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- Arcanide valtekSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Dim 16 Sep 2018 - 14:51
Je vois que nos points de vue sur les hommes-rats divergent. Cela dit, je dois convenir qu'ils peuvent faire des "partenaires" de circonstances. Le tout est de se demander comment ils vont nous trahir à la fin, et de les trahir en premier.
Pour revenir à mon récit, je suis plutôt content que cela te plaise toujours. La suite devrait prendre encore un peu de temps, mais elle est sur le feu.
EDIT : Page 2 !
Pour revenir à mon récit, je suis plutôt content que cela te plaise toujours. La suite devrait prendre encore un peu de temps, mais elle est sur le feu.
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Lun 17 Sep 2018 - 23:41
un démon de tzeench en introduction? voilà qui est magnifiquement bien narré! une scène d'action courte, mais vraiment sympa
bon, il est tard et j'ai promis (à moi même, oui, parfaitement ) que je posterai ce soir, alors pour resumer!
Chapitre Un: Une magnifique description d'une vie de petite noblesse imperiale, texte parfait, personnages détaillés, j'adore
Chapitre Deux: (à part mon propre syndrome post-tromatique qui a consisté à vouloir brûler des équerres) superbe, très réaliste, très "vrai" dans toutes les descriptions, le détail! le détail!
Chapitre Trois: panique panique panique...est-ce que je vais réussir à dormir ce soir? barzul Je me rappelais bien qu'Arka aimait faire peur à ses lecteurs mais à ce point???
Chapitre Quatre: peur encore
Chapitre Cinq: Poum! calme! plus bouger! je sais que les vampires arrivent, mais ça peut pas être pire que les rats... poum poul...
Je pense qu'un certain Wilhelm va demander à quitter son régiment pour un ordre de chevalerie
en tout cas, je veux la suite!
bon, il est tard et j'ai promis (à moi même, oui, parfaitement ) que je posterai ce soir, alors pour resumer!
Chapitre Un: Une magnifique description d'une vie de petite noblesse imperiale, texte parfait, personnages détaillés, j'adore
Chapitre Deux: (à part mon propre syndrome post-tromatique qui a consisté à vouloir brûler des équerres) superbe, très réaliste, très "vrai" dans toutes les descriptions, le détail! le détail!
Chapitre Trois: panique panique panique...est-ce que je vais réussir à dormir ce soir? barzul Je me rappelais bien qu'Arka aimait faire peur à ses lecteurs mais à ce point???
Chapitre Quatre: peur encore
Chapitre Cinq: Poum! calme! plus bouger! je sais que les vampires arrivent, mais ça peut pas être pire que les rats... poum poul...
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Ethgrì-Wyrda, Capitaine de Cythral, membre du clan Du Datia Yawe, archer d'Athel Loren, comte non-vampire, maitre en récits inachevés, amoureux à plein temps, poète quand ça lui prend, surnommé le chasseur de noms, le tueur de chimères, le bouffeur de salades, maitre espion du conseil de la forêt, la loutre-papillon…
- Arcanide valtekSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mar 18 Sep 2018 - 13:26
Merci de ton commentaire cher elfe . Je crois avoir deviné que tu avais rattrapé toute la section en quelques jours à peine . Félicitations, ça a du être long .
Effectivement, j'ai voulu représenter dans les premiers chapitre la vie dans l'empire du point de vue des humains. Et elle n'est pas toujours faite de guerres et de morts, malgré ce que notre jeu de bataille pourrait faire croire.
Après, j'en réfère à l'une de mes réponses à Von Essen : les vampires, c'est pas pour tout de suite. On a encore pas mal de chemin à parcourir avant d'y arriver.
Effectivement, j'ai voulu représenter dans les premiers chapitre la vie dans l'empire du point de vue des humains. Et elle n'est pas toujours faite de guerres et de morts, malgré ce que notre jeu de bataille pourrait faire croire.
Après, j'en réfère à l'une de mes réponses à Von Essen : les vampires, c'est pas pour tout de suite. On a encore pas mal de chemin à parcourir avant d'y arriver.
Ce régiment était de base conçu pour préparer les jeunes nobles à entrer dans la chevalerie. Mais du coup oui, ça risque de ne pas trop tarder pour Wilhelm.Ethgri la loutre-papillon a écrit:Je pense qu'un certain Wilhelm va demander à quitter son régiment pour un ordre de chevalerie
Elle arrive, il faut juste que je jugule ma propension à étaler sur 5 pages un truc qui aurait dû n'en occuper que 2.Ethgri Wyrda le mangeur de salade a écrit:en tout cas, je veux la suite!
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mer 19 Sep 2018 - 15:07
Ces assassins eshins, c'est plus ce qu'ils étaient. Mourir sous les lames de novices... très certainement qu'ils l'ont fait volontairement pour nuire à leur supérieur. Il n'y a pas d'autre explication à leurs échecs
Très sympa le développement qu'ils ont induits vis à vis de la liquéfaction & la crédibilité des survivants. Plus le setup qui va avec que tu as prit le temps d'introduire et distillé tout doucement dans l'chapitre 4
Intéressant panel de personnages que tu déploies dans ce dernier chapitre, du stratège au bretonnien égaré.
Les ptites citations ici et là sont juste.... miam "Méfies toi d'une personne agée dans une profession où l'on meurt jeune" ou "le Kasztellan Von Urlauberg n’entre pas dans une pièce, il y fait son entrée". J'aime beaucoup.
Le fait de repartir a la bataille, cela signifie qu'ils vont laisser au fort leur camarade blessé si je ne m'abuse.
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Très sympa le développement qu'ils ont induits vis à vis de la liquéfaction & la crédibilité des survivants. Plus le setup qui va avec que tu as prit le temps d'introduire et distillé tout doucement dans l'chapitre 4
Intéressant panel de personnages que tu déploies dans ce dernier chapitre, du stratège au bretonnien égaré.
Les ptites citations ici et là sont juste.... miam "Méfies toi d'une personne agée dans une profession où l'on meurt jeune" ou "le Kasztellan Von Urlauberg n’entre pas dans une pièce, il y fait son entrée". J'aime beaucoup.
Le fait de repartir a la bataille, cela signifie qu'ils vont laisser au fort leur camarade blessé si je ne m'abuse.
- correction rapides:
- Arca a écrit:une armée d’hommes-rats qui se promènerait impunément sur les terres de notre empire. Qu’es-tu à répondre à cela ?
Ptite voyelle à échanger je crois ^^Arca a écrit:Cela dit, ses grandes capacités martiales et de meneur d’homme avaient rendu inévitable sa promotion dans l’ordre, qu’il avait d’ailleurs intégré presque par hasard, s’étant illustré très tôt en tant que pistolier lors d’une campagne à laquelle participait l’ordo.
Je pense que cette phrase reflète un point qui m'a dérangé sur ton dernier chapitre. Les descriptions et introductions des personnages sont propres. Mais whaaa, les phrases - en particulier sur la séquence où j'ai pioché mon exemple - sont sacrément longues. Tu forces à user des méninges pour avaler une grosse quantité d'information sur beaucoup de personnages ET suivre le fil des phrasesArca a écrit:
- Oui major, en gros. Répondit-il d’un ton légèrement hésitant par-dessus son épaule. Je sais où est le fort pour l’avoir vu
y'a une virgule manquante. Ou la description est mal placée, je ne saurais dire.
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- Arcanide valtekSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mer 19 Sep 2018 - 17:27
Merci pour ton commentaire .
Les "assassins" eshin étaient des coureurs nocturnes. Quand tu regardes, c'est vraiment le plus bas niveau de l'échelle, et ils ne sont pas aussi entraînés, doués et paranoïaques que les coureurs d'égouts ou les assassins. Parce que si ç'avait été ces derniers, Wilhelm et ses camarades n'auraient pas tenu 10 secondes.
Mais dans le jeu de batailles, un coureur nocturne c'est CC3 F3 E3, du coup j'ai considéré qu'ils avaient à peu près les mêmes capacités martiales que leurs proies. Leur défaites sont dues d'abord au soleil, puis à la surprise.
Pour ce qui est de la longueur des phrases, c'est un peu ma marque de fabrique involontaire. J'essaie de ne pas trop les étirer, mais des fois il y a des passages où ça ne veut pas. Et le pire, c'est que je m'y suis tellement habitué qu'en les lisant je ne les relève pas.
Note à soi-même : être plus vigilant pour ça.
Oh et la citation sur "il y fait son entrée", je me dois de dire que je n'en suis pas l'inventeur, je l'ai vue dans un bouquin et je l'ai trouvée tellement bien trouvée que je l'ai immédiatement retenue.
EDIT : on a dépassé les 500 vues !
Les "assassins" eshin étaient des coureurs nocturnes. Quand tu regardes, c'est vraiment le plus bas niveau de l'échelle, et ils ne sont pas aussi entraînés, doués et paranoïaques que les coureurs d'égouts ou les assassins. Parce que si ç'avait été ces derniers, Wilhelm et ses camarades n'auraient pas tenu 10 secondes.
Mais dans le jeu de batailles, un coureur nocturne c'est CC3 F3 E3, du coup j'ai considéré qu'ils avaient à peu près les mêmes capacités martiales que leurs proies. Leur défaites sont dues d'abord au soleil, puis à la surprise.
Pour ce qui est de la longueur des phrases, c'est un peu ma marque de fabrique involontaire. J'essaie de ne pas trop les étirer, mais des fois il y a des passages où ça ne veut pas. Et le pire, c'est que je m'y suis tellement habitué qu'en les lisant je ne les relève pas.
Note à soi-même : être plus vigilant pour ça.
Je n'ai pas vu de souci ici. Quand je le lis ça a l'air normal.vg11k a écrit:y'a une virgule manquante. Ou la description est mal placée, je ne saurais dire.
Oh et la citation sur "il y fait son entrée", je me dois de dire que je n'en suis pas l'inventeur, je l'ai vue dans un bouquin et je l'ai trouvée tellement bien trouvée que je l'ai immédiatement retenue.
EDIT : on a dépassé les 500 vues !
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Lun 19 Nov 2018 - 0:03
Et aller, après deux mois sans réponses, je poste le chapitre 6.
Le 7 est bientôt fini, et devrait suivre dans peu de temps.
Sur ce, place au texte.
Chapitre VI
L’armée était impressionnante, bien plus que celle qu’ils avaient rejoint à leur départ de Nuln. La raison principale est que cette dernière avait été majoritairement constituée de ce que l’on appelait des troupes régulières de l’empire. D’après ce que Wilhelm savait, il s’agissait de soldats professionnels, issus de la paysannerie ou de la bourgeoisie, qui s’engageaient militairement pour servir leur patrie et leur seigneur. Ce travail était à temps plein, et le soldat devait pouvoir répondre présent n’importe quand. Cette activité comportait de nombreux risques, car il n’était pas rare qu’une recrue ne passe pas sa première bataille, d’autant que certains commandants voyaient de telles troupes comme autant de chair à canon. En ajoutant à cela la rudesse du climat dans la majeure partie de l’empire, il était aisé de se rendre compte à quel point ce genre de vie pouvait-être difficile.
Et pourtant, d’après le capitaine Oppenhauer, l’armée de l’empire était très nombreuses, peut-être une des plus populeuses du monde, majoritairement grâce à ces troupes régulières. Et ce principalement parce que la paye est généralement bonne, car il est nécessaire pour les hommes de faire vivre leur famille. Ensuite, la soif de gloire peut attirer certains individus dans l’armée, car il est de notoriété publique que l’empire récompense les talents de chacun.
Ces régiments étaient tous spécifiques, ayant chacun son étendard, ses couleurs et son équipement propre. Certains étaient même devenus célèbres au fil de plusieurs batailles. Parmi les équipements habituels de ces hommes, les armes les plus répandues étaient les hallebardes, mais on trouvait aussi des régiments de lanciers, d’épéistes, d’arquebusiers ou d’arbalétriers. Leur matériel était fourni et payé par le général qui les engageait, marque de l’importance accordée à l’empire dans le maintien de ses armées. Il était à noter que parmi ces troupes régulières, il en était un type qui dérogeait à certaines règles. Un général pouvait en effet, s’il en avait les moyens, recruter des joueurs d’épées. Les hommes de ces régiments-là, composés intégralement de vétérans taciturnes et aguerris, étaient beaucoup plus cher à équiper et à engager que les autres. Mais le prix en valait la chandelle, car ces guerriers, armés d’énormes flamberges et engoncés dans des armures de plates, étaient de redoutables combattants.
Pourtant, ni la discipline des troupes régulières, ni l’habileté des joueurs d’épées n’avaient pu sauver de la défaite l’armée du capitaine Weber de l’embuscade des hommes-rats. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’armée qui quitta le Fort de Sang ce matin-là était fort différente par bien des aspects.
Tout d’abord, malgré la présence de nombreux hommes des troupes régulières, c’étaient les chevaliers qui en étaient la force de frappe. Et quelle force de frappe c’était ! Environ deux cents hommes, issus de la noblesse, formés aux armes depuis leur plus jeune âge et sélectionnés sur le volet, tous équipés d’armes et d’armures d’une excellente qualité, et s’étant pour la plupart battus de nombreuses fois ensemble. De plus, la chevalerie impériale était disciplinée, les chevaliers étant entraînés à se battre en groupe pour une meilleure efficacité, et on ne pouvait ainsi craindre que chacun n’en fasse qu’à sa tête. Montés sur d’imposants chevaux protégés eux aussi par des plaques d’armure, il était aisé d’imaginer le carnage qu’une de leur charges pouvait répandre sur le champ de bataille. Chaque chevalier avait de plus plusieurs armes, car chacun emportait plusieurs lances de cavalerie (car elles se brisent facilement au combat lors d’une charge) et son épée, qu’il utilisait une fois la mêlée engagée.
Tout cela revenait en tête à Wilhelm alors qu’il chevauchait au cœur de l’armée, et que ses regards se portaient de droite et de gauche avec un intérêt non feint. Lui-même, ainsi que ses compagnons de régiment, étaient issus de la noblesse, et étaient donc destiné à faire eux aussi partie, un jour, de la chevalerie impériale. Pourtant c’était la première fois qu’il voyait un régiment entier de chevaliers en ordre de marche, et cette vue l’impressionnait.
En tête se trouvait le Kasztellan Othmar Von Elderhoff, qui avait établi le tracé de la route à suivre. Il était également placé là pour optimiser la réaction de l’armée dans le cas d’une situation imprévue. Le grand-maître Von Alte Brücke était placé en queue de colonne, de façon à être au milieu de l’armée, pouvant ainsi observer facilement la majeure partie des troupes, et les diligenter si nécessaire. Enfin, le Kasztellan Von Hündrodburg était parti en éclaireur avec un groupe d’hommes qu’il avait spécialement formés à cette tâche. Le grand-maître ne voulait prendre aucuns risques, et avait indiqué qu’une vigilance constante était de mise.
Les chevaliers de l’ordo draconis formaient une formidable colonne rouge sombre de par la couleur de leurs armures et du caparaçon de leurs chevaux, avançant à une allure soutenue sur la route de montagne. Au milieu de cette colonne, on pouvait également apercevoir de nombreux écuyers, qui accompagnaient les chevaliers à la bataille. Chargés de s’occuper de l’équipement et du cheval de leur chevalier tutélaire, ils étaient en retour instruits aux armes. Ces écuyers n’avaient pas pour objectif de participer à la bataille, mais servaient de temps en temps de combattants de réserve. Ces combattants à cheval étaient suivis du cortège des machines de guerre, composé de plusieurs types de canons. Il y avait d’abord les grands canons, s’agissant certainement de la pièce la plus répandue, capable de faire des ravages dans les rangs ennemis de par la puissance de ses boulets. De plus, un grand canon était aussi très utile pour l’attaque de fortifications. Il y avait également des mortiers, canons trapus et larges, mais aussi plus courts, conçus pour tirer en cloche des munitions remplies de poudre qui explosaient sur l’ennemi en une myriade de shrapnels. Enfin, on trouvait quelques canons à répétition feu d’enfer, une arme des plus sinistres, constituée de neuf petits futs assemblés et mis à feu successivement. Les tirs de cette arme avaient certes une portée moins grande que ceux d’un grand canon, et tirait de plus petits projectiles, mais cela était compensé par un mitraillage constant qui semait généralement la mort dans les troupes adverses.
Mais Wilhelm était conscient du manque de fiabilité de ces armes d’artillerie, celui-ci étant leur souci majeur. Il n’était pas rare qu’une mèche se consume trop tôt, qu’un défaut provoque une mise à feu déréglée, ou n’importe quel incident plus ou moins grave. Certains n’avaient que peu de conséquences, mais d’autres pouvaient provoquer l’explosion de la machine, évènement généralement fatal à tous ceux se trouvant autour.
L’ordo draconis était l’un des rares ordres de chevalerie dont la forteresse était équipée de telles armes. Cet avantage était dû à la proximité avec Nuln, qui était le centre de production de toutes les pièces d’artillerie de l’empire, produites à la grande fonderie militaire impériale. Les chevaliers voyaient cela d’un assez mauvais œil. Pour eux, c’était une expérience peu concluante. Mais force leur était de constater qu’en plusieurs occasions cela leur avait grandement facilité la tâche. « Vous verrez », disaient certains, « dans quelques décennies on sera tous remplacés par ces machins ».
Dans le cortège armé, les chariots des machines étaient suivis par d’autres, ceux-ci contenant du matériel logistique ainsi que des provisions. Enfin, quelques régiments de troupes régulières terminaient la colonne, en en formant l’arrière-garde. Ces troupes étaient issues de celles en faction au Fort de Sang, et leur rôle habituel était justement de servir d’appui à l’ordo draconis pour sa mission de défense de la passe. C’était un engagement prestigieux, mais non sans risques, car il arrivait régulièrement qu’une armée de peaux-vertes tente de traverser les montagnes. De temps à autres, quelques brigands devaient aussi être dispersés, et il pouvait même arriver qu’un baron bretonnien se croie capable d’aller chercher gloire et fortune sur les terres de l’empire.
Au sein de cette armée, Wilhelm chevauchait avec Guy du Fort aux Roses – que ses camarades appelaient de temps en temps « Rosier » - ainsi qu’avec Reiner, Gerulf, Klaus et Dieter. Kurt avait dû décliner la possibilité de participer à l’expédition en raison de sa blessure au bras, à son grand dam. Il avait bien essayé de cacher sa douleur, mais après deux mouvements d’épaule son visage se crispait déjà, et ses camarades lui avaient interdit de quitter l’infirmerie du Fort. Les cinq pistolkorps restant et le chevalier avaient placé leurs chevaux à la queue de la colonne de cavalerie, afin d’être plus tranquilles. Les jeunes gens avaient eu l’honneur de se faire prêter des montures, moyennant un paiement futur.
Au début du trajet, tous étaient silencieux, à commencer par Wilhelm lui-même, à qui Reiner avait froidement reproché, à la sortie du conseil de guerre, d’y avoir pris la parole. « Ce n’était ni votre rôle ni votre place, Kruger » avait énoncé le major, « Je ne peux décemment vous sanctionner correctement maintenant, mais soyez assuré que le capitaine Oppenhauer en entendra parler. En attendant, vous vous occuperez d’ici demain de laver tous les vêtements de vos camarades et les vôtres. Et sans un mot. » La corvée ménagère s’était révélée pénible, et Wilhelm savait qu’en plus ce n’était qu’un préambule à une prochaine sanction, bien plus lourde.
Il était donc resté muet depuis le début de la chevauchée. Du reste, les autres n’avaient pas l’air plus loquaces que lui. Lorsqu’on leur avait annoncé qu’ils pourraient venir, Dieter et Klaus avaient manifesté une résolution calme et froide. Apprêtant leurs armes en attendant le lendemain, ils se mêlèrent que peu aux autres occupants du Fort de Sang. Gerulf avait hoché la tête avec le même regard profond qu’il prenait habituellement. Mais pour eux, qui le connaissaient bien, son trouble était manifeste. Il passa le reste de la journée seul, tirant frénétiquement à l’arc sur une cible en paille, sans accorder le moindre regard à qui que ce soit.
Leur ‘escorte’, sire Guy, ne paraissait que moyennement content d’être là, semblant prendre comme une sanction le fait de ne pouvoir participer à la première vague d’assaut. Que diantre ! On le robait de la possibilité de remplir son premier devoir. Mais à un moment, il finit par se dire que ce n’était nullement la faute de ces jeunes-gens, à qui il devait faire figure d’un homme fort taciturne. C’est donc en prenant un air détaché qu’il tenta d’ouvrir la conversation.
« Comme vous pouvez le voir, nous nous déplaçons relativement vite. Je pense que nous devrions atteindre votre ancien campement d’ici demain après-midi.
Devant l’absence de réaction des cinq autres, il prit un ton plus sérieux.
- Je suis navré, je me conduis en parfait imbécile. Tout d’abord je fais montre à votre égard d’une absence totale de courtoisie en ne vous adressant pas la parole, et puis lorsque je déclois le bec c’est pour vous ramentevoir de forts sombres souvenirs. Je vous prie d’accepter mes excuses.
Ce disant, il baissa légèrement la tête, ce à quoi aucun d’entre eux ne s’était attendu. Un nouveau silence s’établit, dans une ambiance quelque peu gênée. Voyant qu’encore une fois Reiner ne disait rien, Wilhelm décida de prendre l’initiative.
- Major, puis-je parler au sire Du Fort aux Roses ?
Son officier lui adressa un regard tout aussi vide qu’à l’accoutumée, et Wilhelm se doutait qu’il n’avait pas compris la raillerie. Du reste, la réponse de Reiner fut prompte à arriver.
- Permission accordée Kruger.
Wilhelm tourna alors la tête vers le chevalier.
- Messire, nous ne vous tenons aucune rigueur de votre comportement. Et nous n’avons-nous, nous-même, pas ouvert la bouche depuis ce matin.
- Merci, répondit Guy, mais je ne mérite point votre mansuétude.
Il reprit après un instant de réflexion.
- Votre nom est Kruger, c’est bien cela ?
- Wilhelm Kruger, en effet. Pour vous servir.
- Si j’osais formuler un conseil, monsieur Kruger, continua Guy avec le même ton, ce serait de donner tout ce que vous avez lors de la bataille à venir. Le grand-maître n’en montre rien, mais il a trouvé votre parcours, à tous les cinq, très impressionnant. Et si d’aventure un avenir dans notre ordre présente quelque intérêt à vos yeux, faites-vous remarquer en bien auprès de lui, ou des deux Kasztellans.
Wilhelm fut interloqué par cette annonce. Il n’avait pas encore réfléchi à ce point aux détails de son avenir, mais il était vrai qu’il avait pensé plusieurs fois à l’ordo draconis.
- Vous dites vrai ? Demanda Dieter, sortant lui aussi de son silence.
- Je ne saurais l’affirmer avec certitude, mais j’en suis presque convaincu. Du reste, l’ordre est toujours à la recherche de jeunes gens prêts à passer leur vie dans ces montagnes pour en surveiller chaque centimètre carré.
Ces derniers mots furent prononcés avec une pointe d’ironie, qui n’échappa pas à Wilhelm. Se joignant à la conversation, Klaus demanda :
- Puis-je vous poser une question messire ?
- Allez-y, bien que j’en devine la teneur.
Le large pistolier sembla hésiter, puis reprit.
- J’ai bien compris que vous êtes Bretonnien. Pourtant vous êtes un chevalier de cet ordre vous aussi, à voir votre armure.
De fait, si l’armure du chevalier était effectivement la même que celle des autres chevaliers, son épée et son heaume étaient de facture typiquement bretonnienne (et donc excellente). Sur son bouclier était toujours présent le blason de sa maison, de sable à la tour d’argent, accompagné de trois roses de gueules. Ces mêmes armoiries étaient tracées sur le caparaçon de son cheval, qui était plus grand et plus élancé que ceux des autres cavaliers. Cette race particulière, descendant en partie des coursiers elfiques, était spécifiquement élevée en Bretonnie, et l’une des meilleures du monde.
- Venez-en au fait, sourit Guy.
- Qu’est-ce qui vous a poussé à venir ici ? Je croyais que tous les chevaliers de Bretonnie étaient soit au service du royaume, soit à la recherche du...euh, du…, de la coupe qui…
- Du graal ? Suggéra le bretonnien.
- Oui voilà, du graal ! Mais vous, vous n’êtes ni l’un, ni l’autre. Vous servez l’empire. Je voulais vous demander pourquoi.
Une ombre fugace passa sur le visage du chevalier blond, qui répondit d’un ton grave.
- Je crains de ne pas pouvoir vous fournir une réponse claire. C’est une longue histoire, qui m’est très personnelle. Mais sachez qu’à un moment de ma vie je me suis éloigné de mon pays. C’est en errant dans les montagnes que je suis tombé sur des éclaireurs de l’ordre. Le grand-maître a eu la bonté de me faire entrer dans l’ordo draconis, et depuis ce temps je le sers du mieux que je peux.
Il n’en dit pas plus sur la chose, et fut prompt à changer de sujet.
- Monsieur Kruger, je dois vous dire, si vous me permettez, que vous avez largement remonté dans mon estime à la suite de votre intervention, lors de la réunion d’hier. Mais le grand-maître Von Alte Brücke n’aime pas particulièrement qu’on discute ses ordres. Si vous portez votre candidature à entrer dans l’ordo, je pense qu’il serait bon que vous réserviez ce genre de choses à des moments où il n’est pas là. »
Il avait repris son ton légèrement ironique lorsqu’il donna ce conseil, et l’agrémenta d’un sourire à l’intéressé. Au cours des heures qui suivirent, ils conversèrent gaiment avec le chevalier bretonnien, apprenant à découvrir sa personnalité atypique. Il semblait avoir un caractère d’ordinaire jovial, aimant parler et le faisant bien. Cependant, il lui arrivait quelquefois de se fermer, ne disant plus rien pendant de longues minutes tout en arborant une expression contrite à la limite de la mélancolie. Mais le reste du temps, c’était un joyeux compagnon. D’autres chevaliers se joignirent à eux, révélant que « Rosiers » était fort apprécié dans l’ordre. Son accent natal était gentiment moqué, tout comme le fait que son cheval porte les armes de sa maison. « Nous au moins, nos chevaux ne se baladent pas en robe de soirée » avait lancé l’un d’entre eux. Guy lui répondit qu’au moins, son cadavre n’en serait que plus facilement identifiable, ce qui fit rire tout le monde.
Wilhelm se joignit à la conversation avec entrain. Il était ravi d’être ici, mêlé à de preux chevaliers, sur le chemin d’une bataille. Et quelle bataille. Mais quelquefois, au détour d’une phrase ou d’un bon mot, l’embuscade lui revenait en tête. Dans ces moments-là il ne prononçait plus un mot, revoyant alors ses camarades mourir, les hommes-rats se jetant sur eux. Il revoyait l’instructeur Stillmann, l’arme à la main, qui leur enjoignait de fuir, lui-même gagnant du temps. Wilhelm comprit alors que, quel qu’il soit, le passé de Guy devait contenir des horreurs, qui revenaient parfois le hanter, comme lui-même était hanté par les siennes. Il en conçut de la compassion pour ce chevalier bretonnien, et comprit quel genre de raisons l’avaient poussé à refuser de parler de son passé.
Ils campèrent la nuit à la lisière de la forêt, en prenant maintes précautions. Les sentinelles étaient équipées de torches, et se déployèrent de façon à ce qu’aucune ne soit seule. Le reste des hommes devait toujours être sur le qui-vive, et le sommeil fut organisé par rondes. La tension était à son comble, chacun suspectant chaque bruit, surveillant chaque ombre. Les conversations joyeuses s’étaient tues avec la journée, et c’est une ambiance inquiète qui pesait sur le camp.
De leur côté, sur les cinq pistolkorps, quatre se sentaient fort mal. Ils ne pouvaient s’empêcher de revoir dans cette situation celle où ils étaient trois jours auparavant. Trois jours, se dit Wilhelm, et toute une vie. Il avait la nausée rien qu’en regardant un feu de camp, et il pouvait voir à la tête de Klaus et Dieter qu’eux même n’allaient guère mieux. Ils s’étaient forcés à manger leurs rations, sachant qu’ils allaient devoir prendre des forces, mais Wilhelm se retenait à grand-peine de tout rendre dans l’heure qui suivit. Ils ne parlèrent que peu, s’échangeant des mots sans saveurs. Lorsqu’il s’allongea, tâchant de s’endormir, Wilhelm tenta vainement de repousser les images qui lui vinrent en tête. Et lorsqu’enfin le sommeil le prit, ses rêves furent emplis d’animaux à fourrure et de hurlements dans les ténèbres.
Il s’éveilla le lendemain en sursaut, réalisant qu’il y avait du mouvement autour de lui. Sa première réaction fut de dégainer précipitamment son arme. À ce moment quelqu’un le saisit par les épaules. Paniqué, il attrapa son agresseur en criant, et s’apprêta à lui écraser son poing sur le visage quand il vit devant lui le visage volontaire de messire Guy, arborant pour l’heure une expression étonnée. Celui-ci bloqua l’attaque du jeune homme alors que ce dernier reprenait ses esprits. « Holà, monsieur, calmez-vous, de grâce. Ce n’est que moi. Personne ne vous attaque ».
Un regard autour de lui acheva de sortir Wilhelm de son état second. Le campement était en effervescence, l’armée s’apprêtant à se remettre en marche. Il avait paniqué. Inutilement, et fort sottement, et avait failli blesser quelqu’un. Se tournant vers Guy, il se confondit en excuses, et affirma que cela ne se reproduirait plus. Le chevalier blond lui sourit, et répondit que c’était déjà oublié et qu’il ne pouvait ignorer quelles raisons l’avaient mené à réagir ainsi. Puis Reiner intervint, et signala à Wilhelm de ranger ses affaires au plus vite et de se remettre en selle. Ses camarades étaient déjà éveillés, et il s’empressa d’obéir à l’injonction du major. Gerulf était déjà à cheval, observant la forêt d’un air déterminé. Je ne sais pas ce qu’il pense, se dit alors Wilhelm en mordant dans un quignon de pain, mais cela ne doit pas être joyeux.
L’armée impériale se remit en marche, et entra dans la forêt à pas mesurés, car la progression s’y révéla plus lente. La faute, principalement, à l’état de la ‘route’ qu’ils empruntaient, car ses multiples nids-de-poule et ornières rendirent difficile l’avancée des chariots. Mais Wilhelm se consola en se disant qu’au moins elle permettait d’éviter la touffeur des bois que lui-même avait traversés la veille.
L’arrivée du jour avait chassé la morosité ambiante, et les langues se délièrent quelque peu. Les pistolkorps échangèrent à nouveau quelques mots entre eux et avec certains chevaliers, constatant gaiement que le soleil brillait fort et que, connaissant maintenant la faiblesse à la lumière de leurs cibles, ils n’allaient probablement pas se faire attaquer de sitôt. Reiner fit remarquer qu’en revanche, une attaque la nuit était très probable, ce qui déclencha chez les chevaliers un déluge de fanfaronnades sur la façon dont ils allaient « leur montrer ce que valent les hommes de l’empire lorsqu’on ne les attaquait pas comme des lâches ». Klaus se mêla à ce discours, et finit par entonner une chanson venue de chez lui, dans le Reikland, un air guerrier nommé « Les vaillants compagnons », qui fut bientôt repris par toute la colonne. Wilhelm, qui ne le connaissait pas, finit par entonner le refrain en chœur avec les autres :
Quelques heures plus tard, alors que l’atmosphère générale de l’armée en marche avait tiré sur la bonne humeur, l’arrivée en milieu d’après-midi sur le site de l’embuscade des hommes-rats fit l’effet d’un vent glacé.
On ne pouvait pas s’y tromper, les dégâts étant considérables. Les éclaireurs, menés par le Kasztellan Erwin Linde Von Hündrodburg – qui avait pour l’heure délaissé l’armure au profit d’une tenue plus adaptée – avaient repéré l’endroit en amont, et avaient guidé le reste de l’armée vers la grande clairière. Emergeant du sentier boisé, Wilhelm écarquilla les yeux, ses poings se serrant sur les rênes de son cheval. La scène de dévastation qui se trouvait devant lui semblait presque irréelle. Les tentes étaient ravagées, éventrées, calcinées. Les cadres de bois étaient brisés, leurs morceaux pendant misérablement ou jonchant le sol. Tout semblait avoir été brûlé, mais sans aucun soin. Et, couronnant le tout, l’endroit était empli d’ossements. Crânes, tibias, cages thoraciques, éparpillés aux quatre coins de l’ancien campement. Étonnement, ces os étaient d’une propreté incroyable, alors que leurs anciens propriétaires étaient vraisemblablement morts trois jours avant. Et ils n’étaient pas tous humains. Gerulf descendit à un moment de cheval et se saisit d’un objet par terre qu’il montra aux autres : c’était un crâne, mais de forme particulière, ressemblant beaucoup à ceux des hommes-rats. « Ils ne finissent donc pas tous en liquide noir » remarqua Reiner, qui regardait tout cela d’un air imperturbable. En ce moment précis Wilhelm réfrénait à grand peine une envie de le frapper.
Une légère agitation se constitua soudain autour du grand-maître, qui recevait à ce moment-là les derniers rapports des éclaireurs. Ceux-ci avaient facilement repéré de nombreuses traces qui s’éloignaient de la clairière, et la majorité d’entre elles étaient allées dans la même direction. En les suivant, ils étaient arrivés devant plusieurs grottes, dans lesquelles les assaillants, et leurs possibles captifs, s’étaient clairement réfugiés. Mein herr Bastian tenait un conseil avec ses officiers, afin de décider de la marche à suivre. Les capitaines de l’armée régulière étaient clairement contre l’idée d’une attaque immédiate.
« Les hommes sont fatigués, nous avons marché toute la journée, grognait l’un d’entre eux, Max Hartmann. Si on lance l’assaut maintenant, ils ne seront pas au mieux de leur forme.
- Ils risquent de ne plus l’être du tout après une nuit ici, rétorqua Von Hündrodburg, manifestement irrité. Si on se fait attaquer ici cette nuit, nous gâcherons toutes nos chances.
- Pourquoi ? Vous pensez que vos éclaireurs ne seront pas à la hauteur ?
La réplique d’Hartmann était cinglante, et piqua le Kasztellan au vif.
- Au moins mes hommes ne se plaignent pas, eux. Vos troupes peuvent-elles vraiment se targuer d’être constituées de soldats, si un peu de route les éreinte ?
Sa voix, habituellement douce, était ici presque un murmure, mais son ton était bien plus froid.
- Ça suffit ! S’écria le grand-maître, exaspéré. Les hommes sont fatigués, c’est un fait, mais nous sommes certainement surveillés, et maintenant que nous sommes arrivés, nous ne pouvons plus reculer.
Hartmann leva les yeux au ciel, comprenant que la décision de Von Alte Brücke était prise. Ce dernier reprit en haussant la voix pour être mieux entendu.
- Que chacun soit équipé d’une torche. Nous allons nous rendre dans ces souterrains, et avec l’aide de Sigmar nous vengerons nos frères tombés ici. Si nous attendons plus, nous perdrons l’initiative. Von Hündrodburg, vos éclaireurs seront les premiers à avancer sous terre, mais ils devront être prudents. Nous devrons également laisser les chevaux à l’extérieur.
- Mein Herr, fit la voix calme de Von Elderhoff, qui était resté silencieux jusque-là, il est probable que le port de torches soit préjudiciable pour nos hommes. Ils seront alors forcés de combattre sans bouclier, ou en le tenant mal. Il serait sans doute préférable d’avoir une torche pour trois personnes. Par contre leurs porteurs devront être protégés, car les hommes-rats ont, selon toutes probabilités, une excellente vision nocturne, et essaieraient de nous priver de source de lumière pour conserver cet avantage.
- C’est très juste. Nous ferons donc cela. Ne perdons pas plus de temps. Von Hündrodburg, menez-nous à ces cavernes, nous nous équiperons en chemin. »
L’armée fut alors réunie à nouveau, alors que les hommes s’étaient dispersés sur l’ancien champ de bataille. Wilhelm, accompagné des autres pistolkorps, se trouvait sur le site de leur ancien feu de camp. Ils avaient tenu à rechercher le corps de leurs camarades, coûte que coûte, mais n’avait rien trouvé. Ou plutôt, rien de particulier, car il n’y avait pas plus de moyens de connaître l’identité des corps ici que des autres, car il n’en restait que les os. Parler de corps était d’ailleurs prématuré, les ossements étant dispersés, disséminés un peu partout sans ordre ni logique. Guy, qui les avait suivis, gardait la bouche fermée, un air de profonde mélancolie sur le visage.
Lorsqu’on leur transmit les ordres, ils se rendirent immédiatement auprès des autres chevaliers, qui commençaient à entrer dans la forêt à la suite des officiers et des éclaireurs. Des hommes passaient, distribuant des torches qu’on sortait des chariots de logistique. Reiner en prit une, et ordonna à Klaus de faire de même. Le grand pistolier allait protester, mais le major lui rétorqua qu’ainsi sa ‘maladresse coutumière’ ne leur serait que peu préjudiciable, et qu’en plus sa taille permettait d’avoir un meilleur éclairage. Les arguments étaient bons, mais Klaus voulait être en première ligne, et ne se consolait pas. « Ne t’inquiète pas, lui fit remarquer Dieter en lui tapotant le dos, un léger sourire ironique aux lèvres. Avec ça, tu seras une cible de choix. Crois-moi, tu ne manqueras pas d’adversaire. »
Le chemin vers les grottes ne dura qu’une heure, mais déjà la forêt commençait à baigner dans les lumières du crépuscule. Une fois arrivés, l’armée se mit en place avec une efficacité qui montrait l’habitude. Les chevaliers mirent pied à terre et furent organisés en deux groupes, l’un mené par le grand-maître et l’autre par le Kasztellan Von Elderhoff, groupes qui furent ensuite disposés devant l’entrée des tunnels. Derrière venaient les troupes régulières, dont les régiments devaient entrer une fois les chevaliers passés. C’est là que Wilhelm se trouvait, accompagné de Guy, Dieter, Klaus, Gerulf et Reiner. D’un commun accord, ils s’étaient placés dans le second régiment à entrer, afin d’être le plus près possible de l’action Entre chaque groupe de troupes régulières avaient été placés une pièce d’artillerie, de façon à ce que leur mise ne place se face aussi rapidement que possible tout en défendant leur arrivée. Les écuyers s’occupèrent des chevaux, mais furent chargés de s’équiper eux aussi, dans le cas où on aurait besoin d’eux.
Bastian Von Alte Brücke était en avant de la formation, et se préparait à déclarer l’attaque d’une minute à l’autre. Il n’attendait qu’une chose avant de donner l’assaut : le retour des éclaireurs d’Erwin. Il n’enverrait pas ses hommes à l’aveuglette.
Il n’eut pas à attendre longtemps. Au bout de quelques minutes, un cri strident s’échappa d’un des tunnels, suivi d’un autre. Tous les yeux se tournèrent vers les ouvertures sombres dans la roche alors que des bruits de ferraillage retentirent dans le crépuscule naissant. Avant que quiconque ait pu réagir, Edwin Linde Von Hündrodburg sortit vivement du tunnel le plus proche, son épée à la main. Son visage blême était un masque de détermination, et ses yeux brillaient de colère. Bientôt, il fut rejoint d’une poignée d’éclaireurs, tous portants des armes couvertes d’humeurs sombres, et leurs regards renvoyaient la même émotion. De là où il était, le grand-maître pouvait clairement voir que ces hommes étaient fatigués. Il les compta rapidement. Cinq, réalisa-t-il en serrant les dents, seulement cinq ont survécu sur vingt. Erwin venait de perdre quinze hommes dans les souterrains. Connaissant son officier, Bastian devinait qu’il bouillait intérieurement. Il allait s’approcher, mais Von Hündrobburg lui fit un signe depuis l’entrée de la grotte. « Ils savent qu’on est là, hurla le Kasztellan, il faut y aller maintenant ! »
Le grand-maître hocha la tête, puis se tourna vers son armée. Devant lui se dressaient ses hommes, armes à la main, prêts à en découdre avec cette menace mystérieuse. Ils étaient capables, bien équipés. Il connaissait la plupart d’entre eux par leurs prénoms, et il se battait à leurs côtés depuis longtemps. Ce soir, encore une fois, il leur faudrait livrer bataille ensemble pour remplir leur devoir, pour garantir la justice, et pour le bien de l’Empire. Tout cela lui traversa l’esprit en une fraction de seconde. Erwin avait raison, il fallait y aller maintenant. Alors, montant sur un rocher, il s’éclaircit la voix et s’adressa à son armée.
« Messieurs, entama-t-il sa harangue de sa voix forte, nous voici à l’heure où les ténèbres prennent le pas sur la lumière. Et les ténèbres, nous allons nous y enfoncer. Profondément. Jusque dans leur cœur. Nous avons vu, il y a une heure à peine, de quoi sont capables les êtres qui n’obéissent qu’au désir profond de faire du mal. Ils ont tué nos cousins, nos amis, nos frères ! Nous avons pour devoir moral, et sacré, de leur faire payer, et de faire tomber leurs immondes têtes. Sigmar m’en est témoin, ces ténèbres nous enserreront, elles se jetteront sur nous avec avarice et sans aucune pitié. Mais elles n’auront aucune prise sur nous, car nous amenons la lumière, juste et victorieuse, qui les dispersera par le feu et le fer ! »
Bastian Von Alte Brücke termina son discours en dégainant son épée, dont la lame blanche scintillait dans la pénombre. Une grande clameur lui répondit, chaque homme de l’ost brandissant alors sa propre arme en criant. Wilhelm était presque dans un état second, levant son épée en se joignant au cri de guerre général. À cet instant précis, il ne ressentait rien d’autre qu’un intense désir d’aller porter la mort. C’était son désir depuis deux jours, qu’il refrénait constamment. Mais enfin il allait pouvoir l’assouvir.
Alors, le grand-maître se tourna, et l’armée s’élança vers le tunnel.
Le 7 est bientôt fini, et devrait suivre dans peu de temps.
Sur ce, place au texte.
Chapitre VI
L’armée était impressionnante, bien plus que celle qu’ils avaient rejoint à leur départ de Nuln. La raison principale est que cette dernière avait été majoritairement constituée de ce que l’on appelait des troupes régulières de l’empire. D’après ce que Wilhelm savait, il s’agissait de soldats professionnels, issus de la paysannerie ou de la bourgeoisie, qui s’engageaient militairement pour servir leur patrie et leur seigneur. Ce travail était à temps plein, et le soldat devait pouvoir répondre présent n’importe quand. Cette activité comportait de nombreux risques, car il n’était pas rare qu’une recrue ne passe pas sa première bataille, d’autant que certains commandants voyaient de telles troupes comme autant de chair à canon. En ajoutant à cela la rudesse du climat dans la majeure partie de l’empire, il était aisé de se rendre compte à quel point ce genre de vie pouvait-être difficile.
Et pourtant, d’après le capitaine Oppenhauer, l’armée de l’empire était très nombreuses, peut-être une des plus populeuses du monde, majoritairement grâce à ces troupes régulières. Et ce principalement parce que la paye est généralement bonne, car il est nécessaire pour les hommes de faire vivre leur famille. Ensuite, la soif de gloire peut attirer certains individus dans l’armée, car il est de notoriété publique que l’empire récompense les talents de chacun.
Ces régiments étaient tous spécifiques, ayant chacun son étendard, ses couleurs et son équipement propre. Certains étaient même devenus célèbres au fil de plusieurs batailles. Parmi les équipements habituels de ces hommes, les armes les plus répandues étaient les hallebardes, mais on trouvait aussi des régiments de lanciers, d’épéistes, d’arquebusiers ou d’arbalétriers. Leur matériel était fourni et payé par le général qui les engageait, marque de l’importance accordée à l’empire dans le maintien de ses armées. Il était à noter que parmi ces troupes régulières, il en était un type qui dérogeait à certaines règles. Un général pouvait en effet, s’il en avait les moyens, recruter des joueurs d’épées. Les hommes de ces régiments-là, composés intégralement de vétérans taciturnes et aguerris, étaient beaucoup plus cher à équiper et à engager que les autres. Mais le prix en valait la chandelle, car ces guerriers, armés d’énormes flamberges et engoncés dans des armures de plates, étaient de redoutables combattants.
Pourtant, ni la discipline des troupes régulières, ni l’habileté des joueurs d’épées n’avaient pu sauver de la défaite l’armée du capitaine Weber de l’embuscade des hommes-rats. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’armée qui quitta le Fort de Sang ce matin-là était fort différente par bien des aspects.
Tout d’abord, malgré la présence de nombreux hommes des troupes régulières, c’étaient les chevaliers qui en étaient la force de frappe. Et quelle force de frappe c’était ! Environ deux cents hommes, issus de la noblesse, formés aux armes depuis leur plus jeune âge et sélectionnés sur le volet, tous équipés d’armes et d’armures d’une excellente qualité, et s’étant pour la plupart battus de nombreuses fois ensemble. De plus, la chevalerie impériale était disciplinée, les chevaliers étant entraînés à se battre en groupe pour une meilleure efficacité, et on ne pouvait ainsi craindre que chacun n’en fasse qu’à sa tête. Montés sur d’imposants chevaux protégés eux aussi par des plaques d’armure, il était aisé d’imaginer le carnage qu’une de leur charges pouvait répandre sur le champ de bataille. Chaque chevalier avait de plus plusieurs armes, car chacun emportait plusieurs lances de cavalerie (car elles se brisent facilement au combat lors d’une charge) et son épée, qu’il utilisait une fois la mêlée engagée.
Tout cela revenait en tête à Wilhelm alors qu’il chevauchait au cœur de l’armée, et que ses regards se portaient de droite et de gauche avec un intérêt non feint. Lui-même, ainsi que ses compagnons de régiment, étaient issus de la noblesse, et étaient donc destiné à faire eux aussi partie, un jour, de la chevalerie impériale. Pourtant c’était la première fois qu’il voyait un régiment entier de chevaliers en ordre de marche, et cette vue l’impressionnait.
En tête se trouvait le Kasztellan Othmar Von Elderhoff, qui avait établi le tracé de la route à suivre. Il était également placé là pour optimiser la réaction de l’armée dans le cas d’une situation imprévue. Le grand-maître Von Alte Brücke était placé en queue de colonne, de façon à être au milieu de l’armée, pouvant ainsi observer facilement la majeure partie des troupes, et les diligenter si nécessaire. Enfin, le Kasztellan Von Hündrodburg était parti en éclaireur avec un groupe d’hommes qu’il avait spécialement formés à cette tâche. Le grand-maître ne voulait prendre aucuns risques, et avait indiqué qu’une vigilance constante était de mise.
Les chevaliers de l’ordo draconis formaient une formidable colonne rouge sombre de par la couleur de leurs armures et du caparaçon de leurs chevaux, avançant à une allure soutenue sur la route de montagne. Au milieu de cette colonne, on pouvait également apercevoir de nombreux écuyers, qui accompagnaient les chevaliers à la bataille. Chargés de s’occuper de l’équipement et du cheval de leur chevalier tutélaire, ils étaient en retour instruits aux armes. Ces écuyers n’avaient pas pour objectif de participer à la bataille, mais servaient de temps en temps de combattants de réserve. Ces combattants à cheval étaient suivis du cortège des machines de guerre, composé de plusieurs types de canons. Il y avait d’abord les grands canons, s’agissant certainement de la pièce la plus répandue, capable de faire des ravages dans les rangs ennemis de par la puissance de ses boulets. De plus, un grand canon était aussi très utile pour l’attaque de fortifications. Il y avait également des mortiers, canons trapus et larges, mais aussi plus courts, conçus pour tirer en cloche des munitions remplies de poudre qui explosaient sur l’ennemi en une myriade de shrapnels. Enfin, on trouvait quelques canons à répétition feu d’enfer, une arme des plus sinistres, constituée de neuf petits futs assemblés et mis à feu successivement. Les tirs de cette arme avaient certes une portée moins grande que ceux d’un grand canon, et tirait de plus petits projectiles, mais cela était compensé par un mitraillage constant qui semait généralement la mort dans les troupes adverses.
Mais Wilhelm était conscient du manque de fiabilité de ces armes d’artillerie, celui-ci étant leur souci majeur. Il n’était pas rare qu’une mèche se consume trop tôt, qu’un défaut provoque une mise à feu déréglée, ou n’importe quel incident plus ou moins grave. Certains n’avaient que peu de conséquences, mais d’autres pouvaient provoquer l’explosion de la machine, évènement généralement fatal à tous ceux se trouvant autour.
L’ordo draconis était l’un des rares ordres de chevalerie dont la forteresse était équipée de telles armes. Cet avantage était dû à la proximité avec Nuln, qui était le centre de production de toutes les pièces d’artillerie de l’empire, produites à la grande fonderie militaire impériale. Les chevaliers voyaient cela d’un assez mauvais œil. Pour eux, c’était une expérience peu concluante. Mais force leur était de constater qu’en plusieurs occasions cela leur avait grandement facilité la tâche. « Vous verrez », disaient certains, « dans quelques décennies on sera tous remplacés par ces machins ».
Dans le cortège armé, les chariots des machines étaient suivis par d’autres, ceux-ci contenant du matériel logistique ainsi que des provisions. Enfin, quelques régiments de troupes régulières terminaient la colonne, en en formant l’arrière-garde. Ces troupes étaient issues de celles en faction au Fort de Sang, et leur rôle habituel était justement de servir d’appui à l’ordo draconis pour sa mission de défense de la passe. C’était un engagement prestigieux, mais non sans risques, car il arrivait régulièrement qu’une armée de peaux-vertes tente de traverser les montagnes. De temps à autres, quelques brigands devaient aussi être dispersés, et il pouvait même arriver qu’un baron bretonnien se croie capable d’aller chercher gloire et fortune sur les terres de l’empire.
Au sein de cette armée, Wilhelm chevauchait avec Guy du Fort aux Roses – que ses camarades appelaient de temps en temps « Rosier » - ainsi qu’avec Reiner, Gerulf, Klaus et Dieter. Kurt avait dû décliner la possibilité de participer à l’expédition en raison de sa blessure au bras, à son grand dam. Il avait bien essayé de cacher sa douleur, mais après deux mouvements d’épaule son visage se crispait déjà, et ses camarades lui avaient interdit de quitter l’infirmerie du Fort. Les cinq pistolkorps restant et le chevalier avaient placé leurs chevaux à la queue de la colonne de cavalerie, afin d’être plus tranquilles. Les jeunes gens avaient eu l’honneur de se faire prêter des montures, moyennant un paiement futur.
Au début du trajet, tous étaient silencieux, à commencer par Wilhelm lui-même, à qui Reiner avait froidement reproché, à la sortie du conseil de guerre, d’y avoir pris la parole. « Ce n’était ni votre rôle ni votre place, Kruger » avait énoncé le major, « Je ne peux décemment vous sanctionner correctement maintenant, mais soyez assuré que le capitaine Oppenhauer en entendra parler. En attendant, vous vous occuperez d’ici demain de laver tous les vêtements de vos camarades et les vôtres. Et sans un mot. » La corvée ménagère s’était révélée pénible, et Wilhelm savait qu’en plus ce n’était qu’un préambule à une prochaine sanction, bien plus lourde.
Il était donc resté muet depuis le début de la chevauchée. Du reste, les autres n’avaient pas l’air plus loquaces que lui. Lorsqu’on leur avait annoncé qu’ils pourraient venir, Dieter et Klaus avaient manifesté une résolution calme et froide. Apprêtant leurs armes en attendant le lendemain, ils se mêlèrent que peu aux autres occupants du Fort de Sang. Gerulf avait hoché la tête avec le même regard profond qu’il prenait habituellement. Mais pour eux, qui le connaissaient bien, son trouble était manifeste. Il passa le reste de la journée seul, tirant frénétiquement à l’arc sur une cible en paille, sans accorder le moindre regard à qui que ce soit.
Leur ‘escorte’, sire Guy, ne paraissait que moyennement content d’être là, semblant prendre comme une sanction le fait de ne pouvoir participer à la première vague d’assaut. Que diantre ! On le robait de la possibilité de remplir son premier devoir. Mais à un moment, il finit par se dire que ce n’était nullement la faute de ces jeunes-gens, à qui il devait faire figure d’un homme fort taciturne. C’est donc en prenant un air détaché qu’il tenta d’ouvrir la conversation.
« Comme vous pouvez le voir, nous nous déplaçons relativement vite. Je pense que nous devrions atteindre votre ancien campement d’ici demain après-midi.
Devant l’absence de réaction des cinq autres, il prit un ton plus sérieux.
- Je suis navré, je me conduis en parfait imbécile. Tout d’abord je fais montre à votre égard d’une absence totale de courtoisie en ne vous adressant pas la parole, et puis lorsque je déclois le bec c’est pour vous ramentevoir de forts sombres souvenirs. Je vous prie d’accepter mes excuses.
Ce disant, il baissa légèrement la tête, ce à quoi aucun d’entre eux ne s’était attendu. Un nouveau silence s’établit, dans une ambiance quelque peu gênée. Voyant qu’encore une fois Reiner ne disait rien, Wilhelm décida de prendre l’initiative.
- Major, puis-je parler au sire Du Fort aux Roses ?
Son officier lui adressa un regard tout aussi vide qu’à l’accoutumée, et Wilhelm se doutait qu’il n’avait pas compris la raillerie. Du reste, la réponse de Reiner fut prompte à arriver.
- Permission accordée Kruger.
Wilhelm tourna alors la tête vers le chevalier.
- Messire, nous ne vous tenons aucune rigueur de votre comportement. Et nous n’avons-nous, nous-même, pas ouvert la bouche depuis ce matin.
- Merci, répondit Guy, mais je ne mérite point votre mansuétude.
Il reprit après un instant de réflexion.
- Votre nom est Kruger, c’est bien cela ?
- Wilhelm Kruger, en effet. Pour vous servir.
- Si j’osais formuler un conseil, monsieur Kruger, continua Guy avec le même ton, ce serait de donner tout ce que vous avez lors de la bataille à venir. Le grand-maître n’en montre rien, mais il a trouvé votre parcours, à tous les cinq, très impressionnant. Et si d’aventure un avenir dans notre ordre présente quelque intérêt à vos yeux, faites-vous remarquer en bien auprès de lui, ou des deux Kasztellans.
Wilhelm fut interloqué par cette annonce. Il n’avait pas encore réfléchi à ce point aux détails de son avenir, mais il était vrai qu’il avait pensé plusieurs fois à l’ordo draconis.
- Vous dites vrai ? Demanda Dieter, sortant lui aussi de son silence.
- Je ne saurais l’affirmer avec certitude, mais j’en suis presque convaincu. Du reste, l’ordre est toujours à la recherche de jeunes gens prêts à passer leur vie dans ces montagnes pour en surveiller chaque centimètre carré.
Ces derniers mots furent prononcés avec une pointe d’ironie, qui n’échappa pas à Wilhelm. Se joignant à la conversation, Klaus demanda :
- Puis-je vous poser une question messire ?
- Allez-y, bien que j’en devine la teneur.
Le large pistolier sembla hésiter, puis reprit.
- J’ai bien compris que vous êtes Bretonnien. Pourtant vous êtes un chevalier de cet ordre vous aussi, à voir votre armure.
De fait, si l’armure du chevalier était effectivement la même que celle des autres chevaliers, son épée et son heaume étaient de facture typiquement bretonnienne (et donc excellente). Sur son bouclier était toujours présent le blason de sa maison, de sable à la tour d’argent, accompagné de trois roses de gueules. Ces mêmes armoiries étaient tracées sur le caparaçon de son cheval, qui était plus grand et plus élancé que ceux des autres cavaliers. Cette race particulière, descendant en partie des coursiers elfiques, était spécifiquement élevée en Bretonnie, et l’une des meilleures du monde.
- Venez-en au fait, sourit Guy.
- Qu’est-ce qui vous a poussé à venir ici ? Je croyais que tous les chevaliers de Bretonnie étaient soit au service du royaume, soit à la recherche du...euh, du…, de la coupe qui…
- Du graal ? Suggéra le bretonnien.
- Oui voilà, du graal ! Mais vous, vous n’êtes ni l’un, ni l’autre. Vous servez l’empire. Je voulais vous demander pourquoi.
Une ombre fugace passa sur le visage du chevalier blond, qui répondit d’un ton grave.
- Je crains de ne pas pouvoir vous fournir une réponse claire. C’est une longue histoire, qui m’est très personnelle. Mais sachez qu’à un moment de ma vie je me suis éloigné de mon pays. C’est en errant dans les montagnes que je suis tombé sur des éclaireurs de l’ordre. Le grand-maître a eu la bonté de me faire entrer dans l’ordo draconis, et depuis ce temps je le sers du mieux que je peux.
Il n’en dit pas plus sur la chose, et fut prompt à changer de sujet.
- Monsieur Kruger, je dois vous dire, si vous me permettez, que vous avez largement remonté dans mon estime à la suite de votre intervention, lors de la réunion d’hier. Mais le grand-maître Von Alte Brücke n’aime pas particulièrement qu’on discute ses ordres. Si vous portez votre candidature à entrer dans l’ordo, je pense qu’il serait bon que vous réserviez ce genre de choses à des moments où il n’est pas là. »
Il avait repris son ton légèrement ironique lorsqu’il donna ce conseil, et l’agrémenta d’un sourire à l’intéressé. Au cours des heures qui suivirent, ils conversèrent gaiment avec le chevalier bretonnien, apprenant à découvrir sa personnalité atypique. Il semblait avoir un caractère d’ordinaire jovial, aimant parler et le faisant bien. Cependant, il lui arrivait quelquefois de se fermer, ne disant plus rien pendant de longues minutes tout en arborant une expression contrite à la limite de la mélancolie. Mais le reste du temps, c’était un joyeux compagnon. D’autres chevaliers se joignirent à eux, révélant que « Rosiers » était fort apprécié dans l’ordre. Son accent natal était gentiment moqué, tout comme le fait que son cheval porte les armes de sa maison. « Nous au moins, nos chevaux ne se baladent pas en robe de soirée » avait lancé l’un d’entre eux. Guy lui répondit qu’au moins, son cadavre n’en serait que plus facilement identifiable, ce qui fit rire tout le monde.
Wilhelm se joignit à la conversation avec entrain. Il était ravi d’être ici, mêlé à de preux chevaliers, sur le chemin d’une bataille. Et quelle bataille. Mais quelquefois, au détour d’une phrase ou d’un bon mot, l’embuscade lui revenait en tête. Dans ces moments-là il ne prononçait plus un mot, revoyant alors ses camarades mourir, les hommes-rats se jetant sur eux. Il revoyait l’instructeur Stillmann, l’arme à la main, qui leur enjoignait de fuir, lui-même gagnant du temps. Wilhelm comprit alors que, quel qu’il soit, le passé de Guy devait contenir des horreurs, qui revenaient parfois le hanter, comme lui-même était hanté par les siennes. Il en conçut de la compassion pour ce chevalier bretonnien, et comprit quel genre de raisons l’avaient poussé à refuser de parler de son passé.
Ils campèrent la nuit à la lisière de la forêt, en prenant maintes précautions. Les sentinelles étaient équipées de torches, et se déployèrent de façon à ce qu’aucune ne soit seule. Le reste des hommes devait toujours être sur le qui-vive, et le sommeil fut organisé par rondes. La tension était à son comble, chacun suspectant chaque bruit, surveillant chaque ombre. Les conversations joyeuses s’étaient tues avec la journée, et c’est une ambiance inquiète qui pesait sur le camp.
De leur côté, sur les cinq pistolkorps, quatre se sentaient fort mal. Ils ne pouvaient s’empêcher de revoir dans cette situation celle où ils étaient trois jours auparavant. Trois jours, se dit Wilhelm, et toute une vie. Il avait la nausée rien qu’en regardant un feu de camp, et il pouvait voir à la tête de Klaus et Dieter qu’eux même n’allaient guère mieux. Ils s’étaient forcés à manger leurs rations, sachant qu’ils allaient devoir prendre des forces, mais Wilhelm se retenait à grand-peine de tout rendre dans l’heure qui suivit. Ils ne parlèrent que peu, s’échangeant des mots sans saveurs. Lorsqu’il s’allongea, tâchant de s’endormir, Wilhelm tenta vainement de repousser les images qui lui vinrent en tête. Et lorsqu’enfin le sommeil le prit, ses rêves furent emplis d’animaux à fourrure et de hurlements dans les ténèbres.
Il s’éveilla le lendemain en sursaut, réalisant qu’il y avait du mouvement autour de lui. Sa première réaction fut de dégainer précipitamment son arme. À ce moment quelqu’un le saisit par les épaules. Paniqué, il attrapa son agresseur en criant, et s’apprêta à lui écraser son poing sur le visage quand il vit devant lui le visage volontaire de messire Guy, arborant pour l’heure une expression étonnée. Celui-ci bloqua l’attaque du jeune homme alors que ce dernier reprenait ses esprits. « Holà, monsieur, calmez-vous, de grâce. Ce n’est que moi. Personne ne vous attaque ».
Un regard autour de lui acheva de sortir Wilhelm de son état second. Le campement était en effervescence, l’armée s’apprêtant à se remettre en marche. Il avait paniqué. Inutilement, et fort sottement, et avait failli blesser quelqu’un. Se tournant vers Guy, il se confondit en excuses, et affirma que cela ne se reproduirait plus. Le chevalier blond lui sourit, et répondit que c’était déjà oublié et qu’il ne pouvait ignorer quelles raisons l’avaient mené à réagir ainsi. Puis Reiner intervint, et signala à Wilhelm de ranger ses affaires au plus vite et de se remettre en selle. Ses camarades étaient déjà éveillés, et il s’empressa d’obéir à l’injonction du major. Gerulf était déjà à cheval, observant la forêt d’un air déterminé. Je ne sais pas ce qu’il pense, se dit alors Wilhelm en mordant dans un quignon de pain, mais cela ne doit pas être joyeux.
L’armée impériale se remit en marche, et entra dans la forêt à pas mesurés, car la progression s’y révéla plus lente. La faute, principalement, à l’état de la ‘route’ qu’ils empruntaient, car ses multiples nids-de-poule et ornières rendirent difficile l’avancée des chariots. Mais Wilhelm se consola en se disant qu’au moins elle permettait d’éviter la touffeur des bois que lui-même avait traversés la veille.
L’arrivée du jour avait chassé la morosité ambiante, et les langues se délièrent quelque peu. Les pistolkorps échangèrent à nouveau quelques mots entre eux et avec certains chevaliers, constatant gaiement que le soleil brillait fort et que, connaissant maintenant la faiblesse à la lumière de leurs cibles, ils n’allaient probablement pas se faire attaquer de sitôt. Reiner fit remarquer qu’en revanche, une attaque la nuit était très probable, ce qui déclencha chez les chevaliers un déluge de fanfaronnades sur la façon dont ils allaient « leur montrer ce que valent les hommes de l’empire lorsqu’on ne les attaquait pas comme des lâches ». Klaus se mêla à ce discours, et finit par entonner une chanson venue de chez lui, dans le Reikland, un air guerrier nommé « Les vaillants compagnons », qui fut bientôt repris par toute la colonne. Wilhelm, qui ne le connaissait pas, finit par entonner le refrain en chœur avec les autres :
Oh vaillants compagnons, écoutez notre histoire
Dégainons nos épées, sortons la poudre noire
Frappons nos ennemis, qu’ils perdent tout espoir
Ce soir nous festoierons, ici ou chez Sigmar
Dégainons nos épées, sortons la poudre noire
Frappons nos ennemis, qu’ils perdent tout espoir
Ce soir nous festoierons, ici ou chez Sigmar
*
Quelques heures plus tard, alors que l’atmosphère générale de l’armée en marche avait tiré sur la bonne humeur, l’arrivée en milieu d’après-midi sur le site de l’embuscade des hommes-rats fit l’effet d’un vent glacé.
On ne pouvait pas s’y tromper, les dégâts étant considérables. Les éclaireurs, menés par le Kasztellan Erwin Linde Von Hündrodburg – qui avait pour l’heure délaissé l’armure au profit d’une tenue plus adaptée – avaient repéré l’endroit en amont, et avaient guidé le reste de l’armée vers la grande clairière. Emergeant du sentier boisé, Wilhelm écarquilla les yeux, ses poings se serrant sur les rênes de son cheval. La scène de dévastation qui se trouvait devant lui semblait presque irréelle. Les tentes étaient ravagées, éventrées, calcinées. Les cadres de bois étaient brisés, leurs morceaux pendant misérablement ou jonchant le sol. Tout semblait avoir été brûlé, mais sans aucun soin. Et, couronnant le tout, l’endroit était empli d’ossements. Crânes, tibias, cages thoraciques, éparpillés aux quatre coins de l’ancien campement. Étonnement, ces os étaient d’une propreté incroyable, alors que leurs anciens propriétaires étaient vraisemblablement morts trois jours avant. Et ils n’étaient pas tous humains. Gerulf descendit à un moment de cheval et se saisit d’un objet par terre qu’il montra aux autres : c’était un crâne, mais de forme particulière, ressemblant beaucoup à ceux des hommes-rats. « Ils ne finissent donc pas tous en liquide noir » remarqua Reiner, qui regardait tout cela d’un air imperturbable. En ce moment précis Wilhelm réfrénait à grand peine une envie de le frapper.
Une légère agitation se constitua soudain autour du grand-maître, qui recevait à ce moment-là les derniers rapports des éclaireurs. Ceux-ci avaient facilement repéré de nombreuses traces qui s’éloignaient de la clairière, et la majorité d’entre elles étaient allées dans la même direction. En les suivant, ils étaient arrivés devant plusieurs grottes, dans lesquelles les assaillants, et leurs possibles captifs, s’étaient clairement réfugiés. Mein herr Bastian tenait un conseil avec ses officiers, afin de décider de la marche à suivre. Les capitaines de l’armée régulière étaient clairement contre l’idée d’une attaque immédiate.
« Les hommes sont fatigués, nous avons marché toute la journée, grognait l’un d’entre eux, Max Hartmann. Si on lance l’assaut maintenant, ils ne seront pas au mieux de leur forme.
- Ils risquent de ne plus l’être du tout après une nuit ici, rétorqua Von Hündrodburg, manifestement irrité. Si on se fait attaquer ici cette nuit, nous gâcherons toutes nos chances.
- Pourquoi ? Vous pensez que vos éclaireurs ne seront pas à la hauteur ?
La réplique d’Hartmann était cinglante, et piqua le Kasztellan au vif.
- Au moins mes hommes ne se plaignent pas, eux. Vos troupes peuvent-elles vraiment se targuer d’être constituées de soldats, si un peu de route les éreinte ?
Sa voix, habituellement douce, était ici presque un murmure, mais son ton était bien plus froid.
- Ça suffit ! S’écria le grand-maître, exaspéré. Les hommes sont fatigués, c’est un fait, mais nous sommes certainement surveillés, et maintenant que nous sommes arrivés, nous ne pouvons plus reculer.
Hartmann leva les yeux au ciel, comprenant que la décision de Von Alte Brücke était prise. Ce dernier reprit en haussant la voix pour être mieux entendu.
- Que chacun soit équipé d’une torche. Nous allons nous rendre dans ces souterrains, et avec l’aide de Sigmar nous vengerons nos frères tombés ici. Si nous attendons plus, nous perdrons l’initiative. Von Hündrodburg, vos éclaireurs seront les premiers à avancer sous terre, mais ils devront être prudents. Nous devrons également laisser les chevaux à l’extérieur.
- Mein Herr, fit la voix calme de Von Elderhoff, qui était resté silencieux jusque-là, il est probable que le port de torches soit préjudiciable pour nos hommes. Ils seront alors forcés de combattre sans bouclier, ou en le tenant mal. Il serait sans doute préférable d’avoir une torche pour trois personnes. Par contre leurs porteurs devront être protégés, car les hommes-rats ont, selon toutes probabilités, une excellente vision nocturne, et essaieraient de nous priver de source de lumière pour conserver cet avantage.
- C’est très juste. Nous ferons donc cela. Ne perdons pas plus de temps. Von Hündrodburg, menez-nous à ces cavernes, nous nous équiperons en chemin. »
L’armée fut alors réunie à nouveau, alors que les hommes s’étaient dispersés sur l’ancien champ de bataille. Wilhelm, accompagné des autres pistolkorps, se trouvait sur le site de leur ancien feu de camp. Ils avaient tenu à rechercher le corps de leurs camarades, coûte que coûte, mais n’avait rien trouvé. Ou plutôt, rien de particulier, car il n’y avait pas plus de moyens de connaître l’identité des corps ici que des autres, car il n’en restait que les os. Parler de corps était d’ailleurs prématuré, les ossements étant dispersés, disséminés un peu partout sans ordre ni logique. Guy, qui les avait suivis, gardait la bouche fermée, un air de profonde mélancolie sur le visage.
Lorsqu’on leur transmit les ordres, ils se rendirent immédiatement auprès des autres chevaliers, qui commençaient à entrer dans la forêt à la suite des officiers et des éclaireurs. Des hommes passaient, distribuant des torches qu’on sortait des chariots de logistique. Reiner en prit une, et ordonna à Klaus de faire de même. Le grand pistolier allait protester, mais le major lui rétorqua qu’ainsi sa ‘maladresse coutumière’ ne leur serait que peu préjudiciable, et qu’en plus sa taille permettait d’avoir un meilleur éclairage. Les arguments étaient bons, mais Klaus voulait être en première ligne, et ne se consolait pas. « Ne t’inquiète pas, lui fit remarquer Dieter en lui tapotant le dos, un léger sourire ironique aux lèvres. Avec ça, tu seras une cible de choix. Crois-moi, tu ne manqueras pas d’adversaire. »
Le chemin vers les grottes ne dura qu’une heure, mais déjà la forêt commençait à baigner dans les lumières du crépuscule. Une fois arrivés, l’armée se mit en place avec une efficacité qui montrait l’habitude. Les chevaliers mirent pied à terre et furent organisés en deux groupes, l’un mené par le grand-maître et l’autre par le Kasztellan Von Elderhoff, groupes qui furent ensuite disposés devant l’entrée des tunnels. Derrière venaient les troupes régulières, dont les régiments devaient entrer une fois les chevaliers passés. C’est là que Wilhelm se trouvait, accompagné de Guy, Dieter, Klaus, Gerulf et Reiner. D’un commun accord, ils s’étaient placés dans le second régiment à entrer, afin d’être le plus près possible de l’action Entre chaque groupe de troupes régulières avaient été placés une pièce d’artillerie, de façon à ce que leur mise ne place se face aussi rapidement que possible tout en défendant leur arrivée. Les écuyers s’occupèrent des chevaux, mais furent chargés de s’équiper eux aussi, dans le cas où on aurait besoin d’eux.
*
Bastian Von Alte Brücke était en avant de la formation, et se préparait à déclarer l’attaque d’une minute à l’autre. Il n’attendait qu’une chose avant de donner l’assaut : le retour des éclaireurs d’Erwin. Il n’enverrait pas ses hommes à l’aveuglette.
Il n’eut pas à attendre longtemps. Au bout de quelques minutes, un cri strident s’échappa d’un des tunnels, suivi d’un autre. Tous les yeux se tournèrent vers les ouvertures sombres dans la roche alors que des bruits de ferraillage retentirent dans le crépuscule naissant. Avant que quiconque ait pu réagir, Edwin Linde Von Hündrodburg sortit vivement du tunnel le plus proche, son épée à la main. Son visage blême était un masque de détermination, et ses yeux brillaient de colère. Bientôt, il fut rejoint d’une poignée d’éclaireurs, tous portants des armes couvertes d’humeurs sombres, et leurs regards renvoyaient la même émotion. De là où il était, le grand-maître pouvait clairement voir que ces hommes étaient fatigués. Il les compta rapidement. Cinq, réalisa-t-il en serrant les dents, seulement cinq ont survécu sur vingt. Erwin venait de perdre quinze hommes dans les souterrains. Connaissant son officier, Bastian devinait qu’il bouillait intérieurement. Il allait s’approcher, mais Von Hündrobburg lui fit un signe depuis l’entrée de la grotte. « Ils savent qu’on est là, hurla le Kasztellan, il faut y aller maintenant ! »
Le grand-maître hocha la tête, puis se tourna vers son armée. Devant lui se dressaient ses hommes, armes à la main, prêts à en découdre avec cette menace mystérieuse. Ils étaient capables, bien équipés. Il connaissait la plupart d’entre eux par leurs prénoms, et il se battait à leurs côtés depuis longtemps. Ce soir, encore une fois, il leur faudrait livrer bataille ensemble pour remplir leur devoir, pour garantir la justice, et pour le bien de l’Empire. Tout cela lui traversa l’esprit en une fraction de seconde. Erwin avait raison, il fallait y aller maintenant. Alors, montant sur un rocher, il s’éclaircit la voix et s’adressa à son armée.
« Messieurs, entama-t-il sa harangue de sa voix forte, nous voici à l’heure où les ténèbres prennent le pas sur la lumière. Et les ténèbres, nous allons nous y enfoncer. Profondément. Jusque dans leur cœur. Nous avons vu, il y a une heure à peine, de quoi sont capables les êtres qui n’obéissent qu’au désir profond de faire du mal. Ils ont tué nos cousins, nos amis, nos frères ! Nous avons pour devoir moral, et sacré, de leur faire payer, et de faire tomber leurs immondes têtes. Sigmar m’en est témoin, ces ténèbres nous enserreront, elles se jetteront sur nous avec avarice et sans aucune pitié. Mais elles n’auront aucune prise sur nous, car nous amenons la lumière, juste et victorieuse, qui les dispersera par le feu et le fer ! »
*
Bastian Von Alte Brücke termina son discours en dégainant son épée, dont la lame blanche scintillait dans la pénombre. Une grande clameur lui répondit, chaque homme de l’ost brandissant alors sa propre arme en criant. Wilhelm était presque dans un état second, levant son épée en se joignant au cri de guerre général. À cet instant précis, il ne ressentait rien d’autre qu’un intense désir d’aller porter la mort. C’était son désir depuis deux jours, qu’il refrénait constamment. Mais enfin il allait pouvoir l’assouvir.
Alors, le grand-maître se tourna, et l’armée s’élança vers le tunnel.
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Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun
Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
- Hjalmar OksildenKasztellan
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Lun 19 Nov 2018 - 10:14
Connaissant les skavens et au vu du contexte du combat à venir, je vais me permettre de citer le général français Pierre Bosquet : « C'est magnifique, mais ce n'est pas la guerre. C'est de la folie. »Arcanide Valtek a écrit:Alors, le grand-maître se tourna, et l’armée s’élança vers le tunnel.
Autant les impériaux ne connaissent pas l'étendue de l'arsenal des hommes-rats et leur courage pour charger dans l'inconnu donne du baume au coeur, autant j'ai terriblement peur de ce qui va se passer là-dessous. Parce qu'on a beau rigoler, moi le premier, des skavens, mais ils peuvent aussi se montrer bien plus inquiétant que d'autres. (cela était d'ailleurs bien reflété par le reste du campement, personnellement j'aurais même poussé le vice en ne laissant pas le moindre ossement. Plus rien, un véritable camp fantôme dénué de toute trace de vie pour cacher leur passage)
En tout cas, ce fut un texte bien sympathique qui nous décrit les armées de l'empire avec un soin et des détails qui forcent le respect. Du beau boulot comme toujours !
J'en appelle donc la suite !
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Terry Pratchett
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- Les livres dans le paquetage du nordique...:
La Saga d'Oksilden :
Tome 1 : La Quête Improbable
Tome 2 : Combattre l'acier par l'acier
Tome 3 : Foi Furieuse
Je vous conseille de le télécharger, mettre l'affichage en deux pages et, si possible, activer le mode "Afficher la page de couverture en mode Deux pages" sous Adode Reader (en gros juste pour s'assurer que les pages sont bien affichées comme dans le vrai livre et non décalées)
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Sam 1 Déc 2018 - 22:29
Sans plus attendre, voici le chapitre 7, qui est la fin de la première partie.
C'est le plus long chapitre que j'ai écris à ce jour (16 pages word !).
C'est parti !
Chapitre VII
Relimus dévisagea le pitoyable coureur qui se tenait devant lui. Celui-ci n’osait même pas le regarder, étant prosterné à tel point que son museau touchait le sol. Cette minable créature, qui méritait à peine de poser les yeux sur ses pattes, venait de lui apporter une bien fâcheuse nouvelle.
« Ainssssssi, nous sssssommes attaqués ?
Tremblant comme une feuille, son méprisable interlocuteur hocha frénétiquement la tête.
- Oui-oui grand seigneur mirifiquissime béni du Rat Cornu. J’ai entendu les choses-hommes s’introduire dans les couloirs puis repartir. Et ils ont été vus près des choses-plantes à la surface. »
Relimus faisait le cents pas à un rythme effréné, sa robe grise virevoltant dans son sillage. La pièce dans laquelle ils se trouvaient lui servait à la fois de repaire, de laboratoire, de bureau et de bunker. Elle contenait ses nombreux documents top-secrets, entreposés dans de toutes aussi nombreuses étagères. La plupart étaient d’ailleurs des faux, placés de façon à dérouter d’éventuels voleurs. Plusieurs tables basses encombraient le passage, toutes étant couvertes de divers parchemins, livres ou morceaux de malepierre. Deux vermines de choc de sa garde personnelle, achetés au clan Skab au prix fort, en encadraient l’entrée.
Mais pour l’heure, le prophète gris ne voyait plus rien de tout cela, tout son esprit étant occupé au problème actuel. Cette attaque venait au pire moment. Qui pouvait bien en être responsable ? Il ne fallait pas que des choses-hommes libres sachent quoi que ce soit de son grand-œuvre, cela ne pouvait être autorisé. D’autant que de nouveaux esclaves venaient tout juste d’arriver. Tout ceci était fâcheux, très fâcheux…
Quoi qu’il en fût, il allait falloir les repousser, sans perdre de temps. Il se rassura en se disant que si les choses-hommes débarquaient dans la ville, ils se feraient massacrer, sans l’ombre d’un doute. Mais évidemment, c’était encore Skritril qui allait en récupérer tout le profit. Relimus le voyait déjà se vanter d’avoir tué personnellement les envahisseurs, avec des ‘stratégies-tactiques très abouties, oui-oui.’ Il était de plus en plus difficile à contrôler ces derniers temps, et semblait oublier à qui il devait sa place. Il allait peut-être falloir y remédier…
Relimus s’arrêta, un sourire carnassier déformant son museau allongé. Finalement, la situation était presque avantageuse, il fallait juste l’exploiter correctement. Et l’idée qu’il venait d’avoir, grâce à son incroyable génie, prouvait bien qu’il saurait y parvenir. Oh oui. Le prophète ricana, satisfait que son intelligence supérieure lui permette encore une fois de se sortir de situations compliquées. Mais il fallait d’abord s’assurer de quelque-chose.
Le skaven au poil gris tourna le dos à son lamentable congénère prosterné, et sa voix susurrante emplit de nouveau la pièce.
« Dis-moi, petit avorton, as-tu prévenu-averti qui que ce ssssssoit d’autre que moi-moi ?
L’autre déglutit, mais répondit sans attendre.
- Non-non, votre immense et grandissime éminence, je suis venu ici en premier. »
Une belle déclaration de fidélité, si elle était vraie. Relimus ne savait pas si c’était un mensonge ou non, mais il n’en avait cure. À l’heure qu’il était, Skritril était certainement déjà au courant. Quant à ce coureur, il ne pouvait prendre le risque qu’il soit un traître.
Il leva alors le bras et claqua de ses doigts griffus. On put à peine le temps d’entendre le couinement de son ex-interlocuteur au moment où celui-ci réalisa ce qui allait se passer. Une seconde plus tard, la pièce était redevenue totalement silencieuse.
Relimus se retourna, constatant que Qrekch avait déjà balancé le corps dans le vide-ordure. L’assassin fonça reprendre sa place dans les ombres, ne laissant pas une goutte de sang sur le sol. Sans lui accorder d’attention, Relimus s’élança vers l’entrée de la pièce tout en criant.
« Amenez mon palanquin, vite-vite bande d’idiots-incapables ! J’ai fort à faire. »
Wilhelm ne courait pas. Il s’agissait d’un des premiers enseignements de l’académie : « un guerrier ne cours qu’en cas d’absolue nécessité. Sur un champ de bataille, si vous devez avancer vite, forcez le pas, mais la course vous fatiguera bien trop rapidement. Ne courez qu’une fois l’engagement effectué, quand votre survie en dépendra, ou si on vous en donne l’ordre. » De toutes évidences, c’était une notion que tout le monde connaissait, car aucun des membres du régiment n’avaient agi autrement. Cependant, il y avait une sorte de tension ambiante, presque palpable.
Déjà, il fallait prendre en compte l’environnement. Ils avançaient à présent dans un tunnel bien plus large qu’on aurait pu le croire au départ. Une fois rentrés dans le souterrain, ils avaient d’abord évolué dans des galeries étroites, où ils avaient dû se mettre à trois de front. Celles-ci étaient descendues rapidement, se croisant et se recroisant en un complexe système de souterrains. La progression avait alors été lente, car la queue du régiment devait s’occuper de faire avancer un canon, ce qui pouvait poser quelques difficultés. De fait, ces tunnels ne semblaient pas avoir été creusés avec le souci du travail bien fait, les parois et le sol étant couverts d’aspérités. Et à certains endroits il y avait des cadavres récents, la plupart d’hommes-rats, mais certains étaient ceux des éclaireurs.
Presque personne n’osait parler. Quelquefois, on entendait un grommellement, ou des cris venant de devant, mais c’était tout. En réalité, chacun était aux aguets, et ils s’attendaient à être attaqués à tout moment.
Les chevaliers étaient déjà loin devant eux, s’étant avancés en premiers dans les grottes. Les jeunes pistoliers étaient en tête d’un régiment d’hallebardiers menés par le capitaine Neuthal, une montagne d’homme à la forte barbe, portant une arquebuse dans le dos et une longue épée à deux mains. Sa tête était coiffée d’un impressionnant chapeau à plume, qui rappelait à Wilhelm celui que lui et ses camarades étaient censés porter. Parmi eux, seul Reiner avait conservé le sien, les autres ayant depuis longtemps perdu le leur lors des évènements des jours précédents. Wilhelm n’en concevait aucun chagrin, mais il devait admettre que Neuthal avait un certain panache avec le sien. Guy du Fort aux Roses marchait avec eux, la main posée sur la poignée de son épée.
Ils avaient fini par atteindre sur un tunnel auquel se greffaient tous les autres. Celui-ci était bien plus large, et haut de plafond. Au-dessus d’eux, un ensemble de planches, de poutres et de cordes formaient un genre d’échafaudage. La lumière de leurs torches montraient d’autres corps, tous d’hommes-rats cette fois-ci, qui étaient marqués par de profonds sillons sanglants. Depuis, leur progression se faisait plus rapidement, et Wilhelm pouvait même entendre (et quelquefois apercevoir) le régiment d’épéiste qui les précédait.
Soudain, des cris humains retentirent devant eux. Il s’agissait du capitaine Hartmann, à la tête du régiment en question, qui beuglait des ordres à tout bout de champ. D’autres cris se firent bientôt entendre, mêlés à des bruits de combat. Ils avaient bientôt atteint le lieu de la bataille tant attendue.
Chacun dégaina ses armes. Du coin de l’œil, Wilhelm vit messire Guy abaisser la visière de son casque et tirer son épée, une lame d’une taille impressionnante dont il se saisit pourtant à une main, l’autre soutenant son écu. Reiner sortit un pistolet d’une de ses fontes, son autre main portant sa torche. Gerulf, de son côté, avait toujours son arc à la main, même si Wilhelm doutait qu’il serait aisé à utiliser dans ces conditions. Lui-même avait sorti son épée, son autre main soutenant un bouclier qu’on lui avait prêté au fort.
« En avant ! » Cria Neuthal de sa voix de stentor. Puis, empoignant son arquebuse, il s’élança tout droit, immédiatement suivi de ses hommes. Ils dépassèrent un groupe de servants qui mettaient en place leur canon, et débouchèrent sur l’une des visions les plus impressionnantes que Wilhelm n’ait jamais vues.
Devant eux, en contrebas, se dressait une ville. Du moins était-ce le premier mot qui lui vint à l’esprit. Il s’agissait d’une grande caverne, d’une taille cyclopéenne, éclairée par de nombreuses pierres lumineuses verdâtres disposées sur les parois, autour et au-dessus. Et partout on voyait d’improbables habitations, constituées d’assemblages hétéroclites de planches, de poutres, de gravats et de cordages, renforcées par des plaques métalliques grossièrement rivetées. Ces bâtiments pouvaient atteindre les dix mètres de haut, et recouvraient les parois ainsi qu’une bonne partie du sol, formant un dédale urbain d’une incroyable complexité. Il semblait y avoir des myriades de passerelles ou de passages permettant de naviguer dans cet endroit. On pouvait même voir certains bâtiments descendre comme des stalagmites, étant comme suspendus au plafond par un ensemble improbable de cordes et de poutres. Ces constructions n’étaient manifestement pas d’une grande qualité, mais aussi étrange que cela puisse paraître, l’ensemble ne s’effondrait pas. Plusieurs immenses protubérances mécaniques semblaient émerger à plusieurs endroits, semblant être des machines diaboliques à la fonction obscure. Au centre de cette ‘ville’ se dressait un édifice plus grand, dominant tous les autres par sa hauteur. Il était cependant manifestement encore en construction. Wilhelm n’essaya pas de déterminer combien d’hommes-rats pouvaient vivre ici, mais cela représentait au moins plusieurs dizaine de milliers.
Son régiment arrivait par une entrée située au-dessus, le chemin menant vers les habitations continuant en pente douce. Et c’est à cet endroit que la mêlée avait commencé.
Les chevaliers étaient visibles dans la lumière diffusée par les pierres lumineuses et par leurs torches. Ils se battaient à l’entrée la zone urbaine, au milieu des chemins de terre et des planches pourries. Maniant leurs armes avec une efficacité remarquable, ils faisaient pleuvoir la mort sur leurs assaillants. Ceux-ci étaient pourtant extrêmement nombreux, arrivant par dizaines des rues, des fenêtres et des toits. Ils se jetaient littéralement sur les humains, qui les repoussaient avec de grands moulinets. La situation semblait tenable, car les hommes de Von Alte Brücke avaient adopté une formation particulière. En effet, ils étaient répartis sur trois rangs, en laissant deux mètres entre chaque chevalier, les porteurs de torches étant derrière. Ainsi, ceux-ci étaient défendus tout en fournissant leur lumière. Le grand-maître lui-même était parfaitement visible, son épée rayonnant comme un fanal au milieu de la mêlée. Aucun homme-rat n’avait percé ce périmètre défensif, mais ce n’était pas faute d’essayer. Toutefois, les chevaliers n’essayaient pas non-plus d’avancer, préférant rester en vue les uns des autres. De là où il était, Wilhelm ne voyait pas si des chevaliers étaient tombés, mais le manque de lumière pouvait très bien lui cacher quelques corps, aussi n’eut-il pas trop d’espoir.
Alors qu’il s’approchait, il commençait à voir que ces fameux assaillants étaient légèrement différents de ceux qu’il avait rencontrés. De fait, ceux-ci étaient plus maigres, et visiblement beaucoup moins bien équipés. Aucune armure ne semblait les protéger, ils se contentaient de pagnes et de vagues tuniques, brandissant des armes d’une qualité médiocre. Quelque-chose clochait. Ce n’étaient pas là des créatures du même acabit que celles qu’il avait affronté.
Le régiment devant eux, mené par le capitaine Hartmann, avait fini par atteindre la ligne de front sur le flanc gauche. Wilhelm vit alors avec quelle efficacité toute la formation se modifia rapidement de ce côté. Le front s’élargit, permettant aux épéistes de se glisser entre les chevaliers pour se mêler à eux. Les soldats des troupes régulières se placèrent au second rang, permettant à l’armée humaine de gagner plus de place sans pour autant perdre son unité. Son propre régiment fit de même sur le flanc droit.
Wilhelm ne savait comment agir, car manifestement il s’agissait d’une manœuvre depuis longtemps rodée parmi ces hommes, alors que lui participait à sa première bataille avec eux. Mais Reiner semblait avoir rapidement compris le mécanisme, car il donna une série d’instructions brèves à ses quatre subalternes. Wilhelm se retrouva ainsi en seconde ligne, au milieu des chevaliers et des soldats qui faisaient tournoyer leurs armes en un ballet mortel. En une fraction de seconde, des hommes-rats se jetaient déjà à l’assaut de leurs lignes, brandissant leurs armes rudimentaires en poussant des cris inhumains. Les épées s’abattaient, les corps s’amoncelaient, les coups de feu retentissaient. Il comprit qu’il était désormais là où il voulait être : au cœur de la bataille.
Au premier homme-rat qui se rua sur lui, il réagit instinctivement, et faucha l’air de sa lame. La créature ne sembla pas anticiper le coup, qui lui arracha presque la tête tout en l’envoyant au sol. Un deuxième suivit, dont il bloqua le coup de son bouclier avait de lui trancher le bras. Au troisième, il réserva le même sort que le premier, son cadavre rejoignant ceux qui maculaient déjà le sol. Près de lui, il vit que Gerulf avait rangé son arc et saisit épée et bouclier, tout comme lui. L’Ostlander était meilleur tireur que combattant, mais il faisait stoïquement face, et abattait méthodiquement ses adversaires lui aussi. Devant eux, Guy était bien plus impressionnant, sa large épée causant des ravages parmi les hommes-rats, qui continuaient à déferler en masse.
Cependant, la sensation de contentement que ressentait Wilhelm se dissipa rapidement. Ce n’était pas normal, tout cela était trop facile. Ces adversaires semblaient faméliques, éreintés, et ne faisaient presque rien pour bloquer ou esquiver ses coups En comparaison, ceux qu’il avait affrontés auparavant étaient de bien meilleurs combattants, plus rapides et vicieux.
« Major, quelque-chose ne va pas ! Cria-t-il à Reiner sans se retourner, tentant de couvrir le bruit ambiant de tintement d’armes et de cris. Ils ne sont pas des combattants !
La réponse de son supérieur fusa
- Je m’en suis aperçu Kruger. Messieurs, économisez vos forces, ce n’est sûrement qu’une ruse pour nous fatiguer avant de nous envoyer de meilleures troupes. »
Cette pensée glaça le peu d’enthousiasme qui lui restait. S’ils laissaient à leurs adversaires le temps de se regrouper, la bataille pourrait tourner très mal.
Soudain, un hurlement à sa gauche vint confirmer ses craintes. Tournant le regard, il fut un instant ébloui par une intense lumière verdâtre qui se répandait sur leur flanc. Les cris se multiplièrent, et de nombreux soldats ou chevaliers se mirent à courir à toutes jambes dans la direction opposée. Derrière eux, Wilhelm aperçut ce qui les avait fait fuir, ses yeux s’écarquillant d’horreur et d’incrédulité.
Plusieurs groupes d’hommes-rats s’avançaient, manipulant des machines à l’apparence étrange, constituées d’un large assemblage de bonbonnes et de conduites. De chaque machine sortait un tuyau, porté par une de ces créatures, et dont sortait alors des torrents de flammes vertes. Il y avait une quinzaine de ces machines, chacune manœuvrée par trois ou quatre hommes-rats, et à leurs pieds se trouvaient déjà de nombreux corps carbonisés.
« REPLIEZ-VOUS ! » La voix du grand-maître retentit à travers le tumulte, et Wilhelm le vit, au milieu de la mêlée, diriger ses troupes en fuite vers dans les ruelles sombres et étroites de la ‘cité’. Aussitôt, Wilhelm se mêla au mouvement, essayant de rester au plus près de ses camarades alors que les flammes ravageaient leurs troupes, mais du fait de l’obscurité et du chaos ambiant était en réalité impossible de se repérer facilement. Les soldats et chevaliers se pressèrent, certains enfonçant les portes des bâtiments pour s’y réfugier et se reprendre. D’autres au contraire avancèrent le plus vite possible pour permettre à leurs camarades restés derrière de ne pas être bloqués.
Cette fuite à travers les ruelles dura quelques dizaines de secondes, pendant lesquelles il perdit de vue ses camarades tant il était pressé de tous les côtés. Et soudain un autre hurlement s’éleva, beaucoup plus guttural, venant cette fois de là où ils se dirigeaient, depuis les ombres. Cela ressemblait à des mots, courts et hachés, prononcés dans une langue étrange. Et aussitôt d’autres cris lui répondirent, venant de tout autour d’eux. Wilhelm leva les yeux, et vit plusieurs taches rouges se démarquer dans le noir. Des taches mouvantes.
Il sentit son sang se glacer.
« Au-dessus ! » Cria une voix. Mais c’était trop tard.
Une multitude de formes sombres déferlèrent des hauteurs, atterrissant au milieu des chevaliers et des soldats pour les attaquer immédiatement en poussant des cris rageurs. Eux-mêmes brandirent à nouveau leurs armes, se lançant immédiatement au combat contre cette nouvelle menace. Le bruit de ferraillage retentit à nouveau, mais cette-fois ci leur formation n’était plus que désordre, les empêchant de s’entraider efficacement.
Lorsque Wilhelm vit le premier homme-rat arriver devant lui, il comprit que cette fois-ci il avait affaire à un véritable combattant. La créature était très similaire à celles qu’ils avaient affrontées l’autre nuit dans la clairière, avec son armure rudimentaire et sa fine épée recourbée. Mais cette fois le jeune homme n’était nullement impressionné par la férocité et le regard empli de haine de son adversaire. Ils se jetèrent l’un sur l’autre, leurs lames se croisant plusieurs fois sans qu’un vainqueur n’émerge. Autour d’eux, tout n’était plus que bruits métalliques, vociférations, couinements et hurlements de douleur. L’homme-rat fut soudain balayé par le coup d’un chevalier qui lui arracha la tête d’un revers de l’épée. Wilhelm ne reconnut pas l’homme en question, mais son attention fut vite accaparée par deux autres hommes-rats, semblables au premier, qui surgirent des ombres. L’un d’eux fut plus rapide, et lui sauta dessus, mais Wilhelm l’accueillit d’un coup de bouclier qui le sonna, avant de bloquer la lame du deuxième avec sa propre épée. Il s’apprêta à riposter, quand un cri inhumain retentit juste derrière lui.
Instinctivement, le jeune pistolier fit un rapide pas de côté, et vit une large lame fendre l’air à l’endroit où il s’était trouvé l’instant d’avant, qui termina sa course dans le crâne d’un de ses deux adversaires. L’homme-rat qui tenait la massive lame la retira d’un coup sec, sans un regard pour le corps mutilé de son congénère, et se mit en garde, dévisageant Wilhelm d’un air féroce. Ce dernier détailla plus avant ce nouvel ennemi, et réalisa qu’il n’avait jamais fait face à une telle vision.
Cet homme-rat était plus grand et plus larges que les précédents, et surtout bien mieux équipé. Une armure faite de plaques métalliques bizarrement agencées recouvrait la plupart des parties de son corps, le reste étant protégé par un genre de variante du gambison. Un casque en métal protégeait sa tête, orné d’une sorte de crête à pointes, qui laissait cependant voir la majeure partie de son ‘visage’. Wilhelm s’aperçut que son pelage était noir. Son arme à l’aspect malsain ressemblait plus à une sorte de hallebarde, comportant une large lame garnie de dentelures et dotée d’un long manche. Contrairement à ses congénères, celui-ci ne se jeta pas instantanément sur lui en criant sauvagement, se contenant de le scruter de ses yeux rougeoyants. Wilhelm comprit instantanément qu’il avait affaire au membre d’une sorte de corps d’élite. Un rapide regard autour de lui l’informa que de semblables adversaires avaient commencé à prendre part au combat un peu partout dans les ruelles, faisant tournoyer leurs armes avec une efficacité meurtrière. De nombreux corps humains étaient déjà au sol, chevaliers comme soldats réguliers, mais les autres se battaient toujours, ce qui lui rendit courage.
Un instant plus tard, la créature attaquait, lui portant un coup de taille du côté de son bras d’épée. Wilhelm réagit au quart de tour, et bloqua la lame de sa propre arme. Mais la force de l’assaut l’envoya au sol. Aussitôt, son adversaire fut sur lui, armant un coup vertical, et le jeune homme n’eut que le temps de rouler sur lui-même pour esquiver l’attaque, avant de porter un coup de pied au museau de l’homme-rat. Celui-ci recula légèrement en couinant de douleur, et Wilhelm en profita pour se relever, le visage désormais couvert de terre sale enduite d’humeurs. Il se campa sur ses pieds et s’avança vers le guerrier-rat, le bouclier levé, prêt à recevoir un nouveau coup. Dans le regard que lui lança la créature, dont le visage portait à présent les stigmates de son coup de botte, il ne lut que la haine. Elle lui porta un coup d’estoc dirigé vers son visage, mais Wilhelm s’attendait à une telle manœuvre, et plongea sous la lame, avant de planter la sienne dans l’aisselle de l’homme–rat. Ce dernier hurla et tomba en arrière, son arme lui échappant des mains.
« Tu vas creveeeeeeer ! »
Un instant plus tard, Wilhelm l’avait achevé.
Son répit fut de courte durée. Un choc violent le heurta dans le dos, le faisant tituber. Tournant le regard, il vit un chevalier, l’armure couverte de sang, qui repoussait l’arme d’un deuxième guerrier murin similaire au précédent. Ce dernier avait manifestement tenté de l’attaquer en traître, mais ce chevalier l’avait protégé en le repoussant hors de portée.
« Reprenez-vous Monsieur Kruger ! Que ces immondes bêtes ne vous fassent point perdre votre vaillance. »
Cette voix, ce ton, c’était bien messire Guy ! Wilhelm reconnut difficilement les trois roses écarlates sur le bouclier maculé que portait le chevalier, mais il ne pouvait s’agir que de lui. Aussitôt il se releva, s’interposant entre le bretonnien et deux autres créatures qui s’apprêtaient à le prendre à revers. Un moulinet de son épée trancha le bras du premier, et le deuxième prit rapidement ses distances, préférant manifestement attendre quelques renforts. Ceux-ci ne se firent pas attendre, et Wilhelm se retrouva bientôt aux prises avec trois adversaires, qui tentèrent de l’encercler. Au moment où ils lancèrent leur attaque, un cri venant de derrière lui confirma que messire Guy venait d’achever son adversaire. Leur assaut coordonné le força à rester sur la défensive tout en reculant et bloquant leurs coups en levant son bouclier. Mais en un instant, le chevalier bretonnien s’était retourné, et fit valser sa longue épée à-travers les adversaires du jeune-homme, les tuant en quelques secondes. Wilhelm en profita pour l’observer à la volée. Son armure était couverte de sang et de poussière, et semblait avoir subi de nombreux impacts, plusieurs pièces étant écornées, voir tordues. Mais il n’avait aucune blessure sérieuse apparente, au grand soulagement du jeune pistolier, qui voyait déjà une foule de cadavres humains autour de lui. Ils échangèrent un regard, et se lancèrent à nouveau dans le combat. Cette-fois, d’un accord tacite, Guy et Wilhelm ne se séparèrent plus, et firent de leur mieux pour couvrir les arrières l’un de l’autre. Ils savaient tous les deux que cela ne changerait rien à l’issue de l'affrontement, mais c’était toujours préférable à la mort immédiate.
La bataille faisait alors rage, mais les hommes-rats semblaient prendre un avantage certain. Ils se riaient des dépouilles qui encombraient les accès, et semblaient disposer de renforts infinis, chacun d’entre eux se jetant sur les humains en couinant, la gueule grande ouverte laissant voir des crocs acérées. De l’autre côté, les humains étaient en sous-nombre écrasant, et voyaient leurs effectifs diminuer sans répit. Les hommes mouraient à chaque instant, leurs hurlements d’agonie couverts par les cris des combattants qui le lâchaient pas le combat. Au milieu de tout cela, le grand-maître Von Alte Brücke hurlait des ordres tout en abattant plusieurs adversaires à chaque seconde. Mais au bout d’un moment, un autre bruit commença à recouvrir les autres. Des explosions retentirent depuis l’arrière, d'abord lointaines et éparses, puis de plus en plus proches et nombreuses, et commencèrent à se répercuter partout autour d’eux. Les hommes-rats ne semblaient pas y prêter attention, et Wilhelm mit du temps à réaliser ce dont il s’agissait. Il finit cependant par comprendre lorsqu’un boulet rempli de poudre explosa au-dessus de sa position.
L’artillerie était mise en place.
Il ne comprit pas instantanément ce que cela impliquait quant à leur sort. Mais tout d'un coup, une grande clameur retentit à l'arrière de leurs lignes, venant de là d'où les horribles armes à projectiles enflammés les avaient faits fuir. Quelques instants plus tard, plusieurs dizaines de soldats débarquèrent dans la ruelle, l'arme levée, en une charge qui prit les hommes-rats de court. Se sentant une vigueur renouvelée alors que la fatigue avait largement prit le dessus sur lui, Wilhelm se jeta dans la mêlée en mêlant son cri à celui des autres, précédé par un Guy du Fort aux roses qui semblait prit par la même ferveur. Les explosions continuaient de retentir, provoquant quelquefois l'effondrement d'un mur ou d'une passerelle. Les hommes-rats, bien qu'initialement surpris, se battirent sauvagement, mais la tournure de la bataille semblait s'être inversée. C'était à eux de subir d'innombrables adversaires désormais, et le massacre s’intensifia.
L'élan de la charge les mena profondément dans les méandres de la cité, et tout autour d'eux n'était plus que poussière et violence. Wilhelm, qui avait initialement été à la pointe de l'assaut, s'était finalement retrouvé dépassé par les chevaliers les plus fougueux, menés par le grand-maître dont l'énergie semblait inépuisable. Son épée virevoltait plus rapidement que Wilhelm ne pouvait l'apercevoir, et à chacun de ses coups un homme-rat tombait. Il en arrivait encore de partout, mais cette-fois les hommes étaient prêts, et organisés. Pratiquement aucune créature n'arriva à percer leurs défenses, et celles qui le faisaient étaient alors aussitôt taillées en pièces.
Il y eu alors un moment de silence, et soudain retentit la même voix gutturale que précédemment. Wilhelm écouta, tentant d'en déterminer la provenance, mais le son semblait provenir de partout à la fois. Lui et d'autres scrutèrent les hauteurs, sans qu’aucune paire d'yeux rouges ne soit visible.
Et puis la situation explosa de nouveau. Des hommes-rats au pelage noir, portant l'équipement des guerriers d'élite, surgirent de partout, brandissant de longues hallebardes ou des épées dentelées et des boucliers triangulaires. Le choc fut rude, et des cris retentirent à nouveau de part et d'autre. La voix gutturale poussa alors un cri de guerre, et semblait provenir de la direction du grand-maître. Wilhelm tourna alors le regard, cherchant à savoir enfin quelle créature pouvait avoir une telle voix, et ce qu'il vit lui glaça le sang.
Il s'agissait d'un homme-rat, mais immense, atteignant près des deux mètres. Son corps trapu était entièrement recouvert d'une épaisse armure de plaques d'une couleur vert sombre qui n'avait aucunement l'air de le gêner, car il se déplaçait avec la grâce d'un félin. Trois piques en métal dépassaient de son dos, et lui donnaient l'air d'être aussi dangereux devant que derrière. Sa tête, engoncée dans un casque similaire à celui de ses soldats, était aussi noire que la nuit, mais sa dentition reflétait la lumière dans un éclat blanchâtre. Il brandissait deux épées recourbées, qu'il faisait tournoyer dans un mouvement sinistre. C'était indubitablement le chef, et Herr Bastian ne s'y trompa pas. Levant son arme dans sa direction, il lui lança :
« Alors tu te montres enfin, détestable créature. Toi qui es responsable de la mort de tant des nôtres, vient donc rencontrer la justice par ma lame !
L'homme-rat ricana un instant, puis le regarda droit dans les yeux et répondit, à la grande stupéfaction de Wilhelm, dans un Reikspiel approximatif mais compréhensible :
- Choses-hommes pas futés-malignes, fonssssssser droit dans mon piège. Chose-homme blanche-brillante va mourir, et je ferais un collier-bijou de ses tripes. »
Puis, poussant un hurlement aigu, il se jeta sur le grand-maître. Entre-temps, Wilhelm avait dû reporter son attention sur des besoins plus pressants, car leur ligne menaçait de céder sous la pression des hommes-rats d’élite. Ceux-ci rivalisaient de sauvagerie, et Wilhelm se retrouva à bloquer les coups de l'un d'entre eux, plus grand et plus massif que les autres. Autour de lui le combat faisait rage, les cris des créatures se mêlant à celui des humains, le tout entrecoupé d'explosions. La créature lança sa hallebarde horizontalement, lui faisant décrire un arc de cercle qui visait la tête de Wilhelm. Celui-ci se baissa, et la lame de l'arme vint se ficher dans une poutre d'un bâtiment. Le jeune homme en profita. Fonçant en avant, il décrocha un coup de bouclier dans le visage de son adversaire. Il entendit un craquement, et l'homme-rat recula, sonné. Wilhelm porta alors son épée vers l'arrière, et d'un coup d'estoc la planta dans la tête de la créature.
Lorsque celle-ci chuta, il put voir Herr Bastian, l'épée levée, qui tenait en respect le chef homme-rat. Ce dernier était encore debout, mais se déplaçait moins aisément, et l'un de ses bras pendait le long de son corps, inutile. De son côté, le grand-maître avait l'air éreinté, plusieurs estafilades lui zébrant le visage, et un filet de sang coulait de sa bouche. Mais son regard ne cillait pas, et son épée lumineuse était pointée vers son adversaire. Tous-deux se jetèrent à nouveau l'un sur l'autre, sans cri ni parole, tout à leur concentration. Wilhelm ne vit pas distinctement l'échange de coups, mais deux secondes plus tard l'homme-rat était étalé au sol. Herr Bastian ne perdit pas un instant, et abattit de nouveau sa lame, tranchant la tête de son ennemi qu'il ramassa ensuite, pour la lever bien haut. Sa voix claire retentit à travers toute la mêlée lorsqu’il poussa un hurlement : « VICTOIRE ! ».
Ce fut alors la débandade.
Du haut de sa tour, Relimus promenait son regard sur la ville, attendant impatiemment le retour de Qrekch. Il détestait devoir se reposer sur cet assassin pour connaître l’état de la bataille contre les choses-hommes, mais de tous ses subordonnés c’était certainement le plus fiable. Et il n’allait quand-même pas y aller lui-même, on avait besoin de lui ici, pour coordonner les choses, ce que personne ne pourrait faire à sa place, aucun des incapables qui l’entouraient ne lui arrivant à la cheville. Ni même à la griffe.
Pour l’heure, il attendait. Le plan de Skritril était classique mais efficace : séparer l’armée des choses-hommes en deux, et submerger les deux moitiés par des vagues ininterrompues. Mais lui, Relimus, lui réservait une petite surprise. Il avait fait envoyer d’autres instructions à la plupart des régiments sensés prendre d’assaut les humains qui ne seraient pas rentrés dans les rues. Ces troupes devaient attendre son signal pour lancer l’attaque, signal qu’il était bien sûr le seul à connaître et à pouvoir donner. Ordre du seigneur de guerre, oui-oui. Sauf qu’en réalité, il comptait simplement attendre que Skritril meure dans sa propre vague, bloqué contre des choses-hommes sans aucun renfort. Si les sans-fourrures ne parvenaient pas à l’abattre, Qrekch était censé profiter du meilleur moment possible pour l’assassiner lui-même, en maquillant sa mort de façon à faire passer ça pour un acte de ces « horribles-détestables choses-hommes ». Personne ne le pleurerait de toutes les façons. Il n’avait qu’à ne pas lui avoir désobéi à lui, un grand prophète gris du non moins aussi grand Rat Cornu. Relimus comptait ensuite lancer la deuxième vague d’assaut, une fois la mort de Skritril confirmée, histoire d’en finir avec les choses-hommes.
Entouré par des esclaves prosternés et par ses gardes du corps, le sorcier skaven faisait frénétiquement les cents pas, tout en ricanant sur la perfection de son plan génial. Car qui d’autre que lui aurait pu tourner aussi rapidement à son avantage une invasion inopinée des sans-fourrures ? Personne, sans l’ombre d’un doute. Un cerveau comme le sien ne naissait après tout qu’une fois par siècle, et encore. Il regrettait simplement de ne pas pouvoir expliquer son plan à Skritril avant de le voir mourir, la vision de cet imbécile de parvenu comprenant qu’il s’était fait avoir aurait pourtant été source d’extrême jouissance. Mais on ne pouvait pas tout avoir. Pour le moment.
Tout d’un coup, un bruit provenant de l’entrée attira son attention. Qui osait troubler ainsi ses précieux moments de jubilation ricanante ? L’importun allait le payer. « Amenez-moi les ssssssources de ce tapage-rafut ! » lança-t-il à ses gardes. Silencieusement, deux d’entre eux sortirent, ayant depuis longtemps appris que leur maître détestait être dérangé lorsqu’il réfléchissait. Ils revinrent quelques secondes plus tard, ‘escortant’ deux skavens plus chétifs par la pointe de leurs hallebardes. Ces derniers, vêtus de vêtements légers, se jetèrent immédiatement au sol à la vue de Rélimus, chacun rivalisant en démonstration d’adoration à tel point que leur museau ne décolla pas du plancher. Le prophète leur porta un regard méprisant, avant de leur tourner le dos. Ils n’allaient quand-même pas croire que ses yeux quasi divins se poseraient sur leurs minables carcasses. Mais il avait eu le temps de voir qu’ils étaient fatigués, et leur odeur était clairement celle de la peur. Mais elle était trop intense pour être récente. Ces deux-là étaient terrorisés depuis au moins plusieurs minutes, et ils avaient couru jusqu’ici.
« Vous m’apportez des informassssions-nouvelles ? Susurra-t-il en sifflant. Je vous écoute-écoute.
Mais les deux nouveau esclaves (car telle serait à présent leur condition, s’ils restaient en vie, car on ne le perturbait pas impunément) n’émirent pas un son, se murant dans le mutisme. Cela exaspéra Relimus, qui en eut subitement assez. Se retournant brusquement, il convoqua les énergies divines au creux de sa main, et projeta un éclair verdâtre sur l’un d’entre eux. Celui-ci fut propulsé au fond de la pièce, s’écrasant en hurlant sur le mur du fond. Une seconde plus tard, son cadavre calciné tombait en braises ardentes. L’autre n’avait pas levé les yeux, mais il tremblait à présent de tous ses membres, à tel point que son museau frottait le sol en un répugnant bruit de succion.
- Parle maintenant, lui lança le prophète gris d’une voix menaçante, ou il t’arrivera la même chose-mésaventure.
Le skaven prosterné prit alors la parole avec une voix saccadée, dont les intonations tiraient encore plus sur l’aigu que chez un skaven ordinaire.
- Très glorieux-révéré et puissant grand prophète du merveilleux sssssérénissime Rat Cornu. Je suis dans l’immenssssse regret de vous dire-informer que la peur-panique gagne vos troupes.
La peur-panique ? Cela ne pouvait être permis ! Relimus fronça les sourcils, et pressa l’autre de questions.
- La peur-panique ? Où sssssa ? Qui sssssa ? Parle-répond !
- Tous sssseux qui étaient autour des choses-hommes du tunnel, oh puissant et magnifique seigneur de la ruine, bégaya le skaven en se tassant le plus possible sur le sol. Les explosions partout-partout ont causé une fuite-retraite.
Tous ceux autour des choses-hommes du tunnel ? Relimus consulta mentalement le plan de bataille, et réalisa qu’il ne lui restait plus aucun régiment dont il pourrait disposer après l’échec (certain) des troupes de Skritril. Par le rat cornu lui-même, cela ne se pouvait ! Quelqu’un lui en voulait personnellement, et avait initié cette retraite. Il était entouré par des traîtres, très certainement, à commencer par celui-là.
- Qui a ordonné la fuite-retraite ?
- Personne-personne, votre illusssstre magnificence toute-puissante, persssssonne. Ce sont les feux-explosions qui…
- Alors tu es dans le complot-cabale toi ausssssi ! »
Avant que l’autre n’ait pu répondre, le prophète gris fit un geste en direction de ce tas de poils traitreux qui osait être dans la même pièce que lui. Aussitôt, une hallebarde lui pénétra les entrailles, le tuant sur le coup. Un râle d’agonie s’échappa de sa gueule tremblante alors que ses yeux étaient écarquillés. De stupeur ou de terreur, Relimus s’en moquait bien. Il avait d’autres préoccupations, comme par exemple la fuite de la quasi-totalité de son armée. Il se mit à réfléchir à toute vitesse tout en faisant à nouveau les cent pas à un rythme saccadé qui contrastait avec l’immobilité de ses gardes. Si Skritril n’était pas mort, alors cela pouvait tourner au désastre, car le seigneur de guerre allait certainement être mis au courant. Il pourrait prétexter une trahison de la part d’un de ses subalternes, ce qui était d’ailleurs certainement le cas. Mais Skritril essaierait de le faire assassiner, c’était certain, surtout si Qrekch ratait son coup. Au prix où il était payé, il avait pourtant intérêt à réussir.
Mais si Skritril mourrait, que faire ? Il lui fallait rassembler ses forces, et les empêcher le plus possible de se disperser. Mais cela impliquait de leur faire comprendre ce qu’ils risquaient à lui désobéir. Les traîtres essaieront certainement de pousser à la fuite, ce qui les rendrait alors facile à identifier. Relimus s’arrêta soudainement, et s’adressa à ses gardes personnels sur un ton sans réplique.
« Que la moitié d’entre vous aille pourssssuivre-rattraper ces fuyards. Dites-leur de sssse tenir-regrouper derrière le grand chantier. Ceux qui voudront fuir sssssont des traîtres-menteurs qu’il faut tuer-tuer sur le champ ! »
Un léger chaos s’ensuivit alors que les vermines de choc essayaient de décider, le plus silencieusement possible, lesquels iraient et lesquels resteraient. Relimus lui se félicitait encore une fois d’avoir su réagir au mieux dans la pire des situations, alors qu’il était manifestement entouré par des traîtres et des incapables. Vraiment, le rat cornu n’aurait pas pu rêver un meilleur serviteur, et il n’arrêtait pas de le prouver. À ce rythme, le conseil lui mangerait dans la main dans quelques années.
Ses jubilations furent interrompues lorsqu’il entendit un bruit derrière lui. Se retournant immédiatement tout en préparant un sort, il s’aperçut que Qrekch était maintenant prosterné là où une seconde auparavant il n’y avait personne. Relimus grimaça, ayant depuis longtemps renoncé à savoir comment s’y prenait l’assassin, mais il n’aimait pas être pris ainsi par surprise. Il s’avança vers son subordonné, et s’adressa à lui d’une voix irritée.
« Alors, qu’est-il arrivé-arrivé à Sssskritril ?
- Il est mort-mort, siffla le skaven du clan Eshin. Le chef des choses-hommes l’a tué.
- Parfait-parfait, jubila à nouveau Relimus, ravi de voir au moins une partie de son plan fonctionner. Les choses vont ssssss’améliorer maintenant. Bientôt, les choses-hommes seront écrasés et iront rejoindre le grand-œuvre.
- J’ai d’autres informasssssions-nouvelles, votre éminenssssse. Elles sont moins bonnes.
Relimus se pencha à nouveau sur lui, quittant la bonne humeur qu’il venait de retrouver. Si Qrekch se mettait à la flatterie, alors elles devaient être vraiment mauvaises.
- Parle-parle !
L’assassin marqua un imperceptible temps d’hésitation, juste le temps de se préparer à affronter l’éventuelle colère de son maître. On ne sait jamais.
- Les choses-hommes ont libéré les esclaves. Ils ont aussi commensssssé à mettre le feu-brasier à la ville.
« On peut rentrer maintenant. »
Wilhelm ne sut jamais qui avait lancé cette simple phrase, mais à elle seule elle suffit à lui faire prendre conscience de tout ce qui s’était passé. Il n’avait cessé de vivre dans l’instant depuis qu’ils avaient émergé dans cette grotte aux dimensions cyclopéennes. Le combat, la retraite, le combat à nouveau, la charge, tout cela avait été vécu sans penser au passé ni au futur. Il s’était contenté de suivre, tout en combattant.
Une fois leur chef mort, les hommes-rats s’étaient repliés, et les retardataires furent exterminés. L’armée humaine, malgré des pertes importantes, s’était enfoncée encore plus profondément dans la ville, les hommes marchant au pas de course sans se soucier des cadavres, traquant et tuant autant de monstrueuses vermines qu’ils purent sur leur passage. Mais au bout d’un moment, ils finirent par faire une rencontre des plus inattendues : un autre être humain. Celui-ci était très mal en point, ses vêtements ressemblant plus à des haillons, et ses membres nus montraient de nombreux signes de torture et de sévices corporels qui prenaient la forme d’écorchures et de plaies encore ouvertes. Cet homme avait de toutes évidences été fouetté et battu, parfois cruellement. Ses cheveux hirsutes étaient encore courts, mais son visage était hagard, révélant un intense état de fatigue et de détresse mentale. Malgré tout, il n’était pas particulièrement maigre, sa physionomie montrant que sa carrure était plus large que celle de la plupart de ses contemporains. En dépit de tout ce qu’il avait subi, il parvenait à se tenir debout, mais sa stature était voutée, comme sous le poids d’un grand épuisement. Lorsqu’ils le rencontrèrent, il était en train de déambuler dans l’artère de la ville, sa démarche incertaine le poussant à s’appuyer régulièrement sur les murs qui l’entouraient.
Il avait été immédiatement pris en charge par plusieurs hommes, et le grand-maître s’était empressé de lui poser quelques questions. Wilhelm était au début trop loin pour les entendre, mais en s’approchant il put discerner un peu plus les traits de l’individu sous la couche de crasse qui recouvraient son visage. Il avait alors mis quelques secondes à le dévisager avant de s’écrier : « Mais c’est le capitaine Weber ! » L’instant d’après, lui-même avait été admis aux côtés de Herr Bastian pour lui certifier de l’identité de l’individu, alors qu’Erwinn Linde Von Hündrodburg tentait d’obtenir des informations cohérentes de ce dernier. Ce ne fut pas une entreprise facile, Wilhelm s’étant alors aperçu avec horreur et dégoût que le capitaine Weber avait eu la langue tranchée. Cependant, le Kasztellan finit par comprendre qu’il s’était échappé de sa prison, où lui et les autres rescapés étaient gardés comme esclaves. Profitant de la débandade momentanée des hommes-rats, le reste de l’armée du fort de sang était ensuite parvenue à rejoindre la prison contenant ces esclaves et à les libérer. Wilhelm avait été pris de nausées en découvrant leurs conditions de captivités, les cellules étant pleines d’individus enchaînés, tous plus maigres, émaciés et malades les uns que les autres. Dans les yeux de la plupart d’entre eux il ne vit que la démence, même si certains, qu’il reconnut comme étant à priori les autres survivants de l’expédition de Nuln, avaient l’air en meilleur état. Mais le pire était la puanteur, un mélange d’odeurs d’excréments, d’urine, de sueur de de viande pourrie. Manifestement, certains prisonniers étaient déjà morts, et la putréfaction de leurs corps ajoutait à l’horreur olfactive ambiante.
Les grilles avaient été enfoncées, les prisonniers libérés, et c’est alors qu’on les mettait en rangs que quelqu’un énonça innocemment « on peut rentrer maintenant ». Wilhelm réalisa à ce moment tout ce à travers quoi il était passé, tout ce qu’il avait vu depuis les dernières heures. La mort de tant de braves hommes, les horreurs de ces démons à fourrure, ces prisons à la limite de l’imaginable. Tout cela lui arriva d’un coup. Et pourtant étrangement cela ne faisait que croître son dégoût de ces ignobles hommes-rats, et sa volonté de mener cette bataille à son terme. Il raffermit sa prise sur son épée.
Quelqu’un se posta alors devant lui. Il leva les yeux et rencontra le regard de Guy à travers son heaume.
« Venez avec moi, lui commanda le chevalier. Nous avons encore à faire. Ces gens ne peuvent se débrouiller seuls. »
C’était la vérité. Les prisonniers libérés avaient pour la plupart du mal à tenir sur leurs jambes. Ceux parmi eux étaient encore à peu près valides et soutenaient les plus démunis, aidés en cela par quelques soldats alors que d’autres surveillaient nerveusement les alentours. Wilhelm estima à plusieurs centaines le nombre de personnes ainsi libérés, dont les yeux hagards semblaient ne croire qu’à moitié à ce qui leur arrivait.
Le grand-maître donna des ordres pour qu’on se replie le plus vite possible vers l’extérieur. L’objectif était rempli, du moins l’était-il au mieux de leur capacité actuelle. Le déluge d’artillerie continuait de retentir au loin, signe que leur retraite était couverte, pour le moment.
Ce fut Reiner qui eut l’idée de porter sa torche sur l’une des planches d’un bâtiment proche. Wilhelm ne sut à ce moment-là pourquoi ni lui ni les autres n’y avaient pas pensé plus tôt. Reiner avait toujours trouvé des stratégies qui montraient qu’il voyait au-delà de ce que l’on tient pour acquis, et à ce moment-là Wilhelm ressentait une grande fierté à être sous ses ordres. Le feu prit relativement vite, le major pistolkorp étant rapidement imité par les autres porteurs de torches, de sorte qu’une épaisse fumée commença à s’élever dans les airs alors que l’incendie s’initiait doucement.
Entre temps, Wilhelm s’était porté au secours d’un vieillard aux membres squelettiques. Ce dernier avait les traits tirés, les membres maigres, les cheveux longs et la barbe sale. Ses yeux fous semblaient observer tout le monde avec terreur, mais il n’opposa pas de résistance quand Wilhelm le saisit par l’épaule pour l’aider à avancer. Autour d’eux, le jeune homme vit que la plupart des soldats réguliers firent de même, mais les chevaliers restants (bien moins nombreux qu’au début réalisa-t-il) gardèrent leurs armes à la main, se tenant prêts à une attaque imminente. L’ensemble se mit en mouvement vers la sortie, avec un empressement qui trahissait la volonté de chacun de venir à bout de cette bataille le plus vite possible. Les visages des hommes, noircis par la crasse et les humeurs organiques, exprimaient un mélange de fatigue, de chagrin et de forte résolution. On ne parlait pas, ou alors seulement à voix basse. Seuls les officiers levaient le ton, et alors seulement pour intimer à l’armée d’aller plus vite. Les hommes enflammaient de plus tout ce qu’ils pouvaient sur leur passage, ce qui fit que rapidement les murs des bâtiments derrière eux se changèrent en brasier. Wilhelm se dit que cela était à double tranchant, car ainsi leurs alliés comme leurs ennemis pouvaient les localiser avec aisance.
Leur avancée ne fut pourtant pas entravée par la moindre attaque, ce qui d’une certaine façon fut tout aussi éprouvant mentalement. Chaque bruit venant d’au-delà de la ruelle sale et boueuse qu’ils parcouraient devenait suspect. Le crépitement des flammes, le tintement des armes, le cliquetis des armures, et les explosions de l’artillerie, tout cela rendait difficile l’identification d’un signe de vie extérieur. De plus, il leur fallut parcourir des allées jonchées des cadavres des combats précédents. Les corps des hommes, chevaliers comme soldats, étaient étendus dans le chaos le plus total. Membres arrachés, facies lacérée, blessures au ventre, à la tête, aux bras, tout cela se combinait pour donner à cet endroit un visage à l’horreur. Et le sang, bien sûr, le sang, qui coulait partout, qui rendait le sol poisseux et collant. Ce sang dans lequel se reflétèrent les flammes parachevait l’ambiance infernale.
Une vingtaine de minutes plus tard, Wilhelm émergea à l’endroit où le début de la bataille s’était tenu, soutenant toujours le vieillard par le bras. La vue lui aurait soulevé le cœur s’il en était encore capable. Devant lui s’étendait en effet une scène de carnage d’une autre nature. D’innombrables corps fumants recouvraient le sol, sans qu’il soit possible d’en déterminer la race. Ils étaient recouverts d’autres corps, humains et bestiaux, et ceux-ci sans traces de brûlures ou presque, avec parmi eux les porteurs des machines infernales à flammes vertes. Celles-ci étaient d’ailleurs dans un sale état, car elles paraissaient avoir violemment explosé. Cette vision lui confirma que les créatures murines avaient été prises de flanc par la seconde vague de leur armée, qui avait ensuite pu se rendre à leur secours. L’endroit portait de plus les stigmates évidents de tirs d’artillerie fournie, ce qui fit dire à Wilhelm que le combat avait été âpre. Le vieux barbu qu’il soutenait n’avait pas l’air particulièrement affecté par tout cela, étant toujours crispé sous le bras de Wilhelm et lançant des regards terrifiés autour de lui en tournant la tête de façon saccadée. Wilhelm avait dû régulièrement changer d’épaule pour le porter, la fatigue ayant déjà largement pris son dû sur lui. Mais la fin était proche, il le sentait.
La remontée de la pente vers l’entrée fut plus laborieuse qu’il ne l’avait prévu. Chaque pas, il le savait, le ramenait vers la surface, mais il fallait qu’il transporte plus que son propre poids. Au sommet, tous les canons avaient été disposés sur deux lignes, les mortiers derrière. Deux régiments d’arquebusiers étaient restés défendre l’endroit. L’agitation des hommes était fébrile, le pas de chacun devenant plus pressé, plus rapide. Le pire restait cependant le bruit assourdissant des canons, qui ne cessaient de cracher leurs projectiles en direction de la ville qui hanterait désormais ses cauchemars. Risquant un regard en arrière, il s’aperçut que l’incendie commençait à gagner du terrain. Une fumée noire s’élevait dans les airs, et commençait à recouvrir le plafond de la caverne. Wilhelm esquissa un sourire. Vous l’avez bien mérité, bande d’enfoirés !
Ce fut à ce moment-là que retentirent les cloches.
Elles semblaient venir de la cité en contrebas, résonnant sur les murs, sur les roches, comme si elles étaient partout, et furent bientôt accompagnées d’un autre bruit, que Wilhelm identifia très bien : une cacophonie de couinements. Visiblement, il n’était pas le seul à avoir compris, car aussitôt Herr Von Alte Brücke brandit son épée et hurla « ordo draconis, avec moi ! Les autres, continuez de monter !», avant de se tourner vers le contrebas, rejoint par le restant des chevaliers.
Wilhelm comprit alors qu’ils allaient faire une barrière de leur corps pour les laisser s’échapper. Non, se dit-il, je dois les rejoindre. Il esquissa un mouvement vers l’arrière, la main déjà sur la poignée de son épée, mais un bras se posa instantanément sur son épaule. Reiner. Le regard bleu acier de son supérieur se plongea dans le sien.
« Vous avez entendu les ordres comme moi Kruger. Rappelez-vous les paroles de messire Guy au sujet du grand-maître. Et vous devez aider ce pauvre homme. »
Wilhelm tourna la tête, s’apercevant que le vieillard qu’il aidait à monter semblait très mal réagir à la présence des hommes-rats. Il tremblait, tournant sa tête dans toutes les directions à une vitesse frénétique, et émettait des sons terrifiés malgré son absence de langue. Reiner avait raison, il avait une responsabilité à présent. Mais mieux valait se dépêcher. Il se mit à avancer au pas de course, le vieillard faisant alors preuve d’une énergie insoupçonnée qui lui permit momentanément de tenir l’allure de son porteur. En arrivant à la hauteur des canons, il se tourna à nouveau, embrassant la scène.
Les chevaliers se battaient en reculant contre une horde d’hommes-rats qui déferlaient en grand-nombre de toutes les entrées de la cité. Ils peinaient à tenir, malgré le feu nourri de l’artillerie, qui ne faisait malheureusement pas assez de victimes pour les empêcher d’arriver par dizaines sur leur mur de boucliers. Les fiers membres de l’ordo draconis fauchaient alors les hommes-rats les uns après les autres, mais il en arrivait toujours plus, et leur propre nombre se réduisait petit à petit. Wilhelm voyait bien que la situation était sans issue, car même s’ils atteignaient la surface à présent, ils les poursuivraient au-dehors.
C’est alors qu’il entendit le Kasztellan Von Elderhoff, qui semblait-il était resté à cet endroit depuis le début de la bataille, ordonner de sa voix claire :
« Faites cesser le feu !
Etait-il fou ? Voulait-il soudainement mourir, en emportant avec lui l’espoir de voir à nouveau le soleil ? Mais le Kasztellan n’avait pas fini.
- Réunissez la poudre restante, toute la poudre, sans exception, même celle des arquebuses. Exécution !
Il avait asséné cet ordre aux artilleurs médusés d’une voix pressée que Wilhelm ne lui avait jamais entendu. Du reste, il semblait que c’était aussi le cas des artilleurs, car ils se mirent immédiatement à l’ouvrage en tirant des mines aussi effrayées qu’étonnées. Bientôt, plusieurs barils de poudre furent réunis, pendant que les chevaliers étaient pressés à une trentaine de mètres seulement de leurs positions, et reculaient rapidement.
C’est alors que Herr Von Elderhoff s’adressa aux régiments d’arquebusiers à présent désarmés, aux écuyers et aux hommes situés dans le tunnel, parmi lesquels se trouvait Wilhelm.
- Partez, maintenant ! On vous rattrapera. »
Son ton n’admettait pas de répliques. Wilhelm tourna les talons et s’avança dans le large tunnel par lequel ils étaient entrés. L’avancée fut plus rapide, car la présence des hommes restés en arrière, et donc en meilleure forme, leur permit de s’occuper plus efficacement des prisonniers libérés. Parmi ces derniers, ceux portant l’uniforme impérial avançaient à présent pour la plupart sans aide, ce qui lui parut être la meilleure nouvelle des dernières heures. Deux hommes en meilleure forme vinrent se charger du vieillard que Wilhelm escortait, à son grand soulagement, car ses jambes n’en pouvaient plus.
Ils s’avancèrent ainsi pendant deux ou trois minutes quand un bruit de cavalcade retentit. Wilhelm se retourna, et s’aperçut que les chevaliers couraient vers eux, à toute vitesse, et talonnés par des hommes-rats en furie.
« Courez ! » Hurla le grand-maître, dont l’épée pouvait être vue à la queue du groupe. « Tout va sauter ! ».
Il n’en fallut pas plus. Comprenant soudain le plan du Kasztellan, Wilhelm se mit à fuir en ignorant ses muscles qui lui hurlaient de s’arrêter. Tout le monde courait, sans distinction, dans l’une des retraites les moins glorieuses de l’histoire de l’ordo draconis. Derrière eux, les hommes-rats s’engouffraient dans le tunnel, leurs piaillements envahissant l’air et se répercutant sur les parois de pierre. Sans l’éclairage des immenses pierres vertes de la gigantesque caverne qu’ils laissaient derrière eux, la seule lumière était celle des torches, qui dansaient au rythme des foulées de ceux qui les portaient.
Quand soudain une immense explosion retentit, venant de l’entrée de la cité des rats. L’onde de choc qui en résultat traversa la terre, la roche, et fit tomber Wilhelm en avant, le nez dans la poussière. Il se releva péniblement, se rendant compte qu’il n’avait pas été le seul à être déstabilisé, puis se remit à courir.
Il sentit cependant que la terre n’avait pas fini de trembler. Des craquements éclatèrent, d’abord derrière, puis tout autour d’eux. Le tunnel s’effondre, réalisa-t-il avec horreur, conscient de ce que cela impliquait. C’était courir ou mourir, il n’y avait pas d’alternative.
Les hommes-rats semblaient avoir compris la même chose, car leurs cris de haine et de rage s’étaient mués en couinements de panique. La perspective d’être écrasés sous des tonnes de rochers les terrifiait autant que les humains. Des gravats commençaient à tomber du plafond, et des hurlements stridents résonnèrent dans le tunnel, précédés par des bruits sourds que Wilhelm associa à la chute de grosses pierres. Autour de lui, les plus forts portaient les plus faibles dans ce qui ressemblait à un état proche de la panique, mais les hommes semblaient bien conscients que cette fuite faisait partie d’une sorte de plan. Pourtant, malgré tout cela, la plupart des prisonniers, et surtout les plus faibles ne purent atteindre la surface. Par négligence ou par lâcheté des soldats, il ne savait pas, mais il sentait qu’il ne pouvait s’arrêter un seul instant sans périr d’une mort certaine. Il ressentit une très grande honte en le réalisant, se sachant dans une situation où il ne pouvait aider personne, car essayer c’était mourir. C’était insupportable.
Leur course fut heureusement de courte durée. Au bout de quelques minutes, Wilhelm émergea à l’air libre, au même endroit que celui où ils étaient entrés au crépuscule. La nuit était désormais tombée depuis longtemps, Mannslieb et Morrslieb illuminant les arbres alentour de leur lumière pâle. Le soulagement qu’il ressentit lorsqu’il inspira sa première bouffée d’air frais fut au-delà de ce qu’il avait pu imaginer. Le cauchemar était fini, enfin. Cette ignoble ville et tous ces horribles hommes-rats, il ne voulait plus en entendre parler.
Le cri du grand-maître le ramena à la réalité.
« Tenez l’entrée ! »
L’homme était épuisé, cela s’entendait, mais Wilhelm comprit qu’il refusait de céder le moindre pouce de terrain supplémentaire. Lui et les hommes encore en état de se battre encerclèrent l’entrée, et alors que d’affreux cris d’agonie leurs parvenaient des profondeurs du tunnel, les hommes-rats les percutèrent. Wilhelm empoigna son arme, et se joignit à la mêlée confuse qui se dessinait, faisant jouer ses dernières forces. Il sentit pourtant que leurs ennemis étaient comme déboussolés, perdus. Ils ne s’étaient pas attendus à se retrouver ici, sans possibilité de retraite. Wilhelm vit de plus que seule une centaine d’entre eux émergea de la grotte. Les autres avaient dû périr dans l’effondrement, ou avaient emprunté une autre route.
Le combat fut violent, mais les hommes-rats avaient perdu toute cohésion, et chacun semblait se battre pour lui-même. Certains finirent par s’enfuir dans la nuit, mais le reste fut tué sans merci. Von Hündrodburg finit par éliminer la dernière créature, puis le silence s’abattit, figeant la scène.
La poussière retomba.
La bataille était finie.
Wilhelm se laissa choir sur le sol, lâchant son épée dont la lame était usée en de nombreux endroits. Son bouclier était presque inutilisable, et avait bloqué tant de coups que son blason était indiscernable. Il avait plusieurs blessures, ayant subi des estafilades sur presque toutes les parties de son corps, mais aucune ne semblait sérieuse. Le jeune homme se mit à trembler, la fatigue arrivant d’un seul coup. Il y avait du mouvement autour de lui, on rassemblait les hommes, les corps, les blessés, mais il voulait d’abord profiter de l’instant présent. Il était en vie, et cela il ne l’aurait pas parié dix minutes auparavant.
« Debout Kruger, au rapport !
La voix de Reiner trahissait sa fatigue à lui-aussi. Elle était toujours sans émotions, mais plus faible que d’habitude, et il reprenait son souffle tous les deux ou trois mots. Wilhelm leva les yeux, et aperçut son supérieur, ses armes rengainées, qui pressait un morceau d’étoffe sur son épaule gauche. Il eut un instant d’orgueil à l’idée d’être sorti en meilleur état que le fameux major Von Enghelhoff, mais ce sentiment le quitta aussi vite qu’il était venu. Reiner était seul, ce qui l’inquiéta.
- Oui major, répondit-il du mieux qu’il put en se mettant debout. Je suis au regret de vous dire que j’ai perdu le reste de la troupe, major.
Reiner le regarda droit dans les yeux.
- Vous êtes le dernier que je suis venu chercher, Kruger, soupira-t-il. J’ai déjà envoyé le pistolkorp Jägerwald s’occuper du pistolkorp Von Baumberg.
Gerulf et Klaus ? Ils étaient donc là ! Wilhelm jeta des regards autour de lui, scrutant chaque visage. S’ils avaient survécu, ils devaient bien être quelque part non loin. Pendant ce temps, Reiner continua, son visage montrant qu’il faisait peu cas de la souffrance que lui infligeait son épaule.
- Moi-même je dois me faire examiner. Avez-vous la moindre blessure importante ?
- Non major, je m’en suis tiré avec de simples éraflures et estafilades major.
Puis un doute le frappa, faisant disparaître son soulagement.
- Vous avez parlé de Gerulf et Klaus major, mais qu’en est-il de Dieter ?
- Il est mort, à ma grande honte, lui asséna Reiner sans que son ton n’exprime la moindre affliction. Sa haine de l’ennemi l’a amené à manquer de prudence, et je n’ai pas réussi à lui porter secours au moment où une lame a percé son cou. Vous étiez alors avec messire Guy, un…
Wilhelm n’entendit pas le reste de la phrase. Il n’y avait rien d’autre à savoir de toutes les façons. Il sentit son être se mettre de lui-même en mouvement, tout droit, sans s’arrêter, et il ne reprit ses esprits que lorsqu’une vive douleur lui vrilla le front. Il s’était cogné contre un arbre. Alors, s’appuyant contre une branche basse, il pleura toutes les larmes de son corps.
C'est le plus long chapitre que j'ai écris à ce jour (16 pages word !).
C'est parti !
Chapitre VII
Relimus dévisagea le pitoyable coureur qui se tenait devant lui. Celui-ci n’osait même pas le regarder, étant prosterné à tel point que son museau touchait le sol. Cette minable créature, qui méritait à peine de poser les yeux sur ses pattes, venait de lui apporter une bien fâcheuse nouvelle.
« Ainssssssi, nous sssssommes attaqués ?
Tremblant comme une feuille, son méprisable interlocuteur hocha frénétiquement la tête.
- Oui-oui grand seigneur mirifiquissime béni du Rat Cornu. J’ai entendu les choses-hommes s’introduire dans les couloirs puis repartir. Et ils ont été vus près des choses-plantes à la surface. »
Relimus faisait le cents pas à un rythme effréné, sa robe grise virevoltant dans son sillage. La pièce dans laquelle ils se trouvaient lui servait à la fois de repaire, de laboratoire, de bureau et de bunker. Elle contenait ses nombreux documents top-secrets, entreposés dans de toutes aussi nombreuses étagères. La plupart étaient d’ailleurs des faux, placés de façon à dérouter d’éventuels voleurs. Plusieurs tables basses encombraient le passage, toutes étant couvertes de divers parchemins, livres ou morceaux de malepierre. Deux vermines de choc de sa garde personnelle, achetés au clan Skab au prix fort, en encadraient l’entrée.
Mais pour l’heure, le prophète gris ne voyait plus rien de tout cela, tout son esprit étant occupé au problème actuel. Cette attaque venait au pire moment. Qui pouvait bien en être responsable ? Il ne fallait pas que des choses-hommes libres sachent quoi que ce soit de son grand-œuvre, cela ne pouvait être autorisé. D’autant que de nouveaux esclaves venaient tout juste d’arriver. Tout ceci était fâcheux, très fâcheux…
Quoi qu’il en fût, il allait falloir les repousser, sans perdre de temps. Il se rassura en se disant que si les choses-hommes débarquaient dans la ville, ils se feraient massacrer, sans l’ombre d’un doute. Mais évidemment, c’était encore Skritril qui allait en récupérer tout le profit. Relimus le voyait déjà se vanter d’avoir tué personnellement les envahisseurs, avec des ‘stratégies-tactiques très abouties, oui-oui.’ Il était de plus en plus difficile à contrôler ces derniers temps, et semblait oublier à qui il devait sa place. Il allait peut-être falloir y remédier…
Relimus s’arrêta, un sourire carnassier déformant son museau allongé. Finalement, la situation était presque avantageuse, il fallait juste l’exploiter correctement. Et l’idée qu’il venait d’avoir, grâce à son incroyable génie, prouvait bien qu’il saurait y parvenir. Oh oui. Le prophète ricana, satisfait que son intelligence supérieure lui permette encore une fois de se sortir de situations compliquées. Mais il fallait d’abord s’assurer de quelque-chose.
Le skaven au poil gris tourna le dos à son lamentable congénère prosterné, et sa voix susurrante emplit de nouveau la pièce.
« Dis-moi, petit avorton, as-tu prévenu-averti qui que ce ssssssoit d’autre que moi-moi ?
L’autre déglutit, mais répondit sans attendre.
- Non-non, votre immense et grandissime éminence, je suis venu ici en premier. »
Une belle déclaration de fidélité, si elle était vraie. Relimus ne savait pas si c’était un mensonge ou non, mais il n’en avait cure. À l’heure qu’il était, Skritril était certainement déjà au courant. Quant à ce coureur, il ne pouvait prendre le risque qu’il soit un traître.
Il leva alors le bras et claqua de ses doigts griffus. On put à peine le temps d’entendre le couinement de son ex-interlocuteur au moment où celui-ci réalisa ce qui allait se passer. Une seconde plus tard, la pièce était redevenue totalement silencieuse.
Relimus se retourna, constatant que Qrekch avait déjà balancé le corps dans le vide-ordure. L’assassin fonça reprendre sa place dans les ombres, ne laissant pas une goutte de sang sur le sol. Sans lui accorder d’attention, Relimus s’élança vers l’entrée de la pièce tout en criant.
« Amenez mon palanquin, vite-vite bande d’idiots-incapables ! J’ai fort à faire. »
*
Wilhelm ne courait pas. Il s’agissait d’un des premiers enseignements de l’académie : « un guerrier ne cours qu’en cas d’absolue nécessité. Sur un champ de bataille, si vous devez avancer vite, forcez le pas, mais la course vous fatiguera bien trop rapidement. Ne courez qu’une fois l’engagement effectué, quand votre survie en dépendra, ou si on vous en donne l’ordre. » De toutes évidences, c’était une notion que tout le monde connaissait, car aucun des membres du régiment n’avaient agi autrement. Cependant, il y avait une sorte de tension ambiante, presque palpable.
Déjà, il fallait prendre en compte l’environnement. Ils avançaient à présent dans un tunnel bien plus large qu’on aurait pu le croire au départ. Une fois rentrés dans le souterrain, ils avaient d’abord évolué dans des galeries étroites, où ils avaient dû se mettre à trois de front. Celles-ci étaient descendues rapidement, se croisant et se recroisant en un complexe système de souterrains. La progression avait alors été lente, car la queue du régiment devait s’occuper de faire avancer un canon, ce qui pouvait poser quelques difficultés. De fait, ces tunnels ne semblaient pas avoir été creusés avec le souci du travail bien fait, les parois et le sol étant couverts d’aspérités. Et à certains endroits il y avait des cadavres récents, la plupart d’hommes-rats, mais certains étaient ceux des éclaireurs.
Presque personne n’osait parler. Quelquefois, on entendait un grommellement, ou des cris venant de devant, mais c’était tout. En réalité, chacun était aux aguets, et ils s’attendaient à être attaqués à tout moment.
Les chevaliers étaient déjà loin devant eux, s’étant avancés en premiers dans les grottes. Les jeunes pistoliers étaient en tête d’un régiment d’hallebardiers menés par le capitaine Neuthal, une montagne d’homme à la forte barbe, portant une arquebuse dans le dos et une longue épée à deux mains. Sa tête était coiffée d’un impressionnant chapeau à plume, qui rappelait à Wilhelm celui que lui et ses camarades étaient censés porter. Parmi eux, seul Reiner avait conservé le sien, les autres ayant depuis longtemps perdu le leur lors des évènements des jours précédents. Wilhelm n’en concevait aucun chagrin, mais il devait admettre que Neuthal avait un certain panache avec le sien. Guy du Fort aux Roses marchait avec eux, la main posée sur la poignée de son épée.
Ils avaient fini par atteindre sur un tunnel auquel se greffaient tous les autres. Celui-ci était bien plus large, et haut de plafond. Au-dessus d’eux, un ensemble de planches, de poutres et de cordes formaient un genre d’échafaudage. La lumière de leurs torches montraient d’autres corps, tous d’hommes-rats cette fois-ci, qui étaient marqués par de profonds sillons sanglants. Depuis, leur progression se faisait plus rapidement, et Wilhelm pouvait même entendre (et quelquefois apercevoir) le régiment d’épéiste qui les précédait.
Soudain, des cris humains retentirent devant eux. Il s’agissait du capitaine Hartmann, à la tête du régiment en question, qui beuglait des ordres à tout bout de champ. D’autres cris se firent bientôt entendre, mêlés à des bruits de combat. Ils avaient bientôt atteint le lieu de la bataille tant attendue.
Chacun dégaina ses armes. Du coin de l’œil, Wilhelm vit messire Guy abaisser la visière de son casque et tirer son épée, une lame d’une taille impressionnante dont il se saisit pourtant à une main, l’autre soutenant son écu. Reiner sortit un pistolet d’une de ses fontes, son autre main portant sa torche. Gerulf, de son côté, avait toujours son arc à la main, même si Wilhelm doutait qu’il serait aisé à utiliser dans ces conditions. Lui-même avait sorti son épée, son autre main soutenant un bouclier qu’on lui avait prêté au fort.
« En avant ! » Cria Neuthal de sa voix de stentor. Puis, empoignant son arquebuse, il s’élança tout droit, immédiatement suivi de ses hommes. Ils dépassèrent un groupe de servants qui mettaient en place leur canon, et débouchèrent sur l’une des visions les plus impressionnantes que Wilhelm n’ait jamais vues.
Devant eux, en contrebas, se dressait une ville. Du moins était-ce le premier mot qui lui vint à l’esprit. Il s’agissait d’une grande caverne, d’une taille cyclopéenne, éclairée par de nombreuses pierres lumineuses verdâtres disposées sur les parois, autour et au-dessus. Et partout on voyait d’improbables habitations, constituées d’assemblages hétéroclites de planches, de poutres, de gravats et de cordages, renforcées par des plaques métalliques grossièrement rivetées. Ces bâtiments pouvaient atteindre les dix mètres de haut, et recouvraient les parois ainsi qu’une bonne partie du sol, formant un dédale urbain d’une incroyable complexité. Il semblait y avoir des myriades de passerelles ou de passages permettant de naviguer dans cet endroit. On pouvait même voir certains bâtiments descendre comme des stalagmites, étant comme suspendus au plafond par un ensemble improbable de cordes et de poutres. Ces constructions n’étaient manifestement pas d’une grande qualité, mais aussi étrange que cela puisse paraître, l’ensemble ne s’effondrait pas. Plusieurs immenses protubérances mécaniques semblaient émerger à plusieurs endroits, semblant être des machines diaboliques à la fonction obscure. Au centre de cette ‘ville’ se dressait un édifice plus grand, dominant tous les autres par sa hauteur. Il était cependant manifestement encore en construction. Wilhelm n’essaya pas de déterminer combien d’hommes-rats pouvaient vivre ici, mais cela représentait au moins plusieurs dizaine de milliers.
Son régiment arrivait par une entrée située au-dessus, le chemin menant vers les habitations continuant en pente douce. Et c’est à cet endroit que la mêlée avait commencé.
Les chevaliers étaient visibles dans la lumière diffusée par les pierres lumineuses et par leurs torches. Ils se battaient à l’entrée la zone urbaine, au milieu des chemins de terre et des planches pourries. Maniant leurs armes avec une efficacité remarquable, ils faisaient pleuvoir la mort sur leurs assaillants. Ceux-ci étaient pourtant extrêmement nombreux, arrivant par dizaines des rues, des fenêtres et des toits. Ils se jetaient littéralement sur les humains, qui les repoussaient avec de grands moulinets. La situation semblait tenable, car les hommes de Von Alte Brücke avaient adopté une formation particulière. En effet, ils étaient répartis sur trois rangs, en laissant deux mètres entre chaque chevalier, les porteurs de torches étant derrière. Ainsi, ceux-ci étaient défendus tout en fournissant leur lumière. Le grand-maître lui-même était parfaitement visible, son épée rayonnant comme un fanal au milieu de la mêlée. Aucun homme-rat n’avait percé ce périmètre défensif, mais ce n’était pas faute d’essayer. Toutefois, les chevaliers n’essayaient pas non-plus d’avancer, préférant rester en vue les uns des autres. De là où il était, Wilhelm ne voyait pas si des chevaliers étaient tombés, mais le manque de lumière pouvait très bien lui cacher quelques corps, aussi n’eut-il pas trop d’espoir.
Alors qu’il s’approchait, il commençait à voir que ces fameux assaillants étaient légèrement différents de ceux qu’il avait rencontrés. De fait, ceux-ci étaient plus maigres, et visiblement beaucoup moins bien équipés. Aucune armure ne semblait les protéger, ils se contentaient de pagnes et de vagues tuniques, brandissant des armes d’une qualité médiocre. Quelque-chose clochait. Ce n’étaient pas là des créatures du même acabit que celles qu’il avait affronté.
Le régiment devant eux, mené par le capitaine Hartmann, avait fini par atteindre la ligne de front sur le flanc gauche. Wilhelm vit alors avec quelle efficacité toute la formation se modifia rapidement de ce côté. Le front s’élargit, permettant aux épéistes de se glisser entre les chevaliers pour se mêler à eux. Les soldats des troupes régulières se placèrent au second rang, permettant à l’armée humaine de gagner plus de place sans pour autant perdre son unité. Son propre régiment fit de même sur le flanc droit.
Wilhelm ne savait comment agir, car manifestement il s’agissait d’une manœuvre depuis longtemps rodée parmi ces hommes, alors que lui participait à sa première bataille avec eux. Mais Reiner semblait avoir rapidement compris le mécanisme, car il donna une série d’instructions brèves à ses quatre subalternes. Wilhelm se retrouva ainsi en seconde ligne, au milieu des chevaliers et des soldats qui faisaient tournoyer leurs armes en un ballet mortel. En une fraction de seconde, des hommes-rats se jetaient déjà à l’assaut de leurs lignes, brandissant leurs armes rudimentaires en poussant des cris inhumains. Les épées s’abattaient, les corps s’amoncelaient, les coups de feu retentissaient. Il comprit qu’il était désormais là où il voulait être : au cœur de la bataille.
Au premier homme-rat qui se rua sur lui, il réagit instinctivement, et faucha l’air de sa lame. La créature ne sembla pas anticiper le coup, qui lui arracha presque la tête tout en l’envoyant au sol. Un deuxième suivit, dont il bloqua le coup de son bouclier avait de lui trancher le bras. Au troisième, il réserva le même sort que le premier, son cadavre rejoignant ceux qui maculaient déjà le sol. Près de lui, il vit que Gerulf avait rangé son arc et saisit épée et bouclier, tout comme lui. L’Ostlander était meilleur tireur que combattant, mais il faisait stoïquement face, et abattait méthodiquement ses adversaires lui aussi. Devant eux, Guy était bien plus impressionnant, sa large épée causant des ravages parmi les hommes-rats, qui continuaient à déferler en masse.
Cependant, la sensation de contentement que ressentait Wilhelm se dissipa rapidement. Ce n’était pas normal, tout cela était trop facile. Ces adversaires semblaient faméliques, éreintés, et ne faisaient presque rien pour bloquer ou esquiver ses coups En comparaison, ceux qu’il avait affrontés auparavant étaient de bien meilleurs combattants, plus rapides et vicieux.
« Major, quelque-chose ne va pas ! Cria-t-il à Reiner sans se retourner, tentant de couvrir le bruit ambiant de tintement d’armes et de cris. Ils ne sont pas des combattants !
La réponse de son supérieur fusa
- Je m’en suis aperçu Kruger. Messieurs, économisez vos forces, ce n’est sûrement qu’une ruse pour nous fatiguer avant de nous envoyer de meilleures troupes. »
Cette pensée glaça le peu d’enthousiasme qui lui restait. S’ils laissaient à leurs adversaires le temps de se regrouper, la bataille pourrait tourner très mal.
Soudain, un hurlement à sa gauche vint confirmer ses craintes. Tournant le regard, il fut un instant ébloui par une intense lumière verdâtre qui se répandait sur leur flanc. Les cris se multiplièrent, et de nombreux soldats ou chevaliers se mirent à courir à toutes jambes dans la direction opposée. Derrière eux, Wilhelm aperçut ce qui les avait fait fuir, ses yeux s’écarquillant d’horreur et d’incrédulité.
Plusieurs groupes d’hommes-rats s’avançaient, manipulant des machines à l’apparence étrange, constituées d’un large assemblage de bonbonnes et de conduites. De chaque machine sortait un tuyau, porté par une de ces créatures, et dont sortait alors des torrents de flammes vertes. Il y avait une quinzaine de ces machines, chacune manœuvrée par trois ou quatre hommes-rats, et à leurs pieds se trouvaient déjà de nombreux corps carbonisés.
« REPLIEZ-VOUS ! » La voix du grand-maître retentit à travers le tumulte, et Wilhelm le vit, au milieu de la mêlée, diriger ses troupes en fuite vers dans les ruelles sombres et étroites de la ‘cité’. Aussitôt, Wilhelm se mêla au mouvement, essayant de rester au plus près de ses camarades alors que les flammes ravageaient leurs troupes, mais du fait de l’obscurité et du chaos ambiant était en réalité impossible de se repérer facilement. Les soldats et chevaliers se pressèrent, certains enfonçant les portes des bâtiments pour s’y réfugier et se reprendre. D’autres au contraire avancèrent le plus vite possible pour permettre à leurs camarades restés derrière de ne pas être bloqués.
Cette fuite à travers les ruelles dura quelques dizaines de secondes, pendant lesquelles il perdit de vue ses camarades tant il était pressé de tous les côtés. Et soudain un autre hurlement s’éleva, beaucoup plus guttural, venant cette fois de là où ils se dirigeaient, depuis les ombres. Cela ressemblait à des mots, courts et hachés, prononcés dans une langue étrange. Et aussitôt d’autres cris lui répondirent, venant de tout autour d’eux. Wilhelm leva les yeux, et vit plusieurs taches rouges se démarquer dans le noir. Des taches mouvantes.
Il sentit son sang se glacer.
« Au-dessus ! » Cria une voix. Mais c’était trop tard.
Une multitude de formes sombres déferlèrent des hauteurs, atterrissant au milieu des chevaliers et des soldats pour les attaquer immédiatement en poussant des cris rageurs. Eux-mêmes brandirent à nouveau leurs armes, se lançant immédiatement au combat contre cette nouvelle menace. Le bruit de ferraillage retentit à nouveau, mais cette-fois ci leur formation n’était plus que désordre, les empêchant de s’entraider efficacement.
Lorsque Wilhelm vit le premier homme-rat arriver devant lui, il comprit que cette fois-ci il avait affaire à un véritable combattant. La créature était très similaire à celles qu’ils avaient affrontées l’autre nuit dans la clairière, avec son armure rudimentaire et sa fine épée recourbée. Mais cette fois le jeune homme n’était nullement impressionné par la férocité et le regard empli de haine de son adversaire. Ils se jetèrent l’un sur l’autre, leurs lames se croisant plusieurs fois sans qu’un vainqueur n’émerge. Autour d’eux, tout n’était plus que bruits métalliques, vociférations, couinements et hurlements de douleur. L’homme-rat fut soudain balayé par le coup d’un chevalier qui lui arracha la tête d’un revers de l’épée. Wilhelm ne reconnut pas l’homme en question, mais son attention fut vite accaparée par deux autres hommes-rats, semblables au premier, qui surgirent des ombres. L’un d’eux fut plus rapide, et lui sauta dessus, mais Wilhelm l’accueillit d’un coup de bouclier qui le sonna, avant de bloquer la lame du deuxième avec sa propre épée. Il s’apprêta à riposter, quand un cri inhumain retentit juste derrière lui.
Instinctivement, le jeune pistolier fit un rapide pas de côté, et vit une large lame fendre l’air à l’endroit où il s’était trouvé l’instant d’avant, qui termina sa course dans le crâne d’un de ses deux adversaires. L’homme-rat qui tenait la massive lame la retira d’un coup sec, sans un regard pour le corps mutilé de son congénère, et se mit en garde, dévisageant Wilhelm d’un air féroce. Ce dernier détailla plus avant ce nouvel ennemi, et réalisa qu’il n’avait jamais fait face à une telle vision.
Cet homme-rat était plus grand et plus larges que les précédents, et surtout bien mieux équipé. Une armure faite de plaques métalliques bizarrement agencées recouvrait la plupart des parties de son corps, le reste étant protégé par un genre de variante du gambison. Un casque en métal protégeait sa tête, orné d’une sorte de crête à pointes, qui laissait cependant voir la majeure partie de son ‘visage’. Wilhelm s’aperçut que son pelage était noir. Son arme à l’aspect malsain ressemblait plus à une sorte de hallebarde, comportant une large lame garnie de dentelures et dotée d’un long manche. Contrairement à ses congénères, celui-ci ne se jeta pas instantanément sur lui en criant sauvagement, se contenant de le scruter de ses yeux rougeoyants. Wilhelm comprit instantanément qu’il avait affaire au membre d’une sorte de corps d’élite. Un rapide regard autour de lui l’informa que de semblables adversaires avaient commencé à prendre part au combat un peu partout dans les ruelles, faisant tournoyer leurs armes avec une efficacité meurtrière. De nombreux corps humains étaient déjà au sol, chevaliers comme soldats réguliers, mais les autres se battaient toujours, ce qui lui rendit courage.
Un instant plus tard, la créature attaquait, lui portant un coup de taille du côté de son bras d’épée. Wilhelm réagit au quart de tour, et bloqua la lame de sa propre arme. Mais la force de l’assaut l’envoya au sol. Aussitôt, son adversaire fut sur lui, armant un coup vertical, et le jeune homme n’eut que le temps de rouler sur lui-même pour esquiver l’attaque, avant de porter un coup de pied au museau de l’homme-rat. Celui-ci recula légèrement en couinant de douleur, et Wilhelm en profita pour se relever, le visage désormais couvert de terre sale enduite d’humeurs. Il se campa sur ses pieds et s’avança vers le guerrier-rat, le bouclier levé, prêt à recevoir un nouveau coup. Dans le regard que lui lança la créature, dont le visage portait à présent les stigmates de son coup de botte, il ne lut que la haine. Elle lui porta un coup d’estoc dirigé vers son visage, mais Wilhelm s’attendait à une telle manœuvre, et plongea sous la lame, avant de planter la sienne dans l’aisselle de l’homme–rat. Ce dernier hurla et tomba en arrière, son arme lui échappant des mains.
« Tu vas creveeeeeeer ! »
Un instant plus tard, Wilhelm l’avait achevé.
Son répit fut de courte durée. Un choc violent le heurta dans le dos, le faisant tituber. Tournant le regard, il vit un chevalier, l’armure couverte de sang, qui repoussait l’arme d’un deuxième guerrier murin similaire au précédent. Ce dernier avait manifestement tenté de l’attaquer en traître, mais ce chevalier l’avait protégé en le repoussant hors de portée.
« Reprenez-vous Monsieur Kruger ! Que ces immondes bêtes ne vous fassent point perdre votre vaillance. »
Cette voix, ce ton, c’était bien messire Guy ! Wilhelm reconnut difficilement les trois roses écarlates sur le bouclier maculé que portait le chevalier, mais il ne pouvait s’agir que de lui. Aussitôt il se releva, s’interposant entre le bretonnien et deux autres créatures qui s’apprêtaient à le prendre à revers. Un moulinet de son épée trancha le bras du premier, et le deuxième prit rapidement ses distances, préférant manifestement attendre quelques renforts. Ceux-ci ne se firent pas attendre, et Wilhelm se retrouva bientôt aux prises avec trois adversaires, qui tentèrent de l’encercler. Au moment où ils lancèrent leur attaque, un cri venant de derrière lui confirma que messire Guy venait d’achever son adversaire. Leur assaut coordonné le força à rester sur la défensive tout en reculant et bloquant leurs coups en levant son bouclier. Mais en un instant, le chevalier bretonnien s’était retourné, et fit valser sa longue épée à-travers les adversaires du jeune-homme, les tuant en quelques secondes. Wilhelm en profita pour l’observer à la volée. Son armure était couverte de sang et de poussière, et semblait avoir subi de nombreux impacts, plusieurs pièces étant écornées, voir tordues. Mais il n’avait aucune blessure sérieuse apparente, au grand soulagement du jeune pistolier, qui voyait déjà une foule de cadavres humains autour de lui. Ils échangèrent un regard, et se lancèrent à nouveau dans le combat. Cette-fois, d’un accord tacite, Guy et Wilhelm ne se séparèrent plus, et firent de leur mieux pour couvrir les arrières l’un de l’autre. Ils savaient tous les deux que cela ne changerait rien à l’issue de l'affrontement, mais c’était toujours préférable à la mort immédiate.
La bataille faisait alors rage, mais les hommes-rats semblaient prendre un avantage certain. Ils se riaient des dépouilles qui encombraient les accès, et semblaient disposer de renforts infinis, chacun d’entre eux se jetant sur les humains en couinant, la gueule grande ouverte laissant voir des crocs acérées. De l’autre côté, les humains étaient en sous-nombre écrasant, et voyaient leurs effectifs diminuer sans répit. Les hommes mouraient à chaque instant, leurs hurlements d’agonie couverts par les cris des combattants qui le lâchaient pas le combat. Au milieu de tout cela, le grand-maître Von Alte Brücke hurlait des ordres tout en abattant plusieurs adversaires à chaque seconde. Mais au bout d’un moment, un autre bruit commença à recouvrir les autres. Des explosions retentirent depuis l’arrière, d'abord lointaines et éparses, puis de plus en plus proches et nombreuses, et commencèrent à se répercuter partout autour d’eux. Les hommes-rats ne semblaient pas y prêter attention, et Wilhelm mit du temps à réaliser ce dont il s’agissait. Il finit cependant par comprendre lorsqu’un boulet rempli de poudre explosa au-dessus de sa position.
L’artillerie était mise en place.
Il ne comprit pas instantanément ce que cela impliquait quant à leur sort. Mais tout d'un coup, une grande clameur retentit à l'arrière de leurs lignes, venant de là d'où les horribles armes à projectiles enflammés les avaient faits fuir. Quelques instants plus tard, plusieurs dizaines de soldats débarquèrent dans la ruelle, l'arme levée, en une charge qui prit les hommes-rats de court. Se sentant une vigueur renouvelée alors que la fatigue avait largement prit le dessus sur lui, Wilhelm se jeta dans la mêlée en mêlant son cri à celui des autres, précédé par un Guy du Fort aux roses qui semblait prit par la même ferveur. Les explosions continuaient de retentir, provoquant quelquefois l'effondrement d'un mur ou d'une passerelle. Les hommes-rats, bien qu'initialement surpris, se battirent sauvagement, mais la tournure de la bataille semblait s'être inversée. C'était à eux de subir d'innombrables adversaires désormais, et le massacre s’intensifia.
L'élan de la charge les mena profondément dans les méandres de la cité, et tout autour d'eux n'était plus que poussière et violence. Wilhelm, qui avait initialement été à la pointe de l'assaut, s'était finalement retrouvé dépassé par les chevaliers les plus fougueux, menés par le grand-maître dont l'énergie semblait inépuisable. Son épée virevoltait plus rapidement que Wilhelm ne pouvait l'apercevoir, et à chacun de ses coups un homme-rat tombait. Il en arrivait encore de partout, mais cette-fois les hommes étaient prêts, et organisés. Pratiquement aucune créature n'arriva à percer leurs défenses, et celles qui le faisaient étaient alors aussitôt taillées en pièces.
Il y eu alors un moment de silence, et soudain retentit la même voix gutturale que précédemment. Wilhelm écouta, tentant d'en déterminer la provenance, mais le son semblait provenir de partout à la fois. Lui et d'autres scrutèrent les hauteurs, sans qu’aucune paire d'yeux rouges ne soit visible.
Et puis la situation explosa de nouveau. Des hommes-rats au pelage noir, portant l'équipement des guerriers d'élite, surgirent de partout, brandissant de longues hallebardes ou des épées dentelées et des boucliers triangulaires. Le choc fut rude, et des cris retentirent à nouveau de part et d'autre. La voix gutturale poussa alors un cri de guerre, et semblait provenir de la direction du grand-maître. Wilhelm tourna alors le regard, cherchant à savoir enfin quelle créature pouvait avoir une telle voix, et ce qu'il vit lui glaça le sang.
Il s'agissait d'un homme-rat, mais immense, atteignant près des deux mètres. Son corps trapu était entièrement recouvert d'une épaisse armure de plaques d'une couleur vert sombre qui n'avait aucunement l'air de le gêner, car il se déplaçait avec la grâce d'un félin. Trois piques en métal dépassaient de son dos, et lui donnaient l'air d'être aussi dangereux devant que derrière. Sa tête, engoncée dans un casque similaire à celui de ses soldats, était aussi noire que la nuit, mais sa dentition reflétait la lumière dans un éclat blanchâtre. Il brandissait deux épées recourbées, qu'il faisait tournoyer dans un mouvement sinistre. C'était indubitablement le chef, et Herr Bastian ne s'y trompa pas. Levant son arme dans sa direction, il lui lança :
« Alors tu te montres enfin, détestable créature. Toi qui es responsable de la mort de tant des nôtres, vient donc rencontrer la justice par ma lame !
L'homme-rat ricana un instant, puis le regarda droit dans les yeux et répondit, à la grande stupéfaction de Wilhelm, dans un Reikspiel approximatif mais compréhensible :
- Choses-hommes pas futés-malignes, fonssssssser droit dans mon piège. Chose-homme blanche-brillante va mourir, et je ferais un collier-bijou de ses tripes. »
Puis, poussant un hurlement aigu, il se jeta sur le grand-maître. Entre-temps, Wilhelm avait dû reporter son attention sur des besoins plus pressants, car leur ligne menaçait de céder sous la pression des hommes-rats d’élite. Ceux-ci rivalisaient de sauvagerie, et Wilhelm se retrouva à bloquer les coups de l'un d'entre eux, plus grand et plus massif que les autres. Autour de lui le combat faisait rage, les cris des créatures se mêlant à celui des humains, le tout entrecoupé d'explosions. La créature lança sa hallebarde horizontalement, lui faisant décrire un arc de cercle qui visait la tête de Wilhelm. Celui-ci se baissa, et la lame de l'arme vint se ficher dans une poutre d'un bâtiment. Le jeune homme en profita. Fonçant en avant, il décrocha un coup de bouclier dans le visage de son adversaire. Il entendit un craquement, et l'homme-rat recula, sonné. Wilhelm porta alors son épée vers l'arrière, et d'un coup d'estoc la planta dans la tête de la créature.
Lorsque celle-ci chuta, il put voir Herr Bastian, l'épée levée, qui tenait en respect le chef homme-rat. Ce dernier était encore debout, mais se déplaçait moins aisément, et l'un de ses bras pendait le long de son corps, inutile. De son côté, le grand-maître avait l'air éreinté, plusieurs estafilades lui zébrant le visage, et un filet de sang coulait de sa bouche. Mais son regard ne cillait pas, et son épée lumineuse était pointée vers son adversaire. Tous-deux se jetèrent à nouveau l'un sur l'autre, sans cri ni parole, tout à leur concentration. Wilhelm ne vit pas distinctement l'échange de coups, mais deux secondes plus tard l'homme-rat était étalé au sol. Herr Bastian ne perdit pas un instant, et abattit de nouveau sa lame, tranchant la tête de son ennemi qu'il ramassa ensuite, pour la lever bien haut. Sa voix claire retentit à travers toute la mêlée lorsqu’il poussa un hurlement : « VICTOIRE ! ».
Ce fut alors la débandade.
*
Du haut de sa tour, Relimus promenait son regard sur la ville, attendant impatiemment le retour de Qrekch. Il détestait devoir se reposer sur cet assassin pour connaître l’état de la bataille contre les choses-hommes, mais de tous ses subordonnés c’était certainement le plus fiable. Et il n’allait quand-même pas y aller lui-même, on avait besoin de lui ici, pour coordonner les choses, ce que personne ne pourrait faire à sa place, aucun des incapables qui l’entouraient ne lui arrivant à la cheville. Ni même à la griffe.
Pour l’heure, il attendait. Le plan de Skritril était classique mais efficace : séparer l’armée des choses-hommes en deux, et submerger les deux moitiés par des vagues ininterrompues. Mais lui, Relimus, lui réservait une petite surprise. Il avait fait envoyer d’autres instructions à la plupart des régiments sensés prendre d’assaut les humains qui ne seraient pas rentrés dans les rues. Ces troupes devaient attendre son signal pour lancer l’attaque, signal qu’il était bien sûr le seul à connaître et à pouvoir donner. Ordre du seigneur de guerre, oui-oui. Sauf qu’en réalité, il comptait simplement attendre que Skritril meure dans sa propre vague, bloqué contre des choses-hommes sans aucun renfort. Si les sans-fourrures ne parvenaient pas à l’abattre, Qrekch était censé profiter du meilleur moment possible pour l’assassiner lui-même, en maquillant sa mort de façon à faire passer ça pour un acte de ces « horribles-détestables choses-hommes ». Personne ne le pleurerait de toutes les façons. Il n’avait qu’à ne pas lui avoir désobéi à lui, un grand prophète gris du non moins aussi grand Rat Cornu. Relimus comptait ensuite lancer la deuxième vague d’assaut, une fois la mort de Skritril confirmée, histoire d’en finir avec les choses-hommes.
Entouré par des esclaves prosternés et par ses gardes du corps, le sorcier skaven faisait frénétiquement les cents pas, tout en ricanant sur la perfection de son plan génial. Car qui d’autre que lui aurait pu tourner aussi rapidement à son avantage une invasion inopinée des sans-fourrures ? Personne, sans l’ombre d’un doute. Un cerveau comme le sien ne naissait après tout qu’une fois par siècle, et encore. Il regrettait simplement de ne pas pouvoir expliquer son plan à Skritril avant de le voir mourir, la vision de cet imbécile de parvenu comprenant qu’il s’était fait avoir aurait pourtant été source d’extrême jouissance. Mais on ne pouvait pas tout avoir. Pour le moment.
Tout d’un coup, un bruit provenant de l’entrée attira son attention. Qui osait troubler ainsi ses précieux moments de jubilation ricanante ? L’importun allait le payer. « Amenez-moi les ssssssources de ce tapage-rafut ! » lança-t-il à ses gardes. Silencieusement, deux d’entre eux sortirent, ayant depuis longtemps appris que leur maître détestait être dérangé lorsqu’il réfléchissait. Ils revinrent quelques secondes plus tard, ‘escortant’ deux skavens plus chétifs par la pointe de leurs hallebardes. Ces derniers, vêtus de vêtements légers, se jetèrent immédiatement au sol à la vue de Rélimus, chacun rivalisant en démonstration d’adoration à tel point que leur museau ne décolla pas du plancher. Le prophète leur porta un regard méprisant, avant de leur tourner le dos. Ils n’allaient quand-même pas croire que ses yeux quasi divins se poseraient sur leurs minables carcasses. Mais il avait eu le temps de voir qu’ils étaient fatigués, et leur odeur était clairement celle de la peur. Mais elle était trop intense pour être récente. Ces deux-là étaient terrorisés depuis au moins plusieurs minutes, et ils avaient couru jusqu’ici.
« Vous m’apportez des informassssions-nouvelles ? Susurra-t-il en sifflant. Je vous écoute-écoute.
Mais les deux nouveau esclaves (car telle serait à présent leur condition, s’ils restaient en vie, car on ne le perturbait pas impunément) n’émirent pas un son, se murant dans le mutisme. Cela exaspéra Relimus, qui en eut subitement assez. Se retournant brusquement, il convoqua les énergies divines au creux de sa main, et projeta un éclair verdâtre sur l’un d’entre eux. Celui-ci fut propulsé au fond de la pièce, s’écrasant en hurlant sur le mur du fond. Une seconde plus tard, son cadavre calciné tombait en braises ardentes. L’autre n’avait pas levé les yeux, mais il tremblait à présent de tous ses membres, à tel point que son museau frottait le sol en un répugnant bruit de succion.
- Parle maintenant, lui lança le prophète gris d’une voix menaçante, ou il t’arrivera la même chose-mésaventure.
Le skaven prosterné prit alors la parole avec une voix saccadée, dont les intonations tiraient encore plus sur l’aigu que chez un skaven ordinaire.
- Très glorieux-révéré et puissant grand prophète du merveilleux sssssérénissime Rat Cornu. Je suis dans l’immenssssse regret de vous dire-informer que la peur-panique gagne vos troupes.
La peur-panique ? Cela ne pouvait être permis ! Relimus fronça les sourcils, et pressa l’autre de questions.
- La peur-panique ? Où sssssa ? Qui sssssa ? Parle-répond !
- Tous sssseux qui étaient autour des choses-hommes du tunnel, oh puissant et magnifique seigneur de la ruine, bégaya le skaven en se tassant le plus possible sur le sol. Les explosions partout-partout ont causé une fuite-retraite.
Tous ceux autour des choses-hommes du tunnel ? Relimus consulta mentalement le plan de bataille, et réalisa qu’il ne lui restait plus aucun régiment dont il pourrait disposer après l’échec (certain) des troupes de Skritril. Par le rat cornu lui-même, cela ne se pouvait ! Quelqu’un lui en voulait personnellement, et avait initié cette retraite. Il était entouré par des traîtres, très certainement, à commencer par celui-là.
- Qui a ordonné la fuite-retraite ?
- Personne-personne, votre illusssstre magnificence toute-puissante, persssssonne. Ce sont les feux-explosions qui…
- Alors tu es dans le complot-cabale toi ausssssi ! »
Avant que l’autre n’ait pu répondre, le prophète gris fit un geste en direction de ce tas de poils traitreux qui osait être dans la même pièce que lui. Aussitôt, une hallebarde lui pénétra les entrailles, le tuant sur le coup. Un râle d’agonie s’échappa de sa gueule tremblante alors que ses yeux étaient écarquillés. De stupeur ou de terreur, Relimus s’en moquait bien. Il avait d’autres préoccupations, comme par exemple la fuite de la quasi-totalité de son armée. Il se mit à réfléchir à toute vitesse tout en faisant à nouveau les cent pas à un rythme saccadé qui contrastait avec l’immobilité de ses gardes. Si Skritril n’était pas mort, alors cela pouvait tourner au désastre, car le seigneur de guerre allait certainement être mis au courant. Il pourrait prétexter une trahison de la part d’un de ses subalternes, ce qui était d’ailleurs certainement le cas. Mais Skritril essaierait de le faire assassiner, c’était certain, surtout si Qrekch ratait son coup. Au prix où il était payé, il avait pourtant intérêt à réussir.
Mais si Skritril mourrait, que faire ? Il lui fallait rassembler ses forces, et les empêcher le plus possible de se disperser. Mais cela impliquait de leur faire comprendre ce qu’ils risquaient à lui désobéir. Les traîtres essaieront certainement de pousser à la fuite, ce qui les rendrait alors facile à identifier. Relimus s’arrêta soudainement, et s’adressa à ses gardes personnels sur un ton sans réplique.
« Que la moitié d’entre vous aille pourssssuivre-rattraper ces fuyards. Dites-leur de sssse tenir-regrouper derrière le grand chantier. Ceux qui voudront fuir sssssont des traîtres-menteurs qu’il faut tuer-tuer sur le champ ! »
Un léger chaos s’ensuivit alors que les vermines de choc essayaient de décider, le plus silencieusement possible, lesquels iraient et lesquels resteraient. Relimus lui se félicitait encore une fois d’avoir su réagir au mieux dans la pire des situations, alors qu’il était manifestement entouré par des traîtres et des incapables. Vraiment, le rat cornu n’aurait pas pu rêver un meilleur serviteur, et il n’arrêtait pas de le prouver. À ce rythme, le conseil lui mangerait dans la main dans quelques années.
Ses jubilations furent interrompues lorsqu’il entendit un bruit derrière lui. Se retournant immédiatement tout en préparant un sort, il s’aperçut que Qrekch était maintenant prosterné là où une seconde auparavant il n’y avait personne. Relimus grimaça, ayant depuis longtemps renoncé à savoir comment s’y prenait l’assassin, mais il n’aimait pas être pris ainsi par surprise. Il s’avança vers son subordonné, et s’adressa à lui d’une voix irritée.
« Alors, qu’est-il arrivé-arrivé à Sssskritril ?
- Il est mort-mort, siffla le skaven du clan Eshin. Le chef des choses-hommes l’a tué.
- Parfait-parfait, jubila à nouveau Relimus, ravi de voir au moins une partie de son plan fonctionner. Les choses vont ssssss’améliorer maintenant. Bientôt, les choses-hommes seront écrasés et iront rejoindre le grand-œuvre.
- J’ai d’autres informasssssions-nouvelles, votre éminenssssse. Elles sont moins bonnes.
Relimus se pencha à nouveau sur lui, quittant la bonne humeur qu’il venait de retrouver. Si Qrekch se mettait à la flatterie, alors elles devaient être vraiment mauvaises.
- Parle-parle !
L’assassin marqua un imperceptible temps d’hésitation, juste le temps de se préparer à affronter l’éventuelle colère de son maître. On ne sait jamais.
- Les choses-hommes ont libéré les esclaves. Ils ont aussi commensssssé à mettre le feu-brasier à la ville.
*
« On peut rentrer maintenant. »
Wilhelm ne sut jamais qui avait lancé cette simple phrase, mais à elle seule elle suffit à lui faire prendre conscience de tout ce qui s’était passé. Il n’avait cessé de vivre dans l’instant depuis qu’ils avaient émergé dans cette grotte aux dimensions cyclopéennes. Le combat, la retraite, le combat à nouveau, la charge, tout cela avait été vécu sans penser au passé ni au futur. Il s’était contenté de suivre, tout en combattant.
Une fois leur chef mort, les hommes-rats s’étaient repliés, et les retardataires furent exterminés. L’armée humaine, malgré des pertes importantes, s’était enfoncée encore plus profondément dans la ville, les hommes marchant au pas de course sans se soucier des cadavres, traquant et tuant autant de monstrueuses vermines qu’ils purent sur leur passage. Mais au bout d’un moment, ils finirent par faire une rencontre des plus inattendues : un autre être humain. Celui-ci était très mal en point, ses vêtements ressemblant plus à des haillons, et ses membres nus montraient de nombreux signes de torture et de sévices corporels qui prenaient la forme d’écorchures et de plaies encore ouvertes. Cet homme avait de toutes évidences été fouetté et battu, parfois cruellement. Ses cheveux hirsutes étaient encore courts, mais son visage était hagard, révélant un intense état de fatigue et de détresse mentale. Malgré tout, il n’était pas particulièrement maigre, sa physionomie montrant que sa carrure était plus large que celle de la plupart de ses contemporains. En dépit de tout ce qu’il avait subi, il parvenait à se tenir debout, mais sa stature était voutée, comme sous le poids d’un grand épuisement. Lorsqu’ils le rencontrèrent, il était en train de déambuler dans l’artère de la ville, sa démarche incertaine le poussant à s’appuyer régulièrement sur les murs qui l’entouraient.
Il avait été immédiatement pris en charge par plusieurs hommes, et le grand-maître s’était empressé de lui poser quelques questions. Wilhelm était au début trop loin pour les entendre, mais en s’approchant il put discerner un peu plus les traits de l’individu sous la couche de crasse qui recouvraient son visage. Il avait alors mis quelques secondes à le dévisager avant de s’écrier : « Mais c’est le capitaine Weber ! » L’instant d’après, lui-même avait été admis aux côtés de Herr Bastian pour lui certifier de l’identité de l’individu, alors qu’Erwinn Linde Von Hündrodburg tentait d’obtenir des informations cohérentes de ce dernier. Ce ne fut pas une entreprise facile, Wilhelm s’étant alors aperçu avec horreur et dégoût que le capitaine Weber avait eu la langue tranchée. Cependant, le Kasztellan finit par comprendre qu’il s’était échappé de sa prison, où lui et les autres rescapés étaient gardés comme esclaves. Profitant de la débandade momentanée des hommes-rats, le reste de l’armée du fort de sang était ensuite parvenue à rejoindre la prison contenant ces esclaves et à les libérer. Wilhelm avait été pris de nausées en découvrant leurs conditions de captivités, les cellules étant pleines d’individus enchaînés, tous plus maigres, émaciés et malades les uns que les autres. Dans les yeux de la plupart d’entre eux il ne vit que la démence, même si certains, qu’il reconnut comme étant à priori les autres survivants de l’expédition de Nuln, avaient l’air en meilleur état. Mais le pire était la puanteur, un mélange d’odeurs d’excréments, d’urine, de sueur de de viande pourrie. Manifestement, certains prisonniers étaient déjà morts, et la putréfaction de leurs corps ajoutait à l’horreur olfactive ambiante.
Les grilles avaient été enfoncées, les prisonniers libérés, et c’est alors qu’on les mettait en rangs que quelqu’un énonça innocemment « on peut rentrer maintenant ». Wilhelm réalisa à ce moment tout ce à travers quoi il était passé, tout ce qu’il avait vu depuis les dernières heures. La mort de tant de braves hommes, les horreurs de ces démons à fourrure, ces prisons à la limite de l’imaginable. Tout cela lui arriva d’un coup. Et pourtant étrangement cela ne faisait que croître son dégoût de ces ignobles hommes-rats, et sa volonté de mener cette bataille à son terme. Il raffermit sa prise sur son épée.
Quelqu’un se posta alors devant lui. Il leva les yeux et rencontra le regard de Guy à travers son heaume.
« Venez avec moi, lui commanda le chevalier. Nous avons encore à faire. Ces gens ne peuvent se débrouiller seuls. »
C’était la vérité. Les prisonniers libérés avaient pour la plupart du mal à tenir sur leurs jambes. Ceux parmi eux étaient encore à peu près valides et soutenaient les plus démunis, aidés en cela par quelques soldats alors que d’autres surveillaient nerveusement les alentours. Wilhelm estima à plusieurs centaines le nombre de personnes ainsi libérés, dont les yeux hagards semblaient ne croire qu’à moitié à ce qui leur arrivait.
Le grand-maître donna des ordres pour qu’on se replie le plus vite possible vers l’extérieur. L’objectif était rempli, du moins l’était-il au mieux de leur capacité actuelle. Le déluge d’artillerie continuait de retentir au loin, signe que leur retraite était couverte, pour le moment.
Ce fut Reiner qui eut l’idée de porter sa torche sur l’une des planches d’un bâtiment proche. Wilhelm ne sut à ce moment-là pourquoi ni lui ni les autres n’y avaient pas pensé plus tôt. Reiner avait toujours trouvé des stratégies qui montraient qu’il voyait au-delà de ce que l’on tient pour acquis, et à ce moment-là Wilhelm ressentait une grande fierté à être sous ses ordres. Le feu prit relativement vite, le major pistolkorp étant rapidement imité par les autres porteurs de torches, de sorte qu’une épaisse fumée commença à s’élever dans les airs alors que l’incendie s’initiait doucement.
Entre temps, Wilhelm s’était porté au secours d’un vieillard aux membres squelettiques. Ce dernier avait les traits tirés, les membres maigres, les cheveux longs et la barbe sale. Ses yeux fous semblaient observer tout le monde avec terreur, mais il n’opposa pas de résistance quand Wilhelm le saisit par l’épaule pour l’aider à avancer. Autour d’eux, le jeune homme vit que la plupart des soldats réguliers firent de même, mais les chevaliers restants (bien moins nombreux qu’au début réalisa-t-il) gardèrent leurs armes à la main, se tenant prêts à une attaque imminente. L’ensemble se mit en mouvement vers la sortie, avec un empressement qui trahissait la volonté de chacun de venir à bout de cette bataille le plus vite possible. Les visages des hommes, noircis par la crasse et les humeurs organiques, exprimaient un mélange de fatigue, de chagrin et de forte résolution. On ne parlait pas, ou alors seulement à voix basse. Seuls les officiers levaient le ton, et alors seulement pour intimer à l’armée d’aller plus vite. Les hommes enflammaient de plus tout ce qu’ils pouvaient sur leur passage, ce qui fit que rapidement les murs des bâtiments derrière eux se changèrent en brasier. Wilhelm se dit que cela était à double tranchant, car ainsi leurs alliés comme leurs ennemis pouvaient les localiser avec aisance.
Leur avancée ne fut pourtant pas entravée par la moindre attaque, ce qui d’une certaine façon fut tout aussi éprouvant mentalement. Chaque bruit venant d’au-delà de la ruelle sale et boueuse qu’ils parcouraient devenait suspect. Le crépitement des flammes, le tintement des armes, le cliquetis des armures, et les explosions de l’artillerie, tout cela rendait difficile l’identification d’un signe de vie extérieur. De plus, il leur fallut parcourir des allées jonchées des cadavres des combats précédents. Les corps des hommes, chevaliers comme soldats, étaient étendus dans le chaos le plus total. Membres arrachés, facies lacérée, blessures au ventre, à la tête, aux bras, tout cela se combinait pour donner à cet endroit un visage à l’horreur. Et le sang, bien sûr, le sang, qui coulait partout, qui rendait le sol poisseux et collant. Ce sang dans lequel se reflétèrent les flammes parachevait l’ambiance infernale.
Une vingtaine de minutes plus tard, Wilhelm émergea à l’endroit où le début de la bataille s’était tenu, soutenant toujours le vieillard par le bras. La vue lui aurait soulevé le cœur s’il en était encore capable. Devant lui s’étendait en effet une scène de carnage d’une autre nature. D’innombrables corps fumants recouvraient le sol, sans qu’il soit possible d’en déterminer la race. Ils étaient recouverts d’autres corps, humains et bestiaux, et ceux-ci sans traces de brûlures ou presque, avec parmi eux les porteurs des machines infernales à flammes vertes. Celles-ci étaient d’ailleurs dans un sale état, car elles paraissaient avoir violemment explosé. Cette vision lui confirma que les créatures murines avaient été prises de flanc par la seconde vague de leur armée, qui avait ensuite pu se rendre à leur secours. L’endroit portait de plus les stigmates évidents de tirs d’artillerie fournie, ce qui fit dire à Wilhelm que le combat avait été âpre. Le vieux barbu qu’il soutenait n’avait pas l’air particulièrement affecté par tout cela, étant toujours crispé sous le bras de Wilhelm et lançant des regards terrifiés autour de lui en tournant la tête de façon saccadée. Wilhelm avait dû régulièrement changer d’épaule pour le porter, la fatigue ayant déjà largement pris son dû sur lui. Mais la fin était proche, il le sentait.
La remontée de la pente vers l’entrée fut plus laborieuse qu’il ne l’avait prévu. Chaque pas, il le savait, le ramenait vers la surface, mais il fallait qu’il transporte plus que son propre poids. Au sommet, tous les canons avaient été disposés sur deux lignes, les mortiers derrière. Deux régiments d’arquebusiers étaient restés défendre l’endroit. L’agitation des hommes était fébrile, le pas de chacun devenant plus pressé, plus rapide. Le pire restait cependant le bruit assourdissant des canons, qui ne cessaient de cracher leurs projectiles en direction de la ville qui hanterait désormais ses cauchemars. Risquant un regard en arrière, il s’aperçut que l’incendie commençait à gagner du terrain. Une fumée noire s’élevait dans les airs, et commençait à recouvrir le plafond de la caverne. Wilhelm esquissa un sourire. Vous l’avez bien mérité, bande d’enfoirés !
Ce fut à ce moment-là que retentirent les cloches.
Elles semblaient venir de la cité en contrebas, résonnant sur les murs, sur les roches, comme si elles étaient partout, et furent bientôt accompagnées d’un autre bruit, que Wilhelm identifia très bien : une cacophonie de couinements. Visiblement, il n’était pas le seul à avoir compris, car aussitôt Herr Von Alte Brücke brandit son épée et hurla « ordo draconis, avec moi ! Les autres, continuez de monter !», avant de se tourner vers le contrebas, rejoint par le restant des chevaliers.
Wilhelm comprit alors qu’ils allaient faire une barrière de leur corps pour les laisser s’échapper. Non, se dit-il, je dois les rejoindre. Il esquissa un mouvement vers l’arrière, la main déjà sur la poignée de son épée, mais un bras se posa instantanément sur son épaule. Reiner. Le regard bleu acier de son supérieur se plongea dans le sien.
« Vous avez entendu les ordres comme moi Kruger. Rappelez-vous les paroles de messire Guy au sujet du grand-maître. Et vous devez aider ce pauvre homme. »
Wilhelm tourna la tête, s’apercevant que le vieillard qu’il aidait à monter semblait très mal réagir à la présence des hommes-rats. Il tremblait, tournant sa tête dans toutes les directions à une vitesse frénétique, et émettait des sons terrifiés malgré son absence de langue. Reiner avait raison, il avait une responsabilité à présent. Mais mieux valait se dépêcher. Il se mit à avancer au pas de course, le vieillard faisant alors preuve d’une énergie insoupçonnée qui lui permit momentanément de tenir l’allure de son porteur. En arrivant à la hauteur des canons, il se tourna à nouveau, embrassant la scène.
Les chevaliers se battaient en reculant contre une horde d’hommes-rats qui déferlaient en grand-nombre de toutes les entrées de la cité. Ils peinaient à tenir, malgré le feu nourri de l’artillerie, qui ne faisait malheureusement pas assez de victimes pour les empêcher d’arriver par dizaines sur leur mur de boucliers. Les fiers membres de l’ordo draconis fauchaient alors les hommes-rats les uns après les autres, mais il en arrivait toujours plus, et leur propre nombre se réduisait petit à petit. Wilhelm voyait bien que la situation était sans issue, car même s’ils atteignaient la surface à présent, ils les poursuivraient au-dehors.
C’est alors qu’il entendit le Kasztellan Von Elderhoff, qui semblait-il était resté à cet endroit depuis le début de la bataille, ordonner de sa voix claire :
« Faites cesser le feu !
Etait-il fou ? Voulait-il soudainement mourir, en emportant avec lui l’espoir de voir à nouveau le soleil ? Mais le Kasztellan n’avait pas fini.
- Réunissez la poudre restante, toute la poudre, sans exception, même celle des arquebuses. Exécution !
Il avait asséné cet ordre aux artilleurs médusés d’une voix pressée que Wilhelm ne lui avait jamais entendu. Du reste, il semblait que c’était aussi le cas des artilleurs, car ils se mirent immédiatement à l’ouvrage en tirant des mines aussi effrayées qu’étonnées. Bientôt, plusieurs barils de poudre furent réunis, pendant que les chevaliers étaient pressés à une trentaine de mètres seulement de leurs positions, et reculaient rapidement.
C’est alors que Herr Von Elderhoff s’adressa aux régiments d’arquebusiers à présent désarmés, aux écuyers et aux hommes situés dans le tunnel, parmi lesquels se trouvait Wilhelm.
- Partez, maintenant ! On vous rattrapera. »
Son ton n’admettait pas de répliques. Wilhelm tourna les talons et s’avança dans le large tunnel par lequel ils étaient entrés. L’avancée fut plus rapide, car la présence des hommes restés en arrière, et donc en meilleure forme, leur permit de s’occuper plus efficacement des prisonniers libérés. Parmi ces derniers, ceux portant l’uniforme impérial avançaient à présent pour la plupart sans aide, ce qui lui parut être la meilleure nouvelle des dernières heures. Deux hommes en meilleure forme vinrent se charger du vieillard que Wilhelm escortait, à son grand soulagement, car ses jambes n’en pouvaient plus.
Ils s’avancèrent ainsi pendant deux ou trois minutes quand un bruit de cavalcade retentit. Wilhelm se retourna, et s’aperçut que les chevaliers couraient vers eux, à toute vitesse, et talonnés par des hommes-rats en furie.
« Courez ! » Hurla le grand-maître, dont l’épée pouvait être vue à la queue du groupe. « Tout va sauter ! ».
Il n’en fallut pas plus. Comprenant soudain le plan du Kasztellan, Wilhelm se mit à fuir en ignorant ses muscles qui lui hurlaient de s’arrêter. Tout le monde courait, sans distinction, dans l’une des retraites les moins glorieuses de l’histoire de l’ordo draconis. Derrière eux, les hommes-rats s’engouffraient dans le tunnel, leurs piaillements envahissant l’air et se répercutant sur les parois de pierre. Sans l’éclairage des immenses pierres vertes de la gigantesque caverne qu’ils laissaient derrière eux, la seule lumière était celle des torches, qui dansaient au rythme des foulées de ceux qui les portaient.
Quand soudain une immense explosion retentit, venant de l’entrée de la cité des rats. L’onde de choc qui en résultat traversa la terre, la roche, et fit tomber Wilhelm en avant, le nez dans la poussière. Il se releva péniblement, se rendant compte qu’il n’avait pas été le seul à être déstabilisé, puis se remit à courir.
Il sentit cependant que la terre n’avait pas fini de trembler. Des craquements éclatèrent, d’abord derrière, puis tout autour d’eux. Le tunnel s’effondre, réalisa-t-il avec horreur, conscient de ce que cela impliquait. C’était courir ou mourir, il n’y avait pas d’alternative.
Les hommes-rats semblaient avoir compris la même chose, car leurs cris de haine et de rage s’étaient mués en couinements de panique. La perspective d’être écrasés sous des tonnes de rochers les terrifiait autant que les humains. Des gravats commençaient à tomber du plafond, et des hurlements stridents résonnèrent dans le tunnel, précédés par des bruits sourds que Wilhelm associa à la chute de grosses pierres. Autour de lui, les plus forts portaient les plus faibles dans ce qui ressemblait à un état proche de la panique, mais les hommes semblaient bien conscients que cette fuite faisait partie d’une sorte de plan. Pourtant, malgré tout cela, la plupart des prisonniers, et surtout les plus faibles ne purent atteindre la surface. Par négligence ou par lâcheté des soldats, il ne savait pas, mais il sentait qu’il ne pouvait s’arrêter un seul instant sans périr d’une mort certaine. Il ressentit une très grande honte en le réalisant, se sachant dans une situation où il ne pouvait aider personne, car essayer c’était mourir. C’était insupportable.
Leur course fut heureusement de courte durée. Au bout de quelques minutes, Wilhelm émergea à l’air libre, au même endroit que celui où ils étaient entrés au crépuscule. La nuit était désormais tombée depuis longtemps, Mannslieb et Morrslieb illuminant les arbres alentour de leur lumière pâle. Le soulagement qu’il ressentit lorsqu’il inspira sa première bouffée d’air frais fut au-delà de ce qu’il avait pu imaginer. Le cauchemar était fini, enfin. Cette ignoble ville et tous ces horribles hommes-rats, il ne voulait plus en entendre parler.
Le cri du grand-maître le ramena à la réalité.
« Tenez l’entrée ! »
L’homme était épuisé, cela s’entendait, mais Wilhelm comprit qu’il refusait de céder le moindre pouce de terrain supplémentaire. Lui et les hommes encore en état de se battre encerclèrent l’entrée, et alors que d’affreux cris d’agonie leurs parvenaient des profondeurs du tunnel, les hommes-rats les percutèrent. Wilhelm empoigna son arme, et se joignit à la mêlée confuse qui se dessinait, faisant jouer ses dernières forces. Il sentit pourtant que leurs ennemis étaient comme déboussolés, perdus. Ils ne s’étaient pas attendus à se retrouver ici, sans possibilité de retraite. Wilhelm vit de plus que seule une centaine d’entre eux émergea de la grotte. Les autres avaient dû périr dans l’effondrement, ou avaient emprunté une autre route.
Le combat fut violent, mais les hommes-rats avaient perdu toute cohésion, et chacun semblait se battre pour lui-même. Certains finirent par s’enfuir dans la nuit, mais le reste fut tué sans merci. Von Hündrodburg finit par éliminer la dernière créature, puis le silence s’abattit, figeant la scène.
La poussière retomba.
La bataille était finie.
Wilhelm se laissa choir sur le sol, lâchant son épée dont la lame était usée en de nombreux endroits. Son bouclier était presque inutilisable, et avait bloqué tant de coups que son blason était indiscernable. Il avait plusieurs blessures, ayant subi des estafilades sur presque toutes les parties de son corps, mais aucune ne semblait sérieuse. Le jeune homme se mit à trembler, la fatigue arrivant d’un seul coup. Il y avait du mouvement autour de lui, on rassemblait les hommes, les corps, les blessés, mais il voulait d’abord profiter de l’instant présent. Il était en vie, et cela il ne l’aurait pas parié dix minutes auparavant.
« Debout Kruger, au rapport !
La voix de Reiner trahissait sa fatigue à lui-aussi. Elle était toujours sans émotions, mais plus faible que d’habitude, et il reprenait son souffle tous les deux ou trois mots. Wilhelm leva les yeux, et aperçut son supérieur, ses armes rengainées, qui pressait un morceau d’étoffe sur son épaule gauche. Il eut un instant d’orgueil à l’idée d’être sorti en meilleur état que le fameux major Von Enghelhoff, mais ce sentiment le quitta aussi vite qu’il était venu. Reiner était seul, ce qui l’inquiéta.
- Oui major, répondit-il du mieux qu’il put en se mettant debout. Je suis au regret de vous dire que j’ai perdu le reste de la troupe, major.
Reiner le regarda droit dans les yeux.
- Vous êtes le dernier que je suis venu chercher, Kruger, soupira-t-il. J’ai déjà envoyé le pistolkorp Jägerwald s’occuper du pistolkorp Von Baumberg.
Gerulf et Klaus ? Ils étaient donc là ! Wilhelm jeta des regards autour de lui, scrutant chaque visage. S’ils avaient survécu, ils devaient bien être quelque part non loin. Pendant ce temps, Reiner continua, son visage montrant qu’il faisait peu cas de la souffrance que lui infligeait son épaule.
- Moi-même je dois me faire examiner. Avez-vous la moindre blessure importante ?
- Non major, je m’en suis tiré avec de simples éraflures et estafilades major.
Puis un doute le frappa, faisant disparaître son soulagement.
- Vous avez parlé de Gerulf et Klaus major, mais qu’en est-il de Dieter ?
- Il est mort, à ma grande honte, lui asséna Reiner sans que son ton n’exprime la moindre affliction. Sa haine de l’ennemi l’a amené à manquer de prudence, et je n’ai pas réussi à lui porter secours au moment où une lame a percé son cou. Vous étiez alors avec messire Guy, un…
Wilhelm n’entendit pas le reste de la phrase. Il n’y avait rien d’autre à savoir de toutes les façons. Il sentit son être se mettre de lui-même en mouvement, tout droit, sans s’arrêter, et il ne reprit ses esprits que lorsqu’une vive douleur lui vrilla le front. Il s’était cogné contre un arbre. Alors, s’appuyant contre une branche basse, il pleura toutes les larmes de son corps.
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Sam 8 Déc 2018 - 22:08
waaaaaaaaaaaaa! je croyais que j'avais commenté avant moi! honte sur moi!
doublement honte sur moi pour ne pas avoir commenté hier du coup désolé, je me suis écroulé en arrivant (j'avais ouvert ma session pourtant^^')
Du coup, p'tit com
déjà, ce que j'ai le plus aimé dans tout ça, c'est que tu as enchaîné en un seul morceau la préparation de la bataille, la bataille en elle même, et surtout la fin de celle-ci, les premiers instants après le "la bataille est finie"
d'habitude, la fin d'un combat coincide avec la fin d'un chapitre, mais là tu nous montre que ce n'est qu'en enchaînant les deux morceaux qu'on peut ressentir le soulagement inquiet des soldat après une bataille, j'ai vraiment trouvé ça très puissant:-D
le chapitre se termine juste après les ressentis, quelques lignes plut tôt et on aurait raté un des moments les plus intéressant de la bataille
Ensuite, l'autre truc que j'ai beaucoup aimé, c'est de lire un combat avec des hommes de l'empire, et des hommes de l'empire en position de force (enfin... au moins d'égalité), on voit la tactique, la poudre, et le fer des troupes impériales à l'oeuvre
dans le combat en lui même, tu as vraiment géré le point de vue du soldat à pied dans une bataille, on voit les choix tactiques et le chaos de la mêlée sans que ça soit confus ou qu'on perde la moindre information sur ce qui se passe! c'est super bien écrit et très clair en plus:-D
et puis, des petits morceaux de skavens dans tout ça, c'est parfait^^ On voit des forces skavens nombreuses, mais pas infinies, j'aime beaucoup quand les armées, même skavens, ont des limites^^
par contre, laisse nous souffler de temps en temps Laisse tes pauvres personnages profiter de petits moments tranquilles, presque d'ennuis, je comprends que dans le contexte ça soit normal d'enchaîner les evenements, mais laisse les souffler (et nous avec ), ça rendra les évènements encore plus impressionnant avec la comparaison
doublement honte sur moi pour ne pas avoir commenté hier du coup désolé, je me suis écroulé en arrivant (j'avais ouvert ma session pourtant^^')
Tant que tu continues à faire des pages d'aussi bonne qualité, je préfère en avoir 5 que 2Elle arrive, il faut juste que je jugule ma propension à étaler sur 5 pages un truc qui aurait dû n'en occuper que 2.
Du coup, p'tit com
déjà, ce que j'ai le plus aimé dans tout ça, c'est que tu as enchaîné en un seul morceau la préparation de la bataille, la bataille en elle même, et surtout la fin de celle-ci, les premiers instants après le "la bataille est finie"
d'habitude, la fin d'un combat coincide avec la fin d'un chapitre, mais là tu nous montre que ce n'est qu'en enchaînant les deux morceaux qu'on peut ressentir le soulagement inquiet des soldat après une bataille, j'ai vraiment trouvé ça très puissant:-D
le chapitre se termine juste après les ressentis, quelques lignes plut tôt et on aurait raté un des moments les plus intéressant de la bataille
Ensuite, l'autre truc que j'ai beaucoup aimé, c'est de lire un combat avec des hommes de l'empire, et des hommes de l'empire en position de force (enfin... au moins d'égalité), on voit la tactique, la poudre, et le fer des troupes impériales à l'oeuvre
dans le combat en lui même, tu as vraiment géré le point de vue du soldat à pied dans une bataille, on voit les choix tactiques et le chaos de la mêlée sans que ça soit confus ou qu'on perde la moindre information sur ce qui se passe! c'est super bien écrit et très clair en plus:-D
et puis, des petits morceaux de skavens dans tout ça, c'est parfait^^ On voit des forces skavens nombreuses, mais pas infinies, j'aime beaucoup quand les armées, même skavens, ont des limites^^
par contre, laisse nous souffler de temps en temps Laisse tes pauvres personnages profiter de petits moments tranquilles, presque d'ennuis, je comprends que dans le contexte ça soit normal d'enchaîner les evenements, mais laisse les souffler (et nous avec ), ça rendra les évènements encore plus impressionnant avec la comparaison
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Ethgrì-Wyrda, Capitaine de Cythral, membre du clan Du Datia Yawe, archer d'Athel Loren, comte non-vampire, maitre en récits inachevés, amoureux à plein temps, poète quand ça lui prend, surnommé le chasseur de noms, le tueur de chimères, le bouffeur de salades, maitre espion du conseil de la forêt, la loutre-papillon…
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Dim 9 Déc 2018 - 17:18
Merci pour ce commentaire (et détaillé en plus ) !
Pour ce qui est des tactiques, j'ai fait comme j'ai pu, mais un spécialiste me dira qu'elles sont certainement très nazes. Qu'importe, je suis content que ça plaise.
Je n'ai pas vraiment pensé le truc en termes de découpage évènementiel, mais plutôt un découpage émotionnel. Je voulais qu'on suive les sentiments de Wilhelm au cours de ces heures sombres, et le pinacle se situant après la fin, ben je devais continuer à raconter.ethgri wyrda a écrit:déjà, ce que j'ai le plus aimé dans tout ça, c'est que tu as enchaîné en un seul morceau la préparation de la bataille, la bataille en elle même, et surtout la fin de celle-ci, les premiers instants après le "la bataille est finie"
d'habitude, la fin d'un combat coincide avec la fin d'un chapitre, mais là tu nous montre que ce n'est qu'en enchaînant les deux morceaux qu'on peut ressentir le soulagement inquiet des soldat après une bataille, j'ai vraiment trouvé ça très puissant:-D
le chapitre se termine juste après les ressentis, quelques lignes plut tôt et on aurait raté un des moments les plus intéressant de la bataille
J'ai pas vraiment voulu que les hommes de l'empire soient à égalité. Ils ont pris cher, très cher. Et si une trahison bien skavenesque n'avait pas eu lieu, ils auraient certainement perdu. Mais du coup, là ils ont effectivement pu tirer leur épingle du jeu.le bouffeur de salades a écrit:Ensuite, l'autre truc que j'ai beaucoup aimé, c'est de lire un combat avec des hommes de l'empire, et des hommes de l'empire en position de force (enfin... au moins d'égalité), on voit la tactique, la poudre, et le fer des troupes impériales à l'oeuvre
dans le combat en lui même, tu as vraiment géré le point de vue du soldat à pied dans une bataille, on voit les choix tactiques et le chaos de la mêlée sans que ça soit confus ou qu'on perde la moindre information sur ce qui se passe! c'est super bien écrit et très clair en plus:-D
Pour ce qui est des tactiques, j'ai fait comme j'ai pu, mais un spécialiste me dira qu'elles sont certainement très nazes. Qu'importe, je suis content que ça plaise.
Les petits bouts de skavens ont été un vrai plaisir à rédiger . Je me suis mis à chercher tous les superlatifs possibles pour les moments où on s'adresse au prophète gris. Quant à leurs armées, ben effectivement, elles ne sont pas infinies, mais au final elles sont surtout pas vraiment disciplinées, et ça s'est retourné contre eux. Ça et la trahison du prophète.la loutre-papillon a écrit:et puis, des petits morceaux de skavens dans tout ça, c'est parfait^^ On voit des forces skavens nombreuses, mais pas infinies, j'aime beaucoup quand les armées, même skavens, ont des limites^^
Les moments calmes vont revenir. Cette bataille a été la fin d'un build up qui dure depuis le chapitre 3, il est normal que l'action soit haletante (enfin je crois). Mais le prochain chapitre sera bien plus calme.le tueur de chimères a écrit:par contre, laisse nous souffler de temps en temps Laisse tes pauvres personnages profiter de petits moments tranquilles, presque d'ennuis, je comprends que dans le contexte ça soit normal d'enchaîner les evenements, mais laisse les souffler (et nous avec ), ça rendra les évènements encore plus impressionnant avec la comparaison
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- EssenSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mer 12 Déc 2018 - 17:49
Eh bien, s'il y a une chose qui sort du commun, c'est une bataille souterraine impliquant des impériaux. Une bataille contre des skavens sur leur propre terrain, qui se solde par une quasi-victoire, c'est encore plus rare.
Quelle bande de bras cassés, ces ratons
Cela dit, je m'interroge sérieusement quant à l'avenir de l'armée victorieuse. Les skavens n'ont pas de livres de rancunes, mais je gage que cette défaite va leur rester en travers de la gorge, et qu'il y aura sans doute des représailles...
Comme si cela ne suffisait pas, je suis curieux de voir comment les haut-gradés vont traiter l'information militaire dont ils disposent sur les skavens. Vont-ils considérer que c'était le seul terrier existant, désormais bouché pour de bon ? Vont-ils tenir une veille constante sur les grottes alentours ? Vont-ils relayer l'information, au risque de passer pour des hérétiques ?
C'est vraiment drôle. Ton style et ta narration sont indubitablement superbes, par contre toutes ces questions sur le fond me donnent un mal de crâne fou
En tout cas, on sent déjà les lignes du destin se former pour Wilhelm : la promotion dans l'Ordo Draconis ne semble plus si loin ! Et ce qui va suivre... suivra
La suite !
Quelle bande de bras cassés, ces ratons
Cela dit, je m'interroge sérieusement quant à l'avenir de l'armée victorieuse. Les skavens n'ont pas de livres de rancunes, mais je gage que cette défaite va leur rester en travers de la gorge, et qu'il y aura sans doute des représailles...
Comme si cela ne suffisait pas, je suis curieux de voir comment les haut-gradés vont traiter l'information militaire dont ils disposent sur les skavens. Vont-ils considérer que c'était le seul terrier existant, désormais bouché pour de bon ? Vont-ils tenir une veille constante sur les grottes alentours ? Vont-ils relayer l'information, au risque de passer pour des hérétiques ?
C'est vraiment drôle. Ton style et ta narration sont indubitablement superbes, par contre toutes ces questions sur le fond me donnent un mal de crâne fou
En tout cas, on sent déjà les lignes du destin se former pour Wilhelm : la promotion dans l'Ordo Draconis ne semble plus si loin ! Et ce qui va suivre... suivra
La suite !
- Arcanide valtekSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mer 12 Déc 2018 - 22:14
Une quasi-victoire, c'est le mot qui convient. Parce que même si je n'en ai pas fait étalage dans ce chapitre, les pertes humaines ont été très élevées.Von Essen a écrit:Eh bien, s'il y a une chose qui sort du commun, c'est une bataille souterraine impliquant des impériaux. Une bataille contre des skavens sur leur propre terrain, qui se solde par une quasi-victoire, c'est encore plus rare.
Quelle bande de bras cassés, ces ratons
Voui, mais ils vont mettre du temps à s'en remettre. Ils ont quand-même perdu un seigneur de guerre, une grosse partie de leurs vermines de chocs, une quinzaine de lance-feu, et la quasi-totalité de leurs esclaves.Von Essen a écrit:Cela dit, je m'interroge sérieusement quant à l'avenir de l'armée victorieuse. Les skavens n'ont pas de livres de rancunes, mais je gage que cette défaite va leur rester en travers de la gorge, et qu'il y aura sans doute des représailles...
Cela sera abordé dans la suite, mais comme tu peux t'en douter la légende urbaine concernant les skavens est difficile à briser. Après, j'essaie de me focaliser sur Wilhelm, tant par flemme narrative (ce sera déjà assez long comme ça) que par intérêt narratif. C'est son histoire, pas celle de l'ordre. Mais quand je le peux, je glisse quelques mots sur les évènements qui se passent à côté.Von Essen a écrit:Comme si cela ne suffisait pas, je suis curieux de voir comment les haut-gradés vont traiter l'information militaire dont ils disposent sur les skavens. Vont-ils considérer que c'était le seul terrier existant, désormais bouché pour de bon ? Vont-ils tenir une veille constante sur les grottes alentours ? Vont-ils relayer l'information, au risque de passer pour des hérétiques ?
Venant d'un auteur tel que toi je ne peux qu'être touché .Von Essen a écrit:C'est vraiment drôle. Ton style et ta narration sont indubitablement superbes
À moi aussi d'une certaine façon .Von Essen a écrit:par contre toutes ces questions sur le fond me donnent un mal de crâne fou
J'estimais auparavant qu'on en était à la moitié. Mais en fait, vue ma tendance actuelle à dépasser mes estimations en termes de taille de texte, et le fait que j'ai récemment décidé d'amener cette histoire plus loin que sa fin initialement prévue, ben je dirais qu'on a fini le premier tiers.Von Essen a écrit:En tout cas, on sent déjà les lignes du destin se former pour Wilhelm : la promotion dans l'Ordo Draconis ne semble plus si loin ! Et ce qui va suivre... suivra
La suite !
En presque un an.
Mais chaque chose en son temps. La suite est bien avancée, mais avec les vacances qui arrivent, je ne sais pas si je l'aurais finie avant 2019.
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Lun 11 Fév 2019 - 21:12
Chapitre VIII
Son cheval avançait à pas lent dans les rues de Wissenburg, la poussière se soulevant à chaque claquement de ses sabots sur le sol. Les gens tournaient la tête sur son passage, lui adressant parfois un sourire auquel il répondait volontiers. Un air de contentement vissé sur sa face imberbe, Wilhelm parcourait les rues de sa ville natale, prenant tranquillement la route qui menait chez lui. Il était vêtu d’une simple tunique rouge sombre, d’un pourpoint noir et de chausses de la même couleur, et s’il n’avait jamais été coquet il profitait allègrement de ne plus avoir à porter l’uniforme de l’institut Oppenhauer. Le plus beau était de ne plus être affublé de ce ridicule chapeau à plumes, qui était maintenant compressé par plusieurs épaisseurs de vêtements dans ses bagages. Il avait pensé à le jeter, mais son père l’aurait très mal pris.
Sa monture avançait docilement sans qu’il ait à faire plus que lui presser légèrement les flancs de temps en temps. C’était une magnifique bête, taillée pour la guerre et excellemment dressée, et qui constituait le cadeau habituel du capitaine Oppenhauer aux membres de chaque promotion sortante. Wilhelm n’osait imaginer le prix d’un tel achat, mais après tout le capitaine était très bon gérant de ses couronnes, et surtout que cette année, cela n’avait pas dû lui coûter bien cher…
Wilhelm aimait Wissenburg, cette ville avait su rester modeste en étant pourtant si bien placée sur la route commerciale reliant Nuln à Pfeildorf qui générait un va-et-vient permanent de nouveaux venus. Et puis du haut des toits, on pouvait avoir une superbe vue sur le soleil couchant. Cela faisait d’ailleurs longtemps qu’il n’avait pas escaladé quoi que ce soit. Il hésita un instant, mais se ravisa. Il pourrait en profiter demain, aux premières lueurs de l’aurore. Aujourd’hui était un jour à ne pas manquer, car il allait enfin revoir sa famille. Il se désolait d’une seule chose : il n’allait pas rester longtemps, car l’Ordo lui avait laissé encore trois semaines pour faire ses préparatifs.
Passé ce délai, il deviendrait officiellement l’écuyer de messire Guy du Fort aux Roses au Fort de Sang.
Wilhelm se rappelait fort bien dans quelles circonstances cela avait été décidé. Il en avait fait peu cas sur le moment, tout à la détresse que représentait la descente dans la cité des rats et la perte de Dieter. C’est dans un état second qu’il avait vécu la suite, et il fallut que Reiner et Gerulf lui expliquent certains détails plus tard.
Les rescapés des prisonniers et de la glorieuse armée qui avait quitté le fort la veille avaient quitté précipitamment la forêt en utilisant les chevaux, restés à l’extérieur pendant toute la bataille. Les chevaliers n’étaient plus qu’une cinquantaine, la plupart blessés, tous démoralisés. Des hommes des troupes régulières, il n’y en avait plus qu’environ cinq cents, alors que trois fois plus étaient entrés dans les souterrains. Toutes les machines d’artillerie avaient été perdues lors de la fuite, et étaient certainement détruites depuis l’explosion. Un grand nombre d’écuyers étaient morts également, les jeunes hommes ayant été mobilisés lorsque la bataille avait pris une tournure désastreuse. De plus, tout le monde était épuisé, et le grand-maître organisa un roulement entre ceux qui avançaient sur cheval, à pied ou dans les chariots, ces derniers étant cependant mis en priorité à la disposition des blessés.
Et parmi ces blessés se trouvait Klaus. Le grand pistolier avait pris un mauvais coup à la jambe lors du dernier assaut, ce qui lui avait fait perdre beaucoup de sang. Les hommes lui firent un garrot, mais les chirurgiens ne s’étaient occupés d’autres personnes en priorité, et la blessure s’était aggravée. Une fois de retour au fort, le verdict ne tarda pas à tomber : il allait perdre sa jambe. Cela l’aurait mis dans une rage folle s’il avait eu assez de forces pour crier, mais il était alors tellement affaibli qu’il se contenta de grimacer. Kurt, leur camarade blessé resté au fort, s’en voulut horriblement de ne pas avoir été là pour Dieter et Klaus, et ce malgré toutes les paroles de réconfort que Wilhelm essaya maladroitement de lui dire. Reiner, miraculeusement, n’avait pas prononcé un mot, ce dont Wilhelm se félicitait, car son ton détaché habituel aurait fait plus de mal qu’autre chose. Le major avait souffert d’une blessure à l’épaule, qui lui fit garder le bras en écharpe pendant un mois. Gerulf, de son côté, avait reçu un grand nombre de blessures superficielles, comme Wilhelm, dont il se remit rapidement.
Le retour au fort s’était effectué en autant de temps qu’à l’aller, certainement du fait du plus faible nombre de personnes à mettre en mouvement, et ce malgré l’épuisement des troupes. Une fois arrivé, Wilhelm ne s’était pas attendu à échanger avec le grand-maître à nouveau. La bataille souterraine avait laissé un amer souvenir aux chevaliers, et il avait pensé que Herr Bastian ne voudrait plus entendre parler d’eux, ayant été ceux qui furent à l’origine de cette attaque. Mais c’était mal le connaître.
Ils rentrèrent ensuite rapidement à Nuln, car le grand-maître s’y rendait lui-même afin d’évoquer la situation avec la comtesse et y ramener les rescapés de l’armée de Weber. Ces derniers étaient malheureusement peu nombreux, pas plus de deux ou trois centaines. Les jeunes pistolkorps furent du voyage, qui se déroula une semaine plus tard, le temps que leurs blessés se remettent suffisamment pour monter à cheval (ou, dans le cas de Klaus, pour que sa jambe amputée soit suffisamment guérie pour lui permettre de voyager dans une carriole). Le début du trajet fut fait dans la cordialité, mais sans que les jeunes pistoliers ne se mêlent aux officiers. Cependant, le deuxième soir, alors qu’ils faisaient étape autour d’une auberge pour la nuit (seuls les plus hauts gradés avaient droit à loger à l’intérieur), Herr Bastian Von Alte Brücke convoqua Wilhelm, Gerulf et Reiner dans sa chambre (la plus grande de l’établissement), et leur déclara :
« Messieurs, je tenais à nouveau à vous remercier pour votre bravoure. Ne croyez pas, de plus, que votre vaillance au combat soit passé inaperçue. Reiner Von Enghelhoff, Wilhelm Kruger, Gerulf Jägerwald, dès que votre formation au métier de la guerre sera terminée, je vous invite à rejoindre les rangs de l’Ordo Draconis, en tant qu’écuyers, pour continuer de défendre notre empire comme vous l’avez si bien fait ces derniers jours. »
Wilhelm était d’abord resté pantois, puis avait chaudement accepté. Il avait trouvé, au cours de ses quelques jours au Fort du Sang, une vie qui lui conviendrait beaucoup. Il appréciait l’esprit de camaraderie qu’il avait développé au cours des deux années passées dans l’académie Oppenhauer, et il s’était aperçu que l’Ordo avait cette même ambiance, à la fois d’équipe et de compétition. La guerre était leur métier, mais les hommes du fort n’étaient pas des gens mornes et tristes, aigris par la mort, comme il avait cru le devenir lui-même après la bataille contre les hommes-rats. Au contraire, ils étaient courtois, gais, et parfois espiègles. Par-dessus tout, ils se soutenaient les uns les autres, ne manquant pas d’occasions de se serrer les coudes. Au soir de leur retour de la bataille, une grande beuverie fut organisée dans la grande salle du fort, à laquelle tout le monde se soûla sans ménagement, Herr Bastian le premier. Il y eut des chansons, des danses, et chacun pleura ses camarades tombés, les uns dans les épaules des autres. Wilhelm lui-même se souvenait avoir chanté, dansé, pleuré, et bu, tout cela à plusieurs reprises. Il ne se souvenait pas, en revanche, de la fin de la soirée, sinon qu’il s’était réveillé sur la muraille Est, avec la sensation qu’on enfonçait un épieu dans son crâne, les mains fermement cramponnées à une marmite remplie de copeaux de bois. Il n’avait eu aucune idée de ce dont il s’agissait, mais les regards que lui lancèrent certains des hommes ce matin-là (ou bien l’après-midi, ça non plus il ne l’avait jamais su) étaient pétillants de malice, accompagnés de sourires en coin. Tout cela, avait-il réalisé, il voulait le vivre à plein temps. D’une certaine façon, Wilhelm avait toujours craint que tous les chevaliers ne ressemblassent invariablement à son père : des hommes graves, dans la retenue, et qui ne s’exprimaient presque que par reproches plus ou moins dosés. En cela, il avait été détrompé, et l’Ordo Draconis incarnait désormais pour lui cette image, celle d’un ordre soudé par la camaraderie, et uni dans la défense de l’empire.
Reiner avait également accepté, et rien dans son attitude n’avait trahi une quelconque émotion en réponse à cette proposition, pourtant prestigieuse. Wilhelm avait alors réalisé qu’il n’avait jamais entendu Reiner parler de ses objectifs dans la vie, ni même de sa vie en général. Les seules informations qu’il avait sur son Major avaient dues être glanées au compte-goutte au cours des deux années précédentes : c’était un prodige, originaire d’Averheim, et c’était tout.
Gerulf, lui, même s’il ne parlait pas souvent, avait toujours été clair sur son orientation : il voulait intégrer la garde de l’aigle noir, un ordre de chevalerie basé en Ostland, sa province natale. Il leur avait rapidement présenté que leur mission était de purger la forêt des hommes-bêtes, et même s’il disait souvent cela d’un air sombre, on pouvait sentir que cette perspective lui tenait à cœur. Ce fut donc en présentant ses excuses et que Gerulf déclina l’offre de Herr Bastian, évoquant son vœu de rejoindre le prestigieux ordre Ostlandais. Le grand-maître n’insista pas, et lui souhaita bonne chance dans sa vie future.
Ensuite, Wilhelm, Gerulf, Kurt, Klaus et Reiner étaient rentrés à Nuln, et étaient retournés à l’académie du capitaine Oppenhauer. Ce dernier avait déjà appris l’assaut nocturne dont ses élèves avaient été victimes, et à leur retour il leur avait semblé avoir considérablement vieilli. Ils en avaient deviné la raison : sur toute une promotion de quinze jeunes hommes de bonnes familles qui lui avaient été confiés, dix étaient morts, et un autre était estropié à vie. La réputation d’Hermann Oppenhauer en avait pris un sacré coup, et la perte de son principal instructeur avait achevé de lui briser le moral. Il dut envoyer des lettres aux familles de tous ses pensionnaires, exercice supplémentaire qui se révéla très éprouvant. Les cinq survivants se rendirent eux-mêmes dans la fastueuse demeure familiale de Dieter (Klaus se déplaçant désormais avec des béquilles), située dans le même quartier de l’Altestadt, à l’invitation de son père, Siegward Von Fried. Là, ils racontèrent en détail ce qui leur était arrivé aux parents de leur camarade décédé, en se laissant successivement la parole, car l’évocation de certains évènements était parfois trop difficile. Seul Reiner, à nouveau, ne prononça pas un mot de tout le récit. Mais quand la mère de Dieter lui demanda ce qu’il avait pensé de son fils, il répondit froidement « c’était un bon combattant, mais il avait du mal à maîtriser ses sentiments ». En sortant, Wilhelm et Kurt lui signifièrent que la prochaine fois, il pouvait « rester à la caserne si c’était pour dire des trucs pareils, et on restera poli pour cette fois, major ! ».
La vie avait continué bon gré mal gré. La mine sombre, le capitaine Oppenhauer annonça une semaine plus tard que son académie allait fermer. Il avait l’intention de mener les promotions actuelles à leur terme mais il s’agissait des dernières. N’étant plus que quatre, les pistolkorps de la promotion dix-sept subirent un entraînement plus personnel, assuré par un dénommé Lothar Scheiterhaufen, un homme sec, dont la face glabre couverte de cicatrices montrait l’expérience de la guerre, et qui invoquait le nom de Sigmar toutes les trois phrases. Durant cette période, Wilhelm avait supporté avec bonne grâce ses remontrances zélées, sachant que cela ne serait que de courte durée. Et le moment attendu finit par arriver, et au milieu de l’année 1861 les quatre jeunes hommes furent diplômés. Wilhelm et Reiner avaient entre temps réglé leurs préparatifs avec le Fort de Sang, et il leur avait été laissé un mois pour régler leurs affaires et venir rejoindre l’ordre. Une semaine plus tard, Wilhelm arrivait à Wissenburg.
Il remontait à présent l’allée de son quartier. La richesse des bâtisses, qui autrefois l’avait époustouflé par leur sophistication, le laissait maintenant de marbre. Ce n’était au final pas grand-chose comparé aux magnifiques demeures et établissements de l’Alestadt, mais même ici il était quelque peu dérangé par le faste que tout cela déployait. Le monde, qui auparavant lui avait semblé merveilleux, avait depuis montré son manque de pitié. L’insouciance des villes comme celle-ci lui paraissait désormais être un aveuglement volontaire. Tout cela pour vivre leurs vies insignifiantes alors que dehors, des hommes et des femmes mourraient face à des ennemis toujours plus redoutables. Vraiment, quel gâchis.
Il finit par arrêter son cheval devant la grande demeure de sa famille, dont les balcons en bronze ornés d’aigles lui firent sourire de nostalgie. Enfin, il était chez lui. Ce sentiment d’avoir ce point d’ancrage ne l’avait jamais quitté durant ces trois dernières années, mais il n’avait eu que rarement l’occasion d’y retourner, l’académie Oppenhauer considérant les concepts de ‘permissions’ comme étant superflues, les limitant à deux semaines par an. C’était ainsi la première fois que Wilhelm y revenait depuis la sombre équipée dans les souterrains, et son cœur battait d’impatience.
Il toqua quatre fois à la porte, et n’eut pas à attendre longtemps. Vingt secondes plus tard, il était étouffé par les bras d’Imma, la cuisinière, qui avait accouru au moment où Rolf, son mari, avait annoncé le retour du ‘jeune maître Wilhelm’.
« Comme t’as bonne mine, mon ptiot ! S’exclama la vieille femme en lui donnant une grande tape sur le dos. Ils ont l’air de t’avoir bien nourri dans ce trou à soldats.
- Imma, voyons, tenta de l’interrompre son majordome de mari, tu lui fais la remarque à chaque fois. Et il n’a pas l’air d’avoir assez d’air pour te répondre.
- Balivernes, le gronda Imma, c’est un guerrier maintenant, il peut supporter les assauts d’une faible femme.
Mais elle relâcha tout de même Wilhelm, qui était en train de se dire que son entraînement ne l’avait pas préparé à combattre l’amour d’une ‘faible’ grand-mère. Imma était une petite femme, dont les cheveux gris et frisés entouraient une tête généralement souriante, dotée d’un long nez qui faisait sa fierté Elle était en effet très fière de son odorat, car d’après elle c’était une bénédiction pour son métier. D’autres, plus taquins, ne manquaient pas de lui faire remarquer qu’il était aussi très pratique pour se mêler des affaires des autres, ce à quoi elle répondait ‘balivernes’. À ce moment, ses cheveux étaient couverts par une coiffe blanche, et son tablier portait plusieurs taches de sauce, signe qu’elle était en plein travail.
- Et pour la nourriture, enchaîna la cuisinière sans reprendre son souffle, je m’inquiète tout le temps de comment qu’ils mangent. C’est-y pas bien ma faute si la tambouille des soldats est généralement aussi appétissante que du purin ? Alors je m’inquiète.
Elle se tourna vers Wilhelm, qui commençait à être amusé par la scène, et reprit.
- Mais pas d’inquiétude pour ce souère, oh non. J’vous ai préparé un repas digne de ce nom. Enfin, je l’aurais déjà fini si une certaine personne ne m’interrompait pas toutes les dix minutes, termina-t-elle avec un regard contrit vers son mari.
Ce dernier, ayant depuis longtemps renoncé à répondre à ce genre de remarques, se contenta de répondre par :
- Je suis désolé ma chère. »
Imma accorda un dernier sourire à Wilhelm, puis retourna vers ses fourneaux dans un tournoiement de son cotillon. Le jeune homme se saisit aussitôt de ses affaires, et aidé de Rolf il procéda à les ramener dans la demeure.
La salle à manger du manoir Kruger était à l’image de la bâtisse : grande, superbement décorée et respectable. Située au premier étage, un parquet de bois sombre en recouvrait le sol, lui-même occupé par un impressionnant tapis aux couleurs du Wissenland : rouge, blanc et noir. Les murs, recouverts de panneaux de bois, étaient décorés de plusieurs tableaux représentant certains des ancêtres de Wilhelm, mais aussi d’armes d’apparat. Il savait que son père ne les laissait là que par respect pour ses ancêtres, car Gerhardt Kruger détestait l’ostentation, et ses propres armes étaient sans ornements aucun. Wilhelm partageait ce goût pour la simplicité avec son père, et avait toujours ressenti un certain inconfort à se trouver dans cette pièce qui paraissait vous écraser par sa splendeur. Une cheminée de pierres occupait l’un des murs, à gauche de l’entrée, et une table rectangulaire en bois sculpté se trouvait non loin. Cette table, qui était en soit une belle pièce d’ébénisterie, était suffisamment grande pour accueillir dix personnes, mais ce soir-là seules quatre l’occupaient : Wilhelm, ses parents et son frère Samuel. Pour ce repas, la famille Kruger avait mis les petits plats dans les grands, même s’il s’agissait d’un petit comité. Le service fut composé d’une entrée à base de tomates, puis d’une tourte au bœuf et à la bière (dont Wilhelm raffolait). Un assortiment de fromages fut présenté avant le dessert, ce dernier étant un gâteau aux noisettes à peine sorti du four.
Pourtant, malgré cet excellent repas, Wilhelm était mal à l’aise. S’il était ravi de revoir ses parents et son frère, il avait l’impression d’être devenu un étranger chez lui, tant le train de vie de sa famille était différent de ce qui avait été son quotidien pendant trois ans. Les conversations aussi étaient comme vides, comme si leurs sujets étaient dénués d’intérêts. Qui voulait savoir comment s’était passé l’entraînement de Samuel le matin, ou comment avait évolué le prix de la farine ces derniers temps ? Wilhelm répondait à toutes questions par des réponses laconiques, se concentrant sur sa nourriture.
« En tous cas Wilhelm, sache que ton père et moi sommes très fiers de toi. »
La voix était celle de sa mère, qui s’était adressée directement à lui sur un ton enjôleur. Lisabeth Kruger était une femme qui savait se faire charmeuse quand il le fallait, ayant un talent naturel pour comprendre les gens et la façon dont il fallait leur parler. Elle connaissait ses fils sur le bout des ongles, et avait été la partie compréhensive du couple parental, étant toujours là pour leurs joies, leurs peines, leurs échecs et leurs réussites. À cinquante-deux ans, elle était encore belle, et sans l’enlaidir, les quelques rides qui marquaient son visage semblaient au contraire lui conférer une sorte de sagesse malicieuse. D’une taille moyenne, sa silhouette autrefois fine était aujourd’hui marquée par quelques rondeurs dont elle s’accommodait plutôt bien. Ses cheveux, d’un brun presque noir, commençaient à virer au gris, et étaient ce soir coiffés en un mélange compliqué de boucles, de tresses et de nœuds, qui donnaient l’impression qu’elle portait une énorme couronne stylisée. Le reste de sa tenue n’était pas moins sophistiquée : elle portait une robe bleue ciel, avec de multiples dentelles qui se cachaient dans les plis. Les manches, plus sombres, se terminaient en de larges manchettes de soie dorée, qu’elle prenait bien soin de ne pas tacher au cours du repas. Une chaîne en or pendait autour de son cou, et ses oreilles étaient décorées par des boucles en argent torsadées, représentant une comète à deux queues. Lisabeth Kruger était de toutes évidences bien plus portée sur le faste que son mari, et aimait beaucoup s’habiller de manière sophistiquée. Surpris par sa remarque, Wilhelm leva les yeux de sa tourte pour la regarder, et s’aperçut que tout le monde l’observait avec un sourire.
Peu assuré, il ne put s’empêcher d’essayer tant bien que mal de formuler une réponse plus développée que les ‘oui’, ‘non’ ou ‘peut-être’ qu’il avait sorti jusqu’à présent.
« Je…merci.
Il regarda un instant son assiette, la trouvant soudain très intéressante. Son auditoire semblait tout ouï.
- Je ne vois pas trop quoi répondre, leur avoua-t-il après quelques secondes. Après tout, je n’ai jamais cherché à ce que ça se passe comme cela.
- C’est vrai que tu as tué des hommes-bêtes ?
La question venait de son frère, qui l’avait posée sur un ton innocent. Samuel, comme ses parents, avaient appris la nouvelle de la bataille par lettres, et ils ne s’étaient pas revus depuis.
Si c’était vrai ? Wilhelm se revit plonger sa lame dans le corps du premier homme-rat qui en fut victime. Il se revit faire de même avec tant d’autres. Leurs cris avaient été ceux des mourants. Leur agonie avait été réelle, tantôt longue et tantôt courte, mais menant sans cesses à la mort. Inéluctablement. Il n’y avait aucune autre solution.
- Oui, c’est vrai, déclara-t-il pour toute réponse, avant de se rendre compte qu’il avait plongé son couteau dans sa part de tourte en le tenant comme une dague, et que son repas ressemblait à présent à une charpie gastronomique.
Un regard autour de la table lui suffit pour s’apercevoir que son trouble avait été manifeste, car tout le monde l’observait avec de grands yeux inquiets.
- Et sinon, reprit sa mère dans une adroite tentative pour changer de sujet, combien de temps comptes-tu rester avec nous, avant que l’ordre ne t’arrache à nouveau à ta famille ?
- Trois semaines, répondit Wilhelm, qui entreprit de manger ce qui restait de sa tourte en regrettant son moment d’absence. Du coup je partirai quelques jours avant, le temps d’accomplir le voyage.
- Enfin, si c’est bien là que tu comptes aller mon fils, fit son père d’un ton calme en reposant sa coupe.
Wilhelm fronça les sourcils. Il n’avait jamais été très bon pour deviner les pensées des gens, contrairement à sa mère. Pourtant, il connaissait son père, et savait que Gerhardt Kruger ne ferait pas ce genre de remarque sans raison. Tous les deux étaient économes dans leurs paroles, et ne parlaient généralement que lorsqu’ils avaient quelque-chose à dire. C’est pour avoir une idée précise de ce que son père voulait dire qu’il le regarda droit dans les yeux et lui demanda :
- Et pourquoi ne serait-ce pas là où je compte aller ?
L’atmosphère changea d’un coup. Wilhelm vit le regard de sa mère se poser sur lui, puis sur son père, mais elle resta muette, signe qu’elle ne comptait pas s’en mêler. Samuel ressentit à ce moment un pic d’intérêt pour son assiette. Et le capitaine Kruger, qui avait manifestement espéré s’en tirer en faisant comme si de rien n’était, se retrouva à affronter le regard de son fils.
- Eh bien, finit-il par dire, je pense que tu n’as pas à te limiter à l’Ordo Draconis. Après ce que tu as accompli, tu peux viser bien plus haut.
Cette remarque fit l’effet d’une pierre dans l’estomac de Wilhelm, qui perdit soudain tout appétit. Il commençait à comprendre là où son père voulait en venir, mais il ne comptait pas se laisser faire.
- Plus haut ? Et pourquoi plus haut ? C’est le grand-maître en personne qui m’a fait cette proposition. De quel « plus haut » parlons-nous ?
- Eh bien, reprit Gerhardt d’un ton fatigué, Vinzent a intégré un ordre secondaire, mais il n’y restera pas longtemps. Pour toi, je pensais à un ordre plus prestigieux, plus glorieux.
Cette fois-ci, le jeune homme eut l’impression qu’une douche à la fois brûlante et glaciale venait de lui être versée sur la tête. Il n’arrivait pas à croire que son père puisse prononcer des mots pareils. Sa mère dut avoir la même pensée, car elle lança un regard noir à son mari. Mais celui-ci ne s’en aperçut pas, ses yeux étant fixés dans ceux de son fils.
- Plus glorieux, ironisa Wilhelm d’un ton amer. J’imagine qu’en effet, mourir dans un trou pour venger les siens n’est pas assez glorieux. Affronter des hommes-bêtes dans des montagnes isolées ce n’est pas assez prestigieux.
Son ton montait, et il se rendit compte qu’il s’était levé.
- Et que dire de ces hommes, qui se sont battus et qui se battent encore pour la paix de l’empire ? Leur honneur est donc moins grand que celui de ces fameux ordres dont tu parles ? Leur courage, leur vaillance et leurs sacrifices sont-ils moins glorieux que celui des autres ? C’est cela que tu voulais dire ?
Gerhardt Kruger était interloqué. Il n’avait jamais été confronté ainsi par un de ses fils. Il était partagé entre l’envie de lui ordonner de se taire devant son père et celle de le féliciter pour montrer enfin des qualités d’homme. Mais il se rendit compte bien vite que la situation risquait de lui échapper s’il n’essayait pas de calmer le jeu. Après tout, Wilhelm était son fils, et il ne voulait que son bien, même si ce dernier n’avait pas l’air de vouloir le reconnaître.
- Ce n’est pas la question, mais tu dois aussi penser à ton avenir, répondit-il avec un ton qui se voulait plus conciliant. Ton grand-frère va hériter de mes titres et de mes terres, alors pour toi, une carrière dans un grand ordre de chevalerie te permettrait bien plus facilement d’acquérir des honneurs et des biens similaires. Je ne pense pas que tu voudrais rester toute ta vie dans les montagnes grises.
Wilhelm observait son père comme s’il le rencontrait pour la première fois. Jamais il ne s’était senti à ce point humilié. Cet homme, qui ne savait rien de ce qu’il venait de vivre, avait d’ores et déjà décidé du reste de son existence, tout en se permettant d’insulter les hommes de l’Ordo Draconis. Un titre ? Des terres ? Peut-être même lui avait-il organisé un mariage sans lui dire par-dessus le marché. Il tremblait de colère, et ses mains lui faisaient mal à force de serrer sa fourchette.
- Je suis navré que mon choix de vie ne vous agréé pas, père, articula-t-il entre ses dents. Mais sachez que je ne compte pas les changer. Maintenant, si la vue de votre fils si peu glorieux vous insupporte, permettez que je prenne congé.
Et, tournant les talons, il s’en fut, sans prendre le temps de lâcher sa fourchette, laissant derrière lui une salle à manger plongée dans un silence assourdissant.
Wilhelm se réveilla tôt le lendemain matin, et n’arriva pas à se rendormir, la conversation de la veille au soir lui restant en tête. De dépit, il décida de se lever, et se rendit dans la cour intérieure du manoir. Il avait initialement voulu faire de l’escalade, mais il ressentait un grand besoin de se vider l’esprit, et savait exactement comment s’y prendre pour cela. Dans une salle attenante à la cour, il trouva ce qu’il cherchait : des mannequins d’entraînement et des épées émoussées. À bout de bras, il traîna l’un des mannequins dans un coin de la cour, et armé d’une épée il commença à pratiquer des échauffements.
La pratique des armes avait quelque chose de réconfortant. Il ne s’agissait pas d’un exercice où l’objectif pouvait être camouflé, comme pouvait l’être la politique. Lors d’un combat, le but était clair : mettre l’adversaire hors d’état de nuire. Souvent, cela passait par son désarmement, voire l’amputation d’un ou plusieurs membres, ou même la mise à mort. Tout d’abord dans le but de survivre, bien sûr, mais Wilhelm y voyait plus que cela. Il considérait la pratique martiale comme une sorte de moyen de communication. Lorsque deux individus se battaient, cela pouvait être pour de multiples raisons, et la victoire pouvait être obtenue de plusieurs manières différentes. Il y avait des combats à mort, pour la survie, mais aussi des duels d’honneur, des duels amicaux, ou même des combats de spectacle. Dans chacun de ces cas, il fallait gagner, mais parfois la façon d’obtenir cette victoire était parfois toute aussi importante que la victoire elle-même. Mais il y avait une constante : quelle que soit la raison d’un combat, une habileté supérieure résultait toujours en une chance de victoire supérieure. Et donc Wilhelm s’entraînait.
Ce matin-là, il venait de commencer les premières passes lorsque des bruits de pas retentirent dans son dos. Il n’arrêta pas ses mouvements, mais s’orienta de façon à voir le ou les nouveaux arrivants. Il s’agissait de Samuel, vêtu de pied en cap d’une armure matelassé, accompagné de Herr Siegfried Schwarzerde, son maître d’armes, vêtu de la même façon, et portant deux épées d’entraînement. Tous deux se mirent bientôt à s’échauffer, puis enchaînèrent les passes alors que Wilhelm se concentrait sur les siennes. La cour résonna bientôt de multiples bruits métalliques, issus du tintement des lames. Au bout d’une vingtaine de minutes cependant, Wilhelm aperçut Samuel et Herr Siegfried cesser leurs assauts, et le maître d’armes s’avança vers lui.
« Herr Wilhelm, bonjour, commença-t-il d’un ton direct.
C’était un homme court, mais droit, d’une quarantaine d’années, au corps sec et élancé sans aucune trace de graisse. Son visage était glabre, marqué par quelques rides, et était de plus particulièrement expressif. Ce matin-là, il avait la mine enjouée, certainement du fait qu’il n’avait pas vu Wilhelm depuis longtemps.
- Bonjour, herr Siegfried, répondit ce dernier entre deux attaques sur le manequin. Comment allez-vous ?
- Fort bien, je vous remercie.
Il y eut un instant de silence, puis le maître d’armes reprit :
- Je vois que vous vous entraînez seul. Que diriez-vous de vous joindre à nous, votre frère et moi, en cette belle matinée ?
Wilhelm stoppa ses propres coups, accordant un répit à l’assemblage de poutres et de plaques qui lui servait de cible depuis l’aube.
- Pourquoi pas, finit-il par dire en reprenant son souffle. Vous pensez à des entraînements particuliers, du style deux contre un ?
- Quelque-chose de ce genre, sourit herr Siegfried. Vous semblez avoir de l’expérience, et votre frère n’en sortira que plus aguerri. »
Quelques minutes plus tard, Wilhelm ferraillait contre Samuel, épée contre épée, sans boucliers ni armure, sous l’œil attentif du maître d’armes. Il n’avait jamais fait de réel duel contre ses frères, car leur père ne voulait pas qu’ils s’entraînent ensemble, ni même avec le même précepteur. Mais il trouvait l’exercice intéressant, même si, il le savait, Samuel faisait un partenaire moins stimulant que ses ex-condisciples. Après tout, leurs cinq années de différences se faisaient sentir, et Wilhelm avait l’expérience des trois dernières années. Pourtant, s’il refusait de rendre la tâche facile à son frère, il ne voulait pas le frustrer, et se contentait de lui porter des assauts sans pourtant profiter des trous dans sa garde. De son côté, Samuel tentait de s’en sortir, tant bien que mal, alors que Schwarzerde envoyait des remarques à intervalles réguliers. Sa voix était ferme, tout comme son visage pendant tout l’exercice.
« Stop ! Finit par claquer sa voix. Nous allons changer maintenant. Herr Samuel, herr Wilhelm, si vous le voulez bien, vous allez m’attaquer à deux.
Wilhelm haussa les sourcils, tandis que Samuel laissa s’exprimer son étonnement.
- À deux ? Mais vous serez désavantagé.
- Le serai-je vraiment ? Nous allons voir. »
Sur ces mots, il leva sa propre épée et se mit en garde. Wilhelm avait déjà eu l’occasion de pratiquer ce genre d’exercice, mais jamais contre un maître d’armes, ni avec un partenaire comme Samuel. Le défi l’intéressait, et il s’avança vers herr Siegfried alors que son petit frère l’imitait. Wilhelm savait que la clé de ce genre d’affrontement était d’encercler l’adversaire, alors il se déplaça latéralement, escomptant que Samuel l’imite de l’autre côté. Mais le maître d’armes connaissait sans doute par cœur ce genre de stratégies, et reculait de façon à éviter que les frères Kruger ne réussissent cette manœuvre. Samuel, lui, semblait n’en avoir aucune idée, et se jeta sur herr Siegfried l’épée en avant. Le maître d’armes se mit à tourner autour de lui en déviant ses coups, de façon à le maintenir entre Wilhelm et lui, pour éviter l’encerclement. L’échange de coups fut de courte durée, Samuel étant rapidement désarmé et ‘tué’ par Schwarzerde. Wilhelm se rendit compte de la futilité de sa manœuvre en constatant qu’il lui avait été impossible de trouver un angle d’attaque.
« Encore » fit herr Siegfried, et ils recommencèrent le même exercice. Cette fois, Wilhelm prévint son frère : « il faut l’encercler. Reste sur la défense tant que nous n’avons pas réussi. » Samuel hocha la tête, et ils avancèrent de concert en deux arcs de cercles. Mais herr Siegfried n’attendit pas que leur manœuvre réussisse, bondissant sur Samuel qui en fut tellement surpris qu’il recula sous les coups. Wilhelm se jeta vers les deux combattants, mais il était trop tard : Samuel était à nouveau désarmé, et le maître d’armes était tourné vers lui, souriant. Ils croisèrent le fer, et l’ancien pistolier sentit que son adversaire se concentrait plus que tout à l’heure. Il avait peut-être échoué en tant que tacticien, mais il sentait que le défi qu’il lui imposait à présent, l’épée en main, était plus important. Malgré tout, il n’était pas de taille, et herr Siegfried finit par le désarmer d’une botte bien placée. Ils restèrent silencieux pendant quelques secondes, puis la voix du maître d’armes claqua une nouvelle fois: « encore ».
La matinée passa ainsi, les deux frères tentant de gagner à deux contre le maître d’armes. Il leur fallut cinq essais pour y parvenir. Wilhelm prit les devants et se lança contre herr Siegfried, qui se défendait tout en reculant quand Samuel se joignait à l’assaut. Wilhelm et lui manœuvrèrent précautionneusement afin qu’il atteigne le mannequin d’entraînement sorti plus tôt par Wilhelm. À ce moment, Samuel se jeta sur ledit mannequin pour le faire tomber sur son maître d’armes. Ce dernier, surpris par cet assaut impromptu, ne s’écarta pas à temps, et tomba à la renverse. Wilhelm lui donna alors un coup de botte dans la main droite, lui faisant lâcher son épée, avant de pointer la sienne droit vers sa gorge. Il eut alors un sourire, et demanda : « encore ? ». Herr Siegfried sourit franchement en retour, et se remit sur ses pieds. « Ce ne sera pas la peine, herr Wilhelm, lui répondit-il en riant. Vous avez bien mérité votre victoire tous les deux. Vous avez fini par trouver une solution, qui était d’utiliser l’environnement. Cela peut vous sauver lors d’un combat qui semble perdu d’avance. » Le maître d’arme s’épousseta, puis déclara que l’entraînement était fini et s’en retourna à l’intérieur. Wilhelm et Samuel s’occupèrent de relever le mannequin pour ensuite le rentrer dans le manoir. Wilhelm en profita pour parler à son frère en privé.
« Qu’est-ce que tu deviens ces temps-ci ? Ça fait trop longtemps qu’on ne s’est pas retrouvés que tous les deux.
- Oh tu sais, je vis la même vie que toi à l’époque. Entraînement le matin, leçons l’après-midi, et je ne vois pas père très souvent. Il s’occupe de beaucoup de choses, dont celle de me trouver un moyen de devenir pistolier quand le moment sera venu.
Samuel poussa un soupir, puis reprit.
- Tu sais, la fermeture de l’académie Oppenhauer l’a pris de court. Il a été très embêté quand il a compris qu’il allait devoir me trouver un autre moyen d’accéder à la chevalerie.
Il hésita avant d’ajouter.
- Et que ça aurait certainement moins de prestige.
À entendre à nouveau ce mot, Wilhelm sentit à nouveau ses dents se serrer.
- Et qu’est-ce que tu veux toi ? Veux-tu vraiment être chevalier ? Veux-tu vraiment mener une telle existence, à mettre ta vie en danger, à voir la mort en face ? À la voir frapper autour de toi ?
Samuel regarda son frère sans comprendre, l’air soudain apeuré. Wilhelm eut un frisson, puis se rendit compte de ce qu’il venait de dire.
- Désolé, s’excusa-t-il d’une voix qu’il voulut être plus douce. Je n’aurais pas dû réagir comme ça. Mais je l’ai vécu cette vie, même brièvement. Et je n’envisage plus de vivre autrement. Ça apporte aussi beaucoup de satisfaction. On s’y fait de vrais amis, on a la fierté de faire ce qui est juste, de se battre pour le bien, et je sais que c’est ce à quoi je veux dédier ma vie.
Il reposa son épée d’entraînement sur un râtelier.
- Mais je ne l’ai pas choisi, finit-il par ajouter. Toute ma vie, je n’ai jamais eu le choix. J’entends faire le mien à présent, et j’espère que toi aussi, de ton côté, tu pourras faire de même. »
« Mon fils a perdu l’esprit, voilà. Ce n’est pas plus mal que cette satanée académie ferme, il n’y a qu’à voir ce qu’elle a fait faire à mes enfants.
Gerhardt Kruger était dans son bureau, à sa position favorite : devant la fenêtre, tournant le dos à la pièce. Lisabeth, sa femme, était derrière lui, et l’observait d’un regard qui exprimait la compassion et le manque de patience. Son mari était un excellent gestionnaire financier et un bon commandant militaire, mais il n’avait jamais rien compris à ses enfants. Et à cet instant, elle constatait encore une fois à quel point.
Gerhardt était hors de lui depuis que Wilhelm l’avait planté là au repas quelques jours plus tôt. Il n’avait jamais été défié par un de ses enfants auparavant, et ne l’entendait pas de cette oreille. Il se mit à faire les cent pas dans le bureau.
- Je ne peux pas le laisser faire. Il est de toutes évidences en train de ruiner son avenir. Qu’est-ce qu’il deviendra, perdu dans les montagnes ? Je pense que je peux envoyer un message au grand-maître de l’Ordo Draconis, disant que mon fils a reconsidéré son offre.
- Si tu fais cela, je crains que tu ne perdes définitivement sa confiance, répondit calmement Lisabeth.
Gerhardt s’arrêta et se tourna vers elle, l’air résolu.
- Je fais cela pour son bien. Il n’en aura peut-être pas conscience, mais il est encore jeune. Plus tard, il comprendra.
Lisabeth eut un sourire résigné.
- Ce qu’il va surtout se passer, c’est qu’il enverra un message lui-même, prévenant le grand-maître qu’il n’a absolument pas reconsidéré quoi que ce soit. Et il partira immédiatement, en ayant perdu tout respect pour toi.
Elle vit le visage habituellement impassible de son mari se décomposer, prenant une expression proche de la panique.
- Et que veux-tu que je fasse ? Si je ne fais rien, ce garçon va ruiner sa vie, sa réputation, sa carrière, juste sur un coup de tête.
Lisabeth prit Gerhardt par les épaules, entortillant affectueusement sa main dans ses cheveux.
- Mais justement, pour l’instant toute action de ta part ne ferait qu’empirer la situation. Je sais que cela t’insupporte de ne rien faire, mais les dés ont été jetés sans que nous ne soyons consultés. Wilhelm ne peut qu’aller dans cet ordre. La seule chose que nous pouvons changer à présent, c’est son envie de nous revoir ou non après son départ.
Durant ce séjour de deux semaines à Wissenburg, Wilhelm passa ses matinées à s’entraîner avec Samuel et herr Siegfried. Quelquefois le maître d’armes leur demandait de se battre l’un contre l’autre, et d’autres fois ils faisaient à nouveau un combat à deux contre un, en alternant les rôles. Wilhelm et Samuel eurent ainsi à s’essayer à l’exercice d’affronter deux personnes à la fois. S’il n’était pas certain d’avoir acquis une grande maîtrise de ce type de combats, Wilhelm était certain que l’expérience ne pouvait qu’être bénéfique.
Le reste du temps, il allait visiter d’anciens amis, il se promenait dans la ville, ou se livrait à l’escalade de tel ou tel bâtiment. Cela l’amusait beaucoup au début, mais il finit rapidement par s’ennuyer, car cette vie, semblable à celle qu’il menait quelques années plus tôt, lui paraissait à présent bien terne devant celle qu’il allait vivre au Fort de Sang. Les entraînements, les déambulations dans les rues, tout cela lui semblait être vain. Il avait envie de faire quelque-chose d’utile, de sentir qu’il faisait partie de quelque-chose de plus grand, de plus important que tout cela. Et il finit avant longtemps par se languir de partir.
Au cours de ce séjour, il eut peu l’occasion de parler avec son père. Ce dernier était étrangement toujours occupé, et les rares circonstances où ils se trouvèrent dans la même pièce étaient les repas de famille. Pourtant, même à ces occasions Gerhardt Kruger parlait peu, et toujours de sujets qui ne l’intéressaient pas. Depuis leur échange du premier soir, le père et le fils ne reparlèrent plus de la question pour Wilhelm d’intégrer ou non l’Ordo Draconis. Mais la tension demeurait, palpable, et bien que personne n’en parlât, tout le monde sentait qu’une lutte s’opérait silencieusement.
Le jour de son départ, Wilhelm serra son frère et sa mère dans ses bras, ainsi que Rolf et Imma. Au cours de son bref séjour, les deux serviteurs s’étaient toujours montrés présents, lui montrant à quel point il était aimé en cette maison. Quant à son frère, il sentait qu’il avait plus partagé avec lui en deux semaines qu’au cours des trois années précédentes. La complicité qu’il y avait autrefois entre eux avait refait surface, et il sentait que leur séparation allait beaucoup lui coûter. Enfin, lorsque son père descendit à son tour pour lui dire au-revoir, tous deux s’observèrent un moment sans prononcer un mot. Wilhelm était de la même taille que lui à présent, et ses yeux reflétaient sa détermination. De son côté, son père était l’incarnation de la dureté parentale. Ce fut lui qui ouvrit la bouche en premier cependant, d’une voix plus profonde et solennelle que d’habitude.
« Wilhelm, je suis navré que tu aies mal réagis à ce que je t’ai dit il y a deux semaines. Sache que malgré notre désaccord, tu restes mon fils, et je te soutiendrai. Ta vie, tu sembles avoir trouvé une façon de la mener, mais laisse-moi te donner un conseil : si tu vois une opportunité, saisi-la ! Le regret de ne pas avoir su agir quand il le fallait est une des pires choses qui puisse t’arriver. Alors agis ! »
Il n’eut pas le temps d’en dire plus, car son fils se jeta dans ses bras. « Moi aussi je t’aime père, moi aussi. » répondit Wilhelm alors que Gerhardt hésitait à lui rendre son étreinte. Lisabeth sourit. Elle n’avait jamais douté de l’affection entre eux, mais elle était contente qu’ils s’en souviennent l’un et l’autre avant que ce soit trop tard. Manifestement, son mari avait compris la leçon.
Et après cet évènement d’amour familial, dont nous savons, nous lecteurs, qu’ils sont importants dans un monde où ils sont trop rares, Wilhelm partit.
Son cheval avançait à pas lent dans les rues de Wissenburg, la poussière se soulevant à chaque claquement de ses sabots sur le sol. Les gens tournaient la tête sur son passage, lui adressant parfois un sourire auquel il répondait volontiers. Un air de contentement vissé sur sa face imberbe, Wilhelm parcourait les rues de sa ville natale, prenant tranquillement la route qui menait chez lui. Il était vêtu d’une simple tunique rouge sombre, d’un pourpoint noir et de chausses de la même couleur, et s’il n’avait jamais été coquet il profitait allègrement de ne plus avoir à porter l’uniforme de l’institut Oppenhauer. Le plus beau était de ne plus être affublé de ce ridicule chapeau à plumes, qui était maintenant compressé par plusieurs épaisseurs de vêtements dans ses bagages. Il avait pensé à le jeter, mais son père l’aurait très mal pris.
Sa monture avançait docilement sans qu’il ait à faire plus que lui presser légèrement les flancs de temps en temps. C’était une magnifique bête, taillée pour la guerre et excellemment dressée, et qui constituait le cadeau habituel du capitaine Oppenhauer aux membres de chaque promotion sortante. Wilhelm n’osait imaginer le prix d’un tel achat, mais après tout le capitaine était très bon gérant de ses couronnes, et surtout que cette année, cela n’avait pas dû lui coûter bien cher…
Wilhelm aimait Wissenburg, cette ville avait su rester modeste en étant pourtant si bien placée sur la route commerciale reliant Nuln à Pfeildorf qui générait un va-et-vient permanent de nouveaux venus. Et puis du haut des toits, on pouvait avoir une superbe vue sur le soleil couchant. Cela faisait d’ailleurs longtemps qu’il n’avait pas escaladé quoi que ce soit. Il hésita un instant, mais se ravisa. Il pourrait en profiter demain, aux premières lueurs de l’aurore. Aujourd’hui était un jour à ne pas manquer, car il allait enfin revoir sa famille. Il se désolait d’une seule chose : il n’allait pas rester longtemps, car l’Ordo lui avait laissé encore trois semaines pour faire ses préparatifs.
Passé ce délai, il deviendrait officiellement l’écuyer de messire Guy du Fort aux Roses au Fort de Sang.
Wilhelm se rappelait fort bien dans quelles circonstances cela avait été décidé. Il en avait fait peu cas sur le moment, tout à la détresse que représentait la descente dans la cité des rats et la perte de Dieter. C’est dans un état second qu’il avait vécu la suite, et il fallut que Reiner et Gerulf lui expliquent certains détails plus tard.
Les rescapés des prisonniers et de la glorieuse armée qui avait quitté le fort la veille avaient quitté précipitamment la forêt en utilisant les chevaux, restés à l’extérieur pendant toute la bataille. Les chevaliers n’étaient plus qu’une cinquantaine, la plupart blessés, tous démoralisés. Des hommes des troupes régulières, il n’y en avait plus qu’environ cinq cents, alors que trois fois plus étaient entrés dans les souterrains. Toutes les machines d’artillerie avaient été perdues lors de la fuite, et étaient certainement détruites depuis l’explosion. Un grand nombre d’écuyers étaient morts également, les jeunes hommes ayant été mobilisés lorsque la bataille avait pris une tournure désastreuse. De plus, tout le monde était épuisé, et le grand-maître organisa un roulement entre ceux qui avançaient sur cheval, à pied ou dans les chariots, ces derniers étant cependant mis en priorité à la disposition des blessés.
Et parmi ces blessés se trouvait Klaus. Le grand pistolier avait pris un mauvais coup à la jambe lors du dernier assaut, ce qui lui avait fait perdre beaucoup de sang. Les hommes lui firent un garrot, mais les chirurgiens ne s’étaient occupés d’autres personnes en priorité, et la blessure s’était aggravée. Une fois de retour au fort, le verdict ne tarda pas à tomber : il allait perdre sa jambe. Cela l’aurait mis dans une rage folle s’il avait eu assez de forces pour crier, mais il était alors tellement affaibli qu’il se contenta de grimacer. Kurt, leur camarade blessé resté au fort, s’en voulut horriblement de ne pas avoir été là pour Dieter et Klaus, et ce malgré toutes les paroles de réconfort que Wilhelm essaya maladroitement de lui dire. Reiner, miraculeusement, n’avait pas prononcé un mot, ce dont Wilhelm se félicitait, car son ton détaché habituel aurait fait plus de mal qu’autre chose. Le major avait souffert d’une blessure à l’épaule, qui lui fit garder le bras en écharpe pendant un mois. Gerulf, de son côté, avait reçu un grand nombre de blessures superficielles, comme Wilhelm, dont il se remit rapidement.
Le retour au fort s’était effectué en autant de temps qu’à l’aller, certainement du fait du plus faible nombre de personnes à mettre en mouvement, et ce malgré l’épuisement des troupes. Une fois arrivé, Wilhelm ne s’était pas attendu à échanger avec le grand-maître à nouveau. La bataille souterraine avait laissé un amer souvenir aux chevaliers, et il avait pensé que Herr Bastian ne voudrait plus entendre parler d’eux, ayant été ceux qui furent à l’origine de cette attaque. Mais c’était mal le connaître.
Ils rentrèrent ensuite rapidement à Nuln, car le grand-maître s’y rendait lui-même afin d’évoquer la situation avec la comtesse et y ramener les rescapés de l’armée de Weber. Ces derniers étaient malheureusement peu nombreux, pas plus de deux ou trois centaines. Les jeunes pistolkorps furent du voyage, qui se déroula une semaine plus tard, le temps que leurs blessés se remettent suffisamment pour monter à cheval (ou, dans le cas de Klaus, pour que sa jambe amputée soit suffisamment guérie pour lui permettre de voyager dans une carriole). Le début du trajet fut fait dans la cordialité, mais sans que les jeunes pistoliers ne se mêlent aux officiers. Cependant, le deuxième soir, alors qu’ils faisaient étape autour d’une auberge pour la nuit (seuls les plus hauts gradés avaient droit à loger à l’intérieur), Herr Bastian Von Alte Brücke convoqua Wilhelm, Gerulf et Reiner dans sa chambre (la plus grande de l’établissement), et leur déclara :
« Messieurs, je tenais à nouveau à vous remercier pour votre bravoure. Ne croyez pas, de plus, que votre vaillance au combat soit passé inaperçue. Reiner Von Enghelhoff, Wilhelm Kruger, Gerulf Jägerwald, dès que votre formation au métier de la guerre sera terminée, je vous invite à rejoindre les rangs de l’Ordo Draconis, en tant qu’écuyers, pour continuer de défendre notre empire comme vous l’avez si bien fait ces derniers jours. »
Wilhelm était d’abord resté pantois, puis avait chaudement accepté. Il avait trouvé, au cours de ses quelques jours au Fort du Sang, une vie qui lui conviendrait beaucoup. Il appréciait l’esprit de camaraderie qu’il avait développé au cours des deux années passées dans l’académie Oppenhauer, et il s’était aperçu que l’Ordo avait cette même ambiance, à la fois d’équipe et de compétition. La guerre était leur métier, mais les hommes du fort n’étaient pas des gens mornes et tristes, aigris par la mort, comme il avait cru le devenir lui-même après la bataille contre les hommes-rats. Au contraire, ils étaient courtois, gais, et parfois espiègles. Par-dessus tout, ils se soutenaient les uns les autres, ne manquant pas d’occasions de se serrer les coudes. Au soir de leur retour de la bataille, une grande beuverie fut organisée dans la grande salle du fort, à laquelle tout le monde se soûla sans ménagement, Herr Bastian le premier. Il y eut des chansons, des danses, et chacun pleura ses camarades tombés, les uns dans les épaules des autres. Wilhelm lui-même se souvenait avoir chanté, dansé, pleuré, et bu, tout cela à plusieurs reprises. Il ne se souvenait pas, en revanche, de la fin de la soirée, sinon qu’il s’était réveillé sur la muraille Est, avec la sensation qu’on enfonçait un épieu dans son crâne, les mains fermement cramponnées à une marmite remplie de copeaux de bois. Il n’avait eu aucune idée de ce dont il s’agissait, mais les regards que lui lancèrent certains des hommes ce matin-là (ou bien l’après-midi, ça non plus il ne l’avait jamais su) étaient pétillants de malice, accompagnés de sourires en coin. Tout cela, avait-il réalisé, il voulait le vivre à plein temps. D’une certaine façon, Wilhelm avait toujours craint que tous les chevaliers ne ressemblassent invariablement à son père : des hommes graves, dans la retenue, et qui ne s’exprimaient presque que par reproches plus ou moins dosés. En cela, il avait été détrompé, et l’Ordo Draconis incarnait désormais pour lui cette image, celle d’un ordre soudé par la camaraderie, et uni dans la défense de l’empire.
Reiner avait également accepté, et rien dans son attitude n’avait trahi une quelconque émotion en réponse à cette proposition, pourtant prestigieuse. Wilhelm avait alors réalisé qu’il n’avait jamais entendu Reiner parler de ses objectifs dans la vie, ni même de sa vie en général. Les seules informations qu’il avait sur son Major avaient dues être glanées au compte-goutte au cours des deux années précédentes : c’était un prodige, originaire d’Averheim, et c’était tout.
Gerulf, lui, même s’il ne parlait pas souvent, avait toujours été clair sur son orientation : il voulait intégrer la garde de l’aigle noir, un ordre de chevalerie basé en Ostland, sa province natale. Il leur avait rapidement présenté que leur mission était de purger la forêt des hommes-bêtes, et même s’il disait souvent cela d’un air sombre, on pouvait sentir que cette perspective lui tenait à cœur. Ce fut donc en présentant ses excuses et que Gerulf déclina l’offre de Herr Bastian, évoquant son vœu de rejoindre le prestigieux ordre Ostlandais. Le grand-maître n’insista pas, et lui souhaita bonne chance dans sa vie future.
Ensuite, Wilhelm, Gerulf, Kurt, Klaus et Reiner étaient rentrés à Nuln, et étaient retournés à l’académie du capitaine Oppenhauer. Ce dernier avait déjà appris l’assaut nocturne dont ses élèves avaient été victimes, et à leur retour il leur avait semblé avoir considérablement vieilli. Ils en avaient deviné la raison : sur toute une promotion de quinze jeunes hommes de bonnes familles qui lui avaient été confiés, dix étaient morts, et un autre était estropié à vie. La réputation d’Hermann Oppenhauer en avait pris un sacré coup, et la perte de son principal instructeur avait achevé de lui briser le moral. Il dut envoyer des lettres aux familles de tous ses pensionnaires, exercice supplémentaire qui se révéla très éprouvant. Les cinq survivants se rendirent eux-mêmes dans la fastueuse demeure familiale de Dieter (Klaus se déplaçant désormais avec des béquilles), située dans le même quartier de l’Altestadt, à l’invitation de son père, Siegward Von Fried. Là, ils racontèrent en détail ce qui leur était arrivé aux parents de leur camarade décédé, en se laissant successivement la parole, car l’évocation de certains évènements était parfois trop difficile. Seul Reiner, à nouveau, ne prononça pas un mot de tout le récit. Mais quand la mère de Dieter lui demanda ce qu’il avait pensé de son fils, il répondit froidement « c’était un bon combattant, mais il avait du mal à maîtriser ses sentiments ». En sortant, Wilhelm et Kurt lui signifièrent que la prochaine fois, il pouvait « rester à la caserne si c’était pour dire des trucs pareils, et on restera poli pour cette fois, major ! ».
La vie avait continué bon gré mal gré. La mine sombre, le capitaine Oppenhauer annonça une semaine plus tard que son académie allait fermer. Il avait l’intention de mener les promotions actuelles à leur terme mais il s’agissait des dernières. N’étant plus que quatre, les pistolkorps de la promotion dix-sept subirent un entraînement plus personnel, assuré par un dénommé Lothar Scheiterhaufen, un homme sec, dont la face glabre couverte de cicatrices montrait l’expérience de la guerre, et qui invoquait le nom de Sigmar toutes les trois phrases. Durant cette période, Wilhelm avait supporté avec bonne grâce ses remontrances zélées, sachant que cela ne serait que de courte durée. Et le moment attendu finit par arriver, et au milieu de l’année 1861 les quatre jeunes hommes furent diplômés. Wilhelm et Reiner avaient entre temps réglé leurs préparatifs avec le Fort de Sang, et il leur avait été laissé un mois pour régler leurs affaires et venir rejoindre l’ordre. Une semaine plus tard, Wilhelm arrivait à Wissenburg.
Il remontait à présent l’allée de son quartier. La richesse des bâtisses, qui autrefois l’avait époustouflé par leur sophistication, le laissait maintenant de marbre. Ce n’était au final pas grand-chose comparé aux magnifiques demeures et établissements de l’Alestadt, mais même ici il était quelque peu dérangé par le faste que tout cela déployait. Le monde, qui auparavant lui avait semblé merveilleux, avait depuis montré son manque de pitié. L’insouciance des villes comme celle-ci lui paraissait désormais être un aveuglement volontaire. Tout cela pour vivre leurs vies insignifiantes alors que dehors, des hommes et des femmes mourraient face à des ennemis toujours plus redoutables. Vraiment, quel gâchis.
Il finit par arrêter son cheval devant la grande demeure de sa famille, dont les balcons en bronze ornés d’aigles lui firent sourire de nostalgie. Enfin, il était chez lui. Ce sentiment d’avoir ce point d’ancrage ne l’avait jamais quitté durant ces trois dernières années, mais il n’avait eu que rarement l’occasion d’y retourner, l’académie Oppenhauer considérant les concepts de ‘permissions’ comme étant superflues, les limitant à deux semaines par an. C’était ainsi la première fois que Wilhelm y revenait depuis la sombre équipée dans les souterrains, et son cœur battait d’impatience.
Il toqua quatre fois à la porte, et n’eut pas à attendre longtemps. Vingt secondes plus tard, il était étouffé par les bras d’Imma, la cuisinière, qui avait accouru au moment où Rolf, son mari, avait annoncé le retour du ‘jeune maître Wilhelm’.
« Comme t’as bonne mine, mon ptiot ! S’exclama la vieille femme en lui donnant une grande tape sur le dos. Ils ont l’air de t’avoir bien nourri dans ce trou à soldats.
- Imma, voyons, tenta de l’interrompre son majordome de mari, tu lui fais la remarque à chaque fois. Et il n’a pas l’air d’avoir assez d’air pour te répondre.
- Balivernes, le gronda Imma, c’est un guerrier maintenant, il peut supporter les assauts d’une faible femme.
Mais elle relâcha tout de même Wilhelm, qui était en train de se dire que son entraînement ne l’avait pas préparé à combattre l’amour d’une ‘faible’ grand-mère. Imma était une petite femme, dont les cheveux gris et frisés entouraient une tête généralement souriante, dotée d’un long nez qui faisait sa fierté Elle était en effet très fière de son odorat, car d’après elle c’était une bénédiction pour son métier. D’autres, plus taquins, ne manquaient pas de lui faire remarquer qu’il était aussi très pratique pour se mêler des affaires des autres, ce à quoi elle répondait ‘balivernes’. À ce moment, ses cheveux étaient couverts par une coiffe blanche, et son tablier portait plusieurs taches de sauce, signe qu’elle était en plein travail.
- Et pour la nourriture, enchaîna la cuisinière sans reprendre son souffle, je m’inquiète tout le temps de comment qu’ils mangent. C’est-y pas bien ma faute si la tambouille des soldats est généralement aussi appétissante que du purin ? Alors je m’inquiète.
Elle se tourna vers Wilhelm, qui commençait à être amusé par la scène, et reprit.
- Mais pas d’inquiétude pour ce souère, oh non. J’vous ai préparé un repas digne de ce nom. Enfin, je l’aurais déjà fini si une certaine personne ne m’interrompait pas toutes les dix minutes, termina-t-elle avec un regard contrit vers son mari.
Ce dernier, ayant depuis longtemps renoncé à répondre à ce genre de remarques, se contenta de répondre par :
- Je suis désolé ma chère. »
Imma accorda un dernier sourire à Wilhelm, puis retourna vers ses fourneaux dans un tournoiement de son cotillon. Le jeune homme se saisit aussitôt de ses affaires, et aidé de Rolf il procéda à les ramener dans la demeure.
*
La salle à manger du manoir Kruger était à l’image de la bâtisse : grande, superbement décorée et respectable. Située au premier étage, un parquet de bois sombre en recouvrait le sol, lui-même occupé par un impressionnant tapis aux couleurs du Wissenland : rouge, blanc et noir. Les murs, recouverts de panneaux de bois, étaient décorés de plusieurs tableaux représentant certains des ancêtres de Wilhelm, mais aussi d’armes d’apparat. Il savait que son père ne les laissait là que par respect pour ses ancêtres, car Gerhardt Kruger détestait l’ostentation, et ses propres armes étaient sans ornements aucun. Wilhelm partageait ce goût pour la simplicité avec son père, et avait toujours ressenti un certain inconfort à se trouver dans cette pièce qui paraissait vous écraser par sa splendeur. Une cheminée de pierres occupait l’un des murs, à gauche de l’entrée, et une table rectangulaire en bois sculpté se trouvait non loin. Cette table, qui était en soit une belle pièce d’ébénisterie, était suffisamment grande pour accueillir dix personnes, mais ce soir-là seules quatre l’occupaient : Wilhelm, ses parents et son frère Samuel. Pour ce repas, la famille Kruger avait mis les petits plats dans les grands, même s’il s’agissait d’un petit comité. Le service fut composé d’une entrée à base de tomates, puis d’une tourte au bœuf et à la bière (dont Wilhelm raffolait). Un assortiment de fromages fut présenté avant le dessert, ce dernier étant un gâteau aux noisettes à peine sorti du four.
Pourtant, malgré cet excellent repas, Wilhelm était mal à l’aise. S’il était ravi de revoir ses parents et son frère, il avait l’impression d’être devenu un étranger chez lui, tant le train de vie de sa famille était différent de ce qui avait été son quotidien pendant trois ans. Les conversations aussi étaient comme vides, comme si leurs sujets étaient dénués d’intérêts. Qui voulait savoir comment s’était passé l’entraînement de Samuel le matin, ou comment avait évolué le prix de la farine ces derniers temps ? Wilhelm répondait à toutes questions par des réponses laconiques, se concentrant sur sa nourriture.
« En tous cas Wilhelm, sache que ton père et moi sommes très fiers de toi. »
La voix était celle de sa mère, qui s’était adressée directement à lui sur un ton enjôleur. Lisabeth Kruger était une femme qui savait se faire charmeuse quand il le fallait, ayant un talent naturel pour comprendre les gens et la façon dont il fallait leur parler. Elle connaissait ses fils sur le bout des ongles, et avait été la partie compréhensive du couple parental, étant toujours là pour leurs joies, leurs peines, leurs échecs et leurs réussites. À cinquante-deux ans, elle était encore belle, et sans l’enlaidir, les quelques rides qui marquaient son visage semblaient au contraire lui conférer une sorte de sagesse malicieuse. D’une taille moyenne, sa silhouette autrefois fine était aujourd’hui marquée par quelques rondeurs dont elle s’accommodait plutôt bien. Ses cheveux, d’un brun presque noir, commençaient à virer au gris, et étaient ce soir coiffés en un mélange compliqué de boucles, de tresses et de nœuds, qui donnaient l’impression qu’elle portait une énorme couronne stylisée. Le reste de sa tenue n’était pas moins sophistiquée : elle portait une robe bleue ciel, avec de multiples dentelles qui se cachaient dans les plis. Les manches, plus sombres, se terminaient en de larges manchettes de soie dorée, qu’elle prenait bien soin de ne pas tacher au cours du repas. Une chaîne en or pendait autour de son cou, et ses oreilles étaient décorées par des boucles en argent torsadées, représentant une comète à deux queues. Lisabeth Kruger était de toutes évidences bien plus portée sur le faste que son mari, et aimait beaucoup s’habiller de manière sophistiquée. Surpris par sa remarque, Wilhelm leva les yeux de sa tourte pour la regarder, et s’aperçut que tout le monde l’observait avec un sourire.
Peu assuré, il ne put s’empêcher d’essayer tant bien que mal de formuler une réponse plus développée que les ‘oui’, ‘non’ ou ‘peut-être’ qu’il avait sorti jusqu’à présent.
« Je…merci.
Il regarda un instant son assiette, la trouvant soudain très intéressante. Son auditoire semblait tout ouï.
- Je ne vois pas trop quoi répondre, leur avoua-t-il après quelques secondes. Après tout, je n’ai jamais cherché à ce que ça se passe comme cela.
- C’est vrai que tu as tué des hommes-bêtes ?
La question venait de son frère, qui l’avait posée sur un ton innocent. Samuel, comme ses parents, avaient appris la nouvelle de la bataille par lettres, et ils ne s’étaient pas revus depuis.
Si c’était vrai ? Wilhelm se revit plonger sa lame dans le corps du premier homme-rat qui en fut victime. Il se revit faire de même avec tant d’autres. Leurs cris avaient été ceux des mourants. Leur agonie avait été réelle, tantôt longue et tantôt courte, mais menant sans cesses à la mort. Inéluctablement. Il n’y avait aucune autre solution.
- Oui, c’est vrai, déclara-t-il pour toute réponse, avant de se rendre compte qu’il avait plongé son couteau dans sa part de tourte en le tenant comme une dague, et que son repas ressemblait à présent à une charpie gastronomique.
Un regard autour de la table lui suffit pour s’apercevoir que son trouble avait été manifeste, car tout le monde l’observait avec de grands yeux inquiets.
- Et sinon, reprit sa mère dans une adroite tentative pour changer de sujet, combien de temps comptes-tu rester avec nous, avant que l’ordre ne t’arrache à nouveau à ta famille ?
- Trois semaines, répondit Wilhelm, qui entreprit de manger ce qui restait de sa tourte en regrettant son moment d’absence. Du coup je partirai quelques jours avant, le temps d’accomplir le voyage.
- Enfin, si c’est bien là que tu comptes aller mon fils, fit son père d’un ton calme en reposant sa coupe.
Wilhelm fronça les sourcils. Il n’avait jamais été très bon pour deviner les pensées des gens, contrairement à sa mère. Pourtant, il connaissait son père, et savait que Gerhardt Kruger ne ferait pas ce genre de remarque sans raison. Tous les deux étaient économes dans leurs paroles, et ne parlaient généralement que lorsqu’ils avaient quelque-chose à dire. C’est pour avoir une idée précise de ce que son père voulait dire qu’il le regarda droit dans les yeux et lui demanda :
- Et pourquoi ne serait-ce pas là où je compte aller ?
L’atmosphère changea d’un coup. Wilhelm vit le regard de sa mère se poser sur lui, puis sur son père, mais elle resta muette, signe qu’elle ne comptait pas s’en mêler. Samuel ressentit à ce moment un pic d’intérêt pour son assiette. Et le capitaine Kruger, qui avait manifestement espéré s’en tirer en faisant comme si de rien n’était, se retrouva à affronter le regard de son fils.
- Eh bien, finit-il par dire, je pense que tu n’as pas à te limiter à l’Ordo Draconis. Après ce que tu as accompli, tu peux viser bien plus haut.
Cette remarque fit l’effet d’une pierre dans l’estomac de Wilhelm, qui perdit soudain tout appétit. Il commençait à comprendre là où son père voulait en venir, mais il ne comptait pas se laisser faire.
- Plus haut ? Et pourquoi plus haut ? C’est le grand-maître en personne qui m’a fait cette proposition. De quel « plus haut » parlons-nous ?
- Eh bien, reprit Gerhardt d’un ton fatigué, Vinzent a intégré un ordre secondaire, mais il n’y restera pas longtemps. Pour toi, je pensais à un ordre plus prestigieux, plus glorieux.
Cette fois-ci, le jeune homme eut l’impression qu’une douche à la fois brûlante et glaciale venait de lui être versée sur la tête. Il n’arrivait pas à croire que son père puisse prononcer des mots pareils. Sa mère dut avoir la même pensée, car elle lança un regard noir à son mari. Mais celui-ci ne s’en aperçut pas, ses yeux étant fixés dans ceux de son fils.
- Plus glorieux, ironisa Wilhelm d’un ton amer. J’imagine qu’en effet, mourir dans un trou pour venger les siens n’est pas assez glorieux. Affronter des hommes-bêtes dans des montagnes isolées ce n’est pas assez prestigieux.
Son ton montait, et il se rendit compte qu’il s’était levé.
- Et que dire de ces hommes, qui se sont battus et qui se battent encore pour la paix de l’empire ? Leur honneur est donc moins grand que celui de ces fameux ordres dont tu parles ? Leur courage, leur vaillance et leurs sacrifices sont-ils moins glorieux que celui des autres ? C’est cela que tu voulais dire ?
Gerhardt Kruger était interloqué. Il n’avait jamais été confronté ainsi par un de ses fils. Il était partagé entre l’envie de lui ordonner de se taire devant son père et celle de le féliciter pour montrer enfin des qualités d’homme. Mais il se rendit compte bien vite que la situation risquait de lui échapper s’il n’essayait pas de calmer le jeu. Après tout, Wilhelm était son fils, et il ne voulait que son bien, même si ce dernier n’avait pas l’air de vouloir le reconnaître.
- Ce n’est pas la question, mais tu dois aussi penser à ton avenir, répondit-il avec un ton qui se voulait plus conciliant. Ton grand-frère va hériter de mes titres et de mes terres, alors pour toi, une carrière dans un grand ordre de chevalerie te permettrait bien plus facilement d’acquérir des honneurs et des biens similaires. Je ne pense pas que tu voudrais rester toute ta vie dans les montagnes grises.
Wilhelm observait son père comme s’il le rencontrait pour la première fois. Jamais il ne s’était senti à ce point humilié. Cet homme, qui ne savait rien de ce qu’il venait de vivre, avait d’ores et déjà décidé du reste de son existence, tout en se permettant d’insulter les hommes de l’Ordo Draconis. Un titre ? Des terres ? Peut-être même lui avait-il organisé un mariage sans lui dire par-dessus le marché. Il tremblait de colère, et ses mains lui faisaient mal à force de serrer sa fourchette.
- Je suis navré que mon choix de vie ne vous agréé pas, père, articula-t-il entre ses dents. Mais sachez que je ne compte pas les changer. Maintenant, si la vue de votre fils si peu glorieux vous insupporte, permettez que je prenne congé.
Et, tournant les talons, il s’en fut, sans prendre le temps de lâcher sa fourchette, laissant derrière lui une salle à manger plongée dans un silence assourdissant.
*
Wilhelm se réveilla tôt le lendemain matin, et n’arriva pas à se rendormir, la conversation de la veille au soir lui restant en tête. De dépit, il décida de se lever, et se rendit dans la cour intérieure du manoir. Il avait initialement voulu faire de l’escalade, mais il ressentait un grand besoin de se vider l’esprit, et savait exactement comment s’y prendre pour cela. Dans une salle attenante à la cour, il trouva ce qu’il cherchait : des mannequins d’entraînement et des épées émoussées. À bout de bras, il traîna l’un des mannequins dans un coin de la cour, et armé d’une épée il commença à pratiquer des échauffements.
La pratique des armes avait quelque chose de réconfortant. Il ne s’agissait pas d’un exercice où l’objectif pouvait être camouflé, comme pouvait l’être la politique. Lors d’un combat, le but était clair : mettre l’adversaire hors d’état de nuire. Souvent, cela passait par son désarmement, voire l’amputation d’un ou plusieurs membres, ou même la mise à mort. Tout d’abord dans le but de survivre, bien sûr, mais Wilhelm y voyait plus que cela. Il considérait la pratique martiale comme une sorte de moyen de communication. Lorsque deux individus se battaient, cela pouvait être pour de multiples raisons, et la victoire pouvait être obtenue de plusieurs manières différentes. Il y avait des combats à mort, pour la survie, mais aussi des duels d’honneur, des duels amicaux, ou même des combats de spectacle. Dans chacun de ces cas, il fallait gagner, mais parfois la façon d’obtenir cette victoire était parfois toute aussi importante que la victoire elle-même. Mais il y avait une constante : quelle que soit la raison d’un combat, une habileté supérieure résultait toujours en une chance de victoire supérieure. Et donc Wilhelm s’entraînait.
Ce matin-là, il venait de commencer les premières passes lorsque des bruits de pas retentirent dans son dos. Il n’arrêta pas ses mouvements, mais s’orienta de façon à voir le ou les nouveaux arrivants. Il s’agissait de Samuel, vêtu de pied en cap d’une armure matelassé, accompagné de Herr Siegfried Schwarzerde, son maître d’armes, vêtu de la même façon, et portant deux épées d’entraînement. Tous deux se mirent bientôt à s’échauffer, puis enchaînèrent les passes alors que Wilhelm se concentrait sur les siennes. La cour résonna bientôt de multiples bruits métalliques, issus du tintement des lames. Au bout d’une vingtaine de minutes cependant, Wilhelm aperçut Samuel et Herr Siegfried cesser leurs assauts, et le maître d’armes s’avança vers lui.
« Herr Wilhelm, bonjour, commença-t-il d’un ton direct.
C’était un homme court, mais droit, d’une quarantaine d’années, au corps sec et élancé sans aucune trace de graisse. Son visage était glabre, marqué par quelques rides, et était de plus particulièrement expressif. Ce matin-là, il avait la mine enjouée, certainement du fait qu’il n’avait pas vu Wilhelm depuis longtemps.
- Bonjour, herr Siegfried, répondit ce dernier entre deux attaques sur le manequin. Comment allez-vous ?
- Fort bien, je vous remercie.
Il y eut un instant de silence, puis le maître d’armes reprit :
- Je vois que vous vous entraînez seul. Que diriez-vous de vous joindre à nous, votre frère et moi, en cette belle matinée ?
Wilhelm stoppa ses propres coups, accordant un répit à l’assemblage de poutres et de plaques qui lui servait de cible depuis l’aube.
- Pourquoi pas, finit-il par dire en reprenant son souffle. Vous pensez à des entraînements particuliers, du style deux contre un ?
- Quelque-chose de ce genre, sourit herr Siegfried. Vous semblez avoir de l’expérience, et votre frère n’en sortira que plus aguerri. »
Quelques minutes plus tard, Wilhelm ferraillait contre Samuel, épée contre épée, sans boucliers ni armure, sous l’œil attentif du maître d’armes. Il n’avait jamais fait de réel duel contre ses frères, car leur père ne voulait pas qu’ils s’entraînent ensemble, ni même avec le même précepteur. Mais il trouvait l’exercice intéressant, même si, il le savait, Samuel faisait un partenaire moins stimulant que ses ex-condisciples. Après tout, leurs cinq années de différences se faisaient sentir, et Wilhelm avait l’expérience des trois dernières années. Pourtant, s’il refusait de rendre la tâche facile à son frère, il ne voulait pas le frustrer, et se contentait de lui porter des assauts sans pourtant profiter des trous dans sa garde. De son côté, Samuel tentait de s’en sortir, tant bien que mal, alors que Schwarzerde envoyait des remarques à intervalles réguliers. Sa voix était ferme, tout comme son visage pendant tout l’exercice.
« Stop ! Finit par claquer sa voix. Nous allons changer maintenant. Herr Samuel, herr Wilhelm, si vous le voulez bien, vous allez m’attaquer à deux.
Wilhelm haussa les sourcils, tandis que Samuel laissa s’exprimer son étonnement.
- À deux ? Mais vous serez désavantagé.
- Le serai-je vraiment ? Nous allons voir. »
Sur ces mots, il leva sa propre épée et se mit en garde. Wilhelm avait déjà eu l’occasion de pratiquer ce genre d’exercice, mais jamais contre un maître d’armes, ni avec un partenaire comme Samuel. Le défi l’intéressait, et il s’avança vers herr Siegfried alors que son petit frère l’imitait. Wilhelm savait que la clé de ce genre d’affrontement était d’encercler l’adversaire, alors il se déplaça latéralement, escomptant que Samuel l’imite de l’autre côté. Mais le maître d’armes connaissait sans doute par cœur ce genre de stratégies, et reculait de façon à éviter que les frères Kruger ne réussissent cette manœuvre. Samuel, lui, semblait n’en avoir aucune idée, et se jeta sur herr Siegfried l’épée en avant. Le maître d’armes se mit à tourner autour de lui en déviant ses coups, de façon à le maintenir entre Wilhelm et lui, pour éviter l’encerclement. L’échange de coups fut de courte durée, Samuel étant rapidement désarmé et ‘tué’ par Schwarzerde. Wilhelm se rendit compte de la futilité de sa manœuvre en constatant qu’il lui avait été impossible de trouver un angle d’attaque.
« Encore » fit herr Siegfried, et ils recommencèrent le même exercice. Cette fois, Wilhelm prévint son frère : « il faut l’encercler. Reste sur la défense tant que nous n’avons pas réussi. » Samuel hocha la tête, et ils avancèrent de concert en deux arcs de cercles. Mais herr Siegfried n’attendit pas que leur manœuvre réussisse, bondissant sur Samuel qui en fut tellement surpris qu’il recula sous les coups. Wilhelm se jeta vers les deux combattants, mais il était trop tard : Samuel était à nouveau désarmé, et le maître d’armes était tourné vers lui, souriant. Ils croisèrent le fer, et l’ancien pistolier sentit que son adversaire se concentrait plus que tout à l’heure. Il avait peut-être échoué en tant que tacticien, mais il sentait que le défi qu’il lui imposait à présent, l’épée en main, était plus important. Malgré tout, il n’était pas de taille, et herr Siegfried finit par le désarmer d’une botte bien placée. Ils restèrent silencieux pendant quelques secondes, puis la voix du maître d’armes claqua une nouvelle fois: « encore ».
La matinée passa ainsi, les deux frères tentant de gagner à deux contre le maître d’armes. Il leur fallut cinq essais pour y parvenir. Wilhelm prit les devants et se lança contre herr Siegfried, qui se défendait tout en reculant quand Samuel se joignait à l’assaut. Wilhelm et lui manœuvrèrent précautionneusement afin qu’il atteigne le mannequin d’entraînement sorti plus tôt par Wilhelm. À ce moment, Samuel se jeta sur ledit mannequin pour le faire tomber sur son maître d’armes. Ce dernier, surpris par cet assaut impromptu, ne s’écarta pas à temps, et tomba à la renverse. Wilhelm lui donna alors un coup de botte dans la main droite, lui faisant lâcher son épée, avant de pointer la sienne droit vers sa gorge. Il eut alors un sourire, et demanda : « encore ? ». Herr Siegfried sourit franchement en retour, et se remit sur ses pieds. « Ce ne sera pas la peine, herr Wilhelm, lui répondit-il en riant. Vous avez bien mérité votre victoire tous les deux. Vous avez fini par trouver une solution, qui était d’utiliser l’environnement. Cela peut vous sauver lors d’un combat qui semble perdu d’avance. » Le maître d’arme s’épousseta, puis déclara que l’entraînement était fini et s’en retourna à l’intérieur. Wilhelm et Samuel s’occupèrent de relever le mannequin pour ensuite le rentrer dans le manoir. Wilhelm en profita pour parler à son frère en privé.
« Qu’est-ce que tu deviens ces temps-ci ? Ça fait trop longtemps qu’on ne s’est pas retrouvés que tous les deux.
- Oh tu sais, je vis la même vie que toi à l’époque. Entraînement le matin, leçons l’après-midi, et je ne vois pas père très souvent. Il s’occupe de beaucoup de choses, dont celle de me trouver un moyen de devenir pistolier quand le moment sera venu.
Samuel poussa un soupir, puis reprit.
- Tu sais, la fermeture de l’académie Oppenhauer l’a pris de court. Il a été très embêté quand il a compris qu’il allait devoir me trouver un autre moyen d’accéder à la chevalerie.
Il hésita avant d’ajouter.
- Et que ça aurait certainement moins de prestige.
À entendre à nouveau ce mot, Wilhelm sentit à nouveau ses dents se serrer.
- Et qu’est-ce que tu veux toi ? Veux-tu vraiment être chevalier ? Veux-tu vraiment mener une telle existence, à mettre ta vie en danger, à voir la mort en face ? À la voir frapper autour de toi ?
Samuel regarda son frère sans comprendre, l’air soudain apeuré. Wilhelm eut un frisson, puis se rendit compte de ce qu’il venait de dire.
- Désolé, s’excusa-t-il d’une voix qu’il voulut être plus douce. Je n’aurais pas dû réagir comme ça. Mais je l’ai vécu cette vie, même brièvement. Et je n’envisage plus de vivre autrement. Ça apporte aussi beaucoup de satisfaction. On s’y fait de vrais amis, on a la fierté de faire ce qui est juste, de se battre pour le bien, et je sais que c’est ce à quoi je veux dédier ma vie.
Il reposa son épée d’entraînement sur un râtelier.
- Mais je ne l’ai pas choisi, finit-il par ajouter. Toute ma vie, je n’ai jamais eu le choix. J’entends faire le mien à présent, et j’espère que toi aussi, de ton côté, tu pourras faire de même. »
*
« Mon fils a perdu l’esprit, voilà. Ce n’est pas plus mal que cette satanée académie ferme, il n’y a qu’à voir ce qu’elle a fait faire à mes enfants.
Gerhardt Kruger était dans son bureau, à sa position favorite : devant la fenêtre, tournant le dos à la pièce. Lisabeth, sa femme, était derrière lui, et l’observait d’un regard qui exprimait la compassion et le manque de patience. Son mari était un excellent gestionnaire financier et un bon commandant militaire, mais il n’avait jamais rien compris à ses enfants. Et à cet instant, elle constatait encore une fois à quel point.
Gerhardt était hors de lui depuis que Wilhelm l’avait planté là au repas quelques jours plus tôt. Il n’avait jamais été défié par un de ses enfants auparavant, et ne l’entendait pas de cette oreille. Il se mit à faire les cent pas dans le bureau.
- Je ne peux pas le laisser faire. Il est de toutes évidences en train de ruiner son avenir. Qu’est-ce qu’il deviendra, perdu dans les montagnes ? Je pense que je peux envoyer un message au grand-maître de l’Ordo Draconis, disant que mon fils a reconsidéré son offre.
- Si tu fais cela, je crains que tu ne perdes définitivement sa confiance, répondit calmement Lisabeth.
Gerhardt s’arrêta et se tourna vers elle, l’air résolu.
- Je fais cela pour son bien. Il n’en aura peut-être pas conscience, mais il est encore jeune. Plus tard, il comprendra.
Lisabeth eut un sourire résigné.
- Ce qu’il va surtout se passer, c’est qu’il enverra un message lui-même, prévenant le grand-maître qu’il n’a absolument pas reconsidéré quoi que ce soit. Et il partira immédiatement, en ayant perdu tout respect pour toi.
Elle vit le visage habituellement impassible de son mari se décomposer, prenant une expression proche de la panique.
- Et que veux-tu que je fasse ? Si je ne fais rien, ce garçon va ruiner sa vie, sa réputation, sa carrière, juste sur un coup de tête.
Lisabeth prit Gerhardt par les épaules, entortillant affectueusement sa main dans ses cheveux.
- Mais justement, pour l’instant toute action de ta part ne ferait qu’empirer la situation. Je sais que cela t’insupporte de ne rien faire, mais les dés ont été jetés sans que nous ne soyons consultés. Wilhelm ne peut qu’aller dans cet ordre. La seule chose que nous pouvons changer à présent, c’est son envie de nous revoir ou non après son départ.
*
Durant ce séjour de deux semaines à Wissenburg, Wilhelm passa ses matinées à s’entraîner avec Samuel et herr Siegfried. Quelquefois le maître d’armes leur demandait de se battre l’un contre l’autre, et d’autres fois ils faisaient à nouveau un combat à deux contre un, en alternant les rôles. Wilhelm et Samuel eurent ainsi à s’essayer à l’exercice d’affronter deux personnes à la fois. S’il n’était pas certain d’avoir acquis une grande maîtrise de ce type de combats, Wilhelm était certain que l’expérience ne pouvait qu’être bénéfique.
Le reste du temps, il allait visiter d’anciens amis, il se promenait dans la ville, ou se livrait à l’escalade de tel ou tel bâtiment. Cela l’amusait beaucoup au début, mais il finit rapidement par s’ennuyer, car cette vie, semblable à celle qu’il menait quelques années plus tôt, lui paraissait à présent bien terne devant celle qu’il allait vivre au Fort de Sang. Les entraînements, les déambulations dans les rues, tout cela lui semblait être vain. Il avait envie de faire quelque-chose d’utile, de sentir qu’il faisait partie de quelque-chose de plus grand, de plus important que tout cela. Et il finit avant longtemps par se languir de partir.
Au cours de ce séjour, il eut peu l’occasion de parler avec son père. Ce dernier était étrangement toujours occupé, et les rares circonstances où ils se trouvèrent dans la même pièce étaient les repas de famille. Pourtant, même à ces occasions Gerhardt Kruger parlait peu, et toujours de sujets qui ne l’intéressaient pas. Depuis leur échange du premier soir, le père et le fils ne reparlèrent plus de la question pour Wilhelm d’intégrer ou non l’Ordo Draconis. Mais la tension demeurait, palpable, et bien que personne n’en parlât, tout le monde sentait qu’une lutte s’opérait silencieusement.
Le jour de son départ, Wilhelm serra son frère et sa mère dans ses bras, ainsi que Rolf et Imma. Au cours de son bref séjour, les deux serviteurs s’étaient toujours montrés présents, lui montrant à quel point il était aimé en cette maison. Quant à son frère, il sentait qu’il avait plus partagé avec lui en deux semaines qu’au cours des trois années précédentes. La complicité qu’il y avait autrefois entre eux avait refait surface, et il sentait que leur séparation allait beaucoup lui coûter. Enfin, lorsque son père descendit à son tour pour lui dire au-revoir, tous deux s’observèrent un moment sans prononcer un mot. Wilhelm était de la même taille que lui à présent, et ses yeux reflétaient sa détermination. De son côté, son père était l’incarnation de la dureté parentale. Ce fut lui qui ouvrit la bouche en premier cependant, d’une voix plus profonde et solennelle que d’habitude.
« Wilhelm, je suis navré que tu aies mal réagis à ce que je t’ai dit il y a deux semaines. Sache que malgré notre désaccord, tu restes mon fils, et je te soutiendrai. Ta vie, tu sembles avoir trouvé une façon de la mener, mais laisse-moi te donner un conseil : si tu vois une opportunité, saisi-la ! Le regret de ne pas avoir su agir quand il le fallait est une des pires choses qui puisse t’arriver. Alors agis ! »
Il n’eut pas le temps d’en dire plus, car son fils se jeta dans ses bras. « Moi aussi je t’aime père, moi aussi. » répondit Wilhelm alors que Gerhardt hésitait à lui rendre son étreinte. Lisabeth sourit. Elle n’avait jamais douté de l’affection entre eux, mais elle était contente qu’ils s’en souviennent l’un et l’autre avant que ce soit trop tard. Manifestement, son mari avait compris la leçon.
Et après cet évènement d’amour familial, dont nous savons, nous lecteurs, qu’ils sont importants dans un monde où ils sont trop rares, Wilhelm partit.
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"Et quand les morts se lèvent, leurs tombeaux sont remplis par les vivants"
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Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun
Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
- Hjalmar OksildenKasztellan
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mar 12 Fév 2019 - 18:02
Cette dernière ligne qui pulvérise le 4e mur avec la force d'une charge de cavalerie dirigée à la perfection m'a tiré un sourire. Bravo
Bien sûr, cela n'enlève rien de la qualité du reste du chapitre. Il a beau montrer des thèmes moins "grandiloquents" ou "épiques", il est aussi important de montrer que la vie d'un soldat est entrecoupé de pauses. Et il en a bien besoin de ces pauses.
J'attends donc la suite avec impatience !
Bien sûr, cela n'enlève rien de la qualité du reste du chapitre. Il a beau montrer des thèmes moins "grandiloquents" ou "épiques", il est aussi important de montrer que la vie d'un soldat est entrecoupé de pauses. Et il en a bien besoin de ces pauses.
J'attends donc la suite avec impatience !
Aller plutôtLe retour au fort s’était effectué en autant de temps qu’à l’allée
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Terry Pratchett
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La Saga d'Oksilden :
Tome 1 : La Quête Improbable
Tome 2 : Combattre l'acier par l'acier
Tome 3 : Foi Furieuse
Je vous conseille de le télécharger, mettre l'affichage en deux pages et, si possible, activer le mode "Afficher la page de couverture en mode Deux pages" sous Adode Reader (en gros juste pour s'assurer que les pages sont bien affichées comme dans le vrai livre et non décalées)
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mar 12 Fév 2019 - 18:56
Merci beaucoup .
J'ai pris grand plaisir à rédiger ce chapitre dans lequel je voulais vraiment marquer une transition, tout en développant mon personnage. Parce qu'avant, je me contentais de le faire réagir à telle ou telle situation. Ici, je voulais vraiment parler de lui. Je ne sais pas si j'ai vraiment réussi, mais je me plais à le voir comme se dirigeant vers celui qu'on connait.
Pour le 4eme mur, ça m'a pété sur le moment et j'ai décidé de garder la formule. En soit, la scène telle que je l'imaginais ressemblait à un genre de vue de loin, avec la caméra qui recule et une voix off qui parle.
La suite a déjà commencé, et verra l'intrigue principale avancer (je l'espère, vous connaissez mon sens de la digression ). Cela dit, avec le tournoi en cours, mon rythme risque d'être un peu erratique.
J'ai pris grand plaisir à rédiger ce chapitre dans lequel je voulais vraiment marquer une transition, tout en développant mon personnage. Parce qu'avant, je me contentais de le faire réagir à telle ou telle situation. Ici, je voulais vraiment parler de lui. Je ne sais pas si j'ai vraiment réussi, mais je me plais à le voir comme se dirigeant vers celui qu'on connait.
Pour le 4eme mur, ça m'a pété sur le moment et j'ai décidé de garder la formule. En soit, la scène telle que je l'imaginais ressemblait à un genre de vue de loin, avec la caméra qui recule et une voix off qui parle.
La suite a déjà commencé, et verra l'intrigue principale avancer (je l'espère, vous connaissez mon sens de la digression ). Cela dit, avec le tournoi en cours, mon rythme risque d'être un peu erratique.
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Dim 17 Mar 2019 - 0:02
Hum, je double poste encore.
Et c'est encore pour poster la suite.
Autant que je vous le dise, le chapitre 10 ne sortira pas tout de suite, la faute à quelques modifications pour rajouter un sous-scénario que je n'avais pas prévu à la base.
Mais sans plus attendre, voici le...
Chapitre IX
« Cette partie-là, c’est le cuissot, ça c’est la grève. Et ça, c’est le soleret. J’ai bon ?
- Mais non ! Tu as confondu le cuissot et la grève. Et que fais-tu de cet élément ? Quel est son nom, et à quoi sert-il ?
- C’est la genouillère, et elle se met entre le cuissot et la grève.
- Tout juste, alors comment tu m’expliques que tu l’aies oublié ? Tu penses que j’ai envie de me battre avec un genou à l’air ? Histoire de se prendre une flèche dedans ?
- Non messire.
- Alors retiens bien ! Une jambe doit être correctement équipée. Le cuissot, comme son nom l’indique, recouvre la cuisse. Ensuite, la grève recouvre le bas de la jambe et le talon. Et on met la genouillère à la fin. Le soleret, lui, doit être sur le pied.
- Bien messire. »
Wilhelm et Guy étaient dans une des nombreuses salles d’entraînement du Fort de sang, devant une table sur laquelle le chevalier avait fait disposer à Wilhelm l’intégralité des pièces d’une armure complète. Depuis l’aube, le bretonnien s’évertuait à apprendre au jeune homme la façon dont une armure de plates est conçue, et comment en équiper un chevalier. Wilhelm, qui avait l’habitude des armures plus simples, constituées de mailles et d’un ou deux éléments en plates, était éberlué par la complexité de la chose. Mais s’il avait du mal à retenir leurs noms, il comprenait rapidement comment chaque pièce fonctionnait.
« Il te faut apprendre correctement la façon dont ce genre d’armure s’équipe, jeune homme, fit Guy d’une voix autoritaire. C’est ainsi que chaque chevalier est équipé dans l’empire.
- Dans l’empire ? Mais messire, vous voulez dire que l’équipement bretonnien est différent ?
La question lui avait échappé, mais le regard que lui adressa messire Guy lui indiqua qu’il aurait mieux fait de se taire. Penaud, il baissa la tête, mais à sa grande surprise la foudre ne vint pas.
- Ce n’est en effet pas pareil, finit par répondre son chevalier d’un ton neutre. Les armures bretonniennes ne sont généralement constituées que d’une épaisse côte de mailles par-dessus laquelle on fixe seulement quelques pièces de plates. C’est plus léger, et certainement plus adapté pour être portée pendant plusieurs jours. Cependant, la protection fournie est inférieure.
Il y eut un moment de flottement. Puis Guy reprit avec une voix plus sévère.
- Et si ta vraie question était pourquoi je m’équipe comme un impérial alors que je suis bretonnien, je te répondrais que je fais partie de cet ordre, en qu’en cela je me dois de me conformer à ses usages. Et maintenant, reprenons. »
Wilhelm continua ainsi à écouter son chevalier lui expliquer patiemment comment chaque pièce s’imbriquait l’une dans l’autre, et comment elles tenaient sur le corps. Cela faisait maintenant deux semaines qu’ils étaient officiellement chevalier et écuyer, et que la vie de Wilhelm au sein de l’ordre avait commencé. Messire Guy (qui insistait pour qu’on utilise le titre bretonnien pour s’adresser à lui, et non le ‘mein herr’ impérial) se révélait être un maître des plus inflexibles. S’il n’avait pas perdu son côté jovial, il n’en laissait généralement rien paraître lors de son temps avec Wilhelm, qui en fut décontenancé au début. Au contraire, il prenait une attitude sévère, et lui imposa un rythme strict. Wilhelm s’était rapidement rendu compte que la vie au Fort de Sang allait être tout aussi remplie de leçons qu’auparavant. Ses journées étaient en grande partie dédiées à l’entraînement, mais pas seulement. Ainsi, le deuxième matin Guy lui avait donné rendez-vous dans la même salle d’entraînement.
« Allons-nous nous entraîner mait…messire ? Avait demandé Wilhelm.
Il était alors impatient de commencer, et observait d’un œil avide les armes rangées contre les murs.
- D’une certaine façon oui, Wilhelm, lui avait calmement répondu Guy. Mais ce matin, nous exercerons ceci.
Et tout en parlant, il tapota son front de son index.
- Le cerveau ?
Wilhelm était circonspect. Voulait-il dire qu’ils allaient parler tactique ? Stratégie militaire ? Si tôt ?
- C’est à peu près cela. Je pense plutôt au mental. Car le mental d’un chevalier se doit d’être aussi solide que son armure.
- Je sais cela messire.
De fait, il avait souvent entendu parler du fameux esprit chevaleresque. Mais il ignorait où son chevalier voulait en venir exactement.
- Le sais-tu vraiment ? Regardes moi et dis-moi ce que tu vois.
Wilhelm l’observa sans comprendre.
- Je vous vois vous ?
- Et que suis-je ?
- Le chevalier Guy du Fort aux Roses, de l’Ordo Draconis.
- Bien, mais comment le sais-tu ?
Wilhelm se sentait de plus en plus perdu.
- Parce que je vous connais.
- Alors imagines que tu ne me connais point. Comment saurais-tu que je suis un chevalier ?
En l’occurrence, Guy était vêtu d’une simple tunique, sur laquelle il avait passé un gambison. Mais aucun signe distinctif permettant de voir son titre.
- Je ne le pourrais pas.
- Exactement. Et pourtant, je n’en suis pas moins chevalier.
- Oui.
- Alors qu’est-ce qui selon toi fait que je suis chevalier ? Est-ce mon armure ? Est-ce mon épée ? Est-ce mon cheval ?
- Vous avez été adoubé chevalier non ?
Wilhelm sentait que les suggestions avaient pour but de lui tendre un piège, et il crut l’avoir évité. Mais Guy secoua la tête en pinçant les lèvres.
- C’est la définition légale de la chevalerie dont tu me parles ici. Mais pourtant, moult gens ont été adoubés, et certains ne se comportent point en véritables chevaliers. Qu’est-ce qui devrait me différencier d’eux ?
- Vos actes !
Guy eut l’air plus satisfait, et il invita Wilhelm à continuer.
- Et pourquoi, selon toi encore, est-ce que mes actes seraient différents des leurs ?
Wilhelm plissa les yeux. C’était une bonne question, et il risqua une réponse qui lui semblait sans doute être proche de la vérité.
- Parce que vous faites passer l’intérêt des autres avant le vôtre ?
- Exactement ! Comprends-tu, alors, ce que j’essaie de te dire ?
- En gros, un chevalier doit faire passer les autres avant lui ?
Guy hocha la tête, puis reprit d’une voix enflammée.
- Un chevalier doit faire preuve d’abnégation. Il est le sauveur des opprimés et le défenseur des causes justes. Il est le rempart contre le mal. Et tout cela il le fait parce que sa conscience le lui dicte, point pour une quelconque récompense en cliquaille ou en titres.
Wilhelm commençait à voir là où le bretonnien voulait en venir.
- Je crois que je comprends messire.
- Tu le crois ? Je puis t’en assurer Wilhelm, prochainement, tu le constateras par plus que des mots. »
Et ce fut la vérité. La vie d’un écuyer au Fort de Sang se révéla ne pas être une sinécure. Il lui fallait se lever aux aurores pour préparer le petit-déjeuner de messire Guy, et ce faisant trouver de quoi manger lui-même. Il devait ensuite aller dans la chambre du chevalier pour l’aider à se lever, lui servir à manger, puis l’assister dans sa toilette matinales (‘ses ablutions’ comme aimait à l’appeler messire Guy). Enfin, et à cet instant seulement, ils pouvaient accomplir les tâches du jour. Il pouvait s’agir d’entraînement aux armes, discipline favorite de Wilhelm qui était impressionné par la quantité de choses qu’il ignorait encore. S’il s’y connaissait en effet au maniement de l’épée, du bouclier, de la dague et de la lance, il n’avait encore jamais pratiqué la joute, et accueillit cette pratique avec intérêt. Leur entraînement se déroulait ainsi autant à pied que sur une scelle de cheval, et ce quelles que soient les armes choisies.
Mais ces activités pouvaient aussi être des leçons sur le savoir-faire du chevalier. La connaissance parfaite d’une armure de plates en faisait partie, tout comme l’héraldique et ses nombreuses spécificités. Ce dernier point n’était pas vraiment du goût de Wilhelm, qui s’embrouillait généralement avec les termes comme ‘écarté’, ‘écartelé’ ou ‘losangé’. Mais messire Guy se montrait intransigeant sur ce point, insistant qu’un chevalier se devait de pouvoir identifier immédiatement le blason de quelqu’un sur une simple description. Cela causa bien des maux de tête à son écuyer, qui passa des heures entières à mémorises des armoiries complexes.
Guy lui enseigna également l’étiquette et la galanterie à la bretonnienne, car il considérait qu’un chevalier ne pouvait se permettre d’en enfreindre les règles. Le respect des dames, en particulier, lui fut inculqué. Wilhelm n’avait jamais vraiment pensé à la place des femmes dans ce monde, et Guy lui apprit qu’elles étaient souvent les premières victimes civiles des guerres, et que leurs faiblesses en faisaient des proies faciles. Elles devaient ainsi être protégées, bien plus que les autres, et Wilhelm entreprit de graver cette règle dans sa mémoire.
Enfin, il pouvait leur arriver de parler, Guy insistant que la discussion était un moyen de communication essentiel et qu’entre un chevalier et un écuyer il fallait qu’il y ait compréhension. ‘La vie de l’un pouvant dépendre de l’autre, autant qu’ils se connaissent au mieux’ disait-il. Au cours de ces discussions, ils parlaient parfois de leur vie, de leur histoire commune ou personnelle. Wilhelm parla de ses jeunes années, de la vie presque paresseuse qu’il avait menée à Wissenburg sous la houlette d’un père intransigeant et peu accessible. Il évoqua un jour la dispute qui les avait opposés lors de sa dernière visite là-bas, et Guy l’assura que la vision que Gerhardt Kruger avait de la chevalerie était commune parmi les nobles. Ils voyaient cela comme une opportunité et non une mission, un mode de vie. Il ne se permit pas de prononcer de jugement, mais assura Wilhelm que sa propre approche de la chevalerie n’avait rien de comparable.
Wilhelm en vint, en retour, à connaître plus de choses sur Guy lui-même. Il était né dans le duché de Parravon, et était le troisième enfant, et deuxième fils, d’un seigneur terrien vivant dans un castel nommé ‘le Fort aux Roses’ (ce nom venant de la présence, plusieurs décennies auparavant, d’un splendide jardin autour dudit castel). Il était devenu chevalier errant à l’âge de seize ans et avait ainsi parcouru les routes du duché. Pour éviter que cette aventure ne tourne au suicide, il s’était joint à d’autres aventuriers en quête de gloire et de fortune. Ils étaient parvenus à impressionner un baron local, un certain Gérald de Montvilliers, lors d’une embuscade de bandits en maraude dans la région. Le baron le nomma pour l’occasion chevalier du royaume, lui proposant une position à son service. Mais Wilhelm se doutait qu’il y avait plus, car cela n’expliquait en rien sa présence dans un ordre impérial. La seule information supplémentaires qu’il avait eu, c’est qu’à l’âge de vingt-sept ans Guy avait entrepris la quête du graal. Wilhelm avait réalisé à cet instant qu’il n’avait jamais vu son chevalier se battre avec une lance (il se contentait de montrer à Wilhelm comment faire lors de leurs entraînements), et qu’il devait ainsi toujours se considérer comme étant tenu par son serment. Mais jamais il ne put obtenir la moindre information sur ce qui s’était passé ensuite. La seule autre chose qu’il savait, c’est que lui-même était son premier écuyer.
C’était tout.
Le quotidien au Fort de Sang n’était pas tout le temps occupé par sa formation. En effet, comme il fallait le prévoir, l’Ordo Draconis partait quelquefois repousser telle ou telle menace qui se déplaçait dans les environs. Un réseau d’éclaireurs et de messagers parcouraient les montagnes environnantes, et rapportaient régulièrement des informations au grand-maître. Wilhelm apprit d’ailleurs que ce réseau avait été considérablement étoffé depuis l’attaque des hommes-rats. Lorsqu’un groupe hostile se manifestait, généralement composé de peaux-vertes ou d’une importante troupe de bandits, une force armée de chevaliers et de troupes régulières était envoyée les prendre en embuscade pour les anéantir. À chaque fois, Wilhelm avait réclamé le droit de se joindre au combat, mais Guy avait refusé. « Ce n’est pas la place d’un écuyer, avait-il répondu, tu fais partie de l’avenir de l’Ordo, tu ne dois pas risquer de mourir pour si peu. »
De fait, l’Ordo Draconis se remettait peu à peu de la bataille contre les hommes-rats. La moitié des chevaliers de l’ordre avaient péri dans cet affrontement, ainsi que de nombreux écuyers, et leurs rangs se reconstituaient lentement. Une cinquantaine d’écuyers furent promus la première année, mais cela ne suffisait clairement pas et Herr Bastian Von Alte Brücke avait bien l’intention de prendre toutes les précautions possibles. D’ailleurs, au cours de cette période Wilhelm croisa peu Reiner, qui était devenu écuyer tout comme lui mais au service du Kasztellan Gottfried Von Urlauberg. À ce qu’il avait pu voir, l’épreuve était aussi difficile pour le chevalier que pour son ex-major de promotion. La personnalité exubérante et communicative d’herr Gottfried était en effet totalement à l’opposé de celle de Reiner. Leurs discussions tournaient généralement court, le Kasztellan monopolisant alors la parole tandis que Reiner écoutait, impassible, sans prononcer autre-chose qu’une ou deux remarques. Von Urlauberg, qui aimait être regardé avec considération, était totalement déstabilisé par ce jeune homme qui ne lui parlait pas différemment qu’à qui que ce soit d’autre (les marques de respect en plus). Reiner, lui, devait à priori ressentir de la lassitude devant ce chevalier si bavard qu’il n’avait pas le droit d’interrompre, car Wilhelm l’avait souvent aperçu écouter herr Gottfried avec sur le visage ce pli si particulier de la bouche qu’il arborait lorsqu’il s’apprêtait à parler.
Mais ça n’empêchait pas Guy et Wilhelm de sortir eux-mêmes du fort à diverses occasions. Guy était en effet adepte d’un apprentissage par l’expérience, et il voulait que Wilhelm prenne l’habitude de voyager. Ils sillonnèrent une partie des terres autour du Fort, explorant les montagnes et les forêts avec leurs chevaux, des provisions et leurs armes. C’étaient les moments que Wilhelm préférait, car il se sentait porté par les légendes de grands chevaliers contés dans les histoires qui avaient alimenté son enfance. Bien sûr, la réalité du terrain se révéla tout d’abord être un frein à son enthousiasme. La difficulté d’allumer un feu, la présence d’un grand nombre de bêtes aussi sauvages qu’incommodes (notamment de nombreux insectes), la pluie, la chaleur ou le froid, tout cela rendit ces voyages bien éloignés des clichés épiques. Sans compter la difficulté de dormir sur un sol irrégulier, souvent en pente, et même pas toujours au sec. Et bien sûr, les crampes dues à des journées entières de chevauchées. Tout cela combiné fit qu’au terme du premier voyage en question, Wilhelm aurait pu dormir durant une journée entière. Malgré cela, au fur et à mesure des mois et des années, il se prit à être plus à son aise. Il développa petit à petit quelques automatismes : repérer le bois sec et le ramasser, chercher immédiatement les endroits abrités et le plus plat possible, s’équiper de vêtements chauds, et beaucoup d’autres qui concoururent à rendre ces fameuses excursions, petit à petit, de plus en plus agréables.
Bien entendu, sa formation de chevalier n’y était pas pour autant négligée. Le matin, messire Guy et lui s’entraînaient tout le temps, même en-dehors du fort. Quelquefois, il leur fallut se défendre contre des créatures hostiles ou des bandits, mais jamais rien de plus. Ils prenaient bien garde à ne pas sortir de la zone quadrillée par les éclaireurs de l’ordre, justement pour ne pas tomber sur d’importants groupes de bandits, de mutants, d’orques en maraude ou pire encore.
De plus, messire Guy l’emmenait aussi visiter quelques villages dans la vallée afin de se mêler au peuple. « Un chevalier doit connaître ceux qu’il défend » disait-il. Et de le voir se rendre dans des petites bourgades situées dans l’extrême-Ouest du Wissenland et l’extrême-Est du Reikland. Guy en profitait alors pour parler aux gens, leur demandant s’ils avaient eu des problèmes récemment avec des animaux sauvages, des brigands ou des créatures qui n’auraient pas dû être là. Leur passage représentait souvent l’attraction de la journée pour les locaux, qui n’avaient pas beaucoup l’habitude d’avoir des visiteurs, et encore moins de ce rang. On leur demandait alors souvent des nouvelles de la région, de la situation dans les autres villages ou même des dernières rumeurs qui couraient en ville. De plus, il leur arrivait aussi qu’on les invite chez tel ou tel notable, ces derniers voulant se faire voir en compagnie de chevaliers. Guy mettait toujours un point d’honneur à refuser, préférant rester neutre dans ces jeux. Il confia à Wilhelm que c’était « toujours la même rengaine avec le petit peuple. Il faut les connaître et les protéger, mais leurs préoccupations sont trop égoïstes pour s’y mêler. » Une autre chose à laquelle ils étaient confrontés lors de ces visites était l’intérêt qui était porté à leur endroit par la gente féminine. En effet, qu’il s’agisse du chevalier ou de l’écuyer, aucun ne semblait laisser les femmes indifférentes, et certaines poussaient leurs assauts plus loin que d’autres. À une occasion, l’une d’elle se glissa dans la chambre de Wilhelm dans une auberge. Il fut extrêmement décontenancé quant à l’attitude à employer, car il ne voulait pas manquer de respect à la donzelle (Guy lui ayant bien enseigné que le respect des dames était l’une des bases de la chevalerie), mais il ne voulait pas la déshonorer non plus. Celle-ci prit les devants, et lui assura qu’ils ne risquaient rien car elle connaissait ‘les herbes’ et ‘où les mettre’. Cependant, le lendemain matin fut l’une des seules fois où Wilhelm vit Guy se mettre véritablement en colère. Le chevalier bretonnien était fou de rage, et s’il n’adressa à la jeune fille qu’un regard méprisant, Wilhelm écopa d’un sermon qui dura une heure portant sur le pourquoi du comment il avait très mal agi.
La plupart du temps, ces visites finissaient par mener à la traque d’un danger quelconque affectant un ou plusieurs villages, et si la menace était suffisamment faible pour qu’ils la confrontent à eux deux ils s’en occupaient eux-mêmes. Dans le cas inverse, ils notaient son emplacement, et retournaient chercher du renfort. L’un des cas les plus marquants fut la découverte de la tanière d’une chimère des montagnes, presque par hasard, lorsque Guy et Wilhelm enquêtaient sur la disparition d’un grand nombre d’animaux et de voyageurs isolés. Sa cache était située dans les contreforts des montagnes grises, dans un gouffre béant dont ils la virent sortir alors que le couvert des arbres les camouflait. La bête était manifestement jeune, certainement chassée des territoires habituels de ces créatures à l’Est. Malgré son âge, elle restait redoutable, et l’ordo en appela à l’aide aux autorités de l’Empire. Ce fut la première fois que Wilhelm vit un comte électeur de près. En effet, pour vaincre la chimère, qui était capable de voler, le comte du Reikland décida de combattre le feu par le feu et de l’attaquer par les airs sur le dos d’un griffon. La stratégie paya, car la chimère, prise par surprise, fut blessée à l’aile par la monture du comte, et ce dernier lui trancha la tête de son croc runique. Wilhelm, qui avait assisté au combat depuis le sol, en fut émerveillé.
Etrangement pourtant, c’était durant ces fameuses ‘expéditions’ que les crises de mélancolie du bretonnien (ainsi avait appelé Wilhelm les moments où Guy sombrait dans le silence, le regard perdu dans le vague et une expression de désarroi sur le visage) étaient les plus fréquentes. Ces choses-là arrivaient de temps en temps au fort, mais elles se produisaient plusieurs fois par jour lors de leurs voyages. Wilhelm n’avait au départ pas osé demander ce qui les causait, puis il avait fini par poser la question. Mais Guy s’était alors contenté de répondre que ces voyages lui en rappelaient d’autres, dans le passé, qui s’étaient mal terminés. Il n’en tira rien de plus, mais dut tout de même en gérer les conséquences. En effet, Guy, qui était déjà bien porté sur la bouteille, consommait alors dans ces moments-là des grandes quantités de vin, et pouvait se montrer imprévisible. Certaines fois cela passait par une frénésie du combat, où il poussait Wilhelm à s’entraîner jusqu’à l’épuisement. À d’autres occasions il les menait par des chemins qu’il connaissait ‘par cœur’, qui les perdaient dans les sous-bois en quelques heures. La première fois il leur fallut plusieurs jours pour retrouver leur chemin, mais Wilhelm prit rapidement conscience qu’il fallait marquer leur chemin pour le retrouver dès que Guy s’emparait d’une bouteille de trop.
Durant cette longue période d’apprentissage, Wilhelm ne revit que très peu sa famille. Guy et lui visitèrent le manoir Kruger après deux ans d’absence, au terme d’une traversée du Wissenland. Le chevalier bretonnien avait en effet pensé que revoir les siens serait bon pour Wilhelm, car ce dernier lui avait longuement parlé de ses relations avec son père. En retour, son écuyer lui avait demandé pourquoi lui-même n’allait jamais revoir sa propre famille, ce à quoi Guy avait répondu avec un sourire triste qu’ils refuseraient certainement de le voir. Ils ne restèrent cependant que quelques jours à Wissenburg, et la rencontre entre Gerhardt Kruger et Guy du Fort aux Roses se passa assez mal. En effet, le capitaine Kruger avait une mauvaise opinion des étrangers, et Guy lui fit l’impression d’un homme sans ambition, sans patrie, qui se contentait de gagner son pain en se battant. De son côté, Gerhardt apparut à Guy comme un homme imbu de lui-même, sans amour ni respect. Il fut sur le point de le défier en duel avant que Wilhelm n’arrive à désamorcer la situation. Guy et lui quittèrent Wissenburg avec un goût amer dans la bouche, et la ferme intention de ne pas revenir avant longtemps. Wilhelm avait cependant été très heureux de revoir son frère cadet, ce dernier ayant commencé son apprentissage de pistolier au manoir familial, sous l’égide de plusieurs maîtres réputés.
Ainsi, Wilhelm partageait son temps entre l’entraînement, les discussions et les expéditions. Ce rythme continua pendant trois ans, mais fut brusquement interrompu par un évènement inattendu.
« La réponse est non !
La voix de Bastian Von Alte Brücke claque comme un fouet, sans que cela ne paraisse émouvoir ses interlocuteurs pour autant.
- Enfin, grand-maître, s’impatienta celui qui lui faisait face debout de sa voix haut perchée qui pouvait évoquer le son d’une trompette, réfléchissez-y à deux fois. Nous sommes en présence d’une hérésie et qui met l’Empire en danger.
- C’est tout vu, herr Rottmann ! Répliqua mein Herr Bastian. Je ne lancerai pas mon ordre ‘purifier’ la campagne impériale, et encore moins sur votre seule instruction.
Le dénommé Rottmann commençait à perdre patience. Ses sourcils froncés donnaient à son visage barbu couvert de cicatrices une apparence intimidante.
- Avez-vous oublié à qui vous avez affaire ? Je sais reconnaître de l’hérésie quand j’en vois, et je vous assure qu’elle s’est certainement déjà propagée.
- Grand-maître, répliqua calmement le troisième occupant du bureau de sa voix de basse, je comprends complètement votre position. Mais considérez la chose dans son ensemble. Si on apprenait que vous aviez refusé d’aider deux représentants de l’Eglise de Sigmar…
Mein Herr Bastian ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase.
- Frère Félix, je ne suis pas sûr d’apprécier votre façon de me menacer à demi-mot. Vous n’avez aucun droit ici, et vous le savez très bien. Quant à vos ‘conséquences’, elles n’existent pas. L’Empire est divisé, et le trône impérial est vacant depuis des siècles. Personne ne fera attention à cette histoire.
Rottmann repartit à la charge, l’œil brillant.
- Et cela ne vous fait rien de laisser cet Empire se faire dévorer par l’hérésie ?
- Êtes-vous vraiment certains d’avoir vu un culte hérétique visant à faire tomber l’Empire ?
- Puisque nous vous le disons depuis tout à l’heure ! Mettriez-vous en doute notre sincérité ?
- Nullement. Je ne fais que mettre en doute votre jugement. »
La situation s’échauffait. Le grand-maître était sur les nerfs, car il détestait les zélotes religieux et autres dévots, tous persuadés qu’ils étaient d’avoir raison dans leur extrémisme. Les deux spécimens qu’il avait devant lui appartenaient à cette catégorie. Le premier, Albrecht Rottmann, était un répurgateur de l’ordre du marteau d’argent, un chasseur de sorciers, hérétiques et autres serviteurs du mal, et semblait presque être une caricature de cet ordre. D’une cinquantaine d’années, grand, maigre, l’œil toujours aux aguets, il était vêtu d’un large manteau de cuir dans lequel Bastian devinait la présence de plusieurs pistolets. Un attirail hétéroclite semblait être attaché à sa ceinture, avec notamment une longue rapière dans un fourreau noir. Sa tête était habituellement coiffée du grand chapeau à large bord prisé par les répurgateurs, mais il l’avait posé à l’entrée, révélant des cheveux noirs coupés court. Son visage portait un bouc bien taillé et une fine moustache noire elle-aussi, mais un ensemble de cicatrices concourrait à le rendre disgracieux. Si ses regards noirs étaient éloquents, le grand-maître n’était pas certain de souhaiter le voir sourire, se disant que ce serait encore pire.
L’autre, frère Félix, était manifestement un prêtre guerrier itinérant. Il était de la même taille que Rottmann, mais paraissait plus petit du fait de son épaisse carrure. Il avait l’air plus jeune, environ la quarantaine, et sa tête chauve taillée à la hache ne portait presque aucun stigmate de combat. Cependant, on ne pouvait douter qu’il fut un guerrier, car il portait en permanence une cuirasse dans laquelle il se mouvait sans difficulté. De plus, un large marteau de guerre était fixé dans son dos, et au vu du personnage nul ne pouvait douter qu’il savait s’en servir. Il semblait être plus clame que le répurgateur qui l’accompagnait, mais on ne pouvait douter de la profondeur de sa détermination. Cependant, il avait choisi d’adopter une position en retrait, restant adossé au montant de la porte alors que Von Alte Brücke et Rottmann se faisaient face debout, au centre du bureau du grand-maître.
« Ecoutez Herr Bastian, répliqua frère Félix de sa voix posée, nous sommes conscients de vos responsabilités. Nous savons de plus que votre ordre n’est pas encore remis de certaines pertes récentes.
- Si vous le savez si bien, coupa le grand-maître, pourquoi venez-vous me demander cela ? Allez donc pleurer chez la comtesse à Nuln, ça sera certainement plus efficace.
Rottmann répliqua d’un ton sarcastique.
- Et vous pensez peut-être que nous n’y avons pas pensé ? Cette idée nous est venue. Mais nous ne pouvons pas savoir à quel point cette hérésie s’est propagée. En l’absence de preuves, toute personne à sa cour est potentiellement un hérétique indigne de confiance.
- Ecoutez messieurs je suis sensible à votre cause, mais je ne peux pas agir non plus en l’absence de preuve concrète. J’ai juré de défendre l’Empire, pas d’obéir à l’Eglise.
Herr Bastian laissa quelques secondes passer avant de reprendre sur le même ton résolu.
- Mais je n’ai pas non plus l’intention de laisser passer un risque pour le peuple sans rien faire. Alors vous allez prendre le temps, dès maintenant, de tout me raconter. J’aviserai ensuite. »
Le prêtre et le répurgateur s’entre-regardèrent. Puis ils hochèrent la tête, et frère Félix s’avança, se saisit d’un tabouret et s’assit dessus. En réponse, le grand-maître s’assit à son tour à son bureau et lui fit signe qu’il était prêt à écouter. La mine grave, et d’un ton qui l’était tout autant, le prêtre commença son récit.
« Ecoutez donc, Herr Von Alte Brücke, commença le prêtre de sa voix grave. Cette histoire commence avant notre propre intervention cependant. Il y a quelques mois, un homme s’est présenté à l’entrée de Nuln, prétendant venir d’un village dans la campagne. Les gardes l’ont laissé entrer, sans se méfier le moins du monde. Quelques jours plus tard, une rumeur commençait à se répandre en ville. Elle était lancée par cet homme, qui, ivre mort, avait plusieurs fois laissé échapper que dans son village Sigmar n’avait plus de prise, et qu’une nouvelle divinité bien plus généreuse l’avait remplacé. »
Le grand-maître avait envie de l’interrompre pour lui demander « et alors ? », mais il savait que le respect lui imposait de laisser l’autre finir.
« La chance a voulu qu’il soit arrêté pour vois de faits lors d’une rixe dans une taverne. L’homme était bien porté sur la boisson. Ses geôliers n’ont malheureusement pas vraiment été des plus zélés, puisqu’ils l’ont laissé partir malgré ses propos scandaleux après qu’il eut payé sa caution. Mais l’un d’entre eux, plus pieu que les autre sans doutes, a pris sur lui de prévenir un prêtre de la ville. Celui-ci, horrifié par ces dires, a aussitôt envoyé une missive à Altdorf. Herr Rottmann et moi avons ainsi été missionnés pour enquêter sur tout cela.
Le temps que nous arrivions cependant, la piste était froide. L’homme était parti, et personne ne savait quel était le village en question. Alors nous avons décidé, en désespoir de cause, de sillonner la campagne Wissenlandaise à partir du seul indice dont nous disposions : l’homme avait dit que c’était un village à l’Ouest de Nuln. C’est la seule chose que les témoins ont retenu. Nous avons ainsi voyagé pendant quelques semaines à travers la campagne. Vous n’imaginez pas combien de petites bourgades on peut trouver dans ce coin.
- Si, répliqua le grand-maître d’un ton catégorique, je m’imagine très bien.
Frère Félix fit mine de ne pas l’avoir entendu.
- Nous avons ainsi exploré pas mal de ces villages, sans rencontrer l’hérésie mentionnée. Oh bien sûr, nous avons débusqué quelques hérétiques par-ci par-là, mais rien ne correspondant à ce que nous cherchions. Et puis un jour, nous sommes entrés dans un village nommé Weisaupt, qui nous a paru extrêmement suspect.
- Suspect comment ?
Ce fut le moment où Rottmann, qui avait passé le reste du temps à regarder par la fenêtre, décida d’intervenir.
- La vue de deux personnes comme nous a toujours tendance à éveiller des réactions, fit sa voix haut perchée. Les gens montrent beaucoup de déférence, de respect, mais nous voyons bien qu’ils sont terrorisés. Ils se montrent très méfiants aussi. Nous savons bien que même les individus les plus pieux craignent d’être dénoncés par leurs voisins pour de fausses accusations. Mais dans ce village-là rien de tout cela n’arriva. Nous avons été accueillis aimablement, avec sourires et générosité. Et nous avons vu que l’endroit semblait prospère. Très prospère.
- Bref, reprit le prêtre, tout cela éveilla nos soupçons. Alors la nuit, dans l’auberge, nous ne dormions que d’un œil, l’un d’entre nous deux étant constamment de faction auprès de la porte. Et effectivement, nos soupçons s’avérèrent exacts, car au milieu de la nuit nous avons été réveillés par des bruits de pas.
- Ces gens venaient vous agresser ?
- Pas du tout. C’étaient des gens qui quittaient l’auberge. Et en jetant un œil à la fenêtre, nous avons constaté que pas mal de monde était dehors, en train de se diriger vers un unique bâtiment, aux allures de grange. Nous avons alors décidé de nous en approcher discrètement, en prenant nos distances. Et ce que nous avons découvert nous a stupéfiés.
- Qu’avez-vous vu ?
- Nous n’avons pratiquement rien vu, la porte n’étant qu’entrouverte. Mais nous avons beaucoup entendu. Les gens chantaient une sorte de prière à une entité qu’ils n’ont pas nommé, excepté sous le nom du ‘grand aigle’. La grange avait à priori été rénovée en un genre de sanctuaire, le temple de Sigmar de la ville ayant été abandonné. Mais le pire reste à venir.
Frère Félix était fier du petit effet que généra cette phrase, car Herr Bastian semblait captivé.
- Après le chant, nous avons entendu une nouvelle voix s’élever. C’était un homme qui parlait, ou plutôt qui discourait. Il s’adressait aux villageois, les félicitant pour leur piété (à ce mot Rottmann poussa un grognement rageur). Puis il leur a parlé de nous.
- De vous deux ?
- Tout à fait. Il les a remerciés de l’avoir prévenu de notre venu, et il les a prévenus que nous désapprouvions leur nouvelle foi. Il a ensuite dit qu’il faudrait qu’on lui soit amenés dès le matin, afin qu’il puisse nous faire changer d’avis. Il va sans dire que c’était plus que nous pouvions laisser faire, mais nous n’étions que deux. À cet instant, nous avons donc déguerpi, prit nos chevaux, et nous sommes partis à bride battue sans demander notre reste. Comme nous vous l’avons dit, nous avons débattu de l’endroit où venir chercher de l’aide, et avons décidé de venir ici. »
Le grand-maître était interloqué, son front se plissant alors qu’il réfléchissait. Ce récit était effectivement des plus inquiétants, mais il ne souhaitait toujours pas mener une action d’envergure. Tout cela devait être plus complexe qu’il n’y semblait, et sombrer dans la paranoïa ne lui apparaissait pas comme la meilleure solution. Se passant la main dans sa barbe, il finit par avoir une idée qui permettrait de mener à un compromis.
« Messieurs, commença-t-il, d’un ton sérieux qui intima les deux ecclésiastiques à l’écouter, voici ce que je vous propose. Vous allez retourner dans ce village, afin d’enquêter plus avant sur ce qu’il s’y passe réellement. Mais vous n’y irez pas seuls. Vous serez accompagnés par certains de mes hommes, en lesquels j’ai entièrement confiance, qui vous prêteront main-forte et qui seront mes yeux et mes oreilles. Une fois cet écheveau démêlé, il sera encore temps de prendre une décision.
Il avait dit tout cela avec le plus d’autorité qu’il pouvait, mais le répurgateur n’avait pas l’air impressionné. Au contraire, ce dernier s’empressa de répliquer avec véhémence.
- Vous vous rendez compte que le temps que nous fassions tout ça des évènements très graves pourront se produire ? Des évènements qui auraient pu être évités ?
- C’est à prendre ou à laisser mein herr. Je n’ai pas l’intention de lancer mon ordre à l’aveuglette dans une purge arbitraire, et certainement pas pour tuer des personnes que tout semble indiquer comme étant innocentes.
Rottmann allait répliquer, mais frère Félix posa sa main sur l’épaule de son collègue, qui se tourna vers lui mais garda le silence.
- C’est d’accord, finit par acquiescer le prêtre guerrier. Nous acceptons vos conditions. Mais nous devront partir rapidement. Le temps presse. »
Bastian eut un léger soupir de soulagement, et exulta intérieurement. Il ne pensait pas pouvoir sortir de cette entrevue avec une solution à l’amiable, mais il avait fini par réussir. Il s’apprêta à donner congé aux deux hommes, afin de sélectionner ceux de ses hommes qui feraient le voyage, mais une dernière question d’apparence anodine lui vint à l’esprit.
« Au fait, messieurs, avant que vous ne sortiez, pourriez-vous me dire le peu que vous avez aperçu dans la grange à travers l’entrebâillement de la porte ? »
Wilhelm se tortillait sur sa chaise de bois, se trouvant excessivement mal assis. C’était d’autant plus étonnant que les sièges du bureau du grand-maître étaient strictement les mêmes que ceux du reste du Fort. Ce devait être l’agitation de se retrouver là, sans savoir pourquoi, dans cette pièce dans laquelle il n’était pas venu depuis longtemps. Elle n’avait d’ailleurs pas beaucoup changé en trois ans, avec ses bibliothèques, sa cheminée, l’armure sur le mannequin et les armes accrochées au mur. La seule différence finalement, c’étaient les gens présents. Cette fois-ci, les différentes chaises étaient occupées par entres autres divers membres de l’Ordo, à savoir Guy, le Kasztellan Gottfried Von Urlauberg, et Reiner. Mais il y avait deux autres personnes, qui n’en finissaient pas de rendre Wilhelm nerveux. L’un d’entre eux était un individu doté d’un corps massif surmonté d’une tête chauve, au visage anguleux et sévère. Lourdement équipé, l’homme en question portait des symboles divins bien en évidence, l’identifiant comme étant un prêtre-guerrier de Sigmar. Ce qui éclairait Wilhelm sur l’identité du second individu. Sa grande et longue silhouette était pour l’heure immobile sur son propre siège, mais c’était son visage qui attirait l’attention du jeune homme. Il était couvert de cicatrices, mais avait les yeux pétillants, et portait une moustache assortie d’un bouc. Cela lui rappelait beaucoup son père, mais en une version encore plus inquiétante. De fait, l’homme était de toutes évidences un répurgateur (Wilhelm avait souvent entendu parler de ces individus, et en avait croisé quelques-uns à Nuln), et ces deux éléments mis en semble l’agitaient, partagé qu’il était entre intimidation et étonnement.
Que pouvaient-ils bien faire là ?
Le grand-maître fit rapidement les présentations. Le prêtre était un certain ‘Frère Félix’, et l’autre se nommait ‘Albrecht Rottmann’, et était effectivement répurgateur, de l’ordre des templiers de Sigmar. Le prêtre fit un salut poli de la tête lorsque herr Bastian présenta à leurs tours Guy, Gottfried, Reiner et Wilhelm, mais le dénommé Rottmann n’eut aucun comportement de ce genre, se contentant de les observer avec insistance. Wilhelm avait l’impression qu’il scrutait chaque pouce carré de son corps pour y déceler le moindre élément à charge, mais l’homme resta silencieux, et finit par se tourner vers le grand-maître.
« Ces messieurs sont là, continua ce dernier, au sujet de troubles dans le Wissenland. »
Rapidement, il mit au courant les chevaliers et leurs écuyers de l’histoire des deux ecclésiastiques, leur parlant de leur mésaventure dans le village de Weisaupt. Intrigué, Wilhelm garda le silence. Il n’avait encore jamais entendu parler de cultes démoniaques dans cette région. En fait, il n’en avait jamais entendu parler tout court. Tout cela faisait partie du folklore de régions lointaines selon lui, et il n’imaginait pas devoir y faire face dans cette partie du monde.
« Voici donc ce que j’attends de vous, messieurs, reprit mein Herr Bastian d’une voix autoritaire. Ces représentants de l’inquisition sont venus me demander notre aide pour purger la région, mais je n’entends pas le faire sans preuves. Votre rôle sera donc de tirer cela au clair. Enquêtez, déterminez à quel point le mal est enraciné, ou non, dans cette région, et faites m’en part. Nous prendrons alors une décision finale. C’est bien compris ?
- Oui mein Herr ! Firent en chœur les quatre membres de l’ordre.
- Kasztellan Von Urlauberg, vous serez l’officier le plus gradé. Les autres vous devront obéissance directe.
- Bien évidemment, grand-maître. Vous pouvez compter sur moi, vous le savez. »
Tout en répondant, Von Urlauberg avait fait un grand sourire qui mettait parfaitement en valeur sa moustache impeccablement taillée. Mais Wilhelm n’en avait rien vu, tout excité qu’il était par la nouvelle. Tout cela ressemblait à une mission des plus particulières. Enquêter dans un ou plusieurs villages pour y découvrir des traces d’un culte chaotique, tout cela était très éloigné de ce qu’il croyait devoir faire en permanence ici, et d’autant plus intéressant. De plus, curieusement, cette mission lui donnait l’impression d’avoir pris de l’importance, car elle était de toutes évidences soumise à la plus grande discrétion. Enfin, il allait faire quelque-chose de spécial. Et cela le réjouissait.
Le grand-maître mit fin à l’entrevue :
« Messire Guy, veuillez rester ici, j’ai quelques questions supplémentaires à vous poser. Les autres, allez vous préparez. Vous partez demain à la première heure. Rompez ! »
Sortant de la pièce, Wilhelm fonça en direction de ses quartiers et de ceux de son chevalier. Pendant trois ans, il avait dû préparer les bagages à chaque fois que Guy et lui étaient partis en expédition, et il savait exactement quoi faire. Du reste, il espérait bien avoir fini à temps pour parler avec Reiner de la mission en question. Son ancien major avait certainement un avis intéressant sur la question.
Une fois seul avec Guy dans le grand bureau, Bastian croisa les doigts et s’enfonça dans son siège.
« Alors, Guy, parles moi. Dis-moi comment se passe l’entraînement de ton écuyer.
Guy s’attendait peu à cette demande, mais il répondit avec sincérité.
- Comme on pourrait l’espérer en ce qui concerne un jeune homme comme lui.
Le grand-maître sourit à cette réponse.
- Mais encore ? Que penses-tu de lui ?
- C’est un rêveur, qui n’a aucun esprit de commandement. Il n’a de cesses d’agir comme si le monde entier reposait sur ses épaules, et qu’il ne peut point partager ce fardeau. Il ne sera jamais, je le crains, un grand chevalier.
Il avait répondu cela d’une voix dure et sèche. Il y eut un silence, puis il reprit, avec cette fois un demi-sourire.
- Mais à côté, c’est un très bon combattant, qui s’entraîne avec acharnement. Il connait les valeurs de la bravoure et de l’abnégation, et il sait entendre ce qu’on lui dit. Il parvient peu à peu à faire siennes les vertus chevaleresques. J’ai dit qu’il ne sera jamais un grand chevalier, mais il sera certainement un chevalier exemplaire.
Herr Bastian émit un long soupir.
- Hum, je commence à croire que j’ai bien fait de te le confier, dit-il comme s’il se parlait à lui-même. Ce jeune homme semble toujours vouloir bien faire, mais des fois il est d’une maladresse…
- En parlant de ça, messire, pourquoi nous avoir choisi nous pour cette mission ? Ne craignez-vous point qu’elle ne fut dangereuse ?
Le grand-maître pencha la tête en avant, l’air très sérieux, et dit d’une voix plus basse :
- C’est pour cela que je t’ai demandé de rester Guy. J’ai une information supplémentaire que j’aimerais te donner, à toi et à toi seul.
Le chevalier bretonnien fronça les sourcils. L’ambiance avait changé d’un coup.
- Laquelle messire ? Dites-moi tout.
- Eh bien voilà. Frère Félix et herr Rottmann m’ont dit qu’ils ont réussi à voir quelque-chose dans le sanctuaire impie dont j’ai parlé. Ce n’était pas grand-chose pour eux, mais ça m’a rappelé une chose.
Il se tut un instant avant de reprendre.
- Ils ont aperçu des tentures, des tentures bleues turquoise avec un œil multicolore dessiné dessus.
Guy écarquilla les yeux, avant de prendre un air résolu.
- Je vois, vous pensez que cela pourrait être ceux qui…
- Je pense que tu pourrais y trouver des informations sur les individus dont tu m’as parlé voici dix ans, quand tu es arrivé ici. Ceux qui ont tué ton ami.
- Pourquoi ne pas en avoir parlé tout à l’heure ?
Herr Bastian eut un sourire ironique.
- Ces deux énergumènes cherchent tous les prétextes possibles pour brûler la moitié de la population de l’Empire. Je ne le leur donnerai pas. Si vous trouvez des informations, très bien, mais ça ne vaut pas la peine de tuer des innocents en plus. »
Guy hocha sombrement la tête. Sa résolution était déjà prise. Il enquêterait sur ces cultistes, et découvrirait leur cachette.
Et par la dame, cette fois personne ne l’arrêtera.
Et c'est encore pour poster la suite.
Autant que je vous le dise, le chapitre 10 ne sortira pas tout de suite, la faute à quelques modifications pour rajouter un sous-scénario que je n'avais pas prévu à la base.
Mais sans plus attendre, voici le...
Chapitre IX
« Cette partie-là, c’est le cuissot, ça c’est la grève. Et ça, c’est le soleret. J’ai bon ?
- Mais non ! Tu as confondu le cuissot et la grève. Et que fais-tu de cet élément ? Quel est son nom, et à quoi sert-il ?
- C’est la genouillère, et elle se met entre le cuissot et la grève.
- Tout juste, alors comment tu m’expliques que tu l’aies oublié ? Tu penses que j’ai envie de me battre avec un genou à l’air ? Histoire de se prendre une flèche dedans ?
- Non messire.
- Alors retiens bien ! Une jambe doit être correctement équipée. Le cuissot, comme son nom l’indique, recouvre la cuisse. Ensuite, la grève recouvre le bas de la jambe et le talon. Et on met la genouillère à la fin. Le soleret, lui, doit être sur le pied.
- Bien messire. »
Wilhelm et Guy étaient dans une des nombreuses salles d’entraînement du Fort de sang, devant une table sur laquelle le chevalier avait fait disposer à Wilhelm l’intégralité des pièces d’une armure complète. Depuis l’aube, le bretonnien s’évertuait à apprendre au jeune homme la façon dont une armure de plates est conçue, et comment en équiper un chevalier. Wilhelm, qui avait l’habitude des armures plus simples, constituées de mailles et d’un ou deux éléments en plates, était éberlué par la complexité de la chose. Mais s’il avait du mal à retenir leurs noms, il comprenait rapidement comment chaque pièce fonctionnait.
« Il te faut apprendre correctement la façon dont ce genre d’armure s’équipe, jeune homme, fit Guy d’une voix autoritaire. C’est ainsi que chaque chevalier est équipé dans l’empire.
- Dans l’empire ? Mais messire, vous voulez dire que l’équipement bretonnien est différent ?
La question lui avait échappé, mais le regard que lui adressa messire Guy lui indiqua qu’il aurait mieux fait de se taire. Penaud, il baissa la tête, mais à sa grande surprise la foudre ne vint pas.
- Ce n’est en effet pas pareil, finit par répondre son chevalier d’un ton neutre. Les armures bretonniennes ne sont généralement constituées que d’une épaisse côte de mailles par-dessus laquelle on fixe seulement quelques pièces de plates. C’est plus léger, et certainement plus adapté pour être portée pendant plusieurs jours. Cependant, la protection fournie est inférieure.
Il y eut un moment de flottement. Puis Guy reprit avec une voix plus sévère.
- Et si ta vraie question était pourquoi je m’équipe comme un impérial alors que je suis bretonnien, je te répondrais que je fais partie de cet ordre, en qu’en cela je me dois de me conformer à ses usages. Et maintenant, reprenons. »
Wilhelm continua ainsi à écouter son chevalier lui expliquer patiemment comment chaque pièce s’imbriquait l’une dans l’autre, et comment elles tenaient sur le corps. Cela faisait maintenant deux semaines qu’ils étaient officiellement chevalier et écuyer, et que la vie de Wilhelm au sein de l’ordre avait commencé. Messire Guy (qui insistait pour qu’on utilise le titre bretonnien pour s’adresser à lui, et non le ‘mein herr’ impérial) se révélait être un maître des plus inflexibles. S’il n’avait pas perdu son côté jovial, il n’en laissait généralement rien paraître lors de son temps avec Wilhelm, qui en fut décontenancé au début. Au contraire, il prenait une attitude sévère, et lui imposa un rythme strict. Wilhelm s’était rapidement rendu compte que la vie au Fort de Sang allait être tout aussi remplie de leçons qu’auparavant. Ses journées étaient en grande partie dédiées à l’entraînement, mais pas seulement. Ainsi, le deuxième matin Guy lui avait donné rendez-vous dans la même salle d’entraînement.
« Allons-nous nous entraîner mait…messire ? Avait demandé Wilhelm.
Il était alors impatient de commencer, et observait d’un œil avide les armes rangées contre les murs.
- D’une certaine façon oui, Wilhelm, lui avait calmement répondu Guy. Mais ce matin, nous exercerons ceci.
Et tout en parlant, il tapota son front de son index.
- Le cerveau ?
Wilhelm était circonspect. Voulait-il dire qu’ils allaient parler tactique ? Stratégie militaire ? Si tôt ?
- C’est à peu près cela. Je pense plutôt au mental. Car le mental d’un chevalier se doit d’être aussi solide que son armure.
- Je sais cela messire.
De fait, il avait souvent entendu parler du fameux esprit chevaleresque. Mais il ignorait où son chevalier voulait en venir exactement.
- Le sais-tu vraiment ? Regardes moi et dis-moi ce que tu vois.
Wilhelm l’observa sans comprendre.
- Je vous vois vous ?
- Et que suis-je ?
- Le chevalier Guy du Fort aux Roses, de l’Ordo Draconis.
- Bien, mais comment le sais-tu ?
Wilhelm se sentait de plus en plus perdu.
- Parce que je vous connais.
- Alors imagines que tu ne me connais point. Comment saurais-tu que je suis un chevalier ?
En l’occurrence, Guy était vêtu d’une simple tunique, sur laquelle il avait passé un gambison. Mais aucun signe distinctif permettant de voir son titre.
- Je ne le pourrais pas.
- Exactement. Et pourtant, je n’en suis pas moins chevalier.
- Oui.
- Alors qu’est-ce qui selon toi fait que je suis chevalier ? Est-ce mon armure ? Est-ce mon épée ? Est-ce mon cheval ?
- Vous avez été adoubé chevalier non ?
Wilhelm sentait que les suggestions avaient pour but de lui tendre un piège, et il crut l’avoir évité. Mais Guy secoua la tête en pinçant les lèvres.
- C’est la définition légale de la chevalerie dont tu me parles ici. Mais pourtant, moult gens ont été adoubés, et certains ne se comportent point en véritables chevaliers. Qu’est-ce qui devrait me différencier d’eux ?
- Vos actes !
Guy eut l’air plus satisfait, et il invita Wilhelm à continuer.
- Et pourquoi, selon toi encore, est-ce que mes actes seraient différents des leurs ?
Wilhelm plissa les yeux. C’était une bonne question, et il risqua une réponse qui lui semblait sans doute être proche de la vérité.
- Parce que vous faites passer l’intérêt des autres avant le vôtre ?
- Exactement ! Comprends-tu, alors, ce que j’essaie de te dire ?
- En gros, un chevalier doit faire passer les autres avant lui ?
Guy hocha la tête, puis reprit d’une voix enflammée.
- Un chevalier doit faire preuve d’abnégation. Il est le sauveur des opprimés et le défenseur des causes justes. Il est le rempart contre le mal. Et tout cela il le fait parce que sa conscience le lui dicte, point pour une quelconque récompense en cliquaille ou en titres.
Wilhelm commençait à voir là où le bretonnien voulait en venir.
- Je crois que je comprends messire.
- Tu le crois ? Je puis t’en assurer Wilhelm, prochainement, tu le constateras par plus que des mots. »
Et ce fut la vérité. La vie d’un écuyer au Fort de Sang se révéla ne pas être une sinécure. Il lui fallait se lever aux aurores pour préparer le petit-déjeuner de messire Guy, et ce faisant trouver de quoi manger lui-même. Il devait ensuite aller dans la chambre du chevalier pour l’aider à se lever, lui servir à manger, puis l’assister dans sa toilette matinales (‘ses ablutions’ comme aimait à l’appeler messire Guy). Enfin, et à cet instant seulement, ils pouvaient accomplir les tâches du jour. Il pouvait s’agir d’entraînement aux armes, discipline favorite de Wilhelm qui était impressionné par la quantité de choses qu’il ignorait encore. S’il s’y connaissait en effet au maniement de l’épée, du bouclier, de la dague et de la lance, il n’avait encore jamais pratiqué la joute, et accueillit cette pratique avec intérêt. Leur entraînement se déroulait ainsi autant à pied que sur une scelle de cheval, et ce quelles que soient les armes choisies.
Mais ces activités pouvaient aussi être des leçons sur le savoir-faire du chevalier. La connaissance parfaite d’une armure de plates en faisait partie, tout comme l’héraldique et ses nombreuses spécificités. Ce dernier point n’était pas vraiment du goût de Wilhelm, qui s’embrouillait généralement avec les termes comme ‘écarté’, ‘écartelé’ ou ‘losangé’. Mais messire Guy se montrait intransigeant sur ce point, insistant qu’un chevalier se devait de pouvoir identifier immédiatement le blason de quelqu’un sur une simple description. Cela causa bien des maux de tête à son écuyer, qui passa des heures entières à mémorises des armoiries complexes.
Guy lui enseigna également l’étiquette et la galanterie à la bretonnienne, car il considérait qu’un chevalier ne pouvait se permettre d’en enfreindre les règles. Le respect des dames, en particulier, lui fut inculqué. Wilhelm n’avait jamais vraiment pensé à la place des femmes dans ce monde, et Guy lui apprit qu’elles étaient souvent les premières victimes civiles des guerres, et que leurs faiblesses en faisaient des proies faciles. Elles devaient ainsi être protégées, bien plus que les autres, et Wilhelm entreprit de graver cette règle dans sa mémoire.
Enfin, il pouvait leur arriver de parler, Guy insistant que la discussion était un moyen de communication essentiel et qu’entre un chevalier et un écuyer il fallait qu’il y ait compréhension. ‘La vie de l’un pouvant dépendre de l’autre, autant qu’ils se connaissent au mieux’ disait-il. Au cours de ces discussions, ils parlaient parfois de leur vie, de leur histoire commune ou personnelle. Wilhelm parla de ses jeunes années, de la vie presque paresseuse qu’il avait menée à Wissenburg sous la houlette d’un père intransigeant et peu accessible. Il évoqua un jour la dispute qui les avait opposés lors de sa dernière visite là-bas, et Guy l’assura que la vision que Gerhardt Kruger avait de la chevalerie était commune parmi les nobles. Ils voyaient cela comme une opportunité et non une mission, un mode de vie. Il ne se permit pas de prononcer de jugement, mais assura Wilhelm que sa propre approche de la chevalerie n’avait rien de comparable.
Wilhelm en vint, en retour, à connaître plus de choses sur Guy lui-même. Il était né dans le duché de Parravon, et était le troisième enfant, et deuxième fils, d’un seigneur terrien vivant dans un castel nommé ‘le Fort aux Roses’ (ce nom venant de la présence, plusieurs décennies auparavant, d’un splendide jardin autour dudit castel). Il était devenu chevalier errant à l’âge de seize ans et avait ainsi parcouru les routes du duché. Pour éviter que cette aventure ne tourne au suicide, il s’était joint à d’autres aventuriers en quête de gloire et de fortune. Ils étaient parvenus à impressionner un baron local, un certain Gérald de Montvilliers, lors d’une embuscade de bandits en maraude dans la région. Le baron le nomma pour l’occasion chevalier du royaume, lui proposant une position à son service. Mais Wilhelm se doutait qu’il y avait plus, car cela n’expliquait en rien sa présence dans un ordre impérial. La seule information supplémentaires qu’il avait eu, c’est qu’à l’âge de vingt-sept ans Guy avait entrepris la quête du graal. Wilhelm avait réalisé à cet instant qu’il n’avait jamais vu son chevalier se battre avec une lance (il se contentait de montrer à Wilhelm comment faire lors de leurs entraînements), et qu’il devait ainsi toujours se considérer comme étant tenu par son serment. Mais jamais il ne put obtenir la moindre information sur ce qui s’était passé ensuite. La seule autre chose qu’il savait, c’est que lui-même était son premier écuyer.
C’était tout.
Le quotidien au Fort de Sang n’était pas tout le temps occupé par sa formation. En effet, comme il fallait le prévoir, l’Ordo Draconis partait quelquefois repousser telle ou telle menace qui se déplaçait dans les environs. Un réseau d’éclaireurs et de messagers parcouraient les montagnes environnantes, et rapportaient régulièrement des informations au grand-maître. Wilhelm apprit d’ailleurs que ce réseau avait été considérablement étoffé depuis l’attaque des hommes-rats. Lorsqu’un groupe hostile se manifestait, généralement composé de peaux-vertes ou d’une importante troupe de bandits, une force armée de chevaliers et de troupes régulières était envoyée les prendre en embuscade pour les anéantir. À chaque fois, Wilhelm avait réclamé le droit de se joindre au combat, mais Guy avait refusé. « Ce n’est pas la place d’un écuyer, avait-il répondu, tu fais partie de l’avenir de l’Ordo, tu ne dois pas risquer de mourir pour si peu. »
De fait, l’Ordo Draconis se remettait peu à peu de la bataille contre les hommes-rats. La moitié des chevaliers de l’ordre avaient péri dans cet affrontement, ainsi que de nombreux écuyers, et leurs rangs se reconstituaient lentement. Une cinquantaine d’écuyers furent promus la première année, mais cela ne suffisait clairement pas et Herr Bastian Von Alte Brücke avait bien l’intention de prendre toutes les précautions possibles. D’ailleurs, au cours de cette période Wilhelm croisa peu Reiner, qui était devenu écuyer tout comme lui mais au service du Kasztellan Gottfried Von Urlauberg. À ce qu’il avait pu voir, l’épreuve était aussi difficile pour le chevalier que pour son ex-major de promotion. La personnalité exubérante et communicative d’herr Gottfried était en effet totalement à l’opposé de celle de Reiner. Leurs discussions tournaient généralement court, le Kasztellan monopolisant alors la parole tandis que Reiner écoutait, impassible, sans prononcer autre-chose qu’une ou deux remarques. Von Urlauberg, qui aimait être regardé avec considération, était totalement déstabilisé par ce jeune homme qui ne lui parlait pas différemment qu’à qui que ce soit d’autre (les marques de respect en plus). Reiner, lui, devait à priori ressentir de la lassitude devant ce chevalier si bavard qu’il n’avait pas le droit d’interrompre, car Wilhelm l’avait souvent aperçu écouter herr Gottfried avec sur le visage ce pli si particulier de la bouche qu’il arborait lorsqu’il s’apprêtait à parler.
Mais ça n’empêchait pas Guy et Wilhelm de sortir eux-mêmes du fort à diverses occasions. Guy était en effet adepte d’un apprentissage par l’expérience, et il voulait que Wilhelm prenne l’habitude de voyager. Ils sillonnèrent une partie des terres autour du Fort, explorant les montagnes et les forêts avec leurs chevaux, des provisions et leurs armes. C’étaient les moments que Wilhelm préférait, car il se sentait porté par les légendes de grands chevaliers contés dans les histoires qui avaient alimenté son enfance. Bien sûr, la réalité du terrain se révéla tout d’abord être un frein à son enthousiasme. La difficulté d’allumer un feu, la présence d’un grand nombre de bêtes aussi sauvages qu’incommodes (notamment de nombreux insectes), la pluie, la chaleur ou le froid, tout cela rendit ces voyages bien éloignés des clichés épiques. Sans compter la difficulté de dormir sur un sol irrégulier, souvent en pente, et même pas toujours au sec. Et bien sûr, les crampes dues à des journées entières de chevauchées. Tout cela combiné fit qu’au terme du premier voyage en question, Wilhelm aurait pu dormir durant une journée entière. Malgré cela, au fur et à mesure des mois et des années, il se prit à être plus à son aise. Il développa petit à petit quelques automatismes : repérer le bois sec et le ramasser, chercher immédiatement les endroits abrités et le plus plat possible, s’équiper de vêtements chauds, et beaucoup d’autres qui concoururent à rendre ces fameuses excursions, petit à petit, de plus en plus agréables.
Bien entendu, sa formation de chevalier n’y était pas pour autant négligée. Le matin, messire Guy et lui s’entraînaient tout le temps, même en-dehors du fort. Quelquefois, il leur fallut se défendre contre des créatures hostiles ou des bandits, mais jamais rien de plus. Ils prenaient bien garde à ne pas sortir de la zone quadrillée par les éclaireurs de l’ordre, justement pour ne pas tomber sur d’importants groupes de bandits, de mutants, d’orques en maraude ou pire encore.
De plus, messire Guy l’emmenait aussi visiter quelques villages dans la vallée afin de se mêler au peuple. « Un chevalier doit connaître ceux qu’il défend » disait-il. Et de le voir se rendre dans des petites bourgades situées dans l’extrême-Ouest du Wissenland et l’extrême-Est du Reikland. Guy en profitait alors pour parler aux gens, leur demandant s’ils avaient eu des problèmes récemment avec des animaux sauvages, des brigands ou des créatures qui n’auraient pas dû être là. Leur passage représentait souvent l’attraction de la journée pour les locaux, qui n’avaient pas beaucoup l’habitude d’avoir des visiteurs, et encore moins de ce rang. On leur demandait alors souvent des nouvelles de la région, de la situation dans les autres villages ou même des dernières rumeurs qui couraient en ville. De plus, il leur arrivait aussi qu’on les invite chez tel ou tel notable, ces derniers voulant se faire voir en compagnie de chevaliers. Guy mettait toujours un point d’honneur à refuser, préférant rester neutre dans ces jeux. Il confia à Wilhelm que c’était « toujours la même rengaine avec le petit peuple. Il faut les connaître et les protéger, mais leurs préoccupations sont trop égoïstes pour s’y mêler. » Une autre chose à laquelle ils étaient confrontés lors de ces visites était l’intérêt qui était porté à leur endroit par la gente féminine. En effet, qu’il s’agisse du chevalier ou de l’écuyer, aucun ne semblait laisser les femmes indifférentes, et certaines poussaient leurs assauts plus loin que d’autres. À une occasion, l’une d’elle se glissa dans la chambre de Wilhelm dans une auberge. Il fut extrêmement décontenancé quant à l’attitude à employer, car il ne voulait pas manquer de respect à la donzelle (Guy lui ayant bien enseigné que le respect des dames était l’une des bases de la chevalerie), mais il ne voulait pas la déshonorer non plus. Celle-ci prit les devants, et lui assura qu’ils ne risquaient rien car elle connaissait ‘les herbes’ et ‘où les mettre’. Cependant, le lendemain matin fut l’une des seules fois où Wilhelm vit Guy se mettre véritablement en colère. Le chevalier bretonnien était fou de rage, et s’il n’adressa à la jeune fille qu’un regard méprisant, Wilhelm écopa d’un sermon qui dura une heure portant sur le pourquoi du comment il avait très mal agi.
La plupart du temps, ces visites finissaient par mener à la traque d’un danger quelconque affectant un ou plusieurs villages, et si la menace était suffisamment faible pour qu’ils la confrontent à eux deux ils s’en occupaient eux-mêmes. Dans le cas inverse, ils notaient son emplacement, et retournaient chercher du renfort. L’un des cas les plus marquants fut la découverte de la tanière d’une chimère des montagnes, presque par hasard, lorsque Guy et Wilhelm enquêtaient sur la disparition d’un grand nombre d’animaux et de voyageurs isolés. Sa cache était située dans les contreforts des montagnes grises, dans un gouffre béant dont ils la virent sortir alors que le couvert des arbres les camouflait. La bête était manifestement jeune, certainement chassée des territoires habituels de ces créatures à l’Est. Malgré son âge, elle restait redoutable, et l’ordo en appela à l’aide aux autorités de l’Empire. Ce fut la première fois que Wilhelm vit un comte électeur de près. En effet, pour vaincre la chimère, qui était capable de voler, le comte du Reikland décida de combattre le feu par le feu et de l’attaquer par les airs sur le dos d’un griffon. La stratégie paya, car la chimère, prise par surprise, fut blessée à l’aile par la monture du comte, et ce dernier lui trancha la tête de son croc runique. Wilhelm, qui avait assisté au combat depuis le sol, en fut émerveillé.
Etrangement pourtant, c’était durant ces fameuses ‘expéditions’ que les crises de mélancolie du bretonnien (ainsi avait appelé Wilhelm les moments où Guy sombrait dans le silence, le regard perdu dans le vague et une expression de désarroi sur le visage) étaient les plus fréquentes. Ces choses-là arrivaient de temps en temps au fort, mais elles se produisaient plusieurs fois par jour lors de leurs voyages. Wilhelm n’avait au départ pas osé demander ce qui les causait, puis il avait fini par poser la question. Mais Guy s’était alors contenté de répondre que ces voyages lui en rappelaient d’autres, dans le passé, qui s’étaient mal terminés. Il n’en tira rien de plus, mais dut tout de même en gérer les conséquences. En effet, Guy, qui était déjà bien porté sur la bouteille, consommait alors dans ces moments-là des grandes quantités de vin, et pouvait se montrer imprévisible. Certaines fois cela passait par une frénésie du combat, où il poussait Wilhelm à s’entraîner jusqu’à l’épuisement. À d’autres occasions il les menait par des chemins qu’il connaissait ‘par cœur’, qui les perdaient dans les sous-bois en quelques heures. La première fois il leur fallut plusieurs jours pour retrouver leur chemin, mais Wilhelm prit rapidement conscience qu’il fallait marquer leur chemin pour le retrouver dès que Guy s’emparait d’une bouteille de trop.
Durant cette longue période d’apprentissage, Wilhelm ne revit que très peu sa famille. Guy et lui visitèrent le manoir Kruger après deux ans d’absence, au terme d’une traversée du Wissenland. Le chevalier bretonnien avait en effet pensé que revoir les siens serait bon pour Wilhelm, car ce dernier lui avait longuement parlé de ses relations avec son père. En retour, son écuyer lui avait demandé pourquoi lui-même n’allait jamais revoir sa propre famille, ce à quoi Guy avait répondu avec un sourire triste qu’ils refuseraient certainement de le voir. Ils ne restèrent cependant que quelques jours à Wissenburg, et la rencontre entre Gerhardt Kruger et Guy du Fort aux Roses se passa assez mal. En effet, le capitaine Kruger avait une mauvaise opinion des étrangers, et Guy lui fit l’impression d’un homme sans ambition, sans patrie, qui se contentait de gagner son pain en se battant. De son côté, Gerhardt apparut à Guy comme un homme imbu de lui-même, sans amour ni respect. Il fut sur le point de le défier en duel avant que Wilhelm n’arrive à désamorcer la situation. Guy et lui quittèrent Wissenburg avec un goût amer dans la bouche, et la ferme intention de ne pas revenir avant longtemps. Wilhelm avait cependant été très heureux de revoir son frère cadet, ce dernier ayant commencé son apprentissage de pistolier au manoir familial, sous l’égide de plusieurs maîtres réputés.
Ainsi, Wilhelm partageait son temps entre l’entraînement, les discussions et les expéditions. Ce rythme continua pendant trois ans, mais fut brusquement interrompu par un évènement inattendu.
*
« La réponse est non !
La voix de Bastian Von Alte Brücke claque comme un fouet, sans que cela ne paraisse émouvoir ses interlocuteurs pour autant.
- Enfin, grand-maître, s’impatienta celui qui lui faisait face debout de sa voix haut perchée qui pouvait évoquer le son d’une trompette, réfléchissez-y à deux fois. Nous sommes en présence d’une hérésie et qui met l’Empire en danger.
- C’est tout vu, herr Rottmann ! Répliqua mein Herr Bastian. Je ne lancerai pas mon ordre ‘purifier’ la campagne impériale, et encore moins sur votre seule instruction.
Le dénommé Rottmann commençait à perdre patience. Ses sourcils froncés donnaient à son visage barbu couvert de cicatrices une apparence intimidante.
- Avez-vous oublié à qui vous avez affaire ? Je sais reconnaître de l’hérésie quand j’en vois, et je vous assure qu’elle s’est certainement déjà propagée.
- Grand-maître, répliqua calmement le troisième occupant du bureau de sa voix de basse, je comprends complètement votre position. Mais considérez la chose dans son ensemble. Si on apprenait que vous aviez refusé d’aider deux représentants de l’Eglise de Sigmar…
Mein Herr Bastian ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase.
- Frère Félix, je ne suis pas sûr d’apprécier votre façon de me menacer à demi-mot. Vous n’avez aucun droit ici, et vous le savez très bien. Quant à vos ‘conséquences’, elles n’existent pas. L’Empire est divisé, et le trône impérial est vacant depuis des siècles. Personne ne fera attention à cette histoire.
Rottmann repartit à la charge, l’œil brillant.
- Et cela ne vous fait rien de laisser cet Empire se faire dévorer par l’hérésie ?
- Êtes-vous vraiment certains d’avoir vu un culte hérétique visant à faire tomber l’Empire ?
- Puisque nous vous le disons depuis tout à l’heure ! Mettriez-vous en doute notre sincérité ?
- Nullement. Je ne fais que mettre en doute votre jugement. »
La situation s’échauffait. Le grand-maître était sur les nerfs, car il détestait les zélotes religieux et autres dévots, tous persuadés qu’ils étaient d’avoir raison dans leur extrémisme. Les deux spécimens qu’il avait devant lui appartenaient à cette catégorie. Le premier, Albrecht Rottmann, était un répurgateur de l’ordre du marteau d’argent, un chasseur de sorciers, hérétiques et autres serviteurs du mal, et semblait presque être une caricature de cet ordre. D’une cinquantaine d’années, grand, maigre, l’œil toujours aux aguets, il était vêtu d’un large manteau de cuir dans lequel Bastian devinait la présence de plusieurs pistolets. Un attirail hétéroclite semblait être attaché à sa ceinture, avec notamment une longue rapière dans un fourreau noir. Sa tête était habituellement coiffée du grand chapeau à large bord prisé par les répurgateurs, mais il l’avait posé à l’entrée, révélant des cheveux noirs coupés court. Son visage portait un bouc bien taillé et une fine moustache noire elle-aussi, mais un ensemble de cicatrices concourrait à le rendre disgracieux. Si ses regards noirs étaient éloquents, le grand-maître n’était pas certain de souhaiter le voir sourire, se disant que ce serait encore pire.
L’autre, frère Félix, était manifestement un prêtre guerrier itinérant. Il était de la même taille que Rottmann, mais paraissait plus petit du fait de son épaisse carrure. Il avait l’air plus jeune, environ la quarantaine, et sa tête chauve taillée à la hache ne portait presque aucun stigmate de combat. Cependant, on ne pouvait douter qu’il fut un guerrier, car il portait en permanence une cuirasse dans laquelle il se mouvait sans difficulté. De plus, un large marteau de guerre était fixé dans son dos, et au vu du personnage nul ne pouvait douter qu’il savait s’en servir. Il semblait être plus clame que le répurgateur qui l’accompagnait, mais on ne pouvait douter de la profondeur de sa détermination. Cependant, il avait choisi d’adopter une position en retrait, restant adossé au montant de la porte alors que Von Alte Brücke et Rottmann se faisaient face debout, au centre du bureau du grand-maître.
« Ecoutez Herr Bastian, répliqua frère Félix de sa voix posée, nous sommes conscients de vos responsabilités. Nous savons de plus que votre ordre n’est pas encore remis de certaines pertes récentes.
- Si vous le savez si bien, coupa le grand-maître, pourquoi venez-vous me demander cela ? Allez donc pleurer chez la comtesse à Nuln, ça sera certainement plus efficace.
Rottmann répliqua d’un ton sarcastique.
- Et vous pensez peut-être que nous n’y avons pas pensé ? Cette idée nous est venue. Mais nous ne pouvons pas savoir à quel point cette hérésie s’est propagée. En l’absence de preuves, toute personne à sa cour est potentiellement un hérétique indigne de confiance.
- Ecoutez messieurs je suis sensible à votre cause, mais je ne peux pas agir non plus en l’absence de preuve concrète. J’ai juré de défendre l’Empire, pas d’obéir à l’Eglise.
Herr Bastian laissa quelques secondes passer avant de reprendre sur le même ton résolu.
- Mais je n’ai pas non plus l’intention de laisser passer un risque pour le peuple sans rien faire. Alors vous allez prendre le temps, dès maintenant, de tout me raconter. J’aviserai ensuite. »
Le prêtre et le répurgateur s’entre-regardèrent. Puis ils hochèrent la tête, et frère Félix s’avança, se saisit d’un tabouret et s’assit dessus. En réponse, le grand-maître s’assit à son tour à son bureau et lui fit signe qu’il était prêt à écouter. La mine grave, et d’un ton qui l’était tout autant, le prêtre commença son récit.
« Ecoutez donc, Herr Von Alte Brücke, commença le prêtre de sa voix grave. Cette histoire commence avant notre propre intervention cependant. Il y a quelques mois, un homme s’est présenté à l’entrée de Nuln, prétendant venir d’un village dans la campagne. Les gardes l’ont laissé entrer, sans se méfier le moins du monde. Quelques jours plus tard, une rumeur commençait à se répandre en ville. Elle était lancée par cet homme, qui, ivre mort, avait plusieurs fois laissé échapper que dans son village Sigmar n’avait plus de prise, et qu’une nouvelle divinité bien plus généreuse l’avait remplacé. »
Le grand-maître avait envie de l’interrompre pour lui demander « et alors ? », mais il savait que le respect lui imposait de laisser l’autre finir.
« La chance a voulu qu’il soit arrêté pour vois de faits lors d’une rixe dans une taverne. L’homme était bien porté sur la boisson. Ses geôliers n’ont malheureusement pas vraiment été des plus zélés, puisqu’ils l’ont laissé partir malgré ses propos scandaleux après qu’il eut payé sa caution. Mais l’un d’entre eux, plus pieu que les autre sans doutes, a pris sur lui de prévenir un prêtre de la ville. Celui-ci, horrifié par ces dires, a aussitôt envoyé une missive à Altdorf. Herr Rottmann et moi avons ainsi été missionnés pour enquêter sur tout cela.
Le temps que nous arrivions cependant, la piste était froide. L’homme était parti, et personne ne savait quel était le village en question. Alors nous avons décidé, en désespoir de cause, de sillonner la campagne Wissenlandaise à partir du seul indice dont nous disposions : l’homme avait dit que c’était un village à l’Ouest de Nuln. C’est la seule chose que les témoins ont retenu. Nous avons ainsi voyagé pendant quelques semaines à travers la campagne. Vous n’imaginez pas combien de petites bourgades on peut trouver dans ce coin.
- Si, répliqua le grand-maître d’un ton catégorique, je m’imagine très bien.
Frère Félix fit mine de ne pas l’avoir entendu.
- Nous avons ainsi exploré pas mal de ces villages, sans rencontrer l’hérésie mentionnée. Oh bien sûr, nous avons débusqué quelques hérétiques par-ci par-là, mais rien ne correspondant à ce que nous cherchions. Et puis un jour, nous sommes entrés dans un village nommé Weisaupt, qui nous a paru extrêmement suspect.
- Suspect comment ?
Ce fut le moment où Rottmann, qui avait passé le reste du temps à regarder par la fenêtre, décida d’intervenir.
- La vue de deux personnes comme nous a toujours tendance à éveiller des réactions, fit sa voix haut perchée. Les gens montrent beaucoup de déférence, de respect, mais nous voyons bien qu’ils sont terrorisés. Ils se montrent très méfiants aussi. Nous savons bien que même les individus les plus pieux craignent d’être dénoncés par leurs voisins pour de fausses accusations. Mais dans ce village-là rien de tout cela n’arriva. Nous avons été accueillis aimablement, avec sourires et générosité. Et nous avons vu que l’endroit semblait prospère. Très prospère.
- Bref, reprit le prêtre, tout cela éveilla nos soupçons. Alors la nuit, dans l’auberge, nous ne dormions que d’un œil, l’un d’entre nous deux étant constamment de faction auprès de la porte. Et effectivement, nos soupçons s’avérèrent exacts, car au milieu de la nuit nous avons été réveillés par des bruits de pas.
- Ces gens venaient vous agresser ?
- Pas du tout. C’étaient des gens qui quittaient l’auberge. Et en jetant un œil à la fenêtre, nous avons constaté que pas mal de monde était dehors, en train de se diriger vers un unique bâtiment, aux allures de grange. Nous avons alors décidé de nous en approcher discrètement, en prenant nos distances. Et ce que nous avons découvert nous a stupéfiés.
- Qu’avez-vous vu ?
- Nous n’avons pratiquement rien vu, la porte n’étant qu’entrouverte. Mais nous avons beaucoup entendu. Les gens chantaient une sorte de prière à une entité qu’ils n’ont pas nommé, excepté sous le nom du ‘grand aigle’. La grange avait à priori été rénovée en un genre de sanctuaire, le temple de Sigmar de la ville ayant été abandonné. Mais le pire reste à venir.
Frère Félix était fier du petit effet que généra cette phrase, car Herr Bastian semblait captivé.
- Après le chant, nous avons entendu une nouvelle voix s’élever. C’était un homme qui parlait, ou plutôt qui discourait. Il s’adressait aux villageois, les félicitant pour leur piété (à ce mot Rottmann poussa un grognement rageur). Puis il leur a parlé de nous.
- De vous deux ?
- Tout à fait. Il les a remerciés de l’avoir prévenu de notre venu, et il les a prévenus que nous désapprouvions leur nouvelle foi. Il a ensuite dit qu’il faudrait qu’on lui soit amenés dès le matin, afin qu’il puisse nous faire changer d’avis. Il va sans dire que c’était plus que nous pouvions laisser faire, mais nous n’étions que deux. À cet instant, nous avons donc déguerpi, prit nos chevaux, et nous sommes partis à bride battue sans demander notre reste. Comme nous vous l’avons dit, nous avons débattu de l’endroit où venir chercher de l’aide, et avons décidé de venir ici. »
Le grand-maître était interloqué, son front se plissant alors qu’il réfléchissait. Ce récit était effectivement des plus inquiétants, mais il ne souhaitait toujours pas mener une action d’envergure. Tout cela devait être plus complexe qu’il n’y semblait, et sombrer dans la paranoïa ne lui apparaissait pas comme la meilleure solution. Se passant la main dans sa barbe, il finit par avoir une idée qui permettrait de mener à un compromis.
« Messieurs, commença-t-il, d’un ton sérieux qui intima les deux ecclésiastiques à l’écouter, voici ce que je vous propose. Vous allez retourner dans ce village, afin d’enquêter plus avant sur ce qu’il s’y passe réellement. Mais vous n’y irez pas seuls. Vous serez accompagnés par certains de mes hommes, en lesquels j’ai entièrement confiance, qui vous prêteront main-forte et qui seront mes yeux et mes oreilles. Une fois cet écheveau démêlé, il sera encore temps de prendre une décision.
Il avait dit tout cela avec le plus d’autorité qu’il pouvait, mais le répurgateur n’avait pas l’air impressionné. Au contraire, ce dernier s’empressa de répliquer avec véhémence.
- Vous vous rendez compte que le temps que nous fassions tout ça des évènements très graves pourront se produire ? Des évènements qui auraient pu être évités ?
- C’est à prendre ou à laisser mein herr. Je n’ai pas l’intention de lancer mon ordre à l’aveuglette dans une purge arbitraire, et certainement pas pour tuer des personnes que tout semble indiquer comme étant innocentes.
Rottmann allait répliquer, mais frère Félix posa sa main sur l’épaule de son collègue, qui se tourna vers lui mais garda le silence.
- C’est d’accord, finit par acquiescer le prêtre guerrier. Nous acceptons vos conditions. Mais nous devront partir rapidement. Le temps presse. »
Bastian eut un léger soupir de soulagement, et exulta intérieurement. Il ne pensait pas pouvoir sortir de cette entrevue avec une solution à l’amiable, mais il avait fini par réussir. Il s’apprêta à donner congé aux deux hommes, afin de sélectionner ceux de ses hommes qui feraient le voyage, mais une dernière question d’apparence anodine lui vint à l’esprit.
« Au fait, messieurs, avant que vous ne sortiez, pourriez-vous me dire le peu que vous avez aperçu dans la grange à travers l’entrebâillement de la porte ? »
*
Wilhelm se tortillait sur sa chaise de bois, se trouvant excessivement mal assis. C’était d’autant plus étonnant que les sièges du bureau du grand-maître étaient strictement les mêmes que ceux du reste du Fort. Ce devait être l’agitation de se retrouver là, sans savoir pourquoi, dans cette pièce dans laquelle il n’était pas venu depuis longtemps. Elle n’avait d’ailleurs pas beaucoup changé en trois ans, avec ses bibliothèques, sa cheminée, l’armure sur le mannequin et les armes accrochées au mur. La seule différence finalement, c’étaient les gens présents. Cette fois-ci, les différentes chaises étaient occupées par entres autres divers membres de l’Ordo, à savoir Guy, le Kasztellan Gottfried Von Urlauberg, et Reiner. Mais il y avait deux autres personnes, qui n’en finissaient pas de rendre Wilhelm nerveux. L’un d’entre eux était un individu doté d’un corps massif surmonté d’une tête chauve, au visage anguleux et sévère. Lourdement équipé, l’homme en question portait des symboles divins bien en évidence, l’identifiant comme étant un prêtre-guerrier de Sigmar. Ce qui éclairait Wilhelm sur l’identité du second individu. Sa grande et longue silhouette était pour l’heure immobile sur son propre siège, mais c’était son visage qui attirait l’attention du jeune homme. Il était couvert de cicatrices, mais avait les yeux pétillants, et portait une moustache assortie d’un bouc. Cela lui rappelait beaucoup son père, mais en une version encore plus inquiétante. De fait, l’homme était de toutes évidences un répurgateur (Wilhelm avait souvent entendu parler de ces individus, et en avait croisé quelques-uns à Nuln), et ces deux éléments mis en semble l’agitaient, partagé qu’il était entre intimidation et étonnement.
Que pouvaient-ils bien faire là ?
Le grand-maître fit rapidement les présentations. Le prêtre était un certain ‘Frère Félix’, et l’autre se nommait ‘Albrecht Rottmann’, et était effectivement répurgateur, de l’ordre des templiers de Sigmar. Le prêtre fit un salut poli de la tête lorsque herr Bastian présenta à leurs tours Guy, Gottfried, Reiner et Wilhelm, mais le dénommé Rottmann n’eut aucun comportement de ce genre, se contentant de les observer avec insistance. Wilhelm avait l’impression qu’il scrutait chaque pouce carré de son corps pour y déceler le moindre élément à charge, mais l’homme resta silencieux, et finit par se tourner vers le grand-maître.
« Ces messieurs sont là, continua ce dernier, au sujet de troubles dans le Wissenland. »
Rapidement, il mit au courant les chevaliers et leurs écuyers de l’histoire des deux ecclésiastiques, leur parlant de leur mésaventure dans le village de Weisaupt. Intrigué, Wilhelm garda le silence. Il n’avait encore jamais entendu parler de cultes démoniaques dans cette région. En fait, il n’en avait jamais entendu parler tout court. Tout cela faisait partie du folklore de régions lointaines selon lui, et il n’imaginait pas devoir y faire face dans cette partie du monde.
« Voici donc ce que j’attends de vous, messieurs, reprit mein Herr Bastian d’une voix autoritaire. Ces représentants de l’inquisition sont venus me demander notre aide pour purger la région, mais je n’entends pas le faire sans preuves. Votre rôle sera donc de tirer cela au clair. Enquêtez, déterminez à quel point le mal est enraciné, ou non, dans cette région, et faites m’en part. Nous prendrons alors une décision finale. C’est bien compris ?
- Oui mein Herr ! Firent en chœur les quatre membres de l’ordre.
- Kasztellan Von Urlauberg, vous serez l’officier le plus gradé. Les autres vous devront obéissance directe.
- Bien évidemment, grand-maître. Vous pouvez compter sur moi, vous le savez. »
Tout en répondant, Von Urlauberg avait fait un grand sourire qui mettait parfaitement en valeur sa moustache impeccablement taillée. Mais Wilhelm n’en avait rien vu, tout excité qu’il était par la nouvelle. Tout cela ressemblait à une mission des plus particulières. Enquêter dans un ou plusieurs villages pour y découvrir des traces d’un culte chaotique, tout cela était très éloigné de ce qu’il croyait devoir faire en permanence ici, et d’autant plus intéressant. De plus, curieusement, cette mission lui donnait l’impression d’avoir pris de l’importance, car elle était de toutes évidences soumise à la plus grande discrétion. Enfin, il allait faire quelque-chose de spécial. Et cela le réjouissait.
Le grand-maître mit fin à l’entrevue :
« Messire Guy, veuillez rester ici, j’ai quelques questions supplémentaires à vous poser. Les autres, allez vous préparez. Vous partez demain à la première heure. Rompez ! »
Sortant de la pièce, Wilhelm fonça en direction de ses quartiers et de ceux de son chevalier. Pendant trois ans, il avait dû préparer les bagages à chaque fois que Guy et lui étaient partis en expédition, et il savait exactement quoi faire. Du reste, il espérait bien avoir fini à temps pour parler avec Reiner de la mission en question. Son ancien major avait certainement un avis intéressant sur la question.
*
Une fois seul avec Guy dans le grand bureau, Bastian croisa les doigts et s’enfonça dans son siège.
« Alors, Guy, parles moi. Dis-moi comment se passe l’entraînement de ton écuyer.
Guy s’attendait peu à cette demande, mais il répondit avec sincérité.
- Comme on pourrait l’espérer en ce qui concerne un jeune homme comme lui.
Le grand-maître sourit à cette réponse.
- Mais encore ? Que penses-tu de lui ?
- C’est un rêveur, qui n’a aucun esprit de commandement. Il n’a de cesses d’agir comme si le monde entier reposait sur ses épaules, et qu’il ne peut point partager ce fardeau. Il ne sera jamais, je le crains, un grand chevalier.
Il avait répondu cela d’une voix dure et sèche. Il y eut un silence, puis il reprit, avec cette fois un demi-sourire.
- Mais à côté, c’est un très bon combattant, qui s’entraîne avec acharnement. Il connait les valeurs de la bravoure et de l’abnégation, et il sait entendre ce qu’on lui dit. Il parvient peu à peu à faire siennes les vertus chevaleresques. J’ai dit qu’il ne sera jamais un grand chevalier, mais il sera certainement un chevalier exemplaire.
Herr Bastian émit un long soupir.
- Hum, je commence à croire que j’ai bien fait de te le confier, dit-il comme s’il se parlait à lui-même. Ce jeune homme semble toujours vouloir bien faire, mais des fois il est d’une maladresse…
- En parlant de ça, messire, pourquoi nous avoir choisi nous pour cette mission ? Ne craignez-vous point qu’elle ne fut dangereuse ?
Le grand-maître pencha la tête en avant, l’air très sérieux, et dit d’une voix plus basse :
- C’est pour cela que je t’ai demandé de rester Guy. J’ai une information supplémentaire que j’aimerais te donner, à toi et à toi seul.
Le chevalier bretonnien fronça les sourcils. L’ambiance avait changé d’un coup.
- Laquelle messire ? Dites-moi tout.
- Eh bien voilà. Frère Félix et herr Rottmann m’ont dit qu’ils ont réussi à voir quelque-chose dans le sanctuaire impie dont j’ai parlé. Ce n’était pas grand-chose pour eux, mais ça m’a rappelé une chose.
Il se tut un instant avant de reprendre.
- Ils ont aperçu des tentures, des tentures bleues turquoise avec un œil multicolore dessiné dessus.
Guy écarquilla les yeux, avant de prendre un air résolu.
- Je vois, vous pensez que cela pourrait être ceux qui…
- Je pense que tu pourrais y trouver des informations sur les individus dont tu m’as parlé voici dix ans, quand tu es arrivé ici. Ceux qui ont tué ton ami.
- Pourquoi ne pas en avoir parlé tout à l’heure ?
Herr Bastian eut un sourire ironique.
- Ces deux énergumènes cherchent tous les prétextes possibles pour brûler la moitié de la population de l’Empire. Je ne le leur donnerai pas. Si vous trouvez des informations, très bien, mais ça ne vaut pas la peine de tuer des innocents en plus. »
Guy hocha sombrement la tête. Sa résolution était déjà prise. Il enquêterait sur ces cultistes, et découvrirait leur cachette.
Et par la dame, cette fois personne ne l’arrêtera.
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- EssenSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Dim 17 Mar 2019 - 14:45
Eh bien nom de Zeus, voila en effet un événement que l'on peut qualifier de "spécial" dans la vie d'un écuyer.
Comme je me sens plutôt remonté quant à l'issue de l'affaire, je tiens à souligner une circonstance qui n'a pas vraiment été évoquée par le corps d'expédition du fort : le répurgateur et le prêtre sont déjà connus par les villageois, non ?
Je me demande quelles conséquences cette circonstance va-t-elle avoir : les deux paladins vont-ils prudemment rester en retrait près du village ? Vont-ils y aller au bluff, défiant crânement les villageois de se montrer hostiles ? Ou bien vont-ils (chose moins probable mais pas moins intéressante) changer d'apparence de manière à ne pas être reconnus ?
Vivement l'enquête, cher Arca, vivement le thriller sauce Warhammer !
La suite !
Comme je me sens plutôt remonté quant à l'issue de l'affaire, je tiens à souligner une circonstance qui n'a pas vraiment été évoquée par le corps d'expédition du fort : le répurgateur et le prêtre sont déjà connus par les villageois, non ?
Je me demande quelles conséquences cette circonstance va-t-elle avoir : les deux paladins vont-ils prudemment rester en retrait près du village ? Vont-ils y aller au bluff, défiant crânement les villageois de se montrer hostiles ? Ou bien vont-ils (chose moins probable mais pas moins intéressante) changer d'apparence de manière à ne pas être reconnus ?
Vivement l'enquête, cher Arca, vivement le thriller sauce Warhammer !
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- Hjalmar OksildenKasztellan
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Lun 18 Mar 2019 - 19:13
Eh bien, l'action repart de plus belle ! Et je tilte ENFIN que Guy est le bretonnien survivant de ton premier poste de cette geste.... Mieux vaut tard que jamais
Je demande donc à mon tour : la suite !
Je demande donc à mon tour : la suite !
Maux de tête plutôtArcanide a écrit:Cela causa bien des mots de tête à son écuyer"
Villages ?Arcanide Valtek a écrit: danger quelconque affectant un ou plusieurs billages
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Terry Pratchett
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La Saga d'Oksilden :
Tome 1 : La Quête Improbable
Tome 2 : Combattre l'acier par l'acier
Tome 3 : Foi Furieuse
Je vous conseille de le télécharger, mettre l'affichage en deux pages et, si possible, activer le mode "Afficher la page de couverture en mode Deux pages" sous Adode Reader (en gros juste pour s'assurer que les pages sont bien affichées comme dans le vrai livre et non décalées)
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Lun 18 Mar 2019 - 23:19
Merci à vous deux. Comme je l'ai dit, la suite va mettre un peu de temps pour cause de...reconsidération scénaristique.
EDIT : On approche des 1000 vues .
Les détails comme ça seront abordés une fois en route. Pas de soucis à avoir.Essen a écrit:Comme je me sens plutôt remonté quant à l'issue de l'affaire, je tiens à souligner une circonstance qui n'a pas vraiment été évoquée par le corps d'expédition du fort : le répurgateur et le prêtre sont déjà connus par les villageois, non ?
Je pensais l'avoir rendu évident pourtant... Dammit, et moi qui pensais que c'était clair.Hjalmar Oksilden a écrit:Eh bien, l'action repart de plus belle ! Et je tilte ENFIN que Guy est le bretonnien survivant de ton premier poste de cette geste.... Mieux vaut tard que jamais
EDIT : On approche des 1000 vues .
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mar 19 Mar 2019 - 1:13
Pas de suite dans l'immédiat ? Naaaaoooooonnnn
Non. La qualité de ta narration ne peut se sacrifier au temps qu'il faut pour l'écrire. Je n'ai pas commenté ce récit depuis... depuis le prologue en fait. Il faut dire que les chapitres sont longs, et que j'ai toujours repoussé la lecture dans l'espoir de trouver le temps pour les lire aussi posément qu'il se doit. Ce que j'ai fait il y a une ou deux semaines. Et dieux que j'ai bien fait. Car le récit est excellent.
J'ai toujours été, et suis toujours, un grand fan de ton style de narration, qui prend le temps de poser les descriptions, les scènes, les tableaux... j'aime ce genre de textes dans lesquels je peux me laisser couler et littéralement voir le récit se dérouler devant mes yeux, des jeux d'enfants à Wissenburg en passant par le piège tendu aux assassins dans les montagnes au conseil de guerre dans le Fort de Sang. Que du bon. Le tout avec un vocabulaire toujours top notch... eh oui j'apprends occasionnellement un nouveau mot en te lisant.
Et les descriptions ne posent pas que les scènes, mais déroulent l'action. La bataille dans la cité skaven est ... impressionnante, et concentre toutes les qualités ou presque que je trouve dans ce récit. Tant de choses s'y sont passées, mais à aucun moment je n'ai été perdu, et la formidable immersion n'a jamais été brisée. Un tour de force vraiment, pour rendre un moment aussi long et complexe et dans un environnement non familier du lecteur (après tout on ne s'imagine pas des cités skavens tous les jours) avec autant de clarté, fluidité et réalisme.
Et le reste du texte (j'ai trop de retard pour tout mentionner en détail ^^) est amplement à la hauteur. Allez, un dernier point, celui des personnages, qui sont tous bien ancrés, différents et développés, bref un régal de suivre tout ce groupe de figures à travers le récit.
Voilàààààà. J'crois pas avoir dit quelque chose de négatif à propos du texte ? Non ? Parfait, c'était bien l'intention.
En bref, on en veut plus ! Mais on saura attendre le temps qu'il le faudra.
(Pense à la date de sa dernière publication sur son récit du Roi Muet. Hum, mauvais exemple. )
Grom'
Non. La qualité de ta narration ne peut se sacrifier au temps qu'il faut pour l'écrire. Je n'ai pas commenté ce récit depuis... depuis le prologue en fait. Il faut dire que les chapitres sont longs, et que j'ai toujours repoussé la lecture dans l'espoir de trouver le temps pour les lire aussi posément qu'il se doit. Ce que j'ai fait il y a une ou deux semaines. Et dieux que j'ai bien fait. Car le récit est excellent.
J'ai toujours été, et suis toujours, un grand fan de ton style de narration, qui prend le temps de poser les descriptions, les scènes, les tableaux... j'aime ce genre de textes dans lesquels je peux me laisser couler et littéralement voir le récit se dérouler devant mes yeux, des jeux d'enfants à Wissenburg en passant par le piège tendu aux assassins dans les montagnes au conseil de guerre dans le Fort de Sang. Que du bon. Le tout avec un vocabulaire toujours top notch... eh oui j'apprends occasionnellement un nouveau mot en te lisant.
Et les descriptions ne posent pas que les scènes, mais déroulent l'action. La bataille dans la cité skaven est ... impressionnante, et concentre toutes les qualités ou presque que je trouve dans ce récit. Tant de choses s'y sont passées, mais à aucun moment je n'ai été perdu, et la formidable immersion n'a jamais été brisée. Un tour de force vraiment, pour rendre un moment aussi long et complexe et dans un environnement non familier du lecteur (après tout on ne s'imagine pas des cités skavens tous les jours) avec autant de clarté, fluidité et réalisme.
Et le reste du texte (j'ai trop de retard pour tout mentionner en détail ^^) est amplement à la hauteur. Allez, un dernier point, celui des personnages, qui sont tous bien ancrés, différents et développés, bref un régal de suivre tout ce groupe de figures à travers le récit.
Voilàààààà. J'crois pas avoir dit quelque chose de négatif à propos du texte ? Non ? Parfait, c'était bien l'intention.
En bref, on en veut plus ! Mais on saura attendre le temps qu'il le faudra.
(Pense à la date de sa dernière publication sur son récit du Roi Muet. Hum, mauvais exemple. )
Eh bien, de mon côté au moins c'était clair, si ça peut te rassurer.Arcanide valtek a écrit:Je pensais l'avoir rendu évident pourtant... Dammit, et moi qui pensais que c'était clair.Hjalmar Oksilden a écrit:Eh bien, l'action repart de plus belle ! Et je tilte ENFIN que Guy est le bretonnien survivant de ton premier poste de cette geste.... Mieux vaut tard que jamais
Grom'
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Uzkul ged a ibid Dawi. Bar Dawi urz grim un grom, un ekrokit "Nai. Drekgit.". Un Uzkul drekged.
La mort vint pour obtenir la vie du nain. Mais le nain était brave et obstiné, et répondit : "Non, va-t-en." Et la mort passa son chemin.
Proverbe nain.
Traduction réalisée d'après Grudgelore, de Nick Kyme et de Gave Thorpe.
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mar 19 Mar 2019 - 14:22
Je vais rougir .
Honnêtement, je suis super content que ça vous plaise autant.
J'ai une petite question cependant chers lecteurs. Est-ce que vous auriez des remarques particulières, quant au style ou autre ? À la construction du récit ? Au comportement des personnages ?
Je suis toujours avide de moyens de m'améliorer, et je suis conscient que malgré toutes vos éloges ce récit est loin d'être parfait. Surtout en sachant que je l'adresse à des gens qui pratiquent l'écriture assez régulièrement.
Honnêtement, je suis super content que ça vous plaise autant.
J'ai une petite question cependant chers lecteurs. Est-ce que vous auriez des remarques particulières, quant au style ou autre ? À la construction du récit ? Au comportement des personnages ?
Je suis toujours avide de moyens de m'améliorer, et je suis conscient que malgré toutes vos éloges ce récit est loin d'être parfait. Surtout en sachant que je l'adresse à des gens qui pratiquent l'écriture assez régulièrement.
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Jeu 21 Mar 2019 - 9:30
Et voualaaa, rat-trapé !
Ce que j'aime quand tu écris, c'est les petits détails de la vie quotidienne ici et là.
La cuisinière femme du majordome par exemple au retour de Wilhelm et toute la scène qui l'accompagne. Ou les descriptions des pièces historiques, des ruelles, maçonneries... cela rends tes textes très vivants, empreints de profondeur.
Cela implique donc que les scène d'horreur comme celles vécues dans la grotte sont juste terrible de précision. Le musc, le poudre, les entrailles et la suie, je pouvait presque les sentir en lisant ce passage.
Pas vraiment. Moi cela me convient tout à faire comme c'est.Arca' a écrit:Est-ce que vous auriez des remarques particulières, quant au style ou autre ? À la construction du récit ? Au comportement des personnages ?
Ce que j'aime quand tu écris, c'est les petits détails de la vie quotidienne ici et là.
La cuisinière femme du majordome par exemple au retour de Wilhelm et toute la scène qui l'accompagne. Ou les descriptions des pièces historiques, des ruelles, maçonneries... cela rends tes textes très vivants, empreints de profondeur.
Cela implique donc que les scène d'horreur comme celles vécues dans la grotte sont juste terrible de précision. Le musc, le poudre, les entrailles et la suie, je pouvait presque les sentir en lisant ce passage.
- ethgri wyrdaRoi revenant
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Lun 8 Avr 2019 - 0:42
WAOUH
vraiment j'adore! Le rythme est plus rapide que ce qu'on avait avant (plusieurs années en deux chapitres...) ça m'a perturbé au début mais ça rend bien!
Le passage avec le père de Wilhelm à la fin du premier morceau est vraiment vraiment fort.
à propos du comportement des personnages, je suis assez étonné que Wilhem ne lie pas de nouvelles relations dans le chateau de fort-le-sang pendant ses mois/années sur place. Mis à part Guy, on ne sait pas à qui il parle le reste du temps. Aussi, n'a-t-il pas reçu de nouvelles de ses autres compagnons?
(les traditions se perdent... je suis le premier à le lancer?)
LA SUITE!!!!!!!
vraiment j'adore! Le rythme est plus rapide que ce qu'on avait avant (plusieurs années en deux chapitres...) ça m'a perturbé au début mais ça rend bien!
Le passage avec le père de Wilhelm à la fin du premier morceau est vraiment vraiment fort.
à propos du comportement des personnages, je suis assez étonné que Wilhem ne lie pas de nouvelles relations dans le chateau de fort-le-sang pendant ses mois/années sur place. Mis à part Guy, on ne sait pas à qui il parle le reste du temps. Aussi, n'a-t-il pas reçu de nouvelles de ses autres compagnons?
(les traditions se perdent... je suis le premier à le lancer?)
LA SUITE!!!!!!!
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Ethgrì-Wyrda, Capitaine de Cythral, membre du clan Du Datia Yawe, archer d'Athel Loren, comte non-vampire, maitre en récits inachevés, amoureux à plein temps, poète quand ça lui prend, surnommé le chasseur de noms, le tueur de chimères, le bouffeur de salades, maitre espion du conseil de la forêt, la loutre-papillon…
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Palmares : Organisateur des affrontements festifs d'Ubersreik
Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Ven 2 Aoû 2019 - 0:03
Eh bien, mes amis, quel retard.
Oui, je sais, je vous ai fait languir. J'avais de bonnes raisons, mais tout de même.
Mais toutes les mauvaises choses ont une fin. Aussi, voici ce que (je l'espère) vous attendiez : le fameux, le seul, l'unique...
Chapitre X
Le cheval de Wilhelm avançait avec entrain, ses longues foulées lui permettant de rester au niveau de la monture de messire Guy. Devant eux, leurs quatre compagnons de route chevauchaient calmement en ce début d’après-midi ensoleillé, le claquement des sabots se mêlant au bruissement du vent dans les buissons alentours. Le chapeau vissé sur son crâne, Rottmann menait la route sur son étalon noir. Le répurgateur n’avait de cesse de s’assurer que tout le monde suivait bien, tournant régulièrement son visage moustachu creusé de cicatrices pour enjoindre les autres à bien rester derrière lui, avec force épanchements de sa voix si particulière. Ils étaient dans une zone légèrement vallonnée, où la voie serpentait entre quelques bosquets qui se paraient de couleurs rougeoyantes en ce début d’automne. Parfois, ils passaient à côté d’une succession de champs cultivés, signe de l’importante activité fermière de la région. Mais malgré ce cadre bucolique, Wilhelm n’en finissait pas d’être un peu nerveux. En effet, leur chemin les amenait non-loin de la forêt où, quatre ans auparavant, une embuscade d’hommes-rats avait décimé l’armée dans laquelle lui et ses camarades étaient affectés.
Il remarqua bien vite qu’il n’était pas le seul à être plus troublé que d’habitude. Depuis le début du voyage, six jours auparavant, messire Guy avait un comportement assez étrange, ses fameux passages d’humeur sombre étant plus courants qu’à l’accoutumée. Il ne se plaignait jamais, comme d’habitude, mais il pouvait passer à présent de longues minutes à fixer le vide de ses grands yeux bleus, un air sévère déformant son visage généralement rieur. Dans ces moments-là, Wilhelm ne s’éloignait pas, sachant que Guy pouvait alors réclamer une bouteille de vin. Le bretonnien en faisait à présent une consommation assez importante, et Wilhelm était ravi de la présence de Von Urlauberg. Le kasztellan à la vaste moustache, au visage large et débonnaire, avait des manières directes, et son humeur joyeuse égayait un voyage qui aurait sans nulle doutes été bien plus morne sans lui. Le deuxième soir, il avait sévèrement réprimandé Guy sur sa consommation d’alcool, venant au secours de Wilhelm qui regrettait de voir son chevalier se comporter presque en soulard. La situation fut un peu tendue, mais le robuste kasztellan n’en démordit pas et Guy fut contraint de céder, même si cela ne fit rien pour améliorer son humeur. De fait, le chevalier bretonnien s’enfonçait de plus en plus dans la mélancolie. Wilhelm avait depuis longtemps renoncé à aborder le sujet avec lui, Guy n’ayant jamais voulu lui fournir d’explications. Il s’aperçut rapidement que Herr Gottfried n’en avait pas non plus, et il comprit qu’il était inutile d’insister.
Leurs autres compagnons de voyage étaient également plutôt taciturnes, à l’exception du prêtre-guerrier. Celui-ci se révéla être un homme plein de finesse et de savoir, égayant les conversations de sa voix grave alors qu’il racontait des histoires issues du folklore de l’Empire. Il avait un sourire franc, chaleureux, et semblait animé d’un sincère besoin d’aider les autres. De plus, il révéla rapidement disposer d’une passion pour la nature, en particulier les plantes, dont il semblait être capable de parler pendant des heures. Chaque jour, il faisait découvrir aux chevaliers et écuyers telle ou telle fleur, liane ou feuille dont ils n’avaient jamais eu connaissance, même en ayant vécu si longtemps dans ces environs. Wilhelm se prit rapidement d’affection pour ce prêtre au visage anguleux, et les conversations entre frère Félix, Herr Gottfried et lui-même étaient généralement très joviales, et ce malgré le mutisme de Reiner et de Rottmann. De temps à autres, quand il n’était pas en pleine crise de mélancolie, Guy se joignait à eux, reprenant la personnalité que Wilhelm lui connaissait, mélange de sévérité et de volubilité. Il semblait presque mener une double-vie, mais ces conversations rassuraient Wilhelm, qui se prenait souvent à espérer, sans y croire, que cette fois serait la bonne.
Reiner, fidèle à son habitude, n’ouvrait quasiment jamais la bouche. Son beau visage d’une pâleur extrême restait hermétiquement fermé en toutes circonstances. Il se contentait de parler lorsqu’on s’adressait directement à lui, ou quand il avait l’impression que son intervention était indispensable. Mais en-dehors de ces quelques moments, il restait dans le silence, et Wilhelm devinait que son chevalier, Herr Gottfried, était à présent ravi d’avoir enfin des compagnons de route plus loquaces qu’une souche d’arbre. Il y avait longtemps que le kasztellan avait renoncé à tirer plus que nécessaire de son froid écuyer, mais il poussait quelquefois de longs soupirs de dépit quand ce dernier, s’exprimant enfin, ne prononçait pas plus que trois mots. Wilhelm connaissait suffisamment son ex-major pour savoir que ce dernier était en réalité complètement dépassé par la dimension sociale des échanges qui se produisaient devant lui. Il avait cependant constamment les sens aux aguets, et sans en avoir l’air il surveillait les alentours. Wilhelm comprit rapidement que Reiner se souvenait lui-aussi de l’embuscade, et qu’il ne voulait pas courir le risque d’une nouvelle embuscade.
C’était plus compliqué pour Rottmann. Le répurgateur prenait toutes les précautions du monde pour ne jamais participer à la moindre conversation en cours de route. Il y était parfois forcé, surtout quand le kasztellan allait lui parler, mais ne le faisait que de mauvaise grâce. Dans ces moments, il ne se montrait pas avare de mots, mais le ton était sec, et la fine fente qui lui servait de bouche n’était alors qu’un pli désapprobateur, soulignant son absence d’envie de s’exprimer. Wilhelm était intimidé par le templier de Sigmar, ayant toujours l’impression que les yeux brillants de ce dernier cherchaient des signes de culpabilité partout. Frère Félix lui apprit que la plupart des répurgateurs étaient ainsi, car leur travail menait nécessairement à la solitude et à la méfiance constante. Malgré tout, Rottmann ne cherchait jamais les ennuis. Ainsi, de tout leur voyage, Wilhelm ne le vit jamais dégainer sa lame.
Pourtant, sa rapière, il aurait pu s’en servir, mais seuls les chevaliers et leurs écuyers sortirent leurs armes pendant le voyage. En effet, Guy et Herr Gottfried tenaient absolument à ce que l’entraînement de leurs écuyers se poursuive avec la même rigueur que d’habitude. Ainsi, chaque jour, Wilhelm croisait le fer avec Guy, Reiner, ou avec le kasztellan. Les chevaliers inventèrent de nombreux exercices, forçant les deux jeunes hommes à travailler leur technique tout en utilisant leur imagination pour concevoir des tactiques efficaces. Le cliquetis des armures et le tintement du métal frappant le métal agrémentèrent la totalité de leurs soirées, et ce jusqu’après la tombée de la nuit. Au cours de ces entraînements, le répurgateur et le prêtre se contentaient d’observer. Rottmann le faisait en silence, mais Frère Félix se fendait de quelques commentaires sur le jeu de jambes, la façon de tenir un bouclier, et d’autres sujets encore, montrant par là une grande science du combat. L’entraînement en question ne porta cependant que sur une seule chose : le combat à l’épée. En effet, dans le but de voyager le plus légèrement possible, les chevaliers et leurs écuyers n’avaient comme équipement que leurs épées, leurs boucliers et leurs armures. Ces dernières ne comportaient d’ailleurs aucuns éléments de plaque, qui auraient été bien trop peu pratiques à porter, et étaient ainsi constituées d’un gambison et de maille.
Ce train de vie dura une semaine complète, au cours de laquelle ils voyagèrent dans les terres impériales sans rencontrer de problème. Le Wissenland était en effet une province généralement calme, loin des forêts denses et peuplées de monstres recouvrant la majeure partie du Nord de l’Empire. La nuit, ils dormaient en pleine nature, dans des tentes dressées à l’écart de la route, leurs couchages posées à même le sol, et parfois sans avoir pris le temps de chercher un endroit convenable. Ainsi, à plusieurs reprises, Wilhelm se réveilla en ayant mal partout, le sol irrégulier et les cailloux l’ayant amené à sommeiller de façon très inconfortable. De plus, Rottmann insistait pour qu’aucun feu ne soit dressé, afin de ne pas attirer l’attention durant la nuit, au grand dam d’Herr Gottfried qui détestait manger de la viande séchée. Le kasztellan jeta ainsi de nombreux regards noirs au templier de Sigmar, bougonnant à propos de « cette grande perche joyeuse comme un cafard », mais il ne protesta pas. D’une façon générale, Rottmann se montrait particulièrement précautionneux pendant ce voyage, surveillant sans cesse les alentours de son regard intense pour y déceler l’éventuelle présence d’un être vivant en train de les épier. Le moindre voyageur qui passait était répertorié, et parfois même le répurgateur leur demandait de se cacher pour partir seul en éclaireur sur une voie qu’il trouvait trop dégagée. Lors de tels évènements, Wilhelm se rendait compte de l’importance de leur mission. Durant leurs précédents trajets dans le Wissenland, Guy et lui n’avaient jamais eu à se cacher, et le fait de devoir y recourir lui rappelait qu’ils étaient à présent confrontés à des forces redoutables.
Cependant, après une semaine, ils finirent par arriver à cours de vivres. Le trajet jusqu’au village de Weisaupt devait prendre encore quatre jours, leur rythme étant considérablement ralenti par les précautions de Rottmann. Décision fut alors prise de faire route jusqu’au village proche de Gullenburg, une bourgade de quelques centaines d’habitants, afin d’aller y acheter des provisions. Herr Gottfried voulait au début que seuls les chevaliers y aillent, mais Rottmann s’y opposa d’un ton brusque : ils ne pouvaient se permettre qu’ils fassent fuiter une information, même sans le vouloir. La discussion fut longue, et au final il fut décidé que Frère Félix, Guy et Wilhelm iraient dans le village, pendant que les trois autres les attendraient en-dehors.
C’est ainsi que Wilhelm, le prêtre guerrier et le chevalier se retrouvèrent à faire avancer leurs montures au pas dans la rue principale de Gullenburg. Extérieurement, le village ressemblait à tous ceux que Wilhelm avait vus dans la région. Les maisons étaient faites de pierre et de bois, et étaient construites les unes à côté des autres sans préoccupation d’économie d’espace. En effet, chaque maison était séparée de quelques mètres de ses voisines, la propriété de chacun étant délimité par de petites barrières (là encore de pierre ou de bois). Les habitations étaient manifestement d’une bonne qualité, étaient bien entretenues extérieurement, sans aucun signe de décrépitude ou de délabrement. Au contraire, elles semblaient convenablement tenues, et ça et là une cheminée laissait échapper quelques volutes de fumée. Une légère brise les fit frissonner. En cette heure matinale, la température n’était en effet pas très élevée, et Wilhelm était heureux d’avoir plusieurs épaisseurs de vêtements pour le protéger du froid. Ainsi, il imaginait très bien qu’à l’intérieur des maisons on veuille se réchauffer avant de s’atteler aux travaux de la journée.
Le village était agencé en quelques rues, dont deux grandes avenues principales qui se croisaient sur une place centrale, dont le centre était occupé par un carré de pelouse bien verte. Autour de cette place se trouvaient les bâtiments les plus importants : une forge, une auberge, quelques échoppes dont un tisserand et un tailleur de vêtements en laine. L’auberge était un bâtiment imposant qui répondait au nom du ‘Joyeux Griffon’. L’enseigne représentait l’animal en question, son bec ouvert en un sourire éclatant tout en étant perché sur un tonneau. Les ruelles de Gullenburg serpentaient autour de cette place, le tout sur un terrain légèrement vallonné que dominait une colline un peu plus grande que les autres, et sur laquelle se trouvait un imposant moulin à vent, dont les ailes étaient pour l’heure immobiles. Il se dégageait de ce village une ambiance tranquille, presque feutrée. Pourtant, malgré la bonhommie apparente de l’endroit, un sentiment étrange grandissait dans l’estomac de Wilhelm, sentiment qui avait lentement cru au fur et à mesure qu’ils étaient entrés dans le village. Quelque-chose n’allait pas, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
Ce fut Frère Félix qui apporta la solution. « Il n’y a pas grand-monde » commenta-t-il d’un air intrigué alors qu’ils débouchaient sur la place. Et effectivement, Wilhelm s’en aperçut, peu de gens se trouvaient là. Le village n’était pas désert à proprement parler, car ils avaient croisé des habitants dans les rues et en virent d’autres sur la place qui vaquaient à leurs occupations, mais on était loin de l’activité normale d’une bourgade de cette taille. De plus, il réalisa qu’une part non-négligeable des maisons avait les volets clos, comme si leurs occupants étaient absents. De la même façon, la plupart des échoppes de la place avaient l’air fermées. Son inquiétude s’accrut, et il se mit sur ses gardes.
« Allons dans l’auberge » suggéra Guy en joignant le geste à la parole, « c’est certainement là que nous pourrons acheter des rations de voyage. » Wilhelm et Félix le suivirent silencieusement, intérieurement heureux que le chevalier bretonnien n’ait pas encore cédé à ses sombres pensées depuis leur départ. Au loin, un oiseau chanta. Cet arrêt urbain avait eu pour effet de briser la monotonie, et Guy semblait plus alerte qu’il ne l’avait été au cours des derniers jours. Cependant, ayant encore son comportement récent en tête, Wilhelm n’avait nullement l’intention de laisser son chevalier prendre la tête du groupe sans intervenir.
« Messire Guy », commença-t-il en s’efforçant de prendre un ton diplomatique, « je suggère que ce soit Frère Félix qui s’occupe de la conversation avec l’aubergiste. »
Guy tourna la tête sans arrêter son cheval. Son regard était interrogateur, mais il exprimait aussi un léger énervement. Il n’avait pas l’habitude d’être ainsi remis en question par son écuyer.
« Et pourquoi ? » fit-il d’un ton où on pouvait déceler une pointe de reproche.
Wilhelm pesa chacun de ses prochains mots.
« Parce que messire, avec tout mon respect, vous n’avez jamais parlé autrement aux roturiers de ce pays que comme vous parleriez à des enfants. Et vu que nous devons passer inaperçus, je pense que nous faire remarquer ainsi ne serait pas approprié. »
Guy stoppa son cheval pour de bon cette fois, ce qui permit à Wilhelm et au prêtre de le rattraper. Son visage exprimait un mélange d’émotions contradictoires, que son écuyer ne tenta même pas de décrypter.
« Il est vrai que je peux me laisser emporter par les mœurs de ma terre natale » finit-il par avouer en poussant un soupir. « Frère Félix, vous êtes un habitant de ces contrées, et vous avez l’habitude d’exercer ce genre de travail. Converser avec des manants n’est pas mon activité favorite, et je pense que vous saurez mieux l’effectuer que moi. »
Il jeta à Wilhelm un nouveau regard indéfinissable, puis il suivi Frère Félix, qui s’était contenté de hocher la tête à la fin de l’échange sans intervenir, en direction de l’auberge du Joyeux Griffon.
Tous trois descendirent de cheval devant l'entrée de l'établissement, qui, à l'image des autres bâtiments, était propre et bien tenue. Pourtant, personne ne les accueillit, alors qu'ils n'étaient aucunement discrets. Guy jeta un regard à Wilhelm en tendant la main, et celui-ci comprit instantanément. Sans dire un mot, il confia les rênes de sa monture au chevalier et courut en direction de l'écurie pour y trouver, l’espérait-il, un palefrenier.
Cette section du bâtiment était plus grande qu’on pourrait le croire vu de la rue. À l'intérieur, il trouva deux longues rangées de boxes vides, avec plusieurs réserves de foin. Tout comme le reste du village, l'endroit respirait l'entretien, mais il ne semblait pas s'y trouver âme qui vive. «Eho, il y a quelqu'un pour s'occuper des chevaux ?» finit par quémander Wilhelm à haute voix, conscient qu'un palefrenier désoccupé pouvait très bien avoir décidé de s'accorder un petit somme. Il ne s'attendait en fait pas à avoir la moindre réponse, et fut ainsi quelque peu surpris d'entendre un petit cri suivi d'un bruit de pas rapides. Il vit alors un jeune homme d'une quinzaine d'années sortir du box du fond en tanguant légèrement et en se frottant les yeux. Il était maigre, aux cheveux roux et au visage couvert de taches de rousseur. Wilhelm affecta de prendre un air sérieux en ennuyé, mais il était en réalité amusé par la situation.
« Jeune homme », commença-t-il en gardant le visage froid, « veuillez me suivre. Vous avez trois chevaux dont il faut vous occuper.»
Qualifier ainsi le palefrenier de 'jeune homme' alors que lui-même n'avait que vingt-et-un ans le fit sourire intérieurement. Il n'avait pas souvent l'occasion de le dire, et entendait bien en profiter. Mais le palefrenier en question ne s'aperçut pas de l'ironie, et si le fait d'avoir été réveillé en sursaut semblait l'avoir dérangé, la perspective de s'occuper de trois chevaux avait au contraire l'air de lui plaire. Il se fendit d'un sourire tout en s'inclinant et en ajoutant un « bien messire » avant de suivre Wilhelm jusqu'à l'entrée.
Guy et Félix lui tendirent les rênes des trois montures. Le prêtre jeta un œil bienveillant sur le jeune palefrenier roux, et lui demanda son nom de sa voix posée.
« Je...Je m'appelle Gilbert, messire. Je suis le palefrenier du Joyeux Griffon. »
- Tu es le seul palefrenier pour ce grand établissement ?
- Il n'y a pas grand-monde qui vienne avec des chevaux. Et les autres palefreniers sont partis. »
Frère Félix garda son sourire, mais ses yeux se froncèrent légèrement. Le dénommé Gilbert, lui, paraissait légèrement intimidé par la prestance de ses interlocuteurs.
« Partis ? Mais où sont-ils partis ?
- Ils ont rejoint les élus messire. »
Et sans plus de paroles, le jeune palefrenier tourna les talons, conduisant leurs chevaux dans la grande écurie, en les caressant de temps à autre. Il aimait ces animaux, cela se voyait, et Wilhelm avait l'impression qu'il pouvait sans soucis lui confier les leurs. Guy, qui n'avait pas ouvert la bouche depuis l'échange qu'ils avaient eu quelques minutes auparavant, prit les devants en désignant la porte. « Messieurs », fit-il d'un ton presque enjoué, « nous y allons ? ».
À la suite de ses compagnons, Wilhelm entra dans la salle principale de l'auberge, qui lui fit immédiatement bonne impression. Les murs en bois étaient couverts de décorations alambiquées telles que des branches, des feuilles séchées et même une grande carte de l'Empire. Sur le mur de droite, un feu crépitait dans une vaste cheminée, générant une chaleur suffisante pour réchauffer la moitié de la pièce. Sur le parquet, une dizaine de tables rondes impeccables n'attendaient que des clients. L’endroit embaumait de senteurs de cuisine, mélange de viande cuite et d’épices légères, qui suffisaient à générer l’allégresse chez les gens de passage. Il se dégageait de la pièce une humeur chaleureuse, et Wilhelm aurait pu s'y sentir à son aise si elle n'avait pas été complètement vide. Bien sûr, à une heure aussi matinale, il était normal de ne voir personne attablé, mais il aurait imaginé voir passer des servants, des femmes de chambres, ou un cuisinier.
« Bienvenue au Joyeux Griffon, étrangers. » La voix venait de la gauche, et Wilhelm s'aperçut qu'il s'était trompé. Il y avait bien quelqu'un, mais celui-ci s'était trouvé derrière un grand comptoir situé à l'extrémité de la pièce. L'individu, de stature moyenne et à la bedaine proéminente, s'avança vers eux, un grand sourire éclairant sa face burinée et barbue. Il portait en effet une pilosité noire bien taillée qui lui couvrait les joues et le menton, et un tablier blanc par-dessus sa tunique. Cela, et le fait qu'il les accueillît ainsi, le désignait comme le propriétaire des lieux. Frère Félix s'avança alors vers lui, en lui rendant son sourire, et ils se serrèrent la main avec franchise.
« Que puis-je pour vous, étrangers ? » continua l'homme avec affabilité. « J'espère que la pauvreté de mon accueil ne vous rebute pas trop. Je suis Alfred Aschöne, propriétaire de ce bel établissement.
- Nullement, nullement, mon ami. Nous sommes ici en voyage, et ce village se trouve être sur notre chemin.
- Ah, mais je déroge à tous mes devoirs. Voulez-vous vous restaurer ? J'ai fait ce matin des pâtés de porc en croûte dont vous me direz des nouvelles.
- Mais bien volontiers. C'est fort aimable de votre part. »
L'aubergiste les pria de prendre place à l'une des tables, et s'en alla d'une démarche bondissante vers les cuisines. Alors que Frère Félix s'avançait, Guy l'interrogea avec un regard étonné.
« Je croyais que nous étions là pour nous ravitailler. Nous risquons de perdre du temps. »
Le prêtre lui répondit à voix basse en s'asseyant.
« C'est vrai, mais il se passe des choses étranges ici. Il semble manquer les trois-quarts de la population, et je veux savoir pourquoi. De plus, rappelez-vous, ce gamin dehors qui nous a parlé des 'élus'. Tout cela me semble mystérieux, et je tiens à en savoir plus. » Il jeta un œil en direction des cuisines avant d'ajouter : « cet aubergiste me paraît être la source parfaite, alors autant accepter son offre. »
Wilhelm devait admettre qu'il était d'accord avec le prêtre, mais n'en dit rien. Au même moment, Aschöne revint, transportant un plateau comportant un pâté et (cela sauta aux yeux de Wilhelm) quatre chopes de bière. L'homme s'était visiblement inclus dans le lot, ce qui n'était visiblement pas pour déplaire à Frère Félix, qui prit immédiatement les choses en main. L'aubergiste s'attabla avec eux, et pendant qu'il servait nourriture et boissons, l'ecclésiastique lui fit la conversation, arborant un air jovial au regard pétillant.
« Dites donc, maître Aschöne, c'est une fameuse bière que vous avez là » complimenta le prêtre en buvant dans sa chope. « Je ne m'attendais pas à trouver une telle qualité ici, je vous l'avoue. »
De son côté, l'aubergiste était tout sourire, et ne sembla pas remarquer ce que la réplique de Frère Félix avait de moqueur. « Oui, j'en suis assez fier » répondit-il d'un air enjoué. « Je la brasse moi-même, du moins quand j'ai le temps. Sinon, nous avons quelques réserves importées. »
Il prit alors un air de confidence, en se penchant par-dessus la table et en baissant la voix, comme pour dire un secret, mais sans se départir de son sourire.
« Et je vous conseille d'en profiter, car avec le manque de personnel je ne vais pas pouvoir en refaire. »
Ce fut le moment que messire Guy choisit pour intervenir dans la conversation.
« En effet » commença le chevalier en mimant un air badin de façon plutôt convaincante, « nous nous sommes aperçus que le village semblait peu peuplé. Vous avez eu des disparitions récemment ?
- Oh non, rien de si dramatique. Non, il se trouve juste que de plus en plus de gens ont rejoint les élus, et qu'ils ne sont toujours pas revenus. »
Wilhelm eut le plus grand mal à ne pas jeter un œil alarmé à ses compagnons de route, mais de toute façon l'aubergiste ne l'aurait pas remarqué, car Frère Félix reprit la parole aussitôt.
« Pardonnez mon ignorance, maître Aschöne, mais de quels élus parlons-nous ? »
L'aubergiste éclata de rire, et but une nouvelle lampée de sa chope. « Ah mais c'est vrai, vous êtes des étrangers » énonça-t-il comme si c'était la raison de son hilarité, « vous n'êtes sûrement pas au courant. Ces gens sont les élus du Grand Aigle, et ont été sélectionnés pour accomplir de grandes choses sous les conseils du patriarche. Moi-même, » fit-il en se tapant le torse de la main, « je suis assuré d'être bientôt parmi eux, et je ne tiens l'auberge que pour quelques jours au mieux à présent. Mais ça ne fait pas beaucoup de travail, au vu du peu de clients. »
Il fut cette fois impossible pour Wilhelm de ne pas échanger un regard avec son chevalier. Les yeux bleus grand ouverts de messire Guy confirmèrent qu’il était tout aussi inquiet que lui, mais ils ne pipèrent mot. Frère Félix, lui, garda son sang-froid et son sourire, s'attirant du même coup l'admiration de Wilhelm qui se doutait qu'en son fort, le prêtre était en train d'exploser. Mais ce dernier continua son interrogatoire comme si de rien n'était.
« Vous en ferez bientôt partie ? Mais c'est merveilleux. En réalité, nous avons entendu quelques histoires par-ci par-là sur ce Grand Aigle et ses bienfaits, mais c'est bien la première fois que nous pouvons côtoyer un futur élu. »
Le sourire de Frère Félix semblait sincère, et l'aubergiste n'y vit que du feu. Une sorte de bonhommie constante paraissait l'animer, et il avait l'air incapable de la moindre méfiance. Souriant comme si les compliments de Frère Félix l’avaient à peine affecté, il déclara d’une voix passionnée :
« Le Grand Aigle nous a sauvé. Les récoltes étaient mauvaises, les gens étaient au plus mal, comme si une malédiction s'était abattue sur nous. Et puis le patriarche est arrivé, avec ses pèlerins pourpres, et il nous a promis la protection du Grand Aigle, en échange de notre vénération. Nous avons été sauvés, tout le village a prospéré, et dès lors il est devenu un honneur de servir le Grand Aigle en tant qu'Elu. »
Aschöne les regarda à tour de rôle, puis reprit. « Le patriarche et les pèlerins passent demain matin, et il officiera au temple à neuf heures. Je suis certain qu'il sera ravi de vous rencontrer, surtout vous, que je devine prêtre. Si vous le désirez, vous pouvez loger ici, toutes mes chambres sont libres. »
Wilhelm était estomaqué. Sans sourciller, l'homme venait d'avouer une hérésie majeure devant un prêtre guerrier de Sigmar, et lui avait proposé de rencontrer celui qui diffusait l'hérésie en question. L'occasion semblait trop belle, et le mauvais pressentiment qu’il avait ressenti depuis leur entrée dans le village s'était accru. Tout cela commençait à sentir très mauvais. Il ses yeux croisèrent ceux de ses compagnons, et ils hochèrent tous les trois la tête alors qu’Alfred Aschöne marmonnait quelque-chose au sujet d’être enfin appelé parmi les élus. Frère Félix se tourna alors à nouveau vers l'aubergiste, ce dernier arborant toujours ce sourire chaleureux qui devenait troublant.
« Eh bien maître Aschöne, je pense que nous allons accepter. Cependant, je dois vous prévenir, nous serons six, car trois de nos compagnons doivent nous rejoindre d'ici peu. Nous allons aller à leur encontre, mais je pense que nous devrions être de retour dans quelques heures. »
L’autre répondit d’un ton jovial que ce serait avec grand plaisir, puis, arguant qu’il devait préparer les chambres dès maintenant, il se leva et gagna les escaliers, situés à gauche du comptoir, laissant Wilhelm, Guy et Frère Félix retrouver leurs chevaux.
« C’était de la pure stupidité, voilà ce que c’était. »
L’air revêche, Rottmann ne mâchait pas ses mots alors qu’ils cheminaient à nouveau, cette fois à six, vers le centre du village. Le répurgateur, qui n’avait jamais été très loquace durant le voyage, était désormais intarissable sur les raisons pour lesquelles le plan du prêtre-guerrier était mauvais. Les nombreux sillons de son visage s’animaient de concert quand il parlait, donnant à son expression une impressionnante plasticité. Et à cet instant il exsudait de colère. Sa voix de crécelle se répercutait dans les ruelles vides tandis qu’il faisait des grands gestes de la main pour appuyer ses propos.
« Maintenant nous nous jetons tout droit dans la gueule du gor, après avoir prévenu que nous étions là. C’est quand-même un comble de vouloir faire un voyage le plus discrètement possible et de s’annoncer dès que nous touchons au but. »
Frère Félix l’écoutait sans perdre une once de son calme habituel, et se défendait tant bien que mal.
« Mais de cette façon, nous avons un moyen rapide et efficace de rencontrer ce ‘patriarche’ et ces ‘pèlerins pourpres’, sans que cela n’éveille trop de soupçons. »
Rottmann renifla de dédain.
« Trop de soupçons ? Mais ils sont déjà éveillés depuis que vous êtes entrés. Il fallait faire profil bas, poser des questions à plus de monde pour qu’une seule personne ne soit pas au courant de tout ce que vous saviez, et ensuite faire mine de partir. Nous serions revenus demain matin, discrètement, et nous aurions pu ainsi nous approcher en connaissant mieux le périmètre. »
Malgré les critiques véhémentes de Rottmann envers le prêtre, Wilhelm ne pouvait s’empêcher d’éprouver beaucoup de sympathie pour ce dernier. Après tout, lui-même avait été très impressionné de voir Frère Félix diriger la conversation avec l’aubergiste. Le répurgateur lui paraissait à présent assez injuste dans ses critiques, mais il resta coi, d’autant que Frère Félix lui-même semblait prendre la remontrance avec philosophie.
« Vous avez raison, je le sais, mais je continue de penser que cela aurait pu être pire. Nous aurions pu tout simplement passer à côté de cette opportunité, et j’ai dû improviser sur place avec ce que j’avais de mieux. » Il prit soudain un ton plus dur. « Je ne suis pas certain que vous n’auriez pas éveillé les soupçons vous-même, avec votre idée d’interroger tout le monde. Et puis avec notre apparence, ou la vôtre, nous aurions forcément attiré toute l’attention des gens. Au vu du peu d’habitants restants, ils auraient vite fait de communiquer entre eux, et nous aurions été repérés tout aussi bien.
- Peut-être, mais au moins nous n’aurions pas logé dans une auberge en plein milieu du village. On risque de se faire prendre d’assaut à n’importe quel moment de la nuit, et ça n’a pas l’air de vous choquer.
- Certes, mais nous pouvons largement établir des tours de garde. Ces gens ne doivent pas vraiment être des foudres de guerre, et je les imagine mal nous prendre d’assaut avec efficacité.
- C’est ce que vous croyez. Moi je n’ai aucune confiance en ce genre de jugement hâtif. L’hérésie peut nous surprendre. »
C’est sur ces mots qu’il se tut, une expression exaspérée sur le visage – ce qui le faisait ressembler à un rapace en colère – et le reste du trajet dans les ruelles presque vides de Gullenburg se déroula dans silence pesant. Wilhelm était à présent méfiant à l’extrême. Ce que leur avait avoué l’aubergiste, combiné aux mots du répurgateur, l’avaient rendu très anxieux, et il s’attendait à moitié à voir les gens sortir soudainement des maisons et se jeter sur eux, armes à la main, en hurlant comme des déments. De leur côté, les autres semblaient être dans le même état. Habituellement assez volubile, Herr Gottfried fronçait à présent les sourcils, et il tournait la tête de temps à autre, faisant vibrer son énorme moustache. Guy, de son côté, gardait la main proche du pommeau de son épée, semblant prêt à dégainer à tout moment. Le visage du bretonnien était fermé, les sourcils froncés, et le mouvement de droite et de gauche de ses pupilles indiquait qu’il était en alerte. Seul Reiner n’avait pas l’air affecté, le jeune homme pâle gardant la tête droite avec son expression dépassionnée coutumière. C’était le genre de moment où Wilhelm enviait le détachement de son camarade, et lui-même eut le plus grand mal à ne pas sursauter quand un passant leur souhaita le bonjour avec un grand sourire béat. Sourire qui ne fit qu’accroître son malaise.
Ce sourire, Alfred Aschöne l’arborait encore lorsqu’ils revinrent au Joyeux Griffon et qu’il leur annonça que leurs chambres étaient prêtes. L’air encore plus intimidé qu’avant, Gilbert récupéra tout de même leurs chevaux avec enthousiasme, et ils suivirent l’aubergiste bedonnant à l’intérieur. De son pas léger, celui-ci les mena à l’étage, sur un palier d’une vingtaine de mètres carrés avec une dizaine de portes. Chacune menait à une chambre, à l’exception d’une pièce dédiée aux ablutions. Guy et Wilhelm partagèrent une pièce proprette et meublée, quoique sobrement, disposant de deux lits installés contre les murs. Les lits étaient raides, et les draps, quoique sans tâches, n’avaient visiblement pas servi depuis longtemps. Wilhelm posa son paquetage devant celui le plus près de la porte, sachant qu’il allait devoir faire plusieurs allées et venues lorsque Guy lui demanderait de lui chercher à manger, à boire, ou à effectuer telle ou telle tâche, comme il en avait l’habitude. Le chevalier, lui, arborait la mine soucieuse qui ne l’avait pas quitté depuis le début de la journée. Pourtant, alors que Wilhelm s’occupait de son paquetage, il entendit un bruit métallique derrière lui, et en se retournant il découvrit que Guy avait tiré son épée et le regardait désormais avec sourire espiègle.
« Voici venue l’heure de notre entraînement journalier, mon cher écuyer » s’exclama-t-il de sa voix puissante. « Descendons dans la cour. »
Et sans attendre de réponse, il s’élança vers la sortie tout en rangeant son arme, qu’il n’avait visiblement sorti que pour l’effet. Wilhelm se précipita à la suite de son chevalier, mais il s’arrêta vite : sur le palier, Guy faisait face à Rottmann, ce dernier le regardant d’un air pensif, passant et repassant la main dans son bouc. Sa voix nasillarde était cette fois plus douce qu’à l’accoutumée, signe qu’il ne voulait pas être écouté par l’aubergiste.
« Oui, allez vous entraîner si vous voulez. Après tout, nous avons déjà plus ou moins annoncé notre présence à tout le monde, alors autant vaquer à des occupations habituelles, quitte à nous donner en spectacle. Mais je vous éloignez pas », exigea-t-il, « il est trop risqué de nous séparer. Frère Félix et moi surveillerons les environs par les fenêtres. »
Ainsi, Herr Gottfried, Reiner, messire Guy et Wilhelm passèrent l’après-midi à ferrailler dans la cour de l’auberge, située juste à côté des écuries. Le temps était sec, le soleil brillant haut dans le ciel, et malgré le froid de la matinée Wilhelm ne tarda pas à être trempé de sueur. Rottmann avait parlé de ‘spectacle’, mais il y eut en réalité peu de spectateurs en-dehors de l’aubergiste et de Gilbert. Le premier passait de temps en temps alors que le deuxième les observa longuement. Ce genre d’évènement le sort certainement de ses occupations quotidiennes, pensa Wilhelm en jetant un œil au jeune palefrenier qui semblait captivé par leurs arabesques. Gilbert semblait fasciné, et au fur et à mesure que l’entraînement se déroulait il les regardait tous avec une admiration non feinte. Le soir venu, chevaliers et écuyers prirent tous un bain, qu’ils accueillirent avec allégresse tant cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas eu l’occasion d’en profiter. En effet, le train de voyage imposé par le répurgateur les avait souvent forcés à se laver de façon sporadique, dans l’eau glacée de ruisseaux ou de rivières.
Wilhelm fut d’ailleurs agréablement surpris de trouver un miroir dans la pièce dédiée aux ablutions. L’image que lui renvoyait le cercle de métal poli portait un visage à qui les années avaient fini par donner une forme anguleuse, à la mâchoire carrée surplombée par deux petits yeux fins et noirs. Un début de barbe tapissait ses joues, montrant qu’il n’avait pas pu se raser depuis le début de leur voyage. Ses cheveux coupés courts, noirs eux aussi, et sa légère tendance à se montrer peu souriant au naturel, donnaient à ses traits un maintien martial et fermé. Pendant un instant, il dévisagea son reflet, se disant qu’il n’était pas étonné qu’en son temps à Nuln, Dieter ait été celui qui avait eu le plus de succès auprès de la gente féminine. Mais il se tira vite de cet excès de vanité passager, se rhabilla en vitesse et rejoignit les autres.
Ils prirent leur repas dans la salle commune de l’auberge, qui se révéla être plus peuplée le soir que lors de leurs précédents passages. Cependant, plusieurs tables restèrent vides, signe évident du dépeuplement des lieux. Le dîner leur fut servi avec beaucoup de retard par un Aschöne qui s’excusa mille fois en exposant le fait qu’il était seul en cuisine et qu’il fallait que tout le monde soit servi. Son importante charge pondérale tressautait à chaque fois qu’il s’inclinait devant ses hôtes, le même sourire béat toujours vissé sur son visage. Pendant le repas, Herr Gottfried demanda d’un air malicieux à Frère Félix si qui que ce soit avait tenté de venir les assassiner pendant la journée, en étant bien conscient que Rottmann avait entendu. Le prêtre guerrier répondit d’un ton égal que tout avait été calme, mais qu’ils ne devraient pas relâcher leur surveillance la nuit. Le répurgateur, lui, ne daigna même pas faire mine d’avoir entendu, mais il se renfrogna d’avantage, ce que Wilhelm n’aurait pas cru possible, et n’adressa plus la parole au kasztellan pendant le reste du repas.
Une fois leur pitance avalée, et leur groupe remonté à l’étage des chambres, c’est le visage sérieux que les deux ecclésiastiques insistèrent pour qu’une surveillance soit établie pendant la nuit. Ils étaient les seuls clients à dormir dans l’établissement, permettant de faciliter la chose. L’idée ne plut que moyennement à Herr Gottfried, qui aurait visiblement apprécié sa nuit de sommeil dans un vrai lit. Guy n’avait pas non-plus l’air enchanté par cette perspective, mais il ne dit rien. Ainsi, des tours de garde furent organisés, chacun devant observer le palier depuis la porte entrouverte de sa chambre et garder l’oreille aux aguets. Wilhelm démarra le sien tard dans la nuit, secoué par un Herr Gottfried passablement sur les dents qui lui exposa sans ménagement qu’il était « pressé de retourner se coucher après une heure passée à faire des pitreries dignes d’un Hochlander pour satisfaire l’ego d’un zélote ». La verve du kasztellan Von Urlauberg est bien la dernière chose qui le quittera, songea alors Wilhelm avec amusement tout en s’installant sur sa chaise, vu que sa langue est aussi acérée après une heure passée à attendre au beau milieu de la nuit. Cependant, son humeur s’assombrit en quelques minutes. En effet, pendant le repas il avait eu l’impression d’être observé. S’en étant ouvert à Rottmann une fois loin des villageois, ce dernier avait haussé les épaules. « On a souvent ce genre d’intuition quand on s’attend à être surveillé. Quelquefois c’est justifié, mais d’autres fois c’est le simple produit de notre imagination. Cependant, que vous soyez observé ou non, ces sensations ont un avantage : vous serez sur vos gardes. » Et sur ses gardes, Wilhelm l’était. Assis devant la porte, il écoutait autant qu’il observait. Le sentiment qu’on le regardait fixement était toujours présent, et à tout instant il s’attendait à entendre un bruit de pas, un cri, ou à voir une forme se déplacer silencieusement derrière la porte. La main sur la poignée de son épée, il se tenait sur le qui-vive, prêt à bondir. Mais les seuls bruits qui troublaient le silence étaient les ronflements de Guy et ceux, plus lointains, de Frère Félix. Au bout d’une heure, il finit par se lever, et il alla réveiller son chevalier, le tour de veille de celui-ci étant venu. Guy avait eu l’air presque normal pendant toute l’après-midi, s’étant entraîné avec un allant qui était semblable à celui qu’il avait d’habitude. Mais il avait retrouvé son humeur sombre lors du repas du soir, et il avait fallu que Herr Gottfried interdise à maître Aschöne de lui rapporter plus de bière (bière dont Guy se plaignit d’ailleurs tout le dîner, braillant qu’elles n’étaient pas aussi bonnes que le vin bretonnien) pour l’empêcher de se souler à mort. Ainsi, c’est en grommelant que messire Guy alla se poster près de la porte, tandis que Wilhelm retournait au pays des songes pour les dernières heures de la nuit.
Le lendemain matin, Rottmann les réveilla à six heures tapantes, avec sa douceur coutumière : en ouvrant la porte d’un coup de pied et en leur hurlant presque dans les oreilles qu’ils devaient se préparer séance tenante. Une décennie plus tôt, cela aurait déclenché chez Wilhelm une réaction quelque peu violente, mais trois années passées à l’académie militaire et trois autres dans le Fort de Sang l’avaient habitué à ce genre de situations. Il se leva ainsi immédiatement pour s’équiper et aider messire Guy à faire de même, ce dernier étant encore un peu grognon du fait de sa forte consommation d’alcool de la veille.
Le petit déjeuner fut sommaire, car l’aubergiste ne s’était levé que quelques minutes avant eux, et il ne put leur fournir plus qu’une miche de pain à partager ainsi que du fromage et de l’eau. À défaut d’être délicieux, ce repas eut le mérite de leur tenir au ventre. Ils le passèrent à mettre au point leur approche de la situation. Visiblement très en forme, Rottmann leur expliqua qu’il comptait mettre la main sur le fameux ‘patriarche’ avant même que celui-ci ne puisse délivrer un quelconque sermon, maintenant que la présence d’une hérésie en ce lieu était prouvée. Herr Gottfried, qui lui aussi avait l’air bien réveillé en dépit de ses grommellements au sujet des tours de garde, accepta. Mais il insista pour que l’homme soit laissé en vie, rappelant d’une voix ferme qu’il était nécessaire que le grand-maître puisse l’interroger directement. Le répurgateur sembla renâcler à cette idée, mais il ne protesta pas. Un plan fut alors rapidement décidé : le patriarche serait immédiatement arrêté et emmené à cheval en direction du Fort, en le faisant monter à califourchon sur la monture de l’un d’entre eux. Pour que les villageois ne puissent pas les en empêcher, les chevaux devraient être prêts et scellés. Quant aux ‘pèlerins pourpres’, ils devraient être écartés du chemin, et arrêtés si besoin. À un moment, Frère Félix se leva, et paré de son plus beau sourire il alla parler à l’aubergiste. Quelques secondes plus tard, il revint en les informant que le patriarche serait présent dans le temple, temple qui avait d’ailleurs été transformé en chapelle du Grand Aigle. Son sourire avait alors complètement disparu, remplacé par une expression mélangeant tristesse et colère, et Wilhelm put voir à quel point imaginer une telle profanation d’un lieu aussi sacré l’avait affecté.
À sept heures du matin les six hommes partirent à cheval de l’auberge du Joyeux Griffon pour aller rejoindre la fameuse chapelle, située un peu plus loin vers la périphérie du village. Gilbert leur avait rendu leurs montures en baillant toutes les trois secondes, mais les chevaux avaient été bichonnés toute la journée de la veille, et Herr Gottfried lui donna un petit pourboire en le remerciant chaleureusement. Le jour se levait à peine, le soleil commençant à se deviner entre les arbres et les maisons, chassant la brume nocturne. Wilhelm n’en était pas réchauffé pour autant, grelottant sous sa cote de maille et son manteau. Ils étaient en effet tous équipées du mieux qu’ils pouvaient, les chevaliers et écuyers ayant revêtu cotte de maille, camail et gambison, tout en s’armant de leurs épées et boucliers. Reiner avait de plus une aumônière avec plusieurs pistolets dissimulée sous son manteau, même si mein Herr Von Urlauberg en désapprouvait l’utilisation chez un chevalier. Mais seulement une partie du cerveau de Wilhelm s’attardait sur le froid, le reste étant tout entier occupé à réfléchir. Nous allons passer à la partie dangereuse de la mission dans peu de temps, pensait-il avec excitation tout en agrippant les rennes de son cheval, jetant des regards circonspects aux bâtiments autour de lui. Dans peu de temps, tous ces gens risquent de nous en vouloir à mort. Il va falloir que nous soyons efficaces, et partir rapidement sans blesser personne. Ces gens sont sous notre protection, même contre leur gré.
Leur chevauchée fut tranquille mais de courte durée. En quelques minutes, ils arrivèrent en vue du temple, embrassant du regard ce bâtiment de pierres solides assemblées bien des années auparavant. Gullenburg était un village modeste, et ainsi cet édifice n’était pas un fleuron de l’architecture gothique tel que ceux trouvables à Middenheim ou Altdorf, mais cela n’empêcha pas Rottmann et Frère Félix de se signer gravement à sa vue. L’église était tout de même respectable, avec un haut clocher dominant les toits environnants et de nombreux vitraux sur son pourtour. Quelques personnes étaient présentes sur le parvis, mais l’endroit était relativement désert, et ils n’eurent aucun mal à attacher leurs chevaux devant la lourde porte en bois.
Une fois à l’intérieur, Wilhelm dut s’habituer momentanément au manque de lumière. Malgré la présence des vitraux et de plusieurs chandeliers stylisés aux couleurs criardes, il faisait plus sombre qu’à l’extérieur. Alors que sa vue se faisait à la relative pénombre, il eut un instant d’arrêt et ouvrit des yeux ronds. Il y avait bien les colonnades, les bancs et l’autel propres à chaque temple, mais l’endroit était beaucoup moins austère que son apparence externe le laissait supposer. En sus des chandeliers, il y avait de grandes tentures bleu turquoise, qui recouvraient les murs de pierre nue de l’édifice, et sur chacune d’elle on pouvait voir un symbole : un œil unique, aux multiples couleurs vives. Ces emblèmes ravivèrent l’impression de Wilhelm d’être observé, et c’est en les regardant d’un air méfiant qu’il se remit à marcher. Jusqu’à rentrer dans le dos d’un de ses compagnons qui n’avait pas bougé.
Il recula en bredouillant une excuse, s’apercevant qu’il avait percuté messire Guy, mais ce fut inutile. Le chevalier semblait ne même pas s’être rendu compte de l’impact, restant parfaitement immobile, le regard rivé devant lui, alors que les autres contemplaient encore la décoration ostentatoire. Wilhelm s’avança aux côtés du bretonnien, cherchant ce qui avait pu attirer ainsi son attention. L’heure matinale faisait qu’il n’y avait pas grand-monde autour d’eux, mais manifestement messire Guy était obnubilé par deux personnes qui s’entretenaient de l’autre côté des rangées de bancs. L’un d’entre eux était définitivement un homme alors que l’autre, de dos, était une femme plutôt petite. Guy se mit à avancer lentement vers eux, et Wilhelm le suivit, cherchant ce qui avait pu retenir le regard de son chevalier chez ces deux individus. En se rapprochant d’eux, il vit que l’homme était presque aussi chauve que Frère Félix, vêtu d’une robe sombre et d’une pèlerine, et il s’adressait avec un sourire chaleureux à son interlocutrice. Son visage rond et aimable lui rendait l’air affable, presque paternel, et Wilhelm devina presque aussitôt qu’il s’agissait sûrement du fameux ‘patriarche’.
Ce dernier acheva sa phrase, et au bout d’une seconde de silence la femme à qui il s’adressait fit volte-face et se retourna vers la sortie, faisant à présent face à Wilhelm.
Qui oublia tout le reste.
Il s’agissait moins d’une femme que d’une jeune fille, qui ne devait pas avoir plus de dix-huit ou dix-neuf ans, au visage svelte et gracieux encadré par une cascade de cheveux noirs, soigneusement coiffés en une longue natte. Elle avait un nez légèrement pointu, des joues fines et une bouche délicate et rosée. Ses yeux en amande, d’une couleur indéfinissable, semblaient lui donner l’air de descendre d’une noble lignée, bien que le reste de sa vêture ne le démente. Elle portait en effet une robe élaborée mais sans fioritures, de couleur bleu ciel avec les manches et le corset d’une teinte plus foncée, et pas le moindre bijou. Pourtant, sa démarche avenante fit penser à Wilhelm aux arabesques des grandes dames qu’il avait quelquefois vues à Wissenburg. Elle avait un pas souple, presque félin, qu’il détailla à loisir alors qu’elle se rapprochait. Il s’aperçut alors qu’elle était manifestement en colère, ses yeux magnifiques étant froncés et sa bouche tirée. Un sentiment de fureur l’envahit. Qui, qui aurait eu l’audace de contrarier ainsi une si ravissante personne ? Il voulait la venger, séance tenante. Il se rendit soudain compte qu’il avait la main serrée sur la poignée de son épée, et que la jeune femme l’avait dépassé. Sans se soucier le moins du monde du reste des lieux, il se retourna, espérant la voir à nouveau, mais se faisant il se cogna presque sur le plastron de métal de Frère Félix.
« Eh bien, jeune homme, fait attention, » fit le prêtre avec un sourire complice, une main posée sur son marteau, « tu pourrais allumer un feu avec tes yeux. »
Sans l’écouter, Wilhelm s’apprêta à le contourner pour rechercher la vision tant espérée, mais un bruit métallique caractéristique lui fit instinctivement tourner la tête. C’était le bruit d’une épée que l’on sort de son fourreau. Et il s’aperçut alors avec stupeur que messire Guy avait dégainé et qu’il s’avançait lentement vers le patriarche, lame au poing. Il ne pouvait plus voir son visage, mais au vu de la réaction terrorisée des quelques personnes qui se trouvaient devant lui, il devait porter un masque de rage et de meurtre. Le patriarche, lui, ne paraissait même pas l’avoir remarqué. Wilhelm s’aperçut à cet instant de la présence d’autres individus en tenues ecclésiastiques : une douzaine d’hommes vêtus de robes de la même couleur que celle du patriarche les encadraient tous à présent, à quelques mètres de distance. Ils semblaient prêts à intervenir, bien qu’aucune arme ne soit visible entre leurs mains. Les pèlerins pourpres, réalisa-t-il. Sommes-nous tombés de plein gré dans la gueule du gor ? Guy ne leur accordait pas la moindre attention.
Herr Rottmann fut plus rapide que tout le monde. Se précipitant vers le bretonnien, il lui saisit le poignet d’épée pour l’empêcher d’aller plus loin. Guy réagit alors au quart de tour, et son bras gauche tenta d’asséner un coup de poing au répurgateur. Ce dernier esquiva l’attaque et attrapa l’autre bras du chevalier sans lâcher sa prise. Puis, il planta son regard dans les yeux furieux de Guy, et sa voix fut aussi dure que l’acier de sa rapière.
« Un pas de plus, et je vous arrête pour tentative de sabordage d’une affaire de l’inquisition, chevalier ou pas. Nous avons besoin de cet individu, sur ordre de votre propre grand-maître. Est-ce clair ? »
Guy tenta vainement de se libérer, et quand Wilhelm se rapprocha il s’aperçut que son chevalier portait une expression qu’il ne connaissait pas et qui lui fit reculer d’un pas. Les yeux presque exorbités, le regard pénétrant, et les dents serrées, Guy semblait quasiment avoir perdu la raison. Mais la poigne de fer du répurgateur ne voulait rien savoir. « Est-ce clair ? » répéta ce dernier.
Guy ferma les yeux, poussa un long soupir, puis les rouvrit. « Oui » finit-il par marmonner entre ses dents. Mais Rottmann ne se laissa pas avoir. « Vraiment ? » questionna-t-il, sa voix paraissant encore plus aigüe. Sa propre expression était rageuse, mais ses gestes étaient mesurés, contrôlés. Il semblait prêt à éclater, mais il apparut à Wilhelm que le répurgateur devait certainement savoir maîtriser sa colère. D’ailleurs, Frère Félix, à ses côtés, n’avait pas l’air de s’inquiéter outre mesure. Herr Gottfried, par contre, rougit de fureur à tel point que ce fut visible malgré le manque de lumière, et fit mine d’aller défendre son subalterne chevalier, mais le prêtre-guerrier leva une main pour lui barrer le chemin. Reiner ne bougeait pas, tout en étant manifestement prêt à intervenir lui aussi. La situation semblait soudain très tendue. Le patriarche les observait à présent, les mains dans le dos, et la lueur dans ses yeux fit douter à Wilhelm de la sincérité de son expression débonnaire. Les pèlerins pourpres, eux, paraissaient moins à l’aise, mais ils ne les quittaient pas non-plus du regard, fixant notamment Guy avec un air peu amène. Sans paraître se rendre compte de cette attention, ce dernier finit par acquiescer à Rottmann. « Oui, c’est bien clair messire. Mille excuses, je me suis laissé emporter. »
Le répurgateur le lâcha, et Guy rengaina silencieusement son épée. Herr Gottfried donna l’impression de se détendre, mais Wilhelm était sûr que si ses yeux pouvaient faire feu, Rottmann serait criblé de plomb. Wilhelm profita du retour relatif au calme pour jeter un regard autour de lui à la recherche de la jeune fille, afin de s’assurer qu’elle n’avait pas été effrayée par l’attitude de son chevalier, mais il ne vit que les hommes en robes et ses compagnons, le reste lui étant caché par leur présence. Il se dit avec tristesse qu’elle était peut-être sortie.
Rottmann ne perdit pas un instant après cet évènement, et s’avança vers le patriarche d’un pas décidé, le claquement de ses bottes résonnant avec force. Les autres le suivirent, comprenant instinctivement qu’il avait ainsi prit la direction des choses. Le répurgateur se planta devant le patriarche (dont Wilhelm voyait à présent que sa robe était rouge foncé), le dominant de sa haute taille, son chapeau le rendant encore plus impressionnant, et lui déclara de sa voix si particulière : « Bien le bonjour, monsieur. Avec votre permission, ou même sans, vous allez à présent répondre à mes questions sans mentir ni omettre de vérité. Est-ce bien compris, par Sigmar ? »
L’aplomb de Rottmann sembla prendre les pèlerins pourpres de court, car ils se rapprochèrent soudain à l’annonce du nom du dieu de l’Empire, avant qu’un geste discret du patriarche ne les fasse s’arrêter. La voix de ce dernier s’éleva alors, calme et posée. « Si vous le désirez, meine Herren. Mais permettez que nous échangions dans un endroit plus approprié ? Il y a justement une pièce attenante à celle-ci... »
Et sans laisser le temps à quiconque, il s’éloigna de Rottmann dans un tourbillon de sa robe et partit en direction de l’extrémité droite du temple, accompagné de plusieurs de ses subordonnés. Le répurgateur se tourna légèrement vers ses propres compagnons.
« Je l’accompagne » dit-il d’un ton sans réplique. « Mais surveillez mes arrières. »
« Je viens avec vous » annonça sombrement Guy. Ce n’était pas une question.
Rottmann et lui se jaugèrent du regard en silence pendant une seconde. « Uniquement si vous me laissez parler sans intervenir » décréta le répurgateur. Ce n’était pas non plus une question.
Ils partirent tous les deux à la suite du patriarche, et Wilhelm les accompagna, n’étant pas censé quitter son chevalier sauf sur instruction précise de celui-ci. Rottmann ne sembla pas lui en tenir rigueur, agissant tout bonnement comme s’il n’existait pas. Ils quittèrent la grande salle du temple pour s’aventurer dans un couloir de pierre à peine assez large pour qu’ils avancent à deux de front. Wilhelm était sur ses gardes, et Guy, les sourcils froncés et la bouche serrée, semblait en proie à une tension extrême. Rottmann avait l’air détendu, sa démarche ne trahissant aucun désarroi, mais Wilhelm le connaissait assez maintenant pour se douter que ce n’était qu’une façade. Le répurgateur au manteau de cuir relâchait-il seulement son attention une seconde ?
Le patriarche les mena dans une petite pièce, dont la porte se trouvait sur leur droite en arrivant. Au moment d’entrer, Wilhelm vit un mouvement couleur bleu en périphérie de sa vision, mais avant qu’il n’ait pu en chercher l’origine, Rottmann lui ordonna sèchement de fermer la porte derrière lui.
La salle dans laquelle ils se trouvaient à présent était bien plus petite, de forme carrée, et d’une certaine austérité. Wilhelm devina qu’elle avait dû servir à la préparation du prêtre avant et après les offices, car elle était garnie d’armoires contenant selon toutes vraisemblance des robes et des parures diverses et variées. Deux grandes fenêtres, située presque hors de portée du fait du haut plafond, éclairaient l’endroit, et un banc de pierre se situait au fond. Pour autant, le patriarche l’ignora, se plaçant au centre, et il fut rapidement entouré par ses six serviteurs. Ceux-ci avaient toujours l’air revêche, la mâchoire crispée, mais leur chef paraissait garder la tête froide, caressant négligemment les nombreuses bagues de ses mains ridées.
Oui, je sais, je vous ai fait languir. J'avais de bonnes raisons, mais tout de même.
Mais toutes les mauvaises choses ont une fin. Aussi, voici ce que (je l'espère) vous attendiez : le fameux, le seul, l'unique...
Chapitre X
Le cheval de Wilhelm avançait avec entrain, ses longues foulées lui permettant de rester au niveau de la monture de messire Guy. Devant eux, leurs quatre compagnons de route chevauchaient calmement en ce début d’après-midi ensoleillé, le claquement des sabots se mêlant au bruissement du vent dans les buissons alentours. Le chapeau vissé sur son crâne, Rottmann menait la route sur son étalon noir. Le répurgateur n’avait de cesse de s’assurer que tout le monde suivait bien, tournant régulièrement son visage moustachu creusé de cicatrices pour enjoindre les autres à bien rester derrière lui, avec force épanchements de sa voix si particulière. Ils étaient dans une zone légèrement vallonnée, où la voie serpentait entre quelques bosquets qui se paraient de couleurs rougeoyantes en ce début d’automne. Parfois, ils passaient à côté d’une succession de champs cultivés, signe de l’importante activité fermière de la région. Mais malgré ce cadre bucolique, Wilhelm n’en finissait pas d’être un peu nerveux. En effet, leur chemin les amenait non-loin de la forêt où, quatre ans auparavant, une embuscade d’hommes-rats avait décimé l’armée dans laquelle lui et ses camarades étaient affectés.
Il remarqua bien vite qu’il n’était pas le seul à être plus troublé que d’habitude. Depuis le début du voyage, six jours auparavant, messire Guy avait un comportement assez étrange, ses fameux passages d’humeur sombre étant plus courants qu’à l’accoutumée. Il ne se plaignait jamais, comme d’habitude, mais il pouvait passer à présent de longues minutes à fixer le vide de ses grands yeux bleus, un air sévère déformant son visage généralement rieur. Dans ces moments-là, Wilhelm ne s’éloignait pas, sachant que Guy pouvait alors réclamer une bouteille de vin. Le bretonnien en faisait à présent une consommation assez importante, et Wilhelm était ravi de la présence de Von Urlauberg. Le kasztellan à la vaste moustache, au visage large et débonnaire, avait des manières directes, et son humeur joyeuse égayait un voyage qui aurait sans nulle doutes été bien plus morne sans lui. Le deuxième soir, il avait sévèrement réprimandé Guy sur sa consommation d’alcool, venant au secours de Wilhelm qui regrettait de voir son chevalier se comporter presque en soulard. La situation fut un peu tendue, mais le robuste kasztellan n’en démordit pas et Guy fut contraint de céder, même si cela ne fit rien pour améliorer son humeur. De fait, le chevalier bretonnien s’enfonçait de plus en plus dans la mélancolie. Wilhelm avait depuis longtemps renoncé à aborder le sujet avec lui, Guy n’ayant jamais voulu lui fournir d’explications. Il s’aperçut rapidement que Herr Gottfried n’en avait pas non plus, et il comprit qu’il était inutile d’insister.
Leurs autres compagnons de voyage étaient également plutôt taciturnes, à l’exception du prêtre-guerrier. Celui-ci se révéla être un homme plein de finesse et de savoir, égayant les conversations de sa voix grave alors qu’il racontait des histoires issues du folklore de l’Empire. Il avait un sourire franc, chaleureux, et semblait animé d’un sincère besoin d’aider les autres. De plus, il révéla rapidement disposer d’une passion pour la nature, en particulier les plantes, dont il semblait être capable de parler pendant des heures. Chaque jour, il faisait découvrir aux chevaliers et écuyers telle ou telle fleur, liane ou feuille dont ils n’avaient jamais eu connaissance, même en ayant vécu si longtemps dans ces environs. Wilhelm se prit rapidement d’affection pour ce prêtre au visage anguleux, et les conversations entre frère Félix, Herr Gottfried et lui-même étaient généralement très joviales, et ce malgré le mutisme de Reiner et de Rottmann. De temps à autres, quand il n’était pas en pleine crise de mélancolie, Guy se joignait à eux, reprenant la personnalité que Wilhelm lui connaissait, mélange de sévérité et de volubilité. Il semblait presque mener une double-vie, mais ces conversations rassuraient Wilhelm, qui se prenait souvent à espérer, sans y croire, que cette fois serait la bonne.
Reiner, fidèle à son habitude, n’ouvrait quasiment jamais la bouche. Son beau visage d’une pâleur extrême restait hermétiquement fermé en toutes circonstances. Il se contentait de parler lorsqu’on s’adressait directement à lui, ou quand il avait l’impression que son intervention était indispensable. Mais en-dehors de ces quelques moments, il restait dans le silence, et Wilhelm devinait que son chevalier, Herr Gottfried, était à présent ravi d’avoir enfin des compagnons de route plus loquaces qu’une souche d’arbre. Il y avait longtemps que le kasztellan avait renoncé à tirer plus que nécessaire de son froid écuyer, mais il poussait quelquefois de longs soupirs de dépit quand ce dernier, s’exprimant enfin, ne prononçait pas plus que trois mots. Wilhelm connaissait suffisamment son ex-major pour savoir que ce dernier était en réalité complètement dépassé par la dimension sociale des échanges qui se produisaient devant lui. Il avait cependant constamment les sens aux aguets, et sans en avoir l’air il surveillait les alentours. Wilhelm comprit rapidement que Reiner se souvenait lui-aussi de l’embuscade, et qu’il ne voulait pas courir le risque d’une nouvelle embuscade.
C’était plus compliqué pour Rottmann. Le répurgateur prenait toutes les précautions du monde pour ne jamais participer à la moindre conversation en cours de route. Il y était parfois forcé, surtout quand le kasztellan allait lui parler, mais ne le faisait que de mauvaise grâce. Dans ces moments, il ne se montrait pas avare de mots, mais le ton était sec, et la fine fente qui lui servait de bouche n’était alors qu’un pli désapprobateur, soulignant son absence d’envie de s’exprimer. Wilhelm était intimidé par le templier de Sigmar, ayant toujours l’impression que les yeux brillants de ce dernier cherchaient des signes de culpabilité partout. Frère Félix lui apprit que la plupart des répurgateurs étaient ainsi, car leur travail menait nécessairement à la solitude et à la méfiance constante. Malgré tout, Rottmann ne cherchait jamais les ennuis. Ainsi, de tout leur voyage, Wilhelm ne le vit jamais dégainer sa lame.
Pourtant, sa rapière, il aurait pu s’en servir, mais seuls les chevaliers et leurs écuyers sortirent leurs armes pendant le voyage. En effet, Guy et Herr Gottfried tenaient absolument à ce que l’entraînement de leurs écuyers se poursuive avec la même rigueur que d’habitude. Ainsi, chaque jour, Wilhelm croisait le fer avec Guy, Reiner, ou avec le kasztellan. Les chevaliers inventèrent de nombreux exercices, forçant les deux jeunes hommes à travailler leur technique tout en utilisant leur imagination pour concevoir des tactiques efficaces. Le cliquetis des armures et le tintement du métal frappant le métal agrémentèrent la totalité de leurs soirées, et ce jusqu’après la tombée de la nuit. Au cours de ces entraînements, le répurgateur et le prêtre se contentaient d’observer. Rottmann le faisait en silence, mais Frère Félix se fendait de quelques commentaires sur le jeu de jambes, la façon de tenir un bouclier, et d’autres sujets encore, montrant par là une grande science du combat. L’entraînement en question ne porta cependant que sur une seule chose : le combat à l’épée. En effet, dans le but de voyager le plus légèrement possible, les chevaliers et leurs écuyers n’avaient comme équipement que leurs épées, leurs boucliers et leurs armures. Ces dernières ne comportaient d’ailleurs aucuns éléments de plaque, qui auraient été bien trop peu pratiques à porter, et étaient ainsi constituées d’un gambison et de maille.
Ce train de vie dura une semaine complète, au cours de laquelle ils voyagèrent dans les terres impériales sans rencontrer de problème. Le Wissenland était en effet une province généralement calme, loin des forêts denses et peuplées de monstres recouvrant la majeure partie du Nord de l’Empire. La nuit, ils dormaient en pleine nature, dans des tentes dressées à l’écart de la route, leurs couchages posées à même le sol, et parfois sans avoir pris le temps de chercher un endroit convenable. Ainsi, à plusieurs reprises, Wilhelm se réveilla en ayant mal partout, le sol irrégulier et les cailloux l’ayant amené à sommeiller de façon très inconfortable. De plus, Rottmann insistait pour qu’aucun feu ne soit dressé, afin de ne pas attirer l’attention durant la nuit, au grand dam d’Herr Gottfried qui détestait manger de la viande séchée. Le kasztellan jeta ainsi de nombreux regards noirs au templier de Sigmar, bougonnant à propos de « cette grande perche joyeuse comme un cafard », mais il ne protesta pas. D’une façon générale, Rottmann se montrait particulièrement précautionneux pendant ce voyage, surveillant sans cesse les alentours de son regard intense pour y déceler l’éventuelle présence d’un être vivant en train de les épier. Le moindre voyageur qui passait était répertorié, et parfois même le répurgateur leur demandait de se cacher pour partir seul en éclaireur sur une voie qu’il trouvait trop dégagée. Lors de tels évènements, Wilhelm se rendait compte de l’importance de leur mission. Durant leurs précédents trajets dans le Wissenland, Guy et lui n’avaient jamais eu à se cacher, et le fait de devoir y recourir lui rappelait qu’ils étaient à présent confrontés à des forces redoutables.
Cependant, après une semaine, ils finirent par arriver à cours de vivres. Le trajet jusqu’au village de Weisaupt devait prendre encore quatre jours, leur rythme étant considérablement ralenti par les précautions de Rottmann. Décision fut alors prise de faire route jusqu’au village proche de Gullenburg, une bourgade de quelques centaines d’habitants, afin d’aller y acheter des provisions. Herr Gottfried voulait au début que seuls les chevaliers y aillent, mais Rottmann s’y opposa d’un ton brusque : ils ne pouvaient se permettre qu’ils fassent fuiter une information, même sans le vouloir. La discussion fut longue, et au final il fut décidé que Frère Félix, Guy et Wilhelm iraient dans le village, pendant que les trois autres les attendraient en-dehors.
C’est ainsi que Wilhelm, le prêtre guerrier et le chevalier se retrouvèrent à faire avancer leurs montures au pas dans la rue principale de Gullenburg. Extérieurement, le village ressemblait à tous ceux que Wilhelm avait vus dans la région. Les maisons étaient faites de pierre et de bois, et étaient construites les unes à côté des autres sans préoccupation d’économie d’espace. En effet, chaque maison était séparée de quelques mètres de ses voisines, la propriété de chacun étant délimité par de petites barrières (là encore de pierre ou de bois). Les habitations étaient manifestement d’une bonne qualité, étaient bien entretenues extérieurement, sans aucun signe de décrépitude ou de délabrement. Au contraire, elles semblaient convenablement tenues, et ça et là une cheminée laissait échapper quelques volutes de fumée. Une légère brise les fit frissonner. En cette heure matinale, la température n’était en effet pas très élevée, et Wilhelm était heureux d’avoir plusieurs épaisseurs de vêtements pour le protéger du froid. Ainsi, il imaginait très bien qu’à l’intérieur des maisons on veuille se réchauffer avant de s’atteler aux travaux de la journée.
Le village était agencé en quelques rues, dont deux grandes avenues principales qui se croisaient sur une place centrale, dont le centre était occupé par un carré de pelouse bien verte. Autour de cette place se trouvaient les bâtiments les plus importants : une forge, une auberge, quelques échoppes dont un tisserand et un tailleur de vêtements en laine. L’auberge était un bâtiment imposant qui répondait au nom du ‘Joyeux Griffon’. L’enseigne représentait l’animal en question, son bec ouvert en un sourire éclatant tout en étant perché sur un tonneau. Les ruelles de Gullenburg serpentaient autour de cette place, le tout sur un terrain légèrement vallonné que dominait une colline un peu plus grande que les autres, et sur laquelle se trouvait un imposant moulin à vent, dont les ailes étaient pour l’heure immobiles. Il se dégageait de ce village une ambiance tranquille, presque feutrée. Pourtant, malgré la bonhommie apparente de l’endroit, un sentiment étrange grandissait dans l’estomac de Wilhelm, sentiment qui avait lentement cru au fur et à mesure qu’ils étaient entrés dans le village. Quelque-chose n’allait pas, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.
Ce fut Frère Félix qui apporta la solution. « Il n’y a pas grand-monde » commenta-t-il d’un air intrigué alors qu’ils débouchaient sur la place. Et effectivement, Wilhelm s’en aperçut, peu de gens se trouvaient là. Le village n’était pas désert à proprement parler, car ils avaient croisé des habitants dans les rues et en virent d’autres sur la place qui vaquaient à leurs occupations, mais on était loin de l’activité normale d’une bourgade de cette taille. De plus, il réalisa qu’une part non-négligeable des maisons avait les volets clos, comme si leurs occupants étaient absents. De la même façon, la plupart des échoppes de la place avaient l’air fermées. Son inquiétude s’accrut, et il se mit sur ses gardes.
« Allons dans l’auberge » suggéra Guy en joignant le geste à la parole, « c’est certainement là que nous pourrons acheter des rations de voyage. » Wilhelm et Félix le suivirent silencieusement, intérieurement heureux que le chevalier bretonnien n’ait pas encore cédé à ses sombres pensées depuis leur départ. Au loin, un oiseau chanta. Cet arrêt urbain avait eu pour effet de briser la monotonie, et Guy semblait plus alerte qu’il ne l’avait été au cours des derniers jours. Cependant, ayant encore son comportement récent en tête, Wilhelm n’avait nullement l’intention de laisser son chevalier prendre la tête du groupe sans intervenir.
« Messire Guy », commença-t-il en s’efforçant de prendre un ton diplomatique, « je suggère que ce soit Frère Félix qui s’occupe de la conversation avec l’aubergiste. »
Guy tourna la tête sans arrêter son cheval. Son regard était interrogateur, mais il exprimait aussi un léger énervement. Il n’avait pas l’habitude d’être ainsi remis en question par son écuyer.
« Et pourquoi ? » fit-il d’un ton où on pouvait déceler une pointe de reproche.
Wilhelm pesa chacun de ses prochains mots.
« Parce que messire, avec tout mon respect, vous n’avez jamais parlé autrement aux roturiers de ce pays que comme vous parleriez à des enfants. Et vu que nous devons passer inaperçus, je pense que nous faire remarquer ainsi ne serait pas approprié. »
Guy stoppa son cheval pour de bon cette fois, ce qui permit à Wilhelm et au prêtre de le rattraper. Son visage exprimait un mélange d’émotions contradictoires, que son écuyer ne tenta même pas de décrypter.
« Il est vrai que je peux me laisser emporter par les mœurs de ma terre natale » finit-il par avouer en poussant un soupir. « Frère Félix, vous êtes un habitant de ces contrées, et vous avez l’habitude d’exercer ce genre de travail. Converser avec des manants n’est pas mon activité favorite, et je pense que vous saurez mieux l’effectuer que moi. »
Il jeta à Wilhelm un nouveau regard indéfinissable, puis il suivi Frère Félix, qui s’était contenté de hocher la tête à la fin de l’échange sans intervenir, en direction de l’auberge du Joyeux Griffon.
Tous trois descendirent de cheval devant l'entrée de l'établissement, qui, à l'image des autres bâtiments, était propre et bien tenue. Pourtant, personne ne les accueillit, alors qu'ils n'étaient aucunement discrets. Guy jeta un regard à Wilhelm en tendant la main, et celui-ci comprit instantanément. Sans dire un mot, il confia les rênes de sa monture au chevalier et courut en direction de l'écurie pour y trouver, l’espérait-il, un palefrenier.
Cette section du bâtiment était plus grande qu’on pourrait le croire vu de la rue. À l'intérieur, il trouva deux longues rangées de boxes vides, avec plusieurs réserves de foin. Tout comme le reste du village, l'endroit respirait l'entretien, mais il ne semblait pas s'y trouver âme qui vive. «Eho, il y a quelqu'un pour s'occuper des chevaux ?» finit par quémander Wilhelm à haute voix, conscient qu'un palefrenier désoccupé pouvait très bien avoir décidé de s'accorder un petit somme. Il ne s'attendait en fait pas à avoir la moindre réponse, et fut ainsi quelque peu surpris d'entendre un petit cri suivi d'un bruit de pas rapides. Il vit alors un jeune homme d'une quinzaine d'années sortir du box du fond en tanguant légèrement et en se frottant les yeux. Il était maigre, aux cheveux roux et au visage couvert de taches de rousseur. Wilhelm affecta de prendre un air sérieux en ennuyé, mais il était en réalité amusé par la situation.
« Jeune homme », commença-t-il en gardant le visage froid, « veuillez me suivre. Vous avez trois chevaux dont il faut vous occuper.»
Qualifier ainsi le palefrenier de 'jeune homme' alors que lui-même n'avait que vingt-et-un ans le fit sourire intérieurement. Il n'avait pas souvent l'occasion de le dire, et entendait bien en profiter. Mais le palefrenier en question ne s'aperçut pas de l'ironie, et si le fait d'avoir été réveillé en sursaut semblait l'avoir dérangé, la perspective de s'occuper de trois chevaux avait au contraire l'air de lui plaire. Il se fendit d'un sourire tout en s'inclinant et en ajoutant un « bien messire » avant de suivre Wilhelm jusqu'à l'entrée.
Guy et Félix lui tendirent les rênes des trois montures. Le prêtre jeta un œil bienveillant sur le jeune palefrenier roux, et lui demanda son nom de sa voix posée.
« Je...Je m'appelle Gilbert, messire. Je suis le palefrenier du Joyeux Griffon. »
- Tu es le seul palefrenier pour ce grand établissement ?
- Il n'y a pas grand-monde qui vienne avec des chevaux. Et les autres palefreniers sont partis. »
Frère Félix garda son sourire, mais ses yeux se froncèrent légèrement. Le dénommé Gilbert, lui, paraissait légèrement intimidé par la prestance de ses interlocuteurs.
« Partis ? Mais où sont-ils partis ?
- Ils ont rejoint les élus messire. »
Et sans plus de paroles, le jeune palefrenier tourna les talons, conduisant leurs chevaux dans la grande écurie, en les caressant de temps à autre. Il aimait ces animaux, cela se voyait, et Wilhelm avait l'impression qu'il pouvait sans soucis lui confier les leurs. Guy, qui n'avait pas ouvert la bouche depuis l'échange qu'ils avaient eu quelques minutes auparavant, prit les devants en désignant la porte. « Messieurs », fit-il d'un ton presque enjoué, « nous y allons ? ».
À la suite de ses compagnons, Wilhelm entra dans la salle principale de l'auberge, qui lui fit immédiatement bonne impression. Les murs en bois étaient couverts de décorations alambiquées telles que des branches, des feuilles séchées et même une grande carte de l'Empire. Sur le mur de droite, un feu crépitait dans une vaste cheminée, générant une chaleur suffisante pour réchauffer la moitié de la pièce. Sur le parquet, une dizaine de tables rondes impeccables n'attendaient que des clients. L’endroit embaumait de senteurs de cuisine, mélange de viande cuite et d’épices légères, qui suffisaient à générer l’allégresse chez les gens de passage. Il se dégageait de la pièce une humeur chaleureuse, et Wilhelm aurait pu s'y sentir à son aise si elle n'avait pas été complètement vide. Bien sûr, à une heure aussi matinale, il était normal de ne voir personne attablé, mais il aurait imaginé voir passer des servants, des femmes de chambres, ou un cuisinier.
« Bienvenue au Joyeux Griffon, étrangers. » La voix venait de la gauche, et Wilhelm s'aperçut qu'il s'était trompé. Il y avait bien quelqu'un, mais celui-ci s'était trouvé derrière un grand comptoir situé à l'extrémité de la pièce. L'individu, de stature moyenne et à la bedaine proéminente, s'avança vers eux, un grand sourire éclairant sa face burinée et barbue. Il portait en effet une pilosité noire bien taillée qui lui couvrait les joues et le menton, et un tablier blanc par-dessus sa tunique. Cela, et le fait qu'il les accueillît ainsi, le désignait comme le propriétaire des lieux. Frère Félix s'avança alors vers lui, en lui rendant son sourire, et ils se serrèrent la main avec franchise.
« Que puis-je pour vous, étrangers ? » continua l'homme avec affabilité. « J'espère que la pauvreté de mon accueil ne vous rebute pas trop. Je suis Alfred Aschöne, propriétaire de ce bel établissement.
- Nullement, nullement, mon ami. Nous sommes ici en voyage, et ce village se trouve être sur notre chemin.
- Ah, mais je déroge à tous mes devoirs. Voulez-vous vous restaurer ? J'ai fait ce matin des pâtés de porc en croûte dont vous me direz des nouvelles.
- Mais bien volontiers. C'est fort aimable de votre part. »
L'aubergiste les pria de prendre place à l'une des tables, et s'en alla d'une démarche bondissante vers les cuisines. Alors que Frère Félix s'avançait, Guy l'interrogea avec un regard étonné.
« Je croyais que nous étions là pour nous ravitailler. Nous risquons de perdre du temps. »
Le prêtre lui répondit à voix basse en s'asseyant.
« C'est vrai, mais il se passe des choses étranges ici. Il semble manquer les trois-quarts de la population, et je veux savoir pourquoi. De plus, rappelez-vous, ce gamin dehors qui nous a parlé des 'élus'. Tout cela me semble mystérieux, et je tiens à en savoir plus. » Il jeta un œil en direction des cuisines avant d'ajouter : « cet aubergiste me paraît être la source parfaite, alors autant accepter son offre. »
Wilhelm devait admettre qu'il était d'accord avec le prêtre, mais n'en dit rien. Au même moment, Aschöne revint, transportant un plateau comportant un pâté et (cela sauta aux yeux de Wilhelm) quatre chopes de bière. L'homme s'était visiblement inclus dans le lot, ce qui n'était visiblement pas pour déplaire à Frère Félix, qui prit immédiatement les choses en main. L'aubergiste s'attabla avec eux, et pendant qu'il servait nourriture et boissons, l'ecclésiastique lui fit la conversation, arborant un air jovial au regard pétillant.
« Dites donc, maître Aschöne, c'est une fameuse bière que vous avez là » complimenta le prêtre en buvant dans sa chope. « Je ne m'attendais pas à trouver une telle qualité ici, je vous l'avoue. »
De son côté, l'aubergiste était tout sourire, et ne sembla pas remarquer ce que la réplique de Frère Félix avait de moqueur. « Oui, j'en suis assez fier » répondit-il d'un air enjoué. « Je la brasse moi-même, du moins quand j'ai le temps. Sinon, nous avons quelques réserves importées. »
Il prit alors un air de confidence, en se penchant par-dessus la table et en baissant la voix, comme pour dire un secret, mais sans se départir de son sourire.
« Et je vous conseille d'en profiter, car avec le manque de personnel je ne vais pas pouvoir en refaire. »
Ce fut le moment que messire Guy choisit pour intervenir dans la conversation.
« En effet » commença le chevalier en mimant un air badin de façon plutôt convaincante, « nous nous sommes aperçus que le village semblait peu peuplé. Vous avez eu des disparitions récemment ?
- Oh non, rien de si dramatique. Non, il se trouve juste que de plus en plus de gens ont rejoint les élus, et qu'ils ne sont toujours pas revenus. »
Wilhelm eut le plus grand mal à ne pas jeter un œil alarmé à ses compagnons de route, mais de toute façon l'aubergiste ne l'aurait pas remarqué, car Frère Félix reprit la parole aussitôt.
« Pardonnez mon ignorance, maître Aschöne, mais de quels élus parlons-nous ? »
L'aubergiste éclata de rire, et but une nouvelle lampée de sa chope. « Ah mais c'est vrai, vous êtes des étrangers » énonça-t-il comme si c'était la raison de son hilarité, « vous n'êtes sûrement pas au courant. Ces gens sont les élus du Grand Aigle, et ont été sélectionnés pour accomplir de grandes choses sous les conseils du patriarche. Moi-même, » fit-il en se tapant le torse de la main, « je suis assuré d'être bientôt parmi eux, et je ne tiens l'auberge que pour quelques jours au mieux à présent. Mais ça ne fait pas beaucoup de travail, au vu du peu de clients. »
Il fut cette fois impossible pour Wilhelm de ne pas échanger un regard avec son chevalier. Les yeux bleus grand ouverts de messire Guy confirmèrent qu’il était tout aussi inquiet que lui, mais ils ne pipèrent mot. Frère Félix, lui, garda son sang-froid et son sourire, s'attirant du même coup l'admiration de Wilhelm qui se doutait qu'en son fort, le prêtre était en train d'exploser. Mais ce dernier continua son interrogatoire comme si de rien n'était.
« Vous en ferez bientôt partie ? Mais c'est merveilleux. En réalité, nous avons entendu quelques histoires par-ci par-là sur ce Grand Aigle et ses bienfaits, mais c'est bien la première fois que nous pouvons côtoyer un futur élu. »
Le sourire de Frère Félix semblait sincère, et l'aubergiste n'y vit que du feu. Une sorte de bonhommie constante paraissait l'animer, et il avait l'air incapable de la moindre méfiance. Souriant comme si les compliments de Frère Félix l’avaient à peine affecté, il déclara d’une voix passionnée :
« Le Grand Aigle nous a sauvé. Les récoltes étaient mauvaises, les gens étaient au plus mal, comme si une malédiction s'était abattue sur nous. Et puis le patriarche est arrivé, avec ses pèlerins pourpres, et il nous a promis la protection du Grand Aigle, en échange de notre vénération. Nous avons été sauvés, tout le village a prospéré, et dès lors il est devenu un honneur de servir le Grand Aigle en tant qu'Elu. »
Aschöne les regarda à tour de rôle, puis reprit. « Le patriarche et les pèlerins passent demain matin, et il officiera au temple à neuf heures. Je suis certain qu'il sera ravi de vous rencontrer, surtout vous, que je devine prêtre. Si vous le désirez, vous pouvez loger ici, toutes mes chambres sont libres. »
Wilhelm était estomaqué. Sans sourciller, l'homme venait d'avouer une hérésie majeure devant un prêtre guerrier de Sigmar, et lui avait proposé de rencontrer celui qui diffusait l'hérésie en question. L'occasion semblait trop belle, et le mauvais pressentiment qu’il avait ressenti depuis leur entrée dans le village s'était accru. Tout cela commençait à sentir très mauvais. Il ses yeux croisèrent ceux de ses compagnons, et ils hochèrent tous les trois la tête alors qu’Alfred Aschöne marmonnait quelque-chose au sujet d’être enfin appelé parmi les élus. Frère Félix se tourna alors à nouveau vers l'aubergiste, ce dernier arborant toujours ce sourire chaleureux qui devenait troublant.
« Eh bien maître Aschöne, je pense que nous allons accepter. Cependant, je dois vous prévenir, nous serons six, car trois de nos compagnons doivent nous rejoindre d'ici peu. Nous allons aller à leur encontre, mais je pense que nous devrions être de retour dans quelques heures. »
L’autre répondit d’un ton jovial que ce serait avec grand plaisir, puis, arguant qu’il devait préparer les chambres dès maintenant, il se leva et gagna les escaliers, situés à gauche du comptoir, laissant Wilhelm, Guy et Frère Félix retrouver leurs chevaux.
*
« C’était de la pure stupidité, voilà ce que c’était. »
L’air revêche, Rottmann ne mâchait pas ses mots alors qu’ils cheminaient à nouveau, cette fois à six, vers le centre du village. Le répurgateur, qui n’avait jamais été très loquace durant le voyage, était désormais intarissable sur les raisons pour lesquelles le plan du prêtre-guerrier était mauvais. Les nombreux sillons de son visage s’animaient de concert quand il parlait, donnant à son expression une impressionnante plasticité. Et à cet instant il exsudait de colère. Sa voix de crécelle se répercutait dans les ruelles vides tandis qu’il faisait des grands gestes de la main pour appuyer ses propos.
« Maintenant nous nous jetons tout droit dans la gueule du gor, après avoir prévenu que nous étions là. C’est quand-même un comble de vouloir faire un voyage le plus discrètement possible et de s’annoncer dès que nous touchons au but. »
Frère Félix l’écoutait sans perdre une once de son calme habituel, et se défendait tant bien que mal.
« Mais de cette façon, nous avons un moyen rapide et efficace de rencontrer ce ‘patriarche’ et ces ‘pèlerins pourpres’, sans que cela n’éveille trop de soupçons. »
Rottmann renifla de dédain.
« Trop de soupçons ? Mais ils sont déjà éveillés depuis que vous êtes entrés. Il fallait faire profil bas, poser des questions à plus de monde pour qu’une seule personne ne soit pas au courant de tout ce que vous saviez, et ensuite faire mine de partir. Nous serions revenus demain matin, discrètement, et nous aurions pu ainsi nous approcher en connaissant mieux le périmètre. »
Malgré les critiques véhémentes de Rottmann envers le prêtre, Wilhelm ne pouvait s’empêcher d’éprouver beaucoup de sympathie pour ce dernier. Après tout, lui-même avait été très impressionné de voir Frère Félix diriger la conversation avec l’aubergiste. Le répurgateur lui paraissait à présent assez injuste dans ses critiques, mais il resta coi, d’autant que Frère Félix lui-même semblait prendre la remontrance avec philosophie.
« Vous avez raison, je le sais, mais je continue de penser que cela aurait pu être pire. Nous aurions pu tout simplement passer à côté de cette opportunité, et j’ai dû improviser sur place avec ce que j’avais de mieux. » Il prit soudain un ton plus dur. « Je ne suis pas certain que vous n’auriez pas éveillé les soupçons vous-même, avec votre idée d’interroger tout le monde. Et puis avec notre apparence, ou la vôtre, nous aurions forcément attiré toute l’attention des gens. Au vu du peu d’habitants restants, ils auraient vite fait de communiquer entre eux, et nous aurions été repérés tout aussi bien.
- Peut-être, mais au moins nous n’aurions pas logé dans une auberge en plein milieu du village. On risque de se faire prendre d’assaut à n’importe quel moment de la nuit, et ça n’a pas l’air de vous choquer.
- Certes, mais nous pouvons largement établir des tours de garde. Ces gens ne doivent pas vraiment être des foudres de guerre, et je les imagine mal nous prendre d’assaut avec efficacité.
- C’est ce que vous croyez. Moi je n’ai aucune confiance en ce genre de jugement hâtif. L’hérésie peut nous surprendre. »
C’est sur ces mots qu’il se tut, une expression exaspérée sur le visage – ce qui le faisait ressembler à un rapace en colère – et le reste du trajet dans les ruelles presque vides de Gullenburg se déroula dans silence pesant. Wilhelm était à présent méfiant à l’extrême. Ce que leur avait avoué l’aubergiste, combiné aux mots du répurgateur, l’avaient rendu très anxieux, et il s’attendait à moitié à voir les gens sortir soudainement des maisons et se jeter sur eux, armes à la main, en hurlant comme des déments. De leur côté, les autres semblaient être dans le même état. Habituellement assez volubile, Herr Gottfried fronçait à présent les sourcils, et il tournait la tête de temps à autre, faisant vibrer son énorme moustache. Guy, de son côté, gardait la main proche du pommeau de son épée, semblant prêt à dégainer à tout moment. Le visage du bretonnien était fermé, les sourcils froncés, et le mouvement de droite et de gauche de ses pupilles indiquait qu’il était en alerte. Seul Reiner n’avait pas l’air affecté, le jeune homme pâle gardant la tête droite avec son expression dépassionnée coutumière. C’était le genre de moment où Wilhelm enviait le détachement de son camarade, et lui-même eut le plus grand mal à ne pas sursauter quand un passant leur souhaita le bonjour avec un grand sourire béat. Sourire qui ne fit qu’accroître son malaise.
Ce sourire, Alfred Aschöne l’arborait encore lorsqu’ils revinrent au Joyeux Griffon et qu’il leur annonça que leurs chambres étaient prêtes. L’air encore plus intimidé qu’avant, Gilbert récupéra tout de même leurs chevaux avec enthousiasme, et ils suivirent l’aubergiste bedonnant à l’intérieur. De son pas léger, celui-ci les mena à l’étage, sur un palier d’une vingtaine de mètres carrés avec une dizaine de portes. Chacune menait à une chambre, à l’exception d’une pièce dédiée aux ablutions. Guy et Wilhelm partagèrent une pièce proprette et meublée, quoique sobrement, disposant de deux lits installés contre les murs. Les lits étaient raides, et les draps, quoique sans tâches, n’avaient visiblement pas servi depuis longtemps. Wilhelm posa son paquetage devant celui le plus près de la porte, sachant qu’il allait devoir faire plusieurs allées et venues lorsque Guy lui demanderait de lui chercher à manger, à boire, ou à effectuer telle ou telle tâche, comme il en avait l’habitude. Le chevalier, lui, arborait la mine soucieuse qui ne l’avait pas quitté depuis le début de la journée. Pourtant, alors que Wilhelm s’occupait de son paquetage, il entendit un bruit métallique derrière lui, et en se retournant il découvrit que Guy avait tiré son épée et le regardait désormais avec sourire espiègle.
« Voici venue l’heure de notre entraînement journalier, mon cher écuyer » s’exclama-t-il de sa voix puissante. « Descendons dans la cour. »
Et sans attendre de réponse, il s’élança vers la sortie tout en rangeant son arme, qu’il n’avait visiblement sorti que pour l’effet. Wilhelm se précipita à la suite de son chevalier, mais il s’arrêta vite : sur le palier, Guy faisait face à Rottmann, ce dernier le regardant d’un air pensif, passant et repassant la main dans son bouc. Sa voix nasillarde était cette fois plus douce qu’à l’accoutumée, signe qu’il ne voulait pas être écouté par l’aubergiste.
« Oui, allez vous entraîner si vous voulez. Après tout, nous avons déjà plus ou moins annoncé notre présence à tout le monde, alors autant vaquer à des occupations habituelles, quitte à nous donner en spectacle. Mais je vous éloignez pas », exigea-t-il, « il est trop risqué de nous séparer. Frère Félix et moi surveillerons les environs par les fenêtres. »
Ainsi, Herr Gottfried, Reiner, messire Guy et Wilhelm passèrent l’après-midi à ferrailler dans la cour de l’auberge, située juste à côté des écuries. Le temps était sec, le soleil brillant haut dans le ciel, et malgré le froid de la matinée Wilhelm ne tarda pas à être trempé de sueur. Rottmann avait parlé de ‘spectacle’, mais il y eut en réalité peu de spectateurs en-dehors de l’aubergiste et de Gilbert. Le premier passait de temps en temps alors que le deuxième les observa longuement. Ce genre d’évènement le sort certainement de ses occupations quotidiennes, pensa Wilhelm en jetant un œil au jeune palefrenier qui semblait captivé par leurs arabesques. Gilbert semblait fasciné, et au fur et à mesure que l’entraînement se déroulait il les regardait tous avec une admiration non feinte. Le soir venu, chevaliers et écuyers prirent tous un bain, qu’ils accueillirent avec allégresse tant cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas eu l’occasion d’en profiter. En effet, le train de voyage imposé par le répurgateur les avait souvent forcés à se laver de façon sporadique, dans l’eau glacée de ruisseaux ou de rivières.
Wilhelm fut d’ailleurs agréablement surpris de trouver un miroir dans la pièce dédiée aux ablutions. L’image que lui renvoyait le cercle de métal poli portait un visage à qui les années avaient fini par donner une forme anguleuse, à la mâchoire carrée surplombée par deux petits yeux fins et noirs. Un début de barbe tapissait ses joues, montrant qu’il n’avait pas pu se raser depuis le début de leur voyage. Ses cheveux coupés courts, noirs eux aussi, et sa légère tendance à se montrer peu souriant au naturel, donnaient à ses traits un maintien martial et fermé. Pendant un instant, il dévisagea son reflet, se disant qu’il n’était pas étonné qu’en son temps à Nuln, Dieter ait été celui qui avait eu le plus de succès auprès de la gente féminine. Mais il se tira vite de cet excès de vanité passager, se rhabilla en vitesse et rejoignit les autres.
Ils prirent leur repas dans la salle commune de l’auberge, qui se révéla être plus peuplée le soir que lors de leurs précédents passages. Cependant, plusieurs tables restèrent vides, signe évident du dépeuplement des lieux. Le dîner leur fut servi avec beaucoup de retard par un Aschöne qui s’excusa mille fois en exposant le fait qu’il était seul en cuisine et qu’il fallait que tout le monde soit servi. Son importante charge pondérale tressautait à chaque fois qu’il s’inclinait devant ses hôtes, le même sourire béat toujours vissé sur son visage. Pendant le repas, Herr Gottfried demanda d’un air malicieux à Frère Félix si qui que ce soit avait tenté de venir les assassiner pendant la journée, en étant bien conscient que Rottmann avait entendu. Le prêtre guerrier répondit d’un ton égal que tout avait été calme, mais qu’ils ne devraient pas relâcher leur surveillance la nuit. Le répurgateur, lui, ne daigna même pas faire mine d’avoir entendu, mais il se renfrogna d’avantage, ce que Wilhelm n’aurait pas cru possible, et n’adressa plus la parole au kasztellan pendant le reste du repas.
Une fois leur pitance avalée, et leur groupe remonté à l’étage des chambres, c’est le visage sérieux que les deux ecclésiastiques insistèrent pour qu’une surveillance soit établie pendant la nuit. Ils étaient les seuls clients à dormir dans l’établissement, permettant de faciliter la chose. L’idée ne plut que moyennement à Herr Gottfried, qui aurait visiblement apprécié sa nuit de sommeil dans un vrai lit. Guy n’avait pas non-plus l’air enchanté par cette perspective, mais il ne dit rien. Ainsi, des tours de garde furent organisés, chacun devant observer le palier depuis la porte entrouverte de sa chambre et garder l’oreille aux aguets. Wilhelm démarra le sien tard dans la nuit, secoué par un Herr Gottfried passablement sur les dents qui lui exposa sans ménagement qu’il était « pressé de retourner se coucher après une heure passée à faire des pitreries dignes d’un Hochlander pour satisfaire l’ego d’un zélote ». La verve du kasztellan Von Urlauberg est bien la dernière chose qui le quittera, songea alors Wilhelm avec amusement tout en s’installant sur sa chaise, vu que sa langue est aussi acérée après une heure passée à attendre au beau milieu de la nuit. Cependant, son humeur s’assombrit en quelques minutes. En effet, pendant le repas il avait eu l’impression d’être observé. S’en étant ouvert à Rottmann une fois loin des villageois, ce dernier avait haussé les épaules. « On a souvent ce genre d’intuition quand on s’attend à être surveillé. Quelquefois c’est justifié, mais d’autres fois c’est le simple produit de notre imagination. Cependant, que vous soyez observé ou non, ces sensations ont un avantage : vous serez sur vos gardes. » Et sur ses gardes, Wilhelm l’était. Assis devant la porte, il écoutait autant qu’il observait. Le sentiment qu’on le regardait fixement était toujours présent, et à tout instant il s’attendait à entendre un bruit de pas, un cri, ou à voir une forme se déplacer silencieusement derrière la porte. La main sur la poignée de son épée, il se tenait sur le qui-vive, prêt à bondir. Mais les seuls bruits qui troublaient le silence étaient les ronflements de Guy et ceux, plus lointains, de Frère Félix. Au bout d’une heure, il finit par se lever, et il alla réveiller son chevalier, le tour de veille de celui-ci étant venu. Guy avait eu l’air presque normal pendant toute l’après-midi, s’étant entraîné avec un allant qui était semblable à celui qu’il avait d’habitude. Mais il avait retrouvé son humeur sombre lors du repas du soir, et il avait fallu que Herr Gottfried interdise à maître Aschöne de lui rapporter plus de bière (bière dont Guy se plaignit d’ailleurs tout le dîner, braillant qu’elles n’étaient pas aussi bonnes que le vin bretonnien) pour l’empêcher de se souler à mort. Ainsi, c’est en grommelant que messire Guy alla se poster près de la porte, tandis que Wilhelm retournait au pays des songes pour les dernières heures de la nuit.
Le lendemain matin, Rottmann les réveilla à six heures tapantes, avec sa douceur coutumière : en ouvrant la porte d’un coup de pied et en leur hurlant presque dans les oreilles qu’ils devaient se préparer séance tenante. Une décennie plus tôt, cela aurait déclenché chez Wilhelm une réaction quelque peu violente, mais trois années passées à l’académie militaire et trois autres dans le Fort de Sang l’avaient habitué à ce genre de situations. Il se leva ainsi immédiatement pour s’équiper et aider messire Guy à faire de même, ce dernier étant encore un peu grognon du fait de sa forte consommation d’alcool de la veille.
Le petit déjeuner fut sommaire, car l’aubergiste ne s’était levé que quelques minutes avant eux, et il ne put leur fournir plus qu’une miche de pain à partager ainsi que du fromage et de l’eau. À défaut d’être délicieux, ce repas eut le mérite de leur tenir au ventre. Ils le passèrent à mettre au point leur approche de la situation. Visiblement très en forme, Rottmann leur expliqua qu’il comptait mettre la main sur le fameux ‘patriarche’ avant même que celui-ci ne puisse délivrer un quelconque sermon, maintenant que la présence d’une hérésie en ce lieu était prouvée. Herr Gottfried, qui lui aussi avait l’air bien réveillé en dépit de ses grommellements au sujet des tours de garde, accepta. Mais il insista pour que l’homme soit laissé en vie, rappelant d’une voix ferme qu’il était nécessaire que le grand-maître puisse l’interroger directement. Le répurgateur sembla renâcler à cette idée, mais il ne protesta pas. Un plan fut alors rapidement décidé : le patriarche serait immédiatement arrêté et emmené à cheval en direction du Fort, en le faisant monter à califourchon sur la monture de l’un d’entre eux. Pour que les villageois ne puissent pas les en empêcher, les chevaux devraient être prêts et scellés. Quant aux ‘pèlerins pourpres’, ils devraient être écartés du chemin, et arrêtés si besoin. À un moment, Frère Félix se leva, et paré de son plus beau sourire il alla parler à l’aubergiste. Quelques secondes plus tard, il revint en les informant que le patriarche serait présent dans le temple, temple qui avait d’ailleurs été transformé en chapelle du Grand Aigle. Son sourire avait alors complètement disparu, remplacé par une expression mélangeant tristesse et colère, et Wilhelm put voir à quel point imaginer une telle profanation d’un lieu aussi sacré l’avait affecté.
À sept heures du matin les six hommes partirent à cheval de l’auberge du Joyeux Griffon pour aller rejoindre la fameuse chapelle, située un peu plus loin vers la périphérie du village. Gilbert leur avait rendu leurs montures en baillant toutes les trois secondes, mais les chevaux avaient été bichonnés toute la journée de la veille, et Herr Gottfried lui donna un petit pourboire en le remerciant chaleureusement. Le jour se levait à peine, le soleil commençant à se deviner entre les arbres et les maisons, chassant la brume nocturne. Wilhelm n’en était pas réchauffé pour autant, grelottant sous sa cote de maille et son manteau. Ils étaient en effet tous équipées du mieux qu’ils pouvaient, les chevaliers et écuyers ayant revêtu cotte de maille, camail et gambison, tout en s’armant de leurs épées et boucliers. Reiner avait de plus une aumônière avec plusieurs pistolets dissimulée sous son manteau, même si mein Herr Von Urlauberg en désapprouvait l’utilisation chez un chevalier. Mais seulement une partie du cerveau de Wilhelm s’attardait sur le froid, le reste étant tout entier occupé à réfléchir. Nous allons passer à la partie dangereuse de la mission dans peu de temps, pensait-il avec excitation tout en agrippant les rennes de son cheval, jetant des regards circonspects aux bâtiments autour de lui. Dans peu de temps, tous ces gens risquent de nous en vouloir à mort. Il va falloir que nous soyons efficaces, et partir rapidement sans blesser personne. Ces gens sont sous notre protection, même contre leur gré.
Leur chevauchée fut tranquille mais de courte durée. En quelques minutes, ils arrivèrent en vue du temple, embrassant du regard ce bâtiment de pierres solides assemblées bien des années auparavant. Gullenburg était un village modeste, et ainsi cet édifice n’était pas un fleuron de l’architecture gothique tel que ceux trouvables à Middenheim ou Altdorf, mais cela n’empêcha pas Rottmann et Frère Félix de se signer gravement à sa vue. L’église était tout de même respectable, avec un haut clocher dominant les toits environnants et de nombreux vitraux sur son pourtour. Quelques personnes étaient présentes sur le parvis, mais l’endroit était relativement désert, et ils n’eurent aucun mal à attacher leurs chevaux devant la lourde porte en bois.
Une fois à l’intérieur, Wilhelm dut s’habituer momentanément au manque de lumière. Malgré la présence des vitraux et de plusieurs chandeliers stylisés aux couleurs criardes, il faisait plus sombre qu’à l’extérieur. Alors que sa vue se faisait à la relative pénombre, il eut un instant d’arrêt et ouvrit des yeux ronds. Il y avait bien les colonnades, les bancs et l’autel propres à chaque temple, mais l’endroit était beaucoup moins austère que son apparence externe le laissait supposer. En sus des chandeliers, il y avait de grandes tentures bleu turquoise, qui recouvraient les murs de pierre nue de l’édifice, et sur chacune d’elle on pouvait voir un symbole : un œil unique, aux multiples couleurs vives. Ces emblèmes ravivèrent l’impression de Wilhelm d’être observé, et c’est en les regardant d’un air méfiant qu’il se remit à marcher. Jusqu’à rentrer dans le dos d’un de ses compagnons qui n’avait pas bougé.
Il recula en bredouillant une excuse, s’apercevant qu’il avait percuté messire Guy, mais ce fut inutile. Le chevalier semblait ne même pas s’être rendu compte de l’impact, restant parfaitement immobile, le regard rivé devant lui, alors que les autres contemplaient encore la décoration ostentatoire. Wilhelm s’avança aux côtés du bretonnien, cherchant ce qui avait pu attirer ainsi son attention. L’heure matinale faisait qu’il n’y avait pas grand-monde autour d’eux, mais manifestement messire Guy était obnubilé par deux personnes qui s’entretenaient de l’autre côté des rangées de bancs. L’un d’entre eux était définitivement un homme alors que l’autre, de dos, était une femme plutôt petite. Guy se mit à avancer lentement vers eux, et Wilhelm le suivit, cherchant ce qui avait pu retenir le regard de son chevalier chez ces deux individus. En se rapprochant d’eux, il vit que l’homme était presque aussi chauve que Frère Félix, vêtu d’une robe sombre et d’une pèlerine, et il s’adressait avec un sourire chaleureux à son interlocutrice. Son visage rond et aimable lui rendait l’air affable, presque paternel, et Wilhelm devina presque aussitôt qu’il s’agissait sûrement du fameux ‘patriarche’.
Ce dernier acheva sa phrase, et au bout d’une seconde de silence la femme à qui il s’adressait fit volte-face et se retourna vers la sortie, faisant à présent face à Wilhelm.
Qui oublia tout le reste.
Il s’agissait moins d’une femme que d’une jeune fille, qui ne devait pas avoir plus de dix-huit ou dix-neuf ans, au visage svelte et gracieux encadré par une cascade de cheveux noirs, soigneusement coiffés en une longue natte. Elle avait un nez légèrement pointu, des joues fines et une bouche délicate et rosée. Ses yeux en amande, d’une couleur indéfinissable, semblaient lui donner l’air de descendre d’une noble lignée, bien que le reste de sa vêture ne le démente. Elle portait en effet une robe élaborée mais sans fioritures, de couleur bleu ciel avec les manches et le corset d’une teinte plus foncée, et pas le moindre bijou. Pourtant, sa démarche avenante fit penser à Wilhelm aux arabesques des grandes dames qu’il avait quelquefois vues à Wissenburg. Elle avait un pas souple, presque félin, qu’il détailla à loisir alors qu’elle se rapprochait. Il s’aperçut alors qu’elle était manifestement en colère, ses yeux magnifiques étant froncés et sa bouche tirée. Un sentiment de fureur l’envahit. Qui, qui aurait eu l’audace de contrarier ainsi une si ravissante personne ? Il voulait la venger, séance tenante. Il se rendit soudain compte qu’il avait la main serrée sur la poignée de son épée, et que la jeune femme l’avait dépassé. Sans se soucier le moins du monde du reste des lieux, il se retourna, espérant la voir à nouveau, mais se faisant il se cogna presque sur le plastron de métal de Frère Félix.
« Eh bien, jeune homme, fait attention, » fit le prêtre avec un sourire complice, une main posée sur son marteau, « tu pourrais allumer un feu avec tes yeux. »
Sans l’écouter, Wilhelm s’apprêta à le contourner pour rechercher la vision tant espérée, mais un bruit métallique caractéristique lui fit instinctivement tourner la tête. C’était le bruit d’une épée que l’on sort de son fourreau. Et il s’aperçut alors avec stupeur que messire Guy avait dégainé et qu’il s’avançait lentement vers le patriarche, lame au poing. Il ne pouvait plus voir son visage, mais au vu de la réaction terrorisée des quelques personnes qui se trouvaient devant lui, il devait porter un masque de rage et de meurtre. Le patriarche, lui, ne paraissait même pas l’avoir remarqué. Wilhelm s’aperçut à cet instant de la présence d’autres individus en tenues ecclésiastiques : une douzaine d’hommes vêtus de robes de la même couleur que celle du patriarche les encadraient tous à présent, à quelques mètres de distance. Ils semblaient prêts à intervenir, bien qu’aucune arme ne soit visible entre leurs mains. Les pèlerins pourpres, réalisa-t-il. Sommes-nous tombés de plein gré dans la gueule du gor ? Guy ne leur accordait pas la moindre attention.
Herr Rottmann fut plus rapide que tout le monde. Se précipitant vers le bretonnien, il lui saisit le poignet d’épée pour l’empêcher d’aller plus loin. Guy réagit alors au quart de tour, et son bras gauche tenta d’asséner un coup de poing au répurgateur. Ce dernier esquiva l’attaque et attrapa l’autre bras du chevalier sans lâcher sa prise. Puis, il planta son regard dans les yeux furieux de Guy, et sa voix fut aussi dure que l’acier de sa rapière.
« Un pas de plus, et je vous arrête pour tentative de sabordage d’une affaire de l’inquisition, chevalier ou pas. Nous avons besoin de cet individu, sur ordre de votre propre grand-maître. Est-ce clair ? »
Guy tenta vainement de se libérer, et quand Wilhelm se rapprocha il s’aperçut que son chevalier portait une expression qu’il ne connaissait pas et qui lui fit reculer d’un pas. Les yeux presque exorbités, le regard pénétrant, et les dents serrées, Guy semblait quasiment avoir perdu la raison. Mais la poigne de fer du répurgateur ne voulait rien savoir. « Est-ce clair ? » répéta ce dernier.
Guy ferma les yeux, poussa un long soupir, puis les rouvrit. « Oui » finit-il par marmonner entre ses dents. Mais Rottmann ne se laissa pas avoir. « Vraiment ? » questionna-t-il, sa voix paraissant encore plus aigüe. Sa propre expression était rageuse, mais ses gestes étaient mesurés, contrôlés. Il semblait prêt à éclater, mais il apparut à Wilhelm que le répurgateur devait certainement savoir maîtriser sa colère. D’ailleurs, Frère Félix, à ses côtés, n’avait pas l’air de s’inquiéter outre mesure. Herr Gottfried, par contre, rougit de fureur à tel point que ce fut visible malgré le manque de lumière, et fit mine d’aller défendre son subalterne chevalier, mais le prêtre-guerrier leva une main pour lui barrer le chemin. Reiner ne bougeait pas, tout en étant manifestement prêt à intervenir lui aussi. La situation semblait soudain très tendue. Le patriarche les observait à présent, les mains dans le dos, et la lueur dans ses yeux fit douter à Wilhelm de la sincérité de son expression débonnaire. Les pèlerins pourpres, eux, paraissaient moins à l’aise, mais ils ne les quittaient pas non-plus du regard, fixant notamment Guy avec un air peu amène. Sans paraître se rendre compte de cette attention, ce dernier finit par acquiescer à Rottmann. « Oui, c’est bien clair messire. Mille excuses, je me suis laissé emporter. »
Le répurgateur le lâcha, et Guy rengaina silencieusement son épée. Herr Gottfried donna l’impression de se détendre, mais Wilhelm était sûr que si ses yeux pouvaient faire feu, Rottmann serait criblé de plomb. Wilhelm profita du retour relatif au calme pour jeter un regard autour de lui à la recherche de la jeune fille, afin de s’assurer qu’elle n’avait pas été effrayée par l’attitude de son chevalier, mais il ne vit que les hommes en robes et ses compagnons, le reste lui étant caché par leur présence. Il se dit avec tristesse qu’elle était peut-être sortie.
Rottmann ne perdit pas un instant après cet évènement, et s’avança vers le patriarche d’un pas décidé, le claquement de ses bottes résonnant avec force. Les autres le suivirent, comprenant instinctivement qu’il avait ainsi prit la direction des choses. Le répurgateur se planta devant le patriarche (dont Wilhelm voyait à présent que sa robe était rouge foncé), le dominant de sa haute taille, son chapeau le rendant encore plus impressionnant, et lui déclara de sa voix si particulière : « Bien le bonjour, monsieur. Avec votre permission, ou même sans, vous allez à présent répondre à mes questions sans mentir ni omettre de vérité. Est-ce bien compris, par Sigmar ? »
L’aplomb de Rottmann sembla prendre les pèlerins pourpres de court, car ils se rapprochèrent soudain à l’annonce du nom du dieu de l’Empire, avant qu’un geste discret du patriarche ne les fasse s’arrêter. La voix de ce dernier s’éleva alors, calme et posée. « Si vous le désirez, meine Herren. Mais permettez que nous échangions dans un endroit plus approprié ? Il y a justement une pièce attenante à celle-ci... »
Et sans laisser le temps à quiconque, il s’éloigna de Rottmann dans un tourbillon de sa robe et partit en direction de l’extrémité droite du temple, accompagné de plusieurs de ses subordonnés. Le répurgateur se tourna légèrement vers ses propres compagnons.
« Je l’accompagne » dit-il d’un ton sans réplique. « Mais surveillez mes arrières. »
« Je viens avec vous » annonça sombrement Guy. Ce n’était pas une question.
Rottmann et lui se jaugèrent du regard en silence pendant une seconde. « Uniquement si vous me laissez parler sans intervenir » décréta le répurgateur. Ce n’était pas non plus une question.
Ils partirent tous les deux à la suite du patriarche, et Wilhelm les accompagna, n’étant pas censé quitter son chevalier sauf sur instruction précise de celui-ci. Rottmann ne sembla pas lui en tenir rigueur, agissant tout bonnement comme s’il n’existait pas. Ils quittèrent la grande salle du temple pour s’aventurer dans un couloir de pierre à peine assez large pour qu’ils avancent à deux de front. Wilhelm était sur ses gardes, et Guy, les sourcils froncés et la bouche serrée, semblait en proie à une tension extrême. Rottmann avait l’air détendu, sa démarche ne trahissant aucun désarroi, mais Wilhelm le connaissait assez maintenant pour se douter que ce n’était qu’une façade. Le répurgateur au manteau de cuir relâchait-il seulement son attention une seconde ?
Le patriarche les mena dans une petite pièce, dont la porte se trouvait sur leur droite en arrivant. Au moment d’entrer, Wilhelm vit un mouvement couleur bleu en périphérie de sa vision, mais avant qu’il n’ait pu en chercher l’origine, Rottmann lui ordonna sèchement de fermer la porte derrière lui.
La salle dans laquelle ils se trouvaient à présent était bien plus petite, de forme carrée, et d’une certaine austérité. Wilhelm devina qu’elle avait dû servir à la préparation du prêtre avant et après les offices, car elle était garnie d’armoires contenant selon toutes vraisemblance des robes et des parures diverses et variées. Deux grandes fenêtres, située presque hors de portée du fait du haut plafond, éclairaient l’endroit, et un banc de pierre se situait au fond. Pour autant, le patriarche l’ignora, se plaçant au centre, et il fut rapidement entouré par ses six serviteurs. Ceux-ci avaient toujours l’air revêche, la mâchoire crispée, mais leur chef paraissait garder la tête froide, caressant négligemment les nombreuses bagues de ses mains ridées.
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Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun
Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Ven 2 Aoû 2019 - 0:03
« Ainsi donc, » finit-il par dire sur un ton doucereux, « vous êtes venus m’arrêter. »
Rottmann ne se laissa pas déstabiliser par l’infériorité numérique. Guy et lui s’avancèrent vers les hommes en robe, laissant Wilhelm près de la porte.
« Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? » Répondit le répurgateur d’une voix où transparaissait un certain cynisme. Il avait les bras croisés, et toisait les présumés hérétiques de tout le mépris de ses yeux noirs. L’autre reprit la parole en secouant la tête.
« Enfin, ne me prenez pas pour plus bête que je ne le suis. Vous portez la tenue des templiers de l’homme-dieu, vous venez en invoquant son nom, armés jusqu’aux dents, et vous pensez que je vais vous prendre pour autre chose ?
- Ce pour quoi vous me prenez n’a aucune importance. Ce qui est important c’est ce que vous avez à dire. Avez-vous oui ou non diffusé des idées hérétiques sur le territoire de l’Empire de Sigmar ? »
Rottmann gardait son calme, mais ses questions étaient directes. Manifestement, il était pressé d’en finir, étirant nerveusement sa fine moustache. Mais le patriarche se contenta de répondre calmement :
« Non. »
« Permettez-moi d’en douter » reprit le répurgateur barbu d’une voix quasi incisive. « J’ai eu plusieurs témoignages attestant que vous étiez venu prêcher la parole d’une divinité nommée le ‘grand aigle’, que vous auriez poussé les gens à se détourner de Sigmar, et que vous auriez même fait disparaître plusieurs personnes en les emmenant avec vous. »
Le patriarche ne cilla pas. Son visage devenait de plus en plus sérieux cependant. « Cela, je ne le nie pas » déclara-t-il. « Je me contente de nier votre accusation d’hérésie. »
Rottmann le fixa du regard. « Comment ? » Il semblait soudain plus étonné que scandalisé.
« L’hérésie est une question de point de vue. Selon votre dogme, c’est moi qui suis hérétique, mais selon le mien c’est vous qui l’êtes, et moi pas. Je réfute donc votre accusation.
- Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi. Votre dogme semble contraindre des hommes et des femmes à abandonner leur foyer, leurs amis et leur famille, tout cela pour servir je ne sais quel but.
- Ces hommes et ces femmes sont venus de leur plein gré, afin de suivre l’enseignement du Grand Aigle. Ils seront élevés, et reviendront à leur foyer avec les sens étendus.
- Et l’homme à tête d’oiseau, c’est lui qui doit leur apprendre ? »
Le patriarche comme le répurgateur se tournèrent immédiatement vers Guy. Celui-ci faisait les cent pas dans la pièce, le visage déformé par un rictus de rage.
« Messire Guy, que voulez…
- Est-ce que vous comptez répandre ici le même mal qu’en Bretonnie ? Vous et votre maître abject méritez seulement de mourir !
- Messire G…NON ! »
Mais il était trop tard. Sous les yeux ébahis des gens présents, Guy avait plongé vers le patriarche, dégainant son épée et repoussant Rottmann dans un même mouvement. L’arme s’abattit, et le vieil homme tomba en criant. Rottmann tira alors Guy en arrière, sa propre lame soudainement au poing, alors que les pèlerins pourpres s’abattaient sur eux. Ils brandissaient des armes ouvragées, mais leur expérience du combat sembla à cet instant bien moindre que celle de leurs deux adversaires. Wilhelm tira sa propre arme, mais avant qu’il ne puisse intervenir deux d’entre eux étaient déjà à terre, lacérés en de nombreux endroits.
« ASSEZ ! »
Le cri du patriarche sembla figer un instant la scène. Wilhelm, son arme levée, fut surpris que le vieil homme fût toujours en vie, bien que sérieusement blessé. Sa robe était déchirée par une longue blessure qui traçait une ligne de sa poitrine à son flanc gauche, et son sang s’écoulait rapidement. Les pèlerins s’étaient arrêtés, mais Guy porta un violent coup à celui le plus proche de lui et s’avança vers le patriarche. Ce dernier, peinant à tenir debout, appuyé sur une armoire, brandit alors devant lui sa main droite, le poing fermé, sur lequel une de ses bagues brillait d’un éclat rosé non naturel. À la vue de cet étrange phénomène, le chevalier bretonnien hésita. La voix du vieil homme était pleine de haine à présent, sifflant alors qu’il reprenait son souffle, et son regard était presque aussi brillant que sa bague.
« Vous qui avez osé profaner mon corps, et qui tentez d’anéantir notre œuvre, vous, je vous condamne, séance tenante, à la mort ! »
Et soudain, un immense brasier de flammes multicolores le couvrit, l’immolant totalement. Guy recula, une main devant les yeux, de même que tous les autres belligérants. Une immense lumière envahit la pièce, et s’évanouit en un instant. Quand les flammes disparurent, il ne restait plus aucune trace du patriarche, mis à part quelques traces de sang et des brûlures sur les meubles là où il s’était tenu. Rottmann, Guy, Wilhelm, et les trois pèlerins restants avaient les yeux fixés sur cet emplacement.
Tout à coup, un cri strident retentit, venant de juste derrière la porte. Cela sembla réveiller la combativité des personnes présentes, car Guy, Rottmann et leurs trois adversaires se lancèrent à nouveau dans leur danse de mort. Mais Wilhelm n’en avait cure. Il s’était rué sur la porte, derrière lui, un affreux doute à l’esprit. Le tourbillon bleuté qu’il avait aperçu avant d’entrer lui revint en tête, et si ses craintes se réalisaient…
Il fut dans le couloir une demi-seconde plus tard, et vit tout de suite ce qu’il cherchait. Sur le sol, devant lui, se trouvait deux formes qui se débattaient. L’une était sombre, poilue, tandis que l’autre était vêtue d’une robe bleue. Et elle hurlait.
Wilhelm ressentit un immense froid, suivi d’une sensation de haine intense. Il se jeta sur eux, hurlant à plein poumon, et trouva instinctivement le moment décisif. Son épée plongea, la forme sombre s’écroula en couinant. L’instant suivant, il l’attrapait, et la lança au loin, à peine surpris qu’une créature d’un mètre-cinquante de haut soit si légère. Il se tourna vers la jeune fille qu’il venait de secourir, cherchant des yeux si elle n’était pas blessée, et trouva son regard.
Il s’y plongea.
Wilhelm n’avait jamais vu des yeux aussi beaux. Leur forme en amande quasi-parfaite lui évoquait les récits parlant d’exotiques terres lointaines, où les femmes sont aussi belles que le soleil. L’iris, d’une couleur bleue sombre, en faisait deux magnifiques lacs brillant sous la lune. Il remarqua toutes les émotions qu’exprimaient ces yeux. L’espoir, la reconnaissance (pour lui, il en était persuadé), la surprise, la peur.
La peur ?
Il s’aperçut alors que la jeune femme devant lui tremblait. Du sang coulait le long de sa tempe, et elle portait des traces de griffures qui déchiraient ses manches. Elle était par terre, à moitié appuyée sur ses genoux et ses bras. Il essaya de se calmer, et lui tendit une main.
« Tout va bien », s’entendit-il dire comme dans un rêve, « vous allez bien ? »
Elle accepta son aide et se releva rapidement, tétanisant presque Wilhelm sur place par la douceur de son toucher tout en le surprenant par sa vigueur. Elle semblait plus rassurée maintenant. « Je vais bien » lui répondit-elle d’une voix qui lui rappelait le chant des rossignols, « merci beaucoup. ». De fait, elle semblait aller un peu mieux, ses tremblements ayant diminué. Elle le lâcha, et le dévisagea soudain. « Et vous, vous allez bien ? ».
Il s’aperçut alors qu’il n’avait pas quitté ses yeux du regard, et sursauta. « Oui, ça va », balbutia-t-il en fixant le sol.
Bravo, s’admonesta Wilhelm en son for intérieur, comme première impression on repassera. Tu viens certainement de passer pour un abruti. Instinctivement, il arracha un morceau d’étoffe de sa tunique et retira un lacet de sa chemise, afin de bander le bras de la jeune fille. L’opération ne fut pas des plus aisées – à cause des tremblements – mais il s’appliqua. Tous deux observèrent un silence de plomb pendant qu’il procédait hâtivement. Une fois fini, il eut le plus grand mal à ne pas rechercher à nouveau le regard de la jeune fille. Ses yeux se perdirent sur les pierres grises qui dallaient le sol, et tombèrent sur la forme sombre qu’il avait jetée quelques secondes plus tôt. Elle lui disait vaguement quelque-chose.
« Par tous les dieux ! » Hurla-t-il soudain. « Venez avec moi ! » Saisissant le bras de celle qu’il venait de secourir – dont j’ignore encore le nom, pensa-t-il, quel idiot je fais – il se rua dans la salle qu’il venait de quitter. Sa nouvelle connaissance était encore sous le choc, et elle poussa un léger cri quand il l’attira à l’intérieur. Là, ils virent messire Guy et Albrecht Rottmann achever le dernier pèlerin, l’épée du chevalier lui tranchant l’abdomen d’un revers rageur. La jeune femme écarquilla les yeux et mit la main devant sa bouche, horrifiée. Wilhelm, tiraillé entre l’envie de la rassurer et celle de parler à son chevalier, eut un instant d’hésitation, qui suffit à Rottmann pour darder sur lui son regard perçant.
« Que fait-elle ici ? » Demanda-t-il d’une voix méfiante. Il ne faisait aucun doute qu’il se souvenait de l’avoir déjà vu dans la grande salle.
« Tout va bien » l’assura Wilhelm. « Elle va bien ». Il réalisa alors que ce n’était certainement pas la réponse que le répurgateur attendait, et sans lui laisser le temps de reprendre, il se tourna vers messire Guy. Ce dernier jetait des regards colériques alentours, comme si cela allait suffire à ramener l’étrange vieillard qu’il avait n’avait réussi qu’à blesser.
« Des hommes-rats, messire Guy ! » parvint à articuler Wilhelm en reprenant son souffle. « Il y a des hommes-rats ici ! »
Cela fut suffisant pour débloquer la situation. Guy et Rottmann concentrèrent leur attention sur lui.
« Où donc ? » demanda prestement Guy alors que l’autre répondait en même temps « Des skavens, ici ? »
Wilhelm n’eut pas le temps de leur dire quoi que ce soit. Un concert de couinements et de hurlements bestiaux se fit entendre à cet instant précis, venant de plus loin dans le temple. Rottmann brandit sa rapière et se précipita vers la porte.
« Vite, sortons ! » cria-t-il. Wilhelm lui emboita le pas, tenant toujours la jeune fille par la main. Celle-ci se laissait guider, en l’agrippant elle-même de son côté, n’ayant manifestement pas l’intention de laisser ce secours providentiel s’échapper. Il pouvait l’entendre murmurer des « par tous les dieux » paniqués, et il dut résister au besoin impérieux de tourner la tête pour la réconforter. Guy courrait derrière eux, épée en main lui aussi, son armure tachée par le sang de ses précédents adversaires. Menés par le répurgateur, tous quatre remontèrent le couloir en courant et arrivèrent dans la salle principale du temple, où les attendait une scène de carnage sanglant.
Frère Félix, Herr Gottfried et Reiner étaient dos à dos, armes en main, au centre de la pièce, entourés des corps ensanglantés de plusieurs pèlerins pourpres. Une dizaine d’autres les encerclaient, armés eux aussi de lames stylisées. Mais ces hommes, quoique plus nombreux, semblaient à présent maintenir une certaine distance, leurs ardeurs étant comme refroidies par la vue des cadavres au pieds des trois guerriers. Les portes extérieures étaient grandes ouvertes, laissant échapper des cris d’alarme et des hurlements. Aucun autre être vivant n’était visible, les habitants de la ville ayant de toute évidence fuit les lieux.
« Des skavens ! » cria Rottmann sans s’arrêter de courir. « Aux chevaux, vite ! »
Cette clameur inattendue déconcentra momentanément les pèlerins pourpres. Ce fut suffisant pour Reiner, qui dégaina un pistolet et abattit l’un d’entre eux d’un coup de feu qui retentit partout dans le temple. Profitant de cet avantage soudain, les trois hommes chargèrent, tentant de briser le cercle de leurs assaillants encapuchonnés. Wilhelm était tiraillé entre l’envie de leur venir en aide et celle de ne pas exposer au danger la jeune femme qu’il tenait toujours fermement. Il s’aperçut que les autres avaient déjà fait leur choix : Rottmann fonçait vers la sortie et messire Guy partait vers les pèlerins en hurlant « pour la daaaaaame ! ».
Au même moment, dans une cacophonie de hurlements, les hommes-rats envahirent la pièce. Leur masse grouillante jaillit du couloir d’où Wilhelm était sorti quelques instants plus tôt, en poussant des cris et des couinements stridents que le jeune écuyer aurait aimé ne plus jamais entendre de sa vie. Ils étaient des dizaines, et des dizaines encore. C’était comme si le cauchemar reprenait vie, ce cauchemar qu’il avait bien cru terminé depuis l’effondrement de l’accès aux mines du Wissenland, trois an plus tôt. Son cerveau avait du mal à appréhender tout ce qui était en train de se produire, et instinctivement il repoussa toute émotion inutile pour se concentrer sur le présent : il devait s’échapper, et sauver la jeune fille qu’il refusait de lâcher. Cette priorité en tête, il se précipita avec elle vers l’extérieur.
Au centre de la salle, la vue de ce bretonnien au regard meurtrier foncer sur eux en beuglant fut de trop pour les pèlerins pourpres, qui s’éparpillèrent dans le chaos ambiant. Guy fit mine de les poursuivre, mais Herr Gottfried l’attrapa par le bras, et lui hurla : « On sort, Guy. Maintenant ! » Wilhelm, de son côté, l’épée toujours en main, était déjà devant la porte. Les autres, menés par Frère Félix qui les haranguait, n’étaient pas loin derrière. Ils devançaient les hommes-rats qui investissaient la salle, transformant le lieu de culte et de sérénité en une scène de chaos monumentale. Les pèlerins pourpres qui n’étaient pas déjà mort se faisaient à présent tailler en pièces par ces ignobles créatures, mais Wilhelm n’en avait cure. Devant lui se trouvait une vision bien plus préoccupante : à l’endroit où ils avaient accrochés leurs chevaux ne se trouvaient à présent que leurs rênes, coupés au couteau. Les bêtes avaient disparu. Rottmann écumait de colère devant l’endroit où ils les avaient laissés.
« Aaaah, mais quel idiot j’ai fait ! J’ai cru qu’on pourrait les prendre par surprise, qu’on les prendrait de court. Mais quel idiot, quel idiot quel IDIOT ! »
Il n’eut pas le loisir de se fustiger plus longtemps. Les hommes-rats commençaient à sortir du bâtiment, et si les coups d’épée et de marteau de ses compagnons les tenaient encore à distance, ça n’allait pas durer. Ils ne semblaient pas gênés par la lumière du jour, celle-ci étant encore très basse au vu de l’heure matinale. La mine grave, et la moustache frisant de colère, Rottmann désigna les ruelles de la ville de la pointe de sa rapière.
« Filons, nous devons les semer ! »
Et sans attendre, il s’y précipita, à nouveau talonné par les autres qui couraient maintenant à toutes jambes. Mais les hommes-rats les rattrapèrent rapidement, et la course-poursuite s’accompagna bientôt d’assauts furieux de tous les côté. Les coups pleuvaient, ceux des créatures murines n’atteignant cependant presque pas leur cible, gênés par les armures des humains. De leur côté, ceux-ci se défendaient plus qu’ils n’attaquaient, particulièrement Wilhelm qui veillait à ce que la jeune fille, dont il avait fini par lâcher la main, soit le plus possible hors de leur portée. Elle-même courait sans paraître gênée par sa robe, la tenant relevée de ses deux mains. Les hurlements étaient partout, généralement poussés par des créatures, mais souvent, trop souvent, c’était une voix humaine, celle d’un villageois terrifié qui se faisait massacrer. Wilhelm serra les dents de rage. Je sauve ce qui peut l’être se répétait-il, mais ça ne suffisait pas.
L’étroitesse des ruelles était à leur avantage, car ils ne pouvaient se faire encercler. Rottmann continuait de les mener à toute allure, sans que Wilhelm n’arrive à déterminer leur direction. Il nous éloigne le plus possible du temple, réalisa soudain le jeune homme, afin de fuir la menace. Mais ces efforts semblèrent vains une minute plus tard, quand ils émergèrent sur une petite place. Celle-ci aurait pu être pittoresque, donnant sur l’arrière de plusieurs maisons en pierres qui étaient presque organisées en cercle. Mais ce tableau était gâché par la présence d’hommes-rats qui arrivaient de partout, descendant des toits devant eux pour les prendre en tenaille. Wilhelm vit rapidement, et avec soulagement, qu’aucune de ces créatures ne faisait partie de cette catégorie supérieure à poils noirs qu’il avait affrontés dans la cité souterraine. Celles qu’il avait en face de lui étaient de ‘simples’ hommes-rats, dotés d’un équipement rudimentaire. Malgré tout, ils criaient, couinaient et hurlaient avec férocité tout en se pressant autour d’eux. La jeune fille hurla de terreur lorsque l’un d’eux se jeta sur elle, sa fine lame levée, mais avant que Wilhelm n’ait pu réagir l’homme-rat fut violemment projeté sur ses congénères par un coup de pistolet dont le bruit résonna dans toute la ruelle, parvenant même à couvrir les cris de leurs assaillants. Tournant la tête, il vit Reiner lâcher l’arme et lever son épée. Wilhelm fut alors partagé entre le soulagement et la colère. Il cherche à l’impressionner ? Se demanda-t-il, faisant totalement abstraction des innombrables fois où Reiner avait été la cible involontaire et inaccessible d’une ou plusieurs femmes.
Mais cette préoccupation ne l’occupa pas longtemps. Déjà, d’autres rongeurs géants se pressaient devant ses compagnons et lui, révélant crocs et babines baveuses tout en agitant leurs armes courbées dans tous les sens, leur bloquant complètement le passage. Un violent combat s’engagea alors, Wilhelm et les autres essayant tant bien que mal de se frayer un chemin à travers la mêlée. La jeune fille à la robe bleue restait au milieu, les hommes formant une sorte de cercle protecteur autour d’elle alors qu’ils s’efforçaient de tenir les hommes-rats à distance. Wilhelm fauchait, taillait et bloquait avec toute la concentration dont il était capable, et bientôt plusieurs cadavres s’amoncelèrent à ses pieds. Un homme-rat fut lacéré au torse, un autre estropié quand la lame du jeune homme lui trancha une patte arrière, un autre encore fut décapité. L’endroit commença à ressembler à un charnier, le sol jonché de corps couverts de fourrures dont le sang s’écoulait comme si des centaines de ruisseaux rouges prenaient leur source dans les pavés. Wilhelm lui-même ne s’en tirait pas indemne, ayant déjà ressenti à quelques reprises la froide morsure du métal. En effet, malgré la cotte de maille, le camail et le bouclier qui l’équipaient, il ne portait ni gantelets ni de chausses de maille, seulement un pantalon matelassé, et celui-ci était maintenant lardé en plusieurs entailles, certaines ayant atteint sa chair. Mais leur petit groupe tenait les hommes-rats - ou les skavens se dit Wilhelm, réalisant que Rottmann avait prononcé ce mot à plusieurs reprise pour parler de ces créatures – en respect. Près de lui, le répurgateur gardait son expression neutre dans la mêlée, sa rapière apportant la mort à chaque coup. Il portait une large dague dans sa main gauche, et s’en servait à merveille. Reiner était presque identique, ne prononçant pas un mot et se contentant de trancher là où l’ennemi se trouvait. Il fallut quelques instants à Wilhelm pour se rendre compte que lui-même était également muet pendant ce combat, alors qu’il n’était généralement pas le dernier à crier. Mais leur silence était contrasté par les trois autres. Herr Gottfried poussait des cris de guerre tels que « Urlauberg vaincra ! » ou « Draconis ! », et provoquait même ses adversaires avec des remarques spirituelles. « J’ai croisé un poulet rôti plus coriace que vous ! » railla-t-il un homme-rat avant de lui sectionner les jarrets. Guy, de son côté, était la fureur incarnée Sa longue épée bâtarde traçait des sillons sanglants dans ses victimes alors qu’il leur hurlait de mourir, et d’autres mots en Bretonnien que Wilhelm ne comprenait qu’à moitié mais qui parlaient à priori de malédictions jetées sur leurs lignées, et aussi de l’origine orque de leur génitrice.
Mais c’était Frère Félix qui était le plus impressionnant. Il semblait à sa place au cœur du combat, son marteau virevoltant comme s’il était fait de papier. Les rats qu’il touchait avaient le corps brisés en d’affreux bruits organiques, s’envolant pour s’écraser sur les murs ou sur leurs congénères alors que lui-même semblait intouchable, tel un tourbillon de mort. Et tout en se battant, il tonnait des prières à Sigmar sans s’arrêter.
« …et n’oublions pas, mes frères, que nous sommes le métal dont Il est le marteau ! Et par ce marteau, Il nous permettra de répandre le châtiment que méritent les impurs et les suppôts de l’obscurité. Que les impies périssent par le feu, car Sa lumière nous apporte la paix tandis que geignent Ses adversaires, incapables d’en supporter la pureté. Que nos cœurs s’en gorgent, que nos âmes s’en réjouissent, et que nos armes la portent, pour que jamais le mal ne triomphe, et qu’Il nous apporte la victoire !... »
Ces prières, Wilhelm pouvait presque les sentir au plus profond de son être. En les écoutant, il sentait son ardeur redoubler d’intensité, et sa fatigue disparaître. Il ignorait s’il s’agissait là d’un effet mental ou si, comme dans certains récits, le pouvoir de Sigmar venait réellement les aider à travers Félix, mais il n’en avait cure. Leurs adversaires continuaient d’arriver en nombre, et il se devait de les arrêter.
Au milieu de tout ce chaos, la jeune fille avait fini par réagir. Ses vêtements n’étaient pas adaptés au combat, mais elle avait ramassé une lame et s’en servait du mieux qu’elle pouvait pour repousser ceux qui, malgré ses protecteurs, s’approchaient trop d’elle. Ses mouvements sont désordonnés ne put s’empêcher de remarquer Wilhelm, mais ce n’était ni l’heure ni le lieu pour une leçon d’escrime. Elle semblait surtout en proie à la peur et à l’excitation, une combinaison dangereuse, et Wilhelm dut à plusieurs reprises l’empêcher d’attaquer fougueusement une créature qui reculait. Il connaissait leurs tactiques pour les avoir déjà affrontés, et savait que ce genre de retraite feinte n’avait pour but que d’isoler ceux qui faisaient mine de poursuivre. À chaque fois, il se débrouillait pour mettre un bras sur le chemin de la jeune fille, le plus doucement qu’il pouvait (ce qui, au milieu d’un combat aussi chaotique, n’était pas une franche réussite), afin de l’empêcher d’avancer.
Soudain, une vive lumière sembla éclairer Frère Félix. Il se dressa de toute sa taille, et Wilhelm put voir, durant la fraction de seconde où il tourna le regard vers lui, que ses yeux étaient désormais aussi brillants que des flammes. Au même moment, les rayons du soleil émergèrent par-dessus les toits des bâtiments environnants, et Wilhelm vit certains hommes-rats se réfugier parmi les ombres. Ce fut le moment que Frère Félix choisit pour abattre sa fureur. Il leva bien haut son marteau en hurlant « Pour Sigmaaaaar ! » puis l’abattit au sol.
À cet instant, des flammes l’enveloppèrent, des flammes d’une couleur dorée, qui se dispersèrent rapidement en un anneau tout autour de lui. Wilhelm fut trop lent pour réagir, complètement pris de court par l’étrange phénomène, mais quand elles le touchèrent il ne ressentit qu’une douce tiédeur se répandre dans son être. Il remarqua aussi que tous les autres s’étaient tus, en proie à la même stupéfaction, à l’exception de Rottmann. Mais quand les flammes touchèrent les hommes-rats, il fut évident qu’elles ne leur causaient pas le même effet. Leur fourrure prit instantanément feu, et une odeur âcre de chair brûlée fit froncer du nez à Wilhelm. Cet anneau de feu ne fit aucun quartier, et les dizaines de rongeurs géants qui descendaient encore des toits furent également touchés, courant bientôt tout en hurlant alors que les flammes leurs dévoraient la chair. Une épaisse fumée noire commença à s’élever peu à peu. Après avoir parcouru quelques mètres, les flammes de dissipèrent complètement, mais c’était suffisant. Un vent de panique sembla se répandre parmi les hommes-rats survivants, qui commencèrent à reculer devant le capharnaüm ambiant. Un premier s’enfuit, puis un autre, et c’est en voyant la place se vider de leur présence que Rottmann leur hurla « Partons ! »
« Pas si vite ! » fit une voix masculine derrière eux.
Wilhelm se retourna pour faire face à la ruelle par laquelle ils étaient arrivés. C’était la seule par laquelle les hommes-rats ne s’enfuyaient pas, et il était à présent évident qu’ils cherchaient à l’éviter. Un bruit répétitif venait de l’obscurité de l’artère, un bruit que Wilhelm connaissait très bien pour l’avoir entendu des centaines, voire des milliers de fois. C’était le bruit de pas d’un homme en armure.
De fait, une silhouette émergea bientôt sur la place. Il s’agissait d’un individu lourdement armuré, d’une haute taille, portant une longue épée et un large bouclier. Son équipement tout entier était d’une couleur noire, un noir profond, comme de la suie qui se serait répandue sur tout son être, des solerets jusqu’au heaume. Son épée elle-même était noire, et Wilhelm se dit qu’une telle lame pouvait être couverte de tout le sang du monde que ça ne se verrait pas. Mais à part ça, il ressemblait à n’importe quel chevalier à pied, avec un tabard, noir également, et un heaume sans cimier qui lui cachait l’intégralité du visage. Mais il s’en dégageait une telle aura de danger que Wilhelm recula instinctivement d’un pas tout en armant son bouclier.
« C’est donc vous, les intrus. » La voix de l’homme en armure résonnait dans son casque. Elle n’avait rien de notable, si ce n’est qu’il avait un ton moqueur, presque joueur. « Je suis désolé pour vous » continua-t-il en s’avançant toujours tranquillement vers eux « mais vous allez mourir ici et m...
- Et dans l’obscurité tu verras toujours Sa lumière, car tant qu’Il existe son seul nom suffira à faire trembler les impies ! »
Le chevalier noir n’avait pas eu le temps d’en dire plus. Frère Félix bondit sur lui, toujours nimbé de lumière, et abattit son marteau de guerre. Mais au dernier moment, le nouvel arrivant se déporta sur la droite, esquivant le coup qui toucha le sol. Le chevalier noir lui donna alors un violent coup de pied qui le fit tomber à son tour. Puis il leva sa propre arme, qui s’embrasa elle-aussi, mais d’une flamme étrange, d’une couleur indéfinissable entre le bleu, le violet et le rouge. Avant que le prêtre n’ait pu se relever, le chevalier noir s’apprêta à l’attaquer, avant de se retourner brusquement pour bloquer l’attaque de Guy de son grand bouclier.
Le Bretonnien s’était en effet jeté sur leur nouvel ennemi. Il n’avait pas prononcé un mot, mais il regardait fixement le casque de son adversaire. Derrière lui, Gottfried, Reiner et Rottmann se rapprochèrent les uns des autres, l’arme levée. Wilhelm se posta entre la jeune fille et le chevalier noir. « Restez derrière moi » lui dit-il en essayant d’avoir l’air convainquant. Elle hocha la tête et esquissa une garde approximative, les sourcils froncés. Wilhelm essaya très fort de ne pas trouver ça attendrissant.
Guy continuait de fixer l’homme en armure noire situé à vingt centimètres de lui. « Pourquoi ? Comment ? » Finit-il par demander, d’une voix étranglée qui frappa Wilhelm. On aurait en effet dit que Guy était en train de pleurer.
« Tu ne le devine pas, mon cher Guy ? » le railla l’autre. « Alors laisse-moi le plaisir de te le faire découvrir. Tu peux bien me faire cette faveur, après dix ans à te prélasser dans ton ordre chez des étrangers. »
Le chevalier noir recula d’un pas, laissant à Frère Félix le temps de se relever péniblement avec l’aide de Reiner. Von Urlauberg et Rottmann s’approchaient de Guy et de son adversaire à l’épée enflammée.
« Cette flamme » commenta le répurgateur d’une voix sombre en désignant l’arme de l’inconnu, « c’est une flamme impie, une de celles que peuvent invoquer les adeptes des dieux sombres.
- Ton ami est perspicace, Guy » reprit l’inconnu derrière son heaume, alors que Guy s’enfermait à nouveau dans le mutisme. « Mais pas assez je le crains. Vous ne seriez jamais venu ici sinon.
- C’est vous qui allez mourir, et à cet instant précis ! »
Et sans autre forme de procès, Rottmann leva la main gauche, braquant un pistolet apparu au même instant sur le chevalier noir, visant la tête. Le coup de feu retentit dans le quartier avec fracas, et la fumée émise par l’arme bloqua momentanément le champ de vision de Wilhelm. Mais lorsqu’il se dissipa, il vit leur adversaire, apparemment intact, qui époussetait sa cape. Il semblait juste s’être décalé d’un mètre par rapport à sa position initiale, et riait avec amusement.
« Bien. Messieurs, à mon tour à présent. Commençons par toi, mon cher Guy. Pour le bon vieux temps. »
Et levant son épée, il s’élança sur le bretonnien, qui intercepta lui aussi l’attaque sur son bouclier. Le métal de l’écu ne sembla pas affecté par les flammes, mais l’homme en noir ne s’arrêta pas là. Il se lança dans une fulgurante série d’attaques qui forcèrent Guy à reculer, d’autant que ce dernier ne semblait pas faire autre-chose que se défendre.
« Mais attaquez, Guy, par la barbe de Sigmar ! Il veut vous tuer ! »
Le kasztellan Von Urlauberg n’avait pas perdu de temps. Brandissant sa propre lame, il tenta de prendre le chevalier noir à revers. Mais celui-ci sembla avoir prévu la manœuvre, car il bloqua nonchalamment le coup, puis d’un coup de pied bien placé il faucha les jambes de l’imposant chevalier, qui tomba à la renverse. L’homme en noir fit un mouvement du poignet, et sa lame fonça sur la gorge du kasztellan, mais elle fut déviée au dernier moment par l’épée de Guy.
« Eh bien, mon vieil ami, tu finis par avoir du répondant. J’aime ça !
- Je ne suis plus ton ami. » Répondit Guy d’un air sombre. « Quoi que tu sois devenu, Ferragus, tu n’es plus digne d’être appelé mon ‘ami’. »
L’autre pencha la tête sur le côté, et prit un ton faussement outré.
« Oh vraiment ? Alors c’est ainsi que se passent nos retrouvailles ? Tu m’as blessé Guy. Permets-moi de te rendre la pareille. »
Et sur ces mots, le dénommé Ferragus attaqua de nouveau Guy avec une violence incroyable, le forçant à se mettre sur la défensive. Wilhelm hésitait à nouveau à intervenir, les hommes-rats étant certainement encore dans les parages, malgré la lumière du soleil qui augmentait de minute en minute. Mais cette fois son hésitation fut fatale à son chevalier. D’une botte bien placée, le chevalier en noir brisa la garde de Guy et son épée enflammée lui faucha la jambe gauche d’un retour de lame. Guy hurla de douleur et tomba à la renverse, se serrant le mollet, et on voyait de la fumée s’échapper de la blessure. Riant bruyamment, Ferragus s’apprêta à l’achever, mais il dut reculer une nouvelle fois au dernier moment, car Reiner et Rottmann, armés de pistolets, firent feu dans sa direction. Wilhelm vit alors l’homme se déplacer à une vitesse phénoménale pour esquiver les balles, mais un cri lui indiqua qu’au moins une avait trouvé sa cible. Frère Félix aida Guy à se relever, ce dernier grimaçant à cause de la douleur. Wilhelm était malgré tout éberlué. L’habileté et la rapidité de cet individu étaient presque inhumaines, et il doutait de leur capacité à l’affronter sans pertes.
Rottmann, l’expression indéfinissable, était manifestement du même avis, car à cet instant précis le répurgateur détacha un des nombreux objets étranges qu’il portait à la ceinture et le jeta au sol. Il y eut un bruit sourd lorsque l’objet éclata, et une épaisse fumée blanchâtre envahit l’endroit tandis qu’une forte odeur pourrie emplit les narines de Wilhelm.
« Partons, vite » fit la voix aigüe du répurgateur. Wilhelm ne se le fit pas dire deux fois, et saisissant à nouveau la main de la jeune fille, il se précipita à l’aveuglette vers la provenance de la voix. Puis, il eut l’impression qu’un projectile passait au-dessus de sa tête pour atterrir derrière lui, mais la fumée était trop épaisse pour en être certain. Il entendait la voix du chevalier à l’armure noire comme la suie qui vociférait tout en riant de plus belle.
« Ah, vous choisissez la fuite ? Mais partez donc, courrez sur vos petites jambes tant qu’elles peuvent encore vous porter, tant qu’elles peuvent porter le cadavre ambulant que vous êtes ! Je vous rattraperai tôt ou tard, plus l’un que l’autre, et je vous ferai contempler avec une joie joyeuse l’inconsistance de vos corps. Nous les réparerons ensemble, pièce par pièce, et…
- Il va nous poursuivre ! » S’écria Wilhelm tout en courant, les poumons en feu.
« Je ne crois pas non » fit la voix du répurgateur devant lui. Wilhelm n’était pas certain, mais il avait cru entendre comme une pointe d’amusement dans cette réplique.
Une violente explosion retentit alors derrière eux. La jeune fille poussa un cri, et serait tombée à la renverse s’il ne l’avait pas rattrapée. Manifestement, la place venait de subir une puissante déflagration. Pendant un court moment, Wilhelm crut que c’était fini pour eux, mais rien ne vint les intercepter. Puis il comprit : Rottmann avait certainement lancé une grenade sur le chevalier noir. Grenade qui venait d’exploser.
Une fois en-dehors de la protection visuelle offerte par le fumigène, il vit que Frère Félix et Herr Gottfried, soutenant Guy, les suivaient. Tous deux serraient les dents et suaient à grosses gouttes, mais leurs visages étaient déterminés. Reiner courait derrière, tenant entre ses mains l’épée du Bretonnien, que Wilhelm avait oublié dans le feu de l’action. Zut, c’est moi son écuyer et j’en oublie ma mission, s’admonesta-t-il mentalement, les oreilles encore sifflantes après l’explosion. J’espère qu’il ne s’en est pas rendu compte, parce que sinon je suis bon pour un sermon d’une demi-heure. Sans parler de l’image que ça rendra de moi, acheva-t-il de penser alors que son regard croisait celui de la jeune fille.
Leur course fut de courte durée. Au bout de quelques centaines de mètres, Rottmann s’arrêta net, et leva la main. Ils se trouvaient dans une autre ruelle, entourés de maisons silencieuses. Wilhelm était essoufflé, malgré l’adrénaline, et il voyait clairement que la jeune fille était dans un état similaire. Malgré son endurance impressionnante, Rottmann montrait lui aussi des signes de fatigue, mais les pires étaient sans aucun doute Frère Félix et Herr Gottfried. Tous deux soutenant Guy, qui semblait presque avoir perdu l’usage de sa jambe gauche, ils avaient dû courir avec ce poids en plus de celui de leur propre équipement. Et le résultat était sans appel : ils étaient à bout de forces, soufflant comme des bœufs s’appuyant sur les murs à intervalles réguliers, d’autant que Frère Félix lui-même avait été fortement malmené durant le combat. Ils étaient tous épuisés, et Wilhelm put voir qu’aucun de ses compagnons n’avait été épargné durant le combat, chacun d’eux ayant eu son lot d’estafilades. Leur situation à tous semblait peu enviable.
« Bon, il nous faut un plan, et vite, » grimaça le répurgateur qui s’était tourné vers eux. Ses traits étaient tirés, mettant encore plus en valeur ses cicatrices. « Pour l’instant, le plus urgent est de trouver un endroit où nous réfugier. Avez-vous une idée ? N’importe laquelle, nous ne pouvons pas être plus désespérés que nous le sommes. »
« Moi, j’ai une idée. » Tout le monde se tourna vers la jeune fille, qui entre temps avait retiré sa main de celle de Wilhelm. Elle lui jeta au passage un étrange regard de ses magnifiques yeux, qui le congela à l’intérieur. Puis elle s’adressa une nouvelle fois au groupe, d’une voix décidée entrecoupée de respirations alors qu’elle reprenait son souffle.
« Il y a le moulin de mon père. Je peux vous accueillir, si vous promettez d’aller le chercher, avec ma mère. »
Wilhelm tenta de reprendre la parole, mettant autant de compassion qu’il le put dans ses paroles.
« Vos parents ont disparu mademoiselle ? »
Elle darda sur lui ses yeux semblables à des lacs de bonheur, qui à cet instant s’emplirent d’inquiétude.
« Ils sont partis avec les autres, ceux qu’ils appellent les ‘élus.’ Mais je veux qu’ils reviennent. Si vous me promettez de tout faire pour les retrouver… »
Rottmann lui coupa la parole, visiblement peu enclin à s’éloigner du sujet.
« Entendu mademoiselle, nous les trouverons. Maintenant, menez nous chez vous, promptement. »
Elle hocha la tête, puis prit les devant. À ce moment, Rottmann lui posa une nouvelle question :
« Et donnez-nous votre nom. »
Toujours essoufflée, elle s’arrêta un instant pour regarder l’homme moustachu et maigre qui venait de lui donner deux ordres d’affilé sans sourciller.
« Lydia. Je m’appelle Lydia Neisser. »
Ce nom résonna dans les oreilles de Wilhelm comme une mélodie. Il pouvait presque entendre le marteau et le burin qui le gravèrent pour toujours dans son esprit. Rêveur, il contempla un instant la main qu’elle avait lâché, avant qu’un appel de Herr Gottfried ne le fasse trotter pour rattraper ses compagnons.
Rottmann ne se laissa pas déstabiliser par l’infériorité numérique. Guy et lui s’avancèrent vers les hommes en robe, laissant Wilhelm près de la porte.
« Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? » Répondit le répurgateur d’une voix où transparaissait un certain cynisme. Il avait les bras croisés, et toisait les présumés hérétiques de tout le mépris de ses yeux noirs. L’autre reprit la parole en secouant la tête.
« Enfin, ne me prenez pas pour plus bête que je ne le suis. Vous portez la tenue des templiers de l’homme-dieu, vous venez en invoquant son nom, armés jusqu’aux dents, et vous pensez que je vais vous prendre pour autre chose ?
- Ce pour quoi vous me prenez n’a aucune importance. Ce qui est important c’est ce que vous avez à dire. Avez-vous oui ou non diffusé des idées hérétiques sur le territoire de l’Empire de Sigmar ? »
Rottmann gardait son calme, mais ses questions étaient directes. Manifestement, il était pressé d’en finir, étirant nerveusement sa fine moustache. Mais le patriarche se contenta de répondre calmement :
« Non. »
« Permettez-moi d’en douter » reprit le répurgateur barbu d’une voix quasi incisive. « J’ai eu plusieurs témoignages attestant que vous étiez venu prêcher la parole d’une divinité nommée le ‘grand aigle’, que vous auriez poussé les gens à se détourner de Sigmar, et que vous auriez même fait disparaître plusieurs personnes en les emmenant avec vous. »
Le patriarche ne cilla pas. Son visage devenait de plus en plus sérieux cependant. « Cela, je ne le nie pas » déclara-t-il. « Je me contente de nier votre accusation d’hérésie. »
Rottmann le fixa du regard. « Comment ? » Il semblait soudain plus étonné que scandalisé.
« L’hérésie est une question de point de vue. Selon votre dogme, c’est moi qui suis hérétique, mais selon le mien c’est vous qui l’êtes, et moi pas. Je réfute donc votre accusation.
- Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi. Votre dogme semble contraindre des hommes et des femmes à abandonner leur foyer, leurs amis et leur famille, tout cela pour servir je ne sais quel but.
- Ces hommes et ces femmes sont venus de leur plein gré, afin de suivre l’enseignement du Grand Aigle. Ils seront élevés, et reviendront à leur foyer avec les sens étendus.
- Et l’homme à tête d’oiseau, c’est lui qui doit leur apprendre ? »
Le patriarche comme le répurgateur se tournèrent immédiatement vers Guy. Celui-ci faisait les cent pas dans la pièce, le visage déformé par un rictus de rage.
« Messire Guy, que voulez…
- Est-ce que vous comptez répandre ici le même mal qu’en Bretonnie ? Vous et votre maître abject méritez seulement de mourir !
- Messire G…NON ! »
Mais il était trop tard. Sous les yeux ébahis des gens présents, Guy avait plongé vers le patriarche, dégainant son épée et repoussant Rottmann dans un même mouvement. L’arme s’abattit, et le vieil homme tomba en criant. Rottmann tira alors Guy en arrière, sa propre lame soudainement au poing, alors que les pèlerins pourpres s’abattaient sur eux. Ils brandissaient des armes ouvragées, mais leur expérience du combat sembla à cet instant bien moindre que celle de leurs deux adversaires. Wilhelm tira sa propre arme, mais avant qu’il ne puisse intervenir deux d’entre eux étaient déjà à terre, lacérés en de nombreux endroits.
« ASSEZ ! »
Le cri du patriarche sembla figer un instant la scène. Wilhelm, son arme levée, fut surpris que le vieil homme fût toujours en vie, bien que sérieusement blessé. Sa robe était déchirée par une longue blessure qui traçait une ligne de sa poitrine à son flanc gauche, et son sang s’écoulait rapidement. Les pèlerins s’étaient arrêtés, mais Guy porta un violent coup à celui le plus proche de lui et s’avança vers le patriarche. Ce dernier, peinant à tenir debout, appuyé sur une armoire, brandit alors devant lui sa main droite, le poing fermé, sur lequel une de ses bagues brillait d’un éclat rosé non naturel. À la vue de cet étrange phénomène, le chevalier bretonnien hésita. La voix du vieil homme était pleine de haine à présent, sifflant alors qu’il reprenait son souffle, et son regard était presque aussi brillant que sa bague.
« Vous qui avez osé profaner mon corps, et qui tentez d’anéantir notre œuvre, vous, je vous condamne, séance tenante, à la mort ! »
Et soudain, un immense brasier de flammes multicolores le couvrit, l’immolant totalement. Guy recula, une main devant les yeux, de même que tous les autres belligérants. Une immense lumière envahit la pièce, et s’évanouit en un instant. Quand les flammes disparurent, il ne restait plus aucune trace du patriarche, mis à part quelques traces de sang et des brûlures sur les meubles là où il s’était tenu. Rottmann, Guy, Wilhelm, et les trois pèlerins restants avaient les yeux fixés sur cet emplacement.
Tout à coup, un cri strident retentit, venant de juste derrière la porte. Cela sembla réveiller la combativité des personnes présentes, car Guy, Rottmann et leurs trois adversaires se lancèrent à nouveau dans leur danse de mort. Mais Wilhelm n’en avait cure. Il s’était rué sur la porte, derrière lui, un affreux doute à l’esprit. Le tourbillon bleuté qu’il avait aperçu avant d’entrer lui revint en tête, et si ses craintes se réalisaient…
Il fut dans le couloir une demi-seconde plus tard, et vit tout de suite ce qu’il cherchait. Sur le sol, devant lui, se trouvait deux formes qui se débattaient. L’une était sombre, poilue, tandis que l’autre était vêtue d’une robe bleue. Et elle hurlait.
Wilhelm ressentit un immense froid, suivi d’une sensation de haine intense. Il se jeta sur eux, hurlant à plein poumon, et trouva instinctivement le moment décisif. Son épée plongea, la forme sombre s’écroula en couinant. L’instant suivant, il l’attrapait, et la lança au loin, à peine surpris qu’une créature d’un mètre-cinquante de haut soit si légère. Il se tourna vers la jeune fille qu’il venait de secourir, cherchant des yeux si elle n’était pas blessée, et trouva son regard.
Il s’y plongea.
Wilhelm n’avait jamais vu des yeux aussi beaux. Leur forme en amande quasi-parfaite lui évoquait les récits parlant d’exotiques terres lointaines, où les femmes sont aussi belles que le soleil. L’iris, d’une couleur bleue sombre, en faisait deux magnifiques lacs brillant sous la lune. Il remarqua toutes les émotions qu’exprimaient ces yeux. L’espoir, la reconnaissance (pour lui, il en était persuadé), la surprise, la peur.
La peur ?
Il s’aperçut alors que la jeune femme devant lui tremblait. Du sang coulait le long de sa tempe, et elle portait des traces de griffures qui déchiraient ses manches. Elle était par terre, à moitié appuyée sur ses genoux et ses bras. Il essaya de se calmer, et lui tendit une main.
« Tout va bien », s’entendit-il dire comme dans un rêve, « vous allez bien ? »
Elle accepta son aide et se releva rapidement, tétanisant presque Wilhelm sur place par la douceur de son toucher tout en le surprenant par sa vigueur. Elle semblait plus rassurée maintenant. « Je vais bien » lui répondit-elle d’une voix qui lui rappelait le chant des rossignols, « merci beaucoup. ». De fait, elle semblait aller un peu mieux, ses tremblements ayant diminué. Elle le lâcha, et le dévisagea soudain. « Et vous, vous allez bien ? ».
Il s’aperçut alors qu’il n’avait pas quitté ses yeux du regard, et sursauta. « Oui, ça va », balbutia-t-il en fixant le sol.
Bravo, s’admonesta Wilhelm en son for intérieur, comme première impression on repassera. Tu viens certainement de passer pour un abruti. Instinctivement, il arracha un morceau d’étoffe de sa tunique et retira un lacet de sa chemise, afin de bander le bras de la jeune fille. L’opération ne fut pas des plus aisées – à cause des tremblements – mais il s’appliqua. Tous deux observèrent un silence de plomb pendant qu’il procédait hâtivement. Une fois fini, il eut le plus grand mal à ne pas rechercher à nouveau le regard de la jeune fille. Ses yeux se perdirent sur les pierres grises qui dallaient le sol, et tombèrent sur la forme sombre qu’il avait jetée quelques secondes plus tôt. Elle lui disait vaguement quelque-chose.
« Par tous les dieux ! » Hurla-t-il soudain. « Venez avec moi ! » Saisissant le bras de celle qu’il venait de secourir – dont j’ignore encore le nom, pensa-t-il, quel idiot je fais – il se rua dans la salle qu’il venait de quitter. Sa nouvelle connaissance était encore sous le choc, et elle poussa un léger cri quand il l’attira à l’intérieur. Là, ils virent messire Guy et Albrecht Rottmann achever le dernier pèlerin, l’épée du chevalier lui tranchant l’abdomen d’un revers rageur. La jeune femme écarquilla les yeux et mit la main devant sa bouche, horrifiée. Wilhelm, tiraillé entre l’envie de la rassurer et celle de parler à son chevalier, eut un instant d’hésitation, qui suffit à Rottmann pour darder sur lui son regard perçant.
« Que fait-elle ici ? » Demanda-t-il d’une voix méfiante. Il ne faisait aucun doute qu’il se souvenait de l’avoir déjà vu dans la grande salle.
« Tout va bien » l’assura Wilhelm. « Elle va bien ». Il réalisa alors que ce n’était certainement pas la réponse que le répurgateur attendait, et sans lui laisser le temps de reprendre, il se tourna vers messire Guy. Ce dernier jetait des regards colériques alentours, comme si cela allait suffire à ramener l’étrange vieillard qu’il avait n’avait réussi qu’à blesser.
« Des hommes-rats, messire Guy ! » parvint à articuler Wilhelm en reprenant son souffle. « Il y a des hommes-rats ici ! »
Cela fut suffisant pour débloquer la situation. Guy et Rottmann concentrèrent leur attention sur lui.
« Où donc ? » demanda prestement Guy alors que l’autre répondait en même temps « Des skavens, ici ? »
Wilhelm n’eut pas le temps de leur dire quoi que ce soit. Un concert de couinements et de hurlements bestiaux se fit entendre à cet instant précis, venant de plus loin dans le temple. Rottmann brandit sa rapière et se précipita vers la porte.
« Vite, sortons ! » cria-t-il. Wilhelm lui emboita le pas, tenant toujours la jeune fille par la main. Celle-ci se laissait guider, en l’agrippant elle-même de son côté, n’ayant manifestement pas l’intention de laisser ce secours providentiel s’échapper. Il pouvait l’entendre murmurer des « par tous les dieux » paniqués, et il dut résister au besoin impérieux de tourner la tête pour la réconforter. Guy courrait derrière eux, épée en main lui aussi, son armure tachée par le sang de ses précédents adversaires. Menés par le répurgateur, tous quatre remontèrent le couloir en courant et arrivèrent dans la salle principale du temple, où les attendait une scène de carnage sanglant.
Frère Félix, Herr Gottfried et Reiner étaient dos à dos, armes en main, au centre de la pièce, entourés des corps ensanglantés de plusieurs pèlerins pourpres. Une dizaine d’autres les encerclaient, armés eux aussi de lames stylisées. Mais ces hommes, quoique plus nombreux, semblaient à présent maintenir une certaine distance, leurs ardeurs étant comme refroidies par la vue des cadavres au pieds des trois guerriers. Les portes extérieures étaient grandes ouvertes, laissant échapper des cris d’alarme et des hurlements. Aucun autre être vivant n’était visible, les habitants de la ville ayant de toute évidence fuit les lieux.
« Des skavens ! » cria Rottmann sans s’arrêter de courir. « Aux chevaux, vite ! »
Cette clameur inattendue déconcentra momentanément les pèlerins pourpres. Ce fut suffisant pour Reiner, qui dégaina un pistolet et abattit l’un d’entre eux d’un coup de feu qui retentit partout dans le temple. Profitant de cet avantage soudain, les trois hommes chargèrent, tentant de briser le cercle de leurs assaillants encapuchonnés. Wilhelm était tiraillé entre l’envie de leur venir en aide et celle de ne pas exposer au danger la jeune femme qu’il tenait toujours fermement. Il s’aperçut que les autres avaient déjà fait leur choix : Rottmann fonçait vers la sortie et messire Guy partait vers les pèlerins en hurlant « pour la daaaaaame ! ».
Au même moment, dans une cacophonie de hurlements, les hommes-rats envahirent la pièce. Leur masse grouillante jaillit du couloir d’où Wilhelm était sorti quelques instants plus tôt, en poussant des cris et des couinements stridents que le jeune écuyer aurait aimé ne plus jamais entendre de sa vie. Ils étaient des dizaines, et des dizaines encore. C’était comme si le cauchemar reprenait vie, ce cauchemar qu’il avait bien cru terminé depuis l’effondrement de l’accès aux mines du Wissenland, trois an plus tôt. Son cerveau avait du mal à appréhender tout ce qui était en train de se produire, et instinctivement il repoussa toute émotion inutile pour se concentrer sur le présent : il devait s’échapper, et sauver la jeune fille qu’il refusait de lâcher. Cette priorité en tête, il se précipita avec elle vers l’extérieur.
Au centre de la salle, la vue de ce bretonnien au regard meurtrier foncer sur eux en beuglant fut de trop pour les pèlerins pourpres, qui s’éparpillèrent dans le chaos ambiant. Guy fit mine de les poursuivre, mais Herr Gottfried l’attrapa par le bras, et lui hurla : « On sort, Guy. Maintenant ! » Wilhelm, de son côté, l’épée toujours en main, était déjà devant la porte. Les autres, menés par Frère Félix qui les haranguait, n’étaient pas loin derrière. Ils devançaient les hommes-rats qui investissaient la salle, transformant le lieu de culte et de sérénité en une scène de chaos monumentale. Les pèlerins pourpres qui n’étaient pas déjà mort se faisaient à présent tailler en pièces par ces ignobles créatures, mais Wilhelm n’en avait cure. Devant lui se trouvait une vision bien plus préoccupante : à l’endroit où ils avaient accrochés leurs chevaux ne se trouvaient à présent que leurs rênes, coupés au couteau. Les bêtes avaient disparu. Rottmann écumait de colère devant l’endroit où ils les avaient laissés.
« Aaaah, mais quel idiot j’ai fait ! J’ai cru qu’on pourrait les prendre par surprise, qu’on les prendrait de court. Mais quel idiot, quel idiot quel IDIOT ! »
Il n’eut pas le loisir de se fustiger plus longtemps. Les hommes-rats commençaient à sortir du bâtiment, et si les coups d’épée et de marteau de ses compagnons les tenaient encore à distance, ça n’allait pas durer. Ils ne semblaient pas gênés par la lumière du jour, celle-ci étant encore très basse au vu de l’heure matinale. La mine grave, et la moustache frisant de colère, Rottmann désigna les ruelles de la ville de la pointe de sa rapière.
« Filons, nous devons les semer ! »
Et sans attendre, il s’y précipita, à nouveau talonné par les autres qui couraient maintenant à toutes jambes. Mais les hommes-rats les rattrapèrent rapidement, et la course-poursuite s’accompagna bientôt d’assauts furieux de tous les côté. Les coups pleuvaient, ceux des créatures murines n’atteignant cependant presque pas leur cible, gênés par les armures des humains. De leur côté, ceux-ci se défendaient plus qu’ils n’attaquaient, particulièrement Wilhelm qui veillait à ce que la jeune fille, dont il avait fini par lâcher la main, soit le plus possible hors de leur portée. Elle-même courait sans paraître gênée par sa robe, la tenant relevée de ses deux mains. Les hurlements étaient partout, généralement poussés par des créatures, mais souvent, trop souvent, c’était une voix humaine, celle d’un villageois terrifié qui se faisait massacrer. Wilhelm serra les dents de rage. Je sauve ce qui peut l’être se répétait-il, mais ça ne suffisait pas.
L’étroitesse des ruelles était à leur avantage, car ils ne pouvaient se faire encercler. Rottmann continuait de les mener à toute allure, sans que Wilhelm n’arrive à déterminer leur direction. Il nous éloigne le plus possible du temple, réalisa soudain le jeune homme, afin de fuir la menace. Mais ces efforts semblèrent vains une minute plus tard, quand ils émergèrent sur une petite place. Celle-ci aurait pu être pittoresque, donnant sur l’arrière de plusieurs maisons en pierres qui étaient presque organisées en cercle. Mais ce tableau était gâché par la présence d’hommes-rats qui arrivaient de partout, descendant des toits devant eux pour les prendre en tenaille. Wilhelm vit rapidement, et avec soulagement, qu’aucune de ces créatures ne faisait partie de cette catégorie supérieure à poils noirs qu’il avait affrontés dans la cité souterraine. Celles qu’il avait en face de lui étaient de ‘simples’ hommes-rats, dotés d’un équipement rudimentaire. Malgré tout, ils criaient, couinaient et hurlaient avec férocité tout en se pressant autour d’eux. La jeune fille hurla de terreur lorsque l’un d’eux se jeta sur elle, sa fine lame levée, mais avant que Wilhelm n’ait pu réagir l’homme-rat fut violemment projeté sur ses congénères par un coup de pistolet dont le bruit résonna dans toute la ruelle, parvenant même à couvrir les cris de leurs assaillants. Tournant la tête, il vit Reiner lâcher l’arme et lever son épée. Wilhelm fut alors partagé entre le soulagement et la colère. Il cherche à l’impressionner ? Se demanda-t-il, faisant totalement abstraction des innombrables fois où Reiner avait été la cible involontaire et inaccessible d’une ou plusieurs femmes.
Mais cette préoccupation ne l’occupa pas longtemps. Déjà, d’autres rongeurs géants se pressaient devant ses compagnons et lui, révélant crocs et babines baveuses tout en agitant leurs armes courbées dans tous les sens, leur bloquant complètement le passage. Un violent combat s’engagea alors, Wilhelm et les autres essayant tant bien que mal de se frayer un chemin à travers la mêlée. La jeune fille à la robe bleue restait au milieu, les hommes formant une sorte de cercle protecteur autour d’elle alors qu’ils s’efforçaient de tenir les hommes-rats à distance. Wilhelm fauchait, taillait et bloquait avec toute la concentration dont il était capable, et bientôt plusieurs cadavres s’amoncelèrent à ses pieds. Un homme-rat fut lacéré au torse, un autre estropié quand la lame du jeune homme lui trancha une patte arrière, un autre encore fut décapité. L’endroit commença à ressembler à un charnier, le sol jonché de corps couverts de fourrures dont le sang s’écoulait comme si des centaines de ruisseaux rouges prenaient leur source dans les pavés. Wilhelm lui-même ne s’en tirait pas indemne, ayant déjà ressenti à quelques reprises la froide morsure du métal. En effet, malgré la cotte de maille, le camail et le bouclier qui l’équipaient, il ne portait ni gantelets ni de chausses de maille, seulement un pantalon matelassé, et celui-ci était maintenant lardé en plusieurs entailles, certaines ayant atteint sa chair. Mais leur petit groupe tenait les hommes-rats - ou les skavens se dit Wilhelm, réalisant que Rottmann avait prononcé ce mot à plusieurs reprise pour parler de ces créatures – en respect. Près de lui, le répurgateur gardait son expression neutre dans la mêlée, sa rapière apportant la mort à chaque coup. Il portait une large dague dans sa main gauche, et s’en servait à merveille. Reiner était presque identique, ne prononçant pas un mot et se contentant de trancher là où l’ennemi se trouvait. Il fallut quelques instants à Wilhelm pour se rendre compte que lui-même était également muet pendant ce combat, alors qu’il n’était généralement pas le dernier à crier. Mais leur silence était contrasté par les trois autres. Herr Gottfried poussait des cris de guerre tels que « Urlauberg vaincra ! » ou « Draconis ! », et provoquait même ses adversaires avec des remarques spirituelles. « J’ai croisé un poulet rôti plus coriace que vous ! » railla-t-il un homme-rat avant de lui sectionner les jarrets. Guy, de son côté, était la fureur incarnée Sa longue épée bâtarde traçait des sillons sanglants dans ses victimes alors qu’il leur hurlait de mourir, et d’autres mots en Bretonnien que Wilhelm ne comprenait qu’à moitié mais qui parlaient à priori de malédictions jetées sur leurs lignées, et aussi de l’origine orque de leur génitrice.
Mais c’était Frère Félix qui était le plus impressionnant. Il semblait à sa place au cœur du combat, son marteau virevoltant comme s’il était fait de papier. Les rats qu’il touchait avaient le corps brisés en d’affreux bruits organiques, s’envolant pour s’écraser sur les murs ou sur leurs congénères alors que lui-même semblait intouchable, tel un tourbillon de mort. Et tout en se battant, il tonnait des prières à Sigmar sans s’arrêter.
« …et n’oublions pas, mes frères, que nous sommes le métal dont Il est le marteau ! Et par ce marteau, Il nous permettra de répandre le châtiment que méritent les impurs et les suppôts de l’obscurité. Que les impies périssent par le feu, car Sa lumière nous apporte la paix tandis que geignent Ses adversaires, incapables d’en supporter la pureté. Que nos cœurs s’en gorgent, que nos âmes s’en réjouissent, et que nos armes la portent, pour que jamais le mal ne triomphe, et qu’Il nous apporte la victoire !... »
Ces prières, Wilhelm pouvait presque les sentir au plus profond de son être. En les écoutant, il sentait son ardeur redoubler d’intensité, et sa fatigue disparaître. Il ignorait s’il s’agissait là d’un effet mental ou si, comme dans certains récits, le pouvoir de Sigmar venait réellement les aider à travers Félix, mais il n’en avait cure. Leurs adversaires continuaient d’arriver en nombre, et il se devait de les arrêter.
Au milieu de tout ce chaos, la jeune fille avait fini par réagir. Ses vêtements n’étaient pas adaptés au combat, mais elle avait ramassé une lame et s’en servait du mieux qu’elle pouvait pour repousser ceux qui, malgré ses protecteurs, s’approchaient trop d’elle. Ses mouvements sont désordonnés ne put s’empêcher de remarquer Wilhelm, mais ce n’était ni l’heure ni le lieu pour une leçon d’escrime. Elle semblait surtout en proie à la peur et à l’excitation, une combinaison dangereuse, et Wilhelm dut à plusieurs reprises l’empêcher d’attaquer fougueusement une créature qui reculait. Il connaissait leurs tactiques pour les avoir déjà affrontés, et savait que ce genre de retraite feinte n’avait pour but que d’isoler ceux qui faisaient mine de poursuivre. À chaque fois, il se débrouillait pour mettre un bras sur le chemin de la jeune fille, le plus doucement qu’il pouvait (ce qui, au milieu d’un combat aussi chaotique, n’était pas une franche réussite), afin de l’empêcher d’avancer.
Soudain, une vive lumière sembla éclairer Frère Félix. Il se dressa de toute sa taille, et Wilhelm put voir, durant la fraction de seconde où il tourna le regard vers lui, que ses yeux étaient désormais aussi brillants que des flammes. Au même moment, les rayons du soleil émergèrent par-dessus les toits des bâtiments environnants, et Wilhelm vit certains hommes-rats se réfugier parmi les ombres. Ce fut le moment que Frère Félix choisit pour abattre sa fureur. Il leva bien haut son marteau en hurlant « Pour Sigmaaaaar ! » puis l’abattit au sol.
À cet instant, des flammes l’enveloppèrent, des flammes d’une couleur dorée, qui se dispersèrent rapidement en un anneau tout autour de lui. Wilhelm fut trop lent pour réagir, complètement pris de court par l’étrange phénomène, mais quand elles le touchèrent il ne ressentit qu’une douce tiédeur se répandre dans son être. Il remarqua aussi que tous les autres s’étaient tus, en proie à la même stupéfaction, à l’exception de Rottmann. Mais quand les flammes touchèrent les hommes-rats, il fut évident qu’elles ne leur causaient pas le même effet. Leur fourrure prit instantanément feu, et une odeur âcre de chair brûlée fit froncer du nez à Wilhelm. Cet anneau de feu ne fit aucun quartier, et les dizaines de rongeurs géants qui descendaient encore des toits furent également touchés, courant bientôt tout en hurlant alors que les flammes leurs dévoraient la chair. Une épaisse fumée noire commença à s’élever peu à peu. Après avoir parcouru quelques mètres, les flammes de dissipèrent complètement, mais c’était suffisant. Un vent de panique sembla se répandre parmi les hommes-rats survivants, qui commencèrent à reculer devant le capharnaüm ambiant. Un premier s’enfuit, puis un autre, et c’est en voyant la place se vider de leur présence que Rottmann leur hurla « Partons ! »
« Pas si vite ! » fit une voix masculine derrière eux.
Wilhelm se retourna pour faire face à la ruelle par laquelle ils étaient arrivés. C’était la seule par laquelle les hommes-rats ne s’enfuyaient pas, et il était à présent évident qu’ils cherchaient à l’éviter. Un bruit répétitif venait de l’obscurité de l’artère, un bruit que Wilhelm connaissait très bien pour l’avoir entendu des centaines, voire des milliers de fois. C’était le bruit de pas d’un homme en armure.
De fait, une silhouette émergea bientôt sur la place. Il s’agissait d’un individu lourdement armuré, d’une haute taille, portant une longue épée et un large bouclier. Son équipement tout entier était d’une couleur noire, un noir profond, comme de la suie qui se serait répandue sur tout son être, des solerets jusqu’au heaume. Son épée elle-même était noire, et Wilhelm se dit qu’une telle lame pouvait être couverte de tout le sang du monde que ça ne se verrait pas. Mais à part ça, il ressemblait à n’importe quel chevalier à pied, avec un tabard, noir également, et un heaume sans cimier qui lui cachait l’intégralité du visage. Mais il s’en dégageait une telle aura de danger que Wilhelm recula instinctivement d’un pas tout en armant son bouclier.
« C’est donc vous, les intrus. » La voix de l’homme en armure résonnait dans son casque. Elle n’avait rien de notable, si ce n’est qu’il avait un ton moqueur, presque joueur. « Je suis désolé pour vous » continua-t-il en s’avançant toujours tranquillement vers eux « mais vous allez mourir ici et m...
- Et dans l’obscurité tu verras toujours Sa lumière, car tant qu’Il existe son seul nom suffira à faire trembler les impies ! »
Le chevalier noir n’avait pas eu le temps d’en dire plus. Frère Félix bondit sur lui, toujours nimbé de lumière, et abattit son marteau de guerre. Mais au dernier moment, le nouvel arrivant se déporta sur la droite, esquivant le coup qui toucha le sol. Le chevalier noir lui donna alors un violent coup de pied qui le fit tomber à son tour. Puis il leva sa propre arme, qui s’embrasa elle-aussi, mais d’une flamme étrange, d’une couleur indéfinissable entre le bleu, le violet et le rouge. Avant que le prêtre n’ait pu se relever, le chevalier noir s’apprêta à l’attaquer, avant de se retourner brusquement pour bloquer l’attaque de Guy de son grand bouclier.
Le Bretonnien s’était en effet jeté sur leur nouvel ennemi. Il n’avait pas prononcé un mot, mais il regardait fixement le casque de son adversaire. Derrière lui, Gottfried, Reiner et Rottmann se rapprochèrent les uns des autres, l’arme levée. Wilhelm se posta entre la jeune fille et le chevalier noir. « Restez derrière moi » lui dit-il en essayant d’avoir l’air convainquant. Elle hocha la tête et esquissa une garde approximative, les sourcils froncés. Wilhelm essaya très fort de ne pas trouver ça attendrissant.
Guy continuait de fixer l’homme en armure noire situé à vingt centimètres de lui. « Pourquoi ? Comment ? » Finit-il par demander, d’une voix étranglée qui frappa Wilhelm. On aurait en effet dit que Guy était en train de pleurer.
« Tu ne le devine pas, mon cher Guy ? » le railla l’autre. « Alors laisse-moi le plaisir de te le faire découvrir. Tu peux bien me faire cette faveur, après dix ans à te prélasser dans ton ordre chez des étrangers. »
Le chevalier noir recula d’un pas, laissant à Frère Félix le temps de se relever péniblement avec l’aide de Reiner. Von Urlauberg et Rottmann s’approchaient de Guy et de son adversaire à l’épée enflammée.
« Cette flamme » commenta le répurgateur d’une voix sombre en désignant l’arme de l’inconnu, « c’est une flamme impie, une de celles que peuvent invoquer les adeptes des dieux sombres.
- Ton ami est perspicace, Guy » reprit l’inconnu derrière son heaume, alors que Guy s’enfermait à nouveau dans le mutisme. « Mais pas assez je le crains. Vous ne seriez jamais venu ici sinon.
- C’est vous qui allez mourir, et à cet instant précis ! »
Et sans autre forme de procès, Rottmann leva la main gauche, braquant un pistolet apparu au même instant sur le chevalier noir, visant la tête. Le coup de feu retentit dans le quartier avec fracas, et la fumée émise par l’arme bloqua momentanément le champ de vision de Wilhelm. Mais lorsqu’il se dissipa, il vit leur adversaire, apparemment intact, qui époussetait sa cape. Il semblait juste s’être décalé d’un mètre par rapport à sa position initiale, et riait avec amusement.
« Bien. Messieurs, à mon tour à présent. Commençons par toi, mon cher Guy. Pour le bon vieux temps. »
Et levant son épée, il s’élança sur le bretonnien, qui intercepta lui aussi l’attaque sur son bouclier. Le métal de l’écu ne sembla pas affecté par les flammes, mais l’homme en noir ne s’arrêta pas là. Il se lança dans une fulgurante série d’attaques qui forcèrent Guy à reculer, d’autant que ce dernier ne semblait pas faire autre-chose que se défendre.
« Mais attaquez, Guy, par la barbe de Sigmar ! Il veut vous tuer ! »
Le kasztellan Von Urlauberg n’avait pas perdu de temps. Brandissant sa propre lame, il tenta de prendre le chevalier noir à revers. Mais celui-ci sembla avoir prévu la manœuvre, car il bloqua nonchalamment le coup, puis d’un coup de pied bien placé il faucha les jambes de l’imposant chevalier, qui tomba à la renverse. L’homme en noir fit un mouvement du poignet, et sa lame fonça sur la gorge du kasztellan, mais elle fut déviée au dernier moment par l’épée de Guy.
« Eh bien, mon vieil ami, tu finis par avoir du répondant. J’aime ça !
- Je ne suis plus ton ami. » Répondit Guy d’un air sombre. « Quoi que tu sois devenu, Ferragus, tu n’es plus digne d’être appelé mon ‘ami’. »
L’autre pencha la tête sur le côté, et prit un ton faussement outré.
« Oh vraiment ? Alors c’est ainsi que se passent nos retrouvailles ? Tu m’as blessé Guy. Permets-moi de te rendre la pareille. »
Et sur ces mots, le dénommé Ferragus attaqua de nouveau Guy avec une violence incroyable, le forçant à se mettre sur la défensive. Wilhelm hésitait à nouveau à intervenir, les hommes-rats étant certainement encore dans les parages, malgré la lumière du soleil qui augmentait de minute en minute. Mais cette fois son hésitation fut fatale à son chevalier. D’une botte bien placée, le chevalier en noir brisa la garde de Guy et son épée enflammée lui faucha la jambe gauche d’un retour de lame. Guy hurla de douleur et tomba à la renverse, se serrant le mollet, et on voyait de la fumée s’échapper de la blessure. Riant bruyamment, Ferragus s’apprêta à l’achever, mais il dut reculer une nouvelle fois au dernier moment, car Reiner et Rottmann, armés de pistolets, firent feu dans sa direction. Wilhelm vit alors l’homme se déplacer à une vitesse phénoménale pour esquiver les balles, mais un cri lui indiqua qu’au moins une avait trouvé sa cible. Frère Félix aida Guy à se relever, ce dernier grimaçant à cause de la douleur. Wilhelm était malgré tout éberlué. L’habileté et la rapidité de cet individu étaient presque inhumaines, et il doutait de leur capacité à l’affronter sans pertes.
Rottmann, l’expression indéfinissable, était manifestement du même avis, car à cet instant précis le répurgateur détacha un des nombreux objets étranges qu’il portait à la ceinture et le jeta au sol. Il y eut un bruit sourd lorsque l’objet éclata, et une épaisse fumée blanchâtre envahit l’endroit tandis qu’une forte odeur pourrie emplit les narines de Wilhelm.
« Partons, vite » fit la voix aigüe du répurgateur. Wilhelm ne se le fit pas dire deux fois, et saisissant à nouveau la main de la jeune fille, il se précipita à l’aveuglette vers la provenance de la voix. Puis, il eut l’impression qu’un projectile passait au-dessus de sa tête pour atterrir derrière lui, mais la fumée était trop épaisse pour en être certain. Il entendait la voix du chevalier à l’armure noire comme la suie qui vociférait tout en riant de plus belle.
« Ah, vous choisissez la fuite ? Mais partez donc, courrez sur vos petites jambes tant qu’elles peuvent encore vous porter, tant qu’elles peuvent porter le cadavre ambulant que vous êtes ! Je vous rattraperai tôt ou tard, plus l’un que l’autre, et je vous ferai contempler avec une joie joyeuse l’inconsistance de vos corps. Nous les réparerons ensemble, pièce par pièce, et…
- Il va nous poursuivre ! » S’écria Wilhelm tout en courant, les poumons en feu.
« Je ne crois pas non » fit la voix du répurgateur devant lui. Wilhelm n’était pas certain, mais il avait cru entendre comme une pointe d’amusement dans cette réplique.
Une violente explosion retentit alors derrière eux. La jeune fille poussa un cri, et serait tombée à la renverse s’il ne l’avait pas rattrapée. Manifestement, la place venait de subir une puissante déflagration. Pendant un court moment, Wilhelm crut que c’était fini pour eux, mais rien ne vint les intercepter. Puis il comprit : Rottmann avait certainement lancé une grenade sur le chevalier noir. Grenade qui venait d’exploser.
Une fois en-dehors de la protection visuelle offerte par le fumigène, il vit que Frère Félix et Herr Gottfried, soutenant Guy, les suivaient. Tous deux serraient les dents et suaient à grosses gouttes, mais leurs visages étaient déterminés. Reiner courait derrière, tenant entre ses mains l’épée du Bretonnien, que Wilhelm avait oublié dans le feu de l’action. Zut, c’est moi son écuyer et j’en oublie ma mission, s’admonesta-t-il mentalement, les oreilles encore sifflantes après l’explosion. J’espère qu’il ne s’en est pas rendu compte, parce que sinon je suis bon pour un sermon d’une demi-heure. Sans parler de l’image que ça rendra de moi, acheva-t-il de penser alors que son regard croisait celui de la jeune fille.
Leur course fut de courte durée. Au bout de quelques centaines de mètres, Rottmann s’arrêta net, et leva la main. Ils se trouvaient dans une autre ruelle, entourés de maisons silencieuses. Wilhelm était essoufflé, malgré l’adrénaline, et il voyait clairement que la jeune fille était dans un état similaire. Malgré son endurance impressionnante, Rottmann montrait lui aussi des signes de fatigue, mais les pires étaient sans aucun doute Frère Félix et Herr Gottfried. Tous deux soutenant Guy, qui semblait presque avoir perdu l’usage de sa jambe gauche, ils avaient dû courir avec ce poids en plus de celui de leur propre équipement. Et le résultat était sans appel : ils étaient à bout de forces, soufflant comme des bœufs s’appuyant sur les murs à intervalles réguliers, d’autant que Frère Félix lui-même avait été fortement malmené durant le combat. Ils étaient tous épuisés, et Wilhelm put voir qu’aucun de ses compagnons n’avait été épargné durant le combat, chacun d’eux ayant eu son lot d’estafilades. Leur situation à tous semblait peu enviable.
« Bon, il nous faut un plan, et vite, » grimaça le répurgateur qui s’était tourné vers eux. Ses traits étaient tirés, mettant encore plus en valeur ses cicatrices. « Pour l’instant, le plus urgent est de trouver un endroit où nous réfugier. Avez-vous une idée ? N’importe laquelle, nous ne pouvons pas être plus désespérés que nous le sommes. »
« Moi, j’ai une idée. » Tout le monde se tourna vers la jeune fille, qui entre temps avait retiré sa main de celle de Wilhelm. Elle lui jeta au passage un étrange regard de ses magnifiques yeux, qui le congela à l’intérieur. Puis elle s’adressa une nouvelle fois au groupe, d’une voix décidée entrecoupée de respirations alors qu’elle reprenait son souffle.
« Il y a le moulin de mon père. Je peux vous accueillir, si vous promettez d’aller le chercher, avec ma mère. »
Wilhelm tenta de reprendre la parole, mettant autant de compassion qu’il le put dans ses paroles.
« Vos parents ont disparu mademoiselle ? »
Elle darda sur lui ses yeux semblables à des lacs de bonheur, qui à cet instant s’emplirent d’inquiétude.
« Ils sont partis avec les autres, ceux qu’ils appellent les ‘élus.’ Mais je veux qu’ils reviennent. Si vous me promettez de tout faire pour les retrouver… »
Rottmann lui coupa la parole, visiblement peu enclin à s’éloigner du sujet.
« Entendu mademoiselle, nous les trouverons. Maintenant, menez nous chez vous, promptement. »
Elle hocha la tête, puis prit les devant. À ce moment, Rottmann lui posa une nouvelle question :
« Et donnez-nous votre nom. »
Toujours essoufflée, elle s’arrêta un instant pour regarder l’homme moustachu et maigre qui venait de lui donner deux ordres d’affilé sans sourciller.
« Lydia. Je m’appelle Lydia Neisser. »
Ce nom résonna dans les oreilles de Wilhelm comme une mélodie. Il pouvait presque entendre le marteau et le burin qui le gravèrent pour toujours dans son esprit. Rêveur, il contempla un instant la main qu’elle avait lâché, avant qu’un appel de Herr Gottfried ne le fasse trotter pour rattraper ses compagnons.
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Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun
Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
- Hjalmar OksildenKasztellan
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Ven 2 Aoû 2019 - 18:58
Eh bien mes aïeux ! Quelle épopée
Ce texte pourrait presque se suffire à lui-même comme scénario de JDR nondidiou. Et le mystère s'épaissit sur la présence d'hommes-rats avec des cultistes de Tzeentch... Voilà qui est intéressant
Je m'en vais donc demander la suite !! Même si, je veux bien croire qu'il te faudra un petit temps pur te remettre d'un tel abattage de texte.
Ce texte pourrait presque se suffire à lui-même comme scénario de JDR nondidiou. Et le mystère s'épaissit sur la présence d'hommes-rats avec des cultistes de Tzeentch... Voilà qui est intéressant
Je vois que cette référence au JDR V2 est restée dans ton espritet aussi de l’origine orque de leur génitrice.
Je m'en vais donc demander la suite !! Même si, je veux bien croire qu'il te faudra un petit temps pur te remettre d'un tel abattage de texte.
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- Les livres dans le paquetage du nordique...:
La Saga d'Oksilden :
Tome 1 : La Quête Improbable
Tome 2 : Combattre l'acier par l'acier
Tome 3 : Foi Furieuse
Je vous conseille de le télécharger, mettre l'affichage en deux pages et, si possible, activer le mode "Afficher la page de couverture en mode Deux pages" sous Adode Reader (en gros juste pour s'assurer que les pages sont bien affichées comme dans le vrai livre et non décalées)
Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Dim 4 Aoû 2019 - 2:18
Eh bien, j'ai mis du temps à lire ces différents chapitres, mais je dois avouer que c'est vraiment très très bien écrit.
Je ne connais pas forcément très bien l'univers, mais l'écriture fait qu'il est facile de s'immerger dans l'histoire, et de se laisser couler paisiblement parmi ces lignes tant le style et la narration permettent de s'en imprégner facilement.
J'étais assez d'accord avec certains commentaires ci-avant disant qu'il y avait beaucoup d'actions et peu de repos pour les personnages, mais cette impression a été modifiée ensuite avec les nouveaux chapitres.
Bon, certains éléments m'ont échappé forcément comme je ne connais pas bien, mais c'était pour dire chapeau car même pour quelqu'un "d'extérieur" ça se lit facilement.
Et tu as une très belle plume
Je ne connais pas forcément très bien l'univers, mais l'écriture fait qu'il est facile de s'immerger dans l'histoire, et de se laisser couler paisiblement parmi ces lignes tant le style et la narration permettent de s'en imprégner facilement.
J'étais assez d'accord avec certains commentaires ci-avant disant qu'il y avait beaucoup d'actions et peu de repos pour les personnages, mais cette impression a été modifiée ensuite avec les nouveaux chapitres.
Bon, certains éléments m'ont échappé forcément comme je ne connais pas bien, mais c'était pour dire chapeau car même pour quelqu'un "d'extérieur" ça se lit facilement.
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- EssenSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Jeu 3 Oct 2019 - 0:25
Le plaid et le thé aidant, j'ai rattrapé mon retard
Ce que j'aimerais dire en premier, c'est que je suis passablement déboussolé par le nombre d'éléments qui se sont enchaînés dans ce chapitre ! Le grand maître de l'ordre des chevaliers de sang le sera sans doute aussi lorsqu'il entendra le rapport : entre le patriarche qui n'a pas froid aux yeux, les ratons qui se pointent à la fête, le chevalier noir qui manque de faire totalement capoter la mission... A sa place, j'enverrais la cavalerie et les feux d'enfer pour ratiboiser bien gentiment ce nid d'hérésie !
Plus sereinement, je dirais que tu as le don de rédiger des suites qui créent plus de questions qu'elles n'en solutionnent. Où peuvent bien se trouver les disparus ? Quel artifice le patriarche a-t-il employé et quel est son lien avec les choses poilues ? Le moulin sera-t-il un refuge efficace alors que les menaces semblent multiples ?
Mais la cerise sur le gâteau, c'est quand même le coup de foudre en pleine mission d'inquisition. Partant de cet état de fait, il y a tellement de manières différentes d'abattre les cartes de l'intrigue que je ne m'aventurerai dans aucun pronostic. Je vais plutôt suivre l'exemple de ce brave frère Félix (magnifiquement décrit du début à la fin, chapeau !) et prier pour que Sigmar protège les siens et châtie les impurs.
La suite !!!
Ce que j'aimerais dire en premier, c'est que je suis passablement déboussolé par le nombre d'éléments qui se sont enchaînés dans ce chapitre ! Le grand maître de l'ordre des chevaliers de sang le sera sans doute aussi lorsqu'il entendra le rapport : entre le patriarche qui n'a pas froid aux yeux, les ratons qui se pointent à la fête, le chevalier noir qui manque de faire totalement capoter la mission... A sa place, j'enverrais la cavalerie et les feux d'enfer pour ratiboiser bien gentiment ce nid d'hérésie !
Plus sereinement, je dirais que tu as le don de rédiger des suites qui créent plus de questions qu'elles n'en solutionnent. Où peuvent bien se trouver les disparus ? Quel artifice le patriarche a-t-il employé et quel est son lien avec les choses poilues ? Le moulin sera-t-il un refuge efficace alors que les menaces semblent multiples ?
Mais la cerise sur le gâteau, c'est quand même le coup de foudre en pleine mission d'inquisition. Partant de cet état de fait, il y a tellement de manières différentes d'abattre les cartes de l'intrigue que je ne m'aventurerai dans aucun pronostic. Je vais plutôt suivre l'exemple de ce brave frère Félix (magnifiquement décrit du début à la fin, chapeau !) et prier pour que Sigmar protège les siens et châtie les impurs.
La suite !!!
- Arcanide valtekSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Jeu 3 Oct 2019 - 20:31
Merci beaucoup pour vos réponses à tous les trois. Encore une fois, ça fait plaisir de lire des commentaires positifs comme ça, et ça donne envie de continuer.
La suite est commencée, ne vous inquiétez pas .
Cependant, j'ai une question à vous poser, mes chers lecteurs. En tant qu'auteur apprenti, j'essaye de donner vie à des personnages. Cependant, ce n'est pas un travail facile, la plupart d'entre vous le savent. Et j'ignore si j'ai bien réussi.
Du coup, je voudrais vous demander si vous arrivez à voir en quoi mes personnages sont différents les uns des autres. Est-ce qu'on arrive à cerner des traits de personnalité de chacun ou non ? C'est vraiment un point qui me taraude, et je voudrais votre avis dessus.
La suite est commencée, ne vous inquiétez pas .
Cependant, j'ai une question à vous poser, mes chers lecteurs. En tant qu'auteur apprenti, j'essaye de donner vie à des personnages. Cependant, ce n'est pas un travail facile, la plupart d'entre vous le savent. Et j'ignore si j'ai bien réussi.
Du coup, je voudrais vous demander si vous arrivez à voir en quoi mes personnages sont différents les uns des autres. Est-ce qu'on arrive à cerner des traits de personnalité de chacun ou non ? C'est vraiment un point qui me taraude, et je voudrais votre avis dessus.
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- EssenSeigneur vampire
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Re: La geste de Wilhelm Kruger Tome 1 : la voie du sang
Mar 8 Oct 2019 - 19:21
S'il en est un que j'ai un peu de mal à situer, c'est le Herr Gottfried. Je devine qu'il a été proprement décrit à son introduction, cependant sa participation depuis lors a été, disons, univoque : un chevalier impérial, dévoué, fort et plutôt bon vivant. Ces qualités sont louables, mais l'impression "monochrome" que l'on pourrait en ressentir dénote un peu avec ses autres compagnons, dont on nous a montré un peu mieux les apparences et les travers.
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