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- EssenSeigneur vampire
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Vampire at war : chroniques d'Essen
Jeu 13 Fév 2014 - 12:02
Vampire at war : les chroniques d'Essen est la suite logique de Vampire at war : présentation, que vous pourrez aisément trouver dans la rubrique fanfic du forum.
Et l'histoire continue !!!
Prologue
La terre était sombre, le ciel était sombre, sombre était l’eau qui s’écoulait mollement dans le fantôme de la rivière qui devait jadis avoir rendu cette lande fertile et chaleureuse.
L’air était lourd et immobile, aucun souffle de vent ne venait troubler ce lieu, que toute vie semblait avoir délaissé depuis bien des siècles ; il ne restait plus que la rivière morte, bordée de galets et d’éclats de rocs, le clapotis de son eau sur un large gué résonnant comme une lamentation sans fin. Devant le gué se dressait un piédestal de pierre grise érodée par le temps, aux angles obtus et aux ornements depuis longtemps effacés de sa surface. La divinité se dressant sur le piédestal n’avait plus de visage ; l’on reconnaissait seulement la forme proéminente de sa gueule animale, ainsi que ses oreilles pointues, rappelant vaguement quelque prédateur du désert. L’autel était délaissé depuis des millénaires.
Le calme n’était plus ; un grondement distant, de tonnerre ou de quelque autre explosion, résonna par-delà la ligne ébréchée de l'horizon. Puis, un premier éclair, suivi d’un autre grondement, jeta sa lumière éphémère sur les formes incertaines de l’antique autel, sur le gué aux eaux noires, sur les murs d’une grande tour dominant la région entière. Construite avec des blocs de marbre gris assemblés aussi étroitement qu’une aiguille ne pourrait y trouver une faille, la tour était détruite à son sommet, et le marbre éclaté y formait une hideuse couronne de remparts difformes, ressemblant plus à une mâchoire grande ouverte, prête à avaler le ciel dans les abysses de ses fondations. Le calme n’était plus.
Le tumulte de centaines de pas couvrait le bruit de la rivière, et son bourdonnement résonnait en écho parmi la lande désolée. D’innombrables soldats foulaient la poussière grise répandue partout sur le sol, levant un nuage de poussière qui s’effondrait aussitôt dans l’immobilité de l’air. Ils se dirigeaient tous vers la tour, animés d’une seule et même volonté implacable ; ils n’avaient plus le choix. Ils n’étaient plus eux-mêmes.
Plus que des corps sans âmes, depuis longtemps réduits à la lente décrépitude par le vent et la terre, mais le plus souvent destinés par leurs maîtres à avancer en ligne informe sur les troupes ennemies, car il n’en manquait jamais. Des pantins. Ils ne méritaient au mieux que le dédain de celle qui les guidait. Ils n’étaient plus « ils ». « Ils » n’étaient que deux hordes dont la seule utilité serait de retenir l’ennemi pendant que les autres troupes, bien meilleures, feraient leur office.
Comme toujours, les nazguls et sa Majesté ouvraient la marche. Un vent d’outre tombe faisait flotter la bannière royale. Les sabots de leurs montures effleuraient à peine la caillasse du chemin. De leurs armes émanait un halo de mort, et aucune force, semble-t-il, ne serait assez forte pour percer leurs armures.
Ils étaient suivis par les guerriers de la non-vie, les puissants gardes des cryptes, leurs boucliers arborant fièrement les armoiries du manoir d’Essen. Par contraste, eux laissaient de profondes empreintes dans la poussière, mais les créatures qui déambulaient derrière eux effaçaient toutes les traces.
Dans l’obscurité ambiante, seuls leurs grognements laissaient entendre leur nature profondément prédatrice : des goules avançaient en rampant.
Quelque part à côté, les formes furtives de loups se faufilaient à travers les rochers, alors que le ciel au-dessus se remplit tout d’un coup de créatures dont les battements d’ailes trahissaient la présence. Leur maîtresse, Manon d’Essen, tournoyait auprès d’elles.
Sa mère la comtesse dominait l’avancée des troupes depuis son trône. Un tourbillon d’éther lui assurait une position surélevée au-dessus d’une mer de zombies. Sur les marches de granite gravées dans le piédestal de son trône, ses servantes étaient assises, leurs lames posées sur leurs genoux.
Derrière le fantastique équipage, un bataillon de lanciers décharnés marchait au pas, la dhar virevoltant autour de celui qui en était le maître : Friedrich von Nettesheim, nécromancien accompli. Un autre produit de son savoir – deux groupes d’arbres colossaux agitant dangereusement leurs longues branches gouttant de sève acide, fermaient la marche de l’armée.
Elle voyait la tour en ruines. Elle savait qu’il y était, elle le sentait. La vibration de magie qui en émanait éclipsait celle de von Nettesheim, celle d’Ashur, celle des dieux eux-mêmes s’ils existaient encore quelque part. Néanmoins, elle allait le vaincre, elle allait l’envoyer dans le néant, car c’était pour cela qu’elle devait être venue. Elle savait aussi qu’il l’attendait. Leur combat était inévitable.
- Mère ! Mère !
La vision s’estompa, puis disparut dans un tourbillon de noirceur.
Delphine d’Essen ouvrit les yeux. Cligna. Huma l’air environnant. Sentit les draps de laine caresser sa peau.
Elle était chez elle, allongée dans un confortable lit, dans sa chambre du manoir d’Essen, et sa fille la regardait.
- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Ven 14 Fév 2014 - 10:25
1 : Enfin LA suite qu'on attendait
2 : Tout un paragraphe d'introduction et de description maniée d'une main de maître
3 : Une mise en ambiance tout à fait exceptionnelle, mélange de magie et de gravité épique
4 : Un réveil auquel on ne s'attendait pas, et qui finalement nous laisse tout le mystère sur le "quand" de la scène. C'est à dire une belle manipulation du lecteur !
... ... ... La suite ?
_________________
Ceux qui ne croient pas en la magie ne la trouveront jamais.
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Ven 14 Fév 2014 - 18:57
Je n'ai rien à rajouter à ce qu'à dit Arken, du coup, je cite son message pour te donner mes commentaires.
Le seul truc que je veux rajouter, c'est que c'est vraiment très bien et que j'attends la suite avec impatience
Arken a écrit:
1 : Enfin LA suite qu'on attendait
2 : Tout un paragraphe d'introduction et de description maniée d'une main de maître
3 : Une mise en ambiance tout à fait exceptionnelle, mélange de magie et de gravité épique
4 : Un réveil auquel on ne s'attendait pas, et qui finalement nous laisse tout le mystère sur le "quand" de la scène. C'est à dire une belle manipulation du lecteur !
Le seul truc que je veux rajouter, c'est que c'est vraiment très bien et que j'attends la suite avec impatience
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Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mar 18 Fév 2014 - 23:18
- Déjà ? Non, je ne pense pas…
Le visage de Manon fut soudain déformé par une terreur aveugle ; elle tendit désespérément sa main vers la comtesse, alors qu’une force invisible paraissait la trainer inexorablement vers les rideaux tirés de la fenêtre, qui s’ouvrit violemment sous l’assaut d’une rafale de vent verdâtre, lueur traitresse, pâlissant dans la lumière aveuglante des rayons de soleil qui massacraient la peau et les muscles de la vampirette…
- NON !
La comtesse bondit du lit pour attraper la main de sa fille, mais tout d’un coup ce fut comme si un rideau de ténèbres se refermât entre elles, et tout se déforma à nouveau, et tout ne fut qu’à nouveau ce champ de bataille dévasté, tout ne fut qu’à nouveau le tumulte de la rivière fantôme, le claquement des lames sépulcrales des chevaliers noirs et de leur roi, et elle enfin, faisant face à l’ultime adversaire que personne d’autre qu’elle ne pouvait avoir une chance de vaincre sur ce champ de bataille, qu’elle maudissait à présent…
Quelque part sur sa droite, les zombies se faisaient décimer par dizaines sous les coups meurtriers de guerriers portant d’anciennes armures de cuir et de bronze, et brandissant des lames incurvées forgées dans le même métal. Sur sa gauche, un autre régiment de spectres de l’ancienne Nehekhara semblait plier sous la formidable violence de l’assaut des arbres nécromantiques. Au loin, elle entendait les incantations de leur maître, Friedrich von Nettesheim, guidant ses lanciers squelettes vers la mêlée.
Hélas, elle ne pouvait y accorder la moindre attention, car tout son pouvoir hypnotique, tous ses reflexes surnaturels et sa force surhumaine devaient être concentrés sur sa propre survie, qui jamais ne paraissait avoir été aussi menacée que maintenant, devant un ennemi bien plus ancien et bien plus redoutable que tout ce qu’elle avait rencontré avant, pire que tout ce qu’elle rencontrerait après, si elle survit.
NAGASH, souverain de la non-vie, premier nécromancien de ce monde et jamais surpassé depuis, lui faisait face, sa mâchoire dénuée de lèvres affichant un éternel rictus de haine et de dédain insoutenable. Ce n’était plus l’homme qu’il avait été avant, il y a bien des milliers d'années, ni même le morbide squelette jadis soutenu par l’unique puissance de la malepierre ; son corps était depuis longtemps dévasté, et la nouvelle forme qu’avait prise son esprit était à présent celle d’un colosse faisait deux fois la taille de sa proie, un colosse de chair, d’os et de tendons déchirés, entourés d’un halo crépitant d’énergie verdâtre, emplissant l’air autour de lui de la poussière suffocante de Morrslieb. Une armure noire de jais, sertie de runes de puissance inconnue, empêchait l’épée de la comtesse de percer à travers le tourbillon d’éther qui constituait l’être du Grand Nécromancien, et sa lame d’obsidienne avait déjà laissé de sévères entailles dans l’inestimable cuirasse enchantée de celle qu’il foudroyait de temps à autre de son regard exempt de toute notion de raison.
A tort, - pensait la comtesse, car par un formidable effort de volonté, elle parvenait toutes ces fois à fixer ses prunelles rouges sur celles de l’ennemi, et brouillait inexorablement la justesse et la rapidité des coups de l’Usurpateur.
Mais cela ne suffisait pas.
Nagash riait, son rire grinçant telle la pierre sur le métal, et il ne laissait aucune occasion de narguer la vampiresse qui avait osé porter son arme sur lui, lui, sans qui sa propre existence n’aurait eu lieu, lui, qui avait fait plier les dieux eux-mêmes, lui qui était maintes fois revenu depuis les confins de la mort, lui qui en savait plus cette dernière que la mort elle-même !
- HAHAHA ! Futile ! Jamais tu ne sauras me vaincre, misérable petite fille ! Gueuse abjecte ! Détritus ne méritant rien d’autre que le néant pour l’éternité ! Amuse-toi avec moi à compter sur les doigts d’une main comment je vous écraserai tous, l’un après l’autre ! Je commence dès maintenant : sache qu’à ta droite, mes spectres ont enfin fait taire ce maudit musicien ! Le silence sera son chant de mort !
Delphine d’Essen ne pliait pas. Une fois, alors que leur combat s’était à peine engagé, les forces nécromantiques avaient échappé au pitoyable ménestrel, causant un retour de magie sur tous les nécromanciens présents dans la région. Son ennemi y avait échappé avec facilité, mais elle reçut durement le choc en pleine poitrine ; seule l’intervention tardive de von Nettesheim lui avait permis de refermer la plaie béante. Elle ne regrettait pas la mort de l’imbécile au violon, lui qui ne pouvait jamais être tué complètement. Par le sang, elle s’en moquait ! Leur combat continuerait sans lui.
- Et de deux ! – l’air racla la gorge desséchée de Grand Nécromancien. – Ton fidèle champion spectral est tombé, ainsi que sa stupide garde personnelle ! Arkhan a fait du bon travail !
Sa tirade se stoppa soudain dans son élan, comme si… La comtesse devina que tout n’allait pas rond. A sa gauche, un craquement sourd de branches, puis un dernier cri de fureur signa le trépas du premier lieutenant de l’Usurpateur ; elle le vit en risquant un bref regard de côté, ce qui fit que la lame d’obsidienne ne manqua sa gorge que de très peu, alors qu’elle parait dans un mouvement désespéré, mais toujours gracieux. Sa Majesté n’avait pas combattu pour rien…
- HA ! Voila qui règle notre dette à présent ! – ricana son ennemi après encore un moment d’affrontement furieux. – Je me délecte à l’avance de l’expression sur ton visage délicat, petite fille, car sache que ta pupille est en ce moment-même déchiquetée par mes guerriers squelettes !
Elle l’avait senti. Bien avant qu’il ne crache ses railleries dérisoires. Ce fut comme si une autre lame que celle en obsidienne eut traversé son cœur de part en part. Manon…
- HAHAHAA ! Oui ! Pleure ! Hurle de peur et de chagrin ! Rien ne peut plus à présent la sauver ! Quels que soient les artifices du mortel qui te sert de sorcier, son corps est perdu à jamais ! Quelle bravoure ! Quel sens du sacrifice ! Oui, mes catapultes à crânes enflammés sont désormais en pièces par l’exploit de cette petite peste, mais elle a eu tort de rester pour tenter sa chance contre mon arche. Quel dommage, petite fille, quel dommage… HAHAHAHAHAA !
Elle s’abandonnait à la rage à présent, et jamais son épée ne virevoltait aussi vite et de façon aussi imprévisible que le Grand Nécromancien avait bien du mal à parer et chercher des ouvertures dans sa garde en même temps. Elle sentait son armure voler en éclats à mesure que ses coups pleuvaient sur la carcasse fantomatique de son ennemi, qu’elle haïssait à présent plus que le soleil, plus que l’ennui, plus tout ce à quoi elle aurait pu penser ! Un moment d’inattention dans sa frénésie, et elle se retrouva soudain désarmée, son épée volant loin derrière son dos, et alors que l’Usurpateur s’apprêtait à porter le coup de grâce, elle lui sauta à la gorge, crocs déployés, et planta sa mâchoire dans l’espace qui séparait son corps encastré dans l’armure de son crâne illuminé par les vents d’énergie maléfique. Elle sentit la puissance de la malepierre s’insuffler dans son corps, sentit celle de l’ennemi faiblir au contraire…
Une main squelettique la saisit par une côte, et l’arracha d’un coup sec de son emprise. Nagash la jeta à ses pieds, le regard de flammèches verdâtres toujours aussi dénué de toute émotion, n’inspirant que la terreur et le désespoir à ceux qui le croisaient.
- Le mortel a enfin rencontré la fin à laquelle ils sont tous destinés ! HAHAHA ! Ton tour viendra bientôt, petite fille, car tu es la cinquième !
La comtesse ne le laissa pas terminer. Rebondissant sur ses genoux, elle l’étreignit férocement, tel un animal sauvage, sa puissance manquant de lui faire perdre son équilibre. L’énergie crépita autour d’eux comme jamais, la lueur verte vacilla, Nagash sentant sa tête inexorablement tirée vers le haut, défiant la puissance des liens magiques qui unissaient celle-ci au reste de son corps, ses tendons et sa colonne vertébrale ayant depuis longtemps cédé…
- NON !
Il la saisit à nouveau de son bras libre, et la projeta à terre, lui infligeant au passage une autre terrible blessure entre l’épaule et le flanc opposés. Delphine sentit ses dernières forces la quitter. Elle avait tout donné dans cette dernière attaque, et à présent, sentait le voile du néant couvrir peu à peu son champ de vision.
La dernière scène qui s’offrit à elle fut sans importance. D’un revers d’épée, le Grand Nécromancien réduisit en sciures les arbres nécromantiques qui le chargeaient par le flanc, sapant au passage leur aura occulte pour réapprovisionner la sienne, refermant instantanément toutes ses blessures. La dernière horreur végétale lui érafla maladroitement l’avant-bras, mais ce fut tout. Elle le vit s’approcher d’elle, aucun rire ne pouvant mieux remplacer le regard triomphant d’une joie sans nom qu’il lui adressât. Elle ne vit plus rien ensuite.
Loin, à des lieues d’ici, non dans l’esprit tourmenté de la comtesse d’Essen, mais dans le monde réel, dans la plus haute tour du château de Drakenhof en Sylvanie, Mannfred von Carstein sourit dans sa transe. Oui, dans quelques instants, toutes ses pensées seraient siennes.
- Huhuhaha. Hahahaha. HAHAHA !
Cette voix se réverbéra soudain dans son esprit. Le rire s’intensifiait, ce n’était ni celui du Nagash qu’il insufflait dans la rêverie contrôlée de Delphine d’Essen, ni le sien, quoiqu’il lui ressemblât curieusement.
Dans la petite salle circulaire où il se trouvait au milieu d’un cercle de rituel, rien de bougea.
- Enfin trouvé. Sors de là, von Carstein. Elle m’appartient.
S’ensuivit un formidable combat de deux volontés vampiriques. Un combat que l’héritier du grand Vlad eut bien voulu emporter, mais son adversaire le dépassait ostensiblement, non pas en savoir, mais en pouvoir brut accumulé au fil de… millénaires ??
Il n’y crut pas tout d’abord, forçant l’autre invocateur à parer des incantations plus originales et sophistiquée l’une que l’autre, certaines apparentes, d’autres – dissimulées comme des dagues d’assassin, sinueuses, puissantes, immanquablement efficaces jusqu’à maintenant… Qui…
Le maraud. Il n’était pas seul. Deux autres volontés le secondaient : celles qu’il avait perçues quand il observait attentivement leur traversée de son pays ; celles avec qui la comtesse, comme il l’avait lu dans son esprit, avait quitté la Sylvanie il y a quelques heures. Il savait presque tout ce qu’elle savait sur ses trois compagnons, hormis qu’il avait sous-estimé les capacités des trois réunis.
La transe se brisa lentement. Il eut préféré se retirer cette fois-ci. Et, comme à son habitude, il se jura de ne pas refaire la même erreur deux fois.
Dans la forêt d’Essen, Delphine se réveilla enfin pour de vrai, von Nettesheim, Manon et Ashur penchés au dessus de son corps allongé par terre, les visages marqués par l’effort et... le soulagement.
- NON !
La comtesse bondit du lit pour attraper la main de sa fille, mais tout d’un coup ce fut comme si un rideau de ténèbres se refermât entre elles, et tout se déforma à nouveau, et tout ne fut qu’à nouveau ce champ de bataille dévasté, tout ne fut qu’à nouveau le tumulte de la rivière fantôme, le claquement des lames sépulcrales des chevaliers noirs et de leur roi, et elle enfin, faisant face à l’ultime adversaire que personne d’autre qu’elle ne pouvait avoir une chance de vaincre sur ce champ de bataille, qu’elle maudissait à présent…
Quelque part sur sa droite, les zombies se faisaient décimer par dizaines sous les coups meurtriers de guerriers portant d’anciennes armures de cuir et de bronze, et brandissant des lames incurvées forgées dans le même métal. Sur sa gauche, un autre régiment de spectres de l’ancienne Nehekhara semblait plier sous la formidable violence de l’assaut des arbres nécromantiques. Au loin, elle entendait les incantations de leur maître, Friedrich von Nettesheim, guidant ses lanciers squelettes vers la mêlée.
Hélas, elle ne pouvait y accorder la moindre attention, car tout son pouvoir hypnotique, tous ses reflexes surnaturels et sa force surhumaine devaient être concentrés sur sa propre survie, qui jamais ne paraissait avoir été aussi menacée que maintenant, devant un ennemi bien plus ancien et bien plus redoutable que tout ce qu’elle avait rencontré avant, pire que tout ce qu’elle rencontrerait après, si elle survit.
NAGASH, souverain de la non-vie, premier nécromancien de ce monde et jamais surpassé depuis, lui faisait face, sa mâchoire dénuée de lèvres affichant un éternel rictus de haine et de dédain insoutenable. Ce n’était plus l’homme qu’il avait été avant, il y a bien des milliers d'années, ni même le morbide squelette jadis soutenu par l’unique puissance de la malepierre ; son corps était depuis longtemps dévasté, et la nouvelle forme qu’avait prise son esprit était à présent celle d’un colosse faisait deux fois la taille de sa proie, un colosse de chair, d’os et de tendons déchirés, entourés d’un halo crépitant d’énergie verdâtre, emplissant l’air autour de lui de la poussière suffocante de Morrslieb. Une armure noire de jais, sertie de runes de puissance inconnue, empêchait l’épée de la comtesse de percer à travers le tourbillon d’éther qui constituait l’être du Grand Nécromancien, et sa lame d’obsidienne avait déjà laissé de sévères entailles dans l’inestimable cuirasse enchantée de celle qu’il foudroyait de temps à autre de son regard exempt de toute notion de raison.
A tort, - pensait la comtesse, car par un formidable effort de volonté, elle parvenait toutes ces fois à fixer ses prunelles rouges sur celles de l’ennemi, et brouillait inexorablement la justesse et la rapidité des coups de l’Usurpateur.
Mais cela ne suffisait pas.
Nagash riait, son rire grinçant telle la pierre sur le métal, et il ne laissait aucune occasion de narguer la vampiresse qui avait osé porter son arme sur lui, lui, sans qui sa propre existence n’aurait eu lieu, lui, qui avait fait plier les dieux eux-mêmes, lui qui était maintes fois revenu depuis les confins de la mort, lui qui en savait plus cette dernière que la mort elle-même !
- HAHAHA ! Futile ! Jamais tu ne sauras me vaincre, misérable petite fille ! Gueuse abjecte ! Détritus ne méritant rien d’autre que le néant pour l’éternité ! Amuse-toi avec moi à compter sur les doigts d’une main comment je vous écraserai tous, l’un après l’autre ! Je commence dès maintenant : sache qu’à ta droite, mes spectres ont enfin fait taire ce maudit musicien ! Le silence sera son chant de mort !
Delphine d’Essen ne pliait pas. Une fois, alors que leur combat s’était à peine engagé, les forces nécromantiques avaient échappé au pitoyable ménestrel, causant un retour de magie sur tous les nécromanciens présents dans la région. Son ennemi y avait échappé avec facilité, mais elle reçut durement le choc en pleine poitrine ; seule l’intervention tardive de von Nettesheim lui avait permis de refermer la plaie béante. Elle ne regrettait pas la mort de l’imbécile au violon, lui qui ne pouvait jamais être tué complètement. Par le sang, elle s’en moquait ! Leur combat continuerait sans lui.
- Et de deux ! – l’air racla la gorge desséchée de Grand Nécromancien. – Ton fidèle champion spectral est tombé, ainsi que sa stupide garde personnelle ! Arkhan a fait du bon travail !
Sa tirade se stoppa soudain dans son élan, comme si… La comtesse devina que tout n’allait pas rond. A sa gauche, un craquement sourd de branches, puis un dernier cri de fureur signa le trépas du premier lieutenant de l’Usurpateur ; elle le vit en risquant un bref regard de côté, ce qui fit que la lame d’obsidienne ne manqua sa gorge que de très peu, alors qu’elle parait dans un mouvement désespéré, mais toujours gracieux. Sa Majesté n’avait pas combattu pour rien…
- HA ! Voila qui règle notre dette à présent ! – ricana son ennemi après encore un moment d’affrontement furieux. – Je me délecte à l’avance de l’expression sur ton visage délicat, petite fille, car sache que ta pupille est en ce moment-même déchiquetée par mes guerriers squelettes !
Elle l’avait senti. Bien avant qu’il ne crache ses railleries dérisoires. Ce fut comme si une autre lame que celle en obsidienne eut traversé son cœur de part en part. Manon…
- HAHAHAA ! Oui ! Pleure ! Hurle de peur et de chagrin ! Rien ne peut plus à présent la sauver ! Quels que soient les artifices du mortel qui te sert de sorcier, son corps est perdu à jamais ! Quelle bravoure ! Quel sens du sacrifice ! Oui, mes catapultes à crânes enflammés sont désormais en pièces par l’exploit de cette petite peste, mais elle a eu tort de rester pour tenter sa chance contre mon arche. Quel dommage, petite fille, quel dommage… HAHAHAHAHAA !
Elle s’abandonnait à la rage à présent, et jamais son épée ne virevoltait aussi vite et de façon aussi imprévisible que le Grand Nécromancien avait bien du mal à parer et chercher des ouvertures dans sa garde en même temps. Elle sentait son armure voler en éclats à mesure que ses coups pleuvaient sur la carcasse fantomatique de son ennemi, qu’elle haïssait à présent plus que le soleil, plus que l’ennui, plus tout ce à quoi elle aurait pu penser ! Un moment d’inattention dans sa frénésie, et elle se retrouva soudain désarmée, son épée volant loin derrière son dos, et alors que l’Usurpateur s’apprêtait à porter le coup de grâce, elle lui sauta à la gorge, crocs déployés, et planta sa mâchoire dans l’espace qui séparait son corps encastré dans l’armure de son crâne illuminé par les vents d’énergie maléfique. Elle sentit la puissance de la malepierre s’insuffler dans son corps, sentit celle de l’ennemi faiblir au contraire…
Une main squelettique la saisit par une côte, et l’arracha d’un coup sec de son emprise. Nagash la jeta à ses pieds, le regard de flammèches verdâtres toujours aussi dénué de toute émotion, n’inspirant que la terreur et le désespoir à ceux qui le croisaient.
- Le mortel a enfin rencontré la fin à laquelle ils sont tous destinés ! HAHAHA ! Ton tour viendra bientôt, petite fille, car tu es la cinquième !
La comtesse ne le laissa pas terminer. Rebondissant sur ses genoux, elle l’étreignit férocement, tel un animal sauvage, sa puissance manquant de lui faire perdre son équilibre. L’énergie crépita autour d’eux comme jamais, la lueur verte vacilla, Nagash sentant sa tête inexorablement tirée vers le haut, défiant la puissance des liens magiques qui unissaient celle-ci au reste de son corps, ses tendons et sa colonne vertébrale ayant depuis longtemps cédé…
- NON !
Il la saisit à nouveau de son bras libre, et la projeta à terre, lui infligeant au passage une autre terrible blessure entre l’épaule et le flanc opposés. Delphine sentit ses dernières forces la quitter. Elle avait tout donné dans cette dernière attaque, et à présent, sentait le voile du néant couvrir peu à peu son champ de vision.
La dernière scène qui s’offrit à elle fut sans importance. D’un revers d’épée, le Grand Nécromancien réduisit en sciures les arbres nécromantiques qui le chargeaient par le flanc, sapant au passage leur aura occulte pour réapprovisionner la sienne, refermant instantanément toutes ses blessures. La dernière horreur végétale lui érafla maladroitement l’avant-bras, mais ce fut tout. Elle le vit s’approcher d’elle, aucun rire ne pouvant mieux remplacer le regard triomphant d’une joie sans nom qu’il lui adressât. Elle ne vit plus rien ensuite.
Loin, à des lieues d’ici, non dans l’esprit tourmenté de la comtesse d’Essen, mais dans le monde réel, dans la plus haute tour du château de Drakenhof en Sylvanie, Mannfred von Carstein sourit dans sa transe. Oui, dans quelques instants, toutes ses pensées seraient siennes.
- Huhuhaha. Hahahaha. HAHAHA !
Cette voix se réverbéra soudain dans son esprit. Le rire s’intensifiait, ce n’était ni celui du Nagash qu’il insufflait dans la rêverie contrôlée de Delphine d’Essen, ni le sien, quoiqu’il lui ressemblât curieusement.
Dans la petite salle circulaire où il se trouvait au milieu d’un cercle de rituel, rien de bougea.
- Enfin trouvé. Sors de là, von Carstein. Elle m’appartient.
S’ensuivit un formidable combat de deux volontés vampiriques. Un combat que l’héritier du grand Vlad eut bien voulu emporter, mais son adversaire le dépassait ostensiblement, non pas en savoir, mais en pouvoir brut accumulé au fil de… millénaires ??
Il n’y crut pas tout d’abord, forçant l’autre invocateur à parer des incantations plus originales et sophistiquée l’une que l’autre, certaines apparentes, d’autres – dissimulées comme des dagues d’assassin, sinueuses, puissantes, immanquablement efficaces jusqu’à maintenant… Qui…
Le maraud. Il n’était pas seul. Deux autres volontés le secondaient : celles qu’il avait perçues quand il observait attentivement leur traversée de son pays ; celles avec qui la comtesse, comme il l’avait lu dans son esprit, avait quitté la Sylvanie il y a quelques heures. Il savait presque tout ce qu’elle savait sur ses trois compagnons, hormis qu’il avait sous-estimé les capacités des trois réunis.
La transe se brisa lentement. Il eut préféré se retirer cette fois-ci. Et, comme à son habitude, il se jura de ne pas refaire la même erreur deux fois.
Dans la forêt d’Essen, Delphine se réveilla enfin pour de vrai, von Nettesheim, Manon et Ashur penchés au dessus de son corps allongé par terre, les visages marqués par l’effort et... le soulagement.
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mar 18 Fév 2014 - 23:28
Enfin la suite !!!
Cela valait largement le coup d'attendre un peu pour pouvoir la lire. Tu parviens à parfaitement bien dérouter le lecteur au départ. On a vraiment l'impression que c'es Nagash qui affronte Delphine. Mais tout se met en place ensuite. Pour notre plus grand bonheur. La surprise de Mannfred devant le pouvoir accumulé par les millénaires est vraiment drôle à lire et à s'imaginer. Je m'imaginais les yeux ronds de Mannfred devant cette surprise.
Evidemment, il nous manque les motivations de cet épisode mais je pense que ce sera dans la prochaine suite. Et j'espère qu'elle arrivera bientôt.
Cela valait largement le coup d'attendre un peu pour pouvoir la lire. Tu parviens à parfaitement bien dérouter le lecteur au départ. On a vraiment l'impression que c'es Nagash qui affronte Delphine. Mais tout se met en place ensuite. Pour notre plus grand bonheur. La surprise de Mannfred devant le pouvoir accumulé par les millénaires est vraiment drôle à lire et à s'imaginer. Je m'imaginais les yeux ronds de Mannfred devant cette surprise.
Evidemment, il nous manque les motivations de cet épisode mais je pense que ce sera dans la prochaine suite. Et j'espère qu'elle arrivera bientôt.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mar 18 Fév 2014 - 23:35
Plus qu'une semaine de cours, et j'aurai enfin plus de temps pour me consacrer à l'histoire
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mar 18 Fév 2014 - 23:39
Moi aussi je n'ai plus qu'une semaine de cours. Mais la différence est que j'aurais plus que probablement fini mon histoire à ce moment. Je me contenterais donc de finir, s'il ne l'ait pas déjà, mon voyage à Naggaroth et de publier la suite et fin en plusieurs parties.
A propos de suite, qu'est ce qui fait que tu les postes aussi rapidement ? Tu es vraiment très inspiré et/ou tu as beaucoup de temps libre ? Parce que tu as quand même un rythme démentiel au niveau du rythme de publication.
A propos de suite, qu'est ce qui fait que tu les postes aussi rapidement ? Tu es vraiment très inspiré et/ou tu as beaucoup de temps libre ? Parce que tu as quand même un rythme démentiel au niveau du rythme de publication.
_________________
Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mar 18 Fév 2014 - 23:46
Euh... Avant j'avais certes beaucoup de temps libre, mais un ralentissement est à prévoir car les TD (apparus la semaine dernière) et le travail à la maison doivent prendre le temps qu'il leur faut. A part ça je suis inspiré, de temps en temps, oui
Et oui, nous attendons ton retour à la taverne, bien sûr
Je te souhaite une bonne nuit, et me retire au manoir d'Essen pour un repos bien mérité... (surtout nécessaire pour cette fin de semaine qui m'attend )
Et oui, nous attendons ton retour à la taverne, bien sûr
Je te souhaite une bonne nuit, et me retire au manoir d'Essen pour un repos bien mérité... (surtout nécessaire pour cette fin de semaine qui m'attend )
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mar 18 Fév 2014 - 23:50
Ah d'accord. Je comprends mieux.
Pour le ralentissement à venir, ce n'est pas grave, cela peut arriver à tout le monde. Moi je profite d'une semaine où l'on a pas beaucoup de devoirs (voire même pas du tout) pour avancer.
Et sinon, bonne nuit.
Pour le ralentissement à venir, ce n'est pas grave, cela peut arriver à tout le monde. Moi je profite d'une semaine où l'on a pas beaucoup de devoirs (voire même pas du tout) pour avancer.
Et sinon, bonne nuit.
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- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mer 19 Fév 2014 - 17:12
Mouahaha, mettre en scène le grand Nagash en personne... Pourquoi pas, surtout si c'est un des fameux Von Carstein qui se cache derrière
C'est un peu dangereux de mettre en scène des personnages connus de tous, mais je sais que des fois on ne peut y résister... Il n'y a qu'à voir mon passage entier dans la tête de ce cher Vlad
Et je rejoints Gilgalad quand à l'humour décalé de la scène... Mannfred surpris, les gros yeux... Ça doit être énorme à voir
La suite !
C'est un peu dangereux de mettre en scène des personnages connus de tous, mais je sais que des fois on ne peut y résister... Il n'y a qu'à voir mon passage entier dans la tête de ce cher Vlad
Et je rejoints Gilgalad quand à l'humour décalé de la scène... Mannfred surpris, les gros yeux... Ça doit être énorme à voir
La suite !
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Ceux qui ne croient pas en la magie ne la trouveront jamais.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Lun 24 Fév 2014 - 12:06
Hu... Voila qui me semble... beaucoup.
41ème partie.
41ème partie.
- Comtesse… - Ashur affichait un léger sourire.
Elle eut à peine le temps de le regarder un petit moment. Ils étaient trois à ses côtés, elle voulut leur dire quelque chose, les remercier…
Ashur éclata de rire, comme s’il ne s’était rien passé du tout.
- Allons, relevez-vous donc ! Un lit de mousse et de feuilles ne sied aucunement à une personne de votre rang !
Elle le savait cependant : il riait parce qu’il s’était passé quelque chose. Parce ce qu’il jouissait de l’incident. Cela l’avait amusé, et il entendait prolonger l’amusement.
- Quelle audace, - dit-elle en se mettant debout avec toute la dignité qu’elle pouvait montrer, - rendez-vous utile et dites-moi ce qui m’est arrivé, immortel.
- Maman… - Manon et le maître Friedrich s’étaient relevés eux aussi ; si le vieux nécromancien maintenait un silence exemplaire, la vampirette se voulait admise dans la discussion des « grands ».
Sa mère se tourna vers elle.
- Oui ? Qu’il y a-t-il ? – son ton se voulait neutre, mais sa fille lisait une trace d’impatience dans son regard. Elle hésita, puis reprit :
- Allez-vous bien, mère ?
- Comme un charme, ma chère, - elle se tourna à nouveau vers Ashur. – mais je ne serai satisfaite qu’après avoir entendu ce qui a pu m’arriver.
Le vampire millénaire laissa passer un moment, puis un autre avant de répondre, le temps d’entendre la brise nocturne remuer les cimes des arbres.
- Un envoutement, comtesse.
Elle haussa un sourcil.
- A part vous, personne n’est assez puissant pour cela.
Il s’esclaffa à nouveau.
- Remarquable flatterie, dame, mais vous vous trompez. Le nom de von Carstein vous est-il familier ? – la pénombre ne l’empêcha pas de voir le trouble apparaître sur le visage de la comtesse. Il sourit à pleines dents. – Vous en savez plus que moi. J’ai répondu à votre question, daignez maintenant satisfaire ma curiosité…
Laborieux était le lever du soleil, tellement la couche de nuages qui recouvrait la région d’Essen paraissait impénétrable. La frondaison des arbres aux alentours était toujours aussi épaisse, mais l’on apercevait ça et là des souches récentes et nombre de branches cassées, trop humides pour brûler dans les âtres des mortels. Il était aisé de deviner que les premières habitations n’étaient plus qu’à quelques heures de chevauchée.
Un silence inquiétant planait sur les treize cavaliers immobiles depuis un moment, au milieu des bois. Le temps semblait figé, meurtri par le passage entre le jour et la nuit, alors que Delphine d’Essen contemplait longuement le contenu d’une étoffe de tissu, grossier baluchon jeté aux pieds de sa monture en guise de cadeau d’adieu, avant que son propriétaire ne disparaisse dans un bref nuage de fumée. Dans les faibles reflets lumineux qui dansaient sur les bouts de métal libérés de leur prison d’étoffe, la comtesse devinait l’éclat de l’inestimable or pur. Une modeste fortune lui venait d’être assurée avant son entrée dans le monde des vivants.
Elle eut à peine le temps de le regarder un petit moment. Ils étaient trois à ses côtés, elle voulut leur dire quelque chose, les remercier…
Ashur éclata de rire, comme s’il ne s’était rien passé du tout.
- Allons, relevez-vous donc ! Un lit de mousse et de feuilles ne sied aucunement à une personne de votre rang !
Elle le savait cependant : il riait parce qu’il s’était passé quelque chose. Parce ce qu’il jouissait de l’incident. Cela l’avait amusé, et il entendait prolonger l’amusement.
- Quelle audace, - dit-elle en se mettant debout avec toute la dignité qu’elle pouvait montrer, - rendez-vous utile et dites-moi ce qui m’est arrivé, immortel.
- Maman… - Manon et le maître Friedrich s’étaient relevés eux aussi ; si le vieux nécromancien maintenait un silence exemplaire, la vampirette se voulait admise dans la discussion des « grands ».
Sa mère se tourna vers elle.
- Oui ? Qu’il y a-t-il ? – son ton se voulait neutre, mais sa fille lisait une trace d’impatience dans son regard. Elle hésita, puis reprit :
- Allez-vous bien, mère ?
- Comme un charme, ma chère, - elle se tourna à nouveau vers Ashur. – mais je ne serai satisfaite qu’après avoir entendu ce qui a pu m’arriver.
Le vampire millénaire laissa passer un moment, puis un autre avant de répondre, le temps d’entendre la brise nocturne remuer les cimes des arbres.
- Un envoutement, comtesse.
Elle haussa un sourcil.
- A part vous, personne n’est assez puissant pour cela.
Il s’esclaffa à nouveau.
- Remarquable flatterie, dame, mais vous vous trompez. Le nom de von Carstein vous est-il familier ? – la pénombre ne l’empêcha pas de voir le trouble apparaître sur le visage de la comtesse. Il sourit à pleines dents. – Vous en savez plus que moi. J’ai répondu à votre question, daignez maintenant satisfaire ma curiosité…
Laborieux était le lever du soleil, tellement la couche de nuages qui recouvrait la région d’Essen paraissait impénétrable. La frondaison des arbres aux alentours était toujours aussi épaisse, mais l’on apercevait ça et là des souches récentes et nombre de branches cassées, trop humides pour brûler dans les âtres des mortels. Il était aisé de deviner que les premières habitations n’étaient plus qu’à quelques heures de chevauchée.
Un silence inquiétant planait sur les treize cavaliers immobiles depuis un moment, au milieu des bois. Le temps semblait figé, meurtri par le passage entre le jour et la nuit, alors que Delphine d’Essen contemplait longuement le contenu d’une étoffe de tissu, grossier baluchon jeté aux pieds de sa monture en guise de cadeau d’adieu, avant que son propriétaire ne disparaisse dans un bref nuage de fumée. Dans les faibles reflets lumineux qui dansaient sur les bouts de métal libérés de leur prison d’étoffe, la comtesse devinait l’éclat de l’inestimable or pur. Une modeste fortune lui venait d’être assurée avant son entrée dans le monde des vivants.
***
Ashur souriait. Les paysages défilaient devant ses yeux en quelques instants infimes, visions auréolées à chaque fois d’un nimbe d’Ulgu, alors qu’il entamait transfert sur transfert, couvrant en quelques minutes grâce à la magie des ombres et reflets une distance que tout autre n’aurait jamais parcourue en une journée entière. L’artifice était dangereux, le vent capricieux pouvait à tout instant le faire voyager au-delà de ce monde, vers une destination sans retour ; néanmoins, le vampire millénaire ne pouvait perdre un jour, peut-être même pas une heure : il devait trouver l’envouteur avant qu’il ne puisse frapper à nouveau. Ashur souriait : son existence trouvait à nouveau une occupation digne de lui. Rencontrer l’illustre « héritier » des comtes vampires de Sylvanie l’emplissait d’une jouissive appréhension. S’il pouvait s’imaginer leur face-à-face dans les grandes lignes, il ne pouvait prédire avec assurance son issue, mais persistait à croire que l’occasion en valait tous les risques. Sa conscience se retrouvait réconfortée par l’idée qu’il trouverait par ailleurs un moyen de prévenir à l’avenir toute velléité de contrôle mental à l’égard de sa bien-aimée. Ashur se retenait de rire, concentrant sa volonté sur le vent fuyant d’Ulgu, qui le portait de plus en plus loin sur ses ailes d’ombres, vers là où les ténèbres nouvelles s’amoncelaient, vers le cœur maudit de la Sylvanie, l’antique château de Drakenhof.
Il se figea enfin, sa silhouette se distinguant à peine dans l’ombre écrasante de l’imposant édifice. Les yeux levés au ciel, Ashur prit bonne mesure du gigantisme du lieu, risible par rapport aux merveilles qu’il avait vues se construire en Orient, mais indiscutablement impressionnant par rapport à la misère omniprésente de la région.
Construit sur une haute colline surplombant le village de Drakenhof il y a bien des siècles, le château du même nom paraissait plonger profondément les racines de ses fondations dans la roche et la terre sylvaniennes, ainsi pour mieux contenir ses robustes tourelles, murailles et bastions. Un escalier de marches érodées par le temps conduisait aux portes du château, fermées, semblait-il, pour toujours. Même la poussière accumulée sur le bois et l’acier était intacte. Le lieu paraissait désert, dénué d’occupants tel un cadavre pourrissant est dénué de vie.
Ashur jeta un dernier regard aux portes condamnées. Quel dédain, - pensa-t-il, - que de ne pas le laisser passer par l’entrée des invités ! Cette mascarade de délabrement et d’abandon ne pardonnait en rien qu’on le laisse attendre aux portes comme un vulgaire mendiant.
Les fenêtres vides du château le fixaient, cependant. Il sentait que toute la volonté maléfique du lieu était à présent tournée vers le nouvel inopportun osant s’approcher des antiques murailles. A mesure que le soleil se levait au-delà de la chape de nuages recouvrant la contrée, l’air s’emplissait de croassements incessants de freux tournoyant quelque part vers les plus hautes tours du château. Eux aussi l’avaient peut-être aperçu.
Suffit ! – pensa-t-il avant de se décider pour un dernier transfert, et se retrouva sur les plus bas créneaux des murailles. Les freux croassèrent de plus belle. Le silence du château se fit plus insistant.
Ashur scruta l’endroit où il était apparu. Ce n’étaient pas des murailles défensives, du moins, pas une ceinture défensive telle qu’il en connaissait sur la plupart des châteaux-forts. Il s’agissait d’un large passage à ciel ouvert, reliant le monument principal à une aile adjacente. Les pierres recouvrant le passage étaient crasseuses, humides et souillées par les déjections des freux. Le vampire en détourna le regard, et bondit vers l’ouverture qui conduisait à l’intérieur du bâtiment central. Il fut instantanément englouti par l’obscurité la plus totale.
Tch, quel accueil… - un effort de volonté, et une torche émit un faible crépitement depuis le mur où elle était encastrée.
Un vent glacial, venu probablement des fins fonds de quelque geôle humide, éteignit la lumière de la flamme.
Partagé entre amusement et agacement, Ashur ralluma la torche. A nouveau, le vent ne se fit point attendre et étouffa le flambeau. C’en était trop pour sa patience…
- SUFFIT ! Que l’on m’éclaire immédiatement le passage, ou je jure sur mon sang que ce château connaitra une lumière qui se verra depuis la Capitale de l’Empire Céleste !!
Le silence fut sa seule réponse. Cependant, il aperçut que peu à peu, un faible halo verdâtre se formait dans le couloir de droite, comme l’invitant à continuer dans cette direction. A l’extérieur, les freux continuaient de croasser leur affolement à qui veut l’entendre.
Il déambula dans de longs corridors poussiéreux, aux murs décorés de portraits aux visages oubliés ; il traversa quelques salles ornées de tapisseries qui s’effondraient au toucher, tellement le poids des âges se faisait ressentir. La lueur d’outre-tombe lui indiquait immanquablement le chemin à prendre parmi les nombreuses montées et descentes qui transformaient le château en parodie de labyrinthe en ruines.
Ashur commençait à se lasser de la promenade, quand au détour d’un couloir il déboucha enfin sur une salle où la lueur blafarde ne suffisait pas pour distinguer les contours du plafond, perdu quelque part en hauteur insondable. Dans un coin opposé à l’entrée qu’il venait d’emprunter gisaient pêle-mêle des tables et des chaises renversées, le tas grossier saupoudré de poussière et recouvert de toiles d’araignée. Un long tapis miteux débutait depuis une grande ouverture principale à sa droite, pour aboutir quelque part au fond de la salle à sa gauche.
- Entrez, qui que vous soyez.
La voix tinta bruyamment dans le silence sépulcral, tel le glas d’un clocher matinal appelant les mortels à la prière. Au même moment, deux rangées de chandeliers de part et d’autre de la salle s’allumèrent de mille et une bougies, diffusant le halo verdâtre dans une chaleureuse lueur rougeoyante. Nullement affecté, Ashur pénétra dans la salle.
C’est avec aisance qu’il perçut devant lui les contours du piédestal surélevé de trois marches du sol réservé à la plèbe, ainsi que le trône de pierre noire, et celui qui y était assis, les mains reposant sur des accoudoirs finement ciselés, les prunelles écarlates perçant à travers la pénombre pour mieux jauger l’audacieux invité qui voulait s’imposer à lui.
Un pas après l’autre, le vampire millénaire souleva des volutes de poussière à mesure qu’il se rapprochait du trône, et de son mystérieux occupant qui le toisait. La lumière dansante des bougies se reflétait sur son armure de plaques composites, ainsi que sur les ornements dorés de son sabre. Il s’arrêta à une dizaine de pas des marches du piédestal.
Haha, - songea-t-il, - cela devait être une habitude chez lui, que de se présenter devant ceux qui prétendent diriger les lignes du destin, parlant depuis leurs sièges qu’ils imaginent au-dessus du monde.
Le pouvoir irradiait des deux vampires. Ils passèrent un long moment à se regarder, testant mutuellement leurs barrières mentales, attendant enfin que l’un d’entre eux commence à parler. Ashur était l’inopportun, il devait donc parler en premier, en plus que l’hôte l’avait déjà invité à entrer. Il laissa néanmoins durer un long moment de silence, éprouvant la patience du seigneur châtelain, scrutant une faille dans son armure, surveillant ses traits harmonieux qui affichaient la même expression impénétrable que lui, Ashur, s’efforçait à conserver. Finalement, il se résigna à respecter l’étiquette, et prononça :
- Ashur est mon nom. Seigneur von Carstein, je vous suis reconnaissant pour votre hospitalité.
Le dernier son de sa voix s’éteignit, puis le comte lui répondit abruptement :
- Parlez, manant, avant que je ne dise à mes serviteurs de vous jeter dehors pour avoir dérangé mon repos.
Ashur observa avec amusement sa main glisser instantanément vers la poignée de sa lame, puis brida sa colère, retira sa main, et reprit d’un ton tout aussi décontracté qu’avant :
- Mille mercis, seigneur, car je viens de loin, et n’ai point l’envie de biaiser sur la raison de mon arrivée. Je représente les intérêts de Delphine d’Essen, comtesse d’Ostermark. Elle vous envoie ses meilleurs vœux depuis son fief, ainsi qu’un cadeau que, j’espère, vous daignerez accepter.
Le visage du comte Mannfred demeura de marbre. Sa voix, par contre, sa voix se voulut remplie de pouvoir dissimulé, de menace oppressante, d’avertissement à toute créature qui eut voulu un jour contrevenir à sa volonté.
- Insolent roturier. Votre dame n’a ni fief, ni fortune qui puisse avoir une quelconque valeur à mes yeux. Je vous ferai embrocher puis rôtir à feu doux si vous ne me révélez immédiatement la raison de votre présence devant moi.
Ashur se retint de pouffer comme à son habitude. Il désirait ardemment l’affrontement, mais faire passer la situation à l’issue qu’il espérait sans recourir aux armes aurait à ses yeux un mérite tout nouveau, et pour cela délectable.
- Je puis vous assurer que ma dame retrouvera sous peu le fief qui lui revient de droit. Quant à son cadeau, il se tient devant vous, le sabre prêt à vous servir, en gage d’une alliance qu’elle espère durable et prospère à nos intérêts communs.
Un autre moment de silence coupa court à la conversation, silence tendu telle une corde prête à céder sous une pression intenable.
- Vous, manant ? Vous vous prétendez digne de servir dans mes rangs ? Quelle audace ! Quel manque de bon sens ! – le comte vampire ne put retenir un rire moqueur, quoiqu’il ne trahisse en rien un changement d’attitude. – Des intérêts communs, dites-vous ? Impardonnable ignorance, les intérêts de mon fief se portent à merveille sans y mêler ceux de votre comtesse sans terres. Dernière chance, manant, dernière chance de prouver que votre existence mérite d’être épargnée avant que je ne vous occis là où vous êtes.
Ha. L’affrontement servirait de preuve. Il y était allé de son mieux, après tout. Maintenant était venu le moment de montrer à ce jeune ambitieux le respect que l’on doit à ses aînés.
- Une preuve, seigneur ? Rien ne me ferait plus plaisir, si ce n’est que je m’en voudrais d’anéantir les dernières traces de la gloire passée de votre salle de trône…
Le sabre fut dégainé, et bientôt, un assourdissant vacarme de bataille fit écho dans les couloirs du château abandonné. A l’extérieur, les freux continuaient à croasser leur angoisse alors que le soleil se levait lentement au dessus de la surface du Vieux Monde.
Il se figea enfin, sa silhouette se distinguant à peine dans l’ombre écrasante de l’imposant édifice. Les yeux levés au ciel, Ashur prit bonne mesure du gigantisme du lieu, risible par rapport aux merveilles qu’il avait vues se construire en Orient, mais indiscutablement impressionnant par rapport à la misère omniprésente de la région.
Construit sur une haute colline surplombant le village de Drakenhof il y a bien des siècles, le château du même nom paraissait plonger profondément les racines de ses fondations dans la roche et la terre sylvaniennes, ainsi pour mieux contenir ses robustes tourelles, murailles et bastions. Un escalier de marches érodées par le temps conduisait aux portes du château, fermées, semblait-il, pour toujours. Même la poussière accumulée sur le bois et l’acier était intacte. Le lieu paraissait désert, dénué d’occupants tel un cadavre pourrissant est dénué de vie.
Ashur jeta un dernier regard aux portes condamnées. Quel dédain, - pensa-t-il, - que de ne pas le laisser passer par l’entrée des invités ! Cette mascarade de délabrement et d’abandon ne pardonnait en rien qu’on le laisse attendre aux portes comme un vulgaire mendiant.
Les fenêtres vides du château le fixaient, cependant. Il sentait que toute la volonté maléfique du lieu était à présent tournée vers le nouvel inopportun osant s’approcher des antiques murailles. A mesure que le soleil se levait au-delà de la chape de nuages recouvrant la contrée, l’air s’emplissait de croassements incessants de freux tournoyant quelque part vers les plus hautes tours du château. Eux aussi l’avaient peut-être aperçu.
Suffit ! – pensa-t-il avant de se décider pour un dernier transfert, et se retrouva sur les plus bas créneaux des murailles. Les freux croassèrent de plus belle. Le silence du château se fit plus insistant.
Ashur scruta l’endroit où il était apparu. Ce n’étaient pas des murailles défensives, du moins, pas une ceinture défensive telle qu’il en connaissait sur la plupart des châteaux-forts. Il s’agissait d’un large passage à ciel ouvert, reliant le monument principal à une aile adjacente. Les pierres recouvrant le passage étaient crasseuses, humides et souillées par les déjections des freux. Le vampire en détourna le regard, et bondit vers l’ouverture qui conduisait à l’intérieur du bâtiment central. Il fut instantanément englouti par l’obscurité la plus totale.
Tch, quel accueil… - un effort de volonté, et une torche émit un faible crépitement depuis le mur où elle était encastrée.
Un vent glacial, venu probablement des fins fonds de quelque geôle humide, éteignit la lumière de la flamme.
Partagé entre amusement et agacement, Ashur ralluma la torche. A nouveau, le vent ne se fit point attendre et étouffa le flambeau. C’en était trop pour sa patience…
- SUFFIT ! Que l’on m’éclaire immédiatement le passage, ou je jure sur mon sang que ce château connaitra une lumière qui se verra depuis la Capitale de l’Empire Céleste !!
Le silence fut sa seule réponse. Cependant, il aperçut que peu à peu, un faible halo verdâtre se formait dans le couloir de droite, comme l’invitant à continuer dans cette direction. A l’extérieur, les freux continuaient de croasser leur affolement à qui veut l’entendre.
Il déambula dans de longs corridors poussiéreux, aux murs décorés de portraits aux visages oubliés ; il traversa quelques salles ornées de tapisseries qui s’effondraient au toucher, tellement le poids des âges se faisait ressentir. La lueur d’outre-tombe lui indiquait immanquablement le chemin à prendre parmi les nombreuses montées et descentes qui transformaient le château en parodie de labyrinthe en ruines.
Ashur commençait à se lasser de la promenade, quand au détour d’un couloir il déboucha enfin sur une salle où la lueur blafarde ne suffisait pas pour distinguer les contours du plafond, perdu quelque part en hauteur insondable. Dans un coin opposé à l’entrée qu’il venait d’emprunter gisaient pêle-mêle des tables et des chaises renversées, le tas grossier saupoudré de poussière et recouvert de toiles d’araignée. Un long tapis miteux débutait depuis une grande ouverture principale à sa droite, pour aboutir quelque part au fond de la salle à sa gauche.
- Entrez, qui que vous soyez.
La voix tinta bruyamment dans le silence sépulcral, tel le glas d’un clocher matinal appelant les mortels à la prière. Au même moment, deux rangées de chandeliers de part et d’autre de la salle s’allumèrent de mille et une bougies, diffusant le halo verdâtre dans une chaleureuse lueur rougeoyante. Nullement affecté, Ashur pénétra dans la salle.
C’est avec aisance qu’il perçut devant lui les contours du piédestal surélevé de trois marches du sol réservé à la plèbe, ainsi que le trône de pierre noire, et celui qui y était assis, les mains reposant sur des accoudoirs finement ciselés, les prunelles écarlates perçant à travers la pénombre pour mieux jauger l’audacieux invité qui voulait s’imposer à lui.
Un pas après l’autre, le vampire millénaire souleva des volutes de poussière à mesure qu’il se rapprochait du trône, et de son mystérieux occupant qui le toisait. La lumière dansante des bougies se reflétait sur son armure de plaques composites, ainsi que sur les ornements dorés de son sabre. Il s’arrêta à une dizaine de pas des marches du piédestal.
Haha, - songea-t-il, - cela devait être une habitude chez lui, que de se présenter devant ceux qui prétendent diriger les lignes du destin, parlant depuis leurs sièges qu’ils imaginent au-dessus du monde.
Le pouvoir irradiait des deux vampires. Ils passèrent un long moment à se regarder, testant mutuellement leurs barrières mentales, attendant enfin que l’un d’entre eux commence à parler. Ashur était l’inopportun, il devait donc parler en premier, en plus que l’hôte l’avait déjà invité à entrer. Il laissa néanmoins durer un long moment de silence, éprouvant la patience du seigneur châtelain, scrutant une faille dans son armure, surveillant ses traits harmonieux qui affichaient la même expression impénétrable que lui, Ashur, s’efforçait à conserver. Finalement, il se résigna à respecter l’étiquette, et prononça :
- Ashur est mon nom. Seigneur von Carstein, je vous suis reconnaissant pour votre hospitalité.
Le dernier son de sa voix s’éteignit, puis le comte lui répondit abruptement :
- Parlez, manant, avant que je ne dise à mes serviteurs de vous jeter dehors pour avoir dérangé mon repos.
Ashur observa avec amusement sa main glisser instantanément vers la poignée de sa lame, puis brida sa colère, retira sa main, et reprit d’un ton tout aussi décontracté qu’avant :
- Mille mercis, seigneur, car je viens de loin, et n’ai point l’envie de biaiser sur la raison de mon arrivée. Je représente les intérêts de Delphine d’Essen, comtesse d’Ostermark. Elle vous envoie ses meilleurs vœux depuis son fief, ainsi qu’un cadeau que, j’espère, vous daignerez accepter.
Le visage du comte Mannfred demeura de marbre. Sa voix, par contre, sa voix se voulut remplie de pouvoir dissimulé, de menace oppressante, d’avertissement à toute créature qui eut voulu un jour contrevenir à sa volonté.
- Insolent roturier. Votre dame n’a ni fief, ni fortune qui puisse avoir une quelconque valeur à mes yeux. Je vous ferai embrocher puis rôtir à feu doux si vous ne me révélez immédiatement la raison de votre présence devant moi.
Ashur se retint de pouffer comme à son habitude. Il désirait ardemment l’affrontement, mais faire passer la situation à l’issue qu’il espérait sans recourir aux armes aurait à ses yeux un mérite tout nouveau, et pour cela délectable.
- Je puis vous assurer que ma dame retrouvera sous peu le fief qui lui revient de droit. Quant à son cadeau, il se tient devant vous, le sabre prêt à vous servir, en gage d’une alliance qu’elle espère durable et prospère à nos intérêts communs.
Un autre moment de silence coupa court à la conversation, silence tendu telle une corde prête à céder sous une pression intenable.
- Vous, manant ? Vous vous prétendez digne de servir dans mes rangs ? Quelle audace ! Quel manque de bon sens ! – le comte vampire ne put retenir un rire moqueur, quoiqu’il ne trahisse en rien un changement d’attitude. – Des intérêts communs, dites-vous ? Impardonnable ignorance, les intérêts de mon fief se portent à merveille sans y mêler ceux de votre comtesse sans terres. Dernière chance, manant, dernière chance de prouver que votre existence mérite d’être épargnée avant que je ne vous occis là où vous êtes.
Ha. L’affrontement servirait de preuve. Il y était allé de son mieux, après tout. Maintenant était venu le moment de montrer à ce jeune ambitieux le respect que l’on doit à ses aînés.
- Une preuve, seigneur ? Rien ne me ferait plus plaisir, si ce n’est que je m’en voudrais d’anéantir les dernières traces de la gloire passée de votre salle de trône…
Le sabre fut dégainé, et bientôt, un assourdissant vacarme de bataille fit écho dans les couloirs du château abandonné. A l’extérieur, les freux continuaient à croasser leur angoisse alors que le soleil se levait lentement au dessus de la surface du Vieux Monde.
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Lun 24 Fév 2014 - 12:19
C'est vraiment trop génial comme suite !!!!!
Bon, pour les commentaires maintenant. Mannfred est vraiment très bien décrit. Je ne sais pas d'où tu tires tout cela mais c'est vraiment très bien fait. J'avais presque l'impression de l'avoir en face de moi. Ensuite, la transition entre les deux passages est vraiment très bien aussi. En ce qui concerne Ashur, on peut voir un nouvel aspect de sa personnalité qui est vraiment très bien venu. J'ai aussi adoré quand Manon dit "Maman..." au lieu de dire "Mère". C'est encore plus drôle quand on pense qu'elle a quand même une centaine d'années.
Mais sinon, je suis impatient de voir comment va évoluer la situation maintenant qu'il a rejoint les Von Carstein. En gros ça veut dire que j'attends avec impatience la suite.
Bon, pour les commentaires maintenant. Mannfred est vraiment très bien décrit. Je ne sais pas d'où tu tires tout cela mais c'est vraiment très bien fait. J'avais presque l'impression de l'avoir en face de moi. Ensuite, la transition entre les deux passages est vraiment très bien aussi. En ce qui concerne Ashur, on peut voir un nouvel aspect de sa personnalité qui est vraiment très bien venu. J'ai aussi adoré quand Manon dit "Maman..." au lieu de dire "Mère". C'est encore plus drôle quand on pense qu'elle a quand même une centaine d'années.
Mais sinon, je suis impatient de voir comment va évoluer la situation maintenant qu'il a rejoint les Von Carstein. En gros ça veut dire que j'attends avec impatience la suite.
- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Lun 24 Fév 2014 - 20:14
Tu as un style très particulier... De toutes celles que j'ai lu, ton ambiance est la meilleure quand il s'agit de nous faire plonger dans le récit, de préparer la scène, de nous faire deviner la tension ou le silence de chaque situation. J'adore
J'avais trouvé une faute... Mais je l'ai oubliée ^^
Mais celle-ci ne m'a pas échappé :
"quand au détour d’un couloir d’un couloir il déboucha enfin"
Et il y a aussi l'emploi maladroit d'un passé antérieur quand tu dis "Ashur scruta l’endroit où il fut apparu". Je sais qu'il ne va pas dans cette phrase, mais je ne pourrais pas t'expliquer pourquoi ^^ Le plus que parfait est beaucoup plus approprié ici : "où il était apparu".
La suite !!
J'avais trouvé une faute... Mais je l'ai oubliée ^^
Mais celle-ci ne m'a pas échappé :
"quand au détour d’un couloir d’un couloir il déboucha enfin"
Et il y a aussi l'emploi maladroit d'un passé antérieur quand tu dis "Ashur scruta l’endroit où il fut apparu". Je sais qu'il ne va pas dans cette phrase, mais je ne pourrais pas t'expliquer pourquoi ^^ Le plus que parfait est beaucoup plus approprié ici : "où il était apparu".
La suite !!
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- EssenSeigneur vampire
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Lun 24 Fév 2014 - 20:33
La suite va arriver bientôt, j'en suis certain
Je suis on ne peut plus d'accord avec toi, mais j'avais tenté le passé antérieur pour éviter la répétition de "était apparu. Ce n'étaient pas (...)."
Du coup j'ai changé, mais je me tâte encore sur une meilleure tournure de ces deux phrases...
Et il y a aussi l'emploi maladroit d'un passé antérieur quand tu dis "Ashur scruta l’endroit où il fut apparu". Je sais qu'il ne va pas dans cette phrase, mais je ne pourrais pas t'expliquer pourquoi ^^ Le plus que parfait est beaucoup plus approprié ici : "où il était apparu".
Je suis on ne peut plus d'accord avec toi, mais j'avais tenté le passé antérieur pour éviter la répétition de "était apparu. Ce n'étaient pas (...)."
Du coup j'ai changé, mais je me tâte encore sur une meilleure tournure de ces deux phrases...
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Lun 24 Fév 2014 - 22:49
Alors je vais te donner une petite astuce... Un des buts secondaires, dans un récit, est d'éviter toute répétition désagréable ou maladroite. Sauf, bien sûr, quand il s'agit d'une anaphore, c'est-à-dire un procédé stylistique mis en place par l'auteur.
Mais dans cette petite règle officieuse, il y a deux exceptions. Deux mots, ou plutôt deux verbes, qui ne rentrent pas dans ce moule. Il s'agit bien sûr des auxiliaires être et avoir. Tu peux utiliser ces deux verbes autant de fois qu'il le faut, personne le remarquera vraiment en tant que répétition. Ils sont tellement indispensables à la langue française que leur emploi intensif est tout à fait normal. Et donc, la seule fois où on peut les remarquer, c'est quand ils sont mal employés, comme l'exemple ici du passé antérieur.
En tant qu'auteur, c'est normal que toi tu les remarques, mais ne t'en fais pas. Ils sont à leur place
Mais dans cette petite règle officieuse, il y a deux exceptions. Deux mots, ou plutôt deux verbes, qui ne rentrent pas dans ce moule. Il s'agit bien sûr des auxiliaires être et avoir. Tu peux utiliser ces deux verbes autant de fois qu'il le faut, personne le remarquera vraiment en tant que répétition. Ils sont tellement indispensables à la langue française que leur emploi intensif est tout à fait normal. Et donc, la seule fois où on peut les remarquer, c'est quand ils sont mal employés, comme l'exemple ici du passé antérieur.
En tant qu'auteur, c'est normal que toi tu les remarques, mais ne t'en fais pas. Ils sont à leur place
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- EssenSeigneur vampire
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mer 26 Fév 2014 - 15:39
***
Aucune épée ni aucune lance ne pouvaient jamais venir à bout de l’armure de plaques composites du vampire millénaire. L’épaisseur du métal avait doublé depuis le jour pas si lointain où le sabreur se sentit transpercé par deux billes de plomb, tirées à bout portant par la garnison mortelle qu’il avait attaquée pour le plaisir.
En revanche, s’il brisait avec aise les défenses de son adversaire, il peinait à contrer sa régénération effrénée due à un savoir illimité des pouvoirs nécromantiques.
Après de longs moments de combat acharné, Ashur le savait à présent : ils pourraient continuer ainsi pour l’éternité. Or, si le triste sire qui l’affrontait n’était pas encore arrivé à la même conclusion, il ne devait pas néanmoins être du genre à vouloir perdre son temps.
Ashur se sentait observé de partout ; le château ayant l’air abandonné ne l’était certainement plus depuis le retour de son maître, et le vampire millénaire se demandait à présent si le comte daignerait enfin l’accepter parmi ses alliés, ou s’il ferait venir de l’aide pour le jeter dehors, ou pire, en disposer. Sa mise à mort semblant l’issue la plus probable, il se préparait tranquillement à envoyer ce château et ses occupants dans le chaos avant de rendre son sabre à l’ennemi.
Alors que les vents de magie rugissaient autour des deux combattants, sans qu’aucun ne paraisse prendre le dessus, Ashur para un autre coup, puis un autre, riposta, riposta encore. Les chandeliers étaient depuis longtemps renversés par terre, le feu des bougies consumant par endroits les restes du tapis miteux conduisant au trône de pierre noire.
Ils se battaient sur les marches du piédestal, le comte refusant pertinemment d’abandonner sa position surélevée, comme pour marquer à jamais sa supériorité par rapport à son adversaire. Quelles qu’étaient les feintes et les assauts fulgurants que lui faisait subir le sabreur, il s’obstinait à défendre son trône, tout en cherchant à tuer son ennemi par toutes manières que ses pouvoirs lui permettaient.
Ashur exultait. Jamais il n’avait rencontré auparavant un ennemi aussi coriace ; curieusement, quelques notes du violon du ménestrel fou lui revinrent en mémoire, il en faillit perdre sa concentration sous l’euphorie… Il se reprit toutefois, car il ne pouvait pas, il ne devait pas perdre.
Leurs armes s’entrechoquèrent à nouveau, ajoutant la brève lumière des étincelles à l’illumination flamboyante de la pièce.
- En as-tu eu assez pour ta faim, manant ?
Ce ton arrogant… devait néanmoins signifier un changement d’attitude. Crispé comme il l’était sur la poignée de son sabre, l’épée adverse à quelques pouces du visage, Ashur répondit, extatique.
- Bien assez, seigneur. Quel est votre jugement ?
- Tu es assez dangereux pour passer pour un brigand. Aucune loyauté ne peut être espérée d’un brigand. Je devrais te faire empaler, puis nourrir ton cadavre aux corbeaux.
- Mon allégeance sera votre, seigneur, du moment qu’il y aura du sang et des batailles, et du moment que ma dame la comtesse d’Essen ne fera aucune part de vos plans.
- Quelle audace ! – rétorqua le comte, relâchant cependant sa pression sur la garde du vampire millénaire.
Ils firent tous deux quelques pas en arrière, baissant leurs armes. Le comte rengaina et se rassit sur son trône ; Ashur rengaina et se tint debout devant le piédestal.
Le comte prit la parole :
- Ashur, protecteur de Lahmia, sabreur anobli du Nippon, jures-tu loyauté et obéissance à la lignée des von Carstein, dans la vie comme dans la mort, jusqu’à ce que ton seigneur ne te libère de ton devoir ?
Ashur sourit.
- Mannfred von Carstein, comte de Sylvanie et bientôt maître du monde, jurez-vous de m’offrir sang, gloire et batailles ? Jurez-vous d’accéder aux intérêts de ma dame, Delphine d’Essen, comtesse d’Ostermark ?
Le comte daigna sourire en retour.
- Je le jurerai, quand tu t’agenouilleras devant moi.
Le ton d’Ashur se durcit. Il regarda le seigneur vampire droit dans les yeux.
- Jamais Ashur ne se prosternera devant quiconque.
- Menteur. Tu t’es déjà prosterné devant elle.
Ils se fixèrent pendant un moment. L’un semblait incapable de dire un mot, l’autre attendait une réponse.
A peine rengainée, sa lame devait-elle à nouveau être mise à nu pour punir l’arrogance de ce pourceau insolent ? Il n’en méritait pas moins ; ses manigances, il pouvait se les avaler de travers ; son château, il pouvait se le voir démoli jusqu’aux fondations… Qui croyait-il être, enfin, crachant ainsi sa verve sur lui, le seul, le grand, l’immortel Ashur !
Les flammes s’éteignirent lentement autour d’eux. Sans ôter sa main gauche du fourreau de son sabre, au cas où il devrait tout de même dégainer, Ashur prononça :
- Votre langue est plus effilée que votre épée, seigneur. Je ne m’inclinerai pas devant celui qui combat avec sa langue.
Le comte ne baissa jamais son regard face au sien.
- Dites-le, brigand, dites-le si votre sabre a soif de couper cette langue qui m’a fait gagner bien des batailles avant-même qu’elles ne soient livrées. Dites-le, et je vous montrerai peut-être son véritable tranchant.
Le vampire millénaire demeura tout aussi impassible.
- Je vous servirai comme un chien qui sert son maître. Je vous soumettrai des nations entières, abattrai toutes les portes, dévasterai toute contrée assez naïve pour vous résister. Cependant, si vous obligez la bête à montrer ses crocs, seuls les dieux, la chance ou le destin pourront vous sauver de sa colère.
- Un chien de guerre ? Vous prétendez valoir mieux qu’un brigand ? Votre retenue est pour l’instant admirable, chien, mais vous ne vous contenterez jamais de ce nom, n’est-ce pas ?
- Jamais dans cette existence. Ashur est mon nom, et je briserai quiconque osant un jour l’insulter.
Le comte parut imperceptiblement se détendre sur son trône.
- Je n’ai nul besoin d’un chien qui ne répond pas au nom que je lui donne. Te crois-tu supérieur à un chien, soldat ? Mercenaire serait injuste, car tu ne demandes aucun solde. Alors que dis-tu, soldat ? Acceptes-tu de servir dans les rangs de mon armée ?
- Je suis flatté, seigneur, mais je demande la qualité de lieutenant de première ligne.
Les yeux du comte luisirent tels des charbons ardents dans l’obscurité.
- Impertinent ! Insolent ! Qu’as-tu fait pour mériter un tel honneur ? Parle, soldat ! Justifie-toi devant ton seigneur !
- Je suis toujours devant vous, seigneur, prêt à obéir à vos ordres sans plus attendre, prêt à donner des ordres sans plus attendre, prêt à tuer pour vous sans plus attendre.
- Belles paroles, soldat ! Tu as du être poète dans une autre existence ! Mais c’est ta loyauté que ton seigneur exige, et non ces exécrables fanfaronnades ! Prouve-moi ta loyauté, soldat, prouve-la moi et tu te retrouveras peut-être à la tête d’un bataillon, d’une légion, non, d’une armée entière !
- Si la tâche est aussi simple, votre soldat exécutera vos ordres sans délai. Mais il voudra son armée prête à son retour.
- Soit ! – le comte se leva brusquement de son trône, la main tendue vers le vampire millénaire. – Pars sur le champ, soldat, et apporte-moi la preuve que par ton sabre ont été soumis les villageois rebelles de Bylorhof, au Sud-ouest ! Trop longtemps ces fous ont défié l’autorité de leurs maîtres !
Halte. Cela était allé beaucoup trop vite. Il n’avait point juré qu’il laisserait la comtesse tranquille. Il l’envoyait au Sud-ouest, loin d’Essen. Il pouvait tenter de le détruire une fois sa tâche accomplie. Il l’envoyait peut-être déjà à sa mort. Cependant, si lui, Ashur, parvenait à triompher de cette première mission, il exigerait du comte bien plus qu’une unique armée à commander.
Si quoi que ce soit arrivait à Delphine, il le sentirait et serait auprès d’elle en quelques instants. S’il arrivait trop tard, il succèderait là où tous les répurgateurs de l’Empire ont failli : il raserait la Sylvanie toute entière, et von Carstein périrait en premier.
Par son sabre, le comte périrait en premier.
- J’entends et j’obéis, seigneur.
Ashur se volatilisa dans l’ombre.
En revanche, s’il brisait avec aise les défenses de son adversaire, il peinait à contrer sa régénération effrénée due à un savoir illimité des pouvoirs nécromantiques.
Après de longs moments de combat acharné, Ashur le savait à présent : ils pourraient continuer ainsi pour l’éternité. Or, si le triste sire qui l’affrontait n’était pas encore arrivé à la même conclusion, il ne devait pas néanmoins être du genre à vouloir perdre son temps.
Ashur se sentait observé de partout ; le château ayant l’air abandonné ne l’était certainement plus depuis le retour de son maître, et le vampire millénaire se demandait à présent si le comte daignerait enfin l’accepter parmi ses alliés, ou s’il ferait venir de l’aide pour le jeter dehors, ou pire, en disposer. Sa mise à mort semblant l’issue la plus probable, il se préparait tranquillement à envoyer ce château et ses occupants dans le chaos avant de rendre son sabre à l’ennemi.
Alors que les vents de magie rugissaient autour des deux combattants, sans qu’aucun ne paraisse prendre le dessus, Ashur para un autre coup, puis un autre, riposta, riposta encore. Les chandeliers étaient depuis longtemps renversés par terre, le feu des bougies consumant par endroits les restes du tapis miteux conduisant au trône de pierre noire.
Ils se battaient sur les marches du piédestal, le comte refusant pertinemment d’abandonner sa position surélevée, comme pour marquer à jamais sa supériorité par rapport à son adversaire. Quelles qu’étaient les feintes et les assauts fulgurants que lui faisait subir le sabreur, il s’obstinait à défendre son trône, tout en cherchant à tuer son ennemi par toutes manières que ses pouvoirs lui permettaient.
Ashur exultait. Jamais il n’avait rencontré auparavant un ennemi aussi coriace ; curieusement, quelques notes du violon du ménestrel fou lui revinrent en mémoire, il en faillit perdre sa concentration sous l’euphorie… Il se reprit toutefois, car il ne pouvait pas, il ne devait pas perdre.
Leurs armes s’entrechoquèrent à nouveau, ajoutant la brève lumière des étincelles à l’illumination flamboyante de la pièce.
- En as-tu eu assez pour ta faim, manant ?
Ce ton arrogant… devait néanmoins signifier un changement d’attitude. Crispé comme il l’était sur la poignée de son sabre, l’épée adverse à quelques pouces du visage, Ashur répondit, extatique.
- Bien assez, seigneur. Quel est votre jugement ?
- Tu es assez dangereux pour passer pour un brigand. Aucune loyauté ne peut être espérée d’un brigand. Je devrais te faire empaler, puis nourrir ton cadavre aux corbeaux.
- Mon allégeance sera votre, seigneur, du moment qu’il y aura du sang et des batailles, et du moment que ma dame la comtesse d’Essen ne fera aucune part de vos plans.
- Quelle audace ! – rétorqua le comte, relâchant cependant sa pression sur la garde du vampire millénaire.
Ils firent tous deux quelques pas en arrière, baissant leurs armes. Le comte rengaina et se rassit sur son trône ; Ashur rengaina et se tint debout devant le piédestal.
Le comte prit la parole :
- Ashur, protecteur de Lahmia, sabreur anobli du Nippon, jures-tu loyauté et obéissance à la lignée des von Carstein, dans la vie comme dans la mort, jusqu’à ce que ton seigneur ne te libère de ton devoir ?
Ashur sourit.
- Mannfred von Carstein, comte de Sylvanie et bientôt maître du monde, jurez-vous de m’offrir sang, gloire et batailles ? Jurez-vous d’accéder aux intérêts de ma dame, Delphine d’Essen, comtesse d’Ostermark ?
Le comte daigna sourire en retour.
- Je le jurerai, quand tu t’agenouilleras devant moi.
Le ton d’Ashur se durcit. Il regarda le seigneur vampire droit dans les yeux.
- Jamais Ashur ne se prosternera devant quiconque.
- Menteur. Tu t’es déjà prosterné devant elle.
Ils se fixèrent pendant un moment. L’un semblait incapable de dire un mot, l’autre attendait une réponse.
A peine rengainée, sa lame devait-elle à nouveau être mise à nu pour punir l’arrogance de ce pourceau insolent ? Il n’en méritait pas moins ; ses manigances, il pouvait se les avaler de travers ; son château, il pouvait se le voir démoli jusqu’aux fondations… Qui croyait-il être, enfin, crachant ainsi sa verve sur lui, le seul, le grand, l’immortel Ashur !
Les flammes s’éteignirent lentement autour d’eux. Sans ôter sa main gauche du fourreau de son sabre, au cas où il devrait tout de même dégainer, Ashur prononça :
- Votre langue est plus effilée que votre épée, seigneur. Je ne m’inclinerai pas devant celui qui combat avec sa langue.
Le comte ne baissa jamais son regard face au sien.
- Dites-le, brigand, dites-le si votre sabre a soif de couper cette langue qui m’a fait gagner bien des batailles avant-même qu’elles ne soient livrées. Dites-le, et je vous montrerai peut-être son véritable tranchant.
Le vampire millénaire demeura tout aussi impassible.
- Je vous servirai comme un chien qui sert son maître. Je vous soumettrai des nations entières, abattrai toutes les portes, dévasterai toute contrée assez naïve pour vous résister. Cependant, si vous obligez la bête à montrer ses crocs, seuls les dieux, la chance ou le destin pourront vous sauver de sa colère.
- Un chien de guerre ? Vous prétendez valoir mieux qu’un brigand ? Votre retenue est pour l’instant admirable, chien, mais vous ne vous contenterez jamais de ce nom, n’est-ce pas ?
- Jamais dans cette existence. Ashur est mon nom, et je briserai quiconque osant un jour l’insulter.
Le comte parut imperceptiblement se détendre sur son trône.
- Je n’ai nul besoin d’un chien qui ne répond pas au nom que je lui donne. Te crois-tu supérieur à un chien, soldat ? Mercenaire serait injuste, car tu ne demandes aucun solde. Alors que dis-tu, soldat ? Acceptes-tu de servir dans les rangs de mon armée ?
- Je suis flatté, seigneur, mais je demande la qualité de lieutenant de première ligne.
Les yeux du comte luisirent tels des charbons ardents dans l’obscurité.
- Impertinent ! Insolent ! Qu’as-tu fait pour mériter un tel honneur ? Parle, soldat ! Justifie-toi devant ton seigneur !
- Je suis toujours devant vous, seigneur, prêt à obéir à vos ordres sans plus attendre, prêt à donner des ordres sans plus attendre, prêt à tuer pour vous sans plus attendre.
- Belles paroles, soldat ! Tu as du être poète dans une autre existence ! Mais c’est ta loyauté que ton seigneur exige, et non ces exécrables fanfaronnades ! Prouve-moi ta loyauté, soldat, prouve-la moi et tu te retrouveras peut-être à la tête d’un bataillon, d’une légion, non, d’une armée entière !
- Si la tâche est aussi simple, votre soldat exécutera vos ordres sans délai. Mais il voudra son armée prête à son retour.
- Soit ! – le comte se leva brusquement de son trône, la main tendue vers le vampire millénaire. – Pars sur le champ, soldat, et apporte-moi la preuve que par ton sabre ont été soumis les villageois rebelles de Bylorhof, au Sud-ouest ! Trop longtemps ces fous ont défié l’autorité de leurs maîtres !
Halte. Cela était allé beaucoup trop vite. Il n’avait point juré qu’il laisserait la comtesse tranquille. Il l’envoyait au Sud-ouest, loin d’Essen. Il pouvait tenter de le détruire une fois sa tâche accomplie. Il l’envoyait peut-être déjà à sa mort. Cependant, si lui, Ashur, parvenait à triompher de cette première mission, il exigerait du comte bien plus qu’une unique armée à commander.
Si quoi que ce soit arrivait à Delphine, il le sentirait et serait auprès d’elle en quelques instants. S’il arrivait trop tard, il succèderait là où tous les répurgateurs de l’Empire ont failli : il raserait la Sylvanie toute entière, et von Carstein périrait en premier.
Par son sabre, le comte périrait en premier.
- J’entends et j’obéis, seigneur.
Ashur se volatilisa dans l’ombre.
***
Il regretta dès l’instant où il réapparut devant les portes du château.
Quelque chose en lui hurlait qu’il devait à cet instant-même demeurer auprès de la comtesse, jouir de son affection, de l’attachement qu’avait pour lui Manon, des sages conseils de von Nettesheim. Il la protégerait mieux, il les protègerait tous, et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais cela ne se pouvait. S’il était resté auprès d’elle, il aurait vite souffert les limites de la liberté d’un époux, d’un père et d’une sentinelle réunies. Jamais, pour lui, jamais une telle cage, une telle gangue, une telle existence morbide car soumise aux nécessités d’un quotidien banal et morne. Une prison.
Ils n’avaient pas besoin de lui. Lui n’avait pas besoin de les protéger. S’il le faisait, ce n’était que secondaire, laissant place au premier plan sa participation à un quelconque accomplissement grandiose, à une bataille épique, à une conquête sanglante, marquant son nom à jamais dans les pages de l’histoire des mortels. La gloire, voila ce qu’il lui fallait. La gloire…
Lentement, pas après pas, Ashur commença à dévaler la pente qui conduisait vers le lit d’une grande rivière, et au-delà – au village à jamais corrompu de Drakenhof.
Quelque chose en lui hurlait qu’il devait à cet instant-même demeurer auprès de la comtesse, jouir de son affection, de l’attachement qu’avait pour lui Manon, des sages conseils de von Nettesheim. Il la protégerait mieux, il les protègerait tous, et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais cela ne se pouvait. S’il était resté auprès d’elle, il aurait vite souffert les limites de la liberté d’un époux, d’un père et d’une sentinelle réunies. Jamais, pour lui, jamais une telle cage, une telle gangue, une telle existence morbide car soumise aux nécessités d’un quotidien banal et morne. Une prison.
Ils n’avaient pas besoin de lui. Lui n’avait pas besoin de les protéger. S’il le faisait, ce n’était que secondaire, laissant place au premier plan sa participation à un quelconque accomplissement grandiose, à une bataille épique, à une conquête sanglante, marquant son nom à jamais dans les pages de l’histoire des mortels. La gloire, voila ce qu’il lui fallait. La gloire…
Lentement, pas après pas, Ashur commença à dévaler la pente qui conduisait vers le lit d’une grande rivière, et au-delà – au village à jamais corrompu de Drakenhof.
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mer 26 Fév 2014 - 17:04
C'est vraiment bien comme suite. On est vraiment pris par le combat du début à la fin de celui-ci. Et c'est la même chose pour la discussion post-combat. Je dois avouer que cela me surprend que Mannfred ne se méfie pas plus d'Ashur. Je pensais qu'il donnerait plus d'épreuves à ce dernier pour pouvoir le servir. Et je me demande s'il connaît les limites (si tant est qu'elles existent) des pouvoirs d'Ashur. De plus on voit bien que ce dernier ne tient qu'à protéger Delphine et ne veut faire que cela. Comme quoi même un vampire un peu fou a des sentiments.
Et elle vient quand la suite ?
Et elle vient quand la suite ?
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Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mer 26 Fév 2014 - 17:11
Tu as un sens très développé des conversations entre puissants anciens. Quand je lis tes textes, je me dis que je ne pourrais jamais instaurer une telle tension, une telle ambiance entre deux personnes juste par leurs paroles et leurs différents principes.
La suite !
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mer 26 Fév 2014 - 17:41
Merci Arken ! Si tu le souhaites, je peux t'indiquer quelques références qui m'ont semblé m'inspirer pour ce dialogue
Gilgalad : là, tu m'intrigues... Quels genres d'épreuves pourrais-tu imaginer dans ce cas de figure ? Je m'étais dit qu'ordonner d'aller soumettre une ville est... respectable, mais si ça se trouve, tu as en tête quelque chose de plus particulier ?
Gilgalad : là, tu m'intrigues... Quels genres d'épreuves pourrais-tu imaginer dans ce cas de figure ? Je m'étais dit qu'ordonner d'aller soumettre une ville est... respectable, mais si ça se trouve, tu as en tête quelque chose de plus particulier ?
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Mer 26 Fév 2014 - 23:16
Je pensais à des trucs un peu plus difficiles que de se contenter de soumettre une ville sachant que l'on parle d'Ashur. Et puis, on ne peut pas dire que les villes de Sylvanie soient très peuplées ni très armées et n'ont pas de prêtres-guerriers ou de mages. Par conséquent, ce ne devait qu'un jeu d'enfant pour lui. Par exemple, je pensais à un truc du genre soumettre ou tuer un monstre ou récupérer un artefact enchanté très bien protégé ou quelque chose comme cela. Tu vois ce que je veux dire ? Mais cela me va très bien comme ça. Ne t'inquiète pas.
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Sam 8 Mar 2014 - 21:38
Bon, bien que j'aie déjà débuté la 42ème partie, je conclus d'abord celle-ci, avant de retourner définitivement à la forêt d'Essen...
EDIT : la conclusion a été replacée à la fin de la partie concernée pour éviter toute confusion.
EDIT : la conclusion a été replacée à la fin de la partie concernée pour éviter toute confusion.
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Sam 8 Mar 2014 - 22:24
Un peu beaucoup trop court à mon goût. C'est intéressant puisque l'on voit pourquoi Ashur va chez ce cher Mannfred.
Comme il n'y a rien à redire vivement la suite.
Comme il n'y a rien à redire vivement la suite.
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Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Dim 9 Mar 2014 - 10:18
Je vais faire aussi court que toi :
La suite !
La suite !
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Ceux qui ne croient pas en la magie ne la trouveront jamais.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Jeu 13 Mar 2014 - 10:02
Mouahaha, coup de théâtre !..
42ème partie.
42ème partie.
Delphine regardait l’or éparpillé aux pieds de sa monture. Leur éclat tant convoité par les mortels ne trouvait alors que dédain et mépris à ses yeux.
Les feuilles mortes à côté se mouvaient légèrement sous la brise matinale, alors que leurs contours s’éclaircissaient à mesure que l’obscurité de la nuit laissait place à un frileux lever du soleil.
Comment pouvait-elle voir quoi que ce soit autour d’elle ? Comment pouvait-elle ressentir la moindre émotion, alors qu’Ashur était parti, parti aussi soudainement qu’il était arrivé, la laissant subitement à nouveau seule à décider de ce qu’elle voulait, de ce qu’elle faisait, du sort qu’elle réservait aux mortels comme aux immortels qu’elle rencontrait.
Quelle atrocité que de ne rien vouloir ressentir. Il faut alors agir sur le champ.
- Maître Friedrich !
Le destrier d’ombre, invocation du vampire millénaire, s’était dissipé depuis un certain moment, laissant subitement le nécromancien à pied, assez dépité et assis depuis sur une des souches environnantes. L’appel de la comtesse le fit sursauter.
- MAITRE FRIEDRICH !
Ses prunelles flamboyaient de colère. L’impatience exacerbée s’y lisait comme dans un livre ouvert. Von Nettesheim se leva prestement, et s’inclina.
- Vos ordres, comtesse ?
- Prenez cet or, allez dans la ville des mortels, et transformez cet or en manoir. Ma fille et moi vous attendrons ici.
Manon d’Essen n’était pas descendue de son pégase mort-vivant, se demandant ce qui pouvait bien causer le mutisme si prolongé de sa mère ; elle aussi fut surprise par sa fin si abrupte. Cependant, le ton que prenait la conversation entre la comtesse et le maître lui indiquait instinctivement de rester discrète et silencieuse.
Von Nettesheim se figea l’espace de quelques instants. Quelque chose n’allait pas avec la dame d’Essen, mais s’il n’obéissait pas en l’occurrence, sa récente résurrection serait stupidement vaine. Marmonnant quelques paroles pour soi-même, il se rapprocha à grands pas des bouts de métal gisant par terre, et se mit à les ramasser et les remettre dans l’étoffe de tissu.
- SUFFIT !
Le second cri de la comtesse paralysa à nouveau le vieux maître. Lentement, il se leva, maintenant son regard abaissé, en humble serviteur.
- Oui, comt…
- Maître… - sa voix se brisa subitement. – Levez votre regard vers le mien, maître, - elle le scruta un moment, puis descendit de sa monture, se retourna vers lui. Ils étaient à peu près de la même taille, si ce n’est que le nécromancien avait le dos légèrement courbé par le poids des années.
Cela arrivait rarement, très rarement que le vieux maître ne pouvait deviner les pensées véritables de la comtesse, alors-même qu’il la regardât droit dans les yeux.
- Qui croyez-vous être pour moi, à votre avis ? – lui dit-elle, - Ne répondez pas, je vais vous le dire. Vous, Friedrich von Nettesheim, êtes le seul et unique mortel qu’il me reste à estimer dans ce monde. Le seul qui ait assez de volonté pour pouvoir me résister, mais aussi celui qui ne souffrira jamais ma vengeance pour insoumission. Vous êtes toujours là car votre estime de vous-même et votre audace insensée a su gagner ma confiance et mon respect. Je m’égare, maître, mais vous aussi, ne vous perdez point dans mes heures de colère. Vous ne le méritez point. Résistez-moi, maître !
Il s’inclina profondément devant elle.
- Madame désire-t-elle un duel ?
- Sottises ! Je vous ai manqué de respect, maître nécromancien ! Giflez-moi ! Frappez-moi ! Réduisez-moi en cendres par votre magie !
- Je mourrai si je fais cela, comtesse.
- Couard !
- Je ne suis pas Ashur.
Manon crut que sa mère allât empaler le vieux maître sur la pointe de son épée, et dégaina la sienne d’un mouvement fluide et imperceptible par sa rapidité surnaturelle. La vampirette bondit de son pégase telle une ombre, et se retrouva immédiatement entre la dame d’Essen et le nécromancien.
L’attaque qu’elle attendait ne vint pas ; à la place, elle vit ceux qu’elle voulut séparer la regarder avec un air de surprise et d’incrédulité.
Ils demeurèrent ainsi figés pendant un petit moment, quand enfin la comtesse sourit, puis rit doucement, ramenant involontairement sa main vers sa bouche.
- Maître, suis-je vraiment éveillée, ou est-ce un autre rêve commandité par Mannfred le Méprisable ? Je ne saurais juger par moi-même !
Von Nettesheim, se sentant largement dépassé par les événements, peina à lui répondre. Affichant néanmoins un sourire en coin, il intima par des gestes discrets à la vampirette de se retirer, et acheva de ramasser les morceaux d’or aussi rapidement qu’il le put. Il se releva alors, l’étoffe pesant lourdement dans ses mains crispées sur le tissu, et s’inclina en prononçant :
- Je prends congé par vos ordres, comtesse. Portez-vous bien jusqu’à mon retour.
Il s’inclina ensuite devant Manon, qui crut apercevoir un clin d’œil au travers des épais sourcils grisonnants du vieux maître ; puis le nécromancien pivota et se mit en marche sur un semblant de chemin forestier.
A quelques lieues de là, la ville d’Essen se teintait de dorures sous les premiers rayons du soleil.
- Mère…
La comtesse et sa fille étaient à présent assises au pied d’un grand sapin, imposant par l’épaisseur de son tronc, la hauteur de sa cime et la vieillesse de son écorce. Il s’agissait d’un des rares lieux secs de la forêt, qui, curieusement, se voyaient délaissés par la rosée matinale. Le sol était recouvert d’humus et d’aiguilles mortes, et sentait fort la résine et la fraicheur de l’hiver. Quant la vampirette se posa dessus, sa mère ne put cette fois-ci refuser l’invitation de la suivre, quelque peu lasse de faire des remontrances de bon ou mauvais goût, espérant qu’il ne s’agirait que de dernières heures passées en pleine nature avant de pouvoir enfin retrouver le confort d’un manoir. Les montures des dames d’Essen étaient figées à quelques pas de leur couvert végétal, et encore plus loin, quasiment indiscernables dans l’ombre des sous-bois, attendaient les chevaliers noirs et leur roi, attendaient avec la patience de la mort et de la servitude aveugle.
Le vent se leva, faisant quelques éclaircies dans l’épaisse frondaison forestière, laissant cligner quelques fugaces filets de lumière…
- Mère, puis-je… - elle faillit dire « vous poser une question ? », mais décida alors de prendre plus d’assurance et demander franchement : - Qui est Ashur pour vous, exactement ?
En posant cette question, elle regarda attentivement sa mère de ses prunelles couleur de sang, et la comtesse sentit ce regard, mais ne voulut pas le croiser.
- C’est un ami très cher, - dit-elle après un court moment d’hésitation, - un ami, mais aussi un amant ; un amant, mais aussi un père ; un père, mais aussi un rival, une limite, un sommet à atteindre et à franchir, – elle regarda enfin sa fille, - inutile de me fixer de la sorte, tu pourras difficilement comprendre autrement que si je n’essaie de te le raconter.
Manon baissa le regard tout d’un coup, penaude, et attendit que sa mère reprenne.
- Puisque ce sont les dernières heures d’attente avant de rentrer enfin chez nous, profite de ces moments, ma fille, car ta mère ne sera pas toujours aussi bavarde que depuis que ce maître de la nuit a franchi les portes du manoir du haut col. Ashur est un vampire, comme toi et moi, mais bien plus puissant et bien plus ancien que toi ou moi puissions l’imaginer. Von Nettesheim n’a pu retracer ses origines exactes quand je le lui ai demandé pour la première fois, et ce n’est pas peu dire !
- Quant à notre rencontre, elle remonte à il y a environ cinq-cents ans, à peine quelques années avant les premières guerres des comtes vampires que tu connais bien assez. Ashur me dit bien plus tard que la raison de son arrivée aux environs d’Essen était qu’il avait vu depuis ses montagnes une comète verte s’écraser quelque part dans la région, et que son pouvoir l’attirait irrésistiblement. Sa folie et sa désinvolture le firent errer dans la contrée bien plus longtemps qu’il ne l’aurait fallu, surtout pour lui, aussi arriva-t-il seulement un an après la destruction de Mordheim.
- La comète verte était la boule de malepierre qui détruisit Mordheim ? – Manon connaissait l’histoire, venant surtout du fait que dans le temps, il lui avait été formellement interdit ne serait-ce que d’approcher de la forêt qui bordait la ville maudite.
- Je le crois, en effet.
La comtesse se sentait à présent replonger librement dans ses souvenirs, comme le fait de raconter son histoire dépoussiérait ces quelques pages importantes de son existence.
- Le vampire qui me donna le baiser de sang, ce fut lui.
La vampirette se retint de justesse de dire « Je sais ! », et encouragea sa mère à continuer.
- Tout de suite ? Au moment-même de votre rencontre ?
- Oh ? Non, la mortelle que j’étais fut enlevée loin de chez elle, au plus profond des montagnes, dans la grotte que tu connais à présent. Aux dires de mon ravisseur, il avait trouvé en moi ce qu’il voulait, et la comète verte ne l’intéressait plus. Quant à moi, je n’eus d’autre choix que de vivre auprès de lui, au point que j’en perdis la raison, et décidai, je ne saurai jamais pourquoi de partager son existence à jamais…
Manon se leva tout d’un coup.
- Mère, vous… Je… - elle se sentit défaillir.
Elle regrettait d’avoir écouté sa mère, dont l’histoire lui paraissait beaucoup trop belle pour être vraie. Au plus profond d’elle-même, la vampirette ressentait quelque chose de brûlant ; pourquoi sa mère avait-elle droit à tout, mais pas elle ? Pourquoi devait-elle toujours rester dans l'ombre de sa gloire, de son âge, de sa puissance ? Elle souffrait cela comme un venin qui se répandait lentement dans ses entrailles, une colère sourde qu’elle ressentait envers sa mère de plus en plus, comme si quelque part, dans un détour caché de la réalité qu'elle ne percevait que maintenant, celle-ci l’aurait eu trahie…
- ÇA SUFFIT ! – s’écria-t-elle soudain.
Ignorant le regard ébahi de sa mère, elle fut sur son pégase en un clin d’œil, et le fit galoper aussi vite que sa force nécromantique le lui permettait.
Il fallut quelques longs instants à Delphine d’Essen pour se remettre de sa stupéfaction ; « Manon, Manon ! » - cria-t-elle.
Nul doute que sa fille l’entendait, mais son appel resta sans réponse. Se sentant subitement impuissante, elle réalisa qu’elle venait de rater sa chance de pouvoir encore la rattraper.
Le vent souffla à nouveau, dévoilant une fois encore quelques rayons de soleil perçant à travers les branches.
« MANON ! »
Le destrier écarlate bondit devant elle. La comtesse monta, et, suivie de ses chevaliers d’outre-tombe, se mit désespérément sur les traces de sa fille, craignant le pire.
La vampirette fuyait. Elle voulait atrocement voir une autre personne qu’elle sentait susceptible de la guérir de ce malaise cuisant qui la rongeait tout entière : la prêtresse blanche qu’elle avait laissée aux mains des siens. Les appels de sa mère lui parvenaient, mais elle ne voulait pas y répondre. Aussi aimante qu’elle pouvait être, la comtesse la prenait encore et toujours de haut, et Manon d’Essen ne voulait plus la voir. Elle avait envie de voir la mortelle qu’elle avait secouru naguère, et nul ne l’en empêcherait.
Sa chevauchée effrénée la conduisit jusqu’à l’orée de la forêt, là où l’ombre des arbres laissait place au ciel bleu clair, et à la mort certaine et définitive, mais elle s’y était préparée.
Maîtrisant sa monture comme une seconde partie de son corps, elle se glissa habilement au ventre du pégase, accrochant ses mains gantées aux jointures des deux ailes, et bloquant ses pieds quelque part entre les vertèbres de la créature, là où il n’y avait plus de chair.
Ainsi à l’ombre de Rêve brisé, elle lui ordonna de déployer ses ailes et de rejoindre les airs, et la liberté.
Les feuilles mortes à côté se mouvaient légèrement sous la brise matinale, alors que leurs contours s’éclaircissaient à mesure que l’obscurité de la nuit laissait place à un frileux lever du soleil.
Comment pouvait-elle voir quoi que ce soit autour d’elle ? Comment pouvait-elle ressentir la moindre émotion, alors qu’Ashur était parti, parti aussi soudainement qu’il était arrivé, la laissant subitement à nouveau seule à décider de ce qu’elle voulait, de ce qu’elle faisait, du sort qu’elle réservait aux mortels comme aux immortels qu’elle rencontrait.
Quelle atrocité que de ne rien vouloir ressentir. Il faut alors agir sur le champ.
- Maître Friedrich !
Le destrier d’ombre, invocation du vampire millénaire, s’était dissipé depuis un certain moment, laissant subitement le nécromancien à pied, assez dépité et assis depuis sur une des souches environnantes. L’appel de la comtesse le fit sursauter.
- MAITRE FRIEDRICH !
Ses prunelles flamboyaient de colère. L’impatience exacerbée s’y lisait comme dans un livre ouvert. Von Nettesheim se leva prestement, et s’inclina.
- Vos ordres, comtesse ?
- Prenez cet or, allez dans la ville des mortels, et transformez cet or en manoir. Ma fille et moi vous attendrons ici.
Manon d’Essen n’était pas descendue de son pégase mort-vivant, se demandant ce qui pouvait bien causer le mutisme si prolongé de sa mère ; elle aussi fut surprise par sa fin si abrupte. Cependant, le ton que prenait la conversation entre la comtesse et le maître lui indiquait instinctivement de rester discrète et silencieuse.
Von Nettesheim se figea l’espace de quelques instants. Quelque chose n’allait pas avec la dame d’Essen, mais s’il n’obéissait pas en l’occurrence, sa récente résurrection serait stupidement vaine. Marmonnant quelques paroles pour soi-même, il se rapprocha à grands pas des bouts de métal gisant par terre, et se mit à les ramasser et les remettre dans l’étoffe de tissu.
- SUFFIT !
Le second cri de la comtesse paralysa à nouveau le vieux maître. Lentement, il se leva, maintenant son regard abaissé, en humble serviteur.
- Oui, comt…
- Maître… - sa voix se brisa subitement. – Levez votre regard vers le mien, maître, - elle le scruta un moment, puis descendit de sa monture, se retourna vers lui. Ils étaient à peu près de la même taille, si ce n’est que le nécromancien avait le dos légèrement courbé par le poids des années.
Cela arrivait rarement, très rarement que le vieux maître ne pouvait deviner les pensées véritables de la comtesse, alors-même qu’il la regardât droit dans les yeux.
- Qui croyez-vous être pour moi, à votre avis ? – lui dit-elle, - Ne répondez pas, je vais vous le dire. Vous, Friedrich von Nettesheim, êtes le seul et unique mortel qu’il me reste à estimer dans ce monde. Le seul qui ait assez de volonté pour pouvoir me résister, mais aussi celui qui ne souffrira jamais ma vengeance pour insoumission. Vous êtes toujours là car votre estime de vous-même et votre audace insensée a su gagner ma confiance et mon respect. Je m’égare, maître, mais vous aussi, ne vous perdez point dans mes heures de colère. Vous ne le méritez point. Résistez-moi, maître !
Il s’inclina profondément devant elle.
- Madame désire-t-elle un duel ?
- Sottises ! Je vous ai manqué de respect, maître nécromancien ! Giflez-moi ! Frappez-moi ! Réduisez-moi en cendres par votre magie !
- Je mourrai si je fais cela, comtesse.
- Couard !
- Je ne suis pas Ashur.
Manon crut que sa mère allât empaler le vieux maître sur la pointe de son épée, et dégaina la sienne d’un mouvement fluide et imperceptible par sa rapidité surnaturelle. La vampirette bondit de son pégase telle une ombre, et se retrouva immédiatement entre la dame d’Essen et le nécromancien.
L’attaque qu’elle attendait ne vint pas ; à la place, elle vit ceux qu’elle voulut séparer la regarder avec un air de surprise et d’incrédulité.
Ils demeurèrent ainsi figés pendant un petit moment, quand enfin la comtesse sourit, puis rit doucement, ramenant involontairement sa main vers sa bouche.
- Maître, suis-je vraiment éveillée, ou est-ce un autre rêve commandité par Mannfred le Méprisable ? Je ne saurais juger par moi-même !
Von Nettesheim, se sentant largement dépassé par les événements, peina à lui répondre. Affichant néanmoins un sourire en coin, il intima par des gestes discrets à la vampirette de se retirer, et acheva de ramasser les morceaux d’or aussi rapidement qu’il le put. Il se releva alors, l’étoffe pesant lourdement dans ses mains crispées sur le tissu, et s’inclina en prononçant :
- Je prends congé par vos ordres, comtesse. Portez-vous bien jusqu’à mon retour.
Il s’inclina ensuite devant Manon, qui crut apercevoir un clin d’œil au travers des épais sourcils grisonnants du vieux maître ; puis le nécromancien pivota et se mit en marche sur un semblant de chemin forestier.
A quelques lieues de là, la ville d’Essen se teintait de dorures sous les premiers rayons du soleil.
***
- Mère…
La comtesse et sa fille étaient à présent assises au pied d’un grand sapin, imposant par l’épaisseur de son tronc, la hauteur de sa cime et la vieillesse de son écorce. Il s’agissait d’un des rares lieux secs de la forêt, qui, curieusement, se voyaient délaissés par la rosée matinale. Le sol était recouvert d’humus et d’aiguilles mortes, et sentait fort la résine et la fraicheur de l’hiver. Quant la vampirette se posa dessus, sa mère ne put cette fois-ci refuser l’invitation de la suivre, quelque peu lasse de faire des remontrances de bon ou mauvais goût, espérant qu’il ne s’agirait que de dernières heures passées en pleine nature avant de pouvoir enfin retrouver le confort d’un manoir. Les montures des dames d’Essen étaient figées à quelques pas de leur couvert végétal, et encore plus loin, quasiment indiscernables dans l’ombre des sous-bois, attendaient les chevaliers noirs et leur roi, attendaient avec la patience de la mort et de la servitude aveugle.
Le vent se leva, faisant quelques éclaircies dans l’épaisse frondaison forestière, laissant cligner quelques fugaces filets de lumière…
- Mère, puis-je… - elle faillit dire « vous poser une question ? », mais décida alors de prendre plus d’assurance et demander franchement : - Qui est Ashur pour vous, exactement ?
En posant cette question, elle regarda attentivement sa mère de ses prunelles couleur de sang, et la comtesse sentit ce regard, mais ne voulut pas le croiser.
- C’est un ami très cher, - dit-elle après un court moment d’hésitation, - un ami, mais aussi un amant ; un amant, mais aussi un père ; un père, mais aussi un rival, une limite, un sommet à atteindre et à franchir, – elle regarda enfin sa fille, - inutile de me fixer de la sorte, tu pourras difficilement comprendre autrement que si je n’essaie de te le raconter.
Manon baissa le regard tout d’un coup, penaude, et attendit que sa mère reprenne.
- Puisque ce sont les dernières heures d’attente avant de rentrer enfin chez nous, profite de ces moments, ma fille, car ta mère ne sera pas toujours aussi bavarde que depuis que ce maître de la nuit a franchi les portes du manoir du haut col. Ashur est un vampire, comme toi et moi, mais bien plus puissant et bien plus ancien que toi ou moi puissions l’imaginer. Von Nettesheim n’a pu retracer ses origines exactes quand je le lui ai demandé pour la première fois, et ce n’est pas peu dire !
- Quant à notre rencontre, elle remonte à il y a environ cinq-cents ans, à peine quelques années avant les premières guerres des comtes vampires que tu connais bien assez. Ashur me dit bien plus tard que la raison de son arrivée aux environs d’Essen était qu’il avait vu depuis ses montagnes une comète verte s’écraser quelque part dans la région, et que son pouvoir l’attirait irrésistiblement. Sa folie et sa désinvolture le firent errer dans la contrée bien plus longtemps qu’il ne l’aurait fallu, surtout pour lui, aussi arriva-t-il seulement un an après la destruction de Mordheim.
- La comète verte était la boule de malepierre qui détruisit Mordheim ? – Manon connaissait l’histoire, venant surtout du fait que dans le temps, il lui avait été formellement interdit ne serait-ce que d’approcher de la forêt qui bordait la ville maudite.
- Je le crois, en effet.
La comtesse se sentait à présent replonger librement dans ses souvenirs, comme le fait de raconter son histoire dépoussiérait ces quelques pages importantes de son existence.
- Le vampire qui me donna le baiser de sang, ce fut lui.
La vampirette se retint de justesse de dire « Je sais ! », et encouragea sa mère à continuer.
- Tout de suite ? Au moment-même de votre rencontre ?
- Oh ? Non, la mortelle que j’étais fut enlevée loin de chez elle, au plus profond des montagnes, dans la grotte que tu connais à présent. Aux dires de mon ravisseur, il avait trouvé en moi ce qu’il voulait, et la comète verte ne l’intéressait plus. Quant à moi, je n’eus d’autre choix que de vivre auprès de lui, au point que j’en perdis la raison, et décidai, je ne saurai jamais pourquoi de partager son existence à jamais…
Manon se leva tout d’un coup.
- Mère, vous… Je… - elle se sentit défaillir.
Elle regrettait d’avoir écouté sa mère, dont l’histoire lui paraissait beaucoup trop belle pour être vraie. Au plus profond d’elle-même, la vampirette ressentait quelque chose de brûlant ; pourquoi sa mère avait-elle droit à tout, mais pas elle ? Pourquoi devait-elle toujours rester dans l'ombre de sa gloire, de son âge, de sa puissance ? Elle souffrait cela comme un venin qui se répandait lentement dans ses entrailles, une colère sourde qu’elle ressentait envers sa mère de plus en plus, comme si quelque part, dans un détour caché de la réalité qu'elle ne percevait que maintenant, celle-ci l’aurait eu trahie…
- ÇA SUFFIT ! – s’écria-t-elle soudain.
Ignorant le regard ébahi de sa mère, elle fut sur son pégase en un clin d’œil, et le fit galoper aussi vite que sa force nécromantique le lui permettait.
Il fallut quelques longs instants à Delphine d’Essen pour se remettre de sa stupéfaction ; « Manon, Manon ! » - cria-t-elle.
Nul doute que sa fille l’entendait, mais son appel resta sans réponse. Se sentant subitement impuissante, elle réalisa qu’elle venait de rater sa chance de pouvoir encore la rattraper.
Le vent souffla à nouveau, dévoilant une fois encore quelques rayons de soleil perçant à travers les branches.
« MANON ! »
Le destrier écarlate bondit devant elle. La comtesse monta, et, suivie de ses chevaliers d’outre-tombe, se mit désespérément sur les traces de sa fille, craignant le pire.
La vampirette fuyait. Elle voulait atrocement voir une autre personne qu’elle sentait susceptible de la guérir de ce malaise cuisant qui la rongeait tout entière : la prêtresse blanche qu’elle avait laissée aux mains des siens. Les appels de sa mère lui parvenaient, mais elle ne voulait pas y répondre. Aussi aimante qu’elle pouvait être, la comtesse la prenait encore et toujours de haut, et Manon d’Essen ne voulait plus la voir. Elle avait envie de voir la mortelle qu’elle avait secouru naguère, et nul ne l’en empêcherait.
Sa chevauchée effrénée la conduisit jusqu’à l’orée de la forêt, là où l’ombre des arbres laissait place au ciel bleu clair, et à la mort certaine et définitive, mais elle s’y était préparée.
Maîtrisant sa monture comme une seconde partie de son corps, elle se glissa habilement au ventre du pégase, accrochant ses mains gantées aux jointures des deux ailes, et bloquant ses pieds quelque part entre les vertèbres de la créature, là où il n’y avait plus de chair.
Ainsi à l’ombre de Rêve brisé, elle lui ordonna de déployer ses ailes et de rejoindre les airs, et la liberté.
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Jeu 13 Mar 2014 - 10:39
Suite intéressante bien qu'à mon goût, beaucoup top courte.
En fait, elle pose plus de question qu'elle ne donne de réponse et cela nous donne envie de lire la suite.
La fin est bien parce que si tu t'étais arrêté à l'avant dernière phrase, je crois que j'aurais crié au scandale question des fin nulles. Tu l'as donc échappé belle.
Et la suite, elle est pour quand ?
En fait, elle pose plus de question qu'elle ne donne de réponse et cela nous donne envie de lire la suite.
La fin est bien parce que si tu t'étais arrêté à l'avant dernière phrase, je crois que j'aurais crié au scandale question des fin nulles. Tu l'as donc échappé belle.
Et la suite, elle est pour quand ?
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Jeu 13 Mar 2014 - 16:27
C'est cool, on connait à peu près l'âge de Delphine maintenant. Et ça voudrait dire qu'il se sont rencontrés en l'an 2000 !
Je veux la suite
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Ven 21 Mar 2014 - 12:16
HUHUHAHAHAHAHA ! Oui, Arken, tu peux passer mes sincères remerciements aux lahmianes, car je me réjouis de pouvoir publier cette (longue ?) suite...
***
Le soleil avait depuis longtemps atteint son zénith. Dans le ciel froid, mais dénué de nuages, la cavalière de la non-vie continuait sa périlleuse traversée. Un être humain aurait depuis longtemps lâché prise pour tomber vers une mort certaine, mais la vampirette se cramponnait fermement à son pégase et ne ressentait aucune trace de fatigue. Bien au contraire : tous ses sens étaient désormais en éveil. C’était elle qui insufflait chaque mouvement, chaque battement d’aile à sa monture, et c’était par sa volonté que l’ombre de Rêve brisé la recouvrait toute entière.
La majeure partie de son temps, le pégase devait remuer l’air sans arrêt afin de rester en altitude, et les rares fois où il pouvait planer sur un courant d’air ascendant, Manon s’en servait pour voir les alentours et vérifier qu’elle volait dans la bonne direction. Même à plusieurs centaines de pieds du sol, elle retraçait aisément son chemin depuis la vieille grange, où tant de choses avaient eu lieu en peu de temps.
Elle frémit en revoyant un instant le visage cruel et implacable d’Ashur, l’expression horrifiée de sa mère et le cadavre mutilé du vieux tenancier qu’elle avait vidé de son sang.
Sa mère lui avait menti. Le voile d’absurdités qu’elle avait gobées pendant tant d’années n’était plus. Jamais les mortels ne mouraient volontairement pour la nourrir. Jamais Manon ne s’était sentie aussi naïve. Elle savait qu’elle ne devait rien regretter, mais la rancune contre sa mère perdurait.
Sa mère qui la poursuivait, mais qu’elle ne voulait pas revoir.
Un ordre informulé, et le pégase mort-vivant remua ses ailes de plus belle.
43ème partie.
A quelques lieues de là, la ville d’Essen bourdonnait du peu d’activité que présentaient ses rues. Un convoi de passage s’était installé sur la petite place du marché, et essayait depuis un moment d’écouler quelques articles de draperies, vaisselle en étain, coffres et coffrets et autres breloques que seule la petite bourgeoisie pouvait espérer s’offrir.
Dans les maisons de bois renforcé de crépis, la plupart des habitants achevaient un plus ou moins copieux repas de midi, les plus riches assis autour d’une table en bois recouverte d’un drap de laine, les plus pauvres parfois contraints de s’assoir directement par terre. Leur vie ordinaire oscillait entre le travail de bucheron, de potier, de cordonnier, de menuisier, de charpentier, de forgeron, de tailleur, de boulanger, de tavernier, de milicien ou de soldat régulier, et la prière. A Sigmar au temple modeste, mais bien arrangé de la ville, à Taal et Rhya pour les quelques rares chasseurs et maraîchers, à Ulric pour beaucoup de soldats, à Shallya pour la plupart des femmes, à Morr pour tout le monde.
C’est peu dire qu’à part la piété et la force des armes, peu de choses retenaient la ville d’Essen d’être rapidement submergée par les forces de la corruption, les hommes-bêtes et les mutations qui pullulaient dans la forêt de la mort toute proche, à l’Ouest. Heureusement, disaient ceux qui vénéraient Manaan, que la ville était protégée de deux côtés par le Stir du Nord et son affluent. De solides remparts de bois séparaient la face Nord-Est de la ville de la forêt d’Essen, bien moins dangereuse mais néanmoins connue pour abriter quelques hardes d’hommes-bêtes fort hargneux de s’être fait repousser par les générations d’essenbourgeois précédentes.
C’est à travers ces mêmes remparts que le maître Friedrich avait du passer, soulevant alors un grand nombre de questions de la part de la garnison qui gardait l’accès aux portes de la ville. Ce n’est qu’après avoir improvisé une histoire digne des plus fervents adorateurs du dieu des coquins que le nécromancien put enfin fouler la boue de la Grand’rue d’Essen, ville jumelée à Mordheim, jadis capitale de l’Ostermark, maintenant puits insondable de malédictions qui attiraient les pires horreurs de toute la contrée. C’est à grand peine que les habitants purent se défaire de son influence néfaste.
« OH ! Regarde un peu où tu vas, pendard ! »
Von Nettesheim, qui n’en finissait pas de constater la médiocrité locale de l’architecture, se fit subitement violemment bousculer par un petit groupe de soldats passablement peu disposés à la galanterie. Chacun portait des frasques en tissu grossier, ainsi qu’une sorte de plastron en cuir qui recouvrait le dos et la poitrine. Chacun avait de gros bras, et devait aimer s’en servir contre autre chose que des ennemis forts en force ou en nombre.
Le nécromancien fut projeté dans la crasse, et atterrit durement sur le derrière. Les gardes, peut-être amusés par l’humiliation qu’ils lui avaient fait subir, émirent quelques uns un rire gras, d’autres esquissèrent un sourire. Puis le groupe continua son chemin, comme si de rien n’était.
Il se retint fort heureusement de les exterminer de suite, puis se releva péniblement, vérifiant que sa seule possession précieuse était toujours sur lui. Il la retrouva toujours dissimulée dans les plis de sa robe : un éclat d’or pur, un seul de tous ceux offerts par Ashur avant son départ ; le vieux maître bénissait à présent sa prudence qui l’avait fait cacher les autres avant de parvenir aux palissades de la ville. Si jamais une telle fortune venait à être exposée aux yeux de tous… Autant jeter un os parmi des chiens affamés.
La seule maison qui se distinguait des autres possédait trois étages. Si quelqu’un pouvait bien avoir assez de fortune pour monnayer son trésor en pièces sonnantes et trébuchantes, ce devait être le propriétaire de cette imposante bâtisse. Evitant à présent les passants aussi bien que les flaques, von Nettesheim se mit en marche vers la grande maison.
- Cent pistoles d’argent ? Cent pistoles d’argent ?! Me prendriez-vous pour un ignare, monsieur le joailler ?
Friedrich von Nettesheim, ou Karl Rembrandt, comme il se présenta au logis du bourgmestre d’Essen, n’en croyait pas ses oreilles et pensait bien empocher pas moins de cent couronnes d’or pour la grosse pépite qu’il avait présentée aux yeux du seigneur. Celui-ci, toisant d’un air suspicieux la robe délabrée du nécromancien, s’empressa de faire quérir une espèce de jeune notaire qu’il prétendait impartial, et ce fut avec lui que le vieux maître se vit alors contraint de marchander.
- Herr Rembrandt, - rétorqua cet homme en haussant les sourcils, - je ne comprends pas votre indignation. Vous ne trouverez pas de meilleur prix nulle part dans la contrée !
Von Nettesheim ravala sa réplique. Cet imbécile de laquais déguisé disait certainement vrai, car pour le peu qu’il avait vu de la ville en arrivant, les gens fortunés évitaient le lieu comme la peste, et les habitants les plus aisés pouvaient seulement se vanter de posséder un habitacle décent et sans trop de mauvaises odeurs. Il fallait jouer serrer tout de même afin de pouvoir saigner ce bourgmestre autant qu’il le faudrait.
- Cela s’entend, cela s’entend, - glissa-t-il d’une voix légèrement plus affable, mais voyez-vous, le paiement pourrait aussi s’opérer selon les frais du notaire… - il regarda son interlocuteur d’un air qui se voulait complice.
Avant de répondre, le fripon jeta un vif regard aux alentours. C’était une journée tranquille, il n’y avait personne à part eux dans la petite salle de doléances du bourgmestre, et ce dernier était monté profiter de ce calme à l’étage de sa maison.
La rapidité avec laquelle le vieux lui proposait une part du gain dans le marché l’eut quelque peu décontenancé ; la pensée que tergiverser pouvait faire changer le vieux d’avis le rendit encore plus nerveux. Fébrile, il se tourna à nouveau vers le Herr Rembrandt, mais celui-ci affichait à présent un sourire bienveillant qui ne laissait rien discerner. Il fallait dire quelque chose, le maître pouvait revenir à tout moment pour entendre les avancements dans la négociation…
Le maître ne songeait aucunement à revenir, du moins, pas tant qu’il n’avait trouvé comment s’approprier les pouvoirs du sorcier qui s’était présenté chez lui avec une pépite d’or valant bien sa maison de trois étages, avec tous ses biens inclus. Il ne pouvait trouver d’autre explication qu’il s’agissait d’un de ces mages entrainés quelque part à Altdorf, mais celui-ci devait avoir une raison particulière de se trouver aussi loin de la capitale impériale, à Essen. Le bourgmestre faisait les cent pas dans sa chambrée, son regard passant aveuglement tantôt sur le solide bureau de chêne dont il était fier, tantôt sur son grand lit drapé de laine, mais rembourré de paille. Changer tout ceci en fourrures, duvet et beaux vêtements lui semblait une bonne idée, une très bonne idée même. Si seulement il trouvait un moyen de faire travailler ce sorcier pour lui…
Il remua tous les moyens que lui offrait sa tête qu’il savait bien ancrée sur les épaules, sinon il ne serait pas bourgmestre à l’heure qu’il est ! Menaces, cadeaux, duperies… Non, pour les duperies, il n’était pas trop fort… Même assis à son beau bureau de chêne, le maître de la ville ne trouvait pas.
Quand son serviteur arriva enfin lui dire que les accords ont été conclus, il fut surpris de voir le soleil déjà pencher vers la fin de l’après-midi, et il n’avait toujours pas trouvé de moyen pour son enrichissement… Diantre ! Il descendit néanmoins les escaliers à la suite du faux notaire. Les planches grincèrent, puis il fut enfin le couloir qui servait aussi d’antichambre entre la salle des doléances et ses quartiers personnels. Rapidement il le traversa, puis entra par la porte que son serviteur lui tint ouverte, puis referma derrière lui.
Le vieux Karl Rembrandt attendait là où on l’avait laissé, sa robe toujours aussi intrigante, son regard toujours aussi pénétrant, sa pépite toujours aussi scintillante à travers son poing serré. On eut dit qu’il le défiait, mais le bourgmestre s’empressa d’effacer cette impression.
- Ah, Herr Rembrandt, - dit-il d’un ton qui se voulait amical, - sommes nous donc enfin arrivés à un accord ?
- Comme il se doit, selon nos intérêts communs et la loi de votre seigneurie, - prononça von Nettesheim, énigmatique.
Le serviteur-notaire s’empressa de prendre la parole sous l’expression visiblement insatisfaite de son maître.
- Hum, hum, comme convenu, nous avons procédé comme il se doit, et nous sommes arrivés à la modeste somme de cinq-cents pistoles d’argent…
Le bourgmestre en eut le souffle coupé.
- DEHORS ! DEHORS IMMEDIATEMENT !
Rouge de colère, il manqua de donner un soufflet au révéré notaire avant que celui-ci ne pût décamper par la porte d’entrée et disparaître dehors.
Réalisant à l’instant suivant qu’il perdait son sang-froid et, peut-être, sa fortune, il lutta tant bien que mal pour reprendre contenance, alors que le maudit sorcier ne le lâchait pas du regard.
- Ahem, hum, hum…
Le vieux attendait, impassible.
- Veuillez accepter mes plus plates excuses pour ce malheureux malentendu ! – déclama d’une seule traite le bourgmestre, puis ajouta prestement : - Si vous le voulez bien, nous pourrions d’abord passez à table, et parler affaires ensuite !
Il contrôlait à peine son excitation, et von Nettesheim s’en félicitait.
- Mais, avec grand plaisir, monseigneur.
- Parfait, parfait…
Il invita ensuite le vieux sorcier à le suivre à l’étage, jusqu’à une salle à manger plutôt propre et bien éclairée, comportant une grande table, trois chaises et un tabouret.
- Mina ! Moka ! Servez donc à manger pour deux personnes !
Le nécromancien vit sa main se resserrer sur sa poitrine soudain palpitante.
- Herr Rembrandt ! – le bourgmestre crut à un malaise et voulut accourir le soutenir, mais le vieux lui fit signe que ça allait mieux. – Herr Rembrandt, voulez-vous un verre d’eau ?
- Non, - von Nettesheim s’efforça de sourire, - quelque chose de plus fort, si vous le permettez.
Rassuré, le bourgmestre appela de nouveau :
- Mina, ou Moka ! Enfin, l’une des deux, un fut d’hydromel, tout de suite !
Son invité fut à nouveau muet comme une tombe, mais il peinait à comprendre pourquoi. Sa perspicacité qui lui avait valu son titre et sa maison de trois étages lui faisaient curieusement défaut en ce jour, et le maître de la ville se félicitait du moins d’avoir pu le retenir chez soi pour gagner du temps, et peut-être glaner quelque petite chose compromettante qui pourrait le mettre à nouveau en position de force. Pourquoi cette impression bizarre quand il avait appelé ses servantes ? Simple faiblesse du corps, ou réaction traitresse ? C’était ce genre de détail auquel il fallait s’accrocher, l’expérience politique du bourgmestre l’avait prouvé à maintes reprises…
***
Chervania… Strana proklyataya…
L’exil. Il avait choisi l’exil au Sud, loin de sa terre natale. L’exil, plutôt que de faire subir sa malédiction aux siens. L’exil, depuis ses canines ressemblaient à celles d’un ours. L’exil, depuis que l’histoire de la tsarine déchue le hantait nuit et jour. L’exil, depuis qu’il avait tué des hommes et des femmes innocents, au moment où il avait perdu la raison.
Izgnanie. Izgoi ya teper’. I netou mne pouti obratnovo, - cette pensée ne le quittait plus depuis son départ, alors qu’un an entier s’était déjà écoulé.
I solntse mne bol’she ne svetit, i med mne bol’she ne p’etsa…
Le pire, et il le savait, c’est que ces sombres pensées lui revenaient toujours quand il avait besoin de tuer. Quand il avait désespérément besoin de tuer. Quand son corps l’obligeait à tuer puis à porter ses lèvres au sang du défunt.
- Heyo ! Qu’est que ce s’ra pour sa s’rie ?
Pourquoi était-il arrivé dans cette derevnya ? La réponse s’offrait trop facilement : pour le sang. Mais il ne pouvait pas. Pas comme ça. Il devait à nouveau faire comme il le faisait depuis un an : par le combat, bien que peu d’espoir il avait de trouver un adversaire honorable au beau milieu de nulle part.
Son cri retentit dans la vieille masure taverneuse tel le chant d’un cor :
- Sloushayte vse ! Ya, bogatyr’ kislevitskij, ischu smerti v chesnom boyu ! Kto otvazhitsa dat’ mne yevo ?
Il vit avec désespoir que les gens du cru n’avaient absolument rien compris. Certains prirent peur, d’autres rigolèrent un peu en discutant dans leur langue barbare, et celui qui devait être traktirschik lui demanda à nouveau s’il lui fallait « kek’ shose ». Alors que sa douleur dans les canines augmentait de minute en minute à présent. Sept jours il s’était retenu. Si rien ne le sauvait, il allait à nouveau perdre la raison et massacrer ces pauvres gens. Et cette fois-ci, il n’aurait pas la force de volonté de sortir pour déchainer sa fureur dans une forêt.
La lumière ne fut plus. Le feu dans l’âtre siffla tout d’un coup, puis s’éteignit, alors qu’un violent courant d’air souffla toutes les bougies. Un froid glacial s’engouffra dans la taverne à moitié en ruines, puis quand la pénombre se dissipa peu à peu, tous étaient morts.
Tous les humains innocents de la taverne, il ne sentait plus leurs cœurs battre. Effondrés sur leurs tables, ou par terre, tous avaient rendu l’âme en un instant.
Devant l’entrée de la masure lui faisait face un homme dont le pouvoir semblait vouloir obscurcir les cieux. Un homme engoncé dans une étrange armure recouvrant tout son corps, sauf sa tête. Un homme aux longs cheveux noirs et aux joues mal rasées, arborant un sourire bienveillant, mais son regard n’exprimait que cruauté et fin de toute vie sur terre.
- Bogatyr’ ? – dit-il. – Ya dam tebe chesnyj boj, drug. Ya lublu chesnye boï. Vynimaï svoj mech, ya zhdu ! – et il éclata d’un rire qui fit trembler le chevalier kislevite.
Celui-ci tremblait déjà, non de peur, mais de fureur, colère aveugle contre ce monstre qui paraissait tuer pour le loisir. Voila quelqu’un à qui il ne regretterait pas de boire le sang.
- Skazhi mne kto ty, zver’ ! Zatem ya prikonchu tebya na meste !
L’homme sourit et répondit :
- Ya – Ashur ! Zaschitnik Lahmii i nipponskij kniaz’ ! A kto ty takoj, bogatyr’ ?
- Ya – Alexandr Yurevitch, knyaz’ dubninskij ! Kto by ty ni byl, zaschischaysa !
Leurs épées furent dégainées, et la taverne de Folburg, pourtant sans histoires jusque là, servit d’arène à un énième affrontement particulièrement brutal entre maîtres de la nuit.
***
L’hydromel coulait à flots depuis un bon moment, et le bourgmestre n’arrêtait pas de se demander si le moment n’était pas finalement venu de s’attirer la sympathie du sorcier du métal et le faire transformer tout plein de choses en or… Le vieux semblait tout aussi enjoué par l’alcool que lui, et le maître de la ville croyait même des fois l’entendre entamer quelque chansonnette inconnue, ou remuer faiblement des mains et des pieds comme dans un grotesque simulacre de danse.
Mina et Moka, ses deux servantes, étaient surement les deux plus ravies de la soirée. Oh, était-ce déjà le soir ? Le bourgmestre ne l’avait pas remarqué… Quoi qu’il en soit, les deux servantes devaient probablement avoir touché à la boisson, elles aussi, car elles se comportaient de manière bien plus nonchalante par rapport à leur réserve habituelle, et jetaient aux deux hommes des regards emplis de malice et de charme. Il est vrai qu’elles étaient charmantes, ses servantes. Cela faisait à peine quelques jours qu’elles étaient entrées à son service, et déjà il sentait qu’il pouvait difficilement se passer de leurs services dont l’efficacité ne se voyait nulle part dans les autres maisons de riches qu’il lui était arrivé de visiter.
Elles étaient… envoutantes. En tant que bon maître, il se devait un beau jour leur trouver de bons maris, mais bon, lui qui étaient veuf depuis bien des années, en quoi n’était-il point un bon parti ?
- Karl, Kaarl ?? Hips ! – le bourgmestre dut faire un effort pour rester droit. – Alors, dites-moi, Karl, comment les trouvez-vous, mes deux servantes ?
Le vieux sorcier but encore une longue gorgée de sa chope avant de répondre.
- Eh bien… Hops ! Ma foi, fort attirantes, mon ami, fort attirantes !
Ils les entendirent soudain s’esclaffer du côté des cuisines.
- Ho, Kaarl ? Croyez-vous qu’elles peuvent nous entendre d’ici ? – il sentait que ce n’était pas bon, car il lui fallait se concentrer pour articuler.
- Oh, cher… Bien sûr que non, pardi ! Il y a un bon mur de ch-ch-chêne qui nous sépare, elles ne peuvent pas nous entendre !
- Splendide, Karl, splendiide… Écoutez, je vous trouve… vraiiment admirable, Karl, alors trêve de secrets entre nous ! Vous êtes un sorcier, n’est-ce pas, Karl, - pendant un instant, ses yeux fatigués par la boisson purent distinguer une lueur de menace dans le regard du vieux Karl. – Non non, ne vous inquiétez pas, hips ! Je ne vous dénoncerai pas ! J’ai une… une proposition à vous faire, Karl. Vous me changez tout en or, vous me faites ri…riche, et en échange je vous promets de vous garder en sécurité, et, - cette idée lui vint tout d’un coup, - je vous offre en mariage l’une de mes servantes, voila !
La réaction de son invité ne fut pas des plus alarmantes. Il éclata de rire, et rit tellement qu’il eut du mal à respirer au final. Le bourgmestre lui donna quelques tapes bienveillantes dans le dos.
- Je vous promets même de veiller sur votre santé, Karl…
- Haha… Ha… Aheum, - le vieux sorcier essuya quelques larmes de joie, - je ne sais pas quoi dire, mon ami, à part que votre proposition m’enchante au plus haut point ! Mais dites moi, pourrai-je habiter dans votre logis, donc ?
- Mais oui, mon cher !
- J’ai de la famille à Blutfurt, c’est là où j’allais au départ…
- Mais vous pouvez les faire venir, naturellement, tous autant que vous êtes ! – le bourgmestre se félicitait d’avoir pu régler l’affaire de sa vie malgré sa forte ébriété.
- Ah, monseigneur, vous êtes mon bienfaiteur !
- Allons, Karl, je… Hips ! Je vous ai dit cent fois de m’appeler par mon prénom, ou du moins par mon nom… Nous, h, h, hips, sommes amis à présent, vous s-savez ?
- Mais… - Von Nettesheim regarda le bourgmestre s’affaler lentement sur sa table. – Mais naturellement, mon cher von Essen.
La majeure partie de son temps, le pégase devait remuer l’air sans arrêt afin de rester en altitude, et les rares fois où il pouvait planer sur un courant d’air ascendant, Manon s’en servait pour voir les alentours et vérifier qu’elle volait dans la bonne direction. Même à plusieurs centaines de pieds du sol, elle retraçait aisément son chemin depuis la vieille grange, où tant de choses avaient eu lieu en peu de temps.
Elle frémit en revoyant un instant le visage cruel et implacable d’Ashur, l’expression horrifiée de sa mère et le cadavre mutilé du vieux tenancier qu’elle avait vidé de son sang.
Sa mère lui avait menti. Le voile d’absurdités qu’elle avait gobées pendant tant d’années n’était plus. Jamais les mortels ne mouraient volontairement pour la nourrir. Jamais Manon ne s’était sentie aussi naïve. Elle savait qu’elle ne devait rien regretter, mais la rancune contre sa mère perdurait.
Sa mère qui la poursuivait, mais qu’elle ne voulait pas revoir.
Un ordre informulé, et le pégase mort-vivant remua ses ailes de plus belle.
43ème partie.
A quelques lieues de là, la ville d’Essen bourdonnait du peu d’activité que présentaient ses rues. Un convoi de passage s’était installé sur la petite place du marché, et essayait depuis un moment d’écouler quelques articles de draperies, vaisselle en étain, coffres et coffrets et autres breloques que seule la petite bourgeoisie pouvait espérer s’offrir.
Dans les maisons de bois renforcé de crépis, la plupart des habitants achevaient un plus ou moins copieux repas de midi, les plus riches assis autour d’une table en bois recouverte d’un drap de laine, les plus pauvres parfois contraints de s’assoir directement par terre. Leur vie ordinaire oscillait entre le travail de bucheron, de potier, de cordonnier, de menuisier, de charpentier, de forgeron, de tailleur, de boulanger, de tavernier, de milicien ou de soldat régulier, et la prière. A Sigmar au temple modeste, mais bien arrangé de la ville, à Taal et Rhya pour les quelques rares chasseurs et maraîchers, à Ulric pour beaucoup de soldats, à Shallya pour la plupart des femmes, à Morr pour tout le monde.
C’est peu dire qu’à part la piété et la force des armes, peu de choses retenaient la ville d’Essen d’être rapidement submergée par les forces de la corruption, les hommes-bêtes et les mutations qui pullulaient dans la forêt de la mort toute proche, à l’Ouest. Heureusement, disaient ceux qui vénéraient Manaan, que la ville était protégée de deux côtés par le Stir du Nord et son affluent. De solides remparts de bois séparaient la face Nord-Est de la ville de la forêt d’Essen, bien moins dangereuse mais néanmoins connue pour abriter quelques hardes d’hommes-bêtes fort hargneux de s’être fait repousser par les générations d’essenbourgeois précédentes.
C’est à travers ces mêmes remparts que le maître Friedrich avait du passer, soulevant alors un grand nombre de questions de la part de la garnison qui gardait l’accès aux portes de la ville. Ce n’est qu’après avoir improvisé une histoire digne des plus fervents adorateurs du dieu des coquins que le nécromancien put enfin fouler la boue de la Grand’rue d’Essen, ville jumelée à Mordheim, jadis capitale de l’Ostermark, maintenant puits insondable de malédictions qui attiraient les pires horreurs de toute la contrée. C’est à grand peine que les habitants purent se défaire de son influence néfaste.
« OH ! Regarde un peu où tu vas, pendard ! »
Von Nettesheim, qui n’en finissait pas de constater la médiocrité locale de l’architecture, se fit subitement violemment bousculer par un petit groupe de soldats passablement peu disposés à la galanterie. Chacun portait des frasques en tissu grossier, ainsi qu’une sorte de plastron en cuir qui recouvrait le dos et la poitrine. Chacun avait de gros bras, et devait aimer s’en servir contre autre chose que des ennemis forts en force ou en nombre.
Le nécromancien fut projeté dans la crasse, et atterrit durement sur le derrière. Les gardes, peut-être amusés par l’humiliation qu’ils lui avaient fait subir, émirent quelques uns un rire gras, d’autres esquissèrent un sourire. Puis le groupe continua son chemin, comme si de rien n’était.
Il se retint fort heureusement de les exterminer de suite, puis se releva péniblement, vérifiant que sa seule possession précieuse était toujours sur lui. Il la retrouva toujours dissimulée dans les plis de sa robe : un éclat d’or pur, un seul de tous ceux offerts par Ashur avant son départ ; le vieux maître bénissait à présent sa prudence qui l’avait fait cacher les autres avant de parvenir aux palissades de la ville. Si jamais une telle fortune venait à être exposée aux yeux de tous… Autant jeter un os parmi des chiens affamés.
La seule maison qui se distinguait des autres possédait trois étages. Si quelqu’un pouvait bien avoir assez de fortune pour monnayer son trésor en pièces sonnantes et trébuchantes, ce devait être le propriétaire de cette imposante bâtisse. Evitant à présent les passants aussi bien que les flaques, von Nettesheim se mit en marche vers la grande maison.
- Cent pistoles d’argent ? Cent pistoles d’argent ?! Me prendriez-vous pour un ignare, monsieur le joailler ?
Friedrich von Nettesheim, ou Karl Rembrandt, comme il se présenta au logis du bourgmestre d’Essen, n’en croyait pas ses oreilles et pensait bien empocher pas moins de cent couronnes d’or pour la grosse pépite qu’il avait présentée aux yeux du seigneur. Celui-ci, toisant d’un air suspicieux la robe délabrée du nécromancien, s’empressa de faire quérir une espèce de jeune notaire qu’il prétendait impartial, et ce fut avec lui que le vieux maître se vit alors contraint de marchander.
- Herr Rembrandt, - rétorqua cet homme en haussant les sourcils, - je ne comprends pas votre indignation. Vous ne trouverez pas de meilleur prix nulle part dans la contrée !
Von Nettesheim ravala sa réplique. Cet imbécile de laquais déguisé disait certainement vrai, car pour le peu qu’il avait vu de la ville en arrivant, les gens fortunés évitaient le lieu comme la peste, et les habitants les plus aisés pouvaient seulement se vanter de posséder un habitacle décent et sans trop de mauvaises odeurs. Il fallait jouer serrer tout de même afin de pouvoir saigner ce bourgmestre autant qu’il le faudrait.
- Cela s’entend, cela s’entend, - glissa-t-il d’une voix légèrement plus affable, mais voyez-vous, le paiement pourrait aussi s’opérer selon les frais du notaire… - il regarda son interlocuteur d’un air qui se voulait complice.
Avant de répondre, le fripon jeta un vif regard aux alentours. C’était une journée tranquille, il n’y avait personne à part eux dans la petite salle de doléances du bourgmestre, et ce dernier était monté profiter de ce calme à l’étage de sa maison.
La rapidité avec laquelle le vieux lui proposait une part du gain dans le marché l’eut quelque peu décontenancé ; la pensée que tergiverser pouvait faire changer le vieux d’avis le rendit encore plus nerveux. Fébrile, il se tourna à nouveau vers le Herr Rembrandt, mais celui-ci affichait à présent un sourire bienveillant qui ne laissait rien discerner. Il fallait dire quelque chose, le maître pouvait revenir à tout moment pour entendre les avancements dans la négociation…
Le maître ne songeait aucunement à revenir, du moins, pas tant qu’il n’avait trouvé comment s’approprier les pouvoirs du sorcier qui s’était présenté chez lui avec une pépite d’or valant bien sa maison de trois étages, avec tous ses biens inclus. Il ne pouvait trouver d’autre explication qu’il s’agissait d’un de ces mages entrainés quelque part à Altdorf, mais celui-ci devait avoir une raison particulière de se trouver aussi loin de la capitale impériale, à Essen. Le bourgmestre faisait les cent pas dans sa chambrée, son regard passant aveuglement tantôt sur le solide bureau de chêne dont il était fier, tantôt sur son grand lit drapé de laine, mais rembourré de paille. Changer tout ceci en fourrures, duvet et beaux vêtements lui semblait une bonne idée, une très bonne idée même. Si seulement il trouvait un moyen de faire travailler ce sorcier pour lui…
Il remua tous les moyens que lui offrait sa tête qu’il savait bien ancrée sur les épaules, sinon il ne serait pas bourgmestre à l’heure qu’il est ! Menaces, cadeaux, duperies… Non, pour les duperies, il n’était pas trop fort… Même assis à son beau bureau de chêne, le maître de la ville ne trouvait pas.
Quand son serviteur arriva enfin lui dire que les accords ont été conclus, il fut surpris de voir le soleil déjà pencher vers la fin de l’après-midi, et il n’avait toujours pas trouvé de moyen pour son enrichissement… Diantre ! Il descendit néanmoins les escaliers à la suite du faux notaire. Les planches grincèrent, puis il fut enfin le couloir qui servait aussi d’antichambre entre la salle des doléances et ses quartiers personnels. Rapidement il le traversa, puis entra par la porte que son serviteur lui tint ouverte, puis referma derrière lui.
Le vieux Karl Rembrandt attendait là où on l’avait laissé, sa robe toujours aussi intrigante, son regard toujours aussi pénétrant, sa pépite toujours aussi scintillante à travers son poing serré. On eut dit qu’il le défiait, mais le bourgmestre s’empressa d’effacer cette impression.
- Ah, Herr Rembrandt, - dit-il d’un ton qui se voulait amical, - sommes nous donc enfin arrivés à un accord ?
- Comme il se doit, selon nos intérêts communs et la loi de votre seigneurie, - prononça von Nettesheim, énigmatique.
Le serviteur-notaire s’empressa de prendre la parole sous l’expression visiblement insatisfaite de son maître.
- Hum, hum, comme convenu, nous avons procédé comme il se doit, et nous sommes arrivés à la modeste somme de cinq-cents pistoles d’argent…
Le bourgmestre en eut le souffle coupé.
- DEHORS ! DEHORS IMMEDIATEMENT !
Rouge de colère, il manqua de donner un soufflet au révéré notaire avant que celui-ci ne pût décamper par la porte d’entrée et disparaître dehors.
Réalisant à l’instant suivant qu’il perdait son sang-froid et, peut-être, sa fortune, il lutta tant bien que mal pour reprendre contenance, alors que le maudit sorcier ne le lâchait pas du regard.
- Ahem, hum, hum…
Le vieux attendait, impassible.
- Veuillez accepter mes plus plates excuses pour ce malheureux malentendu ! – déclama d’une seule traite le bourgmestre, puis ajouta prestement : - Si vous le voulez bien, nous pourrions d’abord passez à table, et parler affaires ensuite !
Il contrôlait à peine son excitation, et von Nettesheim s’en félicitait.
- Mais, avec grand plaisir, monseigneur.
- Parfait, parfait…
Il invita ensuite le vieux sorcier à le suivre à l’étage, jusqu’à une salle à manger plutôt propre et bien éclairée, comportant une grande table, trois chaises et un tabouret.
- Mina ! Moka ! Servez donc à manger pour deux personnes !
Le nécromancien vit sa main se resserrer sur sa poitrine soudain palpitante.
- Herr Rembrandt ! – le bourgmestre crut à un malaise et voulut accourir le soutenir, mais le vieux lui fit signe que ça allait mieux. – Herr Rembrandt, voulez-vous un verre d’eau ?
- Non, - von Nettesheim s’efforça de sourire, - quelque chose de plus fort, si vous le permettez.
Rassuré, le bourgmestre appela de nouveau :
- Mina, ou Moka ! Enfin, l’une des deux, un fut d’hydromel, tout de suite !
Son invité fut à nouveau muet comme une tombe, mais il peinait à comprendre pourquoi. Sa perspicacité qui lui avait valu son titre et sa maison de trois étages lui faisaient curieusement défaut en ce jour, et le maître de la ville se félicitait du moins d’avoir pu le retenir chez soi pour gagner du temps, et peut-être glaner quelque petite chose compromettante qui pourrait le mettre à nouveau en position de force. Pourquoi cette impression bizarre quand il avait appelé ses servantes ? Simple faiblesse du corps, ou réaction traitresse ? C’était ce genre de détail auquel il fallait s’accrocher, l’expérience politique du bourgmestre l’avait prouvé à maintes reprises…
***
Chervania… Strana proklyataya…
L’exil. Il avait choisi l’exil au Sud, loin de sa terre natale. L’exil, plutôt que de faire subir sa malédiction aux siens. L’exil, depuis ses canines ressemblaient à celles d’un ours. L’exil, depuis que l’histoire de la tsarine déchue le hantait nuit et jour. L’exil, depuis qu’il avait tué des hommes et des femmes innocents, au moment où il avait perdu la raison.
Izgnanie. Izgoi ya teper’. I netou mne pouti obratnovo, - cette pensée ne le quittait plus depuis son départ, alors qu’un an entier s’était déjà écoulé.
I solntse mne bol’she ne svetit, i med mne bol’she ne p’etsa…
Le pire, et il le savait, c’est que ces sombres pensées lui revenaient toujours quand il avait besoin de tuer. Quand il avait désespérément besoin de tuer. Quand son corps l’obligeait à tuer puis à porter ses lèvres au sang du défunt.
- Heyo ! Qu’est que ce s’ra pour sa s’rie ?
Pourquoi était-il arrivé dans cette derevnya ? La réponse s’offrait trop facilement : pour le sang. Mais il ne pouvait pas. Pas comme ça. Il devait à nouveau faire comme il le faisait depuis un an : par le combat, bien que peu d’espoir il avait de trouver un adversaire honorable au beau milieu de nulle part.
Son cri retentit dans la vieille masure taverneuse tel le chant d’un cor :
- Sloushayte vse ! Ya, bogatyr’ kislevitskij, ischu smerti v chesnom boyu ! Kto otvazhitsa dat’ mne yevo ?
Il vit avec désespoir que les gens du cru n’avaient absolument rien compris. Certains prirent peur, d’autres rigolèrent un peu en discutant dans leur langue barbare, et celui qui devait être traktirschik lui demanda à nouveau s’il lui fallait « kek’ shose ». Alors que sa douleur dans les canines augmentait de minute en minute à présent. Sept jours il s’était retenu. Si rien ne le sauvait, il allait à nouveau perdre la raison et massacrer ces pauvres gens. Et cette fois-ci, il n’aurait pas la force de volonté de sortir pour déchainer sa fureur dans une forêt.
La lumière ne fut plus. Le feu dans l’âtre siffla tout d’un coup, puis s’éteignit, alors qu’un violent courant d’air souffla toutes les bougies. Un froid glacial s’engouffra dans la taverne à moitié en ruines, puis quand la pénombre se dissipa peu à peu, tous étaient morts.
Tous les humains innocents de la taverne, il ne sentait plus leurs cœurs battre. Effondrés sur leurs tables, ou par terre, tous avaient rendu l’âme en un instant.
Devant l’entrée de la masure lui faisait face un homme dont le pouvoir semblait vouloir obscurcir les cieux. Un homme engoncé dans une étrange armure recouvrant tout son corps, sauf sa tête. Un homme aux longs cheveux noirs et aux joues mal rasées, arborant un sourire bienveillant, mais son regard n’exprimait que cruauté et fin de toute vie sur terre.
- Bogatyr’ ? – dit-il. – Ya dam tebe chesnyj boj, drug. Ya lublu chesnye boï. Vynimaï svoj mech, ya zhdu ! – et il éclata d’un rire qui fit trembler le chevalier kislevite.
Celui-ci tremblait déjà, non de peur, mais de fureur, colère aveugle contre ce monstre qui paraissait tuer pour le loisir. Voila quelqu’un à qui il ne regretterait pas de boire le sang.
- Skazhi mne kto ty, zver’ ! Zatem ya prikonchu tebya na meste !
L’homme sourit et répondit :
- Ya – Ashur ! Zaschitnik Lahmii i nipponskij kniaz’ ! A kto ty takoj, bogatyr’ ?
- Ya – Alexandr Yurevitch, knyaz’ dubninskij ! Kto by ty ni byl, zaschischaysa !
Leurs épées furent dégainées, et la taverne de Folburg, pourtant sans histoires jusque là, servit d’arène à un énième affrontement particulièrement brutal entre maîtres de la nuit.
***
L’hydromel coulait à flots depuis un bon moment, et le bourgmestre n’arrêtait pas de se demander si le moment n’était pas finalement venu de s’attirer la sympathie du sorcier du métal et le faire transformer tout plein de choses en or… Le vieux semblait tout aussi enjoué par l’alcool que lui, et le maître de la ville croyait même des fois l’entendre entamer quelque chansonnette inconnue, ou remuer faiblement des mains et des pieds comme dans un grotesque simulacre de danse.
Mina et Moka, ses deux servantes, étaient surement les deux plus ravies de la soirée. Oh, était-ce déjà le soir ? Le bourgmestre ne l’avait pas remarqué… Quoi qu’il en soit, les deux servantes devaient probablement avoir touché à la boisson, elles aussi, car elles se comportaient de manière bien plus nonchalante par rapport à leur réserve habituelle, et jetaient aux deux hommes des regards emplis de malice et de charme. Il est vrai qu’elles étaient charmantes, ses servantes. Cela faisait à peine quelques jours qu’elles étaient entrées à son service, et déjà il sentait qu’il pouvait difficilement se passer de leurs services dont l’efficacité ne se voyait nulle part dans les autres maisons de riches qu’il lui était arrivé de visiter.
Elles étaient… envoutantes. En tant que bon maître, il se devait un beau jour leur trouver de bons maris, mais bon, lui qui étaient veuf depuis bien des années, en quoi n’était-il point un bon parti ?
- Karl, Kaarl ?? Hips ! – le bourgmestre dut faire un effort pour rester droit. – Alors, dites-moi, Karl, comment les trouvez-vous, mes deux servantes ?
Le vieux sorcier but encore une longue gorgée de sa chope avant de répondre.
- Eh bien… Hops ! Ma foi, fort attirantes, mon ami, fort attirantes !
Ils les entendirent soudain s’esclaffer du côté des cuisines.
- Ho, Kaarl ? Croyez-vous qu’elles peuvent nous entendre d’ici ? – il sentait que ce n’était pas bon, car il lui fallait se concentrer pour articuler.
- Oh, cher… Bien sûr que non, pardi ! Il y a un bon mur de ch-ch-chêne qui nous sépare, elles ne peuvent pas nous entendre !
- Splendide, Karl, splendiide… Écoutez, je vous trouve… vraiiment admirable, Karl, alors trêve de secrets entre nous ! Vous êtes un sorcier, n’est-ce pas, Karl, - pendant un instant, ses yeux fatigués par la boisson purent distinguer une lueur de menace dans le regard du vieux Karl. – Non non, ne vous inquiétez pas, hips ! Je ne vous dénoncerai pas ! J’ai une… une proposition à vous faire, Karl. Vous me changez tout en or, vous me faites ri…riche, et en échange je vous promets de vous garder en sécurité, et, - cette idée lui vint tout d’un coup, - je vous offre en mariage l’une de mes servantes, voila !
La réaction de son invité ne fut pas des plus alarmantes. Il éclata de rire, et rit tellement qu’il eut du mal à respirer au final. Le bourgmestre lui donna quelques tapes bienveillantes dans le dos.
- Je vous promets même de veiller sur votre santé, Karl…
- Haha… Ha… Aheum, - le vieux sorcier essuya quelques larmes de joie, - je ne sais pas quoi dire, mon ami, à part que votre proposition m’enchante au plus haut point ! Mais dites moi, pourrai-je habiter dans votre logis, donc ?
- Mais oui, mon cher !
- J’ai de la famille à Blutfurt, c’est là où j’allais au départ…
- Mais vous pouvez les faire venir, naturellement, tous autant que vous êtes ! – le bourgmestre se félicitait d’avoir pu régler l’affaire de sa vie malgré sa forte ébriété.
- Ah, monseigneur, vous êtes mon bienfaiteur !
- Allons, Karl, je… Hips ! Je vous ai dit cent fois de m’appeler par mon prénom, ou du moins par mon nom… Nous, h, h, hips, sommes amis à présent, vous s-savez ?
- Mais… - Von Nettesheim regarda le bourgmestre s’affaler lentement sur sa table. – Mais naturellement, mon cher von Essen.
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Ven 21 Mar 2014 - 16:46
Selon mon traducteur personnel, à part quelques mots, ce n'est pas du russe !
Mais sinon, j'attends la suite avec impatience, car ce n'est jamais suffisant
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Lun 24 Mar 2014 - 14:18
Je confirme la dernière phrase d'Arken en rajoutant une petite chose : c'est toujours aussi bien.
Et la suite, elle est pour quand ?
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Re: Vampire at war : chroniques d'Essen
Ven 28 Mar 2014 - 23:42
44ème partie.
Manon était agacée. Elle n’avait pu se résoudre à descendre vers le village avant que la nuit ne vienne dissimuler son arrivée, et le temps qu’elle avait perdu à attendre l’obscurité avait forcément permis à sa mère de réduire le peu d’avance que sa fille avait sur elle. Néanmoins, la vampirette ne sentait pas sa présence dans les environs ; quelque chose avait du arriver, quelque chose qui devait avoir fait changer sa mère d’avis, qui l’avait fait rebrousser chemin ou qui l’avait uniquement retardée. Cela l’arrangeait dans tous les cas, quoiqu’elle préférât ne pas s’interroger sur la nature de ce « quelque chose » qui la favorisait tant.
Le soleil n’était plus visible depuis longtemps, et de gros nuages s’amoncelaient lentement au Sud. Un vent fort s’était mis à souffler, obligeant les nuages à s’étendre peu à peu, grignotant le bleu du ciel à chaque instant. La nuit serait houleuse, ainsi le crut Manon.
Toujours alerte, elle fit descendre son pégase vers le village, essayant de s’assurer discrétion et rapidité à la fois, priant…
Qui pouvait-elle prier ? Cette question la surprit alors qu’elle atterrissait près de la vieille grange, où pour la première fois elle avait mis à mort un mortel conscient de son sort. Elle avait tué. Froidement. Ou plutôt, sans se soucier de la soif de vivre du mortel, mettant sa propre soif au dessus de toute autre… Qui pouvait-elle prier ? C’était l’une de ces questions qu’elle voulait ardemment poser à la prêtresse qui lui devait la vie sauve.
Le corps du vieux tavernier n’était plus là où il avait été abandonné la nuit précédente. Etait-ce les villageois qui l’avaient retrouvé puis mis en terre ? Oui, elle sentait toutes leurs odeurs imprégnant le sol et les murs de la grange. La prêtresse n’avait pas été parmi eux. Cela devait signifier qu’elle était encore malade, probablement encore alitée dans cette demeure des mortels van der Pfaltz. La vieille Annette… Non, Manon ne voulait plus se laisser attendrir. Elle ne voulait plus se laisser abuser par quiconque, que ce soit un mortel ou un immortel. En même temps, elle peinait à se trouver la force de volonté de se présenter ainsi au chevet de la prêtresse. Pas… Pas dure comme elle l’aurait voulu, ni douce comme elle ne le voulait pas désormais. Elle avait des questions, elle voulait lui parler, voila tout.
Elle sortit de la grange, et vit nombre d’étoiles apparaître au-dessus ; Mannslieb se préparait à monter au ciel. Manon contempla la terre aux alentours, toujours parsemée de vieux cadavres d’une récente bataille ? Ha, si elle se voyait contrainte à une retraite précipitée, elle aurait de quoi retenir d’éventuels mortels poursuivants. Confiante, elle se mit à courir.
La vampirette foulait à peine la terre de ses bottes de cuir ; s’il y avait quelque chose qu’elle avait appris des loups qu’elle affectionnait tant, c’était la furtivité.
A pas de loup, à peine moins rapide qu’un tel, elle fut auprès des premières habitations. Là, elle s’arrêta.
Tout était allé vite, et pendant quelques infimes instants elle se figea dans l’ombre d’un mur de crépi. Depuis bien des années son cœur ne battait plus, et son silence se fit curieusement ressentir, alors qu’elle devait se sentir plus angoissée que jamais…
- Wouf ! Wouf, wouf ! Waouuuuh !
- Arf ! Arf ! RRRRAARF !
Les aboiements soudains des chiens la firent sursauter. Elle se rappela en un éclair de les avoir entendus le matin du jour d’avant, mais alors elle n’y avait pas fait attention. Maintenant, les maudits molosses étaient à deux doigts de trahir sa présence.
Manon bondit sur le mur de crépi, fut en un instant sur un toit de chaume, sauta sur un toit voisin, puis sur un autre encore. Regarda en bas.
L’une des bêtes de garde, noire comme la nuit, aboyait férocement et luttait de toutes ses forces pour se libérer de la vieille chaine qui la retenait à sa niche. Elle huma l’air tout d’un coup, puis pivota son museau droit vers la créature impie perchée sur un toit. Quand leurs regards se croisèrent, la bête montra ses crocs, et se mit à grogner avec une telle hargne que la vampirette se crut un instant intimidée.
TUE la bête !
Une voix en elle. Ashur ?
TUE-la !
Non, c’était elle-même. La vraie Manon. La méchante, la damnée.
MAINTENANT !
Manon fixa le chien noir de ses prunelles rougeoyantes, et tenta d’imposer sa volonté sur la sienne pour le calmer, mais sans succès. La bête sentait d’où venait le danger, et semblait prête à mourir pour ses maîtres.
L’aboiement d’un autre chien s’entendait quelques maisons plus loin, affolé, comme si le molosse craignait que le ciel allât s’effondrer sur le village. Quant à celui qui faisait face à la vampirette, sa gueule écumait de bave, ses yeux étaient injectés de sang, il provoquait un vacarme du diable et essayait même de briser sa chaine avec ses crocs.
TUE la bête !
Manon paraissait figée sur son toit de chaume, perchée telle une gargouille des grands temples impériaux. Mentalement elle se voyait déjà dégainer son épée et la projeter sur le crâne de l’infâme cabot.
Il y eut alors de la lumière dans les fenêtres cloitrées des chaumières, des bougies allumées à la hâte, des cris affolés, des pleurs d’enfants réveillés… Ils s’éteignirent peu à peu, aussi vite qu’ils étaient apparus. Manon resta immobile encore un moment, interdite.
Puis elle comprit.
Les chiens avaient beau aboyer, mais les villageois ne sortaient pas de leurs maisons. Ils priaient peut-être, calmaient leurs marmots, vérifiaient les verrous sur chaque porte et chaque fenêtre, mais ils ne sortaient pas. La menace passerait sans doute, il fallait juste rester chez soi et prier que soit le voisin qui crève, et pas les siens.
Manon avait compris.
Elle sourit au molosse qui continuait désespérément son alarme, et bondit allègrement sur le toit de la chaumière de ses maîtres. La suivante était la bonne, car il y avait deux étages. Glissant sur le mélange de paille et d’argile, la vampirette fit un dernier saut périlleux, et s’accrocha sans faire de bruit au rebord de la fenêtre qui l’intéressait.
Quoi !
Ses narines furent assaillies par une puissante odeur sucrée, pure et fraîche, à la fois enivrante et dégoutante ; stupéfiée, Manon manqua de lâcher prise et dégringoler depuis le second étage. Ses mains gantées se crispèrent sur le rebord, elle releva la tête et vit la source de ce piège si anodin : une poignée de petites fleurs blanches était clouée aux volets, et chaque pétale diffusait cette odeur si suave et si repoussante à ses sens suraigus. Crétins de mortels ! Piètre rempart pour elle qui voulait ardemment passer outre cette fenêtre ! Ce n’est pas une fleur qui l’arrêtera !
Comme en réaction à sa volonté implacable, le petit bouquet se mit soudain à se tortiller, à jaunir, puis se fana complètement. Les pétales tombèrent l’une après l’autre. Il ne resta au final que le clou et le bout de ficelle qui liait les fleurs ensemble. A la bonne heure, - pensa Manon.
Elle s’y attendait : les volets étaient verrouillés de l’intérieur. Peu lui importait cependant ; sa main droite agrippa l’un des volets par le côté des charnières, et tira violemment d’un coup sec.
Le « CRAC » sonore fut couvert par les pitoyables jappements des chiens. Le premier volet fut arraché de la fenêtre, et resta mollement accroché à son jumeau par le verrou. La voie était libre. Intérieurement, Manon jubilait d’avoir ainsi triomphé de tous les obstacles. Quelque part en elle, ailleurs, là où elle croyait ne plus être elle-même, cette satisfaction ridicule ne procurait que dégoût.
- Qui est là ??
Oh non…
Plus rapide qu’une ombre, la vampirette franchit le seuil de la chambre à peine éclairée ; deux femmes la regardaient, toutes deux différemment et pareillement en même temps : les deux exprimaient une peur non dissimulée, et les deux semblaient l’avoir reconnue, mais… Manon aperçut que quelque chose n’allait pas. Quelque chose la rendait tout d’un coup plus affreuse à leurs yeux. Quelque chose… Elle suivit leurs regards, posés non pas que sur son visage, mais aussi sur sa poitrine ; alors elle vit son armure et ses vêtements abondamment tâchés de marques rouges et noires. Du sang. Beaucoup de sang. Les yeux de Manon s’agrandirent.
- SORTEZ ! SORTEZ D’ICI IMMEDIATEMENT !
Elle se sentit se mouvoir d’elle-même, comme si son corps ne concevait nul autre choix que de déformer ses traits dans un rictus de rage bestiale, et mettre violemment à la porte la vielle Annette van der Pfaltz et sa tout aussi vieille bougie. La petite chambre ne comprenait que le lit sur lequel reposait la prêtresse, incapable de souffler un mot, et un grand coffre à vêtements ; la vampirette déplaça ce coffre comme une plume et bloqua résolument l’unique accès à sa proie et elle. Sa proie… Manon se mordit la lèvre. Puis se retourna.
Manon d’Essen, je suis Manon d’Essen, - voulut-elle dire, mais aucun mot ne put sortir de sa gorge lorsqu’elle croisa son regard. C’était le même regard qu’avait eu cette femme face à sa mère, il y a deux jours, lors de leur première rencontre.
Un voile était tombé entre elles à présent, elle le sentit, éternel, impénétrable, impitoyable. Elle était la tueuse, la femme était la guérisseuse, elle était l’impie, la femme était la pieuse. Pourrait-elle, Manon d’Essen, prier un jour quoi que ce soit ? Quelques instants s’écoulèrent sans qu’aucune des deux ne pût proférer mot. Dehors, un remue-ménage se fit subitement entendre.
« ALERTE ! ALEEERTE ! Sortez de vos piaules, tout le monde !!»
« SORTEZ TOUS ! Bande de crevards ! SORTEZ ! »
« LA BONNE SŒUR DE SHALLYA C’EST-IL EN DANGER !!! »
Enfer. La vielle essayait de rameuter les paysans à présent. Que faire ?
La vampirette ne put s’empêcher de regarder à nouveau la femme étendue sur le lit. Elle portait une simple tunique de drap blanc, et avait repoussé maladroitement sa couverture de laine quand instinctivement elle s’était écartée vers le mur, auquel elle était adossée à présent. Par les enfers, que devait-elle faire à présent ??
- Un jour… - les mots lui venaient avant qu’elle n’y réfléchisse. – Un jour je… Je viendrai vous revoir. Quand, quand je ne serai plus un monstre !
Il n’y avait plus rien à dire. Manon espérait juste que ces derniers mots étaient parvenus à l’esprit de cette dame dont elle n’avait toujours pas su le nom. Puis…
- Priez pour moi ! – lui cria-t-elle avant de se jeter dehors par la fenêtre.
Les chiens continuaient d’aboyer. Dans le tumulte indistinct de cette nuit de folie, elle vit en atterrissant une petite foule de villageois courir de toutes jambes vers la taverne. Son dépit ne pouvait être plus grand alors, surtout quand l’un d’eux aperçut la fine silhouette de la tueuse disparaître derrière le coin de la bâtisse.
Manon courait, deux fines gouttelettes écarlates s’écoulant le long de ses joues, seules larmes auxquelles sa condition d’immortelle la rendait capable. Elle trouverait un jour comment cesser d’être ce qu’elle était. Elle trouverait un jour le remède à sa soif de sang.
Alexandr Yurevitch, indemne et plein de fougue surnaturelle, n’en pouvait plus néanmoins de croiser le fer avec celui qui se faisait appeler Ashur. Celui-ci ne cessait de s’esclaffer à chaque estocade parée, chaque feinte évitée, chaque frappe qui aurait tué quiconque d’autre si seulement il avait été un faible mortel. Leur duel s’éternisait depuis le milieu de la journée précédente, et aucun des deux combattants ne semblait prendre le dessus sur l’autre pour le moment.
Ashur n’utilisait pas la magie. Il avait parfaitement compris la volonté de son adversaire, et respectait l’accord tacite de ne régler leur affrontement que par la maîtrise des armes. Il fut toutefois fort étonné quand il vit le chevalier dégainer non pas une, mais deux épées jumelles, et quand celles-ci s’abattirent sur son armure tel un ouragan de lames ! Une tempête, un vent gémissant, une rapidité morbide qui lui rappela vaguement celle qu’il avait pu constater chez la petite vampire de sa bien-aimée, mais bien plus intelligemment utilisée. Sa maîtrise du sabre lui suffisait à peine d’y opposer une riposte efficace, mais le damné kislevite déviait chacune de ses attaques, tournoyant, bondissant dans tous les sens, dressant en rempart devant lui les chaises, les tables, même des planches ballantes du plancher. Puis revenait à la charge, mortel, affreusement rapide et précis dans chacune de ses bottes. Pis encore : Ashur réalisait que s’il n’avait pas été protégé de toutes parts de ses précieuses plaques composites, il aurait été mis en pièces dès les premières heures de leur affrontement.
C’était génial. Cela faisait bien des années, non, des siècles qu’il n’avait rencontré pareille maitrise de l’escrime. Si… S’il y a avait un vampire parmi les rares qu’il avait rencontré qui méritait le nom de dragon de sang, c’était bien celui-ci. Les cinq imbéciles qui pourrissaient encore quelque part sur le Haut-Col n’avaient de chevaliers que le nom, comparé au bretteur exceptionnel, non, légendaire qu’il affrontait ici. S’il n’utilisait pas la magie pour augmenter ses performances, lui, Ashur, pouvait facilement se considérer bloqué dans ce trou à rats pendant encore un long moment. Le temps que les dernières forces impies quittent le corps du chevalier, encore bien peu éprouvé à la privation des vampires.
Allons donc, il fallait le faire fléchir, le contraindre à plier sous ses coups, juste un peu… Non, son honneur lui interdisait de contrevenir aux règles du duel. Son honneur qu’il devait avoir piétiné plus d’une centaine de fois, mais qui revenait toujours, fantôme lointain d’une vie mortelle à jamais révolue. Quelle déveine, lui qui s’était tant amusé au départ se trouva petit à petit profondément agacé par la tournure des événements.
- Da chort voz’mi, my tak voveki vekov ne zakonchim, - son ton se voulait conciliant.
- A shto ? Ustal ? – dit l’autre en enchainant encore plusieurs coups. Le tintement des lames semblait l’enchanter au plus haut point.
Ashur ravala la raillerie du chevalier. Il voulait à présent en finir, d’une manière ou d’une autre.
- Durak ! Vremeni netu s toboj dratsa !
- Aha, znachit, ispugalsa ?
Deuxième raillerie. Il l’aura cherché, cet idiot.
Le vampire millénaire ne souffla plus un mot à part quelques murmures à peine audibles. Quelques instants plus tard, le corps de l’insolent kislevite gisait inerte à ses pieds, alors que son esprit n’était plus vraiment de ce monde, mais quelque part au creux de la main d’Ashur, entouré d’une enveloppe invisible aux yeux des profanes : Shyish, le vent de la mort, le vent maudit.
Il observa longuement le champ de bataille. Tout avait été renversé, tout avait été souillé par les misérables mets des mortels, ainsi que par leurs propres cadavres. Tout n’était plus que laideur et absence de toute harmonie. Ce n’était pas un lieu d’affrontement digne de lui, et de son impétueux adversaire. L’esprit de celui-ci palpitait à présent auprès de lui, incapable de retourner à son corps, emprisonné dans un carcan que seule la volonté du vampire millénaire pouvait relâcher. Sa défaite, non, leur défaite mutuelle avait été accomplie : Ashur avait de nouveau cédé à son caprice au lieu de se battre jusqu’au bout, et l’escrimeur kislevite ne pouvait se prétendre vainqueur dans la situation où il était.
Honte à lui, le sabreur immortel, pour avoir ainsi bafoué le code qu’il avait jadis juré de respecter à la lettre ! Lui qui aurait du depuis longtemps rejeter tout ce ramassis de règles et de rituels absurdes ne cessait de se les rappeler quand il les enfreignait, et depuis qu’il avait interrompu sa méditation dans les montagnes, cela se produisait bien trop souvent… Quelle farce ! Il avait accepté de rejoindre à nouveau cette farce ridicule depuis ce jour où la grande comète verte avait traversé les cieux pour aller s’écraser quelque part à l’Ouest ! Quel cadeau de pouvoir il y avait vu alors, que de promesses d’énergie nouvelle, jusque là inconnue ; de nouvelles opportunités, de nouveaux exploits, de nouveau la gloire, la gloire, celle qu’il avait perdue il y a bien longtemps au Nippon…
Mirage incessant de la non-vie ! Ce jeune ambitieux Mannfred semblait encore loin de se rendre compte à quel point leur existence était pitoyable aux yeux des mortels, du moins, ceux qui voyaient au-delà de leur propre petite nature… Non, grossière erreur : les mortels, dans leur écrasante majorité, se rendaient bien peu compte à quel point l’existence des vampires était pitoyable. Néanmoins, chacun de cette race damnée réalisait à un certain point l’étendue de toute la folie de ne jamais quitter ce monde, et, comme l’avait fait jadis Vashanesh, comme l’essayait maintenant Mannfred, cherchait à y mourir après s’être couvert de gloire, et perdurer à jamais dans les mémoires des mortels. Mannfred von Carstein… Celui-là avait bien pris soin de dissimuler ses moindres projets à sa vision pénétrante. Il irait certainement loin, bien plus loin que dans sa première tentative. Encore un qui irait loin. Lui, Ashur, mourra peut-être en l’affrontant une seconde fois, mais il le fera sans regret le jour où cela arrivera.
Mannfred von Carstein… Pourquoi le village de Bylorhof et pas un autre ? Ce ne pouvait pas être un village parmi d’autres. Ce ne pouvait pas être non-plus un objectif capital que l’on ne confierait qu’à un allié fidèle. Ce devait alors être un défi secondaire, un simple épine que lui, Ashur, se voyait ordonné de retirer du pied du seigneur de Drakenhof. Rien de bien surprenant, en fin de compte, car pour tester l’efficacité d’un allié, il aurait fait de même. Détruire ou asservir, quelle serait la bonne manière à employer ? Si ces gens parvenaient en ce moment-même à résister à celui qu’il avait affronté au château noir, c’est que lui aussi aurait bien du mal à leur faire entendre raison. Ah, il aurait bien aimé demander l’avis de son infortuné adversaire kislevite, mais il se voyait mal adresser la parole à son esprit humilié, et encore moins espérer une discussion amicale en retournant son corps à son maître. Seul et sans personne à qui parler, voila ce que lui valait à présent sa quête de gloire et d’exploits !
Le vampire millénaire sourit malgré lui à cette pensée. Jetant un dernier regard à la taverne dévastée, il rengaina son sabre, et remit ensuite les lames du dragon de sang dans leurs fourreau, puis ramassa le corps de ce dernier. Intéressants, ce tissu épais et cette cape de fourrure, il n’en avait pas vu souvent auparavant. S’appliquant à sortir au plus vite sans salir ses chausses métalliques, Ashur se retrouva à l’air frais de la fin de l’hiver sylvanien, sur un chemin de boue le long duquel se dressaient quelques frêles maisonnettes en bois et en chaume. Une seule monture attendait auprès de la taverne : un destrier lié par sa bride à un ancien poteau, bien vivant, portant un élégant caparaçon orné de grelots argentés. Décidément, ce vampire devait être bien récent si son cheval arrivait encore à le supporter.
Asservir la volonté de la noble bête fut une simple formalité. Le sabreur immortel monta avec son fardeau kislevite, et, goutant aux mélodieux tintements des grelots, s’empressa de galoper hors du village de Folburg, s’enfonçant directement dans la forêt que l’on surnommait dans la contrée « Le bois des goules ».
Le soleil n’était plus visible depuis longtemps, et de gros nuages s’amoncelaient lentement au Sud. Un vent fort s’était mis à souffler, obligeant les nuages à s’étendre peu à peu, grignotant le bleu du ciel à chaque instant. La nuit serait houleuse, ainsi le crut Manon.
Toujours alerte, elle fit descendre son pégase vers le village, essayant de s’assurer discrétion et rapidité à la fois, priant…
Qui pouvait-elle prier ? Cette question la surprit alors qu’elle atterrissait près de la vieille grange, où pour la première fois elle avait mis à mort un mortel conscient de son sort. Elle avait tué. Froidement. Ou plutôt, sans se soucier de la soif de vivre du mortel, mettant sa propre soif au dessus de toute autre… Qui pouvait-elle prier ? C’était l’une de ces questions qu’elle voulait ardemment poser à la prêtresse qui lui devait la vie sauve.
Le corps du vieux tavernier n’était plus là où il avait été abandonné la nuit précédente. Etait-ce les villageois qui l’avaient retrouvé puis mis en terre ? Oui, elle sentait toutes leurs odeurs imprégnant le sol et les murs de la grange. La prêtresse n’avait pas été parmi eux. Cela devait signifier qu’elle était encore malade, probablement encore alitée dans cette demeure des mortels van der Pfaltz. La vieille Annette… Non, Manon ne voulait plus se laisser attendrir. Elle ne voulait plus se laisser abuser par quiconque, que ce soit un mortel ou un immortel. En même temps, elle peinait à se trouver la force de volonté de se présenter ainsi au chevet de la prêtresse. Pas… Pas dure comme elle l’aurait voulu, ni douce comme elle ne le voulait pas désormais. Elle avait des questions, elle voulait lui parler, voila tout.
Elle sortit de la grange, et vit nombre d’étoiles apparaître au-dessus ; Mannslieb se préparait à monter au ciel. Manon contempla la terre aux alentours, toujours parsemée de vieux cadavres d’une récente bataille ? Ha, si elle se voyait contrainte à une retraite précipitée, elle aurait de quoi retenir d’éventuels mortels poursuivants. Confiante, elle se mit à courir.
La vampirette foulait à peine la terre de ses bottes de cuir ; s’il y avait quelque chose qu’elle avait appris des loups qu’elle affectionnait tant, c’était la furtivité.
A pas de loup, à peine moins rapide qu’un tel, elle fut auprès des premières habitations. Là, elle s’arrêta.
Tout était allé vite, et pendant quelques infimes instants elle se figea dans l’ombre d’un mur de crépi. Depuis bien des années son cœur ne battait plus, et son silence se fit curieusement ressentir, alors qu’elle devait se sentir plus angoissée que jamais…
- Wouf ! Wouf, wouf ! Waouuuuh !
- Arf ! Arf ! RRRRAARF !
Les aboiements soudains des chiens la firent sursauter. Elle se rappela en un éclair de les avoir entendus le matin du jour d’avant, mais alors elle n’y avait pas fait attention. Maintenant, les maudits molosses étaient à deux doigts de trahir sa présence.
Manon bondit sur le mur de crépi, fut en un instant sur un toit de chaume, sauta sur un toit voisin, puis sur un autre encore. Regarda en bas.
L’une des bêtes de garde, noire comme la nuit, aboyait férocement et luttait de toutes ses forces pour se libérer de la vieille chaine qui la retenait à sa niche. Elle huma l’air tout d’un coup, puis pivota son museau droit vers la créature impie perchée sur un toit. Quand leurs regards se croisèrent, la bête montra ses crocs, et se mit à grogner avec une telle hargne que la vampirette se crut un instant intimidée.
TUE la bête !
Une voix en elle. Ashur ?
TUE-la !
Non, c’était elle-même. La vraie Manon. La méchante, la damnée.
MAINTENANT !
Manon fixa le chien noir de ses prunelles rougeoyantes, et tenta d’imposer sa volonté sur la sienne pour le calmer, mais sans succès. La bête sentait d’où venait le danger, et semblait prête à mourir pour ses maîtres.
L’aboiement d’un autre chien s’entendait quelques maisons plus loin, affolé, comme si le molosse craignait que le ciel allât s’effondrer sur le village. Quant à celui qui faisait face à la vampirette, sa gueule écumait de bave, ses yeux étaient injectés de sang, il provoquait un vacarme du diable et essayait même de briser sa chaine avec ses crocs.
TUE la bête !
Manon paraissait figée sur son toit de chaume, perchée telle une gargouille des grands temples impériaux. Mentalement elle se voyait déjà dégainer son épée et la projeter sur le crâne de l’infâme cabot.
Il y eut alors de la lumière dans les fenêtres cloitrées des chaumières, des bougies allumées à la hâte, des cris affolés, des pleurs d’enfants réveillés… Ils s’éteignirent peu à peu, aussi vite qu’ils étaient apparus. Manon resta immobile encore un moment, interdite.
Puis elle comprit.
Les chiens avaient beau aboyer, mais les villageois ne sortaient pas de leurs maisons. Ils priaient peut-être, calmaient leurs marmots, vérifiaient les verrous sur chaque porte et chaque fenêtre, mais ils ne sortaient pas. La menace passerait sans doute, il fallait juste rester chez soi et prier que soit le voisin qui crève, et pas les siens.
Manon avait compris.
Elle sourit au molosse qui continuait désespérément son alarme, et bondit allègrement sur le toit de la chaumière de ses maîtres. La suivante était la bonne, car il y avait deux étages. Glissant sur le mélange de paille et d’argile, la vampirette fit un dernier saut périlleux, et s’accrocha sans faire de bruit au rebord de la fenêtre qui l’intéressait.
Quoi !
Ses narines furent assaillies par une puissante odeur sucrée, pure et fraîche, à la fois enivrante et dégoutante ; stupéfiée, Manon manqua de lâcher prise et dégringoler depuis le second étage. Ses mains gantées se crispèrent sur le rebord, elle releva la tête et vit la source de ce piège si anodin : une poignée de petites fleurs blanches était clouée aux volets, et chaque pétale diffusait cette odeur si suave et si repoussante à ses sens suraigus. Crétins de mortels ! Piètre rempart pour elle qui voulait ardemment passer outre cette fenêtre ! Ce n’est pas une fleur qui l’arrêtera !
Comme en réaction à sa volonté implacable, le petit bouquet se mit soudain à se tortiller, à jaunir, puis se fana complètement. Les pétales tombèrent l’une après l’autre. Il ne resta au final que le clou et le bout de ficelle qui liait les fleurs ensemble. A la bonne heure, - pensa Manon.
Elle s’y attendait : les volets étaient verrouillés de l’intérieur. Peu lui importait cependant ; sa main droite agrippa l’un des volets par le côté des charnières, et tira violemment d’un coup sec.
Le « CRAC » sonore fut couvert par les pitoyables jappements des chiens. Le premier volet fut arraché de la fenêtre, et resta mollement accroché à son jumeau par le verrou. La voie était libre. Intérieurement, Manon jubilait d’avoir ainsi triomphé de tous les obstacles. Quelque part en elle, ailleurs, là où elle croyait ne plus être elle-même, cette satisfaction ridicule ne procurait que dégoût.
- Qui est là ??
Oh non…
Plus rapide qu’une ombre, la vampirette franchit le seuil de la chambre à peine éclairée ; deux femmes la regardaient, toutes deux différemment et pareillement en même temps : les deux exprimaient une peur non dissimulée, et les deux semblaient l’avoir reconnue, mais… Manon aperçut que quelque chose n’allait pas. Quelque chose la rendait tout d’un coup plus affreuse à leurs yeux. Quelque chose… Elle suivit leurs regards, posés non pas que sur son visage, mais aussi sur sa poitrine ; alors elle vit son armure et ses vêtements abondamment tâchés de marques rouges et noires. Du sang. Beaucoup de sang. Les yeux de Manon s’agrandirent.
- SORTEZ ! SORTEZ D’ICI IMMEDIATEMENT !
Elle se sentit se mouvoir d’elle-même, comme si son corps ne concevait nul autre choix que de déformer ses traits dans un rictus de rage bestiale, et mettre violemment à la porte la vielle Annette van der Pfaltz et sa tout aussi vieille bougie. La petite chambre ne comprenait que le lit sur lequel reposait la prêtresse, incapable de souffler un mot, et un grand coffre à vêtements ; la vampirette déplaça ce coffre comme une plume et bloqua résolument l’unique accès à sa proie et elle. Sa proie… Manon se mordit la lèvre. Puis se retourna.
Manon d’Essen, je suis Manon d’Essen, - voulut-elle dire, mais aucun mot ne put sortir de sa gorge lorsqu’elle croisa son regard. C’était le même regard qu’avait eu cette femme face à sa mère, il y a deux jours, lors de leur première rencontre.
Un voile était tombé entre elles à présent, elle le sentit, éternel, impénétrable, impitoyable. Elle était la tueuse, la femme était la guérisseuse, elle était l’impie, la femme était la pieuse. Pourrait-elle, Manon d’Essen, prier un jour quoi que ce soit ? Quelques instants s’écoulèrent sans qu’aucune des deux ne pût proférer mot. Dehors, un remue-ménage se fit subitement entendre.
« ALERTE ! ALEEERTE ! Sortez de vos piaules, tout le monde !!»
« SORTEZ TOUS ! Bande de crevards ! SORTEZ ! »
« LA BONNE SŒUR DE SHALLYA C’EST-IL EN DANGER !!! »
Enfer. La vielle essayait de rameuter les paysans à présent. Que faire ?
La vampirette ne put s’empêcher de regarder à nouveau la femme étendue sur le lit. Elle portait une simple tunique de drap blanc, et avait repoussé maladroitement sa couverture de laine quand instinctivement elle s’était écartée vers le mur, auquel elle était adossée à présent. Par les enfers, que devait-elle faire à présent ??
- Un jour… - les mots lui venaient avant qu’elle n’y réfléchisse. – Un jour je… Je viendrai vous revoir. Quand, quand je ne serai plus un monstre !
Il n’y avait plus rien à dire. Manon espérait juste que ces derniers mots étaient parvenus à l’esprit de cette dame dont elle n’avait toujours pas su le nom. Puis…
- Priez pour moi ! – lui cria-t-elle avant de se jeter dehors par la fenêtre.
Les chiens continuaient d’aboyer. Dans le tumulte indistinct de cette nuit de folie, elle vit en atterrissant une petite foule de villageois courir de toutes jambes vers la taverne. Son dépit ne pouvait être plus grand alors, surtout quand l’un d’eux aperçut la fine silhouette de la tueuse disparaître derrière le coin de la bâtisse.
Manon courait, deux fines gouttelettes écarlates s’écoulant le long de ses joues, seules larmes auxquelles sa condition d’immortelle la rendait capable. Elle trouverait un jour comment cesser d’être ce qu’elle était. Elle trouverait un jour le remède à sa soif de sang.
***
Il trouverait un jour le remède à cette soif de sang. Alexandr Yurevitch, indemne et plein de fougue surnaturelle, n’en pouvait plus néanmoins de croiser le fer avec celui qui se faisait appeler Ashur. Celui-ci ne cessait de s’esclaffer à chaque estocade parée, chaque feinte évitée, chaque frappe qui aurait tué quiconque d’autre si seulement il avait été un faible mortel. Leur duel s’éternisait depuis le milieu de la journée précédente, et aucun des deux combattants ne semblait prendre le dessus sur l’autre pour le moment.
Ashur n’utilisait pas la magie. Il avait parfaitement compris la volonté de son adversaire, et respectait l’accord tacite de ne régler leur affrontement que par la maîtrise des armes. Il fut toutefois fort étonné quand il vit le chevalier dégainer non pas une, mais deux épées jumelles, et quand celles-ci s’abattirent sur son armure tel un ouragan de lames ! Une tempête, un vent gémissant, une rapidité morbide qui lui rappela vaguement celle qu’il avait pu constater chez la petite vampire de sa bien-aimée, mais bien plus intelligemment utilisée. Sa maîtrise du sabre lui suffisait à peine d’y opposer une riposte efficace, mais le damné kislevite déviait chacune de ses attaques, tournoyant, bondissant dans tous les sens, dressant en rempart devant lui les chaises, les tables, même des planches ballantes du plancher. Puis revenait à la charge, mortel, affreusement rapide et précis dans chacune de ses bottes. Pis encore : Ashur réalisait que s’il n’avait pas été protégé de toutes parts de ses précieuses plaques composites, il aurait été mis en pièces dès les premières heures de leur affrontement.
C’était génial. Cela faisait bien des années, non, des siècles qu’il n’avait rencontré pareille maitrise de l’escrime. Si… S’il y a avait un vampire parmi les rares qu’il avait rencontré qui méritait le nom de dragon de sang, c’était bien celui-ci. Les cinq imbéciles qui pourrissaient encore quelque part sur le Haut-Col n’avaient de chevaliers que le nom, comparé au bretteur exceptionnel, non, légendaire qu’il affrontait ici. S’il n’utilisait pas la magie pour augmenter ses performances, lui, Ashur, pouvait facilement se considérer bloqué dans ce trou à rats pendant encore un long moment. Le temps que les dernières forces impies quittent le corps du chevalier, encore bien peu éprouvé à la privation des vampires.
Allons donc, il fallait le faire fléchir, le contraindre à plier sous ses coups, juste un peu… Non, son honneur lui interdisait de contrevenir aux règles du duel. Son honneur qu’il devait avoir piétiné plus d’une centaine de fois, mais qui revenait toujours, fantôme lointain d’une vie mortelle à jamais révolue. Quelle déveine, lui qui s’était tant amusé au départ se trouva petit à petit profondément agacé par la tournure des événements.
- Da chort voz’mi, my tak voveki vekov ne zakonchim, - son ton se voulait conciliant.
- A shto ? Ustal ? – dit l’autre en enchainant encore plusieurs coups. Le tintement des lames semblait l’enchanter au plus haut point.
Ashur ravala la raillerie du chevalier. Il voulait à présent en finir, d’une manière ou d’une autre.
- Durak ! Vremeni netu s toboj dratsa !
- Aha, znachit, ispugalsa ?
Deuxième raillerie. Il l’aura cherché, cet idiot.
Le vampire millénaire ne souffla plus un mot à part quelques murmures à peine audibles. Quelques instants plus tard, le corps de l’insolent kislevite gisait inerte à ses pieds, alors que son esprit n’était plus vraiment de ce monde, mais quelque part au creux de la main d’Ashur, entouré d’une enveloppe invisible aux yeux des profanes : Shyish, le vent de la mort, le vent maudit.
Il observa longuement le champ de bataille. Tout avait été renversé, tout avait été souillé par les misérables mets des mortels, ainsi que par leurs propres cadavres. Tout n’était plus que laideur et absence de toute harmonie. Ce n’était pas un lieu d’affrontement digne de lui, et de son impétueux adversaire. L’esprit de celui-ci palpitait à présent auprès de lui, incapable de retourner à son corps, emprisonné dans un carcan que seule la volonté du vampire millénaire pouvait relâcher. Sa défaite, non, leur défaite mutuelle avait été accomplie : Ashur avait de nouveau cédé à son caprice au lieu de se battre jusqu’au bout, et l’escrimeur kislevite ne pouvait se prétendre vainqueur dans la situation où il était.
Honte à lui, le sabreur immortel, pour avoir ainsi bafoué le code qu’il avait jadis juré de respecter à la lettre ! Lui qui aurait du depuis longtemps rejeter tout ce ramassis de règles et de rituels absurdes ne cessait de se les rappeler quand il les enfreignait, et depuis qu’il avait interrompu sa méditation dans les montagnes, cela se produisait bien trop souvent… Quelle farce ! Il avait accepté de rejoindre à nouveau cette farce ridicule depuis ce jour où la grande comète verte avait traversé les cieux pour aller s’écraser quelque part à l’Ouest ! Quel cadeau de pouvoir il y avait vu alors, que de promesses d’énergie nouvelle, jusque là inconnue ; de nouvelles opportunités, de nouveaux exploits, de nouveau la gloire, la gloire, celle qu’il avait perdue il y a bien longtemps au Nippon…
Mirage incessant de la non-vie ! Ce jeune ambitieux Mannfred semblait encore loin de se rendre compte à quel point leur existence était pitoyable aux yeux des mortels, du moins, ceux qui voyaient au-delà de leur propre petite nature… Non, grossière erreur : les mortels, dans leur écrasante majorité, se rendaient bien peu compte à quel point l’existence des vampires était pitoyable. Néanmoins, chacun de cette race damnée réalisait à un certain point l’étendue de toute la folie de ne jamais quitter ce monde, et, comme l’avait fait jadis Vashanesh, comme l’essayait maintenant Mannfred, cherchait à y mourir après s’être couvert de gloire, et perdurer à jamais dans les mémoires des mortels. Mannfred von Carstein… Celui-là avait bien pris soin de dissimuler ses moindres projets à sa vision pénétrante. Il irait certainement loin, bien plus loin que dans sa première tentative. Encore un qui irait loin. Lui, Ashur, mourra peut-être en l’affrontant une seconde fois, mais il le fera sans regret le jour où cela arrivera.
Mannfred von Carstein… Pourquoi le village de Bylorhof et pas un autre ? Ce ne pouvait pas être un village parmi d’autres. Ce ne pouvait pas être non-plus un objectif capital que l’on ne confierait qu’à un allié fidèle. Ce devait alors être un défi secondaire, un simple épine que lui, Ashur, se voyait ordonné de retirer du pied du seigneur de Drakenhof. Rien de bien surprenant, en fin de compte, car pour tester l’efficacité d’un allié, il aurait fait de même. Détruire ou asservir, quelle serait la bonne manière à employer ? Si ces gens parvenaient en ce moment-même à résister à celui qu’il avait affronté au château noir, c’est que lui aussi aurait bien du mal à leur faire entendre raison. Ah, il aurait bien aimé demander l’avis de son infortuné adversaire kislevite, mais il se voyait mal adresser la parole à son esprit humilié, et encore moins espérer une discussion amicale en retournant son corps à son maître. Seul et sans personne à qui parler, voila ce que lui valait à présent sa quête de gloire et d’exploits !
Le vampire millénaire sourit malgré lui à cette pensée. Jetant un dernier regard à la taverne dévastée, il rengaina son sabre, et remit ensuite les lames du dragon de sang dans leurs fourreau, puis ramassa le corps de ce dernier. Intéressants, ce tissu épais et cette cape de fourrure, il n’en avait pas vu souvent auparavant. S’appliquant à sortir au plus vite sans salir ses chausses métalliques, Ashur se retrouva à l’air frais de la fin de l’hiver sylvanien, sur un chemin de boue le long duquel se dressaient quelques frêles maisonnettes en bois et en chaume. Une seule monture attendait auprès de la taverne : un destrier lié par sa bride à un ancien poteau, bien vivant, portant un élégant caparaçon orné de grelots argentés. Décidément, ce vampire devait être bien récent si son cheval arrivait encore à le supporter.
Asservir la volonté de la noble bête fut une simple formalité. Le sabreur immortel monta avec son fardeau kislevite, et, goutant aux mélodieux tintements des grelots, s’empressa de galoper hors du village de Folburg, s’enfonçant directement dans la forêt que l’on surnommait dans la contrée « Le bois des goules ».
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