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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Lun 31 Mar 2014 - 20:56
yop ! J'ai enfin lu la suite  Smile 
Mais j'ai trop la flemme pour faire un commentaire constructif  Sourire 

Donc je demande juste la suite !  Clap 
Gilgalad

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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Lun 31 Mar 2014 - 21:04
Bah, pareil qu'Arken si ce n'est que je l'ai lue il y a plusieurs jours.

Et vivement la suite.
Essen

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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Ven 18 Avr 2014 - 18:18
A mon tour de publier une suite depuis ma grotte  Mr. Green 


45ème partie

  Un envol. Un long et interminable envol qui l’entrainait de plus en plus loin des stupides mortels qui pensaient pouvoir ne serait-ce que de la toucher. Rêve brisé était arrivé justement au moment où elle l’avait invoqué, et elle avait décollé, laissant les paysans loin derrière, laissant leurs cabots loin derrière, laissant leurs maisons crasseuses loin derrière.
À mesure qu’elle progressait vers l’Ouest, Manon d’Essen voyait le Stir miroiter parmi ces mêmes champs infertiles qu’elle avait survolés la veille.
  Elle n’avait nulle part ailleurs où aller. Elle allait retourner à Essen, retrouver le maître Friedrich, attendre l’arrivée de sa mère, puis… La vampirette ne savait trop vraiment ni quelle seraient leurs relations à présent, ni les précautions qu’elle devrait adopter s’ils allaient vraiment vivre parmi les mortels. Cependant, entre les visages familiers de la comtesse et du vieux nécromancien, et la solitude absolue, inconnue et menaçante, le choix lui paraissait évident. Elle n’était pas comme Ashur, elle ne se sentait pas comme lui, et elle ne voulait pas se sentir comme lui. Pas maintenant.
  Elle était une vampire, un monstre assoiffé de sang, un tueur-né, une créature sans foi ni maître, un être supérieur à la condition mortelle, mais pour cela exposé à de telles faiblesses qu’il en devenait fragile… Non, cela serait trop exagéré, le soleil était sa seule faiblesse, brûlant sa peau et sa chair au moindre rayon de lumière. Haha. Sinon, elle était plus puissante que n’importe quel mortel, et personne ne pourrait se dresser sur son chemin. Elle le savait maintenant : les mortels ne pouvaient penser qu’à sa destruction, et non pas parce qu’ils étaient des brutes sans âmes, mais au contraire, elle était en fait une jeune fille d’une violence impie, tuant pour survivre, sans jamais implorer le pardon de quelque divinité que ce soit…
  Scrutant la nuit depuis sa monture ailée, Manon se sentait comme soulagée de savoir enfin à quel monde elle appartenait. Eux étaient dans leurs chaumières en ruines, couinant au moindre jappement de leurs chiens ; elle était chez elle, libre comme le vent, ivre de pouvoir, ivre de…
  La vampirette aperçut qu’elle était arrivée aux abords de la forêt d’Essen. Elle n’avait pas encore envie de descendre. Observant les ténèbres qui glissaient lentement depuis la Sylvanie, elle continua à tournoyer dans les airs, sentant chaque battement d’aile de son pégase, écartant du mieux qu’elle pouvait la pensée de faire à nouveau face à sa mère. Sa mère.
Sa mère était déjà à Essen, elle le sentait. Avec le maître Friedrich. Parmi d’autres dizaines d’odeurs que dégageait la ville…
  Cette joie fut comme importune à tous les tourments que la vampirette croyait éprouver : elle réalisa qu’elle sentait la présence des servantes de la comtesse, Mina et Moka, celles qu’elle avait cru détruites lors de la débâcle du Haut Col.

  Elle traversa une fine couche de brouillard qui s’élevait au dessus des cimes des arbres, puis atterrit sur le chemin de la forêt, veillant à ce qu’il n’y ait aucun mortel dans les environs. Tout était calme, seules les créatures sauvages devaient avoir remarqué son arrivée.
  Manon s’empressa d’envoyer sa monture se dissimuler loin dans les talus, puis courut aussi vite que l’éclair vers les myriades d’odeurs qu’elle sentait venir de très près. Il y avait trop de questions à poser. Comment les deux servantes avaient-elles survécu ? Comment se faisait-il que sa mère n’était plus à sa recherche ? Comment vivraient-ils à présent ? Où vivraient-ils exactement ?
  Elle s’arrêta net à l’orée des bois, surprise par l’existence d’une palissade gardée. Le chemin qu’elle avait emprunté conduisait à un portail refermé, flanqué de modestes tours de guet en bois de chaque côté, chacune éclairée par des torches. Pour passer à l’intérieur de la ville, elle devrait traverser cette palissade.
  La vampirette sourit, et sortit d’une poche un petit sifflet doré qu’elle avait toujours sur soi. Le petit objet n’émit, sembla-t-il, aucun son quand elle souffla dedans ; cependant, quelques instants plus tard, les miliciens gardant les remparts furent interpellés par une espèce de bourdonnement venant de la forêt. Le bourdonnement gagna en puissance, on pouvait à présent y distinguer un nombre infini de couinements, de piaillements et de battements d’ailes de toutes tailles ; en l’espace d’un instant, la lumière des deux lunes ne fut plus.
  Des nuées et des nuées de chauves souris survolèrent les tours de guets, mordant, griffant et meurtrissant la moindre surface de chair qu’elles atteignaient malgré l’agitation et les hurlements affolés des gardes.
  Quand l’essaim fut enfin parti, ils s’écroulèrent, ensanglantés, ne pensant qu’à soigner leurs plaies. Manon avait alors depuis longtemps bondi par-dessus la palissade.

  Elle traversa des ruelles plongées dans la pénombre, désertes à cette heure aussi tardive, guidée uniquement par ses instincts de chasseresse, apercevant rapidement la plus grande maison de la ville, dont l’une des fenêtres était encore éclairée. Le maître Friedrich y était, ainsi que les servantes, et sa mère la comtesse.
  Manon frémit de tout son corps, puis traversa les derniers cent pas qui la séparaient de l’habitacle. Ne voulant pas faire mauvaise impression, elle frappa à la porte. Elle n’eut aucun mal à entendre des chuchotements : « Oh ! C’est mademoiselle ! » Puis la voix de la comtesse : « Allez donc lui ouvrir ! »
  Un moment plus tard, la porte de la maison s’ouvrit devant la vampirette. Transportée de joie, c’est ainsi qu’elle crut se sentir à la vue de Mina et Moka, les demoiselles de chambre de sa mère. Néanmoins, elle fut stoppée net dans son envie de les étreindre, car elles s’inclinèrent respectueusement devant elle, lui laissant le chemin libre à l’intérieur. Les servantes la suivirent ensuite à l’étage, dans une salle à manger éclairée par deux grandes lampes à huile suspendues au plafond.
  Le maître von Nettesheim était accoudé sur une table tout à fait propre, la mine satisfaite, sa barbe gardant encore quelques gouttes d’un liquide fortement odorant. Il regarda Manon d’un air bienveillant. Celle-ci le salua, un peu gênée, puis se tourna vers la comtesse.

  Delphine d’Essen était également assise sur une chaise, un peu à l’écart, mais elle se leva soudain.
- Eh bien, ce n’est pas trop tôt ! – dit-elle avec fougue, brisant la quiétude apparente du lieu, au point que Manon vit le vieux nécromancien froncer les sourcils et la regarder d’un air attentif.
- Je… - la vampirette fut tout aussi surprise par la raideur d’un tel accueil. – Bonsoir, mère.
- Bonsoir, ma fille. Le maître et moi avons failli attendre, - elle lui indiqua une troisième chaise auprès de la table, - assieds-toi, il y a fort à faire.
  Manon d’Essen s’exécuta promptement.
- Bien, - reprit la comtesse, ses prunelles rougeoyant vivement en dehors de la lumière des lampes, - comme je le disais avant au maître Friedrich, il nous faudra toutes les forces que nous avons à notre disposition. Nous avons ressenti ton invocation de chauves-souris, ma fille, - elle lui sourit, - c’est très bien !
Manon ne sut trop que répondre. Elle eut à peine le temps de jeter un regard en biais vers le nécromancien, quand la comtesse reprit à nouveau :
- C’est très bien, il te faudra refaire la même performance, voire encore mieux demain soir ! Moi-même…
- Mère ? – Manon l’interrompit et faillit le regretter en voyant la rapidité avec laquelle changeait l’expression de sa mère.
  Tout d’abord l’air furieux d’avoir été coupée, elle s’adoucit tout d’un coup, et regarda sa fille, l’invitant à continuer.
- Mère, euh, hum, pourquoi demain soir ?
- Mais pourquoi perdre du temps ? – lui répondit prestement la comtesse, - Il me faudra la journée, voire plus, pour aller jusqu’au Haut-Col puis en revenir avec nos troupes…
- Oui mais… - la vampirette sentit qu’elle l’interrompait à nouveau, mais reprit tout de même, - Ramener les troupes ? Pourquoi ? Quelles troupes, mère ?
- Mais, mon enfant, mes gardes des cryptes, pardi ! Et si cet imbécile y est enfin arrivé, le ménestrel !
- Mais pourquoi ? – elle remarqua le regard expressif du maître von Nettesheim.
- Pourquoi ? Ah oui, je ne t’ai pas dit le plus important, ma chère : demain soir, nous allons soumettre la ville d’Essen !
- Que… - Manon n’en crut pas ses oreilles, mais voyant son vieux maître cligner des yeux sans arrêt, reprit sa contenance, - je veux dire, bien, mère.
- Parfait. Je pars sur le champ, ton maître t’instruira sur la marche à suivre pendant mon absence, j’en ai déjà discuté avec lui.
  Von Nettesheim s’inclina, et la vampirette suivit son exemple. Visiblement satisfaite, la comtesse leur souhaita de bons préparatifs, et quitta la salle à manger, puis la maison. Sa fille vit par la fenêtre sa silhouette s’éloigner de plus en plus loin, puis tourner vers la forêt d’Essen.


- Maître !
  Elle n’en pouvait plus, et le nécromancien le voyait.
- Oui, mademoiselle, posez-moi toutes vos questions, toutes !
- Qu’est-ce qui se passe ?!
- Je ne peux que deviner, mademoiselle, mais dans les grandes lignes, je vous demanderai de vous asseoir à nouveau, et non plus en tant que maître, mais en tant que – groumf – ami,  asseyez-vous, s’il vous plaît, ensuite nous parlerons.
La vampirette le regarda pendant un petit moment, puis s’assit à contrecœur.
- Bien. Mesdemoiselles Mina et Moka, je n’ai d’autre choix que de vous inviter à vous joindre à nous. Prenez chacune une chaise et asseyez-vous, - il prit alors une grande inspiration avant de dire solennellement : - mesdemoiselles, pardonnez cette prétention, mais j’ose espérer que vous me faites autant confiance qu’à notre dame bien-aimée ?
  Toutes les trois se dévisagèrent, les deux servantes baissant humblement leurs yeux devant Manon, puis toutes les trois décidèrent d’hocher la tête. Pour Mina et Moka, si le vieux maître outrepassait de trop sa position, il ne serait jamais tard de l’entendre d’abord et de le tuer ensuite. Pour Manon, la confiance qu’elle éprouvait était sincère.
  Von Nettesheim s’inclina.
- Vous m’en voyez honoré, mesdemoiselles. Hélas, cette confiance va devoir dès lors être mise à l’épreuve, - il les dévisagea toutes, puis joignit ses mains devant soi, comme pour leur confesser une faute grave, - me croiriez-vous si j’affirmais que notre dame n’agit pas de son propre chef ? Qu’elle n’est plus elle-même ?
- Non, - répondirent simplement les deux servantes.
  Le nécromancien regarda directement Manon, levant un sourcil.
- Je… - commença celle-ci, - pourquoi dites-vous cela, maître ?
- Eh bien, - dit-il, - mesdemoiselles Mina et Moka pourront à coup sur vous confirmer ce fait-là : ce soir, disons, trois heures environ avant votre arrivée, madame votre mère est arrivée ici.
- C’est exact, - dit Mina.
- Merci, - le maître hocha légèrement en sa direction, - ceci est un premier fait. Le deuxième fait, outre que je ne pus vraiment comprendre pourquoi vous n’étiez pas avec elle, est que la première chose que m’ordonna madame votre mère en arrivant a été d’examiner le cimetière local. Pourquoi pas, c’est une précaution que tout bon sorcier doit prendre avant de s’installer. Cependant, je fus perplexe en entendant que la prochaine mobilisation aurait lieu demain soir, et que nous allions conquérir la ville d’Essen, et ce, pour la gloire des von Carstein !
  Il appuya volontairement sur ces derniers mots, attendant avec beaucoup d’appréhension la réaction que cela provoquerait chez Manon. Celle-ci cligna des yeux, puis…
- Quoi ?? – elle se leva brusquement, manquant de renverser sa chaise, qu’elle rattrapa au dernier moment, - C’est impossible !
  Elle remarqua que les deux servantes étaient toujours aussi sereines qu’avant.
- Et vous, vous ne dites rien ?
  Elles la dévisagèrent, puis Moka répondit :
- C’est notre devoir que de servir notre dame, quels que soient ses ordres.
  Manon s’en détourna abruptement, agacée. Le maître, lui, dissimula un sourire dans sa barbe. La vampirette s’adressa à nouveau à lui :
- Comment cela est-il possible ? Elle avait traité le comte Mannfred de « méprisable » encore ce matin…
- Mademoiselle, puis-je m’enquérir sur votre journée depuis mon départ à Essen ?
  Elle le regarda, puis s’affala sur sa chaise, soudain confuse. Von Nettesheim se contenta d’attendre.

***
- Tout ceci semble s’expliquer, - dit-il enfin après que la vampirette eut fini son récit, - Notre belligérant sylvanien n’a eu qu’à saisir sa chance quand madame votre mère s’est retrouvée seule, et l’asservit à sa seule pensée… Non, non, mademoiselle, inutile de vous dire que c’est de votre faute. Inutile ! – elle leva ses yeux vers lui, - je connais assez les mortels pour ce genre de remords, ne vous abaissez pas à leur niveau, je vous en prie.
  Pendant tout le temps, Mina et Moka n’avaient soufflé mot, attentives aux paroles de la demoiselle d’Essen, et à celles du vieux nécromancien.
- Quoi que vous puissiez en conclure, maître, - dit alors Mina, - Moka et moi refusons de désobéir aux ordres de la comtesse.
- Mais, - von Nettesheim se tourna vers elles, - loin de moi toute idée de désobéir aux ordres. Vous avez déjà fait bien assez, mesdemoiselles, nul ne peut à présent prédire ce qui va arriver à ce pauvre bourgmestre maintenant que vous l’avez transformé. Non, ma seule requête envers vous sera de ne raconter cette discussion à notre dame que si elle vous le demande expressément…
- Que s’il ne s’agit que de ses intérêts, - coupa Mina, d’une voix calme, mais ferme.
  Le nécromancien leva les yeux et les mains au plafond.
- Tout est dans ses intérêts, mesdemoiselles ! Mademoiselle Manon ? – elle le regarda, pleine d’attention, - Puis-je vous demander d’aller quérir le seigneur Ashur sur le champ ? Avant de partir, il m’avait glissé qu’il irait régler quelques affaires pressantes en Sylvanie ; vous devriez pouvoir le retrouver, j’ose le croire.
  Manon acquiesça, puis s’apprêta à partir, souriante.
- Ah, mademoiselle, - l’interpella encore von Nettesheim, - inutile de faire des acrobaties sur votre pégase quand vous y serez. Je sens que le soleil ne s’y lèvera plus de sitôt.
  Un peu perplexe, elle hocha la tête, puis, adressant encore un sourire aux servantes, sortit de la salle. En quittant la maison, elle l’entendit encore dire aux deux demoiselles de chambre : « Voyez ! Je ne fais que d’encourager la mobilisation ! Mais avant de voir ces cimetières, permettez que j’aille me reposer. Et, mesdemoiselles, veillez, je vous prie, au réveil de ce pauvre von Essen, qu’il n’aille pas se repaître sur mon vieux cou pour sa première fois. »


Dernière édition par Von Essen le Jeu 22 Mai 2014 - 11:50, édité 1 fois
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Dim 20 Avr 2014 - 14:33
Question existentielle : ne serait-ce pas ton avatar qui vient de se faire transformer ? Nous aurions donc découvert son origine !  Wow 

Ecriture toujours aussi agréable, histoire prenante... Blablabla...  Mr. Green 

La suite !  Clap 
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Jeu 8 Mai 2014 - 14:46
46ème partie.

Elle eut tôt fait de rejoindre sa garde rapprochée dans les bois d’Essen. Immobiles tels des statues, les chevaliers noirs et leur roi l’attendaient, impassibles dans leur servitude éternelle. La comtesse, elle, avait à présent juré de ne servir que les intérêts du comte Mannfred von Carstein, suprême seigneur de la Sylvanie, légitime prétendant au trône de l’Empire.
Il lui avait ouvert les yeux, il lui avait révélé ce à quoi elle aspirait vraiment : reconquérir ses terres, car n’était-elle pas la comtesse de l’Ostermark ? Cette vérité tellement simple, tellement évidente lui avait étrangement échappé jusque là, mais plus maintenant ; maintenant tout était clair et limpide. Elle conquerrait Essen, puis les villes environnantes, puis toutes la contrée, attendant que son suzerain, le grand Mannfred, soit enfin couronné empereur. Ah, elle anticipait avec délice les prochaines batailles, elle croyait déjà sentir l’odeur de la poudre à canon de ses ennemis, leurs ordres aboyés à leurs abrutis de soldats, alors qu’elle, elle serait alors à la tête d’une immense armée de corps sans âme, obéissant à la moindre de ses injonctions, implacables, imbattables, telle la marée montante engloutissant les rivages de la Grande Mer…
Ainsi plongée dans ses rêves de gloire, elle chevauchait à travers la forêt, montée sur son destrier caparaçonné, suivie de près des nazguls et de sa Majesté. Elle évitait les arbres sur son chemin, eux passaient à travers, la bannière royale flottant toujours dans la brise. Delphine avait toujours été fière de sa garde de chevaliers noirs. Ils lui avaient servi depuis bien longtemps, quand elle avait encore à peine acquis la maîtrise des vents nécromantiques, quand elle était perdue, seule, vagabonde à la recherche d’Ashur…
Ashur ! Elle ne le rencontrerait plus de sitôt, et cette pensée lui était formidablement agréable. Tout allait pour le mieux à présent : ils servaient le même maître, chacun s’était vu confier une tâche importante dans le grand dessein des von Carstein, et elle n’échouerait pas, elle ne le laisserait pas s’arroger tout le mérite, elle… Elle gagnerait, elle serait la plus proche servante du comte Mannfred, elle, et non lui !
Ils laissèrent la forêt derrière eux après plusieurs heures de course effrénée. Telle une grande route aux formes fuyantes, le Stir apparut à leur droite, le chuchotement du courant se rajoutant aux autres bruits de la nuit. Seuls les sabots du cauchemar bardé de plaques rouges percutaient violemment la terre meuble ; on aurait dit que le vent passait à travers le noir des montures squelettiques.


Il y avait eu un temps où ces montures étaient faites de chair et d’os ; leurs maîtres n’avaient pas toujours été des spectres maudits ; l’acier maintenant sombre et corrodé avait jadis brillé au soleil.
Ce métal était alors rare et bien plus précieux que l’or. Bien travaillé dans la chaleur étouffante d’une forge, sous les coups répétés d’un maître-forgeron, le fer devenait alors aussi dur que le bronze, mais plus léger, et plus maniable, digne d’appartenir à un roi.
Si nul roi n’existait alors, l’on connaissait déjà l’usage de la couronne, et l’importance de ceux qui en portent. Or, la couronne de bronze qui se transmettait de père en fils dans la tribu des Redones n’était pas qu’un signe de pouvoir et de mérite : c’était un puissant talisman, sacré par les prières des hommes, des femmes et des enfants, protégeant son porteur des malheurs et des coups mortels.
Chaque chef de tribu portait cette couronne avec dévotion, car c’était le signe de son rang, mais aussi de son fardeau de chef ; celui en qui les siens plaçaient leur confiance pour les mener à la bataille, celui qui ne devait jamais faiblir, jusqu’à transmettre la couronne à son propre fils, qui deviendrait chef à son tour.  
Depuis toujours ils suivaient les Bretonni. Depuis toujours ils en faisaient partie, car tous partageaient ce même amour des chevaux, qu’ils considéraient parfois plus précieux que leurs armes. Leur histoire commune remontait à des temps immémoriaux, que même les anciens peinaient à transmettre à leurs petits enfants. Ils disaient qu’il y a bien longtemps, leurs ancêtres firent un grand voyage, un grand voyage qui les mena au-delà des Grandes Montagnes, et qui les fit arriver vers des terres accueillantes et fertiles. De nombreuses batailles furent livrées, où à chaque fois les tribus unifiées des Bretonni chevauchaient ensemble, toujours vers la victoire. Ils connaissaient bien d’autres tribus : les fiers Unberogens, les féroces Teutogens, les Merogens, les Jutones et bien d’autres, mais, au mieux, une profonde inimitié les séparait. Au fil des générations, alors que les Bretonni étaient encore et toujours en déplacement incessant, vivant parfois littéralement sur leurs montures, les autres tribus s’étaient installées, bâtissant maisons, barrières et fortifications de toutes sortes.
Les hommes des Redones, comme leurs alliés, considéraient ces constructions avec mépris, car selon eux, le courage qu’il fallait pour charger l’ennemi n’était pas le même quand il fallait juste défendre un mur. La couardise de leurs ennemis les écœurant, ils se tournèrent souvent vers des ennemis qui n’avaient pas le bon sens d’ériger des remparts, à savoir des tribus d’hommes-bêtes fort téméraires ou des bandes de peaux-vertes ayant échappé à la vigilance des nains.
Les nains. Pour les petits enfants qui n’en avaient jamais vu, les anciens racontaient qu’il s’agissait de guerriers trapus, mais féroces, bien plus féroces que les Teutogens, et bien plus fiers que les Unberogens. Toutefois, leur profonde désaffection pour les chevaux ne leur faisait point honneur, aussi, disaient-ils, il faut traiter les nains avec respect, mais sans plus. Cependant, la tribu des Redones fut parmi celles qui arpentèrent souvent les plaines aux pieds des montagnes, s’engouffrant parfois dans quelque vallée reculée ; au passage, ils occirent un tel nombre de choses vertes qu’ils s’attirèrent les faveurs des nains, et obtinrent d’eux un savoir qui leur permit d’habiller leurs chevaux de métal, comme l’on faisait pour les hommes, rendant monture et cavalier presque invulnérable.
Une première génération de Redones, croyant en être les premiers et uniques possesseurs, voulut garder ce savoir secret avec une jalousie quasi-palpable. La génération suivante remarqua, non sans une légère déception, qu’ils n’étaient de loin pas les seuls à avoir appris à armurer leurs chevaux : les Bretonni et les autres tribus avaient eux aussi adopté cette technique.

A mesure que les autres tribus s’installaient dans des terres plus ou moins fertiles et s’en déclaraient les maîtres, il fut de moins en moins d’espace pour les tribus de cavaliers, contrariant sévèrement leurs traditions de déplacement perpétuel. Le hasard fit qu’elles se disloquèrent, se perdirent de vue les unes les autres, certaines suivant le courant des choses et « descendant de leurs montures », comme l’on disait alors ; d’autres voyagèrent plus loin : ainsi les Bretonni s’en furent par-delà les Montagnes Grises au sud-ouest.
Les Redones furent partout repoussés : au sud par les Brigondiens, à l’est par les Fennones, au nord par les Ostagoths. Seul un chef complètement fou les aurait menés à l’ouest, où Teutogens et Unberogens semblaient être au sommet de leur puissance. D’ailleurs, nombreux furent ceux dans la tribu qui s’étaient convertis au culte d’Ulric, le Seigneur des Loups et de l’Hiver, dieu des Teutogens, mais la haine entre les tribus était plus forte que n’importe quelle dévotion.
Leur chef d’alors, Gétorund, les conduisit au nord, plus loin au nord, où ils rencontrèrent la tribu des Ungols, nomades comme eux, en proie aux mêmes doutes face au monde qui paraissait se rétrécir à leurs yeux, à mesure qu’au sud, les terres se peuplaient de plus en plus et, au nord, les ténèbres s’amoncelaient. La vie était rude, bien plus rude pour n’importe qui, là où les nuits étaient deux fois plus longues que les jours, et les neiges recouvraient les plaines quasiment toute l’année. Les Ungols et les Redones bataillèrent à peine quelques années, et s’en retrouvèrent tellement affaiblis que ni l’un, ni l’autre ne put résister au moment où une horde de guerriers norsii déferla depuis les rivages du sud-ouest. Chassés des terres de leurs ancêtres par les Unberogens, ils se mirent à conquérir la contrée, refoulant vers l’est ses premiers occupants…

***

- Gétorund ! Gétorund !
Le vieux guerrier se retourna, sentant dans son cou une douleur indiquant à quel point son âge était avancé. Son armure devait être au moins aussi vieille que lui. Son cheval, Ulric soit loué, était un étalon jeune et vigoureux. Gétorund vit les femmes assemblées en petit groupe devant les tentes couvertes de fourrures. C’était sa femme, Ariseld, qui avait appelé. Toutefois, il vit que si les autres femmes en avaient eu le courage, elles auraient appelé leurs maris aussi. Il attendit.
Ariseld, vêtue de deux robes et serrant sur soi une grande fourrure d’élan, le regardait avec inquiétude. Mais, consciente qu’elle ralentissait les hommes, elle dit seulement :
- Nos prières vous accompagnent.
Certaines femmes acquiescèrent, et peu d’entre elles eurent la chance d’apercevoir de faibles sourires d’encouragement de la part de leurs hommes. Gétorund ne sourit pas. Il fit un dernier signe d’adieu et se détourna des femmes derrière lieu, intimant à sa monture d’avancer. Les autres cavaliers suivirent leur chef.
Pas après pas, la petite troupe s’éloignait de leur campement, passant à travers les arbres, évitant les broussailles épaisses et les couches de neige traitresses. A travers les cimes des arbres, le ciel était blanc et déversait de petits flocons, la plupart desquels allaient se déposer sur les branches touffues des sapins et des pins sylvestres. Gétorund avait pris avec lui neuf de ses meilleurs cavaliers, et tous contemplaient la forêt comme s’ils voulaient en graver l’image à jamais dans leurs esprits.  
Les anciens avaient parlé : si la tribu des Redones ne voulait pas tomber sous le joug des envahisseurs venus du sud-est, ils devaient forger une alliance avec les Ungols. Des cris d’indignation s’étaient élevés parmi les guerriers quand leur chef leur annonça cette terrible décision, car non seulement les Redones devraient à présent implorer les Ungols d’oublier des années de guerre sans merci, mais en plus, nul ne songeait à douter du sort que subirait leur délégation : au mieux, une mort rapide. Naturellement, le chef devait en faire partie.
La nuit qui précéda le départ fut des plus bruyantes : les pleurs des femmes et des enfants se faisaient entendre de partout, entrecoupés de cris emplis de colère. Il en fut de même dans la tente du chef : sa femme déversa toutes les larmes de ses yeux, mais les cris de colère étaient ceux de son mari et de leur fils aîné, Orden, qui voulait absolument partir avec son père. Il n’était plus qu’un simple jeune homme, mais un guerrier brave et fort ; Gétorund ne pouvait souhaiter meilleur successeur, aussi voulait-il lui transmettre la couronne de chef avant de partir : s’il ne revenait pas, Orden serait sans conteste couronné. Toutefois, la pratique voulait que la couronne ne soit transmise qu’à la mort du chef, et son fils n’hésita pas à le lui rappeler plusieurs fois, désireux surtout de ne pas abandonner son père dans ce qu’il comprenait comme étant son dernier voyage. A l’issue d’une âpre dispute, il obtint ce qu’il voulait.
Ainsi ils furent dix à quitter leurs foyers ce jour-là : Gétorund Redonakor, chef couronné des Redones, et Orden, son fils et champion ; Krutgard, vieil ami du chef, eut l’honneur de porter la bannière bleue des Redones ; le cor de la tribu fut confié à Ragden, un guerrier marqué par sa ruse et ses connaissances variées : c’était lui, et non les femmes, qui avait parfaitement brodé la couronne du chef sur la bannière, il y a des années ; Badrund, un guerrier féroce, connu pour sa bestialité dans les batailles ; Ruseld et Rageld, laissant tous deux leurs femmes et de nombreux enfants, partirent néanmoins sans se retourner ; Kardun fut le seul ancien assez solide et assez fou pour se porter volontaire, personne ne s’y opposa ; Gismon et Revaïn étaient eux aussi de bons guerriers, et se sentirent honorés que leur chef les choisit parmi d’autres.
Leurs chevaux avaient été soigneusement vérifiés avant la route, de même que leurs armes et leurs armures. Tous brandissaient de longues lances de cavalerie, qui, en pleine charge, pouvaient transpercer un ours de part en part. Ils s’attendaient à des ennemis, ils espéraient des ennemis à pourfendre avant de rencontrer leur mort. Il y avait peu d’espoir que l’alliance voie le jour, et seul le vieux Krutgard pouvait peut-être soupçonner comment leur chef pensait s’y prendre.
La forêt dans laquelle leur tribu s’était dissimulée n’était pas grande, et elle était traversée par une grande rivière. Par chance, pendant cette période de l’année les grands froids venus du nord recouvraient toutes les eaux d’une solide couche de glace, telle que même un cheval au galop ne risquerait pas de la percer. Aussi ils passèrent par-dessus sans encombre, se dirigeant vers le nord-ouest, là où Gétorund soupçonnait que les Ungols se réunissaient pour porter une contre-offensive sur les envahisseurs. C’étaient de grandes plaines s’étendant à perte de vue ; recouvertes de neige blanche, on croyait parfois confondre ciel et terre et ne plus apercevoir l’horizon, surtout quand survenait la tempête, violente et souvent mortelle. Quand les Redones la subirent pour la première fois, leurs chevaux ne purent y survivre ; depuis, la forêt leur offrait un refuge providentiel contre le vent et la neige. C’était aussi devenu leur garde-manger, car nul ne savait de quoi les Ungols pouvaient se nourrir dans les plaines. Curieusement, les loups ne furent pas une menace pour la tribu, si ce n’est qu’ils leurs disputaient le gibier. Même ceux qui vénéraient encore Ulric avaient du, à contrecœur, se résoudre à les exterminer pour survivre.
La traversée de la forêt dura jusqu’à midi, après quoi ils quittèrent le couvert des arbres et sortirent en pleine vue de tout ennemi arpentant la plaine aux alentours. Tout le monde regarda dans tous les sens, mais ne vit pas âme qui vive. Que ce soit Ungols ou envahisseurs, ils devaient être plus loin vers l’ouest.
Le chef s’adressa à son ami :
- Krutgard, - parla-t-il à voix basse, car le bruit s’entendait loin dans les espaces ouverts, - à quoi penses-tu ?
Le guerrier au visage ridé et aux longs cheveux gris rapprocha sa monture de la sienne.
- A remercier les esprits, grand chef, car ils nous offrent de vivre quelques heures de plus, - répondit-il d’une voix aussi basse.
- Tu dis vrai, vieux loup. Ulric écarte nos ennemis de notre chemin, nous permettant d’accomplir notre mission.
Orden, qui était proche, parla :
- Notre mission est vitale, grand chef, mais il serait peut-être temps de manger quelque chose…
Gétorund observa son fils, puis sourit, disant :
- Vrai, Orden. Va, fais passer le message aux autres.
Le jeune guerrier hocha la tête, puis s’éloigna de son père. Bientôt, tous avaient sorti de leurs besaces quelques provisions de viande séchée que leurs femmes leur avaient préparée, et mangèrent tout en continuant leur route.

Ils atteignirent une seconde rivière lorsque la lumière du jour déclinait, n’ayant pas rencontré âme qui vive de toute la journée. Sur décision du chef, ils établirent leur campement avant de traverser, remettant cette étape non sans péril au jour suivant. Une unique tente fut érigée, où tous les guerriers se réunirent autour d’un feu. Ils mangèrent un peu, burent autant qu’ils le pouvaient, chacun partageant ses espoirs et ses inquiétudes avec le voisin, craignant moins pour l’issue de leur mission que pour leurs chevaux qui ne pouvaient être à l’abri dans la tente, exposés au froid mordant de la nuit. Les tours de garde furent rapides ; plus rapides encore furent les heures de sommeil. Bien avant les premières lueurs de l’aube, les Redones furent à nouveau en selle, traversant la rivière avec vigilance, le cœur de chaque guerrier faisant un bond à chaque fois qu’il sentait sa glace grincer légèrement sous les sabots de sa monture. Une fois tirés d’affaire, ils galopèrent allègrement sur la plaine, bénissant les esprits de leur accorder une journée calme de plus. Seul Orden, un peu plus fervent ulricain que les autres, songeait quelquefois qu’il serait bon de rencontrer quelques ennemis ou d’affronter la tempête.
Jusqu’au lever du soleil ils chevauchèrent, scrutant les environs avec appréhension.

- Grand chef ! – Ragden pointa l’horizon du doigt.
- Grand chef ! – Orden le rejoignit.
- Grand chef ! – un sourire se dessina sur le large visage balafré de Badrund.
- Grand chef !
- Grand chef !
Tous les avaient aperçus à présent : nombre de cavaliers galopaient au loin, et eux aussi durent sans nul doute les apercevoir, car certains disparurent de vue, alors que d’autres tournèrent leurs montures dans leur direction.
- Au moins une cinquantaine, - marmonna Krutgard, - Des Ungols, - ajouta-t-il.
- Grand chef ? – l’ancien Kardun lui jeta un regard interrogateur ; les autres aussi attendaient des ordres.
- Chut, - Gétorund leva la main, leur intimant le silence, - je serai le seul à parler. S’ils tirent avant de parler, levez les boucliers, ne chargez pas sans mon ordre.
Le soleil se levait lentement à l’est, éclairant les cavaliers ungols de sa lumière blafarde. Ils ne portaient pas d’armures, juste des vêtements de fourrure, mais des épées recourbées pendaient à leurs ceintures, et des carquois remplis de flèches pendaient dans leurs dos. Arc dans une main, bride dans l’autre, les Ungols se rapprochaient pour voir de près le petit groupe d’étrangers, car de loin le soleil leur tapait dans les yeux.
A portée de tir d’arc, ils s’arrêtèrent, et échangèrent quelques mots dans leur langue incompréhensible. Puis, sans sommation aucune, ils bandèrent leurs arcs et décochèrent une volée de flèches.
- BOUCLIERS !! – résonna le cri du chef, - PERSONNE NE BOUGE SANS MON ORDRE !
Personne n’osa le contredire, et, heureusement, la première volée ne leur fit aucun dommage. Dans le silence qui s’installa ensuite, Gétorund entendit marmonner derrière lui : « Je crois qu’on nous a reconnus ».
- Silence ! – ordonna-t-il. – Attendez-moi ici.
Et il intima à sa monture d’avancer.

Visiblement curieux de voir cette absence de réaction après leur première salve, les Ungols observent patiemment l’un de leurs ennemis se détacher du groupe et se rapprocher d’eux. Lorsque la distance entre eux fut réduite de moitié, ils virent le cavalier en armure planter sa grosse lance dans le sol, et, sa main une fois libérée, faire un signe de salut avec. L’un d’eux banda à nouveau son arc, mais un autre l’arrêta. Voyant cela, le cavalier ennemi osa encore s’approcher. Parvenu à quelques pas des Ungols, il s’arrêta de nouveau, car nombre d’entre eux se mirent à crier et s’agiter, pointant du doigt le cavalier, mais surtout pointant du doigt sa couronne.
Gétorund ne broncha pas, mais rapprocha de lui une autre besace dont il n’avait jusque là montré le contenu à personne, et en sortit, tenant par les cheveux, plusieurs têtes de guerriers portant les peintures tribales des envahisseurs du sud-ouest. Il jeta les têtes aux pieds des cavaliers.
Un des chevaux se cabra, mais son maître le calma aussitôt. Lui et les siens scrutèrent les têtes et durent reconnaître les peintures tribales, car Gétorund vit leurs visages s’éclaircir. D’autres, cependant, affichaient toujours des regards de mépris, et tonnèrent et gesticulèrent avec véhémence en direction de ceux qui à présent échangeaient quelques rires. Leur discussion fut animée, et pendant tout ce temps, le chef des Redones se força à demeurer impassible.
Enfin, les voix des Ungols s’éteignirent. L’un d’eux regarda directement Gétorund et parvint, quoiqu’à grand peine, à lui faire comprendre par des gestes qu’ils n’allaient plus tirer. Alors seulement le Redonakor fit signe à ses guerriers de le rejoindre.



47ème partie.

Par ordre du chef, sa lance fut laissée plantée dans plaine, et ce signe ne fut point inaperçu des Ungols. Un chef désarmé venait auprès d’eux, ramenant des têtes de leur ennemi commun : le message pouvait difficilement être plus clair. Aussi, bien que les autres Redones fussent accueillis par de nombreux regards emplis d’hostilité, aucune arme ne fut levée contre eux.
Ils se mirent en formation, protégeant le Redonakor de toutes parts, pendant que les cavaliers Ungols les encerclaient, formant une sorte de garde d’honneur tout autour. Quand l’un d’eux fit signe d’avancer, Gétorund intima à ses hommes de suivre.
Des murmures discrets d’approbation lui venaient de toutes parts :
- Ulric en est témoin, grand chef : vous êtes plus rusé qu’un vieux loup…
- Bien joué, grand chef…
- Nos prières ont été entendues…
Adressant un sourire d’encouragement aux guerriers, leur chef leur fit signe de se taire ; il s’efforçait d’entendre les échange à peine dissimulés entre quelques cavaliers Ungols qui menaient la marche.
Il ne put distinguer un traitre mot qui lui donnât plus d’espoir, mais entendit plusieurs fois « Edon ! » de la part des cavaliers visiblement les moins disposés à leur égard. Gétorund s’adressa alors aux siens :
- Mon ordre n’a pas changé : je suis le seul à parler. Vous autres, soyez comme les loups à l’affut : calmes, mais prêts à vous battre jusqu’à la mort dès que je vous en donne l’ordre. Seulement si je vous en donne l’ordre. Si je suis tué avant, toi, Orden, prendras le commandement et la couronne.
Ils se contentèrent d’hocher la tête en guise d’approbation. S’ils avaient survécu jusque là, c’était grâce au chef, et ils comptaient bien survivre encore ; presque tous eurent désormais un espoir que leur mission n’était pas fatalement vouée à l’échec.

Tout le jour ils progressèrent au galop à travers la plaine enneigée. Tout le jour le soleil brilla de sa lumière sans chaleur. Il n’y eut aucune interruption, les Ungols comme les Redones mangeant en même temps qu’ils chevauchaient. Toutefois, la plaine enneigée n’était plus aussi déserte et inhospitalière qu’elle l’avait peut-être été il y a quelques mois : de plus en plus souvent ils croisaient d’autres groupes de cavaliers plus ou moins nombreux, certains avec des femmes et des enfants, d’autres composés uniquement de guerriers, allant soit dans le même sens qu’eux, soit dans le sens opposé. Ils échangeaient souvent quelques mots avec les Ungols qui menaient la marche, et toujours leurs regards se posaient sur le petit groupe de guerriers Redones. Ceux-là restèrent de marbre malgré quelques cris ouvertement violents qu’ils purent entendre de part et d’autre, faisant aveuglement confiance au Redonakor. Même Badrund, qui aurait avec joie étripé quelques unes de ces « braillards », évita de se faire remarquer.
Dans la lueur du crépuscule, un campement de plusieurs tentes fut érigé, mais les Redones préférèrent rester entre eux dans leur tente commune. Les Ungols ne cherchèrent pas à les en dissuader. A la tombée de la nuit, les tours de garde furent à nouveau distribués ; bien qu’ils fussent de toutes parts entourés de tentes ungoles, les guerriers ne pouvaient relâcher leur vigilance, au cas où leurs hôtes changeraient soudain d’avis. Toutefois, personne ne chercha à perturber leur repos. Badrund, qui reçut le premier tour de garde, faillit même s’endormir en entendant une curieuse chanson gutturale ungole chantée non loin dans une tente voisine.
Avant l’aurore, cependant, un incident survint : les sentinelles ungoles s’agitèrent, et quelques cavaliers partirent dans une direction que Gismon, qui était le dernier de garde, reconnut comme étant le sud-ouest ; malgré l’obscurité encore prégnante de la nuit, il réussit à apercevoir quelques points noirs bougeant rapidement le long de la ligne de l’horizon. Presque au même instant, tous les occupants de la tente étaient réveillés. Le chef fut le premier à en sortir :
- Gismon ! Que se passe-t-il ?
- Là, grand chef.
Gétorund distingua lui aussi les quelques points noirs, mais ceux-ci disparurent rapidement.
- D’autres Ungols ? – demanda-t-il, présageant déjà la réponse.
- Je ne pense pas, grand chef. Les nôtres ont été passablement inquiets en les apercevant.
Krutgard, qui avait écouté avec les autres guerriers, pointa sa tête hors de l’ouverture de la tente :
- Grand chef, - Gétorund se tourna vers lui, - les Redones ne sont pas aussi crétins pour désobéir aux ordres, ils attendent notre retour.
- Vrai, Krutgard… Les envahisseurs. Je ne vois qu’eux comme explication. Ils venaient du sud-ouest, raison de plus pour le croire… - il frappa un coup sur la tente, - Si vous ne dormez plus, vous autres, on plie la tente et on mange un morceau !
Ses ordres furent exécutés sur-le-champ.

Les Ungols levèrent eux aussi leur campement, et le Redonakor soupçonna qu’ils l’auraient fait bien plus tard s’ils n’avaient pas aperçu les importuns à l’horizon. Leur route reprit dans la lumière grandissante du troisième jour de leur périple depuis la forêt, mais pour les Redones, cela semblait déjà être trois ans. L’impression pesante de se retrouver entre le marteau et l’enclume, les Ungols et les envahisseurs, ne pouvait que mettre les guerriers à cran, et il fallait beaucoup de sang froid à Gétarund pour montrer l’exemple. Heureusement, l’ancien Kardun et Krutgard se débrouillaient pour entretenir un semblant de conversation dans le groupe, glissant parfois un brin d’humour ça et là, faisant de leur mieux pour alléger les inquiétudes de tout le monde…
- …Badrund ! – tonna Kardun, - Je suis peut-être à moitié sourd, mais j’entends quand tu coupes la parole à un ancien ! Le chef ne t’a jamais appris à tenir la langue ?
- Il tient mieux sa lance, - glissa Ruseld.
- Et aucun ancien n’a jamais eu raison de lui, - ajouta Gismon, - dans son enfance il aimait se surnommer « la Terreur », hein, Badrund ?
- Vrai ! – acquiesça le guerrier balafré, - sauf votre respect, vénérable Kardun, je ne voulais pas vous offenser.
- …Hum, hum… Je disais quoi, au juste ?
- Vous nous racontiez vos faits de gloire, vénérable, - dit Krutgard, - quand Badrund se mit à me parler d’Ungols.
Les traits du guerrier balafré se durcirent pour la énième fois du voyage. Pendant les quelques dizaines d’escarmouches qu’ils essuyèrent au fil des années de guerre contre les Ungols, les Redones durent subir leurs tactiques fort efficaces de tirer des volées de flèches sur les attaquants, pour se disperser juste après dans tous les sens. Badrund en écopa de plusieurs, inattentif dans ses moments de furie : la première le fit boiteux à vie. La quatorzième lui fit perdre un œil. Depuis, il s’efforça de se garder suffisamment pour n’essuyer que des blessures communes. Mais la soif de payer ses lésions au centuple s’enracina à jamais dans son esprit. S’il venait à parler d’Ungols, ça ne pouvait être que pour évoquer d’en tuer le plus possible.          
Les autres guerriers se firent soudain silencieux, voire anxieux. Krutgard reprit néanmoins :
- Les ordres ont été dits, Badrund. Les envahisseurs ne font pas de prisonniers, mais surtout, surtout ils n’accordent aucune sépulture à leurs ennemis tombés au combat. Les Ungols le font, eux, comme nous. Tu t’en rappelles : les envahisseurs sont pires que les Ungols.
- Ils n’utilisent pas de flèches, - articula entre ses dents le guerrier balafré, serrant les poings.
Krutgard s’apprêta à répliquer, quand la voix du chef le coupa court :
- Badrund ! – le Redonakor le regardait droit dans les yeux, - Tu discutes les ordres de ton chef ?
Directement confronté, le guerriers balafré peina à formuler une réponse. Gétorund continua, implacable :
- Que ceux qui n’obéissent pas au chef se prononcent maintenant. Le succès de la mission que nous ont confié les anciens en dépend.
Quand il vit que personne ne lui répondait, il parla à nouveau :
- Badrund, ta rancune est honorable. Mais si elle te fait échouer notre mission, tu auras le choix : la honte ou la mort.
Badrund réprima une grimace de dégoût, mais acquiesça. Alors, il aperçut que les Ungols les observaient de toutes parts. Ils se retournèrent les uns après les autres, voyant son air furieux et les visages assombris des autres Redones.
- Grand chef, - le guerrier au casque orné d’ailes de faucon s’adressa au Redonakor.
- Qu’il y a-t-il, Ragden ?
- Nos chevaux, grand chef, ils sont nourris.
- Et alors ?
- Il n’y a rien à manger pour eux ici, grand chef. Depuis notre départ ils n’avaient rien mangé.
Il fallut moins d’un instant à Gétorund pour saisir ce qu’il voulait dire.
- Les Ungols…
Ragden sourit légèrement.
- ‘Sont pas si mauvais que ça, les bougres. Ils aiment les chevaux autant que nous.
- On s’en doutait bien, - dit Krutgard, soudain rayonnant, - mais pas à ce point là ! Nous n’aurions même pas remarqué…
- Il faudrait les remercier, - fit Gismon.
Badrund grommela quelque chose dans sa barbe, mais sans plus. Cependant, ce premier signe d’hospitalité, aussi indirect soit-il, ne put qu’agir favorablement sur le moral des guerriers. L’on perdit toutefois le fil de la conversation, et le reste du chemin, chacun demeura perdu dans ses pensées.            
Le soleil continuait son immanquable course à travers le ciel.

Ils rencontrèrent de plus en plus de cavaliers, certains ayant même des chevaux chargés de sacs. Tous convergeaient dans la même direction à présent : plein nord. Là-bas, la ligne parfaite de l’horizon fut soudain troublée par des nombreux monticules, bosses et vallons, certaines surfaces étant recouvertes de forêts, d’autres désertes et ouvertes à tous les vents. Les Redones s’efforcèrent à y voir mieux ce qui s’y passait, et bientôt tous s’accordèrent à ne pas vouloir y croire : des dizaines, voire des centaines de tentes se dressaient dans un vaste campement, occupant peut-être autant d’espace que la taille de leur forêt de refuge.
Le chef lui-même n’en croyait pas ses yeux : au terme d’années d’une guerre qu’ils pensaient être équilibrée, sa tribu et lui n’avaient qu’à peine frôlé toute l’étendue de la puissance des habitants des plaines de glaces. Les Ungols qu’ils avaient rencontrés depuis leur arrivée dans la région n’étaient qu’en fait une parcelle d’un peuple plus ancien et effroyablement plus nombreux qu’eux, mieux adapté au froid car peut-être vivant ici depuis la nuit des temps…
Ils ne savaient s’il y avait plus de chevaux ou de cavaliers. Les hennissements des nobles bêtes semblaient se mêler au langage de leurs maîtres.
Comme la journée déclinait, des feux de camp étaient allumés un peu partout, et nombre d’entre eux servaient à cuire un repas à l’odeur unique de  viande bouillie dans un chaudron. Les Redones et les Ungols qui les accompagnaient passèrent à côté de nombreuses tentes, presque toutes habitées ; Gétorund sentit comme ses hommes qu’on le pointait du doigt, et vit les mères qu’ils croisaient reconduire prestement leurs enfants à l’intérieur de leurs foyers. Maintenant qu’ils avaient des spectateurs, les guerriers et leur chef avaient de plus en plus l’impression d’appartenir à une étrange procession dédiée à l’étonnement des gens. Mais comme le Redonakor ne faisait rien à part suivre leurs guides, les autres Redones suivirent sont exemple, tâchant de se désintéresser de l’impression qu’ils causaient.
Alors que le soleil touchait l’horizon, ils arrivèrent à un cercle de grandes tentes situé non loin des premiers monticules boisés qu’ils avaient aperçus de loin. Personne ne douta qu’il s’agissait des tentes des chefs Ungols : plus grandes et confortables, ornées de motifs et de curieux symboles, c’étaient aussi celles qui ne dégageaient pas qu’une odeur de viande bouillie, mais aussi d’autres aliments inconnus.
Avant de pénétrer le cercle, les Ungols démontèrent, et d’autres vinrent s’occuper de leurs chevaux pour les emmener ailleurs. Quand Gétorund et ses hommes firent de même, il y eut un formidable moment de gêne quand des Ungols arrivèrent pour emmener leurs montures également. Ce fut avec une déchirure dans les cœurs et seulement après avoir voulu croire que le chef en avait donné l’ordre que les guerriers acceptèrent de se séparer de leurs fidèles  compagnons de route. Faisant abstraction des quolibets et des remontrances incompréhensibles des Ungols, le Redonakor, aidé de Kardun et Krutgard, parvint tant bien que mal à apaiser les esprits des moins âgés.
Ils ne purent au bout du compte pénétrer le cercle des grandes tentes que totalement désarmés et étroitement gardés. Le sang-froid de Gétorund et sa capacité à discipliner ses hommes lui parurent alors repoussés au-delà de ses limites, car non seulement il parvint lui-même à ne pas se sentir intimidé par un tel accueil, mais en plus il convainquit ses hommes de garder espoir et surtout, surtout de la fermer une bonne fois pour toutes.

« Pénible » devait être un mot trop léger pour décrire la position des Redones dans la rencontre qui s’ensuivit. Deux grands feux avaient été allumés dans le grand espace au milieu des tentes, et les guerriers se virent contraints de s’agenouiller entre les deux sources de lumière, à même la terre dure et froide, bien en vue de ceux qui allaient visiblement décider de leur sort.
Des grands tapis avaient été posés ; sur ces tapis, des coussins rectangulaires richement brodés et ornés de motifs. Auprès de chaque coussin se tenait un guerrier ungol ; par leur carrure imposante, par la qualité de leurs armes et de leurs armures de cuir il fut aisé de deviner qu’il devait s’agir de sortes de gardes de corps. Les Redones se gardaient bien toutefois ne serait-ce que de murmurer leurs impressions : le chef avait promis qu’au moindre bruit, le fautif ne verrait pas la fin des négociations.
Gétorund compta seize coussins, mais ne vit que quinze guerriers. Il fut sidéré en constatant que le seizième était en fait la seizième : une femme, une très vieille femme vêtue de haillons ornés d’osselets et de cailloux pendant de partout, portant en guise d’arme un bâton noueux sur lequel elle semblait plus s’appuyer qu’autre chose. Le Redonakor réalisa que parmi les siens, il ne se rappelait pas d’avoir vu une femme aux rides aussi nombreuses et aux membres aussi fébriles ; c’était comme si une force extérieure maintenait sa carcasse sur pieds. Il fut entièrement intrigué par cette « garde de corps » en voyant que les autres Ungols lui jetaient souvent des regards en biais : des regards exprimant la crainte !
Peu de temps s’écoula quand les Redones virent que de chaque tente, un chef Ungol accompagné d’un autre guerrier sortait, puis prenait place sur un coussin. Quand tout le monde fut assis et à son aise, les chefs se mirent à parler.
Une première heure s’écoula, une heure au cours de laquelle Gétorund ne comprit pas un mot de ce qui se disait devant lui, mais les tons de la plupart des chefs ne posaient aucun doute sur le sens de leurs paroles : les Redones n’étaient pas les bienvenus. Les autres réalisations du Redonakor ne furent pas plus agréables : il eut la nette impression qu’ils étaient là non pas pour être entendus, mais pour que les chefs puissent les regarder et ensuite décider quoi en faire. D’autre part, il fut quasiment convaincu que les Ungols n’avaient pas besoin d’aucune alliance. Nombreux comme ils étaient, ils balaieraient les envahisseurs du sud-ouest hors de leurs terres…
Les discussions furent soudainement interrompues. La vieille avait parlé. Il ne lui suffit que de quelques phrases prononcées de sa voix brisée par les âges pour intimer un silence général, et, lorsqu’elle eut fini, elle pointa Gétorund du doigt.
Tous les regards se tournèrent vers le chef des Redones, qui, bizarrement, se sentit une envie de sourire face à tant d’attention, mais surtout face aux expressions éberluées des autres chefs ungols. Seul le chef qui devait être le chef de la vieille ne broncha pas.

Visiblement, personne ne songea à contester les dires de la femme aux osselets. Les Ungols firent comprendre à Gétorund qu’il devait se lever et suivre la vieille dans une des tentes ; il eut à peine le temps de jeter un regard fort expressif à ses hommes, qui, le connaissant bien, comprirent : « Pas de bêtises en mon absence ! »
Il rentra dans la tente après la vieille. Tout de suite, tous les bruits extérieurs furent étouffés par les couches de peaux qui formaient les murs, et par le crépitement d’un feu de camp qui brûlait à l’intérieur. La femme s’assit auprès du feu ; le Redonakor, devinant quelque chose, s’assit de l’autre côté. Elle ne chercha pas à lui parler ; sa main, aussi rapide qu’un serpent, attrapa soudain une mèche de ses cheveux, et en coupa un bout ; Gétorund faillit attraper son bras par instinct, mais un regard dans ses yeux l’en dissuada.
La vieille sourit, puis posa son doigt sur les lèvres, ordonnant au chef de rester calme. Elle entonna ensuite un long chant guttural, semblable à ceux que les Redones avaient déjà entendus en arrivant.
Long.

Alarmant.

Long. Gétorund était presque sûr de quoi il s’agissait à présent, et n’avait pas peur.

Long.

Alarmant. La vieille répétait souvent les mêmes cris.

Long. Gétorund se demandait ce que devenaient ses hommes à l’extérieur de la tente.

Plus alarmant, plus long. Gétorund se sentit lutter contre le sommeil.

LONG ! Gétorund ouvrit les yeux : le feu brûlait de mille lumières différentes ; la fumée s’échappait de mille volutes, chacun prenant la forme d’un cavalier ou d’un animal ; il vit la vieille continuer à chanter en face de lui, plongée à présent dans une sorte de transe. Puis, dans la fumée et les flammes, il se vit lui-même : avec ses neuf hommes, il galopait à travers la plaine, il galopait sur des ennemis qui portaient les peintures des envahisseurs, et le cor des Redones sonnait la charge… Il sentit à nouveau une puissante envie de dormir, mais lutta, troublé par cette vision qui lui semblait ne jamais avoir eu lieu : ils enfoncèrent les rangs des guerriers ennemis, leurs lances en transpercèrent beaucoup, leurs chevaux en piétinèrent d’autres ; les survivants étaient au moins trois fois plus nombreux. Qu’est-ce qui leur avait pris de charger un ennemi aussi puissant ? Où était le reste de la tribu ?! Gétorund vit avec horreur ses guerriers tomber à terre les uns après les autres, leurs chevaux hennissant avec effroi, puis se vit lui-même, le Redonakor, crier quelque chose, et résister, arrachant une énorme épée à un ennemi, et tranchant de toutes ses forces dans les corps de ses assaillants… Mais le Gétorund de la vision finit lui aussi de se faire engloutir par la horde. Sa vision du s’obscurcir par le voile de la mort, et le chef se sentit lui-même incapable de voir encore la lumière de la flamme. Ses yeux se fermèrent d’eux-mêmes, et il sombra dans un profond sommeil.



48ème  partie.    

« Gétorund ! Gétorund ! » Ou ce fut ce qu’il crut entendre avant d’ouvrir les yeux. En fait, il entendait « Grand chef ! Grand chef ! » venant de toutes parts. Ses hommes l’entouraient. Il reconnut le plafond d’une tente éclairée par un feu. Puis il se sentit allongé. Une peur terrible le traversa de part en part : la couronne ! Ulric soit loué, elle était toujours sur sa tête. Alors seulement, il se leva.
- Grand chef ! Calmez-vous, tous ! – trancha la voix de Krutgard, son visage indiscernable dans la pénombre, - Vous avez réussi, chef, on n’est pas morts.
Le Redonakor sourit. En effet, première bonne nouvelle !
- Grand chef, - il vit le visage de son fils, Orden, - qu’est-ce qu’elle vous a fait, la vielle ?
- Fatigué comme je le vois, - marmonna Ragden aux autres, - ils ont partagé un tapis, et notre chef fut vaincu…
- RAGDEN !
Tout le monde éclata de rire, sauf le chef, passablement courroucé par cette boutade, et Krutgard, qui se contenta de sourire, mais insista :
- La lune était haute dans le ciel quand vous aviez enfin fini. Les Ungols vous ont ramené inconscient dans cette tente, et nous avons été… autorisés, - dit-il avec une pointe de mépris, - de vous y rejoindre.
L’un des guerriers, Ruseld, cessa de rire et ajouta :
- J’ai vérifié dehors, grand chef. Nos chevaux sont dehors, et il n’y a pas de gardes à l’entrée.
- Ah, pour de vrai ? – Gétorund haussa les sourcils, - Excellentes nouvelles, Ruseld. Orden, Krutgard, sortons ensemble et marchons. Les autres – repos !
Malgré quelques cris de protestation, les ordres du chef n’étaient pas à être désobéis. Quand le chef, son champion et son porteur de bannière furent sortis, Gétorund attendit de s’être éloigné d’une vingtaine de pas avant de parler :
- Nos armes ?
- Là, avec les chevaux, - indiqua Krutgard.
- Bien. Maintenant, écoutez et dites-moi ce que vous en pensez…

Le Redonakor n’aimait pas s’isoler et prétendre à favoriser des hommes au dessus d’autres. Cependant, raconter à tous ses hommes qu’un destin morbide les attendait tenait, croyait-il, de la bêtise pure, surtout que, comme l’avait dit son vieil ami, ils n’étaient pas encore morts. Orden et Krutgard réagirent à peu près de la même manière que lui : profondément troublés par le récit d’une telle vision, ils ne voulurent pas néanmoins la prendre pour l’inévitable, mais approuvèrent qu’il valait mieux de ne pas le raconter à tout le groupe.
En marchant, ils avaient surtout tourné en rond, ne souhaitant pas se perdre dans l’immense campement. Il faisait encore nuit noire, le bruit était moindre qu’au moment où ils étaient arrivés, et ils ne croisèrent que quelques sentinelles Ungols, dont certains avaient l’air un peu saouls, mais tous ne semblaient pas reconnaître des ennemis dans les Redones. Gétorund en déduit qu’ils venaient de tribus venant d’ailleurs, qu’ils n’avaient encore jamais affrontées. Finalement, les trois guerriers rentrèrent dans la tente qui leur avait été offerte, remarquant au passage qu’elle était juste à l’extérieur du cercle des chefs Ungols. Ils profitèrent de quelques heures de sommeil qui leurs restaient avant l’aube, sans tours de garde.
Le jour suivant, ils furent tous réveillés par des Ungols très impatients de les voir manger quelques provisions et s’équiper de leurs armures. Quand ils furent enfin partis, les Redones sortirent de leurs tentes pour retrouver à nouveau leurs chevaux repus et satisfaits. Le campement, cependant, bourdonnait comme jamais : tous les hommes se mettaient à cheval, emportant arc, épée et carquois de munitions ; un groupe de cavaliers s’approcha des Redones, et Gétorund reconnut leurs guides les plus bienveillants de la veille. Ces derniers leurs indiquèrent leurs montures, à l’évidence les invitant de se mettre en selle et de les suivre. De nombreux commentaires s’élevèrent parmi les guerriers, mais le Redonakor n’en fit pas grand cas et ordonna à ses hommes de se mettre en formation.
Ils progressèrent à travers le campement aussi animé qu’une gigantesque fourmilière, de plus en plus d’Ungols chevauchant de part et d’autres, formant des troupes, des régiments, des hordes entières de guerriers capables de submerger leurs ennemis sous un déluge de flèches. Gétorund devinait indistinctement ce qui se tramait : leur arrivée avait coïncidé avec la fin d’un rassemblement général de forces ungoles, réunies pour faire face à la menace venant du sud-ouest. Aujourd’hui devait être le premier, ou le second, ou un quelconque autre essai de leur puissance combinée contre le nombre et la sauvagerie brute des envahisseurs. Et comme les Redones n’avaient pas été finalement tués, mais acceptés parmi eux, ils étaient invités à prendre part dans la prochaine bataille qui s’annonçait.
Un doute terrible l’envahit, alors qu’ils dépassaient les dernières tentes baignées dans la lumière du soleil levant : et si cette bataille était justement leur dernière ? Tout était comme dans la vision : ils étaient dix, et allaient affronter une armée entière de brutes venues du sud-ouest. Et s’il leur fallait mieux fuir cet affrontement et revenir dans la forêt, où la tribu les attendait, forte de deux-cents guerriers ? Une chose l’en empêchait cependant, et il fulminait en réalisant que cela rendait la bataille inévitable pour eux : les Ungols qui ne les lâchaient pas des yeux espéraient évidemment que leurs « nouveaux alliés » fassent leurs preuves au combat. S’ils fuyaient maintenant, ils pouvaient dire adieu à tout espoir d’alliance, échouaient dans leur mission, et jetaient un voile d’incertitude sur l’avenir de la tribu… Fuir cette contrée vers le sud ? Peut-être, mais Gétorund pressentait que ce ne serait pas aussi facile ; en plus, il ne voyait pas pourquoi les Ungols, voyant leurs alliés déserter, ne décident qu’ils les ont trahis et ne les abattent sur le champ. Contre une cinquantaine de flèches, les boucliers pouvaient leur être utiles, mais contre des centaines…
Ses guerriers, qui n’étaient au courant de rien, parlaient entre eux de leur retour chez eux, souriaient et ne comprenaient certainement pas pourquoi leur chef, son champion et son vieil ami faisaient grise mine. La bannière des Redones était intacte, le chef pouvait ramasser sa lance sur le voyage du retour… Seul Badrund pouvait peut-être regretter de revenir, mais si sa rancune le tenaillait encore, il n’en montrait aucun signe.

Ils chevauchèrent toute la matinée parmi les innombrables cavaliers ungols. A droite comme à sa gauche, Gétorund ne voyait pas de fin à la horde, et s’efforçait de croire qu’ils n’avaient aucune chance de se retrouver seuls face à un ennemi dix fois supérieur en nombre. Krutgard et Orden devaient probablement penser la même chose, mais toute conversation privée était impossible alors qu’ils étaient en formation. Pour ne pas rester muré dans le silence, le Redonakor entama un long chant tribal, connu de tous parmi les siens, souvent chanté avant ou après les batailles. Il fut immédiatement rejoint par ses guerriers.
Leurs voix n’étaient pas toutes mélodieuses, mais les Redones remarquèrent qu’à côté d’eux, les Ungols se turent pour écouter.
De chevaux et de batailles, de gloire passée et de vie future, d’un grand guerrier bretonni et d’une magnifique femme redone parlait la chanson. Bien qu’il vienne d’une autre tribu, le guerrier était heureux parmi les Redones, et leurs deux tribus chevauchaient alors ensemble, les femmes attendant les hommes au campement… Et les hommes revenaient toujours, et la vie continuait, et continuera toujours.
Quand le chant s’éteignit, de grands cris s’élevèrent des rangs Ungols, comme pour applaudir. Les guerriers leurs sourirent en retour, tous sauf Badrund.

Leur chef leur accorda d’avaler les dernières provisions que leur avaient données leurs femmes, espérant ouvertement, et à raison, que les Ungols ne laisseraient pas leurs alliés mourir de faim.
Alors que le soleil amorçait se descente vers l’horizon, ils aperçurent du mouvement au sud-ouest. Ils étaient visiblement enfin arrivés à leur but dans cette journée.
Fidèles à leurs traditions, les Redones se frayèrent un chemin au premier rang de l’armée ; Gétorund se mordit la langue pour ne pas s’entendre les en empêcher. Quelque chose n’allait pas correctement : ses yeux lui disaient que la vision ne pouvait avoir lieu, tellement les forces où ils se trouvaient étaient imposantes, mais son instinct, qui ne le trompait pas souvent, lui hurlait que la magie de la vieille devait être prise au sérieux. Il regarda une fois de plus là où il avait aperçu les chefs ungols : il ne vit toujours pas la vieille parmi eux. Les chefs, eux, le regardaient lui aussi.
Face à eux, l’armée ennemie se mettait en position ; un bruit de tambours se faisait entendre. Les envahisseurs paraissaient aussi nombreux, mais ils étaient radicalement différents des Ungols : à pieds, ils portaient tous des armures de cuir, des boucliers ; pas d’arcs, mais des épées, des massues en bois ou en os, parfois des lances ou des piques. Une vaste foule de sauvages qui venaient d’Ulric seul savait où. Gétorund vit quelques groupes de cavaliers montés, mais ils étaient postés sur les flancs et ne formaient pas d’unités cohérentes.

Un cri de guerre résonna.
Toute la ligne des cavaliers ungols se mit en marche, puis au trot. Pris dans cette première offensive, les Redones suivirent, la plupart d’entre eux souriant même. Le chef, anxieux, continua de les mener. Il vit au passage un des Ungols dont le visage lui parut familier se rapprocher d’eux et lui lancer une espèce de longue pique.
Krutgard, qui était le plus proche, la rattrapa, et voulut la garder pour donner sa propre lance au Redonakor. Celui-ci, toutefois, refusa :
- Passe-moi cette pique, Krutgard ! C’est un gage d’alliance !
Son vieil ami éclata de rire et lui passa l’objet en question. Le chef l’examina rapidement, vérifiant la solidité du manche, et resta satisfait ; bien que mal taillé, le bois demeurait robuste, et la pointe de métal était bien fixée au bout.

La charge gagna en vitesse. Les chevaux galopaient, levant un nuage de neige poudreuse sous leurs sabots. En face, l’on pouvait maintenant entendre les cris des ennemis qui organisaient visiblement un front défensif.
Plus proche. Encore plus proche. Portée de tir d’arc. Encore plus proche. Les Redones abaissèrent leurs lances meurtrières.
Le son du cor résonna aux lèvres de Ragden, et Gétorund vit enfin ce qui fit glacer son sang dans ses veines : les Ungols lâchèrent une pluie de flèches sur les envahisseurs, mais rebroussèrent chemin juste après, laissant la place à la horde suivante qui bandait déjà leurs arcs.
Les Redones enfoncèrent les lignes des envahisseurs, semant la mort et la panique dans les premiers rangs. L’impact de la charge fut tel que la pique du chef se planta au travers du premier guerrier qu’elle trouva, mais dans un craquement sec elle se brisa juste après. Autour du Redonakor, ses hommes continuaient à trucider les ennemis qui ne comprenaient pas quand la mort venait les trouver, trop occupés à se protéger contre les flèches qui déferlaient des cieux, comme la grêle. Quand ils virent toutefois qu’ils avaient des cibles à portée d’épée, ils se ruèrent sur les Redones.
Rageld et Revaïn furent les premiers à tomber. Dans un accès de rage, sachant pertinemment que la vision était en train de s’accomplir sous ses yeux, Gétorund se retourna vers les Ungols qui continuaient à arroser l’ennemi et hurla : « VENEZ VOUS BATTRE, BANDE DE… » Il ne finit pas son appel, arrêtant avec son bouclier une gigantesque épée qui l’aurait probablement tranché en deux avec son cheval. Tout de suite après, il saisit les deux poignets de son assaillant, et les tordit de sorte à s’emparer de la lame qui avait failli le tuer.
Jetant son bouclier à terre, il empoigna sa nouvelle arme à deux mains, et se mit à trancher frénétiquement dans le vif, la rage aux tempes, voyant ses hommes s’effondrer les uns après les autres. Son combat dura, combien, il ne le savait pas, mais il dura jusqu’au moment où ses mains pleines de sang, ainsi que son cou furent tirées par des espèces de crochets attachés à une hampe. Il se sentit perdre son équilibre, et vit plusieurs épées dirigées sur sa tête rebondir sur un rempart invisible que lui procurait sa couronne de bronze. En même temps qu’il tombait de sa monture, plusieurs lames l’avaient atteint au cou, et son sang coula abondamment, se mêlant à celui de ses ennemis. Sa vision s’obscurcit, et sa dernière pensée alla vers sa tribu, qui l’attendait quelque part, dans la forêt…


***

Delphine d’Essen était fière de sa garde rapprochée. Invoqués par sa nécromancie naissante il y a bien des années, ils lui servaient depuis dans tous ses desseins belliqueux, remplissant le plus souvent la tâche ingrate d’éradiquer des menaces qui se dressaient sur sa route. Leur première réussite fut de la débarrasser de toute une tribu de maraudeurs du chaos qui s’étaient mis en tête de lui faire subir quelques sévices lors de son passage au Kislev. Quelques années après avoir rencontré Von Nettesheim, elle lui avait demandé s’il pouvait retrouver dans leurs esprits quelque trace de leur existence passée. Celui-ci ayant répondu favorablement, elle les lui confia pendant un jour, puis une semaine, puis deux, mais ce ne fut qu’au bout de la troisième que le maître nécromancien considéra sa tâche comme terminée et se mit à en rédiger un écrit, craignant pour sa mémoire qui, par ailleurs, ne l’avait pourtant jamais trahi jusque là.
Lorsqu’elle fut entrée en possession du manuscrit, elle le lut avec une certaine curiosité, amusée par tant prodiges. Depuis, elle n’y pensait plus, trop occupée à penser à sa fille, à son propre bien-être, et, désormais, aux intérêts du comte Mannfred de Sylvanie. Le soleil allait bientôt se lever, et elle n’avait même pas traversé le quart du chemin jusqu’au Haut Col. Quelle déception !



Les paroles du maître nécromancien se réalisèrent dès les premières lueurs du matin ; Manon, goûtant habituellement au souffle de la brise avant l’aube, constatait à présent que l’air ambiant était à présent vicié, immobile, et que ce n’était pas par la force des éléments qu’une étrange couverture nuageuse recouvrait désormais toute la contrée, telle une chape de plomb. Les villages qu’elle survolait étaient sans nul doute habités, mais l’impression était telle que les ténèbres voulaient y étouffer tout signe de vie. La vampirette le sentait : les mortels, privés du temps où normalement la lumière reprend ses droits sur le noir de la nuit, tremblaient désormais de peur dans leurs masures, comme s’ils attendaient la fin du monde.

Elle les laissait cependant derrière elle, les uns après les autres, faisant parfois un détour vers la droite ou vers la gauche, attentive, impatiente dans sa volonté de retrouver Ashur, espérant que celui-ci ramènerait sa mère à la raison. Elle évitait cependant de voler vers l’Est : c’était là où se trouvait la source des ténèbres, un point d’ancrage de magie noire tel qu’elle n’en avait jamais ressenti avant. Elle n’y irait que si Ashur était introuvable autre part.


Dernière édition par Von Essen le Ven 16 Mai 2014 - 16:26, édité 1 fois
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Jeu 15 Mai 2014 - 15:34
On connait enfin l'histoire des guerriers de la comtesse !
Bien racontée en plus... Tu as inventé les noms des tribus ou tu as étudié le monde warhammer en profondeur ?

J'ai juste relevé une faute :
"voyant ses hommes d’effondrer les uns après les autres."

Maintenant que les examens sont finis, je vais me pencher sur la suite de notre voyage... Mais j'attends tout de même ta propre suite avec impatience ! Sourire
Essen

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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Ven 30 Mai 2014 - 14:38
Et voici la suite  Mr. Green 


49ème partie.


     Dans les ténèbres naissantes du matin, il était assis sur le tronc d’un arbre abattu, songeur. Le destrier kislevite, portant toujours le corps de son maître, était attaché par la bride à une branche de ce même arbre, et tremblait. Ashur ressentait ce que l’animal ressentait : ce matin sonnait le glas de toute lumière sur la terre sylvanienne. Les impénétrables nuages noirs qui recouvraient le ciel tout entier n’étaient pas un caprice habituel de la nature : c’était une malédiction invoquée par un sorcier à la puissance démesurée, et le vampire millénaire n’avait aucun doute sur l’identité de ce sorcier : le seigneur de Drakenhof agissait vite. Très vite.
     Il était assis à l’orée des bois, scrutant le village qui se situait à peine à une demi-lieue de là où il se trouvait. Son ouïe surnaturelle lui permettait d’entendre les conversations des mortels, et sa destination se voyait confirmée : il était arrivé au village de Bylorhof, celui qu’il devait soumettre à la cause des von Carstein.
     Ashur sourit : la vue de ce village plongé dans la pénombre l’enchantait. Il voyait plusieurs édifices se démarquer de l’ensemble des maisons : il s’agissait de temples dédiés à leurs divinités. Que de futilités, - pensa-t-il, - que de naïveté que de croire que ces quelques monticules de briques, de pierre et de bois les protègeront des calamités qui sont sur le point de leur arriver… Derrière lui, les talus trahirent des bruits de grognements, de gargouillements et de cris affamés. Sur un seul ordre de sa volonté, le vampire millénaire pouvait envoyer cette foule d’humains dégénérés engloutir leurs semblables croyants de ce village. Ou alors, il pouvait illuminer la journée de ces manants pour la dernière fois de leurs vies en mettant le feu à toutes leurs misérables habitations. Il pouvait aussi s’offrir un massacre plus personnel, et soumettre ces villageois « par son sabre », comme l’avait dit le comte Mannfred.
     Trop de choix s’offraient à lui. C’était une proie trop facile, indigne de son rang. Le comte de Sylvanie l’avait insulté en l’envoyant remplir une si basse besogne. Si le « grand Mannfred » avait du mal à soumettre un tel ramassis de mortels, Ashur n’avait rien à faire au service d’un aussi incapable ou indolent suzerain. Toutefois, leur accord sur la tranquillité de la dame d’Essen était en jeu… Au diable la comtesse ! Au diable la Sylvanie, pays à l’abandon sur le point de sombrer sous la coupe d’un vampire cruel et arrogant ! Mais il n’avait pas l’habitude de revenir sur sa parole… Mais ce ne serait pas non plus la première fois, en tant de siècles de non-vie… Mais…
     Mais n’était-ce pas une présence familière qu’il sentait approcher des cieux ?
     Ashur sourit de nouveau. Quelques instants plus tard, une créature ailée ressemblant beaucoup à un cheval atterrit à quelques pas de lui. Sur le pégase mort-vivant, Manon d’Essen le regardait, son visage exprimant un notable soulagement.

- Mademoiselle… - le vampire millénaire se mit débout et l’observa descendre de sa monture.
- Ashur ! – Manon se rapprocha et s’arrêta devant lui. – Vous devez venir avec moi !
     Mi-amusé, mi-irrité, le vampire millénaire demanda, narquois :
- Quoi ! Le maître est encore mort ?!
- Ma mère a de nouveau été envoûtée !
- Quoi ? – l’ironie disparut des traits du sabreur immortel. – Impossible.
     La vampirette se sentait à la fois satisfaite d’avoir enfin retrouvé Ashur, mais s’irrita immédiatement de ce manque de réactivité.
- Regardez-moi dans les yeux si vous ne me croyez pas !
     Il voulut dire quelque chose, mais la réalisation que Manon connaissait parfaitement son pouvoir le rendit muet un court instant. Puis il ne put se retenir, et regarda dans ses prunelles rouges, puis au-delà… L’escapade pour retrouver la prêtresse blanche, la fuite précipitée, le retour à Essen, les servantes, la comtesse qui désire conquérir la ville…
Le regard de la demoiselle était à présent accusateur. Si dans n’importe quelle autre situation Ashur aurait mis en pièces celui qui ose lui faire des reproches, cette envie était en l’occurrence voilée par la poignante impression de trahison qu’il éprouvait envers le comte von Carstein. Crédule, LUI ?! Le GRAND ASHUR, TROMPÉ AUSSI FACILEMENT ?? Plus il y pensait, plus cette pensée lui dévorait les entrailles, lui brûlait toute notion de décence et de tenue, lui intimait la plus terrible et la plus douloureuse vengeance qu’il pouvait infliger sur le traître sans honneur. Ridicule. Le grand nosferatu, croire un de ses pairs sur parole, alors que jadis il avait vécu tant de trahisons, tant de fourberies et d’escroqueries… Mannfred devait mourir dans d’atroces souffrances. Mannfred devait…
- ASHUR ! – Manon paraissait sur le point de le frapper, et cela l’amusa. – Ma mère est sur le point de mettre Essen à feu et à sang !!
     Un peu étonné de lui-même, le vampire millénaire sourit, désinvolte :
- Et alors ?
- Et… Quoi ? – la vampirette fut tout d’un coup surprise.
- Pourquoi votre mère n’irait-elle pas conquérir un village de mortels ? C’est un bon exercice, j’étais sur le point de faire le même avant que vous n’arriviez.
     Étrangement, Manon ne savait toujours pas quoi répondre, et affichait juste un air inquiet, voire effrayé. Ashur continua, à présent enjoué d’avoir repris l’initiative, comme s’il s’imaginait de remporter une bataille :
- Eprouvez-vous encore de la compassion pour eux, mademoiselle ? N’avez-vous rien retenu de ce que je vous ai appris récemment ?
- JE N’AI RIEN À APPRENDRE DE VOUS ! – le coupa soudain la vampirette. – Il n’appartient qu’à moi de décider si j’éprouve de la compassion ou quoi que ce soit d’autre ! Ma mère est envoûtée, elle n’est plus libre de ses actes, elle conquerra Essen et peut-être toute la contrée, tout ça pour ce jeter ensuite aux pieds de Mannfred von Carstein !
Terrible revers, - pensa Ashur. Sa haine personnelle envers le seigneur sylvanien bouillonna en lui. Naturellement, il était hors de question que SA comtesse d’Essen aille servir cet abominable gredin, cette chose abjecte, ce traître infâme, ce…
- ASHUR ! – le sabreur immortel, de nouveau arraché de ses pensées par cet appel, fut soudainement frappé par la ressemblance qu’il trouvait à présent entre les caractères de Manon d’Essen et de sa mère : toutes deux dotées d’une certaine pugnacité d’esprit, mais dissimulant toujours un brin de passion humaine derrière.
- Montrez la voie, mademoiselle, - dit-il comme si de rien n’était.
- Montez sur Rêve brisé, nous voyagerons plus vite.

     Avant que le pégase ne quitte le sol, Ashur se rappela de son infortuné adversaire kislevite, dont l’esprit était toujours en sa possession. Il le relâcha d’un effort de pensée, et alors que la monture était déjà en train de gagner en altitude, il vit le corps du chevalier bouger de nouveau. Peut-être se reverraient-ils un jour.


***

     Manon ne sentait pas la privation de lumière comme un danger, comme une oppression. Les ténèbres dans lesquelles avait été plongée la Sylvanie lui paraissaient familières, accueillantes ; froides, mais promettant la paix et la quiétude. Qui irait déranger les seigneurs de la nuit dans une nuit éternelle ? Elle n’aurait plus à se cacher, personne n’aurait plus à se cacher, seuls les mortels auraient à se cacher… Les mortels souffraient, eux, la vampirette l’entendait : des cris, des disputes, des pleurs, des prières adressées à toutes sortes de dieux provenaient de loin, en bas sur la terre. Ashur et elle étaient au dessus de toute cette basse société, cette fange abjecte de peur et de mort. Ils volaient juste en bas des nuages noirs qui recouvraient la contrée, des nuages dénués d’humidité, dénués de vie, impénétrables aux rayons du soleil, conçus pour cela, produits d’un terrible maléfice incanté depuis le château dont elle devinait les contours loin à l’Est. Tout autour, la vampirette voyait de sombres forêts, quelques champs misérables, quelques villages peuplés de gens qui, plus ils habitaient près du château, moins ils priaient qui que ce soit, certains voire clamant haut et fort leur allégeance au « seigneur de Drakenhof ».
     Le pégase mort-vivant remuait régulièrement l’air vicié de ses ailes membraneuses, et continuait aveuglement sa course vers le nord, vers Essen. Ashur était assis sur la croupe de la bête, et semblait pensif. Manon n’osait pas se retourner le regarder en face, de peur de déclencher une conversation qu’elle savait risquée. Le vampire millénaire était toujours capable du moindre caprice, y compris de la tuer, elle, Manon d’Essen.  
Sa mère ne pouvait être dans son état normal. Le maître Friedrich devait avoir raison. La comtesse n’avait jamais aspiré à des conquêtes, du moins ne lui en avait-elle jamais parlé. La comtesse n’avait pu volontairement décider de servir Mannfred von Carstein.
- Manon d’Essen ?
     La vampirette tressaillit légèrement. La voix neutre d’Ashur lui fit plus de crainte que si elle exprimât de la colère ou de la joie.
- Ashur ? – répondit-elle sans se retourner.
- Tourne vers l’est.
     Manon frémit de tout son corps. Elle comprit instantanément ce que voulait dire le vampire millénaire. Elle eut pu vouloir l’en dissuader, mais son instinct lui disait de ne pas s’opposer au sabreur immortel.
Un ordre informulé, et d’un battement d’aile Rêve Brisé s’inclina, puis, porté par un subit courant ascendant, se dirigea vers la source des ténèbres. Les contours des montagnes se voyaient au loin, mais les environs de Drakenhof étaient recouverts d’un nuage impénétrable, qu’un vent surnaturel semblait vouloir répandre sur toute la contrée.

     Les maléfices omniprésents en ces lieux devaient probablement jouer avec ses sens, - pensa la vampirette. Il leur fallut à peine une heure pour voir soudainement émerger du brouillard les créneaux et les tourelles de l’illustre forteresse sylvanienne, alors qu’elle crut qu’il leur faudrait une demi-journée entière. A ses doutes et à ses craintes répondirent les croassements quasi-incessants de grands oiseaux noirs ayant élu domicile dans l’une des tours du château. Certains furent insolents au point d’essayer d’arracher des miettes de chair au pégase mort-vivant, mais Manon, outrée, les en empêcha. Elle n’osait toujours pas se retourner, et Ashur n’émettait toujours aucun son. Pourtant, elle sentait que le seigneur paraissait exhaler à chaque instant une intention des plus meurtrières.
     Il lui indiqua d’une geste où atterrir : devant l’ouverture qu’il emprunta lors de sa première visite dans la demeure des von Carstein. Quand ils démontèrent, il s’adressa à elle, d’une voix toujours aussi neutre, inexpressive :
- Je vais à l’intérieur. Toi, fais comme tu veux. Si tu me suis, je n’irai pas à ton secours.
Entendre Ashur parler en termes aussi circonspects l’effraya plus que l’impression pesante que lui inspirait ce lieu. Bien que plus puissante que n’importe quel humain, agile et incroyablement rapide, rompue aux arts nécromantiques grâce au maître von Nettesheim, Manon se sentit minuscule, insignifiante face aux puissances qui allaient irrémédiablement s’affronter. Y aller… La pensée ne l’effleura qu’à peine.
- Je reste là ! – lança-t-elle. – Mais je partirai s’il le faut !
     Son ton lui parut proche de l’hystérie. Cependant, elle vit Ashur lui sourire imperceptiblement, puis s’engouffrer dans le château.
     Seule, elle se sentit se retourner dans tous les sens, scruter le moindre recoin de la place où elle était : un passage crénelé reliant le bâtiment central à une tourelle latérale. Quelque part en hauteur, elle percevait parfaitement le cri railleur des oiseaux noirs, mais craignait à présent que ces cris ne couvrent l’approche d’un danger, n’importe quelle forme hantant cet endroit damné qui lui sauterait dessus et la mettrait en pièces… Il n’en fut rien. Les instants se succédèrent, interminables, mais rien à part le piaillement des volatiles ne sembla indisposer la vampirette. Toutefois, elle demeurait constamment sur ses gardes, car elle ne voyait rien à travers le brouillard, et n’entendait rien à part les croassements dans le ciel. Elle finit par remonter sur Rêve brisé, comme prête à quitter les lieux dès qu’un danger surgirait de la noire ouverture par laquelle avait disparu le vampire millénaire. Le temps lui-même parut aux aguets, figé dans une inchangeable lueur crépusculaire qui ne permettait pas de déterminer s’il faisait jour ou nuit au-delà… A un moment où les oiseaux semblèrent se taire un instant, Manon capta le bruit d’un fleuve au loin, puis le vacarme reprit.
     Elle sentait qu’elle n’était pas habituée à attendre, à ne rien faire. Méditer lui paraissait impensable dans ce lieu d’angoisse. Pensive, elle se demanda ce qui pouvait bien arriver aux mortels qui avaient pu venir ici, intéressés par le pillage ou la purification de ce lieu. Les hommes de foi étaient-ils protégés de l’angoisse ? Son impatience la regagna tout d’un coup, jetant toutes ses pensées dans la confusion. Où pouvait bien être Ashur ? Ses perceptions des vents de magie étaient brouillées par le château maudit. Elle ignorait son sort et ignorait combien de temps elle avait passé à l’attendre, une heure ? Deux heures ? Un jour ? Peut-être une semaine ?
     Elle n’y tenait plus. Sa mère aurait très bien pu mettre Essen à feu et à sang depuis le temps où elle était là, inactive. La forêt lui manquait. Le sang lui manquait ! Sa faim lui revint en mémoire comme un souvenir trop longtemps enfoui. Elle savait pourtant que son dernier repas ne remontait pas à longtemps… Mais qu’en savait-elle ? Le temps passait à une vitesse qui lui était inconnue, mais sa faim elle, était bien perceptible. Accordant seulement une arrière-pensée pour Ashur, elle commanda à sa monture de quitter le château.


Dernière édition par Von Essen le Mer 4 Juin 2014 - 20:42, édité 1 fois
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Mer 4 Juin 2014 - 13:47
La tension monte ! La question est : est-ce que tout va se résoudre dans la prochaine partie, ou nous feras-tu attendre encore et encore ?  Tongue 

La suite !  Clap 
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Mer 4 Juin 2014 - 17:31
Toujours aussi bien, et vivement la suit, comme d'habitude.  Sourire Sourire 

On devrait l'avoir quand ?
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Mer 4 Juin 2014 - 20:46
Gilgalad : Bientôt, cette semaine, le temps jouant en ma faveur  Vampire (et grâce à vous encouragements ! Merci !  Sourire )
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Sam 7 Juin 2014 - 11:51
***

   
           Cette fois, il n’était pas le bienvenu. Point de lumière pour éclairer son chemin. Point de maître l’attendant patiemment dans sa salle de trône. Chaque pas lui valait une agitation incessante, car ce fut comme si le château de Drakenhof s’était dressé contre lui.
        Lorsqu’il entra, l’obscurité du couloir qu’il emprunta fut totale, telle que même un vampire s’y retrouvait aveugle et vulnérable. Ce n’était plus la brume qui recouvrait le ciel, mais un maléfice bien plus ancien, un air noir d’encre, bannissant à jamais toute lumière, même la plus pure et la plus intense. La poussière se sentait dans l’air, la rouille aussi, et la moisissure. Si c’était un mortel qui arpentait les lieux à la place d’Ashur, il se croirait en train d’explorer les entrailles d’un cadavre pourrissant, un cadavre d’un château voué à la décrépitude éternelle, une moquerie de toute habitation humaine abritant la vie.
        Le sabreur immortel n’en faisait rien. Un chant de mort habitait tout son être, et il ne songeait qu’à mettre la main sur le seigneur du château. Toutefois, il dut dégainer bien plus rapidement qu’il ne crut le devoir ; dans le couloir, traversant les murs tels le rideau d’une cascade, des esprits marmonnant des jurons et des mots impies se mirent en travers de sa route. Son sixième sens l’avertit que d’autres apparurent par-derrière. Peu d’importance. Alors que les griffes éthérées crissaient sur son armure, Ashur tranchait inlassablement, méthodiquement, se frayant un chemin à travers l’ectoplasme incolore des fantômes. Il ne voyait pas, il était bien au-delà de la vision des mortels et des vampires : la présence de ses ennemis suffisait, il les sentait à travers les vents de magie.
        Petit à petit, l’éther se dispersa. Les derniers balbutiements des défunts s’éteignirent. Qu’ils soient désormais en paix, ou que leurs âmes soient à jamais liées aux murs de ce lieu, le vampire millénaire s’en fichait. Il était arrivé au bout d’un premier couloir. Rien ne lui indiquait quel chemin prendre ensuite ; il ne pouvait sentir la présence magique du comte von Carstein, car des tréfonds du château émanait constamment une aura de puissance brute qui brouillait les perceptions surnaturelles. Haussant à peine les épaules, Ashur emprunta un couloir en face de lui.
        Il passa à travers un rideau de velours qui lui sembla familier, car il se rappela en avoir traversé un lors de sa précédente visite. Il se rappela juste après ce qui l’attendait derrière ce rideau : une imposante galerie de portraits représentants les seigneurs de la Sylvanie. Il avançait toujours dans l’obscurité la plus totale, mais sentait à présent une faible aura émaner des murs ; c’était comme si les comtes vampires toisaient cet intrus depuis leurs cadres luxueux, mais malmenés par les siècles.
Légèrement irrité, Ashur pressa le pas. La demeure des von Carstein paraissait le défier, mais il n’allait pas céder à d’aussi petites provocations. Toute sa haine devait être dirigée contre le seul responsable de sa présence en ces lieux : Mannfred von Carstein.
        Cependant, au bout de la galerie, il trouva porte close. Nullement affecté, il frappa d’un formidable coup de poing, capable de disloquer une armure lourde et transpercer de part en part le mortel qui la porte. A sa surprise, le fer et le bois tinrent bon. La demeure des von Carstein le défiait encore.
        Gardant toujours la tête froide, le vampire millénaire mit sa paume contre la serrure des deux portes barrant sa route. Naturellement, un maléfice contrait toute force brute qui voudrait s’y appliquer. Simple et efficace, mais pas assez, pas contre lui. Ashur n’eut qu’à concentrer sa volonté sur le vent du métal, et en quelques secondes la serrure et les barres de fer qui structuraient les portes tombèrent en poussière orangée, emportant les planches de bois avec dans un fracas étouffé. Le silence se brisa, le vampire millénaire sentit des regards désapprobateurs dans son dos, et sourit.

        Son sourire s’effaça lorsqu’il constata qu’il ne se retrouvait plus dans le dédale de couloirs qui, croyait-il, auraient du le conduire vers la salle du trône. Sa mémoire lui indiquait qu’il n’avait emprunté aucun escalier lors de sa précédente visite, et pourtant, après avoir rebroussé chemin à deux reprises, il se retrouvait à nouveau devant les marches d’un escalier qui, sentait-il sous ses pieds, partait vers le haut et vers le bas. Sa proie demeurait introuvable et imperceptible, et Ashur commençait à avoir la sinistre impression qu’il avait surestimé ses chances quand il avait décidé d’entrer à l’improviste. Avant de parvenir au châtelain, il devait déjouer les pièges de sa demeure. Pitoyable, mais la perte de temps ne rendait sa haine que plus acérée, et sa détermination - quasi-palpable. Il décida de descendre à la source de ce qui perturbait ses sens, et emprunta l’escalier menant à l’étage en bas.
        Il essuya un nouvel assaut des esprits inapaisés, mais le combat fut aussi soudain que bref. L’escalier déboucha sur un autre couloir, mais juste à côté ce même escalier continuait à descendre dans les profondeurs du château.
        Le regard du vampire millénaire fut attiré par le couloir, car le noir ambiant y semblait atténué par un faible halo verdâtre, comme celui qui l’avait guidé lors de sa dernière visite. Il traversa le couloir à la hâte, inconsciemment savourant déjà la vue du seigneur sylvanien, leur affrontement inévitable, la beauté de la destruction… La faible, très faible lueur émanait de deux grandes portes semblables à celles qu’il avait détruites. Ce n’était guère plus qu’un filament, une luciole devait faire plus de lumière, mais dans l’obscurité stérile de ces lieux, le contraste était remarquable. Ashur sourit, saisit les portes par leurs poignées et faillit exprimer sa joie quand il sentit l’ouverture céder à sa poussée.

        Il entra, et s’arrêta net. Armes. Yeux. Crânes. Métal. Beaucoup, menace, nombreux. Le halo verdâtre de leurs orbites vides se refléta sur leurs lames sépulcrales. Maudite soit la nécromancie, - pensa Ashur, ses reflexes le faisant refermer les portes à la volée. CRACRACRAC ! Une dizaine de pointes d’épée transpercèrent le bois peu résistant, contraignant Ashur à bondir en arrière et relâcher son emprise sur les portes. Elles s’ouvrirent sous la poussée d’une horde de morts-vivants. Armures lourdes. Boucliers. Emblème des von Carstein. Il ne savait que trop bien de quoi autant de guerriers d’outre-tombe étaient capables. Les trois premières lames qui l’atteignirent furent déviées par son sabre, puis le vampire millénaire roula sur le côté, vers l’escalier. La horde s’écrasa contre le mur devant lequel il se trouvait l’instant précédent, puis se tourna de nouveau vers lui.
        Trop peu de lumière, - pensa Ashur, - mais beaucoup d’ombre. L’artifice ne lui prit que quelques souffles, et ce fut comme si entre lui et eux, l’ombre fut une mare engloutissant toute créature marchant dessus. Des plaintes étouffées en émanèrent, maudissant à jamais la lumière et la vie. Les morts en armure n’y prêtèrent garde, et marchèrent droit dans l’abime, alors qu’Ashur continuait à les distancer. Il entendait l’abime se remplir, et se réjouissait en entendant le craquement de l’os et du métal. Néanmoins, ses poursuivants furent assez nombreux pour continuer à le menacer.
Alors qu’Ashur descendant l’escalier, les pas des morts retentirent derrière lui. Il continuait à descendre les marches, conscient que si un contingent similaire le coinçait ici, c’en était fait de son incursion improvisée. Quelque part dans un recoin de son être, la rage bouillonnait en lui, pourchassé de la sorte tel un vulgaire animal. En temps voulu, Mannfred allait payer, payer pour tout.
        L’escalier continuait de descendre, mais il n’y avait pas d’ouverture sur d’autres couloirs. Toutefois, plus il descendait, plus la source de puissance lui paraissait proche.

- Comme c’est aimable. Un serviteur récalcitrant s’est rendu lui-même à l’endroit de sa punition.
        La voix lui sembla portée par un courant d’air venant d’en bas. Ashur sentit ses pieds se mouvoir d’eux-mêmes, portés par une envie instinctive de rapprocher le tueur de sa proie, proie qui avait enfin daigné donner des signes de vie à son chasseur, et bientôt, le chasseur aurait sa vengeance !
        Quelques instants après, l’escalier s’arrêta enfin. Ashur sentit de nouveau en courant d’air, et constata qu’il y avait un couloir qui partait dans deux directions. Il emprunta celui d’où le courant d’air provenait.
        Les pas des morts qui le poursuivaient s’étaient tus depuis longtemps. Leur bruit avait été remplacé par celui de gouttes tombant du plafond. Les profondeurs du castel Drakenhof, - pensa Ashur, - des cachots. Ses doigts glissèrent sur plusieurs portes avec des barreaux. Il constata qu’il était de nouveau guidé, par des courants d’air cette fois-ci, mais considérait cela à présent avec mépris et révulsion. Tous sens en éveil, il mémorisait chaque passage qu’il empruntait, et réalisa ainsi qu’on le fit faire passer plusieurs fois dans les mêmes couloirs, espérant peut-être lui faire perdre tout sens d’orientation. Pitoyable. Le vampire millénaire ne pouvait s’imaginer plus ridicule traitement, surtout après le danger mortel qu’il évita dans les escaliers. Ce n’était plus les indications courtoises lors de sa première visite, mais de basses manœuvres visant à l’humilier.
- MANNFRED ! MANNFRED VON CARSTEIN !
        De l’ombre surgirent des dizaines et des dizaines de corbeaux, leurs croassements faisant écho dans les interminables geôles souterraines. Partant dans toutes les directions, ils portaient chacun en soi une infime parcelle de puissance, communiquant au vampire millénaire les couloirs qu’ils visitaient. Nombre d’entre eux percutèrent de grandes portes fermées, toutes situées dans la même direction. Quelques instants plus tard, ils disparurent ne laissant derrière eux que quelques plumes, leurs cris perçants résonnant encore ici et là. Ashur reprit sa marche, désormais certain de sa destination.
        Arrivé devant les grandes portes qui lui étaient les plus proches, il appela de nouveau : « MANNFRED ! »
       L’instant d’après, il eut la satisfaction de voir les portes s’ouvrir devant lui.
        L’instant d’après, il souhaita qu’elles fussent de nouveau fermées, car la myriade d’orbites étincelantes le regardait.
        Il n’était toutefois plus question de reculer.
        Ashur murmura quelques paroles. Dans un lieu si sombre, si confiné et si humide, les meilleurs sorts étaient aussi les plus difficiles à réaliser. Mais il ne serait pas entré s’il ne se savait capable de tels prodiges.
        Par sa volonté, les courants d’air parcourant les souterrains s’unirent en une puissante bourrasque, qu’il dirigea contre les cohortes de guerriers d’outre-tombe qui avançaient sur lui en rangs serrés. C’est alors qu’il sentit l’opposition du maître des lieux ; la tempête fut soudainement aspirée par les boyaux où l’on jetait les prisonniers condamnés à mort.
        Une colonne de flammes jaillit du corps-même du vampire millénaire, brûlant ce qu’il avait de vêtements sous son armure, mais enflant, rugissant de plus en plus fort, occupant le couloir tout entier… Jusqu’au moment où un vent glacial vint le dissiper. Les gardes du château n’étaient plus qu’à quelques pas.
        Le sabreur immortel chuchota alors trois mots qui, prononcés correctement, formaient une terrible malédiction dirigée contre ses assaillants. Rien ne vint altérer le couloir de nouveau assombri, mais Ashur savait à présent que son sort avait fait son œuvre. Quelle que soit l’adresse impie des gardes, ils ne pourraient désormais briser son armure.
        Il se jeta dans la mêlée, hurlant une ultime invocation qui lui était bien familière, la bête prenant possession de ses membres, décuplant sa force et sa rapidité, transformant les mouvements de son sabre en une danse de mort et de destruction.


Dernière édition par Von Essen le Sam 7 Juin 2014 - 16:56, édité 2 fois
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Sam 7 Juin 2014 - 14:10
Ah, comme c'est intéressant... Tu as réussi à bien développer l'art du suspense et de la torture littéraire...
Ça ne change rien ! La suite !  Clap 
Essen

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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Lun 16 Juin 2014 - 10:50
50ème partie.


     Lorsque le bourgmestre sentit qu’il reprenait conscience, il ouvrit les yeux et voulut prendre une grande bouffée d’air. A son grand étonnement, il ne vit tout d’abord que le lueur d’une chandelle posée à son chevet, et ne sentit pas de soulagement à se savoir vivant et en bonne santé. Ses boyaux lui disaient que quelque chose n’allait pas ; tout son corps lui disait que rien n’allait plus comme avant, et pourtant, c’était bien de son corps qu’il s’agissait. Instinctivement, il se sentit trembler, comme les rares fois où il s’était retrouvé face à un grave péril.
- Détendez-vous, Von Essen.
     La voix lui fit l’effet d’un seau d’eau sur la tête. Il bondit de la couverture de laquelle il avait été recouvert, et fut foudroyé de stupeur lorsque sa tête se cogna violemment contre un plafond bas.
     « La cave ! » - pensa-t-il.
- Asseyez-vous, maintenant, - dit une autre voix.
     Le bourgmestre eut à peine le temps de réaliser que les deux voix lui étaient familières, quand une force dont l’origine lui était inconnue le fit s’asseoir sur le champ. Il réalisa alors qu’il était sur un lit de fortune, fait apparemment de bâches destinées habituellement à recouvrir les réserves de nourriture de la cave. La chandelle brûlait juste à côté.
Tel un animal pris au piège, il se recroquevilla en un instant, prêt à assaillir quiconque voudrait le menacer. Un rapide regard le fit toutefois perdre tous ses moyens. Ses deux ravissantes servantes, Mina et Moka, le scrutaient avec attention, chacune agenouillée à ses côtés. « Elles m’ont trompé ! » - la réalisation fusa en lui tel un boulet de canon, et lui causa une fureur indicible. Indicible. Indicible.
     Il poussa un feulement, tel qu’il ne se connaissait pas, et un rictus de rage le fit montrer ses dents. Le bourgmestre se vit leur bondir dessus, leur déchirer leurs frêles cous avec ces-mêmes dents, les punir pour leur indocilité, boire leur sang…
- ASSEYEZ- VOUS ET CALMEZ-VOUS !
     La voix de Moka, la servante ainée, lui parut transcender toute limite de raison, s’imposer telle une évidence au-dessus de toutes les vérités. Un ordre. Son ordre. Il ne pouvait soudain refuser. Toutefois, se sentant si impuissant, le bourgmestre s’entendit feuler de plus belle, et se vit tendre ses bras vers la jeune femme éclairée par le feu incertain de la chandelle…
     « BAM ! »
     Il ne vit pas la gifle l’atteindre. L’instant d’après, sa tête se cogna rudement contre le sol de terre de la cave. Tout son être frémit de douleur, mais il se rendit soudain compte que la raison n’était pas le soufflet qu’il venait de recevoir, mais le fait d’avoir désobéi… Tout son corps voulait obéir, c’était sa volonté qui avait résisté.
- Moka… - il vit Mina, l’autre servante, jeter un regard désapprobateur à celle qui l’avait frappé.
- Ma patience a des limites, Mina ! Surtout face à quelque chose d’aussi dégoûtant !
- Il… - Mina hésita. Le bourgmestre ne savait s’il devait éprouver de la sympathie pour elle, ou la mettre dans le même sac que sa compagne. – Il n’est pas dégoûtant ! Il l’était avant, mais là…
- Suffit ! – Moka s’adressa de nouveau au bourgmestre. – Von Essen, je ne supporterai plus d’insubordination de votre part…
     Mina la coupa néanmoins :
- Moka ! Il ne sait même pas ce qui vient de lui arriver !
- C’est pour cela que j’ai besoin d’un Von Essen plein d’attention, et non d’une bête féroce. – trancha Moka. – Tout d’abord, bourgmestre, vous devrez apprendre à vous plier à ma volonté, est-ce bien clair ? Je vous ordonne de répondre.
Sa dernière intonation lui coinça les mots dans la gorge alors qu’il s’apprêtait à rétorquer. Le bourgmestre sentit son sang lui taper aux tempes, comme si une réponse immédiate devait le débarrasser de toute inquiétude, alors que l’entêtement ne lui coûterait que plus de souffrances. Il voulut déglutir, mais sentit avec horreur que sa bouche était toute sèche. L’horreur commença là, au niveau de ses gencives, puis gagna ses épaules, puis tous ses membres. Petit à petit, le bourgmestre sut qu’il aurait bien voulu répondre, mais qu’il n’en était pas capable. La frayeur à présent paralysait tous ses gestes.
     Ses yeux, qui continuaient à lui obéir, rencontrèrent ceux de ses servantes. Il vit des prunelles toutes rouges, anormalement rouges, voulut se détourner, mais ne put même plus exécuter cette manœuvre. Les deux jeunes femmes l’avaient cloué sur place.
- Moka… - la plus jeune se tourna vers son ainée. – Il est terrorisé…
     Sa voix était douce, presque bienveillante. Les traits de la servante aînée demeurèrent cependant impitoyables. Elle continuait à fixer le bourgmestre de son regard surnaturel, oppressant, comme si elle l’enchaînait à jamais à sa volonté… D’un signe de main, elle indiqua à Mina de se taire. Leur silence dura, lui sembla-t-il, encore un long moment, car la chandelle brûla d’un tiers de sa longueur.
     « Von Essen ! Von Essen ! Von Essen ! » - cette appellation, il sentit qu’on la marquait au fer rouge dans sa conscience. Il sentit qu’on l’appellerait désormais comme ça jusqu’à la fin de ses jours. Il sentit que la pénombre de la cave dans laquelle on l’avait plongé, il n’en ressortirait plus jamais, et que plus jamais il ne serait bourgmestre. Perdu. Il était perdu…

- Von Essen !
     Sa terreur se fit voix. En entendant son nom, il poussa un hurlement tel qu’on dut l’entendre à l’autre bout de la ville. Il abandonnait tout, il était abandonné, il était perdu, et ne pouvait revenir en arrière, ne pouvait se réveiller dans son lit et prétendre qu’il ne s’était agi que d’un cauchemar…
- Non mais…
     La voix évoquait une menace, mais l’instant suivant il sentit les lèvres de Moka toucher les siennes, étouffant son cri désespéré. Le sang lui tapa aux tempes de plus belle. Il crut qu’il allait perdre la raison, quand il sentit qu’on le relâchait de ce baiser impromptu. Repoussé en arrière, il vit Moka se réinstaller auprès de sa compagne.
     Elle lui lança un nouveau regard sévère.
- Allez-vous enfin écouter ce que j’ai à vous dire ?!
     Tremblant de tout son corps, Von Essen sentit qu’il pouvait seulement hocher la tête et tendre l’oreille. Tout don de la parole lui avait été arraché avec ce baiser.
- Bien, - Mina, à côté d’elle, avait baissé les yeux et paraissait elle aussi écouter. – Von Essen, vous ne faites désormais plus partie du commun des mortels. Vous êtes dorénavant un vampire au service de notre maîtresse à tous, la comtesse d’Essen.
     Elle laissa s’écouler un moment, comme pour s’assurer que l’interlocuteur avait bien saisi le sens de ses mots. Or, le bourgmestre peinait à comprendre. D’une manière qui lui échappait, sa servante dut s’en rendre compte, car elle soupira profondément et reprit :
- Mina et moi ne sommes pas de simples servantes. Tout comme notre maîtresse n’est pas une simple dame des cours des nobles. Vous, bourgmestre, avez cessé d’être un simple bourgmestre dès que notre dame nous a ordonné qu’il en soit ainsi. Maintenant, vous comme nous ne faites plus vraiment partie du monde que vous connaissez, car vous n’êtes plus humain.
     Von Essen, comme il savait qu’il s’appellerait désormais, ignorait toujours le sens de ses mots. Il comprenait qu’on l’avait trompé, mais ne pouvait pas, ou peut-être ne souhaitait pas en comprendre davantage. La terreur qu’il avait à peine éprouvée était trop récente, et il sentait de nouveau des frissons lui parcourir le dos. Cependant, il ne sentait pas de sueur.
- Von Essen, - prononça Moka sur un ton de conclusion, - vous êtes désormais un être doué de capacités surhumaines, mais vous ne le devez uniquement à la générosité de notre maîtresse, à laquelle vous devez prêter serment d’allégeance sur le champ.
- Euh… - glissa timidement Mina. – Peut-être serait-ce mieux qu’il lui prête allégeance quand notre maîtresse sera de retour ?
     Un bref instant, les yeux de la servante ainée brûlèrent tels des charbons ardents.
- Jamais, ne jamais revenir sur sa parole !! Jamais, Mina !
     La plus jeune servante fronça les sourcils :
- A ta guise, Moka, mais un serment d’allégeance venant d’un vampire nouveau-né ne vaut pas à mes yeux plus qu’une promesse venant d’un mortel. Il ne sait toujours pas qui il est !
     Moka ne répondit pas tout de suite.
- Il saura en temps et en heure. Maintenant, l’important pour lui est de savoir qu’il n’a plus le choix. Prêtez serment, Von Essen.
     La chandelle était à moitié consumée. La cave qu’elle éclairait, le bourgmestre en distinguait à présent tous les recoins. Les bruits familiers de la ville, il les entendait comme s’il se tenait sur la place du marché. En tendant l’oreille, il discerna même une respiration apaisée provenant de la chambre des servantes. Plus loin, bien plus loin ronflaient les eaux du Stir.
Puis l’ordre le rattrapa. Enivré par un tel afflux de nouvelles sensations, il ne trouva plus la force de résister. Tout comme son nouveau nom, Moka lui insuffla alors les paroles exigées. Dans la pénombre qui lui était désormais agréable, Von Essen prononça :
- Ce que j’ai été, je ne le suis plus. Je suis Von Essen, fidèle serviteur de la dame d’Essen, comtesse de l’Ostermark. Mon allégeance sera sienne jusqu’à la fin des temps, j’en fais le serment.
     Le silence qui s’ensuivit ne dura guère.
- Levez-vous et suivez nous, - dit Moka.
     Le bourgmestre s’exécuta, et ils empruntèrent l’escalier qui conduisait à l’étage. Quand ils montaient les marches, Von Essen s’aperçut que ses vêtements, habituellement d’une propreté exemplaire, étaient par endroits tachés de rouge.
- Moka… - hasarda-t-il.
- Mademoiselle Moka, ou dame Moka, pour faire plus court.
- Dame Moka, - sa voix ne tremblait pas, - que m’avez-vous fait ?
     La servante ainée était celle qui marchait en premier. Brièvement, elle se retourna pour jeter un regard au vampire nouveau-né. Sur son visage, elle ne vit plus aucune trace de panique. Il n’osait pas lever les yeux, et c’était bien ainsi, mais son rapide changement d’attitude paraissait suspect. Elle ne daigna pas lui répondre, bien que les mots lui brûlassent la langue. Von Essen n’osa pas demander de nouveau.
     Ce fut Mina derrière lui qui prit la parole :
- Vous êtes un vampire, Von Essen. La meilleure chose qui vous ait pu arriver en toute une vie.
     Ils avaient fini de monter les marches. Le bourgmestre crut remarquer un échange de regards entre les servantes, mais resta discret.
     Pour rejoindre les escaliers menant à l’étage supérieur, ils durent passer par le salon. A travers les fenêtres, Von Essen s’étonna de ne voir que très peu de lumière, comme lors d’un jour mémorable où un effroyable blizzard descendit des Montagnes du Bord du Monde et traversa toute la contrée, détruisant la moitié des récoltes. D’ailleurs, il n’y avait point de feu dans l’âtre, et toute la maisonnée semblait comme figée dans le froid.
     La pensée qu’il n’en souffre guère ne lui vint qu’au second étage. Cependant, les servantes ne s’arrêtèrent pas là, et empruntèrent la montée qui conduisait au troisième et dernier étage : le quartier des serviteurs.
     Le bourgmestre se surprit à la pensée qu’il ne se souvenait plus de la dernière fois quand il était passé ici. Trois chambres, ne disposant que de lits et de coffres bon marché, des murs demandant quelques réparations, l’impossibilité de se chauffer auprès d’un feu la nuit… Il se demanda comment les deux jeunes femmes avaient fait pour s’y plaire durant le peu de temps où elles furent à son service.
     Mina et Moka s’arrêtèrent enfin devant la porte de leur chambre. Moka frappa quelques coups.
- Maître ? Êtes-vous éveillé ?  
     Un léger remue-ménage se fit entendre de l’intérieur, comme si quelqu’un rejetait du tissu.
- Évidemment que je le suis, sinon vous ne seriez pas venue me déranger, mademoiselle !
     Karl Rembrandt ? – reconnut Von Essen, - Un autre imposteur, - songea-t-il avec amertume.
     Soudain, toute pensée lui fut ôtée, à part celle d’un cœur qui bat. Pas le sien, - réalisa-t-il avec une stupeur mêlée d’extase, - ni celui des deux servantes. Seule la personne derrière la porte de la chambre avait un cœur qui battait, et ce palpitement, ce bruit, ce son, c’était une promesse de vie, de force, de jouissance !
     Lorsque son bras se tendit de lui-même vers la poignée, il accepta avec joie la rapidité surnaturelle de son mouvement. Il faillit se mordre les lèvres de dépit quand, tels des étaux, les mains des deux servantes se refermèrent sur la sienne, et la tordirent impitoyablement, arrachant au bourgmestre un grognement de douleur.
     La porte s’ouvrit. Sur son seuil se tenait le vieillard qui naguère s’était présenté devant lui sous un faux nom. Rides profondes, barbe grise, vêtements noirs dans un piteux état, rien, rien de cela ne lui importait. Il avait un cœur qui battait, du sang chaud dans les veines, et ce sang devait être sien, immédiatement…
     Le vieux le regarda de la tête aux pieds et sourit.
- A peine réveillé et déjà violent ? Ne vous méprenez pas, je ne suis pas étonné, - face à son ton condescendant, le visage de Von Essen se figea dans un rictus de rage et de haine intense. – Oh ? Désolé.
     Le vieux s’inclina soudain, et ne se releva pas quand il reprit :
- Vous avez mes plus profondes excuses pour le traitement qui vous a été infligé, - son ton était soudain devenu grave, sans aucune trace d’ironie. – Cela n’aurait jamais du se produire, mais il m’était impossible de m’y opposer, en aucune façon que ce soit. A présent, je ferai de mon mieux pour vous faciliter votre nouveau fardeau.
     Il se releva brusquement et lui accorda de nouveau un regard en profondeur.
- Il faudrait vous changer, et… Non, d’abord il faudrait vous nourrir… - sa voix s’éteignit, et il soupira. – Mesdemoiselles, vous savez qu’il n’y a que vous à qui je puis confier cette tâche délicate. Vous connaissez mes opinions à ce sujet, dois-je de nouveau les réitérer ?
     Ce fut une fois de plus Moka qui prit la parole.
- Pour lui, maître, pas pour nous, soyez aimable de répéter.
- Soit, - le vieux prit une profonde inspiration. – La mort à qui la désire, pas à celui que vous désirez. La mort à celui qui la mérite, c'est-à-dire pas un homme, mais un chien dans la peau d’un homme. La mort à celui qui a vécu, pas à celui qui vivra. La mort dans l’ombre, discrète, pour ne pas attirer l’attention.
     Il finit son récital et s’adressa directement au bourgmestre :
- Suivez mes conseils, et peut-être vous aurez la chance de survivre, - le regard du vampire nouveau-né était toujours rempli de courroux réprimé, ce qui n’échappa pas au vieux maître. – La colère sera bien souvent votre guide, monsieur. Mais elle ne pourra que vous guider vers votre fin. La vraie fin. Revenez quand vous serez rassasié et quelque peu calmé, peut-être serez-vous alors plus réceptif à mes paroles.
     Il se tourna alors vers les servantes :
- Je crois que les présentations sont faites, mesdemoiselles… Ah, non, pardonnez ma vieille mémoire, - il s’inclina légèrement devant le bourgmestre. – Mon vrai nom est Friedrich von Nettesheim, nécromancien émérite. Vous ne gagnerez rien en me dénonçant aux autorités, étant donné que vous faites partie des nôtres à présent. Et puis, l’autorité ici, c’est vous, non ?
     Sur ces dernières paroles, il referma la porte de la chambre.
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Mer 18 Juin 2014 - 17:49
Ah, un peu plus de développement sur nos deux servantes préférées. Et j'avoue que je ne m'attendais pas à ce qu'elles transforme ce cher bourgmestre.
Mais cela ne nous avance pas sur les aventures d'Ashur, de Manon et de sa chère mère  Tongue 
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Ven 20 Juin 2014 - 12:31
Voici, dame...  Vampire 


***
     Le maître Friedrich eut bien voulu s’accorder encore du repos, mais l’esprit n’y était plus. Trop d’événements, trop d’inquiétudes se bousculaient dans son esprit. Bien que persuadé d’avoir vu bien pire, il se sentait dépassé, considérablement limité par les circonstances.
     Après quelques allées et venues dans une chambre aussi pauvre que peu éclairée, ses pensées butèrent toutes sur une seule et même origine de ses problèmes : Mannfred von Carstein. Ce seigneur, il ne le connaissait que de nom, étant né bien des années après les guerres vampiriques que livrèrent les comtes sylvaniens.
     La fatigue inspirait un sentiment de désespoir au vieux nécromancien : pourquoi ? Que les humains ont-ils fait de mal pour que les dieux accordent tant de puissance à des êtres aussi abjects ? Un sorcier capable de soumettre à distance la dame d’Essen devait forcément égaler en puissance tous les plus illustres magiciens dont les noms lui venaient en mémoire : Teclis, Balthazar Gelt… Pourquoi un sorcier de cette envergure s’acharnerait-il autant sur la comtesse ? Le monde entier semblait l’avoir oubliée depuis des dizaines d’années… Elle n’avait jamais daigné discourir longuement sur son passé, disant le plus souvent que ce serait bien trop long à raconter.
     Le désespoir laissa lentement place à la lassitude et à la frustration. Von Nettesheim se mit malgré lui à s’interroger sur le sens que prenait sa vie, un sens apparemment de plus en plus uniforme, mais le pire était qu’il lui semblait interminable. La dhar avait dressé un rempart entre lui et les jardins de Morr, et il ne pouvait plus prétendre au repos éternel. Le seul souvenir qui lui restait de la courte période qui succéda à son trépas, ce n’était rien d’autre que d’un sentiment de souffrance, comme si ce coup que lui avait infligé le prince elfique, il était condamné à le subir à jamais…
     Le nécromancien grelotta. De froid, car c’était toujours un sang chaud qui coulait dans ses veines, et de crainte, car la mort hantait désormais son existence, le laissant éternellement à la frontière entre les deux mondes. Cet état, il le sentait, rendait l’invocation des âmes des défunts plus aisée, mais qu’adviendrait-il de la sienne une fois son corps redevenu poussière ?
     Von Nettesheim grelotta de nouveau. Dans cette chambre qui était sensée abriter les servantes du bourgmestre, il n’y avait pas d’âtre à chauffer. Or, pour elles qui n’étaient plus vraiment de ce monde, le froid ne posait pas le moindre inconfort.
     Essayant de faire le vide dans sa tête, le vieux maître sortit de son lieu de repos provisoire pour rejoindre l’étage inférieur. Le froid, remarqua-t-il, glaçait non seulement son corps, mais aussi son humeur, problème auquel il fallait immédiatement remédier.
     Mettant de côté ses guenilles meurtries par les intempéries, il trouva parmi les affaires du bourgmestre des vêtements à la fois chauds et confortables. Satisfait, il décida de parfaire son rétablissement avec un bon feu dans le salon.
     Le dernier feu qu’il avait vu, - songea-t-il, - c’était au manoir du Haut Col, avant la bataille contre… Contre qui, au juste ? D’après les souvenirs du nécromancien, les morts vivants qui avaient défié les forces de la comtesse ne venaient manifestement pas de la région, ni même de la Sylvanie, voire même de l’Empire. Trop de faste, - se rappelait-il, - trop de parures et d’engins sophistiqués qui feraient pâlir les magus des Collèges de Magie… Il maniait ainsi ses pensées alors qu’il pénétrait le salon, quand – si son ouïe ne le décevait pas – on frappa à la porte d’entrée.

     La dhar virevoltait autour du vieux maître, mais pas autour de la personne qui se tenait à l’entrée de la maison, et, comme il ne bougeait pas de sa place, la personne frappa de nouveau.
     Quelque chose mit le nécromancien en garde contre cette personne, et il lui fallut à peine un instant pour le réaliser : la dhar évitait la personne qui se tenait à la porte d’entrée. Toutefois, il était conscient que laisser la porte fermée…
- Monseigneur ? – la porte étouffait quelque peu la voix, mais von Nettesheim fut frappé par sa profondeur et sa gravité. – Monseigneur, êtes-vous là ? Je dois vous parler sur le champ !
     Un homme. Un vieil homme comme lui, mais plus solidement bâti. Tant pis pour la prudence, - décida-t-il, -  il faut prendre les devants.

     Von Nettesheim ouvrit la solide porte en bois de chêne.
     Devant lui se tenait quelqu’un qui, ne s’attendant pas à rencontrer le vieux maître, recula involontairement d’un pas. Légèrement plus grand, il était vêtu d’une simple robe noire serrée à la ceinture avec un bout de corde. Une grande capuche recouvrait son crâne et voilait ses traits, mais nul ne pouvait douter que ses yeux scrutaient incessamment le nécromancien. Ils échangèrent des regards inquisiteurs, et chacun ressentit un froid auquel le mauvais temps ne devait rien. Le visiteur parla en premier :
- A qui ai-je l’honneur ?
« Devancé ! » - pensa von Nettesheim, et sentit que son cœur palpitait dans sa poitrine plus furieusement qu’à l’accoutumée. Rapidement néanmoins, il se reprit et s’inclina :
- Karl Rembrandt, - dit-il, - médecin itinérant. Sa seigneurie m’a gracieusement accordé le logis et le couvert pour cette nuit.
     L’expression du visiteur demeura indiscernable.
- Puis-je voir sa seigneurie ?
- Navré, - le nécromancien s’efforçait de ne pas adopter un ton aussi sec, - mais il est sorti ce matin, sans me faire part de ses intentions.
     Pendant un petit moment, le visiteur garda le silence, comme s’il réfléchissait. Von Nettesheim sentit qu’il avait la très distincte envie de poignarder cette personne.
- Médecin itinérant, dites-vous ? Vous devriez vous faire connaître au plus vite. – le ton du visiteur se teinta soudain … d’ironie ? D’amertume ? De placidité ? – Morr n’aime pas accueillir les âmes avant l’heure.
     Il se retourna ensuite, et entama une lente marche sur la Grand ‘rue de la ville, sans regarder en arrière. Un long moment s’écoula, mais le vieux maître n’osa pas lui tourner le dos jusqu’à ce que la noire silhouette du visiteur ne disparut au coin d’une ruelle.  
     N’y tenant plus, von Nettesheim referma la porte avec fracas. Respirant l’air à grandes bouffées, il crut qu’il allait défaillir, mais tint bon et arriva, d’un pas mal assuré, à se trainer jusqu’à l’unique fauteuil du salon. Là, il sentit que ce n’était plus son corps, mais son esprit qui avait besoin de repos, et se laissa presque instantanément aller au sommeil.



51ème partie.


- ASHUR !
     Quelque chose n’allait pas, quelque chose avait failli, quelque chose avait brisé son emprise sur les pensées de la comtesse d’Essen. Ce quelque chose, à sa connaissance, ne pouvait être que cette abomination malfaisante qui s’affairait depuis des heures à réduire ses gardes des cryptes à l’état de poussière.
     Mannfred von Carstein était assis sur son trône noir, contrôlant tout ce qui se passait dans le château, son château, le castel Drakenhof. Lorsqu’Ashur avait pénétré ses murs, il s’était lui-même condamné à la destruction la plus sûre et la plus définitive, et il ne devait y avoir aucun moyen pour lui de contrer le contrôle du comte vampire sur sa bien-aimée comtesse.
     Pourtant, il le sentait et n’en croyait pas ses sens, quelque chose avait mis en pièces, démoli tel un château de sable son brillant sortilège d’envoûtement.
     Dehors, le soleil devait avoir commencé à descendre depuis son zénith, si seulement les mortels pouvaient le voir à travers la chape de plomb qui avait recouvert toute la contrée. Qui parmi eux aurait bien pu être capable d’aller à l’encontre de la magie de l’héritier de Vlad, surtout d’une manière si particulière ? S’il s’était agi du nécromancien qui l’accompagnait à Essen, le seigneur vampire l’aurait ressenti et lui aurait fait payer ses efforts par la douleur. Non, quiconque qui aurait tenté de contrer son sortilège aurait été contré, mais là, il ne pouvait plus rien, lui, le Grand Mannfred ! Ou plutôt, tout était à recommencer, mais son esprit était presque entièrement accaparé par le combat qui se déroulait dans les bas-fonds de sa forteresse, où cet imbécile arrogant tenait néanmoins en respect des dizaines et des dizaines de guerriers d’outre-tombe. Il avait réussi à pénétrer dans la grande salle qui n’était nulle autre que l’arène du château, où jadis les prisonniers affrontaient toutes sortes de bêtes sauvages, pour le plus grand plaisir du public installé sur des gradins… Maintenant, ces gradins étaient jonchés de débris d’os et d’armure, à tel point que le comte se demandait s’il devait tous les relever de suite, ou attendre la mort de l’importun pour s’en occuper… Des forces, il en avait assez, bien assez pour occire un serviteur rebelle, même si celui-ci se targuait d’avoir plus de siècles de non-vie que lui, le maître de la Sylvanie. Non, vaincre Ashur n’était pas un problème. Pas ici, chez lui, où la terre-même régénérait ses pouvoirs. Cependant, quelqu’un avait brisé son emprise sur la comtesse d’Essen, et ce ne pouvait être que lui.
- ASHUR !

     La voix du comte vampire avait atteint les oreilles du vampire millénaire, mais pour l’instant il n’y prêta guère attention, concentré sur les dizaines de lames spectrales qui cherchaient incessamment la faille dans son armure. Peine perdue, car la malédiction du souffle de minuit avait été répétée plusieurs fois dans la bataille, et les assaillants du sabreur immortel en faisaient les frais. Dans ces moments de lucidité où Ashur ne se sentait pas totalement absorbé par la joie du combat, il s’interrogeait sur les raisons de l’inactivité apparente du seigneur sylvanien, qui se contentait de temps à autre à redonner corps aux gardes des cryptes qui venaient juste d’être abattus. Rien de plus. Cherchait-on à le berner ? A lui faire perdre du temps ? D’ailleurs, combien de temps s’était écoulé depuis son entrée au château ? Toutes ces questions le tenaillaient par moments, puis une épée passée un peu trop près de sa gorge le ramenait à ses instincts primaires de tueur, et il oubliait.
- ASHUR !
     Cette fois-ci, il fut bien obligé de remarquer l’appel, car à l’instant ses assaillants s’immobilisèrent, puis rengainèrent leurs armes.
- Votre seigneurie, qu’il y a-t-il ? – toute trace de haine implacable semblait avoir disparu des pensées du vampire millénaire, confronté ainsi à son occupation favorite : la destruction par le sabre.
     Le comte vampire choisissait ses mots avec minutie.
- Mon armée est en lambeaux, je tenais à vous féliciter !
Ashur éclata de rire.
- Mille mercis, monseigneur ! Auriez-vous l’obligeance de venir commander ce qu’il en reste ?
- Que nenni, j’ai mieux à faire. Et vous, n’avez-vous pas mieux à faire que de saccager mes souterrains ?
- Mais, monseigneur, tout ceci peut cesser en un instant !
     Le comte vampire sentait qu’ils se rapprochaient du plus important.
- Oh ? Dites toujours.
- Je suis d’excellente humeur, seigneur, par les soins de vos hommes d’armes ! Aussi je n’exige plus votre mort, mais uniquement que cette fois-ci, vous oubliiez la comtesse d’Essen pour de bon, faute de quoi je rongerai les fondations de votre château, jusqu’à ce qu’il s’effondre avec votre trône !
     « Il ne sait donc pas ! » Cela semblait le moins probable, mais ce vampire n’y était pour rien dans l’échec de son envoûtement. Il y avait donc un autre ennemi quelque part, encore inconnu, mais qu’il fallait retrouver au plus vite. Quant à Ashur… Malgré sa puissance unique fort appréciable, il ne devait sortir de ce castel. Mannfred von Carstein ne sera pas défié deux fois.
     Les mots n’étaient plus nécessaires.

     Le vampire millénaire n’eut que le temps de réagir bien avant que les guerriers d’outre-tombe ne dégainent. Cependant, à l’instant où il fauchait un rang de plus, il sentit l’étreinte du vent de la mort le serrer à la gorge.
     Surpris, il n’eut le temps de formuler un contresort, et sentit sa volonté s’opposer directement à celle du seigneur sylvanien.
     « HA ! » - les âges jouaient en sa faveur. Cependant, à peine le danger écarté, un autre vint se dresser face au sabreur immortel : dans la faible lueur émanant des orbites des morts-vivants surgit des miasmes une sombre figure à la fine silhouette et aux traits singuliers.
Ashur lui sourit.
- Laniph ! – l’appela-t-il, avant de formuler quelques mots qui renvoyèrent l’invocation dans les limbes.

     L’instant d’après, le sourire du vampire millénaire se transforma en un rictus hilare dont il ne parvint pas à se défaire ; tout son corps fut secoué de spasmes, et Ashur fut subitement pris d’un fou-rire démentiel, au point qu’il résonna en écho dans les profondeurs des cachots.
     Il connaissait le sort, mais n’avait pas été assez rapide pour le contrer. Alors qu’en même temps, il continuait à manier frénétiquement son sabre, il sentit ses entrailles se tortiller avec violence, tellement sa crise le plongeait dans une folie surnaturelle.
- HAHAHAHA ! MANNFRED ! – les côtes du vampire millénaire lui faisaient souffrir un martyr qu’il n’avait pas subi depuis des siècles. – VEUX-TU ME FAIRE MOURIR DE RIRE ?! HONORABLE INTENTION, MAIS JE MOURRAI QUAND LE MONDE CESSERA DE ME FAIRE RIRE !!  
     Une gerbe de sang fusa de sa gorge.
- HOHOHO ! LE PREMIER SANG EST A TOI, MAIS JE N’AI PAS DIT MON DERNIER MOT !
     D’un ultime effort de volonté, Ashur mit un terme à la crise, et se mit à cracher des paroles en même temps qu’il crachait les restes de liquide qui restait dans sa bouche.
     Les spasmes reprirent de plus belle, mais cette fois-ci, le sabreur immortel l’avait souhaité.
     Dans le chaos de la foule des soldats morts-vivants dont les nombres grandissaient à une vitesse phénoménale, un vent souffla ; le vent était tellement fort et tellement chargé de puissance occulte que lorsqu’Ashur l’inspira à pleins poumons, une EXPLOSION remua l’arène de fond en comble.
     Le comte vampire connaissait le sort, mais les vents de magie avaient échappé à tout contrôle. Dans les souterrains, il le savait, il le sentait, bon nombre de ses gardes avaient été terrassés par la décharge, alors que son ennemi amorçait une rapide et douloureuse métamorphose.

     L’armure du vampire millénaire colla à sa peau, et se mit à grossir et à s’allonger en même temps que ses membres. Bras, jambes, torse, tête – tout décuplait de volume sous l’influence de Ghur, le vent de la bête, alors que les écailles de l’armure se transformaient en écailles de reptile. Tout le long de la transformation, Ashur poussait des hurlements qui n’avaient plus rien de naturel, si ce n’est qu’ils avaient gardé des traces des railleries propres au caractère du vampire millénaire.
     Ses cheveux n’étaient plus ; à la place avait poussé une paire de cornes aussi redoutables que ses crocs et ses griffes longues de plusieurs pouces. A l’autre extrémité de la masse imposante qu’était devenu son corps, une queue avait poussé, raclant violemment les antiques murs de l’arène.

     Une gerbe de flammes aveuglantes illumina soudain le sable, la pierre et la poussière. Insensibles à la poussée de chaleur, les gardes des cryptes reformèrent leurs rangs et avancèrent sur la créature qui leur faisait face, boucliers levés haut. C’est alors que le Grand Dragon de Feu les aperçut.

     Le trône noir du castel Drakenhof trembla légèrement. Son occupant sentit lui aussi la secousse qui, semblait-t-il, avait remué chacune des pierres qui formaient le château.

     Une seconde gerbe de flammes visa cette fois-ci les morts-vivants. Les reflets du souffle ardent se répandirent partout dans la grande salle, comme les cendres de ceux qui n’y survécurent pas. Le sol trembla de plus belle alors que le dragon se rua à l’attaque.

     Sur son trône, Mannfred von Carstein réunissait ses pouvoirs pour briser l’enchantement qui paraissant tout d’un coup menacer effectivement jusqu’aux fondations de sa demeure. Une seconde secousse indiqua la vitesse avec laquelle les troupes de Drakenhof fondaient sous l’impact des griffes de son ennemi. Enfin, le contresort fut prononcé. Ses effets n’allaient pas tarder à se manifester, et alors, Ashur paierait. Alors, il serait détruit de la pire manière que le comte vampire saurait concevoir. Alors…
     La brume ne put se dissiper dans l’espace clos de l’arène, soudain exempt de la moindre brise, du moindre remous. Or, ce n’était pas un rempart à la perception du seigneur sylvanien. Il s’aperçut rapidement que son ennemi n’était plus. Il s’aperçut rapidement, pour sa plus grande fureur, que lorsque le contresort qui lui rendit sa forme humaine retentit, Ashur profita de cet instant pour se dissiper dans l’ombre du castel, pour réapparaître… où bon lui semblait, car depuis sa malédiction, l’ombre avait recouvert toute la contrée. Tout, tout était à recommencer. Son ennemi avait soudain décidé de fuir, et un autre avait libéré Delphine d’Essen de son emprise.
     Sur son trône, l’héritier de Vlad rumina sombrement ces pensées, tandis que dans les profondeurs de l’arène, les os de ses guerriers se ressoudaient lentement…    


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Dim 22 Juin 2014 - 15:21
Un... dragon. Rien que cela. Ashur voit les choses en grand décidément.

Je me suis un peu perdu avec le Bourgmestre mais tout c'est remis en place sur le tas. Dommage qu'Ashur et Mannfred n'aient pas croisés le fer. Bien que tourné vers les Arcanes, le bougre n'en reste pas un sacré morceau.
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Dim 22 Juin 2014 - 21:57
Un plaisir de te revoir sur ma rubrique, cher vg11k  Happy 

J'ai pensé que dans ce qui était censé être une exécution sommaire, le seigneur sylvanien n'a pas jugé nécessaire de descendre de son trône  Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 705433


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Lun 23 Juin 2014 - 13:15
Tu joues fort bien avec la figure emblématique de Mannfred. Tant que tu continues dans cet axe, cela ne me dérange pas que tu utilises un des persos communs à tout wargamer  Happy 

Il y avait donc un autre ennemi quelque part, encore inconnu, mais qu’il faut retrouver au plus vite.
Seul détail qui m'a interpellée durant ma lecture. Tout le reste du paragraphe est au passé, et du coup je pense "qu'il fallait" irait très bien dans cette phrase.

Un dragon ? Après des millénaires de maitrise de Ghur ? Tout a fait normal  lol (Tilla ! Regarde ce qu'il t'attend ! J'ai hâte de te voir trèèèèès vieille et trèèèès puissante  Lol ! )

La question qui reste : si ce n'est ni Ashur ni le nécro qui ont brisé l'envoutement, qui est-ce ? Manon, Mina et Moka me semblent pas assez puissantes pour réussir...
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Dim 6 Juil 2014 - 14:58
***

     Il était l’ombre, l’ombre était partout. Pourtant, lui ne pouvait être qu’en un seul lieu : là où devait se trouver la comtesse d’Essen.
     Tué, il l’avait été presque. En se rendant compte que la magie du seigneur sylvanien le mettait aux portes de l’autre monde, il s’était souvenu à quel point il tenait à celui-ci. Il tenait à la comtesse d’Essen, cette femme, cette vampire, il ne savait pas pourquoi.
     Aux portes de l’autre monde, découvrir que quelque chose le retenait lui fut agréable. Il oublia qu’il voulait vaincre ou mourir ; il voulait juste résister et partir, quittez ce lieu sordide, quittez cette angoisse omniprésente, et retrouver un semblant de quiétude.
     La mort l’avait touché des doigts de nombreuses fois, mais depuis qu’il connaissant la comtesse, c’était la première fois. Or, cette fois-ci, il ne mourrait pas sans regrets.

     L’ombre l’accueillait à bras ouverts, mais l’ombre était morne et stérile, semblable au voile de la mort. Il n’en voulait pas pour longtemps, juste assez pour quitter la Sylvanie et retrouver la comtesse.

     Depuis l’ombre, il voyait les feuilles des arbres remuer sous les rafales de vent ; il voyait l’eau du Stir s’écouler, la terre aux alentours était à la fois humide et gelée. Au-delà du Stir, le ciel vira du noir au gris foncé, mais l’on ne pouvait toujours dire s’il faisait nuit ou jour. Depuis l’ombre, Ashur sentait chaque brin d’herbe qu’il traversait, chaque parcelle de vie dormante pendant l’hiver ; il n’en faisait point partie, mais, curieusement, il jouit alors d’une des rarissimes occasions où il pouvait voir.
Observer, il n’en avait pas le temps, mais juste voir le fit sourire dans l’ombre. C’était fabuleux, il ne pourrait plus jamais comprendre, la comtesse non plus ne pourrait jamais comprendre, hélas… Il n’y avait pas autant de choses dans l’autre monde. Celui-là l’amusait encore, il voulait donc y rester. Mannfred ne l’en empêcherait pas.
     Les fonds de la terre, il les voyait. Les bois d’Essen, il les voyait au loin, comme les montagnes, de l’autre côté. Si la raison l’aurait fait attendre à Essen, son intuition lui soufflait le contraire. Delphine se trouvait à l’est, et elle n’était pas seule.

     Le long du Stir, puis est-nord-est, vers le Haut-col… La neige, intéressant… Des sapins, des rochers, des hauts sommets… La comtesse n’était plus très loin. La comtesse !
     Il fallait s’extirper de l’ombre, redevenir corps, il sentait déjà qu’il n’était plus comme avant, la vision s’estompait, il voyait beaucoup, beaucoup moins à présent, et la bête, il la voyait aussi, éternelle, insatiable. Il sentit ses crocs, sentit ses griffes, ses bras, son corps, l’armure qui tant de fois l’avait sauvé de la mort… Lui-même, il l’était de nouveau, Ashur, le vampire qui ne savait plus, qui ne comptait plus ses années, depuis qu’une cité nommée Lahmia fut détruite, il y a tellement longtemps…
     Son sabre, il le sentit à son côté, jamais il ne s’en séparait, jamais il ne s’en séparerait. Il était un sabreur, mais pas un vrai, car il n’était plus mortel, car ne se laisserait jamais mourir par le sabre, il tenait trop à son existence pour cela. Il tenait trop à voir la comtesse pour cela.


     Ashur s’arrêta sur le chemin, un large sentier zigzaguant à travers la forêt montagnarde pour redescendre dans la plaine. Tout autour, il faisait très sombre, les arbres étaient noirs, et seules quelques tâches de neige blanche tachetée attiraient l’œil. Toutefois, le vampire millénaire les ignora rapidement. A quelques dizaines de pas de lui se tenait la dame d’Essen. Ses instincts ne la trahirent pas…
- Ashur !
     Derrière elle se tenait sa garde rapprochée de chevaliers noirs, leur roi revenant en tête. La comtesse était montée sur un destrier mort-vivant au caparaçon écarlate, et portait toujours ses vêtements de bataille, son armure, son épée. Rien de cela n’attira cependant l’attention du sabreur immortel : devant la cavalière se tenait et visiblement fulminait un étrange personnage portant une longue robe grise déchirée par endroits, et ses traits demeuraient dissimulés par une capuche. Il se tenait de dos au vampire millénaire, mais quand il vit que la comtesse l’ignora soudain, il se retourna.
- Ashur ! – répéta la comtesse, le visage profondément contrarié. – Répondez-moi !
- Comtesse… - il lui sourit, et s’avança vers elle.
     L’homme étrange à la robe grise voulut dire quelque chose, mais sembla intimidé par la présence du sabreur immortel.
     Celui-ci se rappela alors de l’instant où il avait aperçu ce visage blême et extrêmement émacié : c’était le second nécromancien, celui qui arriva au manoir juste après le maître von Nettesheim, quelques temps avant la bataille…
- Comtesse ! – le vampire millénaire se demandait vaguement s’il ne devait incinérer cet homme pour les débarrasser de sa présence. – Me voilà plein de joie de vous revoir !

     Dans son regard, il lut un trouble profond. Elle se mordit la lèvre, comme hésitant à lui répondre. Il méritait une réponse, mais elle-même ne savait que dire. « Faible », « vulnérable » furent les mots qui lui vinrent à l’esprit, mais elle ne pouvait les accepter. A la merci d’un von Carstein, pour en être délivrée comme elle pensait le deviner, elle croyait sur le moment qu’elle ne s’en remettrait pas, et préfèrerait mourir de honte et de colère.
     Tout cela n’échappa point à Ashur. Le sabreur immortel lisait dans son esprit comme dans un livre ouvert, et ce qu’il y vit le laissa en proie à des impressions différentes. Du mépris, surtout, et la bête approuvait avec férocité. La comtesse s’était laissée ensorceler, elle ne méritait donc pas que le grand nosferatu qu’il était s’inquiète à son sujet.
     Sur la caillasse grise et froide du chemin gisaient les débris d’un instrument à cordes, cordes toutes brisées, avec le manche. Instrument meurtri, parsemé de fractures à peines visibles dans l’obscurité. Cet instrument exhalait la magie noire, le vampire millénaire le sentit à l’instant où son attention se posa dessus. Il sentit également que l’homme à la robe grise ne lâchait pas non plus les débris des yeux. Pire encore : l’homme et l’instrument dégageaient la même aura maléfique.

- Comtesse ! – Ashur entendit son ton se durcir, mais ne songea pas à se reprendre ; subitement, il ne ressentait plus que du dégoût. – Que faites-vous là ! Pourquoi suis-je soudain en colère contre vous ! Pourquoi ce regard ! Est-ce un reproche ?!
     A cet instant, la garde rapprochée et leur roi eurent l’ordre informulé de décapiter l’homme et le vampire. L’instant d’après, cet ordre s’éteignit. Les crocs de la dame d’Essen la démangeaient terriblement. La forêt figée dans le froid, le ciel de plomb au dessus de leurs têtes, la caillasse morte sous leurs pieds – tout lui parut insupportable. Elle lutta contre l’envie d’effacer toute trace de ce qui se passait devant ses yeux, mais les deux témoins de sa honte l’avaient chacun sauvée de l’emprise surnaturelle du comte Mannfred. Ingrate, elle ? Jamais. Néanmoins, personne, pas même Ashur, ne devait oser lui parler ainsi. Quand elle lui répondit, le reproche dans son regard était réel.
- Fort aimable à vous d’être venu, Ashur, mais je ne saurais tolérer que l’on me manque ainsi de respect, - une pensée soudaine lui traversa l’esprit. – Je vous plais car je suis ainsi, immortel ! Vous ne seriez pas là si vous ne me trouviez pas ainsi, impuissante et humiliée, mais toujours assez folle pour ne pas plier devant vous !

     Elle se ressaisit, consciente que ses mots n’avaient que peu de sens. Humiliée, elle l’était toujours, et toujours elle croyait que jamais elle n’avait vécu de pire moment. Le sorcier à côté, qui, probablement par instinct de survie, n’osait souffler mot, lui faisait encore plus de honte en présence d’Ashur. Cet être sans but ni raison, le maître von Nettesheim l’avait rencontré en Sylvanie il y a bien longtemps, et l’avait pris à son service. Son instrument, disait-il, était un artefact d’origine et de potentiel inconnu, qu’il souhaitait étudier de plus près. Tant qu’il restait à l’écart du manoir du Haut-col, la comtesse le tolérait, et sa fille aussi. Toutes deux préféraient l’ignorer plutôt que de s’intéresser à un nécromancien inapte et crasseux. Le seul qui s’en approchait parfois était le maître Friedrich. Qui était-il ? D’où venait-il ? La comtesse n’en savait rien, mais sentait à présent que malgré elle, elle s’y intéresserait désormais de plus près. Elle demanderait à von Nettesheim. Mais d’abord, elle devait trouver une issue de la situation où elle était.
     Ashur, cependant, ne répondait pas. Il préféra sentir à nouveau les odeurs d’un hiver qui semblait éternel en ces lieux, et entendre le bruit d’une source qui devait s’écouler non loin. Il ne voulait de nouveau se laisser aller à la lassitude ou à la colère, tous des sentiments qu’il avait déjà vécus des fois innombrables. Sourire était toujours la meilleure solution.
     Il ne sourit pas, mais la comtesse le vit soudain tourner les talons et regarder en direction de la vallée.
- Delphine ! – dit-il. – A nouveau vous me décevez et m’agréez au même instant. Laissons place au plaisir, et à vous, de nouveau mienne, je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs. – il se retourna vers elle. – Laissons cet endroit, et rentrons quelque part où nous pourrons parler avec dignité.
     Il ne souriait pas, mais ses traits étaient sereins, et Delphine d’Essen sentit un faible mais brusque renouveau d’affection pour lui. Toutefois, elle non plus ne sourit pas.

- Vous ! – elle s’adressa au sorcier à la robe grise qui, croyant qu’on l’avait oublié, s’affairait à rassembler les miettes de son instrument. Il s’arrêta, puis s’inclina à la manière du maître Friedrich pour montrer qu’il avait entendu.
     Satisfaite, la comtesse reprit :
- Réparez votre instrument, montez jusqu’au Haut-col. La garde d’Essen vous y attend. Vous descendrez avec dans la vallée, vous longerez le Stir jusqu’au bois d’Essen. Le maître von Nettesheim vous y retrouvera.
     Le sorcier s’inclina plus profondément pour faire signe qu’il avait compris.

     Laissant l’homme à la robe grise remonter péniblement le chemin du Haut-col, le vampire millénaire et la dame d’Essen dévalèrent la pente, talonnés de près par les chevaliers noirs et leur roi. Ashur avait de nouveau invoqué un destrier d’ombre ; lui et elle chevauchaient en silence, chacun perdu dans ses propres contemplations.
     Quelque temps après, ils laissèrent derrière eux le village de mortels soumis à l’impôt de sang de la comtesse ; vision de misère, mais qui les laissa parfaitement indifférents. Les mortels mourraient et naîtraient de nouveau, et les eaux du Stir continueraient de couler.
     Les vampires, eux, seraient toujours là, immuables et éternels, à veiller sur eux.        



     Cette terre, c’était la Sylvanie. Il ne se rappelait plus du nom de ce village, mais se souvenait parfaitement qu’il ne pouvait y avoir de terre plus infertile et d’existence plus misérable pour les paysans. Dans une famille où un enfant naissait chaque année, et un autre était enterré presqu’aussi souvent, le simple fait de survivre jusqu’à l’âge de pouvoir labourer tenait de l’exploit. Ou plutôt, il fallait bien qu’il y en ait, des survivants, car sinon il n’y aurait rien à manger pour les géniteurs. Parmi les adeptes de Morr que le village avait vu passer, aucun ne pouvait s’attirer une quelconque attention des habitants, car ils étaient eux-mêmes habitués à enterrer leurs morts là où l’année prochaine, la terre devait être cultivée. La récolte en serait meilleure, qu’ils disaient. La récolte était soit meilleure, soit pire, selon le temps qu’il faisait. Souvent, bien souvent il pleuvait, il neigeait en hiver, il pleuvait encore en été, et, parfois, il y avait de grêle. Froid, sombre et humide, tel était le temps qui régnait dans ce village, et dans les autres villages des environs, s’il y en avait d’autres. Personne ne savait ce qu’il y avait au-delà de dix lieues après le village, et ceux qui partaient au-delà de dix lieues partaient souvent pour ne plus jamais revenir. Peu partaient, car ils étaient nés ici. Cette terre les portait, cette terre les engloutirait, voilà ce que les parents apprenaient à leurs enfants. Cette terre, c’était la Sylvanie.    


Dernière édition par Von Essen le Ven 11 Juil 2014 - 14:08, édité 1 fois
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Ven 11 Juil 2014 - 10:23
Une suite de folie sociale comme on les aime  Happy 
Mais que deviennent Manon et le maître ? Un peu d'action, sacrebleu !  lol 
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Mer 16 Juil 2014 - 11:24
Patience, dame, patience...  Vampire 
Bon, comme je risque de m'absenter de ces lieux pendant un certain moment, voici ce à quoi je suis arrivé jusque là ! Et si le suspense de fin vous fait souffrir, ne vous en plaignez pas, car l'auteur partage votre douleur  Fou 


52e partie.

« Il était une sorcière qui allait au sabbat !
Elle portait sur sa tête dix crânes dans un cabas !
Les crânes faisaient rouli-roula !
Les crânes faisaient rouli-roula !
Halte !
Trois crânes en avant,
Trois crânes en arrière,
Deux crânes sur le côté,
Deux crânes sur l’autre côté !

Il était une sorcière arrivée au sabbat !
Il ne restait que dalle, que dalle dans son cabas !
La sorcière dit : voilà voilà…
La sorcière dit : voilà voilà…  
Halte !
Trigramme en avant,
Pentacle en arrière,
Soleil sur le côté,
Et Lune sur l’autre côté !

Il était une sorcière pourchassée au sabbat !
Ses copines pas contentes brûlèrent son cabas !
Le feu faisait crouli-croula !
Le feu faisait crouli-croula !
Halte !
Sorcière en avant,
Sorcière en arrière,
Nulle part ou aller,
Sorcière tout cramée ! »
     Il était minuit, ou minuit avant l’aube, ou l’aube du soir, il ne savait pas trop. Finalement, ça ne lui avait pas pris longtemps de réparer son violon. Les parties se ressoudaient d’elles-mêmes quand il les rapprochait. Tout de même, - se demandait-il, - quelle idée de briser son précieux violon sur un coup de mauvaise humeur ! Le violon n’aimait pas être détruit. Le violon était magique, et la seule fois où son violon fut détruit de la sorte, il se passa quelque chose d’horrible, il ne se rappelait plus trop quoi.
     Là, ce fut réparé. Le ménestrel essaya les cordes, et fut satisfait : le violon était comme neuf. Il sourit intérieurement, se rappelant l’expression hébétée que fit la comtesse à l’instant où elle brisa son instrument d’une seule main… Comme si on lui avait donné une claque ! Et elle l’avait bien mérité !
     L’archet crissa à nouveau sur les cordes. Sans cesser d’avancer sur le chemin rocailleux qui menait au Haut-col, Ludwig le ménestrel entama une rapide, très rapide prestation endiablée, réveillant sur le coup tous les êtres vivants que les bois aux alentours pouvaient dissimuler. La quiétude de la nuit fut brisée par des cris d’oiseaux, et le fautif de ce trouble entendit des loups hurler quelque part dans la vallée. Sur son visage presque décharné, un rictus de plus en plus hilare se dessina.
     Sans s’interrompre un seul instant, le ménestrel continua à clopiner tant bien que mal jusqu’au haut plateau, ancien champ de bataille, où les gardes des cryptes de la dame d’Essen devaient se trouver.

« Il était une sorcière tuée lors d’un sabbat !
Ses copines la brulèrent, et brûlèrent son cabas !
Ah, qu’elle criait : « Houli ! Houla ! »
Ah qu’elle criait : « Houli ! Houla ! »
Halte !
Douleur en avant !
Vengeance en arrière !
Sorcière elle a été,
Banshee elle est restée !! »

***

- Comtesse ?
     Bientôt, ils atteigneraient le pont de Waldenhof. Au-delà du Stir, au sud, le ciel était comme recouvert par un orage. L’air était devenu froid et sec, la nuit approchait.
Ils avaient chevauché depuis la montagne, sans jamais s’arrêter. Jusqu’à cet instant, nul n’avait adressé la parole à l’autre.
     Les landes étaient désertes. Personne parmi le commun des mortels n’aurait osé s’habiter aussi près des Collines de l’Effroi. Pour les vampires, cet endroit ne recelait nul secret : ils entendaient avec aisance les plaintes et les chuchotements des esprits inapaisés ; ils sentaient que la terre de cet endroit regorgeait de fosses communes, de charniers décomposés, de cimetières incertains. Balayées par les vents de magie venus du Nord, vents attirés par la Sylvanie, les Collines de l’Effroi étaient comme une plaie béante sur la terre de l’Ostermark. Dans sa vie mortelle, Delphine d’Essen en était terrifiée. A présent, elle n’en était que dégoûtée. Que Mannfred le Maudit pervertisse ses terres à loisir ; elle, elle n’aspirait qu’à un comté prospère, où les mortels qu’elle gouvernerait lui donneraient leur sang avec reconnaissance…
     De vagues souvenirs de l’envoûtement affluaient dans son esprit : « Mannfred ! Mannfred ! Mannfred ! » Ce nom était alors comme greffé à ses pensées, à ses désirs, à ses secrets… Gouverner par la terreur, imposer sa volonté par la force et la destruction, elle l’avait souvent envisagé, et quelque chose en elle se réjouissait toujours à cette idée. Toutefois, elle finissait toujours par volontairement se distraire et s’arracher de ses songes de gloire et de conquête. …
- Comtesse, pardonnez mon entrain, mais je suis impatient d’amorcer cette discussion.
     Elle se tourna vers lui, Ashur, galopant sereinement sur une créature de magie pure, comme si le procédé tenait de l’évidence… Il souriait, il devait avoir encore quelque chose à l’esprit. Elle voulait retrouver toute sa dignité et sa prestance, surtout devant lui.
- Nous avions convenu d’attendre jusqu’à notre lieu de repos, Ashur, - répliqua-t-elle, bien que la curiosité commençât à la démanger.
- Pour sûr, - il ne la lâchait plus des yeux.
Irritée, la comtesse se détourna.
- Alors veuillez vous tenir tranquille jusqu’à notre arrivée.

     Le vampire millénaire ne répondit pas. Que c’eut été le calme avant la tempête, ou qu’il ait eu la soudaine lubie de lui obéir, elle ne pouvait qu’essayer de deviner.
     Cependant, leur inlassable chevauchée les avait déjà fait dépasser le pont de Waldenhof, et désormais, ils couvraient les dernières lieues qui les séparaient de la ville d’Essen. Les frondaisons des arbres, bien que dénudés, aggravaient l’ombre omniprésente qui s’annonçait à la tombée de la nuit. Bientôt, le noir fut complet ; seuls les feux des tours de guet d’Essen se voyaient au loin, telles des lucioles immobiles.        
     Alors qu’elle laissait sa monture et sa garde rapprochée cachées au milieu des fourrés, la comtesse dévisagea Ashur, qui demeurait silencieux depuis qu’elle le lui avait de demandé. Il arborait toujours un léger sourire.
     Ils n’échangèrent pas un mot lorsqu’ils franchirent la palissade à la vitesse de l’éclair, invisibles dans la nuit. La ville dormait, et les conversations tardives des mortels n’intéressaient guère les vampires.

     Dans la maison du bourgmestre, la porte et les fenêtres étaient fermées, et l’on ne voyait point de lumière à travers les interstices. Dans le salon, une faible lueur émanait des braises encore fumantes du foyer.
     Von Nettesheim s’était réveillé en sursaut. L’aura de deux êtres surpuissants se rapprochait rapidement du manoir ; il n’eut aucun mal à en reconnaître les possesseurs.
     Dans la chambre des servantes, Manon, la fille adoptive de la comtesse, discourait à voix basse avec les servantes, Mina et Moka. Arrivée peu de temps après midi, elle avait surpris un maître nécromancien épuisé et inquiet. Il n’eut même pas pris la peine de lui parler, et elle devina sur le coup qu’il lut dans ses yeux ce qui l’intéressait. Elle le laissa alors se reposer, et attendit à l’étage jusqu’au retour des servantes et du bourgmestre vampire. Couvert de sang et paraissant sur le point de perdre la raison, celui-là fut enfermé dans la cave, à travers les murs de laquelle aucun son ne se faisait entendre. Depuis, elles étaient montées dans la simple chambre des serviteurs, et parlaient des événements qui avaient suivi la débâcle auprès du manoir du Haut-col.

     Von Nettesheim se leva péniblement de son fauteuil. Il voulait se sentir soulagé du bon retour de la comtesse, mais la transformation de l’infortuné Von Essen lui mettait sur l’âme comme un poids supplémentaire ; la visite inattendue d’un prêtre de Morr fort antipathique avait achevé de le mettre à bout. Ce fut dans une humeur fort maussade qu’il s’approcha de la porte d’entrée ; le plancher grinça, la poignée coulissa, et les seigneurs vampires firent leur entrée dans la demeure du bourgmestre…
     Ashur jugea l’endroit d’un coup d’œil, et grimaça. Cependant, son expression se changea vite en un rictus moqueur :
- Comtesse, - ses yeux luisirent dans le noir, - je sens dans l’air comme une odeur de frustration, pour ne pas dire – de rébellion déterminée !
     Tous trois se tenaient à présent debout dans le salon. La dame d’Essen ne répondit rien, et se tourna simplement vers le vieux maître, l’air interrogateur.
     Ce dernier inclina la tête.
- Messire, - il réfléchit avant de poursuivre, - ne vous méprenez point. Tous les occupants de cette maison ont juré allégeance à la comtesse d’Essen.
- Ah vraiment ? Qu’en est-il de la créature qui rôde en ce moment sous nos pieds et semble hurler à l’agonie, comme si elle subissait tous les supplices de ce monde ?
     La pénombre ne réduisait pas la vue du maître nécromancien, bien au contraire. Cependant, elle assombrissait son humeur. De plus, un sentiment d’insécurité ne le quittait pas depuis sa récente rencontre avec le prêtre de Morr.
- Il se taira en temps et en heure, - dit-il, les dents serrées, puis se reprit et s’inclina. – Messire Ashur, je vous suis reconnaissant pour votre aide.
     Parler en termes si vagues afin d’éviter de courroucer la comtesse… Malgré lui, le vampire millénaire constata à nouveau à quel point ce maître Friedrich était bon.
- Nous en reparlerons, maître, - prononça-t-il en acquiesçant de la tête.

     Tous deux virent soudain la dame d’Essen s’affaler sur le fauteuil. Elle les regarda attentivement.
- Exact, Ashur, - dit-elle lentement. – Nous en reparlerons. Il y a beaucoup à dire… Manon !
     La vampirette entra précipitamment dans la salle, comme si elle attendait ce moment depuis le début. Elle s’arrêta auprès de sa mère, radieuse.
- Viens par-là, ma fille, viens… - la comtesse et sa fille partagèrent alors une étreinte chaleureuse sur le fauteuil.
     Le maître nécromancien et le vampire millénaire se dévisagèrent, silencieux, puis envisagèrent de quitter le salon. Delphine d’Essen hésita un moment, puis finalement renonça à les en dissuader. Pour la première fois depuis longtemps, lui semblait-il, sa fille et elle pouvaient partager un moment de tranquillité.
     Leur étreinte dura longtemps, selon l’appréciation des mortels. Aucune n’osait parler, aucune ne voulait parler. Rares étaient les fois où elles se rendaient compte à quel point elles se sentaient liées, à quel point elles croyaient avoir besoin l’une de l’autre. A quel point leur existence leur semblait inestimable dans ces moments-là. Mère et fille, elles le resteraient pour toujours, et pareillement, croyaient-elles, demeurerait leur affection.

     Ashur et le maître Friedrich, installés à l’étage au-dessus, ne soufflaient mot. Le silence leur paraissait appréciable, et les deux maîtres sorciers n’avaient nul besoin de parole : scruter l’esprit d’autrui était pour eux un savoir acquis à force d’érudition et d’entrainement, et cette nuit-là, ils en usaient selon leur bon plaisir. Fort heureusement, le sabreur immortel résistait à la tentation d’aller au-delà de ce que le nécromancien choisissait de lui montrer. De son côté, von Nettesheim se gardait bien d’explorer les tréfonds des souvenirs d’Ashur, sous peine de risquer d’y perdre la raison.
     L’apparition du prêtre de Morr resurgissait encore et encore dans l’esprit du vieux maître, auréolée d’une aura de crainte indéfinissable. Le vampire millénaire avait beau lui assurer qu’un mortel n’était rien, voire de lui reprocher sa couardise, rien n’y faisait ; queque chose en ce prêtre provoquait chez le maître Friedrich un état proche de la panique. Ashur décela quelques sombres souvenirs derrière cela, mais le nécromancien refusa de les dévoiler. Ces souvenirs, il voulait à jamais les oublier. Ces souvenirs sapaient ses forces et érodaient sa volonté. Dans son esprit, le vieux maître se sentit soudain monter un rempart impénétrable éloigner ces souvenirs d’Ashur, et de lui-même… L’effort lui prit plus de forces qu’il ne l’eut crut ; toujours hanté par la silhouette encapuchonnée du prêtre, von Nettesheim sombra subitement dans l’inconscience.


- Ma patience s’épuise, nécromancien.
     Ces paroles chargées de menace l’arrachèrent du néant. Von Nettesheim cligna des yeux ; il était allongé sur le lit du bourgmestre, et Ashur se tenait debout face à lui.
- Ma patience s’épuise, - répéta-t-il, - et votre faiblesse m’exaspère. Vous m’exaspérez, maître, et je quitterais ce taudis sur le champ s’il ne jouissait pas de la présence de ces dames.
     Il faisait toujours nuit noire, les contours des objets se voyaient à peine dans la chambre. Les yeux d’Ashur brûlaient tels deux charbons ardents dans l’obscurité.
     Le maître Friedrich sentit qu’il n’était pas non plus enclin à la réserve :
- Un taudis ? Venant de vous, qui avez vécu dans une grotte, ce jugement me parait bien sévère…
Ashur sentit la poignée de son sabre dans sa main, puis sourit :
- Ah ? Vous n’êtes plus terrorisé ? Oseriez-vous insinuer qu’un mortel vous inspire plus de crainte que moi ?
     Von Nettesheim s’assit enfin sur le lit.
- Je crains pour ma vie depuis que je côtoie Madame, mais j’ai bien plus à craindre de la part de mes pairs.
- Ah vraiment ? Intéressant, et pourquoi donc ?
- Ils prendraient soin de m’humilier avant de m’offrir la mort, qu’ils voudraient lente et douloureuse.
     Ashur éclata d’un rire qui brisa la quiétude du lieu.
- Par mon sabre, maitre ! Il ne me dérangerait point de vous faire subir le même sort ! Un monstre comme moi, des supplices, je peux vous en faire des centaines ! Craignez-moi, car je suis supérieur aux mortels, et la cruauté n’échappe pas à cette règle !
- Ashur !

     L’appel vint d’en bas. L’instant suivant, la dame d’Essen et sa fille entrèrent dans la modeste pièce.
     Elle le regarda et reprit rapidement :
- Vous vouliez m’entretenir de quelque chose en chemin. Suivez-moi dans le salon, et parlons-en entre nous.
     L’air parut se solidifier entre leurs regards. La vampirette, cependant, vint s’asseoir auprès du vieux maître, et s’enquit à voix basse s’il avait besoin de quelque chose. Le nécromancien lui répondit à voix tout aussi basse qu’il avait faim, et qu’il irait chercher quelque chose dans la cave. Manon lui proposa immédiatement de l’accompagner, et tous deux quittèrent la chambre en direction de l’étage en dessous.  



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Dim 20 Juil 2014 - 21:07
Bon... Si l'auteur lui-même reste sur sa faim, je ne pourrais lui demander de nous révéler la suite... J'espère que tes chers personnages te livreront la suite de l'histoire bientôt Sourire
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Ven 1 Aoû 2014 - 11:52
Avant, je n'aurais pas jugé ça crédible, mais mine de rien, c'est l'auteur qui est le premier à être inquiet de la suite ! Quand SES propres personnages commencent à risquer leurs vies, il est le premier à s'exclamer : "MAIS MORTEDIOUS ! MAIS QU'EST-CE QUI VOUS PREND ??"  Fou 


- Mademoiselle ?
     Ils étaient sur le point d’ouvrir la lourde porte de la cave, quand Von Nettesheim s’arrêta.
- J’ai changé d’avis, - dit-il. – Je vais prendre l’air, cela me fera le plus grand bien.
     Manon haussa un sourcil, légèrement étonnée.
- Vous êtes, évidemment, libre de me suivre si tel est votre souhait, - ajouta le nécromancien avant de se mettre à remonter l’escalier qui conduisait au rez-de-chaussée.
- Mais… - le ton morose du maître Friedrich l’intriguait autant qu’elle ne l’inquiétait.
     Le vieux maître, cependant, ne prêta aucune attention à ses hésitations et continua à se déplacer d’un pas lent, mais assuré. Il pensait rencontrer le bourgmestre, commencer à l’instruire sur sa nouvelle « vie », mais le cœur, subitement, n’y était plus. Il venait de se faire menacer par un vampire, et sa patience épuisée le faisait craindre pour une entrevue avec un autre de cette race. Un mot en trop, une prise de tête, et il pourrait facilement décider d’effacer l’existence de ce vampire nouveau-né, ou pire, périr bêtement dans la tentative. Aussi, quand Manon l’interpella une seconde fois et le rattrapa en un battement de cil, il lui intima aussi humblement qu’il le put de le laisser seul, finalement, et, - suggéra-t-il, - de revenir auprès des servantes de la comtesse.
     Interdite et quelque peu frustrée, la vampirette le regarda disparaître derrière la porte d’entrée. A travers les fenêtres à demi-closes de la maisonnée, des rayons de lune éclairaient faiblement l’intérieur.
     Cette même lune fit scintiller les pavés humides qui parsemaient grossièrement la Grand-rue qu’emprunta le vieux maître pour sa promenade. Nul craquement de bois ne vint déranger la quiétude de la nuit ; les animaux, quant à eux, devaient être bien trop loin dans la forêt pour indisposer le silence qui régnait dans les ruelles de la ville d’Essen. Seuls les pas du nécromancien résonnaient à ses oreilles, et, curieusement, il goutait au bruit de ses bottes sur le gravier comme à quelque chose qu’il entendait pour la dernière fois de sa vie. Calme, il l’était : calme comme la nuit, comme l’air qu’il inspirait à pleine poitrine, comme la lune qui émettait un doux halo à travers une ouverture dans les nuages couleur d’encre.
     D’un pas lent, mais assuré il avançait, cherchant des yeux une destination qu’il croyait devoir craindre plus que tout, mais à laquelle il voulait néanmoins accéder. Guidé par ses capacités des forces occultes, il savait parfaitement où il devait aller.
     A quelques deux-cents pas de la palissade de la ville, il quitta la Grand-rue pour s’engouffrer dans un passage étroit entre deux maisons. Il arriva à une rue secondaire, puis emprunta un nouveau passage à l’ombre de deux bâtisses.

     Helgert Bauklötze se leva brusquement de son lit étroit, et ramassa promptement son épée, qu’il passa à la ceinture en sortant dans le couloir annexe du temple.
- HANSLICH ! – interpella-t-il le jeune prêtre qui était de fonction cette nuit. – Réveille les autres, tous ! Certains doivent déjà être réveillés, alors qu’ils se préparent au combat et me rejoignent devant l’entrée !
     Les ordres du grand prêtre ne sauraient être désobéis, et Hanslich s’empressa de passer d’une chambre à une autre, réveillant ses frères et ses supérieurs sans faire aucune distinction.
     Ce rêve… Morr lui avait envoyé un avertissement, il n’y avait aucun doute. Le vieillard, ce vieillard qu’il avait rencontré pas plus tard que ce matin, était arrivé aux portes de Son royaume, mais il trouva porte close, et les corbeaux déchiquetèrent son cadavre… Helgert sortit en trombe dans la grande salle qui abritait les deux autels du temple, et s’assura que les portes conduisant aux jardins étaient toujours closes. Puis il tourna son regard vers le grand porche de pierre marquant l’entrée du temple, et fut comme foudroyé sur place : à l’extérieur, il reconnut la sombre silhouette du vieillard, figée, comme l’attendant avec impatience.
     Cependant, les autres prêtres commencèrent à affluer à ses côtés ; plusieurs interrogations lui furent chuchotées puis répétées, avant que tous ne virent également la figure solitaire se découpant nettement dans les rayons de lune.
- Je sais qui il est, - dit simplement à voix basse le grand prêtre, ancien membre de la Garde noire. – Quand vous l’approcherez, vous saurez aussi. Il ne doit pas approcher les jardins de Morr.
     Ils étaient environ une douzaine, tous habillés dans de longues bures noires ceinturées par une corde en chanvre, une épée pendant dans le fourreau, ou déjà dégainée. De tels états d’alerte ne leurs étaient pas inconnus, les morts de Sylvanie n’affluant que trop souvent par-delà le Stir. Bientôt, un des novices atteindrait la garnison de la ville, alors qu’un autre préviendrait le bourgmestre, et la menace serait rapidement jugulée puis, avec l’aide des dieux, vaincue. Eux devaient remplir leur devoir et empêcher à tout prix le nécromancien d’approcher les défunts enterrés. D’autres disciples devaient promptement sortir surveiller directement les jardins, au cas où le fléau sylvanien essaierait de les prendre de revers.
     Suivant l’impulsion donnée par le Helgert Bauklötze, les prêtres entonnèrent en chœur une courte prière solennelle, et se mirent à avancer en direction de leur ennemi juré.

     Friedrich von Nettesheim les attendait, impassible. Les deux piliers principaux de l’entrée, l’un noir et l’autre blanc, paraissaient émettre une faible aura protectrice ; le vieux maître était prêt à parier qu’il subirait un malaise s’il essayant de traverser le porche qui conduisait à l’intérieur. Toutefois, cela n’était plus nécessaire, étant donné que les prêtres l’avaient repéré et sans doute identifié pour ce qu’il était en vérité. Cela n’était plus qu’une question de temps.
     Pourquoi naguère avait-il craint la mort à ce point ? Pourquoi maintenant semblait-il déterminé à se jeter droit dans la gueule du loup ? Pourquoi se sentait-il sur le point d’être soulagé pour de bon, alors que tout bon sens lui indiquait qu’il allait droit vers sa fin ? Toutes ces questions tournoyaient dans son esprit inapaisé ; cependant, la réponse était à chaque fois la même : il devait saisir cette occasion. Il avait subi la mort un jour, et savait que son âme resterait sans repos, qu’elle ne pourrait jamais trouver la paix, qu’elle finirait par s’en prendre aux vivants… Le savoir nécromantique avait prolongé son existence jusqu’à un âge peu commun, voire impossible selon les critères des humains, mais toujours il espérait que la mort le rattraperait, et son dessein de servir la comtesse jusqu’au trépas serait accompli. Or, il croyait à présent qu’il ne mourrait plus. Pas de vieillesse, en tout cas. Son corps avait beau faiblir, la magie qu’il maîtrisait de mieux en mieux le maintenait inéluctablement sur pieds. Piégé ? Son âme ne quitterait donc son corps que par la violence ou la décrépitude, et hanterait à jamais l’espace entre les deux mondes ? A quoi bon avait-il obstinément refusé le baiser de sang si c’était pour se retrouver dans une situation encore pire !
     Il ne pouvait s’y résoudre. Dans les yeux du prêtre de Morr, il avait lu une haine implacable de tout ce qui pouvait incarner la nécromancie, mais aussi un sens de simplicité et de méticulosité qui lui faisait honneur. Lors de leur rencontre, le prêtre ne l’avait pas attaqué car il était désarmé, et car il n’était pas sur de son identité véritable. Dorénavant, plus aucune erreur n’était possible, et le sorcier maudit était là, à sa merci, menaçant de réveiller les morts à tout moment. Ce prêtre, ainsi que les autres disciples lui offriraient une mort rapide et s’assureraient que son âme n’irait jamais déranger les vivants. Il devait en être ainsi, oui, il l’espérait, il ne pouvait en être autrement. Les voila qui s’approchent de lui, tous aux aguets, parés au moindre de ses gestes, mais il n’en ferait rien… Qu’ils approchent, qu’ils approchent, hardis, mortels ! Votre ennemi est devant vous ! Faites-le quitter ce monde pour de bon !

     Helgert ne savait s’il devait continuer de prier ou prendre le temps de réfléchir. Pas à pas, ils se rapprochaient, et pourtant, le nécromancien ne bougeait pas d’un pouce. Quelque chose ne tournait pas rond, était-ce un piège ? Advienne que pourra néanmoins, car bafouer aussi terriblement les préceptes de Morr ne saurait être laissé sans châtiment.
Les regards des autres prêtres étaient tournés vers lui, attendant l’injonction d’attaquer. Tous connaissaient son expérience, et nul ne risquerait de se jeter tête baissée sur la menace tant que le père Bauklötze ne le ferait pas. Sauf, comme il aimait le dire, c’était la volonté de Morr.
     Ils franchirent promptement le porche de pierre et occupèrent l’espace devant l’entrée. Ils le voyaient plus nettement désormais : un vieillard en vêtements civils, longue barbe grisonnante ; ses traits, toutefois, restaient cachés dans l’ombre des rayons de lune. Le vieillard finit par esquisser un sourire en les observant.
D’un signe de main, le grand prêtre indiqua aux autres disciples qu’il avancerait seul, et fit dès lors quelques pas vers le nécromancien.

     Von Nettesheim reconnut le prêtre qu’il avait rencontré guère plus tôt que ce matin. Celui-ci brandissait fermement son épée et ne lâchait pas le vieux maître du regard. Enfin, il se jeta sur lui, s’apprêtant à porter un coup duquel sa victime ne se relèverait pas.

- NON !
     Le nécromancien s’apprêtait à quitter ce monde pour de bon, mais le coup ne vint pas. Une ombre surgit de nulle-part, faisant briller une lame fine et affutée comme un rasoir, qui trancha net les deux mains du grand prêtre.
- MAITRE ?!
     Le sang gicla des plaies béantes et des membres gisant désormais par terre.
- REAGISSEZ, MAITRE !!
     Von Nettesheim vit le visage incrédule de son assaillant se tordre instantanément en une grimace de souffrance ; ses yeux s’élargirent, sa mâchoire sembla prête à retomber, et il poussa un hurlement qui glaça le sang encore vivant du vieux maître. Incapable de tenir debout, le prêtre tomba à la renverse, toujours beuglant de douleur, secoué de spasmes qui lui faisaient subir le martyr.
     La vision du maître Friedrich se voila de brume ; en face de lui, les autres disciples du temple sortirent soudain de leur stupeur, et chargèrent en poussant des cris de rage. Un murmure qu’il reconnut, un bruit sec, et il vit les prêtres se consumer l’un après l’autre dans des flammes noires qui semblaient jaillir d’une source qui lui était proche. Le dernier qui survécut au massacre, aveuglé à la fois par le désespoir, l’odeur de chair calcinée et la fumée ne changea pas de direction, et s’empala lui-même sur la lame ensanglantée de la chose qui avait tué tous ses frères.
- Maître ! Qu’est-ce qui vous a pris ?! Il faut partir maintenant !
     Cette voix lui parut distante. Il ne sentait plus une seule partie de son corps, comme s’il était condamné à demeurer figé ainsi, à observer muettement la scène du massacre qui venait de se perpétrer devant ses yeux.
- MAITRE ! ECOUTEZ-MOI !

     Tout autour d’eux, les lumières dans les maisons s’allumaient les unes après les autres. Un remue-ménage se faisait entendre quelque part au bout des autres rues qui menaient au temple, des cris étaient échangés ; toute la ville sonnait l’alerte. En face d’eux, le prêtre démembré continuait toujours à agoniser, mais faiblissait à vue d’œil.
Manon d’Essen entendait la milice de la ville arriver à grands pas. Auprès d’elle, elle ne savait que faire du vieux maître que subitement toute raison semblait avoir quitté. Pourquoi ! N’avait-elle pas déjà assez subi en retrouvant son cadavre une fois ? Jusqu’au bout elle s’était persuadée que le nécromancien ne souhaitant que libérer la voie vers le cimetière, jamais elle n’aurait cru qu’elle aurait eu à intervenir… La pensée de l’envoûtement glissa rapidement dans son esprit, mais elle la rejeta pour plus tard.
     La lune les baignait dans sa lumière blafarde, et les flaques de sang répandues devant les colonnes du temple reflétaient légèrement sa blancheur. S’ils étaient pris ainsi, par une foule de mortels hurlant vengeance…
     La vampirette rengaina promptement sa lame et jeta encore un coup d’œil aux alentours. Des lumières de torches se rapprochaient rapidement. Il fallait fuir, et vite.

     Depuis l’ombre du temple surgit la silhouette imposante d’Ashur. Fidèle à son habitude, il sourit en contemplant la scène, mais parla aussitôt :
- Prenez-le, courez par là, puis dans la forêt. Je retiens vos sujets, - il appuya ce dernier mot par une pointe d’ironie.
- Ne les tuez pas ! – Manon soutint d’abord le vieux maître par le bras, puis se résolut à le prendre sur son dos.
- Je n’aime pas gaspiller, - lui lança le vampire millénaire avant de la voir disparaître dans la ruelle.
     Au dessus de sa tête, il aperçut une large forme ailée qui planait dans la même direction, et sourit de plus belle. Avec la comtesse et sa fille, l’ennui faisait partie des choses rares, - se dit-il. Exercer son pouvoir de manière à ne pas laisser de victimes était un peu frustrant, mais vu que Delphine lui avait proscrit de détruire SA ville… Il s’amuserait comme il le pourrait !  



53e partie.


     Quand la comtesse relâcha enfin le jeune prêtre qui s’était imprudemment présenté à leur porte, elle savait tout ce qu’elle avait envie de savoir sur la ville, et sur ce qui devait se passer à présent. Le maître Von Nettesheim devait être allé vérifier les cimetières, mais avait manqué de caution et s’était fait prendre. Toutefois, elle ne s’inquiétait qu’à peine de son cas, d’autant plus qu’Ashur avait déjà disparu, croyait-elle, pour voler à la rescousse du nécromancien. Le jeune prêtre, lui, ne croirait uniquement que tout ce qu’il eût vu cette nuit n’aurait été qu’un rêve envoyé par Morr pour le mettre à l’épreuve.
Elle se remémora la conversation qu’ils ont eue avant…

- Nous pouvons parler maintenant.
- Partis, tous les deux ? Ha, étrange.
- Du tout, Ashur. Ils nous laissent converser en paix.
- Et qu’en est-il de vos délicieuses servantes ?
- Elles ne répondent qu’à moi de ce quelles entendent, et n’en font rien sans mon consentement.
- Vraiment, comtesse ? A la bonne heure, voila des aide-de-camp biens dressés !
- Parlez, immortel. Je ne lis pas dans vos pensées, mais votre impatience se lit sur votre visage.

- Fort bien, mais je ne sais point par quoi commencer, ma chère.
- Moi, en revanche, j’ai quelque chose à vous dire, Ashur. Vous…
- Oui. Je sais. Votre gêne, votre expression le confirme.
- Je n’aime pas vous dire cela. Je vous ai aimé, Ashur…
- Me connaissant, vous devriez faire plus attention à ce que vous dites. A tout moment, je peux décider de raser cette ville de la carte de ce monde.
- Vous oseriez m’intimider avec un otage ? Comprenez-vous maintenant pourquoi, contre ma propre volonté, vous me devenez désagréable, Ashur ?
- Ha. Je n’aurais jamais du vous donner la vie éternelle. Je…
- Croyez-vous ne m’avoir point rendue heureuse ? Mettez-vous à ma place, immortel. C’est moi qui vous dois une reconnaissance éternelle, et non vous.
- Voila qui est ennuyeux. Une scène de déjà-vu. La séparation. Allez-vous m’obliger à revivre pareille absurdité ? Par mon sabre, j’ai bien mieux à faire…
- Oui mon cher. Attendez, cependant, attendez. Tout comme vous, il me suffit d’un rien pour changer d’avis, et vous accueillir de nouveau dans mon étreinte, immortel, car vous ne méritez pas moins.
- Trop aimable comtesse. Je pourrai donc partir sachant qu’à mon retour, je serai toujours le bienvenu.
- Mais pourquoi…
- Nous savons pourquoi, comtesse. Tous les deux.
- Je… Je m’en étais rendue compte qu’après avoir pris la décision de revenir.
- Voudriez-vous à présent repartir ? Le monde est vaste, vous le savez, trop vaste pour rester toujours à un seul endroit, enraciné et immobile, tel un arbre, tel un roc sans la moindre raison d’exister. Rien ne vous dispose à rester. Le seigneur de Drakenhof est dans les parages, et tôt ou tard, il vous retrouvera, comme ses autres ennemis.
- Je ne fuirai pas.
- Certes, mais ce n’est pas la seule raison. Cette ville que vous prétendez votre, elle vous est étrangère. Plus rien n’est comme avant, personne ne vous connaît, et personne ne voudra vous connaître telle que vous êtes. A moins que vous ne soyez séduite par les mensonges et les tromperies des lahmianes ?
- Non ! Je…
- Le nom de la comtesse d’Essen est un peu trop retentissant pour pouvoir le porter ouvertement aux regards des mortels. Dois-je continuer ?
- … Oui. Dites ce que je ne saurais dire par moi-même.
- Ha ! Fort bien. Vous m’amusez, comtesse. Par moments, j’ai su que vous m’en vouliez d’être de retour, et de briser votre petite existence bien tranquille au Haut-Col. Vous ne niez pas ? Fort bien, je continue alors. Depuis que vous m’avez quitté, vous vous bercez d’illusions quant au sort que le destin réserve aux vampires. Songiez-vous à restaurer un semblant de famille dans votre petit manoir ? Je vous félicite, vous avez réussi, en partie. Vos sujets vous doivent une loyauté indéfectible. De toute mon existence, j’ai rarement vu une telle fidélité et une telle dévotion. Hélas, comtesse ! Ces sentiments si humains dont vous vous faites témoignage entre vous, ils ne sont pas faits pour durer ! Pas quand on est immortel !
- Voulez-vous me faire croire que l’affection qui nous fait mener le même chemin est également vouée à disparaître ?
- … Ha. Je ne saurais dire. Peut-être, même si intuitivement j’affirmerais le contraire. Non, ne croyez pas que j’ai fini, comtesse. Mon retour ne vous a pas guérie entièrement de vos lubies. Votre retour à Essen en est une, et une grande ! Pourquoi ? Parce que rien ne vous oblige à y aller. Vous croyez être ici pour ces braves mortels ? Mais ils seront les premiers à vous attaquer dès qu’ils découvrent votre présence ! Et dissimuler votre identité ne semble pas non plus une option, d’après ce que j’ai entendu.
- Ashur. Que me conseilles-tu, alors ?
- Haha. Hahaha ! Nous y voila enfin, comtesse, nous y voila enfin. Sens-tu à quel point j’exulte ? Sens-tu ce retour de fébrilité qui parcourt mon être ? Sens-tu que je n’ai aucun regret d’être de retour à tes côtés, pour retrouver tout ce monde de vanités et de choses insensées ? Tout d’abord, laissez-moi reprendre mes esprits et vous dire qu’Essen ne pourra plus vous accueillir comme vous l’auriez espéré. La haine des morts-vivants est grande ici, et, supercherie ou pas, vous finirez par être acculée, et souffrir, et devoir vous mettre à tuer ceux que vous prenez pour vos sujets, alors que la plupart ne se souviennent même pas que vous avez jadis existé, alors que tous considèrent que votre existence-même est une hérésie contre leur foi ! Haha, si tu es prête à me faire confiance comme jadis, et me remettre ton destin entre mes mains, je te promets que tu n’auras plus à souffrir, et que chaque moment de ton existence sera rempli de moments de passion et de sens…
- De sens ?
- De sens… Tu… ne me crois pas ?
- Je souhaite d’abord entendre ce que tu proposes.
- Haha. Je ne dois pas désespérer de te convaincre, ni perdre patience. Puis-je maintenant vous révéler ce que je crois être la raison de vivre de tout immortel lorsqu’il a suffisamment vécu ?
- Suffisamment, Ashur ? Je n’ai pas suffisamment vécu.
- Ha. Hahaha. Vraiment ? Vraiment, comtesse ?
- Je ne suis pas prête de vouloir trouver la mort.
- ... HA ! HAHAHA ! HA, je ne m’attendais pas à…
- C’était trop facile à deviner. Mais je refuse. Les illusions font partie de ce qui m’amuse encore, pour le moment. Mais, Ashur, je vous suis reconnaissante de…
- Tu, Delphine, tu. Le moment n’est pas encore arrivé pour moi de partir. Pas encore. Je ne t’ai pas eue pour moi-même pendant trop longtemps. Parfois, je voudrais te tuer pour couper le seul lien qui me rattache à ce monde, mais à chaque fois, je me ravise. Laisse-moi pouvoir en profiter.
- Tu devras m’aider, Ashur. Tu as raison, je ne resterai pas ici. Mais pour m’établir autre part, j’aurai besoin de ton aide. J’ai besoin de reconstituer des troupes.
- Oui, oui Delphine. Je me ferai une joie de te les fournir. J’ai trop duré, je suis au bord du gouffre. Je succomberai, je le sens, je l’attends, mais avant, avant je te trouverai ce que tu me demandes. D’ailleurs, je sais déjà où chercher.
- Attends. Tu succomberas ? Pourquoi ?
- Tel est mon bon plaisir, Delphine. Je me réjouis de m’interroger sur la manière de mon trépas.
- Ce n’est point amusant. Pas pour moi. Tu parles trop, Ashur.
- N’en parlons plus alors !
- Est-ce une mise à l’épreuve ? Suis-je sensée m’humilier et t’implorer de renoncer à cette fantaisie ?
- Non… Je parle trop, tu as raison.

- Accorde-moi ce plaisir, et parlons de reforger une armée digne de ma bien-aimée comtesse !
- Tu ne dois pas mourir, Ashur.
- … Pas sans ton accord, Delphine. Maintenant, parlons de ce qui me tient à cœur après toi : la guerre.
- La guerre, Ashur ?
- Haha. La guerre. Ne voulais-tu pas faire une armée ?
- Pour… ma défense personnelle, oui.
- Quoi ! Ridicule.
- Pour… PARLE, ASHUR !
- HAHAHA ! Oui, une armée n’est rien de mieux pour partir en guerre, Delphine, et il n’y a rien de plus plaisant, n’est-ce pas, que d’observer ses troupes progresser vers leur prochaine bataille ! Tu n’as qu’un seul ennemi, comtesse, et tu as le choix de continuer à l’ignorer jusqu’à ce qu’il t’achève, ou à aller l’affronter dans un ultime combat, pour la mort ou la gloire !
- Je n’irai pas me suicider en Sylvanie ! C’est ridicule, Ashur !
- A quoi d’autre vous servirait votre armée sinon qu’à arpenter la contrée maudite et déloger le seigneur de Drakenhof de son repaire ?
- Ne nous égarons pas autour… Ashur, je ne suis pas de taille. Est-ce ton but caché que de me rappeler mon infériorité par rapport à lui et à toi ? Quelle que soit l’armée, et quand bien-même tu m’accompagnes…
- Quelle lâcheté.
- Je veux VIVRE, Ashur ! Continuer d’exister ! Je n’irai pas consacrer mes efforts et mes sujets à une entreprise que je n’ai aucune chance de gagner !
- Est-ce vraiment ce que tu veux, Delphine ? Te glisser au fond d’un trou et attendre que les choses se passent sans n’y prendre aucune part ? Ce n’est pas impossible, mais…
- N’est-ce pas ce que toi et moi avons fait pendant tant d’années ? N’est pas ce que tu avais fait avant de me rencontrer ?
- L’ennui finit toujours par nous rattraper. Toute mon existence, j’ai cherché. Toujours, sans aucune interruption, j’ai été à la recherche de quelque chose. Seul, j’ai été à la recherche de pouvoir, et j’ai atteint des sommets qui devront un jour être gravés dans les livres d’histoire des mortels. Quand je t’ai trouvé, toi, j’ai encore cherché, ton affection, cette fois-ci. Quand tu es partie, j’ai cherché à trouver plus de pouvoir et oublier qu’un jour, je t’ai rencontrée. Quand je t’ai retrouvée, j’ai cherché à savoir ce que tu es devenue. Maintenant que je le sais, que vais-je chercher à présent, Delphine ? Qu’allons-nous chercher ? Que cherches-tu, mon aimée ? Quand tu auras trouvé, tu repousseras l’ennui encore un certain temps, puis encore et encore. Mais jamais, jamais, ma chère, ne te laisse aller en proie au doute, car bien souvent il est pire que l’ennui, et plus vite il te poussera au-delà des limites de la raison. Je me retirerai le temps que tu trouves, et moi-même, je chercherai en attendant. Quand…


     Ce fut alors qu’ils furent interrompus, et l’instant d’après, son bien-aimé se volatilisa dans l’ombre.
     La comtesse remua encore les événements récents dans sa mémoire, et se rappela encore une fois les paroles troublantes du vampire millénaire. Cependant, elle souhaitait encore rester dans la ville, et réfléchir. Peu de temps lui suffirait, mais pour cela, elle avait besoin de ce bourgmestre pour dissimuler sa présence.
     Elle soupira. C’est sous l’emprise de Mannfred von Carstein qu’elle donna l’ordre de transformer ce mortel, et maintenant, sa destinée devenait aussi incertaine que la sienne. Delphine se sentit coupable, et, en tant que maitresse de ce nouveau vampire, se décida à venir lui parler en personne, afin de s’assurer que sa loyauté serait aussi inébranlable que celle de ses autres sujets.


Dernière édition par Von Essen le Dim 3 Aoû 2014 - 10:21, édité 1 fois
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Ven 1 Aoû 2014 - 21:50
J'ai juste envie de dire : tellement intéressant que j'aimerais la suite  Sourire 

Si tu es frustré d'un si petit commentaire, dis-le. Je ferais mieux la prochaine fois  Mr. Green 
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Mar 5 Aoû 2014 - 9:22
Conclusion de la 53e partie.


***


     Ashur regardait. Son envie d’en découdre le tiraillait comme jamais, croyait-il, et il se remémora le massacre pas si lointain qu’il avait perpétré dans une ville non loin du Haut Col. Qu’était-il, sinon un monstre assoiffé de sang, une créature née pour tuer, un maître de la destruction dont les talents s’étaient affinés au cours des siècles ?
     Il était accroupi sur le toit du temple de Morr, et il observait les villageois s’affairer fébrilement autour des corps mutilés des prêtres. De fait, rien dans ses perceptions n’indiquait que Manon et le vieux grincheux avaient besoin de son aide, et à présent, il regrettait d’avoir interrompu une si agréable conversation avec la comtesse.
     A plusieurs reprises, il songea à foncer dans la mêlée sans dégainer son sabre, et dévaster cette foule d’incapables rien qu’à l’aide de ses poings et ses pieds. Toutefois, leur fragilité était telle qu’il devrait contrôler jusqu’à sa force brute pour ne pas briser leurs os, et, bien qu’il s’en croyait capable, il n’en éprouvait pas la moindre envie.
     Était-ce l’écœurement qu’il ressentait ? Quelle déception. Il s’en plaindrait à la comtesse à la prochaine occasion. En attendant, ce serait certainement plus intéressant de retrouver le coupable de sa situation actuelle : Friedrich von Nettesheim.

     Personne ne vit qu’une forme se détacha de l’imposante masse du temple ; Morr accueillait les âmes de ses serviteurs, et les mortels n’en finissaient pas de discuter sur qui en aurait pu être la cause.

     La bête agrippa rudement les barres de sa cage. Rien d’autre qu’un autre massacre ne pouvait être envisageable ! Il s’agissait de lui, d’Ashur ! Il devait montrer à ses mortels QUI était le maître, QUI était celui qui était à craindre ! Il avait le pouvoir, il avait le sabre. Il devait mettre cette ville à feu et à sang.
     Lentement, alors que le vampire millénaire glissait d’un toit à un autre, aussi léger que la brise, des souvenirs longtemps enfouis lui revenaient en mémoire.


     LAHMIA, le joyau des rivages de la mer de Cristal.

     Il avait atteint la forêt. Non loin, il pouvait sentir la présence de Manon d’Essen et du nécromancien. Néanmoins, il n’alla pas dans leur direction. Le bruit de l’eau guida ses bonds ; en quelques instants, il se retrouva sur les rives de l’affluent-nord du Stir. Il courut sur une étroite plage de galets entrelacée de racines d’arbres qui poussaient tout au bord.
A un endroit où la forêt laissait place à une clairière, il s’arrêta. Plus de souvenirs affluèrent, car il reconnut le lieu où il avait rencontré la comtesse. Il avait alors tué son père et son époux, puis, satisfait, avait emporté la mortelle dans son repaire dans les montagnes.
     Plus écœuré qu’avant, Ashur courut vers le nord de plus belle. Il courait de plus en plus vite, couvrant chaque instant une distance qu’un mortel mettrait dix fois plus de temps à parcourir. Plusieurs fois, sans ralentir son allure, il se retourna. Tout était sombre, seule Mannslieb et Morrslieb continuaient à se refléter dans les flots de la rivière. Dans les eaux claires illuminées par leurs rayons, le vampire millénaire reconnut les eaux claires de cette plage. Cette plage… Ou était-ce une autre ?

     Le ciel était alors d’un bleu azur mémorable, inoubliable. Le soleil, astre et dieu protecteur, bénissait la cité de ses limpides rayons. La mer respirait la quiétude, la majesté, mais aussi la promesse de richesses et d’autres contrées inexplorées.
     Un palais, un souverain, un peuple uni et prospère, telle était Lahmia, la Merveille, le Paradis Terrestre, la Favorite des Dieux.

     Alors que les deux lunes se voilaient progressivement de nuages, Ashur s’arrêta. Sur la rive opposée, la forêt avait laissé place à une plaine de hautes herbes et de buissons isolés. La végétation ondoya sous les brises de vent, reflétant les rayons des lunes sœurs, faisant songer le vampire millénaire à l’écume des vagues, mais aussi aux plaines fertiles entourant sa ville natale.

     La Plaine Dorée, trésor inestimable de Lahmia ! Comparable aux verts pâturages de Numas, c’était l’intarissable source de blé pour des milliers de citadins à nourrir.

     Pourquoi maintenant ? Pourquoi soudain tant d’évocations, tant de réminiscence ? Ashur se mit alors à marcher. Il remontait le courant de la rivière, se demandant si ce n’était pas le cours de sa propre existence qu’il remontait. Le bruit de l’eau était comme une douce mélodie, douce mélodie de l’eau qui s’écoule tout près de soi, alors qu’elle était tellement rare dans le désert… Il se rappela à quel point il détestait le désert, à quel point les dunes de sable lui paraissaient plus cruelles que les profondeurs de la mer…

     Plus cruel dessein que de traverser le désert, il ne pouvait se l’imaginer. Si Nehekhara était un désert, alors que nul ne soit étonné que Lahmia, cité ouverte aux pluies bienfaitrices, règne sur les autres cités perdues au milieu des sables stériles.
     Il avait raison. Il avait toujours raison ? Comment pouvait-il en être autrement ?


     Ashur continuait de marcher, mais ne voyait plus la nuit autour de lui. Dans son esprit, un portail infini s’était ouvert dans la brume de ses souvenirs, baignant tout son être dans la lumière et la chaleur de sa vie passée. Son sabre, il ne le sentait plus ; ses propres pas ne résonnaient plus à ses oreilles. La réalité cédait la place au rêve, à l’émerveillement, mais aussi à quelque chose d’autre dont le vampire millénaire ne pouvait pour l’instant que deviner la nature.

     Une cité bénie par les dieux, où tout un chacun avait sa raison de vivre, et, disait-on, sa part de bonheur, qu’il soit maître ou esclave, noble ou manant, riche ou pauvre. Une cité où l’abondance était le mot d’ordre, une cité où jour et nuit, chaque quartier bourdonnait d’activité, qu’il s’agissait des taudis ou des riches demeures.

     C’était juste et c’était faux. Au cours du temps, il avait appris à comprendre les principes des castes, où les uns étaient destinés à un peu plus que les autres, mais, heureusement, il faisait partie des heureux élus, de ceux qui recevaient fortune et affection dès leur naissance, ceux pour qui la vie était toute tracée sur un duvet de tâches honorifiques, de charmes et de délices.

    Un noble. Un petit garçon dont le destin dessiné par ses parents était de devenir garde d’honneur de la famille royale, car le destin de son frère ainé, Rakhim, était de servir les dieux.
Quel petit garçon intelligent, - disaient ils, - il comprend tout ce qu’on lui dit, et il fait de son mieux pour accomplir les souhaits de sa famille. Comment pouvait-il en être autrement ? Alors que son pauvre frère devait étudier les textes religieux et réciter des prières, lui avait accès aux salles d’armes, aux livres d’Histoire, de récits littéraires, de chants énamourés et de fables astucieuses !
     Un brillant avenir pour un brillant élève, voila ce que tout le monde lui prédisait. Comment pouvait-il en être autrement ? Il était un excellent escrimeur, les chevaux n’avaient plus de secret pour lui, il s’intéressait aux arts du dessin, à la musique et à la poésie. Il prenait un malin plaisir à vouloir épater ses maîtres et à ridiculiser ses rivaux, pourvu que l’avenir que l’on lui promettait demeurait toujours aussi radieux et sans aucune défaillance.
     Il avait ce qu’il voulait, et n’acceptait que peu d’amis dans son cercle de connaissances. Il était le meilleur et devait toujours l’être, car rien ni personne ne lui prédisait le contraire.

     Ashur éclata d’un rire tonitruant. Des oiseaux s’affolèrent non loin, lui faisant reprendre conscience de la réalité. Un goût d’amertume lui pesait sur l’esprit, et il sentait que pousser sa mémoire plus loin ne lui causerait que plus de dépit. Il se posa une question qui depuis toujours ne trouvait jamais de réponse : la bête faisait-elle déjà partie de lui, alors ?


Dernière édition par Von Essen le Mar 5 Aoû 2014 - 17:50, édité 2 fois
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Mar 5 Aoû 2014 - 13:44
Encore plus de souvenirs ! Plus de souvenirs !  cheers 

Et que deviennent les autres ?  What the fuck ?!? 
Essen

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Mer 6 Aoû 2014 - 15:55
54e partie.


   
 
     La nuit noire et oppressante ne vit pas de fin. Le matin fut tout aussi sombre, et ce n’était qu’au nord que l’on devinait que la lumière existait toujours.
     Annette se leva de son lit. C’était la première nuit depuis des années que son mari ne partageait pas sa couche, et la vieille femme réalisait avec chagrin qu’elle devait désormais s’y habituer. Leur lit n’était pas le plus confortable de l’Empire, mais à deux, ils n’en avaient jamais eu à se plaindre et dormaient d’habitude chaque nuit comme si Sigmar lui-même protégeait leur sommeil.
     La nuit dernière, toutefois, la tenancière s’était résolue à passer le nuit avec son unique pensionnaire, une prêtresse de Shallya qui était parvenue chez elle dans les plus étranges circonstances. Gravement malade, la prêtresse avait du être soignée à grands moyens ; elle était à présent en voie de guérison (Sigmar soit loué), mais… Annette jeta un regard vide sur le mur décrépi en face de soi. Elle sentit ses yeux s’embuer, mais décida de ne pas fondre en larmes, renifla bruyamment et alla chercher sa tenue de travail.
     Toujours reniflant et étouffant un sanglot, Annette enfila sa robe usée par-dessus sa tunique de tout temps, trouva l’épaisse ceinture de cuir qui allait autour, puis ses souliers. Elle se redressa et alla enfin ouvrir la porte qui conduisait au couloir. Les vieilles planches crissèrent et craquèrent sous ses pieds, alors qu’elle parvenait à peine à voir devant elle dans le couloir exempté de toute source proche de lumière. Elle jura dans sa tête, marmonnant qu’elle devrait racheter des bougies pour la taverne.
     Normalement, la tenancière commençait la journée par un brin de ménage dans son lieu de travail : aller chercher de l’eau, puis nettoyer les verres un bon coup, chasser les parasites et les sales bestioles si elle en rencontrait dans les recoins, voir si l’âtre n’était pas trop remplie de cendres. Parfois d’autres tâches moins joyeuses, s’il y avait eu du grabuge la veille. Toutefois, ce matin-là, elle alla tout d’abord vers la chambre où elle avait laissé la bonne sœur en train de guérir, voulant s’assurer qu’elle était bien en forme et en un seul morceau.

     La sœur Miranda priait, ou du moins c’est ce que crut Annette en ouvrant la porte, espérant de ne pas trop la faire grincer. Agenouillée devant la fenêtre ouverte, la prêtresse avait les mains jointes devant sa poitrine, mais la tenancière ne vit pas tout d’abord son visage. Toutefois, la bonne sœur eut du l’entendre arriver, car elle se retourna à l’instant et adressa un sourire à la vieille femme.
- Grâce à vos soins, madame, je me sens guérie, - lui dit elle.
     Son ton serein était rempli de gratitude, et la tenancière ne put s’empêcher se sourire en retour. Toutefois, sa réponse ne fut qu’un soupir. Elle referma la porte, et s’assit sur un grand coffre à vêtements.
     Quant à la prêtresse, elle reposa ses mains, se leva puis s’assit sur son lit. Les deux femmes se regardèrent un moment.
     La sœur Miranda était une femme mûre, à un âge où l’on devait déjà avoir fondé une famille et commencé à éduquer ses enfants. Son regard, alors emprunt de douceur, pouvait aussi se charger de détermination, et la vieille Annette se disait qu’il fallait être bien déterminé pour se retrouver à arpenter les chemins boueux et cahoteux de la Sylvanie. Les traits de la prêtresse étaient harmonieux, mais la tenancière y remarqua sans surprise nombre de rides précoces. Celle-là avait du voir plus de malheurs qu’elle ne le méritait.
     Miranda, quant à elle, ne pouvait que ressentir du respect et de l’admiration pour la vieille femme qui, malgré son âge avancé, tenait contre toutes les épreuves de la vie rude des villageois, et prenait soin d’elle comme s’il s’agissait de sa propre fille. Toutes deux avaient des mains connaissant le labeur, mais Annette avait certainement vu et vécu plus que la prêtresse pouvait se l’imaginer.
- Bien contente de vous r’voir en pleine santé, ma bonne sœur, - dit enfin la tenancière. – C’est-il… Comptez-vous encore rester, ou bien…
- Ma foi… - la bonne sœur hésita. – J’ai peur d’avoir déjà trop abusé de votre grande générosité.
- Chut ! Vous êtes une bonne sœur, vous donnez aux pauv’ gens encore plus qu’ils ne le demandent. – Annette détourna son regard du sien. – J’ai… quand-même…
- Oui ?
- C’est-il… Il faut que vous partiez, ma bonne sœur, déclara la tenancière en fixant de nouveau Miranda.
     Celle-ci ne fit que d’hocher la tête en guise de consentement.
- C’est juste, - dit elle ensuite. – Il faut que je parte. Quelle route devrais-je emprunter, madame ?
     Annette la fixa d’un air catégorique :
- Ah non, ma bonne sœur, il ne faut pas que vous empruntiez la route. Z’êtes dans un pays où y a pas de bonne route, et c’est que de la chance que vous ayez pu arriver jusqu’ici. Mais si vous allez à Waldenhof, z’allez y rester, ça je vous le jure sur le marteau de Sigmar !
     Quelque peu étonnée, la prêtresse ne sut trop que répondre. Remarquant sa confusion, la tenancière continua :
- Z’allez pas prendre la route, j’vous dis. Z’allez y aller à la barque. C’est-il certain qu’un de nos pêcheurs voudra bien vous y emmener sur le Stir.
- Mais où cela, madame ?
- Hors de question que vous restiez dans ce foutu pays ! Sigmar m’en est témoin, c’est-il pas normal qu’ça fait deux jours que le ciel reste tout pareil et tout tout noir. Votre cœur est grand, mais il suffira pas pour soigner toutes les âmes en peine de ce pays.
     La vieille femme s’arrêta pour reprendre son souffle. Miranda attendit patiemment, partagée entre inquiétude et curiosité. Enfin, Annette reprit :
- Sur l’autre rive du Stir, voyez-vous, c’est-il différent, car les gardes sont pas tous des poltrons qui font dans leur froc dès qu’il y a un diable de charnier ambulant que leur saute dessus. Vous serez mieux là-bas, ma bonne sœur. Hors de question que vous creviez ici avec nous.
     Face à l’expression grave de la tenancière, la prêtresse dut se contenir pour ne pas paraître complètement affligée. Le discours de la vieille Annette ne contenait même pas l’ombre d’un espoir, et la bonne sœur essaya de trouver des mots de réconfort qui pourraient lui alléger le poids sur son âme. Toutefois, elle réalisa qu’elle n’y arrivait pas.
- Madame, je… je vous promets de prier pour vous, et pour l’âme de votre défunt mari.
     Un éclair de chagrin déforma les traits de la vielle femme, et Miranda s’en voulut d’en avoir déjà trop dit. Cependant, au prix d’un terrible effort de volonté, Annette maîtrisa ses larmes, et prononça, les rides légèrement plus distendues qu’avant :
- Vous êtes bien gentille, ma bonne sœur, mais je me ferai mieux quand je saurai que vous priez ailleurs qu’ici, où même les dieux oublient parfois que ce coin existe. Maintenant, il faut que nous mangions avant d’aller voir nos bons copains de la pêche.
     La prêtresse acquiesça, et toutes deux quittèrent la chambre pour rejoindre la grande salle. Là, elles partagèrent un frugal petit déjeuner fait de pain, de fromage moisi et d’hydromel, que Miranda finit par se forcer à avaler. La veille, elle avait vérifié le contenu de sa sacoche, et s’était assurée qu’elle avait toujours de quoi payer deux nuits dans une auberge. Toutefois, la tenancière ne lui prit que la moitié du prix, et s’assura par ailleurs que la bonne sœur ne manque pas de vivres au cours de sa prochaine traversée. La prêtresse ne pouvait que lui adresser sa plus sincère bénédiction.
Annette, de son côté, ruminait des pensées bien plus tristes et beaucoup moins intéressées par des bénéfices terrestres qu’elle aurait pu avoir. La mort de Franz, son mari, l’avait frappée au plus profond de son être, et à présent elle savait qu’il lui serait impossible de continuer à tenir la taverne toute seule. Le mieux qu’elle pouvait espérer à présent, c’était de revendre son établissement au meilleur prix qu’elle pouvait, et terminer paisiblement ses jours en économisant. Et ce, seulement, - se disait elle, - s’ils n’étaient pas tous crevés bien avant, car c’était un peu l’impression qui se dégageait des sombres nuages qui recouvraient le ciel tout entier au-dessus de leurs têtes.
     L’un des pêcheurs, Kurt, (Annette les connaissait tous), accepta sans plus de négociations d’emmener la bonne sœur sur sa barque jusqu’à la prochaine ville sur l’autre rive du fleuve. Miranda allait monter à bord, quand elle se rappela :
- Madame ! N’y a-t-il pas des souffrants dans votre village ? Dites-moi la vérité, car je ne peux partir sans leur apporter mon aide après tout ce que vous avez fait pour moi !
     La tenancière esquissa un sourire et lui répondit sur un ton presque chaleureux :
- Sigmar soit loué, ma bonne sœur, vous étiez bien la seule à être malade parmi nous. Si seulement… - elle voulut dire « si seulement vous aviez un truc contre la mort », mais le souvenir vivace des morts-vivants surgit dans son esprit, et elle se ravisa.
- Madame ?
     Son batelier était déjà monté lui aussi dans la barque et s’était emparé des deux rames.
- Sigmar vous protège, ma bonne sœur ! A la revoyure ! – la tenancière osa un timide signe de main en guise d’adieu, puis se retourna pour dissimuler ses larmes qui finirent par perler aux coins de ses yeux ridés.
     Miranda la regarda s’éloigner lentement, alors que le vieux Kurt les emmenait de plus en plus loin de la berge.
- Vous avez les mains de Shallya, Madame ! Puissiez-vous vivre en paix et ne pas connaître le malheur ! – puis elle se détourna, elle aussi, car les deux femmes sentaient que leurs paroles étaient vaines, voire purement naïves.
     La vielle Annette souffrait, et la prêtresse ressentait sa douleur et ne pouvait que le partager. Franz van der Pfaltz, le tenancier, avait rencontré une mort brutale le jour-même de l’arrivée de la bonne sœur au village ; on l’avait retrouvé dans la grange abandonnée, vidé de son sang, mutilé par des traces de dents dont tout le monde devinait l’origine. Pour le pire, la jeune fille que l’on soupçonnait d’être la suceuse de sang revint au village la nuit suivant le meurtre, et prononça des paroles qui demeurèrent gravées dans l’esprit de la prêtresse. Les villageois, emplis de rancune, la prirent alors en chasse, mais sans succès, et personne n’osa s’aventurer hors du village pour la traquer en pleine nuit. Le jour suivant fut un jour de deuil, auquel Miranda ne put assister, clouée au lit à cause de sa maladie. Le soir, elle entendit encore les pleurs de celle qui avait décidé de prendre soin d’elle coûte que coûte.
     A présent, elle voguait sur les eaux insondables du Stir, vers une ville qui lui était inconnue, mais qui devait la mettre hors de danger, selon les dires de la tenancière. Son batelier devait partager son humeur pensive, car il se contentait de ramer dans le sens du courant, sans proférer mot, regardant quelquefois à gauche ou à droite, comme pour vérifier qu’ils n’étaient pas observés.                                      
     

***

     

     Ils arrivèrent à un tournant du fleuve, et les pauvres habitations du village de Hundham furent définitivement perdues de vue. Cependant, quelques minces colonnes de fumée au loin indiquèrent que bientôt, ils croiseraient une autre tout aussi misérable ville sylvanienne.
     Il sembla à Miranda qu’elle avait encore sommeil, mais peut-être était-ce du à leur barque qui tanguait légèrement sur les flots.
     Kurt, le vieux pêcheur, ramait méthodiquement, comme si de rien n’était. Du peu que la prêtresse en avait aperçu, il s’agissait d’un homme qui ne demandait plus qu’à vivre aux dépens de ses fils, mais que la misère obligeait à gagner sa nourriture lui-même. Ses cheveux gris coupés court étaient ébouriffés, sa barbe noire parsemée de cheveux blancs ne semblait pas connaître le rasoir. Ses yeux étaient hagards, et sa bouche quasiment toujours ouverte. Ses vêtements décolorés étaient cousus avec du gros fil, et ses souliers tenaient avec des clous.

     Voyant qu’elle l’observait sereinement, le pêcheur se remua soudain les épaules, déglutit et cessa de ramer. Étonnée par sa réaction, Miranda l’interrogea du regard. Le vieux Kurt s’agita tout d’un coup, mais se calma aussitôt. Puis, de manière inattendue, il prit la parole :
- Chuis pauvre, moi, tu sais ?
     La bonne sœur le dévisagea un moment, puis, compréhensive, ouvrit sa sacoche.
- Je n’ai pas beaucoup sur moi. Combien…
- Non, - coupa le pêcheur. – Laisse ça.
     Sa voix était quelque peu fluette, cependant, ce n’était ce qui inquiéta la prêtresse. A chacune de ses paroles et de ses intonations, et elle ressentait une peur dissimulée. Brusquement, il demanda :
- Z’avez des pouvoirs magiques ?
     Miranda en resta bouche bée. Elle ne voyait toujours pas ce qu’il voulait, mais réalisa sur le coup qu’ils étaient seuls au beau milieu de l’eau, et qu’elle était, du coup, à la merci du bon vouloir du pêcheur.
- Non, - elle décida de ne pas lui mentir, mais une crainte de plus en plus tenace lui disait qu’elle le regretterait.
- Ah, - lança-t-il, - ah bon. Je…J’suis qu’un vieux pêcheur, vous savez ?
     La prêtresse ne bougeait plus. Qu’il s’explique enfin, qu’il en finisse !
- J’ai… J’ai b’soin de votre aide.
     Un violent coup de tonnerre fit soudain vibrer les cieux, et le vieux Kurt sursauta, puis se prit la tête dans les mains. Elles se mirent à trembler.
- Vous… V’z’entendez ? C’pas vous, hein ? C’pas vous, non…
     La prêtresse ressentit soudain un haut-le-cœur, et un goût de bile acide lui remonta jusqu’à la gorge. Le pêcheur, lui, scruta fébrilement les environs à nouveau, puis reprit, ses mains toujours tremblantes :
- J’vous aime bien, moi, vous savez, mais j’en peux plus !
     Tout d’un coup, il se mit debout et se rapprocha d’elle d’un pas saccadé. Miranda vit avec horreur son visage changer d’expression, un air de démence luisant dans son regard. Il criait à présent, ses mains tantôt se tendant vers la prêtresse, tantôt se ravisant :
- J’suis rien d’aut’ qu’un pauv’ pêcheur ! J’ai eu rien droit à la vie, j’ai jamais rien eu, ma bonne sœur, j’ai jamais eu de femme !
     
     Il finit par se jeter sur elle, le visage baigné de larmes incontrôlables.
- J’suis déjà trop vieux ! J’vais mourir à coup sûr, j’avais mourir, z’entendez ? J’veux que vous le fassiez avec moi, ma bonne sœur, rien que pour cette fois !
     Elle le repoussait à présent de toutes ses forces. Grande était sa compassion envers ce misérable, mais plus grande était la révulsion qu’il lui inspirait, par l’injustice et l’horreur de ce qu’il voulait lui infliger. Hélas, plus rien ne semblait arrêter la folie du vieillard…
- Prenez-moi en pitié, ma bonne sœur ! Dès qu’j’vous ai vue, j’ai su que vous z’étiez la seule qui pourrait me comprendre ! Je vous jure que je vous ramènerai ensuite saine et sauve jusqu’à la prochaine ville !
     Il trahissait sa confiance, et celle d’Annette van der Pfaltz ; il crachait sur tous les préceptes divins… Repoussant les mains souillées de son assaillant, Miranda sentait qu’il n’y avait plus de place pour de la compassion, et sentait une juste colère l’envahir.
- Cessez cela sur le champ ! – lui cria-elle. – Les dieux ne sauraient tolérer pareille infamie !
- J’vous ferai pas de mal, j’vous le jure ! – rétorqua le pêcheur dont les mains et les yeux ne voulaient définitivement plus reculer.

     Les paroles lui manquèrent, et la prêtresse réalisa à l’instant que jamais elle ne se laisserait faire. La fureur s’empara d’elle, et elle asséna un violent coup de genou sur l’abdomen de son assaillant. Saisissant son affaiblissement momentané, elle se déroba de son emprise et lui asséna un coup de coude au visage. Le pêcheur tituba, s’agrippant au rebord de la barque, mais elle vit à l’instant qu’il se préparait à repartir à l’attaque, sans plus aucune trace de remords. Elle fut la première sur lui, mais hésita un infime instant, et il s’en servit pour la repousser, les traits déformés dans un rictus de haine et de désir. La barque tangua dangereusement alors qu’ils étaient deux à s’empoigner dessus, à peu près à forces égales, sous un ciel indifférent chargé de magie noire. Il réussit à la replaquer contre le sol, mais elle réussit à le déséquilibrer de nouveau, et, avant qu’il ne puisse y faire quoi que ce soit, elle le repoussa de toutes ses forces, le balançant par-dessus bord. Le visage de la prêtresse était ruisselant de larmes de colère. Elle vit deux mains s’agripper au rebord, mais, alors que la tête émergeait des eaux, elle frappa un grand coup ; il ne décrocha pas, mais alors qu’elle revit son visage détrempé et dément, elle asséna un nouveau coup qui lui fit lâcher prise, et la prêtresse vit une trace de sang sur sa main. Abasourdie, elle scruta encore la surface de l’eau, mais ne le vit pas émerger, encore et encore.
     
     La barque tangua violemment. Elle se retourna et vit avec horreur le vieux Kurt commencer à se hisser sur le bord opposé duquel il était tombé. Toutefois…
- Ah ! AH ! AAAAH ! – le pêcheur poussa des cris suraïgus de douleur, sentant qu’une machoire de la puissance d’un piège à ours s’était refermée sur son pied droit.
     Brusquement, cette chose le tira violemment vers le fond. Kurt beugla de plus belle, son regard soudain implorant fixé sur la bonne sœur de Shallya.
     Miranda mit un instant à comprendre ce qui se passait, puis un autre à dominer sa fureur, qui lui indiquait d’abandonner le vieux félon. Elle bondit à son secours alors qu’il faiblissait déjà et s’apprétait à lâcher prise.
     Elle lui hurla de s’accrocher, et essaya de d’agripper ses bras mouillés qui, naguère, voulaient la condamner à une terrible humiliation. Hélas, à l’instant où le pêcheur lâcha le bord et attrapa lui aussi les bras de la prêtresse, la chose sentit qu’elle devait redoubler d’efforts pour avoir sa proie, et tira avec la force de deux buffles de trait.
     La bonne sœur perdit équilibre et bascula dans les flots. Dans la panique, leur étreinte se relâcha, et le vieux Kurt fut en un instant emporté dans les profondeurs.
     Un moment glacial s’écoula. Puis un autre. Miranda ne le vit toujours pas émerger, et ne vit rien dans les eaux noires du Stir quand elle eut le courage d’y plonger son regard. Sentant que le froid mordant de l’eau finirait par la mettre en péril, la prêtresse se hissa non sans effort dans la barque. Ses dents claquaient, et ses vêtements trempés étaient à la merci du vent. D’autres larmes vinrent couler sur ses joues. Avait-elle tué un homme ? Ce n’était pas elle qui l’avait emporté dans les eaux, et pourtant… La culpabilité d’avoir survécu l’enserra comme un étau. Le malheureux ne méritait pas une mort aussi atroce, malgré tout ce qu’il avait voulu lui faire subir.
     Miranda sentit ses doigts s’engourdir, et réalisa que sa seule chance de salut était de prendre les rames et de se réchauffer ainsi en attendant d’être arrivée à la prochaine ville. Elle se rappela cependant l’avertissement de la vieille Annette, et se promit qu’elle ne débarquerait pas sur la rive qu’elle avait quittée.


Dernière édition par Von Essen le Jeu 7 Aoû 2014 - 12:26, édité 3 fois
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Mer 6 Aoû 2014 - 18:48
Dis-moi mon cher, n'aurais-tu pas écrit ce passage de façon plus rapide que d'habitude ? J'ai relevé quelques fautes de frappes qui ne te sont pas habituelles...  Tongue 

Elle se redressa et alla enfin ouvrir la qui conduisait au couloir.
Toutes deux avaient des mains connaissaient le labeur
elle avait vérifié le contenue de sa sacoche
Puissiez-vous vivre ne paix et ne pas connaître le malheur !


Et sinon, j'attends de voir ce que va devenir cette prêtresse, dont j'avais perdu l'espoir de la relire, et surtout quel rôle elle va jouer au sein de la famille d'Essen...  Shifty 
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Mer 6 Aoû 2014 - 19:09
Merci Arken !  cheers 
En effet, la rédaction de ce passage a été des plus effrénées, car elle a eu lieu en partie lors d'une nuit blanche, en partie le matin qui la suivit. Autant te dire que j'avais l'esprit inondé de volutes de malepierre...  drunken

P.S. : oh que moi aussi elle m'inquiète, cette prêtresse, moi qui croyais l'avoir définitivement laissée à Hundham ! Skull 
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Vampire at war : chroniques d'Essen  - Page 2 Empty Re: Vampire at war : chroniques d'Essen

Dim 10 Aoû 2014 - 23:05
Retard officiellement rattrapé !!!!

pour la mort ou la gloire !
Je dois avouer que j'ai continué en disant " pour le Rohan, pour votre peuple"

Sinon, c'est toujours aussi passionnant et bien écrit. Je dois avouer que cela me manquait un peu de lire ton récit.

Et je suis impatient d'avoir la suite Smile
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