec un grand chêne en son centre, les gens passant autour d’eux sans leur accorder plus qu’un coup d’œil. Les soldats et les locaux étaient apparemment habitués au malheur. Les sanglots de Lydia continuaient, et Wilhelm ne prononçait pas le moindre mot, s’efforçant lui-même de ne pas céder à la tristesse. Le malheur de la jeune femme lui rappelait furieusement les pertes qu’il venait lui-même de subir. Les visages de Gottfried et Guy se rappelèrent à son souvenir, avec d’autant plus de puissance qu’il s’était efforcé de les repousser ces derniers jours. Il lutta de plus en plus contre la montée de ses propres larmes, cherchant tant que possible à être le roc sur lequel elle pourrait se reposer. Mais l’alcool, le récit fait au grand-maître, et la présence de Lydia effondrée dans ses bras finirent par faire exploser les digues qui retenaient son chagrin. Et ainsi, aussi soudainement qu’elle, il se mit à pleurer.

Leur douleur dura un temps indéfinissable. Il ne sut lequel d’entre eux avait le premier reposé sa tête sur l’épaule de l’autre, mais ils finirent par se retrouver ainsi, leurs corps serrés dans un enlacement mélancolique, à mêler leurs plaintes dans le soir tombant. Il n’y avait plus rien qui comptât dans l’univers que cette épaule sur laquelle ils épanchaient leur tristesse. Les morts les observaient en silence, avec les sourires irréels qu’ont les gens dans nos souvenirs. Ils voulaient les toucher, leur parler, leur dire qu’ils les aimaient, et tout ce qu’on oublie toujours de dire à ceux que l’on voit pour la dernière fois. Puis, lentement, leurs voix se turent, leurs larmes se tarirent, et ils restèrent là, sans un mot, à profiter de cette étreinte qui, sans qu’il ne soit besoin de le dire, au-delà des mots, était ce dont l’un et l’autre avait besoin à cet instant.

Ce fut elle qui brisa le silence par un murmure à ses oreilles, sa voix rendue rauque par les pleurs.

« Il est mort aussi, hein. Ton chevalier. »

Ce n’était pas une question.

« Oui » finit par coasser Wilhelm après un long moment. « Lui et l’autre. Seul Reiner a survécu. Et le répurgateur. »

À ces mots, il sentit la jeune femme frissonner, et il tenta de la rassurer.

« Il ne peut plus rien faire. Le grand-maître le surveille. Sans compter qu’il ne sait même pas que tu es ici. Et je suis chevalier maintenant. Je ne le laisserai pas tenter quoi que ce soit. »

Elle s’écarta alors doucement de lui, se contentant de le dévisager avec un petit sourire, ses yeux magnifiques encore luisants.

« Merci. Je crois. Je ne suis pas habituée à me laisser être protégée, je suis plutôt du genre à me défendre seule, mais là je crois que je vais accepter. Cet homme me fait peur. »

Wilhelm sourit à son tour.

« J’avais remarqué que tu n’étais pas une fille qui se laisse faire. »

Elle poussa un petit rire en se rasseyant à côté de lui.

« Ma famille en était désespérée, surtout ma mère. Ils ont essayé de me fiancer à tous les garçons du village, un par un, mais c’était tous des bons à rien mal dégrossis. » Elle secoua la tête avec un presque-sourire. « Je les ai éconduits, tous, et parfois rudement. Certains étaient juste bêtes, mais d’autres étaient méchants en plus. Maman disait que je finirai vieille fille et qu’elle en serait déshonorée, mais papa répondait que le bon garçon au bon moment finirait bien par arriver. » Son regard se baissa vers les racines du chêne. « Je n’arrive pas à croire qu’ils soient partis. C’est…c’est horrible. J’aurais tellement voulu…tellement… ». Un nouveau sanglot la saisit, et Wilhelm lui prit la main en soupirant. « Moi, c’est mon père qui ne m’a jamais compris. Il voit en moi quelque-chose que je ne pourrai jamais être. Mais avec messire Guy c’était différent. Il voyait…autre-chose. Il ne voulait pas me façonner à son image, juste me transmettre des valeurs. Le perdre, ça m’arrache presque mon seul repère. »

Il se tourna alors vers elle. Il sentait quelque-chose en lui, une chose nouvelle, la sensation qu’une barrière venait de sauter, et qu’un flot de mots le submergeait, écrasant toute réflexion, toute pensée logique, toute précaution. C’était une sensation enivrante, qui lui donnait l’impression d’être sur le point d’exploser.

« Tes parents, où qu’ils soient, je suis sûr qu’ils sont très fiers de toi. Tu as réussi à survivre à toute cette horreur, tu es une battante, tu es plus courageuse que beaucoup de soldats que je connais, et ça, c’est aussi à eux que tu le dois. La meilleure chose que tu puisses faire, à présent, c’est vivre, vivre pour eux, pour les remercier de tout ce qu’ils t’ont donné. »

Wilhelm s’interrompit, presque à bout de souffle, refusant de réfléchir à la platitude de ce qu’il venait de déblatérer. Mais à sa grande surprise, il s’aperçut que Lydia le regardait avec un air reconnaissant. « Merci » finit-elle par chuchoter. « C’est difficile à expliquer, mais même si c’est bête, je suis contente que nous ayons pu nous rencontrer. On ne se connaissait pas, et tu aurais eu toutes les raisons du monde de m’oublier. Pourtant, tu es la seule personne ici qui soit venue me réconforter. Alors merci. » Lentement, comme avec hésitation, elle serra ses doigts autour de la main qu’il avait posée sur la sienne. Puis elle s’approcha de lui et se lova dans ses bras.

Un instant passa sans qu’ils ne disent rien, savourant l’instant. Finalement, Lydia demanda d’une voix qui se voulait détendue « alors tu es chevalier à présent. Est-ce que des félicitations sont de rigueur ? » Wilhelm ne répondit pas tout de suite, cherchant au fond de lui s’il en voulait ou non. Il se sentait honoré, sans aucun doute, mais y avait-il autre-chose ? Il chercha une diversion.

« Tu veux un peu de vin ? J’en ai ramené de la part du grand-maître. C’était le préféré de messire Guy. »

Il sentit le léger gloussement de la jeune femme à cette proposition. « Tu as vraiment tout prévu pour la gestion du deuil. Mais oui, volontiers. »

Quelques secondes plus tard, ils avaient tous deux une coupe pleine en main, qu’ils firent s’entrechoquer en un tintement métallique. « À nos proches perdus » commença Wilhelm d’un ton solennel, « et aux jours à venir. Puissent-ils être plus lumineux que ceux du passé ». Lydia resta d’abord interdite, puis plissa légèrement les yeux en le regardant. « C’est drôle. Je réalise à l’instant que je ne connais pas ton nom, juste ton prénom, ‘Wilhelm’. » Il la regarda d’un air surpris, puis finit par baisser la tête en levant théâtralement le bras. « Permettez-moi de réparer ce grave manquement à l’étiquette. Mon nom complet est Wilhelm Kruger ». Ces simagrées amusèrent Lydia, qui secoua la tête avec l’ombre d’un sourire comme – il commençait à s’en apercevoir – elle savait si bien les faire. Sa réponse fusa. « Eh bien à votre santé, chevalier Wilhelm Kruger. Et félicitations. »

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Dernière édition par Arcanide valtek le Mer 20 Nov 2024 - 10:53, édité 2 fois

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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Jeu 14 Nov 2024 - 0:01
J'ai relu les chapitre 12 et 13 avant ce 14ème, afin de me remettre un peu dans l'histoire. J'ai été surpris : ces deux chapitres 12 et 13 permettent vraiment sans aucun problème de se replonger dans l'histoire : les noms et fonctions sont redonnées, les buts aussi, ce fut très plaisant comme reprise.

Je me suis environné des musiques de Mordheim, c'était parfait pour ce plongeon dans la ville skaven  lol

Même si j'étais vraiment plongé à fond dans l'histoire, j'ai noté quelques remarques au fur et à mesure. Il ne s'agit pas d'une relecture approfondie, mais juste de quelques points sur lesquels tu prends ce que tu veux comme d'habitude :

Plusieurs hommes-rats avaient bien tenté de les intercepter, mais ils n’avaient pas véritablement été pris en chasse, se contentant d’abattre ceux qui se dressaient sur leur chemin
Quelque chose fait bizarre dans la phrase, on a l'impression que tu as commencé la phrase avec les skaven comme sujet, mais qu'au milieu le sujet passe aux deux humains

"Pas plus qu’illeurs » répondit-il en hurlant presque pour se faire entendre.
micro faute de frappe ici

Le moment où le sorcier skaven blesse le sorcier du chaos (il me semble un peu petit pour un duc du changement) est très satisfaisante. J'étais comme le skavent très agacé par ses esquives à répétitions, l'attaque du sorcier skaven fut très cathartique. La mort du sorcier skaven aussi ! C'était cool d'avoir un fiasco dans un récit : ils sont étrangement rares, alors que dans le jeu ils sont quasiment récurrents à chaque partie !

Le duel entre Wilhem et Ferragus fut un grand moment, une scène à l'écriture presque parfaite, dans lequel j'ai retrouvé un peu de ta participation de cette année au concours de récit d'ailleurs.
J'avais un peu peur en y arrivant, parce que c'est une scène assez courante qui tombe facilement dans le cliché : le duel entre le héros submergé par sa colère et l'ennemi, à côté du cadavre du mentor. Pour moi, tu as réussi ce très difficile exercice de rentre une scène classique très bonne à lire, avec un héros qui garde son calme. Beaucoup plus impressionnant à mon avis : tu as réussi à maintenir tout du long de ce duel une tension très très forte. Etant donné ce qui était arrivé à d'autres personnages, j'ai vraiment eu peur pour Wilhem.

J'ai une seule réserve sur cette scène, qui concerne son dénouement. Un peu comme pour la fin du duel avec Guy, j'aime bien l'idée que tu as voulu mettre pour clore ce duel, avec ce contournement du pouvoir de Ferragus.
Il y a quelque chose dans le rythme du passage qui le rend un peu trop décomposé à mon avis. Je te mets ci-après mes réactions phrase par phrase pour que tu vois un peu comment j'ai lu ce dénouement :

Spoiler:

Il sentit sa flasque lui être retirée des mains, et ne put réprimer un petit sourire satisfait quand il entendit un hoquet surpris venir de sa gauche. Visiblement, le jeune homme n’était pas prêt à ce breuvage exotique.
Cette petite phrase était très bienvenue pour remettre une excellente touche d'humanité à la fois à Rottmann et à Reiner, qui en ont toujours besoin, j'aime beaucoup ce genre de petits détails sur les personnages, une grande force de ton récit

Une masse se jeta sur lui, le percutant et l’envoyant au sol qu’il heurta de plein fouet. Une vive douleur envahit sa tête alors que son souffle lui échappait des poumons. J’ai encore perdu mon chapeau nota-t-il dans un coin de sa tête, comme si c’était la seule chose qui importait. Rottmann sentit ses muscles endoloris se raidir. Mais avant qu’il ne puisse réagir, une immense explosion résonna dans la caverne
Je croyais que c'était Rottmann qui avait crié "à terre" juste avant : c'est lui qui est habitué aux bombes et à la durée de leurs mèches après tout, et c'était son point de vue juste avant. J'ai donc été surpris que Reiner se jette sur lui pour le mettre à terre : ça ne collait pas que celui qui crie ne soit pas celui qui plaque au sol. Je comprends avec le recul que c'était Reiner qui criait

Face à lui, à la place de cultistes, se trouvaient Albrecht Rottmann et Reiner
D'un point de vue d'écriture, c'est très très fort de mettre "Albrecht Rottmann" en entier ici ! ça nous met tout de suite dans la tête de Wilhem, c'est une idée d'écriture de talent !

A ce moment de ma lecture, j'étais vraiment à fond dans le récit, mais je ne m'attendais pas à tomber sur une des plus belles scènes que j'ai pu lire depuis quelques temps : La scène où Wilhem retrouve Guy, et plus encore la scène de l'adoubement. Pour le coup, le rythme est excellent, la symbolique puissante, l'émotion à son maximum, j'étais réellement bouleversé. Waouh.
L'adoubement est un passage extrêmement important pour le personnage, pour Guy, et même pour la suite de l'histoire. Il fallait le rendre iconique, et c'est une belle réussite. Je relirai ce passage, mais je ne sais pas encore si la force des émotions que j'ai ressenti vient seulement de ce passage, ou si c'est toute la construction du récit jusqu'à ce moment qui a produit ça.
La mort de Gottfried était de la même étoffe d'ailleurs. J'ai presque envie de dire que ça vaut le coup de tuer un personnage si c'est pour permettre une aussi belle scène. Je dirais même que c'est la meilleure des raisons.

s'arrête pour écrire un commentaire Pendant les deux escalades pour sortir de la grotte, ça serait cool de rappeler le vertige de Rottmann... lecture de la phase suivante ha c'est fait j'ai rien dit Clap

Après la fin de la bataille et l'adoubement, la sortie de la grotte, le passage dans le village, le voyage retour puis l'épilogue au fort sont étrangement longs. le temps se distend, on est surpris qu'il n'y ait pas une ellipse, un repos, une détente... Et c'est génial : tu nous fais vivre le fait que la vie ne s'arrête pas après la bataille, que le cœur ne ralentie par juste comme ça parce que les ennemis sont plus loin. La vie continue, l'aventure continue, la vraie vie ne récompense pas avec du repos par miracle... C'est très bon de nous le rappeler en prenant autant ton temps pour ramener tes personnages au fort, j'aime énormément ça

Du Château Havras, son préféré
Un homme de goût. La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 3160714644

Le refus du grand maitre de prendre face à tout ça des mesures plus fortes, comme envoyer immédiatement quelqu'un vérifier leurs dires, ou aller faire sauter la grotte à la poudre noire, est un étrange : les témoignages en question sont quand même extrêmement forts, de confiance, corrélé à ce que lui-même à déjà vu... Mais il tempère, s'en réfère au Comte... c'est très étrange. Et encore plus que Wilhem ne réagisse pas plus. Reiner n'a même pas besoin de demander à ce qu'on prenne du recul : la situation est très très grave !
Mais je comprends qu'on ne peut pas dévoiler comme ça l'existence des skavens. A mon avis, le mieux serait que le grand maitre envoie quelques personnes faire sauter ou observer la grotte, qu'il envoie une expédition d'autres personnes recueillir des preuves pour le Comte, bref qu'il agisse immédiatement tout en disant à Wilhem qu'il prend les choses en main, et en lui ordonnant de se reposer.

j'aime beaucoup la fin, entre le verre de vin et la sène avec Lydia. Cette scène est sans doute la meilleure avec ce personnage d'ailleurs : ils sont tous les deux épuisés à la fin d'une histoire éprouvante pour eux deux, chacun différemment, il y a vraiment quelque chose de partagé entre eux, au delà du coup de foudre et de l'hésitation de Wilhem à leur rencontre. J'en redemande des passages comme ça.

La dernière phrase de Lydia est une très très bonne fin pour cette histoire.

Bilan global ? J'ai adoré. Je pense qu'il y a quelques mini relectures à faire par ci-par là pour quelques phrases, mais sinon je suis persuadé que ce texte est excellent, du niveau de bien des livres de fantasy édités.
je me suis attaché à Wilhem, et encore plus à Reiner, dont le caractère étrange est devenu attachant au milieu du récit. La scène de l'adoubement est pour moi de loin mon passage préféré, mais c'est parce que telllement de choses préparées avant se jouent dans cette scène. On les a suivi très longtemps mine de rien ces personnages ! C'est beau, c'est bien écrit, c'est émotionnellement puissant. C'est un récit que je recommanderai.

Je sais que tu sauras écrire une suite d'aussi bonne qualité, et pour cela tu as déjà un lecteur tout acquis à la suite, que j'attends avec impatience ! study  drunken

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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Jeu 14 Nov 2024 - 22:22
Que dire ?

Que c'est satisfaisant de voir un tel récit arriver tranquillement à sa fin. J'en suis presque jaloux.
Que j'ai toujours cette envie de tailler dans le gras du texte pour en tirer la moelle et la révéler d'autant plus.
Qu'il faut aussi que je me convainque que c'est parce qu'il y a cet enrobage autour que j'ai pu me replonger dans ce chapitre sans même avoir relu les autres. Un exploit en soi.
Qu'on a chacun notre manière de raconter et que c'est ça qui fait la force de ce petit forum. Un même monde qui se révèle dans un prisme aux faces aussi variées qu'il y a d'auteurs, un kaléidoscope tordu, hilare et émouvant.

Qu'il ne reste que quelques mètres à la grande course d'endurance qu'a dû être ce récit pour toi. Certainement pas les plus simples, ça c'est sûr. Il faut réussir à étouffer sa propre passion pour son œuvre et la laisser partir pour de vrai.
Que presque tout a déjà été dit et que, maintenant, ce qui reste, il faut bien le dire.

Encore bravo.

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La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang - Page 4 Empty Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang

Ven 15 Nov 2024 - 18:37
Merci à tous les deux ! Merci beaucoup même, ça fait toujours hyper plaisir de recevoir des compliments Smile

@ethgri je reviens sur tes remarques :

J'ai reformulé les passages dont tu as parlé, qu'ils s'agisse des phrases ou de la fin du duel.
Je suis d'accord avec toi d'ailleurs sur ce passage, ça faisait un peu cartoon, mais je voulais cet échange de regard. J'ai reformulé pour le mettre avant le coup de pied.

Par contre je vais défendre le fonctionnement du pouvoir de l'œil Ferragus. J'ai relu les passages dont tu as parlé, et je vais donc reclarifier, parce que j'ai peut-être pu donner une fausse impression. Il ne voit effectivement pas simplement les coups qui le ciblent directement, mais il ne voit le futur que quand quelqu'un s'apprête à l'attaquer directement. Dans le combat avec Guy et Wilhelm, il voit qu'ils le prennent en tenaille parce qu'ils essayent de le toucher.

Ensuite, je vais défendre ce cher Bastian Von Alte Brücke.
À nouveau, j'ai relu le passage, et...ben il ne dit rien de ce qu'il va faire, réaction forte ou pas. J'ai voulu rester réaliste, dans le sens où même s'il prend des décisions rapides, il ne le fera qu'après avoir réfléchi un peu. Il ne dit pas qu'il va d'abord aller voir le comte, juste qu'il faudra lui en parler, car comme tu le dis la situation est très grave. Du coup, que Wilhelm ou Reiner ne réagissent pas n'est pas si incohérent à mon avis. Pour moi, il est normal qu'il ne veuille pas donner des ordres aussi importants en leur présence et celle de Rottmann. Dans mon esprit, il ne va pas du tout tempérer, c'est simplement qu'on ne voit pas ce qu'il va faire.

ramener tes personnages au fort
Je précise qu'ils ne sont pas au fort (je pense que c'est évident mais je préfère le repréciser). Pour clarifier un peu, quand le grand-maître a reçu le message, il a mobilisé une petite armée et est allé vers le village.

J'ai un peu modifié ce passage pour que tout cela soit plus clair.

@Hjalmar
Que c'est satisfaisant de voir un tel récit arriver tranquillement à sa fin. J'en suis presque jaloux.
Oh ne le sois pas ! Tu en as déjà fini trois, et quoi que tu en dises, je te considère comme un modèle à suivre dans ce domaine.

Et à nouveau, merci beaucoup. J'ai vraiment beaucoup pris mon temps pour écrire ce chapitre (2 ans, c'est énorme punaise, je ne m'étais pas rendu compte que le précédent datait d'il y a aussi longtemps), et j'ai essayé d'y mettre tout ce que j'avais pour faire ressortir des émotions. Je suis hyper content que ça ait marché sur au moins quelques personnes.

Concernant cette histoire d'épilogue, je l'ai commencé, mais je vais voir si je le poste ici ou si ce sera le début de la suite (qui arrivera, soyez-en sûrs !).

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