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Hjalmar Oksilden

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Kasztellan
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Date d'inscription : 15/08/2015
Vainqueur d'évènement : Tournois de Personnages
Palmares : Champion du Fort de Sang, Comte de la Crypte 2018 & 2022, Organisateur des affrontements festifs d'Ubersreik

La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2] Empty La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2]

Lun 6 Nov 2023 - 20:23
Lectrices et lecteurs divers et variés, vous trouverez ci-dessous la suite de la Saga d'Oksilden !

Comme mentionné dans le précédent sujet, je repars du début avec ce récit et déroule ici l'histoire précédemment écrite sous un jour plus récent. Un petit reboot en termes actuels donc. L'histoire est la même, dans les grandes lignes, mais le texte a été revu, corrigé et arrangé pour faciliter l'arrivée de détails que je n'avais pas en tête au début de l'écriture.

Ce texte s'est révélé fort complexe à écrire pour de multiples raisons que je ne détaillerais pas ici. Toutefois, j'espère qu'en remettant à plat l'histoire et en postant l'état actuel du texte que cela me donne des idées pour continuer. Nous verrons bien.
Replongeons-nous donc dans les aventures du barbu de service avec, je l'espère cette fois, la volonté d'en voir le bout pour ma part.


Pour les quelques personnes qui découvrent la saga, il se trouve que ce tome est le quatrième de ladite Saga de mon personnage. Il est donc la continuation directe du troisième tome que vous pourrez trouver ici-même : https://whcv.forumactif.com/t6418-la-saga-d-oksilden-foi-furieuse


Maraudeur

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"La Mort est un mâle, oui, mais un mâle nécessaire."
Terry Pratchett

Les livres dans le paquetage du nordique...:
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Kasztellan
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La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2] Empty Re: La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2]

Lun 6 Nov 2023 - 20:35
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     La brume traînait en volutes, tel un amas de coton qui atténuait même la roche sous son joug silencieux. Face à ce voile qui atténuait la côte, seule la mer osait hausser la voix, bien que timidement.

     Cela ne dura pas. Peut-être que l’océan prit ombrage de ce nuage tombé trop bas, car une houle se leva. Les rares entrechocs de bris de glace se changèrent en trombes rageuses s’abattant avec fracas contre la pointe rocheuse qui pourfendait les vagues. Bien vite, la presqu’ile et sa côte embrumée redevinrent minoritaires bien que défiantes.

     Toutefois, il serait malvenu de se contenter d’observer un tel déchaînement de la nature quand quelque chose se jouait dans les détails de la falaise malmenée. En effet, brouillard et écume cachaient tant et si bien, qu’il aurait été dommage de laisser passer l’opportunité.

     Et il détestait l’idée de laisser une occasion passer.

     Une botte après l’autre, se disait-il d’ailleurs. Feu son grand-père radotait toujours que, quitte à risquer sa vie, il valait mieux ne pas la perdre avec une glissade malencontreuse. Donc on assurait ses appuis, on respirait profondément et on tentait d’oublier les rochers acérés qu’il devinait en contrebas de la paroi.

     Certes, la dernière partie demandait encore un peu d’entrainement. Et les autres aussi vu son petit dérapage après qu’un embrun plus costaud que la moyenne repeigne sa barbe avec du sel. Dans cette brume, il ne les voyait venir qu’au dernier moment, ce qui n’aidait pas son équilibre.

     « Krut », grogna le nain en voyant que la vague ne se trouvait que trois à quatre mètres plus bas.

     Tout en se demandant si sa caboche fonctionnait encore au vu de ses idées farfelues, le nain passa sa paluche sur son crâne. Il y rencontra un saillant encore vaillant malgré le vent, qui gratifia sa main d’un baiser orange et fort gras.

     Un soupir. Le temps pour ces questions était passé.

     Maintenant, encore, une botte après l’autre. Il tenta de voir au travers de la purée de pois matinale et une autre botte se posa. Et une autre. Et une… Un cri ? Non, des cris. Rauques, au-dessus, probablement rapporté par le vent.

     « Krut ! » s’insurgea le nain. On le doublait ! Tu parlais d’une embuscade !

     Envoyant aux grobi ses précautions, le tueur accéléra son escalade, prise après prise, il trébucha plus d’une fois, cherchant au travers de la buée qui saccadait son souffle. Le froid ne l’engourdissait plus, du moins il le voulait ainsi. Le dos courbé, ses épaules roulaient telles les vagues qui s’écrasaient sur la presqu’île.
Au-dessus, un cri, plus audible que les autres. Le courant d’air qui frôla le nain lui confirma que quelqu’un, ou quelque chose, venait de finir par-dessus-bord. Il ne prit pas la peine de vérifier quoi, le brouillard matinal l’aurait déjà recouvert. Et puis, un de plus ou un de moins, il devait y en avoir bien assez là-haut. Un autre hurlement. Hmpf. Avec une grimace, le nain se fit la remarque que ce ne devait plus être le cas maintenant.

     Vite, une prise, s’agripper et tirer de toutes ses forces. Il utilisait trop ses bras, tant pis. Encore deux prises, son avant-bras droit tremblota. Se rappelant sa hache à sa ceinture, le tueur se résigna à conserver des forces pour la bataille à venir. Quatre prises. Le haut de la falaise apparut, enfin, se détacha du brouillard plutôt. Il s’y hissa péniblement.

     Même en s’étant préparé à devoir traverser de la brume, l’expérience restait désagréable. Avançant presque à tâtons, trempé de sueur et de rosée, le nain tenta de reprendre son souffle en restant aux aguets. La vieille tour ne devait plus être loin.

     « Kr… » s’apprêta à grogner le nain mécontent avant d’être interrompu par un mur de pierre noire qu’il manqua de peu avec son nez.

     Il tâtonna un instant dans le brouillard, se fit la remarque qu’il aurait mieux vu au travers d’un pain de pierre, et confirma ses doutes. Il avait trouvé la vielle tour locale. Une fois l'entrée trouvée, il s’engouffra dans l’embrasure de pierres noires sans plus s’inquiéter des lueurs menaçantes qui émanaient de l’intérieur. A vrai dire, le spectacle son et lumière l’encouragea à aller plus vite.

     Un cri vrillant les tympans si fort qu’on ne l’entendait presque plus résonna en écho dans la structure. Se tenant les oreilles, le tueur vacilla un instant et manqua de trébucher sur un cadavre démembré à la peau écailleuse. Avec une grimace de dégoût et essuyant un liquide épais qui l’avait effleuré, le nain remercia son odorat plutôt faiblard ces temps-ci. Qui aurait cru qu’un rhume hivernal se révèlerait utile ?
     Le hurlement n’était pas venu seul cependant et, entrouvrant le brouillard, une chose dont la description ne gratifierait aucun dictionnaire vint saluer la hache du nain. La hache gagna. Le liquide qui s’étala sur le sol grésilla avant de s’évaporer comme la créature. Un an plus tôt, cela aurait surpris le tueur. Toutefois, le folklore local vous habituait rapidement à ses excentricités.
     Une autre bestiole à huit pattes – ou alors était-ce neuf ? – s’approcha soudain en glissant. Comme la précédente, le vrombissement grave qui l’accompagnait indiqua au nain sa nature. Fusse-t-elle d’outre-monde, cela ne l’empêcha pas d’écoper d’un coup de botte dans un orifice mou qui aurait dû contenir un œil. La fidèle hache acheva le travail et envoya la chose étrangement familière retourner auprès des siens.
     Sentant venir l’adage qui impliquait les chiffres deux et trois, le tueur soupira et se remit en garde. Pourtant, rien ne vint. Rien, à part le boucan abominable à l’étage. Utilisant les éclats tout sauf naturels qui perçaient péniblement le brouillard, le nain grimpa l’escalier en ruine sur les marches qui restaient.
     Un souffle violet l’accueillit en haut et il esquiva de justesse un éclair étrangement lent en se jetant au sol. L’explosion qui s’ensuivit derrière lui manqua de roussir un peu plus ses quelques cheveux. Se relevant avec ses bras fatigués, le tueur essuya la suie qui venait de s’accumuler sur son visage et… fut surpris de voir.
     Il put détailler des dalles noires mal taillées, observer l’absence de toit alors qu’une pluie fine se mettait à tomber et voir, au travers du brouillard inexistant, une forme, quelque peu frêle, s’effondrer au sol comme un poupée de chiffon. Son œil unique maintenant éteint, la magicienne difforme avait rendu son dernier râle en silence au travers de sa trachée, ouverte sans subtilité par l’ennemi.
     Justement, un peu plus loin, un colosse écarlate sautait par un mur éventré qui fumait encore du duel dantesque.

     Le tueur sidéré, clignant toujours des yeux, considéra la scène. Hache à la main, humant la cendre et les vents de magie à pleines bouffées de rage, il se contenta d’un commentaire évocateur :

     « KRUT !! »
Maraudeur




     Dans le ciel, le soleil dépassa son zénith et acheva paresseusement son voyage vers l’horizon. L’astre donnait l’impression de se cacher parmi les multiples branchages mis à nu par l’hiver qui approchait. Ainsi, malgré sa présence, tout semblait déjà bleu, grisé et apathique. Il ne neigeait point encore, même si ce n’était plus qu’une question de jours, une semaine peut-être.
     On notera qu’un dicton pas si local que cela indiquait que les Middenlanders étaient à l’image de leur climat : dur et intolérant. Une région qui vendait du rêve donc.

     Et c’était ici, à l’orée de la Drakwald, que l’on retrouvait Hjalmar Oksilden, le colosse norse de service, tandis qu’il quittait enfin les collines venteuses des environs de la cité de Delberz. Une grande ville que le nordique avait soigneusement évitée d’ailleurs. Le risque de tomber sur un répurgateur à sa poursuite était d’autant plus grand que l’endroit était peuplé, alors autant se contenter des petits relais sur la route pour plus de tranquillité. Pour le moment, cette ligne de conduite lui portait chance alors qu’il avançait vers l’Ouest. C’était d’ailleurs son seul objectif, se diriger vers le couchant sans trop y réfléchir.
     De temps à autre, on le voyait se frapper la tête, comme pour chasser un insecte un peu collant, réel ou non. Son regard furetait trop souvent et il trainait les pieds, les épaules affaissées.
     Hjalmar portait toujours sur lui sa fidèle armure constituée d’un mélange un peu insolite de cotte de maille, de cuir et de figures en bronze. Dents, talismans, fourreaux élaborés, symboles gravés dans le cuir, tout était là pour rappeler au tout-venant que leur propriétaire n’en était pas à son premier voyage. Son état quelque peu crasseux aussi.
Sous l’épaisse barbe brunâtre du norse, on pouvait aussi apercevoir un pendentif en argent qui réfléchissait parfois un rayon de soleil. Autrefois poli par des prières journalières, le bijou avait perdu de sa superbe, faute d’entretien ou plutôt d’envie de l’entretenir.

     En hululant, un reste de brise froide passa au travers des arbres qui craquèrent de concert. Elle agita ainsi des restes de feuilles automnales et fit jurer le nordique qui se frappa les bras pour se réchauffer un peu. Finalement, lui qui pensait pouvoir se protéger du vent en profitant du couvert de la forêt dense de la Drakwald, c’était raté. C’en était presque frustrant. Cette maudite forêt lugubre débordait tellement d’arbres qu’en dehors des chemins on ne voyait pas à cinq mètres et pourtant des courants d’airs passaient au travers ? Avec un accueil pareil et les hommes-bêtes qui la hantaient, ce n’était pas étonnant que presque personne n’y vive.
     Les traits tirés, Hjalmar continua un moment à se frotter les bras en serrant les dents. Il avait déjà vécu bien pire dans son pays natal, mais là-bas au moins il pouvait se réchauffer par intermittence. Ici, cela faisait bien dix jours qu’il avançait en dormant à la belle étoile. Ce qui, avec une armure trouée de partout, ne tenait pas de la sinécure. Et si les relais le long de la route lui offraient de brefs répits, il préférait ne pas s’y attarder. Rester en mouvement, voilà le seul moyen qu’il avait pour être en sécurité dans un pays qui, par bien des aspects, préférait le voir mort.
     Un autre son résonna entre les arbres, plus animal cette fois. Une bonne nouvelle pour le norse qui avait eu un mal de chien à trouver de quoi se nourrir ces derniers jours. Les collines du centre du Middenland n’étaient plus vraiment peuplées de gibier à cause des chasses à la cour données par les habitants plus nobles. Ici au moins, l’état sauvage de la forêt les laissaient pulluler. Et le norse préférait garder le peu d’argent qu’il avait miraculeusement réussi à grappiller de-ci, de-là pour le moment où sa situation deviendrait trop précaire.
     En entendant à nouveau le cri de l’animal, qu’il reconnut comme étant le brame d’un cerf et non celui plus guttural d’un homme-bête, Hjalmar s’ébroua un peu et sortit une longue dague de sa ceinture. Brièvement, le nordique aperçut encore une fois la croix impériale doublée d’une comète près de la garde. Il allait vraiment falloir qu’il se débarrasse de cette dague sigmarite à l’occasion. Mais il n’avait pas mieux depuis sa dernière échauffourée avec des répurgateurs dans un quartier pauvre de Talabheim.
     Un autre brame, plus près, fit sortir Hjalmar de ses pensées tandis que l’appel de son estomac revenait le tenailler. Même s’il y était habitué depuis le temps, cette sensation pouvait toujours se révéler… Disons, inconfortable.
     Suivant ce qu’il estimait être la direction du dernier cri en date, Hjalmar poursuivit sa proie en raffermissant sa prise sur sa dague. Après avoir dépassé plusieurs enchevêtrements d’arbres, il trouva enfin ce qu’il cherchait. Le vent était face à lui et l’animal en vue. Un jeu d’enfant si on ignorait les deux loups qui festoyaient déjà sur ladite proie.
     Bon.
     Le norse ramena sa dague devant lui et bondit de sa cachette de derrière un chêne.

     Le soir venu, Hjalmar arriva aux abords d’un petit relai dont les lumières pointaient au loin sur la route. En l’apercevant, il poussa un long soupir de soulagement. Il fallait dire que le gigot de cerf qu’il tenait sous son bras droit pesait son poids et qu’il avait bien besoin d’un peu de repos.
     Le nordique enleva alors la peau de loup de son épaule gauche pour la rouler sur elle-même avant d’entrer dans le petit relais fortifié. Il croyait comprendre que les locaux n’appréciaient pas que l’on porte une peau de l’animal favori d’Ulric si on ne le méritait pas. Et au vu desdits habitants et de leur tempérament, il préférait éviter de les froisser. Non pas que les Middenlanders l’inquiétait, mais là, tout de suite, il préférerait dormir plutôt que de finir dans un combat de taverne.
     Malheureusement, il n’avait pu avoir qu’un seul des canidés, l’autre ayant réussi à s’enfuir. La peau qu’il en avait tiré n’était pas fameuse et empestait en plus d’être une piètre protection contre le froid. Il était définitivement bien loin d’avoir les talents de dépeçage de ses parents tanneurs… Mais c’était toujours mieux que rien.
     En arrivant dans le relais fortifié, le norse observa trois bâtiments coincés entre des remparts en bois solides. A la gauche de la route, le plus grand des trois était sûrement l’auberge au vu de l’enseigne en forme de chope de bière. A sa droite se tenait une sorte de vieux temple d’Ulric en ruine et une échoppe d’objets de première nécessité. C’est dans cette dernière que Hjalmar se dirigea en premier. Il put y vendre sa peau de loup et un morceau de la viande pour une poignée de pièces impériales en argent. Ce n’était pas énorme, mais cela devrait lui permettre de s’acheter une chambre. Le vendeur le regarda d’un œil mauvais tout au long de leur conversation lapidaire et une fois Hjalmar sortit, il lui avait claqué la porte dans le dos avant d’éteindre sa lumière peu de temps après en lui crachant :
   
      « Passez votre chemin ! Ça vaudra mieux pour tout le monde. »
     
     Une démonstration parmi tant d’autres du légendaire sens de l’accueil des middenlanders.

     Un sentiment qui se confirma quand Hjalmar entra dans l’auberge de l’autre côté de la route. A peine ouvrit-il la porte que les rires gras et autres activités se muèrent en murmures tout à fait audibles alors qu’on le dévisageait sous toutes ses coutures. L’endroit ne brillait pas par sa taille, ou ne brillait pas tout court au vu de l’éclairage pâteux provenant d’un âtre qui crachait plus de suie que de flammes.
     Le norse, fidèle à ses habitudes, partit nonchalamment vers le comptoir. Son pas lourd résonnant sur le parquet du lieu. Les têtes des clients se tournèrent en même temps, suivant sans discrétion l’avancée du nouveau venu. L’aubergiste, un homme aux tempes grisonnantes et un peu rondouillard, semblait tout aussi réticent de le servir, mais sa conscience professionnelle prit le dessus et il maugréa quelques mots.

     « Qu… Qu’est-ce que j’vous sers… ? », lui dit-il alors qu’une goutte de sueur perlait sur son front.

     Bon, il avait besoin de provisions, de quoi boire, peut-être un vêtement chaud mais ça, ça pouvait attendre et… Oh et puis merde.

     « Un cognac bretonnien », lui répondit l’accent rauque du nordique alors qu’il déposait quelques pièce d’argent sur le comptoir en s’asseyant.

     L’intonation de sa voix, et surtout l’accent qui allait avec, fit aussitôt gronder quelques tables dans le fond de l’auberge. Après tout, commander un produit étranger dans la moins tolérante et la plus conservatrice des régions de l’Empire revenait bien souvent à signer son arrêt de mort. Hjalmar, lui, ne le savait pas. A vrai dire, à part les grandes lignes, il ne prêtait pas grande attention aux coutumes locales tant qu’on le laissait en paix. Il fronça donc les sourcils en voyant que l’aubergiste failli lâcher le verre qu’il tenait entre ses mains et le fixait à présent, la bouche à moitié ouverte.

     « Quoi ? tenta Hjalmar en soupirant. Vous n’en avez plus ? Rhoo, dommage… Bon, ben envoyez une liqueur quelconque, du moment que ça tape dans le gosier. »
Voyant que l’aubergiste ne bougeait pas plus qu’avant, Hjalmar jeta un œil vers le reste de la taverne pour s’apercevoir que son interlocuteur précédent n’était pas le seul atteint de cet étrange cas de stupeur foudroyante.
     « Quelqu’un m’explique ?
     — Mais tu t’fous d’nous ? vociféra un bonhomme édenté au nez bien trop rouge. C’sa hein ? Qu’est-ce tu crois q’t’fais lô ? »

     L’ivrogne s’approcha du norse en le pointant méchamment du doigt et en toussant par intermittence, ce qui n’améliorait pas sa grammaire approximative. Il se posta devant le norse qui devait faire facilement une demi-tête de plus que lui et continua ses invectives incompréhensibles. Parmi cette diatribe imbibée, Hjalmar comprit vaguement que le bonhomme voulait qu’il s’en aille maintenant ou il allait lui faire quelque chose en rapport avec des chèvres, ou bien un conifère – il n’avait que vaguement compris ce passage-là. Stoïque, le nordique l’écouta donc se plaindre pendant quelques instants, supportant son haleine alcoolisée à outrance avec le regard dans le vague. Puis, quand l’idiot du coin en arriva à un discours sur la pureté du sang Teutogen qui se serait bien trop dilué depuis le temps, la patience du norse arriva à son terme et il lui attrapa la tête pour la fracasser contre le comptoir d’un seul geste.
     Le crâne du middenlander émit un *Ponk* sonore, le middenlander émit un bruit semblable à *Heurglmebleuh* mais en plus aigu et pour ce qui était de son corps s’étalant sur le parquet crasseux de la taverne, ça, on le laissera à votre imagination.
     Sur ces entrefaites, Hjalmar se retourna vers l’aubergiste qui lui adressa un regard qui aurait été lourd de sens s’il n’était pas progressivement inquiet.

     « Bon, cette liqueur, elle arrive ? » lui lança alors le norse.

     Le supposé maître des lieux sembla reprendre ses esprits et adressa un regard paniqué à Hjalmar puis par-dessus l’épaule de ce dernier. Comprenant que quelque chose n’allait toujours pas, le nordique suivit le coup d’œil du tavernier et étudia à nouveau la salle, mais plus en détail cette fois.

     Sur les six tables, quatre étaient occupées, enfin trois, puisque deux joueurs de cartes venaient de sortir précipitamment en emportant leurs gains. Sur deux des tables, celles près de l’âtre, se trouvait toute une bande de Middenlanders du cru, tous armés, qui dévisageaient Hjalmar avec un mélange de haine et d’imbécilité pure. Comme par hasard, c’était de là que venait l’énergumène qui l’avait ennuyé juste avant. Leurs tables étaient pleines de victuailles diverses et les deux gamines blondes – ou bien brunes ? Bah, ce n’était pas comme si ça l’intéressait – assises au milieu n’avaient pas vraiment l’air d’être à leur aise. Ensuite, de l’autre côté de la pièce, la dernière table était occupée par un petit groupe discret de trois personnes. Leurs postures prostrées et l’absence de nourriture devant eux indiquaient plutôt qu’ils subissaient la situation présente.
     Des bandits ? Moui, ça expliquait l’ambiance en fin de compte, se dit Hjalmar en se grattant le menton à travers sa barbe. Justement l’un d’entre eux se leva, l’air encore plus furibard que les autres qui devaient être de toute façon trop alcoolisés pour comprendre quelque chose.

     « Toi ! postillonna-t-il. T’cherches la mardre ?
     — Je cherche à boire en paix, et toi ? », lui rétorqua Hjalmar en penchant légèrement sa tête sur le côté, les yeux vissés dans ceux du middenlander.

     Le chef des bandits, du moins Hjalmar le supposa puisqu’il parlait au nom des autres, se mit étonnamment à sourire avant d’éclater d’un rire tellement gras qu’on aurait pu l’utiliser pour allumer une lampe à huile. Forcément, toute sa bande se mit à rire avec lui. Les deux filles, elles, se crispèrent.

     « Hmm, tu m’plais l’étranger ! T’as l’culot d’commander un truc d’ailleurs, d’envoyer un de mes gars au sol et d’me répondre comme si t’étais dans ton droit. T’as beau venir de j’chais pas où, j’suis sûr q’t’as du sang de Teutogen ! Hein, les gars ?
     — Ouais, pas faux, ricana un autre gaillard. On n’sait pas jusqu’où nos ancêtres sont allés, hein ?
     — ‘xactement ! Allez tavernier, sers-lui c’qu’il a demandé, fait pas attendre un bon gars comme ça ! Et vous deux, aller me chercher Vilkar, qu’il reste pô par terre toute la soirée non plus. »

     Alors que la petite sauterie des bandits reprenait son cours avec forces grasseries, l’aubergiste amena un petit verre à Hjalmar en tremblant. Une fois son nouveau client servi, l’homme prit la bouteille et en but une gorgée en grimaçant avant de la reposer. Il suait encore plus qu’avant.

     « Écoutez, murmura-t-il au norse en faisant semblant de faire autre chose. Ne me regardez pas ! Buvez tranquillement.
     — … Si tu l’dis, maugréa doucement Hjalmar en sifflant d’une gorgée la liqueur. C’est infect. Un autre.
     — Ces types là-bas, la bande d’Helmut, ils nous saignent à blanc depuis ce matin et les patrouilleurs ne repasseront que dans une semaine… S’il vous plaît, aidez-nous ! »

     Devant l’absence de réponse du norse, l’aubergiste serra nerveusement ses mains après l’avoir servi à nouveau.

     « J’ai bien vu que vous n’aviez pas beaucoup d’argent, donc je vous propose une semaine de vivres gratuites et une chambre pour la nuit.
     — Pour que j’aille affronter douze… Ah pardon, onze, il y en a un qui vient de tomber ivre mort… Onze gars à moi tout seul ? rétorqua Hjalmar en finissant son verre avec une grimace. Un autre, merci.
     — Je sais. C’est beaucoup demander, mais calmez-en quelques-uns et ils devraient fuir en vitesse. Vous avez l’air bâti pour tuer un bestigor à mains nues, bon sang ! Quelques imbéciles avinés, ça devrait aller vite.
     — Peut-être. Donc, je répète pour qu’on soit sûr. Vous voulez que je « calme » quelques-uns des onze gars armés, tout seul, pour des repas et une nuit ?
     — Bon… D’accord, vous pourrez vous servir dans ma cave, je m’en moque à ce point, tant que vous les sortez d’ici ! Si ça continue, je vais fermer boutique et mes deux enfants risquent bien pire ! »

     En entendant cela, Hjalmar leva un sourcil étonné avant de balayer la proposition d’un revers de main.

     « Oh non, ce ne sera pas la peine. Je voulais juste être sûr de ne pas me faire arnaquer. Honnêtement, je l’aurais fait juste pour un peu de viande séchée... Vous êtes sûr de vouloir faire ça ?
     — Évidem…
     — Ne dites pas ça à la légère, le coupa sèchement le norse.
     — Je…Oui.
     — Bien. Dans ce cas… »

     Après avoir terminé son troisième verre, le norse se tourna à demi vers les tables des fêtards. Après quelques secondes, il se retourna vers l’aubergiste qui malgré son air inquiet avait retrouvé une touche d’espoir en voyant l’assurance du nordique.

     « Dites, j’ai oublié de vous demander.
     — Heum, oui ?
     — Vous les voulez vivants ou morts ?
     — P…Pardon ? » – l’aubergiste allait répliquer quelque chose avant que ne retentisse le cri d’une de ses filles, un des hommes venait de la frapper au visage – « Morts. Allez-y !
     — Vous êtes sûr de v… ?
     — Allez-y bon sang ! explosa l’aubergiste qui trépignait sur place. Ou alors vous avez trop peur pour aller jusqu’au bout ! »

     Les yeux du norse s’étrécirent aussitôt et il attrapa le col du tavernier tel un serpent. Sa poigne de fer tira l’homme jusqu’à ce que leurs visages se touchent presque.

     « Là, vous dépassez les limites de ma sympathie. Je vais déjà me battre pour vous, à votre place, alors ne m’insultez pas… Et je vous aurais prévenu. Quand ce sera terminé, je ne veux pas entendre la moindre plainte. »

     Sur ce, Hjalmar relâcha l’aubergiste qui recula d’un pas sans pouvoir quitter les yeux fixes du nordique. Avant que le bonhomme ne puisse répondre, Hjalmar se leva de son siège et se dirigea vers la tablée.
     En parlant d’eux d’ailleurs, plusieurs des bandits s’étaient levés en entendant l’éclat du maître des lieux et se dirigeaient vers le norse, l’air méfiant. En quelque pas, Hjalmar sut qu’il était à portée et il dégaina sa dague.
     D’un geste vif, il trancha la gorge du bandit le plus près pour le laisser se vider de son sang au sol. Récupérant au passage la hachette de ce dernier, il la lança en plein dans le torse du gaillard qui gardait encore les deux filles. Son hurlement de douleur suivit par ceux de terreurs des damoiselles avant qu’il ne s’effondre déclencha le début de l’échauffourée.
     Tous les bandits restants sortirent des armes diverses, une épée courte, des hachettes et même un pistolet, puis ils chargèrent le nordique qui les attendait debout à côté du premier cadavre. Mais ni leur nombre, ni leur armement ne leur fut du moindre secours. Ils étaient fatigués, abattus par l’alcool et à peine capable de faire trois pas sans trébucher. La dague impériale fila donc dans l’air, trouvant là une nuque, là un tendon. Mais à chaque fois, son sifflement était l’annonciateur d’un hurlement de douleur ou bien d’un gargouillis étranglé par un flot de sang. Les bandits, en surnombre, finirent bien vite par trébucher sur les cadavres de leurs alliés alors qu’ils tentaient de s’en prendre à un ennemi beaucoup trop vif pour eux. Ceci facilita d’autant plus le travail du norse qui n’attendait que cela pour leur planter un tabouret ou un coup de botte à l’arrière d’un crâne jusqu’à entendre le craquement caractéristique d’une vertèbre qui lâchait brutalement.
     En moins d’une minute, la troupe avait ainsi été réduite de moitié. Les survivants se mirent bien vite à hésiter sur la marche à suivre après que l’un d’entre eux ait réussi à frôler le nordique à la joue pour mieux se faire empaler l’abdomen. Comprenant qu’ils allaient bien vite mourir sous les coups de l’étranger fou furieux, ils lâchèrent ainsi leurs armes et partirent en courant vers la sortie, tombant à moitié dans leur fuite effrénée. On entendit ensuite des chevaux hennir puis une série de galops alors que les bandits fuyaient les lieux. En distinguant cela, Hjalmar lâcha sa dague de répurgateur plantée dans sa dernière victime pour l’échanger contre une épée courte et un coutelas, bien plus faciles à utiliser sans éveiller les soupçons.
     L’escarmouche maintenant terminée, le nordique renifla bruyamment, s’essuya son visage barbouillé de tâches écarlates puis partit se rasseoir au comptoir en essayant d’éviter les cadavres. Certains des corps gigotaient encore faiblement alors que la vie les quittait doucement. De l’autre côté de la taverne, les trois hommes s’étaient levés pour aider Hjalmar, mais en le voyant pratiquer son art ils n’avaient pu que regarder la scène. L’aubergiste, lui, alternait entre sourire forcé et regard en coin, comme s’il cherchait quoi dire pour ne pas s’ajouter à l’obituaire du jour. Une des deux filles éclata en sanglots peu de temps après. Sa sœur vint aussitôt la réconforter, son regard anxieusement braqué sur le norse.
     Ce dernier récupéra la bouteille de liqueur posée sur le comptoir, s’en servit un fond de choppe, laissa des traces de doigts rougeâtres sur ledit récipient, l’ingurgita, et, après une énième grimace de dégoût, lança calmement :

     « Bon, vous me préparez quoi pour la semaine à venir ? »

     Alors que les gens de l’auberge s’affairaient autour de lui, Hjalmar, lui, observa progressivement le vide. Il dodelinait de la tête, semblant acquiescer à la situation sans raison. Et pourtant, malgré sa nonchalance, il serrait sa choppe à en faire grincer le bois.
Pourquoi ?
     Parce que ce « combat » avait été une vaste blague.

     Aucun défi, aucune originalité, pas eu un seul instant où sa vie frôlait le proverbial fil de rasoir. Et pourtant, lorsqu’il avait tranché la gorge du premier gaillard, une petite étincelle s’était allumée dans son ventre. L’espoir qu’il allait enfin se passer quelque chose d’intéressant. Seul contre dix hommes, cela s’annonçait bien ! Qu’enfin, quelqu’un allait réellement se bouger le postérieur pour tenter de le tuer. Que pour une **** de fois, il allait pouvoir se battre réellement !! Eh bien quelle déception. C’était encore raté. A peine sa première victime avait-elle touchée le sol que la démarche maladroite de ses camarades avait été une douche froide pour le norse. Ils avaient été pathétiques jusqu’au bout. Et Hjalmar, lui, n’en revenait que plus exaspéré.
     Talabheim, les skavens, le Middenland, rien de tout cela n’avait éveillé un intérêt. Le tout s’était entrecoupé de quelques instants de bravoure, mais dans l’ensemble, cela l’avait presque ennuyé. Pire, Hjalmar se rendait compte à présent qu’à part son combat contre le roi revenant aux bois de cerfs et peut-être même l’autre vampiresse, il n’avait plus « ressenti » quelque chose depuis son passage dans les Royaumes du Chaos. Auparavant, il vivait pour ces rares instants, ces duels vivifiants, ces situations impossibles et l’excitation qui allait avec quand il en sortait vainqueur. Maintenant, plus rien. Rien qu’un ennui dévorant.
     S’était-il endurci à ce point dans les Royaumes ? Les démons l’avaient-il rendu si efficace au combat que plus rien n’était de taille pour lui ?... Hmpf. Non, un orgueil stupide que de penser cela. L’estafilade à sa joue qui le piquait encore lui rappelait sa mortalité justement. Il commettait toujours des erreurs, comme n’importe qui d’autre. Il fallait simplement croire qu’il avait perdu le goût de tout ça.
     A cette pensée, Hjalmar arrêta de tapoter nerveusement du doigt sur la chope qu’il tenait encore. Poussant un long soupir, il regarda le charnier par-dessus son épaule, puis laissa son regard se perdre dans le vide. Tant pis. Pour l’instant, il devait aller de l’avant, qu’il aille… quelque part. Même s’il ne savait toujours pas où.


Maraudeur



    La hache tomba tel le couperet d’une justice pour laquelle la partialité tenait de la suggestion.
    Le fil de sa lame vint goûter la chair d’une nuque trop découverte. Plaisir fugace, il y eut un choc quand le fer râcla sur une vertèbre malencontreusement placée là. Le reste se déchira mollement.
    Si facile.
    Il sourit simplement tandis que le sang violacé jaillit à gros bouillons sporadiques du corps maintenant informe.
    Quelques flocons d’un noir de jais tombaient aux alentours, assaisonnant la soupe grotesque qui s’agglomérait sur le sol froid.
    Un murmure tonitruant lui donna sa nouvelle cible. Le monde trembla.

    Hjalmar se réveilla en sursaut dans le lit de l’auberge. L’aube arrivait et sa colonne vertébrale le chatouillait de manière désagréable.
    Ses dents se serrèrent. Il n’aimait guère la répétition.



Dernière édition par Hjalmar Oksilden le Mar 14 Nov 2023 - 18:51, édité 1 fois

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La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2] Empty Re: La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2]

Lun 6 Nov 2023 - 20:44
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     Le lendemain matin, Hjalmar reparti aux aurores sur la route avec un sac de pain, du lard séché, un peu de fromage et une gourde d’eau. Un pas grand-chose qui pouvait tout de même remplir un estomac.
     Sans grande surprise, les habitants de l’auberge lui avaient assez vite fait comprendre qu’il n’était plus le bienvenu. Oh, ils ne s’étaient pas plaints ou insurgés. Enfin, si, un peu, quand Hjalmar leur avait annoncé que le nettoyage des cadavres ne faisait pas partie du contrat. Mais malgré ça, ils restèrent polis, ou plutôt prudent. Ainsi, le nordique leur avait épargné la peine d’une conversation maladroite en partant aussitôt son petit déjeuner et une bière ingurgités. Le soupir de soulagement de l’aubergiste en avait dit long.
     Une histoire vieille comme le monde. Même si, pour changer, Hjalmar appréciait de ne pas être passé par l’étape impliquant fourches, torches et autres « vile engeance, blablabla ». L’ironie étant qu’ils oubliaient souvent un détail important en raisonnant comme cela. Ici-bas, il valait mieux penser à long terme. Et se débarrasser du seul rempart efficace contre une menace qui était sûre de revenir pour se venger tenait lieu d’erreur souvent fatale. Une erreur dont le norse comptait bien profiter.

     La bande d’Helmut, comme l’aubergiste les avaient appelés. Hjalmar connaissait ce nom. Il l’avait aperçu quatre jours plus tôt sur une affiche mise à disposition des chasseurs de primes.
     Helmut Krauzter, chef autoproclamé de la petite bande de bandits éponyme, agissait sous le couvert de la secte extrémiste et interdite des Fils d’Ulric pour se faire une bonne conscience. Du moins, si c’était ce qui était marqué sur le papier que le norse tenait entre ses mains. Le déchiffrer prit un temps conséquent vu qu’il n’avait pas l’habitude de lire, mais il pensait avoir bon.
     Assis sur le tronc vermoulu d’un arbre tombé au milieu d’une petite clairière, Hjalmar reposa l’affiche et mordit dans un morceau de lard qu’il mâchonna lentement en affichant clairement son appréciation. Un des rares avantages d’un régime inexistant était qu’il pouvait apprécier au quintuple le moindre plat un tant soit peu préparé.
Soudain, un coup de feu claqua dans les environs. Le norse releva alors la tête et guetta le ciel en face de lui. Dans une trouée de la canopée il remarqua des nuages de fumées noires.
     
     « Ah. Ils sont en avance », grommela-t-il.

      Le morceau de lard toujours en bouche, Hjalmar roula l’affiche et la rangea négligemment avec d’autres à sa ceinture avant de se diriger vers le petit relais qu’il avait quitté le matin-même.

     L’endroit brûlait, comme il s’y attendait. L’auberge partait en fumée et les bandits s’attaquaient au magasin d’en face. L’odeur de suie associée à celle des cadavres carbonisés était peu ragoutante, mais quand il fallait y aller…
     Hjalmar chercha donc des yeux le fameux Helmut. Il supposa qu’il s’agissait du bel homme monté sur un cheval qui haranguait avec passion l’aubergiste, ses deux filles et les deux survivants de l’assaut. Ces derniers étaient ligotés. Bien, il était temps d’en terminer au plus vite, il s’était déjà trop attardé ici.

     « Eh ! Helmut, le fils de Tiléen ! » cria Hjalmar à l’assemblée en tirant son coutelas.

     L’intéressé fit mine de s’insurger en entendant une telle insulte à son « sang pur teutogen », mais il ne put pas déblatérer grand-chose après qu’une petite dague de lancer lui transperça la glotte en ricochant sur ses dents du bas.

      « Ha, raté, pesta Hjalmar en laissant tomber son sac de vivres. Mal équilibrée c’te dague. »

     Dire que, fut un temps, le nordique aurait formulé toute une demande de duel pour y mettre les formes.
     Le norse dégaina ensuite l’épée courte qui pendait à sa ceinture et s’approcha des bandits qui entouraient leur chef agonisant. Ce dernier, étant en plus tombé de son cheval, n’en avait plus pour longtemps. Quand les troupes de la bande virent le norse arriver, les survivants de l’échauffourée d’hier prirent aussitôt leurs jambes à leur cou. Pas si bêtes en fin de compte. Surtout qu’il les avait aperçus se faufiler derrière lui ce matin pour s’assurer de son départ. Quelle devait être leur surprise de voir le meurtrier d’hier revenir sans raison…

     « Bon, on s’y met ? » grommela Hjalmar en faisant passer sa lame d’une main à l’autre.

     C’en fut trop pour les autres bandits qui partirent tous en courant sans demander leur reste. Avec leur chef en moins et les histoires que les autres gars avaient dû raconter au sujet du nordique, ils devaient préférer ne pas tenter leur chance et rester en vie. Ils restaient des bandits de grands chemins, rien que des lâches qui s’en prenaient à des proies faciles. Ainsi, en moins de deux minutes, la bande d’Helmut déguerpit et il ne resta plus que les survivants de l’auberge et le cadavre d’Helmut au centre de l’endroit. Quand Hjalmar s’approcha du corps de sa cible, l’aubergiste lui lança un regard suppliant.

     « Oh, merci d’être revenu nous sauver ! Nous vous sommes redeva… »

     L’homme préféra arrêter là son discours quand Hjalmar se mis à trancher violemment le cou d’Helmut avec une hachette laissée là pour ensuite lever la tête par les cheveux. Après avoir sorti la dague encore plantée dans la gorge, puis l’annonce de sa lanière, le norse compara rapidement le dessin et l’original en piètre état.

     « Meh, ça ressemble assez », maugréa-t-il après quelques secondes.

     Une des deux filles dégobilla son repas précédent devant la scène. Le nordique, lui, tourna les talons après avoir récupéré la bride du cheval d’Helmut qui avait été laissé là dans la panique. Avant que l’aubergiste et ses amis ne se mettent à geindre plus encore pour leur liberté en promettant des choses qu’ils n’avaient plus, Hjalmar leur lança ladite dague ensanglantée à leurs pieds. Qu’ils se débrouillent, pensa le norse.
     Sur ce, une fois son sac de vivre récupéré et la tête sanguinolente fourrée dans un sac, le norse monta en selle. Ce qui lui tira un autre juron, un problème de confiance envers l’animal. Mais si ça pouvait lui économiser un peu de route, alors il se ferait violence… Puis, il sortit pour la deuxième fois, au trot, du relais où le toit en chaume de l’auberge s’effondrait dans un craquement sinistre.
     A ce moment-là, Hjalmar ne se sentit pas âme charitable. Ces pauvres gens pouvaient très bien se débrouiller tout seul. Après tout, c’était bien pour cela qu’il le voulait hors de chez eux, non ?
      … Non ?
     Avec une moue rageuse, Hjalmar arrêta la course de son cheval quelques mètres plus loin et il jeta un regard par-dessus son épaule. Les pauvres locaux encore prisonniers de leurs liens le dévisageaient avec un air ahuri. Ils n’avaient même pas essayé de récupérer la dague. Le norse pesta lourdement et descendit de sa monture en agrippant le sac de vivres au passage.
     Quelques minutes à couper leurs liens plus tard, il leur lança ledit sac pour les jours à venir. Une des filles de l’aubergiste tenta bien de s’approcher pour le remercier, mais Hjalmar la stoppa d’un geste :

     « Non », dit-il simplement.
     
     Puis, le nordique partit récupérer sa monture.
     Alors qu’il partait, ses mains serrèrent le licol tant et si bien qu’il eut l’impression de le sectionner. Grommelant, il se reprocha cette compassion inutile pour quelqu’un qui voulait survivre. Et pourtant ce sentiment dangereux le guidait, encore une fois. Tout ça pour avoir bonne conscience. Quel gâchis.
     Les yeux vissés sur la route forestière bordée de chênes décharnés devant lui, le norse arriva enfin à la conclusion que le contrat sur la tête d’Helmut ne le mènerait pas bien loin. Et si auparavant il utilisait sa renommée et ses duels pour gagner de l’argent, dans un cas comme dans l’autre, des répurgateurs avides de telles informations le talonnaient. Probablement. Peut-être ? … Même l’ombre d’un doute justifiait l’inquiétude dans ce cas-là.

     « Nous allons donc pouvoir commencer. »

     Hjalmar ne se sentit même pas sortir l’épée courte de sa ceinture. La voix parut lointaine mais tout à fait audible. Ayant stoppé maladroitement son cheval qui renâcla face au traitement, le norse passa son regard sur l’oraison de la forêt qui l’entourait. Il ne vit que des buissons squelettiques et des tas de feuilles mortes.

     Sa mémoire pris le relais et lui rappela l’origine de ce souvenir invasif. Après Talabheim, une berge de fleuve, la discussion avec… Déglutissant alors qu’une sensation désagréable remontait le long de sa colonne, Hjalmar rengaina sa lame et talonna sa monture qui partit au galop.
     Foutu forêt, foutu Drakwald, foutu démon, grommela intérieurement le nordique alors que d’autres murmures familiers tentaient d’accéder à ses oreilles. Là, en cet instant, il ne voulait pas parler. Et encore moins à Lui. Commencer ? Il voulait en finir, oui ! Que restait-il à commencer quand on arpentait des chemins en cul-de-sac ? La forêt semblait se rapprocher. Peut-être était-ce dû à la vitesse de sa monture ? Le vent lui fouettait le visage tant et si bien qu’il en avait les larmes aux yeux. Une branche siffla un peu trop près. Il tira enfin sur les rênes du cheval.
     Hjalmar cligna des yeux.
     L’obscurité du crépuscule l’accueillit. La lueur des deux lunes scintillait déjà sur l’écume aux babines de l’équidé. Quand il ouvrit les mains, ce fut au prix d’un effort considérable tant elles s’étaient engourdies sur le licol.

     A bout de souffle et parcouru de tremblements, Hjalmar mis pied à terre en grognant. Le monde autour de lui tourna une fois de trop et quelque pas plus loin, il rendit son maigre diner dans un buisson qui n’en demandait pas tant. Le norse regarda ses mains et la forêt qui dressait sa scène nocturne. Le tout continuait de vibrer. Il s’assit sur les racines d’un arbre moussu et attendit de reprendre son souffle. Les voix s’étaient tues.

     Il avait besoin de stabilité. Oh, ça oui. De retrouver un environnement familier où il pourrait enfin faire le point sur sa situation et sur ce qu’il devait faire ensuite, plutôt que d’improviser au jour le jour… Et, en réalisant que Marienburg se trouvait sur sa route, il sut où trouver ça.

Maraudeur




     Environ trois jours après avoir continué vers l’Ouest avec un ventre qui criait famine et un dos en miettes, Hjalmar arriva en début de matinée dans les environs de Marienburg, la plus grande cité du Vieux Monde. On pouvait aussi la qualifier de la plus cosmopolite, la plus malhonnête et la plus bordélique, mais ces titres coulaient de source avec le premier.
     De là où il se trouvait, le norse trouvait que la cité s’élevait du Pays Perdu tel un joyau aux couleurs bigarrés au milieu d’un marais fétide et plat, s’accrochant à la gigantesque baie de la Mer des Griffes qui s’étendait d’un côté et au fleuve Reik de l’autre. Ce qui ajoutait quelque peu à son aura bien spécifique et inimitable.
     En tout cas, si vous vouliez vous faire une idée rapide de cette mégalopole d’îlots reliés par divers ponts, reportez-vous à ce dicton populaire : « A Marienburg, tout peut être acheté ou vendu. A l’exception d’une seule chose : un morceau de terrain ». Pour ce que Hjalmar en savait grâce à son dernier passage dans la capitale du Pays Perdu, c’était on ne peut plus vrai. Mais, à son avis, ils devraient vraiment mettre l’accent sur le mot « tout ».
     Comme il l’avait prévu, la neige avait fini par pointer le bout de son flocon deux jours avant. Mais, en arrivant dans une région côtière, le climat froid du Middenland avait fait place à un temps plus clément. Le norse vit ainsi la poudreuse disparaître pour retrouver les brises fraîches qui ne lui avaient pas manquées dans les bois de la Drakwald.
     Après un léger soupir fatigué, car il savait ce qui l’attendait en entendant déjà au loin les clameurs de la vie citadine, Hjalmar se mit en route vers Marienburg après avoir relâché sa monture volée. Entrer dans une telle cité restait risqué, mais les répurgateurs fréquentaient moins ces environs. Après tout, ici, il se trouvait en dehors de la juridiction de l’Empire.

     Arrivant ainsi par les hautes murailles du Noordmur, Hjalmar entra par ce qui semblait être appelé l’Oostenpoort, une imposante entrée sur-gardée... Et surtaxée. Une fois le droit de passage exorbitant payé aux coiffes noires qui tenaient l’endroit avec ce qui lui restait d’argent, le norse put arriver dans un autre monde. Un monde bruyant, chatoyant, criant, vivant et pourtant étouffant avec ses hauts bâtiments penchés qui bloquaient presque les rayons du soleil. Celui d’une population aux couleurs et origines tellement variées qu’elle faisait passer les créations de Tzeentch, le dieu du chaos du changement, pour le travail d’un amateur en comparaison.
     Le bain de foule s’avéra aussi peu plaisant que les fois précédentes. Du bruit sans cesse, et ça piaillait, piaillait ! On racontait diverses âneries ici, vendait des breloques là-bas, annonçait la fin du monde ailleurs. Le nordique en regretterait presque sa chevauchée silencieuse des jours précédents. Presque.
     Quelques réflexes citadins finirent par revenir toutefois. C’était avant tout une question de jeu de jambes mais aussi de prévoyance. Esquiver un pot de chambre, trouver un moyen de passer à travers tel ou tel groupe dans une rue étroite ou en changeant d’avenue, éviter les marchands ambulants comme la peste… Ainsi, lorsque Hjalmar arriva aux abords du grand – un euphémisme au vu de sa taille – pont qui séparait la rive nord de la rive sud de la ville, le nordique tolérait presque le brouhaha ambiant. Il se contentait de marcher avec la masse. Et il valait mieux, car sinon c’était la masse qui vous marchait dessus.
     Du haut de l’édifice de plusieurs mètres de large, où des habitants avaient même réussi à installer par miracle des maisons branlantes sur les flancs, le nordique put apercevoir le grand canal principal. Sur le Reik voguaient ainsi à touche-touche des caravelles, navires de guerre Impériaux ou Marienburgeois et tant d’autres dont il ne pouvait que vaguement deviner l’origine.
     Après avoir profité du ciel ensoleillé au-dessus du pont, Hjalmar entra dans la deuxième partie du monde marienburgeois : sa rive sud. Après être passé par le quartier du Nipponstaad et ses effluves d’épices asiatiques, par le Paleisbuurt et ses palais des maisons marchandes qui s’élevaient tels des œuvres d’arts, arriver dans le port puant et miteux du Suiddock était un sacré retour à la réalité. Plutôt brutal même. Certains disaient, à raison, que le Suiddock était le « cœur et l’âme » de Marienburg et le plus grand port du Vieux Monde avec son kilomètre de quais. Mais quand on voyait son état, si on y trouvait le cœur économique de la ville, on s’inquiétait franchement pour son âme en revanche.
     En y arrivant et après avoir dû respirer des effluves capables d’arrêter une mouette en plein vol, Hjalmar se remémora son dernier passage mouvementé ici. Enfin, si mouvementé suffisait pour décrire une série de massacres en règles assaisonnés de Bretonniens et d’Impériaux haut-en-couleur. Maintenant qu’il y pensait, le norse se demanda comment Sieghilde et Holger se débrouillaient à présent. Leur dernière escapade commune au Talabecland ne leur avait pas vraiment porté chance car ils partageaient son sort d’être pourchassés par des répurgateurs eux aussi. Décidément, se dit le norse en maugréant, il avait vraiment le chic pour emmener les gens autour de lui dans ses problèmes.
     Les poings serrés, le norse soupira lourdement en espérant éjecter ainsi la frustration qui l’assaillait mais, comme il s’y attendait, ce fut inefficace.

     « Bon sang », jura-t-il.

     Depuis son passage infortuné dans les Royaumes du Chaos, tout était allé de travers. Sa gloire et sa renommée dont il était si fier autrefois se retournaient contre lui. Auparavant, il appréciait cela puisqu’il pouvait se trouver des ennemis à affronter plus facilement. Mais maintenant qu’il voulait un peu de calme, le reste du monde continuait malgré lui à le harceler. Il payait le prix de sa vie dissolue et tous ceux qui le côtoyaient trop longtemps en subissaient les retombées. Sa plus grande force était ainsi devenue sa malédiction et il ne pouvait rien y faire. C’en était rageant et pathétique à la fois et… Et… Et il était arrivé à destination en fait.
     Clignant des yeux, le nordique observa ses alentours et reconnut le petit quartier norse de la ville, le Noorsmaanwijk, toujours aussi peu habité mais assez imprégné de parfum houblonné et de lait caillé pour se sentir chez soi. Ou du moins, une version idéalisée. Seuls quelques gris-gris ésotériques ornant des bicoques de style impérial rappelaient l’origine des occupants des lieux. Occupants qui n’occupaient plus grand-chose ces temps-ci d’ailleurs.
     En tout cas, l’enseigne du « Caribou Flottant » se tenait juste devant lui, grinçant au gré de la bise marine.

     « Flottant ? murmura Hjalmar en levant un sourcil. Faut croire que le Caribou crevé vendait moins comme nom. »

     L’animation à l’intérieur filtrant aux travers des épaisses fenêtres, cela attira Hjalmar vers l’entrée. Sans trop savoir s’il était soulagé ou fébrile, Hjalmar vint se placer devant la porte de la taverne. Il agrippa la poignée et attendit un instant. Ses yeux se posèrent sur les détails du bois usé par le sel marin, son autre main parcourut quelques aspérités l’espace de quelques secondes. Quelques éclats lui parvinrent, des rires francs, des rixes en bonne et due forme. La dernière fois lui paraissait être arrivé il y avait une éternité.
Alors, il respira un grand coup et poussa fermement la porte.
     Le changement de ton fut immédiat. Le silence lugubre vola en éclat dans un tonnerre de rugissement, de rires et de chocs de choppes. A croire que toute la population du quartier vivait dans ce bouiboui et qu’ils avaient invités les voisins pour la forme. Norses, nains, humains et même quelques ogres se tiraient la bourre dans une ambiance suffisamment unique pour attirer des clients même ici-bas.
     Le mobilier en granit n’avait pas changé, remarqua Hjalmar en descendant les marches pour rejoindre la salle principale. Une précaution pour limiter la casse qui marchait relativement bien. Relativement car elle n’empêchait pas les rituelles baston de taverne qui ferait passer les lieux pour une fosse de combat géante aux non-initiés.
     Par réflexe, le nordique évita le tout aussi rituel tabouret volant – un mobilier rare donc – envoyé pour accueillir les nouveaux venus. Cela Hjalmar ne l’avait jamais vraiment compris en revanche. Tout le mobilier était trop lourd pour être lancé, sauf ces quelques tabourets. Soi-disant que cela laissait aux clients de quoi s’amuser un peu.
     Après s’être taillé un chemin jusqu’au comptoir en repoussant divers duos ou trios de truands nains et humains qui échangeaient sur leurs différences culturelles à grand coups d’arguments percutants, Hjalmar vint s’affaler sur un des sièges. La consistance de ce dernier compacta quelque peu les vertèbres du norse. D’après lui, cela resta plus conformable que la selle des derniers jours.
     Il ne fallut pas longtemps avant que la forme inratable de Thormund ne se profile de l’autre côté du comptoir avec une, à nouveau rituelle, corne à boire remplie à ras bords dans ses grosses mains. Depuis le temps, Hjalmar arrêtait de demander au tavernier comment il faisait pour la prévoir à chaque fois en aussi peu de temps. Un secret du métier, voilà ce qu’il lui répondait toujours. L’autre norse avait un visage rond et jovial agrémenté d’une barbe rousse touffue mais courte, le crâne dégarni et une carrure suffisamment imposante pour qu’aucun de ses clients n’ai jamais eu à redire quelque chose sur les prix des breuvages.

     « Ça faisait longtemps, lança Thormund dans leur langue natale en haussant la voix pour couvrir le brouhaha de la bataille.
     — Trop longtemps, oui », répondit Hjalmar dans un norse un peu rouillé.

     Sur ces paroles laconiques, Hjalmar attrapa la corne à boire, en huma l’amertume et se mit à la boire lentement. Un breuvage pareil, ça se savourait. Thormund déposa ensuite une petite miche de pain sur le comptoir qui ne fit pas long feu au vu de la faim qui tenaillait son compatriote.

     « Pas trop de casses aujourd’hui ? commença Hjalmar en essuyant la mousse restée sur sa moustache.
     — Nan, ça va. Il y a deux semaines en revanche, un ogre m’a détruit une table. Je n’ai toujours aucune idée de comment il a bien pu faire !... Sinon, quelles nouvelles ? lança le tavernier alors qu’il renvoyait un Bretonnien à moitié assommé dans ses camarades.
     — Beaucoup trop de choses pour être racontées à la volée.
     — Essaie toujours.
     — Je ne préfère pas. »

     Thormund attendit quelques secondes, espérant apparemment une suite qui ne vint pas. Il jeta alors un regard en biais à Hjalmar après avoir surveillé la salle par habitude.

     « Tu sais, ça fait des années que j’te vois passer. A chaque fois, je t’retrouvais avec une cicatrice en plus, un œil au beurre noir, des vêtements en sang ou les trois à la fois. Je n’arrivais même pas à savoir de quand datait ton dernier repas et t’avais l’air tellement fatigué que tu aurais dormi aussi sec sur le sol que ça ne m’aurait pas étonné. Je m’disais donc que c’était un foutu miracle et qu’les dieux t’aimaient bien pour te garder en vie aussi longtemps malgré ton idiotie latente. »
     
     Devant cette pique, Hjalmar vint frapper amicalement du poing l’épaule de son compatriote, ce qui fit rire doucement les deux hommes. Mais en voyant que l’humeur de Hjalmar s’était assombrie à la mention des divinités, Thormund reprit.

     « En revanche, ce qui me rassurait à chaque fois, c’était de voir que malgré tout ça, t’avais constamment ton sourire idiot sur le visage, cette motivation bornée. A chaque fois, pendant toutes ces années... Mais pas aujourd’hui. Donc, j’aimerais qu’tu me répondes franchement. Pourquoi t’est venu me voir cette fois ?
     — Pour retrouver quelque chose de familier.
     — Mon vieux trou au milieu de Marienburg dans lequel des gens se fracassent la tête à longueur de journée pour oublier l’avenir ? C’est ça que t’appelles familier ?
     — Ouais.
     — Et ça marche ? »

     Hjalmar jeta un œil en arrière pour embrasser du regard la salle qui ressemblait plus à un champ de bataille qu’à autre chose. L’ambiance était échauffée, n’importe qui pouvait vous tomber dessus à cause d’un bête regard. S’il le voulait, il pourrait se jeter dans la mêlée et participer aux festivités. Dans sa main, la corne à boire contenait encore un peu de l’hydromel de Thormund, brassée à l’ancienne selon les techniques de son pays natal, une petite merveille nostalgique. Pour le reste, l’endroit exsudait la sueur, l’alcool fermentée et le bois humide. L’éclairage laissait à désirer cependant. Tout à fait le genre d’environnement dans lequel il s’était senti bien toutes ces années passées.
     Son inspection terminée, le norse se retourna alors vers son ami qui attendait sa réponse, accoudé au comptoir.

     « Non, plus maintenant », maugréa Hjalmar.

     Frustré de se rendre compte que sa dernière solution venait de partir en fumée, Hjalmar reposa sèchement la corne à boire sur le comptoir sans même la terminer.

     « Toi, t’as besoin de changer d’air, proposa Thormund.
     — Pff, tu le sais bien, je suis déjà passé par je ne sais combien de pays. S’il y en avait un où j’étais censé me sentir mieux, je serais déjà en chemin.
     — Foutaises, tu sais très bien où tu dois aller. T’as juste peur d’y retourner. »

     Même s’il lui lança un regard noir, Hjalmar savait trop bien que Thormund avait raison. La Norsca, sa terre natale, un pays où il avait vécu ses seize premières années avant d’être banni de son propre village.

     « Je n’ai pas le droit d’y retourner et tu le sais, reprit Hjalmar. J’ai failli mon clan et j’en assume les conséquences. Donc c’est non. Je devrais pouvoir trouver autre cho…
     — Foutaises, encore une fois.
     — Thormund, je sais c’que je dis ! s’exclama Hjalmar.
     — Pas vraiment non, grommela Thormund. Regarde-toi un moment, et prends ton temps parce que t’as pas l’air de bien saisir. » – Le tavernier patienta quelques instants avant de reprendre – « T’es quasiment un mythe, Hjalmar ! La majorité des norses qui passent la porte de ma taverne te connaissent. Ils scandent des ‘Hjalmar la terreur des Marches’ ou ‘Hjalmar le duelliste’ à longueur de soirée.
     — Tu sais bien que ces titres je m’en tamponne le coquillard, s’exaspéra Hjalmar.
     — Peut-être, mais j’ai vu un scalde chanter un couplet en ton honneur. Il chantait faux, certes, mais quand même ! Il serait temps pour toi de voir que ça y est. C’est fini. Tu l’as payée ta dette. Ton nom et tes exploits sont connu de tous. Il est temps de rentrer maintenant.
     — Ce n’est pas suffisant.
     — Est-ce que ça le sera un jour pour toi ? lui reprocha Thormund. Qu’est-ce que tu cherches ? A mourir ou à revenir auprès des tiens ? Le Hjalmar que je connaissais il y a vingt ans, lui, il voulait revenir. Et maintenant ?
     — Je n’en sais trop rien », lâcha Hjalmar en regardant dans le vide.

     En entendant cela, Thormund en leva les bras au ciel en roulant des yeux. Après un soupir exaspéré, le tavernier observa Hjalmar avec forces moues avant de reprendre :

     « Ton frère est passé par ici tu sais », reprit Thormund.
     Le fil des pensées de Hjalmar en eu un soubresaut. Il lui fallut ainsi bien dix secondes avant de reprendre.
     « P… Quand ça ?
     — Je dirais il y a plus de cinq mois. Harald était venu chercher des matériaux rares pour sa forge et d’autres trucs à Marienburg. Il a fait un crochet par ici.
     — Pourquoi est-ce que tu n’as pas commencé par ça ?! cria le guerrier norse en se levant à demi de sa chaise.
     — Parce qu’il me l’avait demandé, le calma Thormund. Il voulait prendre de tes nouvelles mais sans interférer avec ta « quête » … Et si tu l’apprenais, eh bien, il m’a aussi demandé de te traiter d’imbécile fini de sa part.
     — Ouais, souffla faiblement Hjalmar. C’est bien lui ça. »

     Toute velléité quittant son corps, le norse se rassit sur son siège, l’air perdu. Harald, son frère qu’il avait perdu de vue depuis… Combien d’hivers déjà ? Une vingtaine ? Plus ?

     « Alors ? Tu n’en sais toujours rien ? ricana Thormund en nettoyant un verre.
     — Pardon ?
     — Je mentionne ton frère et tu t’agites aussitôt. Pour quelqu’un qui n’a pas envie de revenir au pays, j’trouve ça bien étonnant. »

     Hjalmar dû bien admettre que son vieil ami venait de marquer un point. Mais avant même qu’il ne puisse émettre une opinion sur le sujet, Thormund prit les devants.

     « Écoute, tu fais c’que tu veux, mais j’ai une autre nouvelle. Harald m’a annoncé que notre village natal, Stavgard, a été rasé il y a plus d’un an maintenant. Une attaque des Graelings, celle de trop. La forte majorité des habitants ont survécu et ont rejoint le village d’Iskvard à l’ouest. Nouveau conseil des anciens, nouveau goði, nouveau départ pour toi. »

     Hjalmar resta stoïque pendant une bonne minute de plus. Puis, l’air toujours aussi perdu, il reprit la parole :

     « Comment… ?
     — Faudra que tu prennes un bateau d’ici à Brestnorrois, un village bretonnien. De là-bas tu pourras rejoindre ta destination.
     — Pourq… ?
     — Aucun navire ne part d’ici à Iskvard. Harald me l’a assuré.
     — Har… ?
     — Il est du genre prévoyant, tu l’sais mieux que moi.
     — …Merci.
     — De rien, mais fais-moi le plaisir de repasser de temps en temps.
     — Toujours. »

     Après un hochement de tête amical, Thormund attrapa la tête du Bretonnien d’avant qui s’était étalé à nouveau sur le comptoir. D’un coup de coude rapide, il assomma l’impertinent qui salissait son beau meuble et ajouta une ligne à son ardoise avant de le renvoyer à nouveau vers ses amis de beuverie. Puis, il salua de la main Hjalmar qui s’était levé. Ce dernier lui rendit son adieu avec un léger sourire en coin. Comme quoi, il avait eu une bonne idée en venant ici finalement.

     Une fois sorti de la taverne en effervescence en distribuant quelques échanges culturels avec ses poings, Hjalmar réalisa quelque chose. Cette discussion avait peut-être été une des plus longues qu’il n’ait jamais eu avec Thormund.
     Se retournant vers l’autre côté de la salle alors qu’il se tenait dans l’embrasure, le norse jeta un œil vers son compatriote qui éduquait un nain sur l’art de bien se tenir en présence du patron du lieu. Si Hjalmar était définitivement reconnaissant envers son vieil ami, il pressentait que sa prochaine discussion avec Thormund se devait d’être sensiblement plus longue. Mais cela, seul l’avenir le lui dirait.
Maraudeur



     La mer des Griffes, la belle et dangereuse mer, celle qui vivait avec et contre les norses depuis tant de générations. Aussi bien muse des scaldes que terrain de chasse des harponneurs des villages côtiers, elle faisait autant partie de la Norsca que les fjords qui la bordaient… Et ce n’était pas son tempérament fougueux qui allait contredire cela. Bien au contraire puisque qu’elle ressemblait d’autant plus au fier peuple du nord. Ou était-ce l’inverse ?

     Accoudé au bastingage du knarr, un navire marchand norse, Hjalmar sirotait à intervalles réguliers une petite gourde de liqueur que les marins avaient daigné lui prêter. Il observait les vaguelettes qui se formaient autour de l’esquif tandis qu’il fendait les flots. Dans le même temps, l’air marin offrait son parfum salé en étant porté par une brise un peu fraîche. En somme, un des bien trop rare jour calme sur cette mer.
     Ces sensations, ces odeurs, tout cela était intimement familier pour Hjalmar, c’était dans son sang… Mais sa dernière virée navale remontait à loin, alors un bateau norse ? Autant dire qu’il s’agissait du siècle dernier pour lui. Et il regrettait un peu de ne pas être monté à bord de l’un d’entre eux depuis tout ce temps.
Une vague un peu plus épaisse vint passer sous le bateau, faisant grincer son bois alors que le navire s’adaptait au choc pour en diminuer l’impact. Le knarr avait été bien construit. Il avait beau être un navire marchand, un inculte l’aurait confondu avec un vaisseau de guerre. Et ce n’était pas plus mal. Au moins les pirates et autres corsaires les laissaient relativement tranquille la plupart du temps.
     Reportant son regard vers l’arrière du navire, Hjalmar vit que les dix norses qui servaient d’équipage au knarr étaient occupés à diverses tâches allant de la vannerie au salage de poisson. Il avait eu la chance de tomber sur eux peu de temps après être sorti du Caribou Flottant. Quelques marchands Skaelings de passage qui avaient accepté de le déposer à Iskvard contre un petit payement, le genre d’aubaine qu’il ne pouvait pas rater. A cette période, avec l’hiver qui s’installait, les navires norses devenaient rares à cause du gel partiel de la mer. Certains, dans les villages les plus au sud, essayaient toujours d’accomplir le voyage pour chercher des vivres, mais les icebergs et autres formations de glace rendaient la traversée dangereuse. Sans eux, il aurait donc pu se retrouver à attendre longtemps…
     Trois des marins passèrent une bâche en lin sur les sacs de grains et autres denrées introuvables dans le pays du nord. Les autres ramaient ou géraient les cordages. Une journée en mer on ne pouvait plus classique en somme. Lui se reposait, il avait aidé à ramer lorsque le vent s’était arrêté de souffler peu de temps après leur départ de Brestnorrois. D’autres prenaient la relève depuis quelques heures, mais la brise qui filait à présent indiquait que Mermedus, ou Stromfels selon les croyances, les tolérait en ce jour.

     Brestnorrois. Hjalmar rigola doucement dans sa barbe en pensant à cette situation cocasse d’ailleurs. Hier, quand ils arrivèrent dans le port du village fortifié qui s’étalait sur la côte nord des Marches de Couronne, le norse eu une étrange impression familière. L’endroit mélangeait l’architecture nordique et bretonienne de manière étonnamment harmonieuse. On comprenait donc bien vite pourquoi ce port était devenu un point d’échange important dans la région. Au loin, un château colossal trônait sur une falaise à bord de mer, ses camarades de voyage lui apprirent qu’il s’agissait du domaine de Mélinor. Le seigneur local garderait un œil aussi inquisiteur que constant sur les navires norses – ou à peu près tout ce qui s’approchait de l’endroit en fait – mais le vassal en charge du petit village de Brestnorrois assurait la sécurité des échanges.
     Hjalmar s’était fait la réflexion que le Bretonnien en question devait être un homme intéressant s’il s’intéressait tant que cela à la Norsca. Quel ne fut donc pas sa surprise d’apercevoir au loin, depuis les quais qu’ils quittaient après avoir acheté un peu de ravitaillement, le chevalier Cédric le Normand. Le Brionnais ne l’avait pas aperçu car il semblait occupé à se préparer pour une expédition importante et il organisait le départ de ses troupes. Ainsi, le norse s’était souvenu en le voyant qu’il connaissait bel et bien cet endroit puisque le chevalier lui en avait parlé lors de leurs voyages en commun dans les montagnes grises… L’année dernière, si près et pourtant si loin. Hjalmar voulu aller à sa rencontre pour échanger quelques mots, mais les marchands skaelings l’avaient appelé, ils repartaient et n’attendraient pas. L’occasion était manquée, dommage.
     En quittant le village, Hjalmar avait entendu plusieurs cornes de brumes sonner dans le lointain et des contingents quittèrent la ville et le château. Une bataille se préparait quelque part et ils avaient probablement dû être appelés. Ainsi, le nordique avait souhaité bonne chance au normand depuis le navire. Il ne pouvait plus vraiment prier pour lui, faute d’interlocuteurs divins, mais il envoya néanmoins une demande maladroite à la Dame. La déesse protectrice de la Bretonnie l’entendrait peut-être.

     Retournant au présent, Hjalmar cligna des yeux quelques fois avant de passer sa main gauche sur le visage. Le mouvement tira sur ses muscles endoloris par l’effort et sa peau battue par l’air marin crissa doucement sous son gant. Apparemment, il n’était pas encore remis de sa longue séance de maniement de rame. Il récupérait moins vite que dans sa jeunesse et il ne possédait pas l’entrainement des marins. Dire que ces gaillards ramaient depuis des heures sans montrer le moindre signe de fatigue. Tout était dans le mouvement lui avait-on dit, accompagner l’eau, et il n’en doutait pas. En comparaison, il devait avoir la grâce d’un rhinox avec une rame au vu de ce qu’il avait retenu des sorties en mer de sa jeunesse. On ne pouvait pas être bon dans tous les domaines, voilà tout.
     Hjalmar en rigola presque à nouveau. Un Bjornling qui ne savait pas ramer proprement ! Pour un ancien membre d’un clan dont la plus grande part des activités s’effectuaient en mer, c’en était cocasse… Mais malgré cela, il se sentait dans un environnement familier. Eh, même un mauvais rameur pouvait apprécier d’être en mer, non ?
Une bourrasque interrompit le fil des pensées du guerrier en filant vers le nord-ouest, leur direction donc. La nouvelle fut accueillie avec maintes acclamations de joie des marins qui se mirent à remercier les divinités de la mer pour ce cadeau en jetant quelques morceaux de viscères à l’eau. Ils firent attention de ne pas tâcher leur esquif et s’activèrent d’autant plus aux rames pour quitter l’endroit.
     Peu de temps après l’offrande, le knarr tangua légèrement quand une ombre titanesque passa sous eux. La forme fit ensuite surface avant de replonger non loin, sa peau grise et rugueuse ornée d’ailerons rouges perçant l’eau pendant seulement quelques secondes. Aucun des hommes à bord ne put réellement définir la chose ou lui donner un nom, mais qui le pouvait ? Le fait qu’ils aient survécu à cette rencontre convainquit totalement les marins que leur voyage avait reçu la bénédiction des dieux marins et l’ambiance à bord se détendit. Pour Hjalmar, c’était juste de la chance. Oh, il savait bien que des divinités de la mer existaient, mais il restait convaincu que ces dernières se fichaient éperdument du sort de leur esquif perdu au milieu de cette immensité d’eau. Du moins, tant qu’ils ne faisaient rien pour les agacer.
     Voyant qu’il ne pouvait pas être utile pour le moment, Hjalmar laissa les marins descendre la grand-voile et alla s’adosser au bastingage, vers la proue du navire. Il récupéra une petite couverture en laine pour se tenir au chaud et laissa la houle et le froufroutement de la voile le bercer. Il ne fallut ainsi pas longtemps avant que le monde autour du norse fatigué ne se brouille avant de disparaître complètement, emporté en douceur par les courants du sommeil.
     Enfin, pas complètement. Hjalmar restait accoutumé à sa vie solitaire dans le Vieux Monde et il ne dormait que d’une oreille. D’autant plus que les dernières nuits lui laissaient un goût amer de déjà-vu dont il se serait bien passé. Mais, pour une fois, il se sentit relativement en sécurité et il se laissa donc aller un peu plus que d’habitude.

     Or, une fois à peu près entré dans le monde des rêves, les paysages idylliques qui tentaient de se former dans son esprit disparurent bien vite au profit d’autres visions. Des souvenirs des royaumes trop lointains pour faire sens revinrent à la charge, encore et encore, profitant de ce moment de faiblesse où le norse abaissait ses défenses. Des plaines d’os blancs baignant dans du sang écarlate s’étendirent lentement devant lui. Des ziggourats de bronze s’élevèrent en craquant vers le ciel, libérant des nuages de souffre toxiques. Au loin, il put entendre les cris de guerre continu des sanguinaires, hurlant et appelant leur divinité infernale pour demander plus de sang à faire couler. C’était le domaine de Khorne, le dieu de la guerre et du massacre et… Et il n’était qu’une pâle copie rêvée de la réalité.
     Les Royaumes voulaient jouer avec lui, le rendre fou probablement, mais le norse avait fini par se rendre compte que ce traitement pâlissait en comparaison à son passage là-bas. Lors de son retour dans le Vieux Monde, l’après-coup avait bien failli lui faire frire le cerveau. Mais maintenant, ses tortionnaires donnaient l’impression de se lasser d’essayer. Oh, ils le regardaient toujours, attendant le bon moment pour frapper, même si pour le moment le nordique profitait d’une certaine accalmie… Le problème étant qu’il savait très bien pourquoi.
     Ce traitement de faveur n’était pas normal, pas le moins du monde. Les démons ne connaissaient pas la pitié ou la compassion et ils avaient tout le temps du monde. Alors faire une petite pause pour laisser une de leurs victimes récupérer ? Jamais. Oh non, c’était l’intervention de son « protecteur » – ou du moins l’entité qui se présentait en tant que tel – qui le soustrayait à leur influence pour le moment.
     Ah tiens d’ailleurs, se dit Hjalmar, il était peut-être temps de lui demander ce qu’il voulait l’autre depuis tout ce temps justement. Essayant de concentrer ses pensées fugaces, le norse tenta d’engager la conversation :

     « Malal ? pensa Hjalmar.
     — …
     — Eh bien, pour quelqu’un qui me reproche d’être trop lent, tu sais prendre ton temps !
     — La patience est une vertu, nordique, quand on ne l’abuse pas », lui répondit-t-on calmement depuis les limbes. Un son teinté d’une myriade de variantes, crissant et craquant sans raison aucune, se glissant sous la peau à chaque ponctuation et utilisant les inflexions comme des crochets pour s’arrimer aux rêves.  

     Le souvenir du royaume de Khorne disparut brutalement, comme aspiré dans le néant pour ne laisser place qu’à un espace noir chatoyant. Devant Hjalmar apparut ensuite une ombre blanche, difforme, chitineuse et reptilienne à la fois. Le colosse démoniaque irradiait d’une splendeur invisible qui cachait les détails de sa personne à la vue du norse. Seul deux orifices transparurent au travers du rideau d’ombres, semblable à des phares déchirant le voile de la nuit pour se braquer tout entier sur Hjalmar.

     « Je… suis surpris que ça ait fonctionné, s’étonna ce dernier.
     — Bien. Tu réalises que je te fais une faveur. »
     Le nordique tenta d’observer son environnement et, confronté à une migraine terrible, abandonna cette idée.

     « Vraiment ? »

     Malal trouva bon de répondre à cette question par un silence durant un éon. Les maux de tête de Hjalmar ne s’améliorèrent pas quand il sentit que quelque chose de grouillant se mit à parcourir l’arrière de son dos, hors de vue. Le reste de son corps paraissait absent, voilé par les ombres. Le souffle du nordique s’accéléra.

     « Tu joues avec moi, hein ? »

     Toujours pas de réponse. Les deux grands yeux ne bougèrent pas d’un iota, iridescents de monochromie.

     « Et alors ? J’attends ! s’impatienta le norse.
     — Moi aussi homme du Nord. Moi aussi. Je ne fais que cela. »

     Fronçant des sourcils, Hjalmar tenta de comprendre cette réponse sans vraiment y arriver. La chose derrière sa tête grimpait jusqu’aux oreilles à présent et possédait apparemment quelques mandibules. Quand il tenta de lever le bras pour l’enlever, aucune réponse musculaire ne lui vint. Comme tétanisé, son corps sommeillait toujours tandis que son esprit subissait.
     Résigné, Hjalmar tenta donc retourner à l’envoyeur la même réponse en s’enfermant dans un mutisme gêné par ses maux de tête étranges.

     « Mieux. Tu apprends vite. »

     Les deux orifices lumineux s’approchèrent distinctement, occupant progressivement la vision du nordique jusqu’à l’occulter totalement. Sa migraine s’intensifia d’instant en instant, de même que l’emprise de ce qui lui enserrait le crâne. Hjalmar tenta de fermer les yeux, en vain, le concept des paupières ne fonctionnait tout simplement pas ici-bas. Aveuglé par cette lumière d’un blanc absurde, l’obscurité qui revint soudainement fut un soulagement sans nom.

     « Hmm, même dos au mur, il ne sait pas quoi dire », reprit la voix aux échos multiples.

     Une vague lueur revint, détourant subtilement la forme du Dieu Déchu. Un nom qui venait d’émerger du néant et qui pourtant s’imposait sans aucun doute possible. Patte par patte, la chose chitineuse derrière le crâne du norse relâcha son emprise.

     « Quo… ? Qu’est-ce que tu me veux ?! tenta à nouveau Hjalmar.
     — Que tu me donnes ce que je cherche. Tu en sais assez pour le trouver. »

     Puis, les ombres formant Malal disparurent du subconscient de Hjalmar aussi soudainement qu’elles étaient arrivées, laissant brutalement place au pont du knarr et à la mer environnante.
     Hjalmar cligna des yeux quelques instants, réalisant qu’il venait de se réveiller en sursaut. Il faisait nuit et Mannslieb éclairait faiblement le pont du bateau. Le marin de garde lançait un regard inquiet vers lui apparemment. Après l’avoir rassuré rapidement en prétextant un mauvais rêve, Hjalmar s’adossa à nouveau au bastingage. Le clapotis de l’eau sur la coque acheva de le ramener au réel.
     Sa situation ne s’améliorait pas, se dit-il en soupirant. En faisant cela, le norse réalisa que son souffle se transforma en une buée plus dense. Quelques gouttelettes mouillaient sa barbe d’ailleurs à cause de la condensation. Il faisait bien plus froid qu’aux abords des côtes bretonniennes et sans sa couverture en laine, sa barbe aurait certainement gelé. Ainsi, la Norsca approchait et avec elle le plan du soi-disant Malal à n’en pas douter.
     Cette perspective ternit quelque peu le moral du norse. Il n’était pas effrayé, mais inquiet. Inquiet de savoir ce qu’un supposé démon qu’il connaissait si peu voulait faire de lui. Surtout que Malal, lui, semblait le connaître par cœur. Il lui avait même donné le nom de son père comme si de rien était ! Et cette histoire de hasard…
Dans un souffle sifflé entre ses dents serrées, Hjalmar finit par relâcher ses épaules. Ruminer ne ferait pas avancer le bateau plus vite. Comme le sommeil imposait sa présence sur le nordique, il se décida à fermer les yeux à nouveau peu de temps après. La nuit lui porterait peut-être conseil ? Plus que la fatigue en tout cas.

     En attendant, il passa tout de même sa main à l’arrière de son crâne. Il n’y trouva que ses cheveux, gras et ébouriffé. Rien de bien original donc. Mais, curieusement, le grattement ne l’avait pas totalement quitté.
     Cette nuit-là, le norse se recroquevilla un tant soit peu sous sa couverture.


Dernière édition par Hjalmar Oksilden le Mar 14 Nov 2023 - 18:56, édité 2 fois

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Sam 11 Nov 2023 - 15:28
Résumons : Hjalmar a précédemment fait un séjour dans les royaumes chaotiques (plutôt du côté de chez Khorne), séjour écourté par une invocation de cultistes d'un quartier pauvre de Talabheim. Son retour n'est pas passé inaperçu des sigmarites. Dès lors, son statut est passé de "hérétique parmi d'autres" à "source de corruption à éliminer en toute urgence". On pourrait difficilement leur donner tort, cependant il se trouve que Hjalmar fut protégé de la corruption par l'intervention d'un cinquième dieu, Malal, qui aurait des projets pour lui. Quant à Hjalmar lui-même, le séjour chez les khorneux l'a "calmé" et il cherche depuis un coin où il pourrait couler des jours plus paisibles, soit le contraire de ses vadrouilles incessantes où sa légende s'est lentement écrite. Il quitte pour cela les terres impériales et emprunte la voie maritime pour revenir chez lui. La bonne nouvelle est qu'un nouveau départ semble l'attendre en Norsca. La mauvaise est qu'il n'a toujours pas réglé ses comptes avec les divinités chaotiques.

Si ma mémoire est bonne, son retour au bercail ne sera pas non plus sans embuches, et la version précédente du 4e tome s'est arrêtée au moment où il est parti pour accomplir un nouvel exploit afin d'être mieux accueilli chez les siens.
Il me tarde de voir la version réécrite de ces derniers épisodes ! La suite ! La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2] 705433
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Lun 13 Nov 2023 - 23:36
Hello !

Merci beaucoup de nous partager (je préfère dire partager que repartager, parce que si je me souvenais que quelques trucs, ma dernière lecture datait un peu ^^) ce texte ! c'est vraiment sympa à lire, et comme le chroniqueur, j'ai hâte d'avoir la suite !

Sur ton style, j'aime beaucoup ta manière de personnifier tes descriptions. J'ai particulièrement réagie à la phrase juste après, que je trouve vraiment jolie/mignonne :
la neige avait fini par pointer le bout de son flocon
C'est simple, mais il faut vraiment y penser pour écrire ça, et ça rend super bien. En plus ça évoque les loups de l'hivers avec juste un choix de mot. Très fort, et le texte en est plein !

Sur la manière d'écrire et d'avancer, il y a plein de choses juste suggérées, et ça donne au texte une bonne dose de sa couche d'humour. Par exemple, passer d'une scène où Hjalmar voit des cerfs et des loups, à "il se balade avec son gigot en remettant son manteau en peau de loup sur l'épaule" est vraiment bien joué
Plusieurs fois, tu fais l'exacte opposé : tu décris quelque chose très "directement", comme les meubles de granite, ou l'amicale rencontre d'un front middenlender et d'une table.
Ce mélange de violence très crue ou subtilement éludée rend ton style vraiment très épicé, j'aime beaucoup (ethgri gagne +1 en métaphore culinaire)


"Il voulait prendre de tes nouvelles mais sans interférer avec ta « quête » … Et si tu l’apprenais, eh bien, il m’a aussi demandé de te traiter d’imbécile fini de sa part."
"Aucun navire ne part d’ici à Iskvard. Harald me l’a assuré. Il est du genre prévoyant, tu l’sais mieux que moi."
J'adore comment ce dialogue nous présente le personnage de Harald. En quelques phrases, on voit tout de suite son caractère !
Il sait que la quête est importante (même sacrée)
Il est bourru avec son frère
Mais au cas où, on ne sait jamais, il laisse un mot pour lui
Et puis bon, encore au cas où, il organise un plan détaillé pour son retour.

Salement bourru, intelligent, respectueux, et très attaché à son frère. En quelques phrases et alors qu'il n'est même pas là, on a un portrait d'un personnage bien plus complexe que bien d'autres dans plein de livres !

J'ai eu un peu de mal par contre avec le "prologue" avec le nain : difficile de voir le lien avec la suite encore. Du coup on est intrigué, c'est vrai, mais ça fait un peu étrange d'avoir toute cette ascension sans savoir exactement quels étaient les tenants et aboutissants.
Je suis curieux de voir la suite, car je me rappelais bien d'un tueur taciturne (et glacé, de mémoire) dans la première version du texte. Et puis surtout, tu annonces des enjeux qui dépassent juste le retour de Hjalmar, ce qui donne tout de suite une direction à l'histoire au delà du trajet en bateau... intriguant intriguant

Et puis sinon, j'aime toujours autant le personnage principal. A la fois violent et doux, tourmenté par les démons, en quête de quelque chose, mais de quoi ?
J'ai relu le tome 2 il y a quelques jours, et quand j'ai relu le passage ou Hjalmar pense au "roi revenant aux bois de cerf", je me suis demandé si, et comment, Hjalmar pensait à Renata. Est-ce qu'il conserve cette histoire en tête comme un échec, une victoire, ou bien comme quelque chose d'assez peu important finalement ?


Je me suis permis de noter quelques passages où j'ai remarqué quelques trucs, mais rien de bien important !
Spoiler:

LA SUITE LA SUITE ! Clap

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Ethgrì-Wyrda, Capitaine de Cythral, membre du clan Du Datia Yawe, archer d'Athel Loren, comte non-vampire, maitre en récits inachevés, amoureux à plein temps, poète quand ça lui prend, surnommé le chasseur de noms, le tueur de chimères, le bouffeur de salades, maitre espion du conseil de la forêt, la loutre-papillon…
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Mar 14 Nov 2023 - 18:58
Eh bien, un grand merci pour ces retours !

Ethgri a écrit:Sur la manière d'écrire et d'avancer, il y a plein de choses juste suggérées, et ça donne au texte une bonne dose de sa couche d'humour. Par exemple, passer d'une scène où Hjalmar voit des cerfs et des loups, à "il se balade avec son gigot en remettant son manteau en peau de loup sur l'épaule" est vraiment bien joué
Plusieurs fois, tu fais l'exacte opposé : tu décris quelque chose très "directement", comme les meubles de granite, ou l'amicale rencontre d'un front middenlender et d'une table.
Je dois avouer que tu soulèves quelque chose que je n'avais moi-même pas tant remarqué. Fou J'imagine que ça résume bien mes idées : un ballet de briques qui s'entrechoquent harmonieusement.

Ethgri a écrit:J'ai eu un peu de mal par contre avec le "prologue" avec le nain
C'était un risque et je comprends qu'il perde un peu les lecteurs. L'idée est clairement d'indiquer un évènement qui aura son importance plus tard dans le récit, a voir si je le garde tel quel ou si je le mets plus tard. Mais comme le récit est jusqu'ici entièrement du point de vue de Hjalmar, ça risquerait de créer une coupure de style étrange s'il arrive en cours de route.
Ca doit se ressentir aussi dans l'écriture, j'ai voulu pousser la forme dans ses retranchements et voir si ça restait lisible. Au vu des commentaires que tu as laissé, pas encore tout à fait, mais on y arrive. J'ai corrigé ce que tu as mentionné d'ailleurs.

Un début de texte est difficile à mettre en forme, surtout quand on a pas la fin Gniié !


Ethgri a écrit:Je me demande si ça ne marche pas mieux au présent "c'est ici que l'on retrouve Hjalmar" : comme la phrase est du narrateur au lecteur, et pas du personnage au lecteur, ça peut se permettre d'être dans un autre temps que le texte peut-être ?
Les changements de temps me semblent bizarre à l'oreille. C'est peut-être un tic personnel, à voir si on le changera plus tard.

Ethgri a écrit:Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris pourquoi il était malade, je me demande si il n'y avait pas ici un paragraphe où hjalmar subissait quelque chose de plus fort qui causait ça (rêve ? vertige ? douleur ?)
J'imaginais plus un épuisement sévère, son alcoolisme plutôt prononcé ainsi que sa malnutrition notoire couplée à une simili-intervention chaotique pour chambouler sa digestion.
J'ai modifié la phrase par "Le monde autour de lui tourna une fois de trop et quelque pas plus loin, il rendit son maigre diner dans un buisson qui n’en demandait pas tant."
j'ajouterais aussi que si ça soulève une question, c'est que l'effet est réussi ici (on verra si c'est le cas pour d'autres moments). Pour que Hjalmar dégobille de la sorte, c'est qu'il ne va pas si bien que ça.

_________________
"La Mort est un mâle, oui, mais un mâle nécessaire."
Terry Pratchett

Les livres dans le paquetage du nordique...:
Hjalmar Oksilden

Hjalmar Oksilden





Kasztellan
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La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2] Empty Re: La Saga d'Oksilden Tome 4 : Neige Anthracite [V2]

Dim 19 Nov 2023 - 22:00
Et voici la suite !

Maraudeur




     Deux jours plus tard, alors que le soleil se levait tardivement en ce début de matinée, Hjalmar fut réveillé vigoureusement par un des marins skaelings qui lui secoua l’épaule. La nuit ayant été plutôt exécrable pour le norse, il ouvrit lentement ses yeux en grommelant. Puis, comprenant enfin à qui il avait affaire, il relâcha la poignée de son épée courte qu’il agrippait par réflexe. Depuis hier, tout l’équipage était quelque peu à cran. Une forme noire crachant d’immenses nuages crasseux avait été aperçue au loin entre deux icebergs et promettait de ruiner ce voyage jusqu’ici tranquille. Mais, après les avoir suivis un moment, la chose avait disparu sans prévenir dans une brume passagère moins d’une heure après son apparition. Les norses avaient donc décidés de ne pas s’attarder et de continuer leur voyage un harpon à la main et les nerfs toujours plus à vif.
     Quoi qu’il en soit, le marin venait de réveiller Hjalmar pour lui indiquer quelque chose au loin. Intrigué, Hjalmar se releva pour apercevoir un bandeau de terre tailladée par des fjords se détachant de l’horizon. Encore derrière et caché par les brumes, les formes noires des montagnes de Vanaheim s’élevaient vers le ciel telles les dents déchiquetées d’un monstre gargantuesque. La Norsca daignait se montrer, enfin.
     L’hiver s’installait et les températures chutaient tellement que le gros des réserves pour le voyage étaient immangeables sans feu pour les réchauffer. De plus, quelques blocs de glace épars aux contours traîtres flottaient doucement dans les environs. Atteindre la côte était donc un très bon signe puisqu’ils allaient enfin pouvoir toucher terre et mettre fin à ce voyage périlleux.
     Tout en ramenant plus près de lui ses couvertures en laine, il pesta dans sa barbe alors qu’une brise impitoyable soufflait à nouveau, lui transperçant ses os transis de froid. Fichu temps clément du Sud. Dès qu’il arriverait à bon port, Hjalmar se jura d’aller investir dès que possible dans des vêtements plus chauds.
     De l’autre côté du navire, les marins se réveillèrent les uns après les autres. La bonne nouvelle se propagea et l’équipage pourtant silencieux auparavant se mit à converser abondamment à propos de toutes les choses qu’ils allaient pouvoir faire une fois le pied à terre. Par exemple, enfin prendre un bain dans autre chose que de l’eau de mer ou manger un plat mieux cuisiné qu’un pauvre poisson péché en vitesse avant de repartir. En tendant l’oreille, Hjalmar entendit certaines remarques qui le concernaient, des taquineries lâchées négligemment vers le soi-disant norse tout couvert qui ne tenait pas un bon vieil hiver du Nord. Hjalmar se contenta de faire la moue en se tenant dos au groupe. Il ne souhaitait pas se froisser avec les marins qui l’avaient amené jusqu’ici, donc autant rester silencieux et accepter d’entendre la réalité.
     Après avoir essuyé les gouttes d’eau qui s’accumulaient dans sa barbe à cause de la rosée du matin – une sensation absolument détestable s’il en était – Hjalmar se rassit dos au bastingage, mais le regard braqué vers les terres cette fois. Les contours des rivages escarpés des fjords tenaient lieu de souvenirs lointains pour lui, alors il n’allait pas en manquer une miette.

     Une heure plus tard, toujours sous l’aube quasi permanente du grand Nord, ils entrèrent dans ce que les marchands skaelings appelaient la baie de Byskeälven. Les eaux qu’ils traversaient provenant du fleuve du même nom, l’appellation coulait de source.
     Ainsi, depuis leur navire, ils purent apercevoir les deux bords de la baie qui convergeaient vers le nord, vers l’estuaire dudit fleuve. A gauche s’érigeaient de grandes falaises dont les flancs grisâtres et rugueux montaient à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du niveau de la mer. Tout au bout et face à la mer, de vieilles ruines se tenaient là, immobiles face au vent. Le flanc droit de la baie, en revanche, était plus bas et de courtes plages de galets s’y étendaient. L’intérieur des terres se transformait ensuite en collines boisées d’un vert profond, quand la neige ne les recouvrait pas. L’odeur d’une forêt de pins arriva jusqu’à Hjalmar au travers de l’air marin alors qu’ils approchaient de la côte droite de la baie. Le parfum des résineux redonna le sourire au norse, même s’il l’imaginait un peu plus fort dans sa mémoire. Il préféra oublier ce détail pour se concentrer sur l’instant présent.
     Certaines mauvaises langues iraient dire que les paysages norses n’avait rien de bien original puisqu’on pouvait retrouver les mêmes au Nordland. Certes, la contrée septentrionale de l’Empire en était proche, mais rien n’était comparable aux panoramas qui s’offraient à vous alors que vous contempliez un fjord accompagné d’une rangée de montagnes titanesques juste derrière. Maintenant que Hjalmar y était, il se disait que la neige était différente de celle de l’Empire, que les arbres divergeaient et que les plages s’y opposaient par une multitude de détails. Probablement du chauvinisme exacerbé à l’œuvre, mais il s’en moquait. Pour Hjalmar, la Norsca était sa patrie et elle valait toutes les autres, si ce n’était plus.
     Réalisant qu’il venait de couvrir de louanges ce beau pays, Hjalmar s’en voulut quelque peu. Pourquoi n’était-il effectivement pas revenu plus tôt ? Il était un norse, un bjornling et fier de l’être… Or, il restait toujours cette culpabilité qui l’avait suivie depuis son erreur de jeunesse. Cette impression qu’il ne méritait plus sa place ici. Son départ remontait à si loin qu’il se demandait s’il n’était pas devenu un étranger depuis.
     Pour un norse, sa famille, son clan, c’était un tout. Chaque aspect de sa vie se devait de tourner autour. Il en avait été ainsi depuis des générations et les dieux leur souriaient en conséquence. Lorsque l’on tournait le dos à tout cela, on ne valait pas mieux qu’un paria. Dans son cas, la faute aura été bête, simple, mais pas moins grave. Réglée ou non, il devait assumer sa dette envers son clan, car elle pesait aussi et surtout sur sa famille.

     Ce fut donc un Hjalmar quelque peu maussade qui vit apparaître le petit village d’Iskvard derrière une colline à moitié enneigée. Un cercle de palissades solides, quelques toits de maisons longues à présent blancs et les deux pontons de planches qui formaient le port suffirent à serrer douloureusement le cœur du nordique. Ce n’était pas son village natal, certes, mais c’était un village norse. Et maintenant qu’il le voyait de ses yeux, ses hésitations résonnèrent de plus belle.
     Comment allait-il être accueilli après tout ce temps ? Se souvenait-on encore de lui ? Thormund avait affirmé que les norses passant par Marienburg chantaient ses louanges, mais c’étaient des explorateurs et des marchands, aguerris aux voyages, qui devaient voir en lui une figure romancée de leurs rêves les plus fous. Mais ce n’était pas forcément le cas de tous les habitants de la Norsca.
     Si on oubliait les fous furieux du Nord, les membres des clans du Sud aimaient rester dans leur village, leur pays, leur nation, là où leurs ancêtres avaient grandi. Beaucoup partaient au moins une fois à l’étranger, pour explorer les mers, mais ils revenaient inévitablement à leur point de départ. A côté d’eux, il passait donc pour un illuminé voire un faible pour avoir passé autant de temps dans les pays du Sud.
     Fantastique, pesta Hjalmar mentalement. Cela allait être un véritable fiasco à tous les niveaux. Mais pourquoi donc était-il venu ?!
Alors qu’il ruminait, un des marchands skaelings frôla Hjalmar pour atteindre la proue. Habilement, ce dernier grimpa à l’avant courbé du navire et s’attela à enlever la décoration animale qui l’ornait. En voyant cela, Hjalmar se rappela subitement que l’ornement à tête de bête avait pour but de faire fuir les esprits ou autres monstres marins d’après les croyances et le garder lorsqu’on rentrait au port frisait l’insulte au mieux ou attirait le mauvais œil au pire. Encore une superstition tenace qui parsemait le paysage culturel norse… Hjalmar détourna tout de même les yeux du visage grimaçant en bois, retournant se morfondre dans son inquiétude.
     Un choc léger sur l’épaule de Hjalmar vint briser à nouveau le fil de ses pensées. A côté de lui, le marchand skaeling, celui qui avait enlevé la décoration, posait sa main sur l’épaule du norse.

     « On est arrivé, le frileux », lui lança-t-il sobrement avec un sourire.

     Une petite tape amicale suivit et le marchand sortit du champ de vision de Hjalmar qui réalisa qu’effectivement, ils y étaient. Le navire amarré, les marins déchargeaient leurs victuailles en prévision de marchandages avec les habitants… et la ville s’offrait à ses yeux inquiets.

     Hjalmar se leva presque d’une traite. Il devait faire quelque chose, et vite. Devant lui s’étendait un ponton de planches grises tordues par l’humidité, grinçant sous les allées-et-venues des skaelings, et, non loin, le village, un amas flou, menaçant. Le nordique s’approcha de la plateforme à petit pas, comme attiré par elle tout en appréhendant le simple fait de poser le pied en territoire norse pour la première fois depuis plus de vingt ans.
     C’était une mauvaise idée, lui hurlait son ventre et pour le coup Hjalmar acquiesçait. La possibilité de rester avec les skaelings traversa l’esprit du baroudeur. Il fallait qu’il parte d’ici. Il fallait…

     « Attends une minute », grogna doucement Hjalmar en fronçant les sourcils.

     Avait-il peur de quelques planches de bois branlantes ? Sérieusement ?! Il avait survécu à l’enfer vert Lustrien, aux étendues de sables arabiennes, s’était fait un nom dans les Marches, avait vu et vaincu tellement de choses innommables… Pour bloquer devant quelques morceaux de bois ?
     Hjalmar leva alors les yeux de ses pieds et du ponton pour embrasser du regard les montagnes colossales au loin qui baignaient dans les douces lueurs orangées du soleil nordique. Et devant cette vue qui lui tira presque une larme à l’œil, il maudit sa stupidité.

     Il leva alors son pied pour le poser sèchement sur le ponton.

     Rien ne se passa. En même temps, à quoi s’attendait-il ? A une vague de fantômes ancestraux qui lui tomberaient dessus à bras raccourcis pour laver un affront imaginaire ? Le norse gloussa à cette idée et posa son deuxième pied sur le ponton. Il était temps, avec le roulis il commençait presque à perdre l’équilibre.
     Un long soupir plus tard, Hjalmar s’ébroua et pivota d’un quart de tour avant de dépasser les marchands en plein travail pour se diriger vers, eh bien, le village norse.
     Déportant ainsi son regard vers Iskvard, Hjalmar vit enfin la ville pour ce qu’elle était. Ce n’était pas juste un vague village. Il y voyait sept maisons longues recouvertes de neige, une d’entre elles était plus grande – sûrement celle du goði, l’équivalent d’un bourgmestre impérial. Sur la plage, trois langskip de tailles différentes reposaient au sec sur des rondins, la voile rabattue. Il distingua aussi quelques bâtiments accolés aux maisons qui devaient servir d’étables ou de grenier. Des chemins avaient été déblayés dans la poudreuse peu épaisse pour permettre les déplacements de la population, et des filets de pêche recouverts de neige patientaient à côté d’ateliers de poissonniers. Ce n’était pas Stavgard, certes, mais il y retrouvait un peu la même chose : sa patrie. Et elle possédait toujours son charme unique, une subtile froideur réconfortante qu’il retrouvait avec un plaisir coupable.
     Le craquement de la neige sous la botte de Hjalmar le fit réaliser qu’il avait touché terre sans s’en rendre compte. Tel un enfant découvrant quelque chose pour la première fois, il marcha plusieurs fois sur place, juste pour l’entendre à nouveau. C’était de la neige, oui, mais elle était… disons, nostalgique. Sur cet interlude qui lui tira un sourire triste, Hjalmar s’avança à nouveau. A vrai dire, il ne savait pas vraiment où il allait. Il voulait juste profiter de l’instant. Même la brise qui le faisait greloter jusqu’alors semblait s’être tue un instant.
     Sans prévenir, un homme apparu dans le champ de vision de Hjalmar. D’après sa barbe prolifique, son visage carré et son manteau en laine brodée, on en déduisait qu’il était un simple habitant norse qui s’avançait vers les quais d’un pas nonchalant. Pendant quelques secondes, le baroudeur cessa de bouger, raide comme un i. Qu’allait-il lui dire ?... Mais rien n’arriva. Le passant se contenta de lui faire un signe de tête avant de continuer vers les marchands skaelings qu’il héla peu de temps après.
     Continuant machinalement sur sa voie, Hjalmar aperçut deux ou trois gardes en cotte de mailles et manteau, bouclier rond au poing, s’avancer eux aussi vers les quais. Une question de précaution sûrement, mais lesdits gardes avançaient calmement avec l’air blasé des gardiens de la paix en service depuis trop longtemps aujourd’hui. Jaillissant de derrière un talus, deux enfants, sept printemps tout au plus, passèrent entre les gardes en rigolant à gorge déployée tout en agitant des épées en bois. Leur jeu les emmena en dehors du champ de vision du norse, mais on les entendait encore.
     Cela tira un gloussement un Hjalmar. On était en plein hiver et les norses étaient assez fous pour passer une partie de leurs vies en extérieur par ces températures. A ce propos, le froid revint lui tenailler les extrémités. Il en resserra sa cape en laine autour de ses épaules. Les habitudes de chasse reprirent ensuite le dessus et Hjalmar étudia son environnement. La neige recouvrait un peu tout, même si on apercevait quelques brins d’herbe par endroit. Sur les principaux chemins, la terre ressortait presque sous le manteau blanc autrefois cotonneux qui se tassait au gré des vagabondages. Et, enfin, l’indice que cherchait Hjalmar : quelques traces de pas relativement neuves, car encore nettes malgré la légère brise marine qui soufflait à nouveau, indiquaient que des habitants étaient passés là récemment.
     Se décidant à suivre ce qui lui sembla être la piste la plus récente, Hjalmar arriva sur la place du marché d’après les étalages vides. Place où, à sa très grande surprise, se tenait uniquement un nain. Un tueur qui est plus était d’après la grande crête d’un orange vif qu’il arborait sur son crâne rasé et son torse nu strié de tatouages.
     Devant ce fait plus qu’incongru, Hjalmar s’arrêta net sur place. Il savait tout aussi bien que ses compatriotes que les nains du Nord existaient. Son frère les côtoyait déjà souvent lors de sa jeunesse, alors c’était dire s’il en avait vu. Mais un tueur nain, seul, assis en tailleur dans la neige et l’air concentré au milieu d’une place principale d’un village côtier, c’était du jamais vu pour le norse. Malgré la distance, Hjalmar se rendit compte que le nain était là depuis longtemps. Sa peau se teintait de couleurs qui ne laissait que peu de doutes sur la question et, si Hjalmar ne s’y trompait pas, le nain grelottait.
     Soudainement, devant un Hjalmar médusé, le tueur lâcha un grognement rageur – ou de douleur – et se leva d’un bond avant de courir autant que faire se peut vers une maison non loin. Avec le silence qui régnait, Hjalmar n’eut aucun mal à entendre que le tueur claquait des dents. Tout en se frappant les bras de ses membres engourdis pour y ramener un peu de vie, ce dernier matraqua la porte d’entrée. Quelques secondes plus tard, cette dernière s’ouvrit et le tueur s’engouffra sans attendre à l’intérieur.
     Curieux, Hjalmar essaya de s’approcher pour mieux comprendre le phénomène, surtout qu’une conversation assez animée semblait avoir débuté. Quelques pas suffirent au norse pour que les vagues borborygmes deviennent des phrases qu’il comprenait dans les grandes lignes.

     « …finir par y passer, espèce de mule ! fit une première voix masculine étrangement familière.
     — Ah ! s’exclama l’accent roulant du nain. Comme si j’avais l’intention de laisser le froid me tuer !
     — Ça je le sais bien, mais si tu pouvais éviter tes techniques d’entrainement suicidaires j’apprécierais !
     — Suicidaire ? Wazzock ! T’es conscient que ma condition ne me permet pas beaucoup d’autres options ?
     — Eh bien justement, si tu veux l’accomplir tant que ça ton vœu de mort, il serait mieux que tu ne finisses pas en glaçon sur la place ! »

     S’ensuivit une flopée de grognements assourdis et divers bruits impossibles à définir. Durant le temps de la conversation, Hjalmar s’était lentement approché de l’entrée qui se trouvait à quelques mètres à présent et il apprit deux choses.
     Premièrement, au vu de l’accent du nain, ce dernier n’était pas un nain norse mais plutôt un ancien habitant des royaumes nains des Montagnes du Bord du Monde. Ensuite, la deuxième personne, tournée à demi, était un norse, là encore d’après son accent et la tunique en laine gris-marron qu’il portait, clairement typique. Là où Hjalmar tiqua, c’était qu’il reconnaissait le ton bourru d’ours mal-léché de l’intéressé.
     Ainsi, lorsque Harald, le frère de Hjalmar – leur parents n’avaient pas cherché très longtemps pour leurs noms – se retourna pour fermer la porte et aperçut la personne qui le regardait avec des yeux ronds, il eut une réaction plutôt normale au vu des circonstances.

     « Toi !? » gronda-t-il.

     Hjalmar voulut bien le saluer ou lui dire quelque chose, mais les relations sociales n’étant pas son fort il se contenta de hocher doucement la tête. Au moins ça permettrait de limiter la casse. Une fois que Harald finit de douter de sa réalité avec moults clignements d’yeux, il passa sa main dans sa barbe blonde très fournie par pur réflexe nerveux puis s’ébroua vivement.
     Sans prévenir, Harald passa l’embrasure de la porte et amena le tronc qui lui servait de corps d’un pas décidé. Peut-être un peu trop décidé d’ailleurs au goût de Hjalmar. Et cela ne manqua pas, puisqu’une fois à portée, son frère lui envoya un crochet du droit avec un poing fait pour battre le fer à main nues. Hjalmar pris le coup volontairement, tituba bien deux-trois fois, puis se remit droit en se tenant la joue gauche qui prenait une autre teinte de rouge. Alors que le fourmillement s’estompait ainsi que les étoiles, il lança un sourire douloureux à son frère.

     « Décidément, la forge t’a bien réussi… Tu assommerais un troll avec un coup pareil !
     — Toujours aussi… toi en fait, finit par soupirer Harald avec un demi-sourire. Viens-là, imbécile. »

     Aussitôt dit, aussitôt fait et les deux frères se prirent dans les bras de l’autre, même si Harald fit de l’excès de zèle malgré sa plus petite taille, soulevant sans difficulté son puiné.

     « Je crois que tu m’as cassé une dent, grimaça Hjalmar après quelques secondes d’accolade fraternelle.
     — Ne le prends pas mal, mais c’était un peu le but. »

     Se séparant enfin avec quelques ricanements joyeux, les deux frères prirent quelques instants pour se regarder l’un l’autre. Harald n’avait pas vraiment changé, nota Hjalmar. Entre sa barbe hirsute blonde, ses cheveux long attachés en queue de cheval et sa carrure d’ours, il avait toujours cette apparence de nain d’un mètre soixante-dix. Le baroudeur nota cependant que des poils blancs parsemaient la crinière de son frère et que son visage buriné par la forge laissait apparaître quelques rides. Il devait bien avoir dans les quarante-sept ans à présent, dix de plus que lui s’il se souvenait bien. A cet âge canonique, les affres du temps prenaient leur dû.

     « Bon, s’exclama Harald. On rentre ? C’est qu’il fait un peu frisquet ces derniers temps.
     — Eh bien, … »
     
     Hjalmar n’eut pas le temps d’ajouter grand-chose que son frère le traînait déjà à l’intérieur. S’il affichait un léger sourire, intérieurement, il n’en revenait pas. Vingt ans qu’ils ne s’étaient plus vus et leur réconciliation s’effectuait en un claquement de doigt, comme s’il venait de revenir d’un voyage de quelques mois en mer. Ça ne pouvait pas être si simple… Si ?
     Se laissant ainsi porter par le moment sans vraiment réussir à réaliser ce qui se passait, Hjalmar passa l’embrasure de la porte pour rejoindre le tueur grelotant dans la petite entrée. Ce dernier d’ailleurs, même s’il tentait de reprendre une certaine prestance, n’en menait pas large. Assis sur un banc à côté de divers vêtements d’extérieur, il soufflait frénétiquement sur ses doigts engourdis et bleutés par le froid en essayant de les faire bouger avec difficulté. En voyant arriver le nouveau venu, il fronça ses sourcils broussailleux encore gelés et s’exclama dans un norse approximatif :

     « C’est qui lui ?
     — Hjalmar, voici Varki, un nain et ami que j’ai rencontré il y a de cela quelques mois dans l’Est du pays. Et Varki, je te présente mon frère ! » s’exclama un Harald plus fier que jamais.

     Les yeux pourtant profondément enfoncés du nain s’élargirent soudainement pour former une expression d’honnête surprise. Hjalmar, lui, le salua silencieusement, ne sachant pas vraiment quoi dire.

     « Alors c’est lui l’fameux frère ? On n’peut pas trop dire que vous avez un air de famille, vos barbes ne sont même pas de la même teinte ! »
     
     En guise de réponse, Hjalmar émit un grognement indigné.

     « Ah ! s’exclama le tueur. Nan, pardon, je n’ai rien dit. Vous êtes bien du même sang.
     — Hilarant Varki, répondit Harald sur son habituel ton sarcastique. Quand tu auras repris une couleur normale, rejoins-nous dans la halle. »

     Laissant le nain hilare grelotter derrière eux, Harald et Hjalmar passèrent la porte qui menait vers la pièce principale de la maison longue. Juste avant, Hjalmar nota que le bâtiment était à moitié enterré, ou plutôt qu’on avait creusé une fosse avant de mettre un toit par-dessus. Une pratique courante quand il y avait peu de bois à disposition, même si elle indiquait aussi une certaine précarité.
     L’embrasure de la porte enfin passée, Hjalmar pu observer la pièce de vie de la maison. Il n’y avait personne mais, là encore, une bouffée de mélancolie le prit alors qu’il reconnaissait l’architecture de son enfance. A moins que ce ne soit les volutes de fumée ? Peu importait.
     Un grand feu longiligne se tenait au centre de la pièce, l’éclairant d’une lumière tamisée et la réchauffant dans le même temps. Au-dessus, les poutres du plafond s’entrecroisaient dans un motif harmonieux, semblable à la cage thoracique d’un monstre marin et projetant des ombres au gré des flammes de l’âtre sur la toiture. Plusieurs bancs recouverts de fourrures de moutons qui servaient aussi de lit se tenaient de part et d’autre, parfois près du feu, parfois collés aux murs terreux avec les coffres. Tout une flopée d’ustensiles de cuisines pendait au-dessus d’une marmite à côté de l’âtre et, dans le fond, on reconnaissait quelques outils pour travailler le cuir. Apparemment, leurs parents étaient toujours tanneurs malgré la perte de leur atelier à Stavgard. Bon à savoir, même s’il ne voyait nulle part le fruit de leur labeur... Ou leur atelier en fait.
     De l’autre côté de la pièce, on apercevait deux portes. Une devait mener vers la pièce réservée aux femmes – la stofa – où elles tissaient les divers vêtements pour la maisonnée et l’autre devait être la réserve.
     Son inspection enfin terminée, Hjalmar se permit de lâcher un soupir, encore une fois, nostalgique. A ce rythme, il s’étoufferait avec. Harald, qui attendait patiemment que son frère termine son inspection, lui prit alors l’épaule.

     « Je vais chercher les autres, attends là.  
     — Les autres ? C’est comme ça que tu appelles père et mère maintenant ? » s’étonna Hjalmar.

     Harald s’arrêta subitement en chemin, son expression passant par un panel que Hjalmar ne le pensait pas capable de produire.

     « Ah, oui, tu n’es pas au courant… marmonna-t-il dans sa barbe touffue avant de se retourner.  Mère est morte, il y a quatre étés environ. Son âge avancé a eu raison d’elle. Et père… n’est pas revenu du raid sur Stavgard. »

      Hjalmar chercha des yeux une réponse approprié à cette nouvelle alors que son équilibre vacillait. Il s’appuya maladroitement sur une poutre de passage avant de se redresser. La mort faisait partie du paysage de la Norsca au même titre que la neige, mais... Il jeta un énième regard aux outils de tanneurs, remarquant la rouille.

     « La cérémonie de mère ? demanda alors Hjalmar à voix basse.
     — Fidèle à elle-même, elle est restée belle même durant sa crémation. »

     Harald se contenta ensuite de signer en silence pour honorer Olric, le père des dieux – du moins d’après les croyances locales. Puis, sentant qu’il devait ajouter quelque chose pour casser le mutisme progressif de son petit frère, Harald continua sur sa lancée :

     « Eh, je suis désolé que tu l’apprennes comme ça, mais autant que ça soit dit, repris Harald. De toute façon, elle est mieux là où elle est, aux côtés des dieux. Pour le reste… Heum… Écoute, tu verras par toi-même.
     — Il y a autre chose ? »

     Laissant là un Hjalmar progressivement inquiet, son frère trottina vers la pièce des femmes et tambourina dessus. Quelques phrases en norse plus tard, ladite porte s’ouvrit à la volée. De là où il était, Hjalmar pu apercevoir un des métiers à tisser dans le fond, mais aussi qu’il y avait plusieurs personnes dans la pièce.
     Se tenant dans l’encadrure, une dame d’un âge plutôt avancé et aux cheveux noués dans une natte complexe interrogeait Harald du regard. Ce dernier se tourna alors vers Hjalmar :

     « Je te présente Ruthgerd Sigismundottir. C’est elle qui a accepté de nous héberger après, eh bien, la destruction de Stavgard. Sa famille ayant péri pour la plupart au fur et à mesure des raids Graelings, il y avait de la place et du travail à reprendre. » – Harald se tourna alors vers l’aînée – « Ruthgerd, je te vous présente mon frère, …
     — Hjalmar, lâcha-t-elle d’une voix aussi parcheminée que son visage. Le fameux. »

     Après un soupir bref, Ruthgerd braqua plus nettement son regard sur le nouvel arrivant.

     « J’ai déjà accepté plusieurs membres de votre village et le reste de votre famille, alors un de plus… Tant qu’il peut aider, cela me va. »

     Et la vieille dame retourna à l’intérieur de la pièce sans demander son reste tout en rouspétant contre les jeunes dames qui épiaient depuis le fond de la pièce. Apparemment, cela embêta bien Harald qui souhaitait lui demander autre chose, mais Hjalmar pris les devants :

     « Reste de la famille ? Mais de quoi parle-t-elle ? Tu viens de me dire que nos parents étaient morts… »

     Mais à peine posa-t-il la question qu’un grand claquement provenant de la porte d’entrée se fit entendre. Quelqu’un salua le tueur nain et s’engouffra en trombe dans la halle quelques secondes plus tard. C’était une femme, norse, une quinzaine de printemps tout au plus, arborant un sourire en coin indécrochable. Les cheveux châtains nouée en une natte et au vu de sa figure athlétique, voire un peu brusque, le tissage n’était pas son passe-temps favori, loin de là. Elle portait un arc ainsi que les diverses griffures et salissures que les forêts dispensaient gratuitement sur sa tenue de marche. En voyant les deux hommes de l’autre côté du bâtiment, la jeune dame s’arrêta dans sa lancée, l’air circonspecte.

     « Encore ? gronda Harald sur un ton réprobateur. Par les dieux, pourquoi est-ce que tu t’obstines à courir dehors alors que nous avons besoin de vêtem… »

     Un soupir et un roulement d’yeux coupa Harald dans sa tirade et il plaça ses deux paluches sur ses hanches avant de se tourner vers son frère.

     « Hjalmar, je te présente Svaný. Svaný, voici Hjalmar. »

     Le nom de la jeune femme tourna quelques instants dans la tête de Hjalmar. Leur mère avait toujours apprécié ce prénom s’il se souvenait bien. Le baroudeur cligna alors des yeux plusieurs fois tout en comprenant ce que tout cela impliquait : il avait une sœur. Ladite personne sembla faire de même et il y eut un flottement de quelques secondes durant lequel les yeux pourtant fins de l’intéressée s’élargirent à cause de la surprise. Puis, la jeune fille s’approcha de son frère tout en posant son arc sur un meuble, l’air presque béat alors qu’elle découvrait pour la première fois ce proche inconnu.
Hjalmar resta muet. Autant le norse trouvait l’inspiration facile durant un duel, autant il se trouvait complètement démuni pour quoi que ce soit d’autre.
     Svaný effectua un pas de plus vers Hjalmar, se mettant à moins d’un mètre. Ce dernier put enfin voir que le sourire de cette jeune dame tenait moins d’une verve éhontée et plus de la cicatrice. Une fente de quelques centimètres s’élevait depuis la commissure droite de sa bouche, laissant entrapercevoir une ou deux dents au travers quand on y regardait bien. Mais, le nordique n’eut pas le temps de s’y attarder puisque Svaný lui envoya son poing fermé dans le foie. Certes, Svaný faisait bien une tête de moins que son grand frère, mais elle mit suffisamment de force dans ce coup pour qu’il porte. Ouais, se dit Hjalmar en mettant un genou à terre tandis que des larmes lui montaient aux yeux : c’était bel et bien une Objarsson la petite.

     « Svaný ! » s’indigna Harald en allant aider Hjalmar à se relever. Cependant, son frère lui fit signe de ne pas intervenir.
     « Non, c’est bon, grogna-t-il. J’ai l’impression de l’avoir mérité celui-là.
     — Et pas qu’un peu », siffla Svaný avant de faire demi-tour. La voix de la norse était plus grave qu’il n’y paraissait, presque cassée.

     Toutefois, une onomatopée de Harald et un signe sec vers la stofa la fit changer de direction non sans lui tirer un ronchonnement agacé. Et, une fois l’embrasure passée, la porte de la pièce des femmes se referma sèchement derrière la jeune dame. On put alors entendre divers reproches de la vieille Ruthgerd à son encontre.
     Si elle avait hérité du physique de leur mère, c’était le tempérament tempétueux de la famille du paternel qui coulait dans ses veines, pensa Hjalmar en gloussant. Harald, lui, passa sa main gauche sur son visage en roulant des yeux.

     « Elle finira par se calmer… J’espère.
     — Ne t’inquiètes pas, après tout tu m’en as collé une toi aussi, ricana Hjalmar en se tenant le flanc.
     — Certes, mais je suis ton ainé moi. Il faut bien que je t’éduque de temps à autre. »

     Les deux frères rigolèrent doucement à cela avant que Hjalmar ne reprenne la parole.

     « Elle aussi a pris l’habitude de saluer comme notre grand-père ?
     — Par Olric non, s’exclama Harald. Il n’y a bien que toi pour suivre l’exemple de ce vieux fou. D’habitude, elle est, heum, un peu plus avenante que ça. Mais j’ai sous-estimé sa réaction.
     — A ce propos, enchaîna Hjalmar. On a d’autres membres de la famille qui sont apparus durant mon absence ? Et si oui, tu peux m’indiquer où est-ce qu’ils vont me frapper, que je me prépare ?
     — Te prévenir ? Même pas en rêve… Mais malheureusement non, nous sommes les trois derniers enfants d’Objarr et Steinunn. Il y avait bien eu Bjarn, le dernier de la fratrie. Un loup l’a emporté il y a de cela trois ans alors qu’il partait pour sa première chasse avec Svaný. Tu l’aurais apprécié, aussi sanguin que toi, mais moins chanceux. »  

     Cette autre triste nouvelle établit un silence pesant avant qu’il ne soit brisé par Hjalmar.

     « Et la bête en question ?
     — Oh, on l’a rattrapé et éviscéré avant de la clouer sur le portail avec les autres. L’avait deux têtes cette saloperie. »

     Alors que Hjalmar se préparait à répliquer qu’il aurait bien souhaité participer à ladite chasse que la crête orangée de Varki déboula dans la halle. Le nain avait repris des couleurs depuis et une hache grossière mais solide pendait à son flanc. Il semblait agité. Tellement, qu’il ne pensa même pas à traduire ce qu’il disait et déblatéra quelque chose en Khazalid. Si Hjalmar n’y compris rien, son frère sembla saisir le propos. En effet, il se raidit subtilement.
     
     « Je peux avoir une version compréhensible ? demanda alors Hjalmar.
     — Hmm ? Oh, pardon… L’habitude. Des guerriers du village arrivent. En nombre. Et d’après Varki, ils viendraient pour toi.
     — Ah ?
     — Un des villageois a dû surprendre notre rencontre sur la place du marché. » – L’air pensif, Harald se serra ses poings en faisant la moue. – « Ils sont pressés ma parole.
     — Le goði veut me voir je suppose ? enchaîna Hjalmar.
     — Plus que probable.
     — Dis-moi que Thorgard a repris le poste depuis Stavgard…
     — Malheureusement non, notre ancien goði a péri lors d’un raid. C’est d’ailleurs pour ça que les Graelings ont profité de l’occasion, sans dirigeant et avec plus de la moitié des guerriers de partis, on était des proies faciles. »

     Hjalmar jura doucement dans sa barbe. Avec le goði bon-vivant de Stavgard, la discussion aurait peut-être pu se faire calmement. Là, il lui faudrait faire avec un inconnu.

     « Eh bien, ne le faisons pas attendre alors », rétorqua Hjalmar en se redressant.

     A peine terminèrent-ils leur discussion que la porte s’ouvrit à nouveau, cette fois sur un guerrier du nord en tenue complète – casque sur le crâne, bouclier dans la main gauche et la main droite prête à dégainer une hachette qui pendait à sa ceinture.

     « Hjalmar ‘Oksilden’ ? » aboya-t-il.

     L’intéressé lança un salut désinvolte au nouvel arrivant.

     « Le goði veut… !
     — Ouais, ouais, je devine, lui renvoya Hjalmar en levant les yeux au ciel. Menez la marche. »

     Le guerrier eu un grognement peu amical en guise de réponse, mais il fit demi-tour pour sortir de la maison longue. Les deux frères le suivirent de près. Au passage, Harald murmura quelque chose en Khazalid à Varki qui acquiesça avant de se diriger vers la stofa dont la porte s’entrouvrait déjà. Hjalmar ne put savoir ce qui se passa puisqu’il passa l’entrée.

     Il faisait déjà presque nuit. Un cercle d’une demi-douzaine de gardes tenant des torches et autres lampes à huile clairement importées se tenaient là, l’air grave et prêt à agir en cas de besoin. Ils portaient tous un chignon rapidement noué sur le côté droit de leur tête, comme un signe distinctif. L’obscurité surprit Hjalmar un instant avant qu’il ne se rappelle qu’il était en Norsca en plein hiver. Ici, les jours se raccourcissaient à vue d’œil en cette période de l’année.

     « Avance », grogna le garde qui prit de l’avance.

     Jetant un regard vers Harald, ce dernier acquiesça à son tour et les deux frères se mirent en marche. Les gardes porteurs de torches les suivirent en formation serrée.



     La grande halle du goði méritait son adjectif. On pouvait y mettre toute la population du village et toujours avoir de la place. Les meubles arboraient des gravures sur bois d’animaux stylisés et entrelacés dans des motifs complexes. Par endroits, ils étaient même recouverts de tissus de soie ou de satins colorés. Les objets en or ou argent abondaient, de même que du verre savamment travaillé ainsi que quelques bijoux en ambre. Tout cela démontrait un commerce florissant avec les pays du Sud et plus particulièrement Marienburg ou la Bretonnie. Ou alors, tout cela venait de raids. Mais au vu de l’attitude des personnes présentes, la première option semblait la bonne.
     Devant Hjalmar, qui se tenait les bras croisés dos au long feu de la halle, le trône du goði le surplombait. Ce dernier respirait le norse à plein nez, une barbe blonde fournie et saupoudrée de blanc, large d’épaule et l’air de pouvoir prendre ce qu’il voulait quand il le voudrait. Il portait le même chignon sur le côté droit que ses gardes d’ailleurs. Un symbole pour faire connaître le lien entre lui et sa garde rapprochée, se dit Hjalmar.
     L’homme portait plusieurs bijoux dont le prix exorbitant devait atteindre des sommets, mais il ne fallait pas forcément s’y fier. Le fourreau d’ivoire qui reposait contre le flanc de son trône devait contenir une lame remarquable et, au vu des cicatrices profondes sur les bras du gaillard, il devait savoir s’en servir. Toutefois, son apparence brutale pouvait être une simple couverture intimidante  
     Autour du goði, en demi-cercle, se tenait six autres personnes qui étaient arrivés au compte-goutte après l’annonce du thing. Quatre étaient des hommes, probablement des notables, propriétaires importants ou doyens du village. Hjalmar n’en reconnaissait qu’un seul, le vieux Halfdan qui devait représenter les réfugiés de Stavgard. Il avait toujours l’air aussi avenant qu’un tronc d’arbre malgré les années. Malheureusement pas la personne qu’il portait le plus dans son cœur. La femme qui se tenait à la droite du goði devait être sa concubine, sa tenue brodée d’argent ne laissant pas de doutes sur son statut social. La dernière, qui se tenait quelque peu en retrait, était habillée bien plus sobrement que les autres, son air presque délaissé détonnant avec la semi-aristocratie présente autour. Elle rappelait presque une certaine prêtresse de Rhya à Hjalmar, mais avec une courte capuche blanche et bleue qui cachait la majorité de ses traits pourtant déjà peints de divers symboles. Ainsi, avec les branches, petits bois de cerfs et colifichets ésotériques qui ornaient son collier, cela indiquait qu’il devait s’agir de l’oracle locale.
     Derrière le norse, la garde rapprochée du goði se tenait aux aguets tout en essayant de former un cordon pour empêcher de passer la populace du village qui s’amassait là. On pouvait entendre divers murmures dans le fond de la grande halle alors que les rumeurs et les récits entendus à la dernière fête auprès d’un scalde itinérant allaient bon train.
     Harald avait été obligé de se retirer avec la foule, à son grand mécontentement d’ailleurs. Il jetait quelques regards distraits par-dessus la foule en direction de la crête orangée de Varki qui se tenait à l’extérieur tout en gardant un œil sur Svaný, adossée dans l’embrasure de la maison longue. Comme toujours, le grand frère prenait des précautions au cas où les choses s’envenimeraient.
     Il fallut une bonne demi-heure pour rassembler les personnes nécessaires au bon déroulement de l’évènement. Seuls quelques guerriers manquaient, car il fallait toujours rester vigilant dans le grand Nord. Les marchands skaelings, eux, étaient repartis, leurs affaires étant terminées.
    Enfin, un geste de la main du goði fit cesser les chuchotements, ne laissant que les craquements du feu, et il se leva lentement de son siège.

      « Je suis le goði d’Iskvard, Gundmundr Hrafnsson », s’adressa-t-il à Hjalmar.

     Sa voix tonnait comme celle d’Asaldr en personne, le dieu-ancêtre local du courage au combat. Hjalmar en grinça des dents. Au vu de regard noir que le goði lui lançait, ça s’annonçait mal. Et quel regard…
     Les conseils, les sermons, tout cela était toujours passé au-dessus de la tête de Hjalmar. Durant sa jeunesse, il cherchait constamment à les écourter pour passer à quelque chose de plus intéressant et, en un sens, cette façon de penser réactionnaire l’avait amené ici.

     « Nous sommes réunis ici pour un thing exceptionnel, enchaina Gundmundr pour la foule cette fois-ci. Mais je pense que vous comprenez pourquoi. »

     Gundmundr laissa quelques secondes de flottement pour que son accusation implicite s’imprègne dans l’atmosphère.

     « Devant vous, membre du conseil des anciens, se tient Hjalmar Objarsson. Certains, les anciens habitants de Stavgard, le connaissent déjà sous le nom d’Oksilden et nous sommes ici pour discuter de son cas. Le lögmathur étant absent, car parti régler un litige à Sverborg à la demande de la reine, je m’octroie son rôle de diseur de lois.
     — En as-tu seulement le droit ? s’étonna un des notables. Cela me semble un peu extrême comme mesu…
     — C’est un niðingr ! rugit Gundmundr. Alors réglons son cas au plus vite. »

     Un murmure de désapprobation parcourut l’assemblée et les guerriers s’agitèrent quelque peu. Toutefois, le regard furibond du goði étouffa dans l’œuf toute véhémence.

     « Reprenons… La coutume demande qu’un combat soit organisé pour vérifier son identité, mais sa réputation le précède et sa famille peut témoigner. Hjalmar ‘Oksilden’, ici présent, a été reconnu coupable il y a vingt ans à Stavgard d’un crime envers son village et son clan. Halfdan ?
     — C’est le cas, bougonna l’ancêtre. Son attitude inconsidérée avait été estimée dangereuse pour le village. Il attirait les bêtes sur nous sans se soucier des conséquences ! Pire, il s’absenta à plusieurs moment critiques, dont des raids Graelings, où ses bras auraient été utiles pour limiter les pertes. Mais au lieu de ça, cet effronté préférait gambader dans la forêt pour aller chasser tout ce qui passait à portée et … !
     — Cela suffit Halfdan », tonna à nouveau le goði.

      Le vieil homme s’offusqua d’avoir été coupé de la sorte par plus jeune que lui, mais il s’en retourna à son mutisme, grattant machinalement le pommeau de son bâton de marche. Hjalmar, de son côté, n’était pas trop étonné de l’éclat de l’ancêtre. Ce dernier avait toujours été le premier à lui reprocher son attitude à l’époque, comme quoi cela n’avait pas changé.
     Gundmundr s’avança ostensiblement de quelques pas vers Hjalmar et la foule tout en le désignant du doigt.

     « La sentence portée alors par l’ancien conseil de Stavgard pour avoir failli à ses devoirs en tant que guerrier du clan était l’exil. Sentence qui est toujours en cours aujourd’hui. Tu es donc un niðingr et tu ne dois recevoir aucune aide, aucune nourriture de la part d’un Bjornling. De plus, n’importe quel membre du clan peut t’abattre sans être accusé de meurtre. Mais malgré cela, tu te tiens là, devant nous, comme si de rien était. Pourquoi ?
     — Je voulais passer voir la famille, répondit Hjalmar en serrant des dents.
     — Tu… ? s’étonna brièvement Gundmundr. Ta sentence est… !
     — Révocable, le coupa alors Halfdan. Il avait été dit que s’il accomplissait un acte digne des sagas de ses ancêtres, alors il pourrait revenir de son exil… »

     Si Gundmundr était surpris d’avoir été arrêté dans son élan, Hjalmar le fut plus encore. Il n’aurait jamais cru que le vieil homme prendrait sa défense dans un moment pareil, même s’il était plutôt clair qu’il lui en avait coûté de prononcer ces mots. Puis, avant que Gundmundr ne puisse rétorquer quoi que ce soit, une voix s’éleva depuis la foule, celle d’Harald.

     « Mon idiot de frère avait promis que son nom serait connu de par le monde. Je ne sais pas pour vous, mais je crois que même toi, Gundmundr, a entendu parler de la ‘Terreur des Marches’ au détour de la prose d’un scalde itinérant. Selon moi, il a tenu parole. »

     D’autres voix s’élevèrent alors, la majorité provenant du village natal de Hjalmar, pour soutenir ces propos à grand renforts d’exemples d’actes racontés par les scaldes et marchands itinérants. Le tout devint bien vite un brouhaha incompréhensible quand diverses personnes plus modérées voulurent réduire l’importance de certains exploits.

     « Assez ! vociféra le goði avant de se calmer. Tu as raison Harald. Sa renommée est grande et il a ainsi tenu parole. Cependant… Y-a-t-il quelqu’un ici présent qui peut attester desdits actes ? L’un d’entre vous l’a vu à l’œuvre ? »

     Un silence gêné fut sa seule réponse. Gundmundr retrouva alors sa contenance en voyant qu’il reprenait le contrôle de la situation, au grand dam de Hjalmar.

     « Avant qu’on ne dise que je traite les scaldes de menteurs, laissez-moi m’expliquer. Je ne réfute pas les haut-faits de Hjalmar. Ils ont peut-être effectivement eu lieu, la plupart du moins. Mais il serait temps de prouver ce qu’il avance, qu’il est vraiment un guerrier digne des sagas. »

     Puis, le goði se tourna vers l’accusé et le toisa du regard.

     « Alors ? Qu’as-tu à présenter de concret au conseil pour appuyer tes hauts-faits ?»

     Hjalmar décroisa les bras, les poings serrés. Il jaugea du regard Gundmundr, ce chef de pacotille et, avec un rictus rageur déformant son visage, le norse arracha une petite pièce ronde arborant une fleur de lys de son épaulette droite.

     « Tu veux une preuve ? » – Hjalmar agita la pièce devant lui avec la conviction d’un shaman maudissant un ennemi mortel – « Ça !... Ça, c’est une couronne de Brionne. Je l’ai récupérée sur un chevalier que j’ai battu en duel. Un sacré vantard, ça ne l’a pas empêché de finir la gorge ouverte sur la route. »

     Le norse jeta la pièce au sol avec un dédain évident. Il en arracha une autre, ronde aussi mais argentée et avec un trou carré en son centre, et la tint à son tour devant le goði.

     « Celle-là, c’est un guerrier du Nippon qui l’avait sur lui. Noriharu qu’il s’appelait. Il me l’a donné en guise de souvenir, pour me rappeler qu’on avait un duel à poursuivre. Pour information, il l’a perdu celui-là aussi. »

     La nouvelle pièce alla rejoindre l’autre au sol avec le même mouvement. Cette fois, Hjalmar détacha un fourreau vide mais orné de dorures et autres joailleries vertes et rouges.

     « Sud de l’Arabie. Un chef d’une bande de bandits de grands chemins. La dague qui allait avec je l’ai perdue en revanche. Durant un duel avec un mort-vivant aux bois de cerfs. »

     Le fourreau tinta contre le bois du plancher de la grande halle quand Hjalmar le jeta à son tour. Et la cérémonie s’installa pour durer.
     Colliers de dents provenant chacun d’une créature différente, plus mortelle les unes que les autres, bracelets fait avec des morceaux d’arrêtes de monstres marins, colifichets de diverses régions dont les noms échappèrent à plusieurs, ceinture, fibules, l’épée impériale… Tous s’accumulèrent – avec une description en prime – pour former un petit tas d’objets aussi improbable qu’exotique au pied du norse en colère jusqu’à ce qu’il n’ait plus que son gambison déchiré sur le dos. Même son plastron de cuir ornée d’hermine de Lyonesse, ce truc de fanfare qu’il avait gardé pendant tant d’années rejoignit le reste des trophées avec ses bijoux de barbe en perle ou métal divers.
     Toutes les décorations tombèrent, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un homme devant la foule assemblée là.

     « Voilà, cracha-t-il enfin en pointant le tas d’objets d’un doigt accusateur. La voilà ma preuve ! Je la trimballe sur moi depuis vingt années ma foutue preuve ! Vous pouvez me cracher dessus, me frapper, me mépriser et critiquer mes hauts-faits. Ça je m’en moque. Votre opinion, elle ne me gardera pas en vie quand je dormirais seul la nuit. Ce sont mes choix, mes erreurs, ma façon de vivre, et je les assume pleinement. … Mais vous n’avez pas le droit de me retirer mes actes. Vous n’avez pas le droit de passer sous silence mon héritage, ce que j’ai sacrifié au nom des dieux et de la Norsca durant ces vingt années !! »

     Il fit un pas vers Gundmundr, dont le sourire vacilla.

     « Et si tu veux une preuve valide que tout le monde puisse voir, alors dégaine ta lame. Là, maintenant. Je vais te montrer ce que c’est que de m’affronter ! Je vais te faire comprendre pourquoi on me craint sur une bonne partie du continent ! »

     Réagissant au quart de tour, le goði ouvrit ses paumes vers Hjalmar dans un signe d’apaisement.

     « Oh, ne nous emballons pas ! Bien au contraire, réjouissons-nous de tes exploits ! »

     Or, alors que la foule de norses s’apprêtait déjà à exulter pour féliciter leur champion que le goði les interrompit aussitôt.

     « Cependant, un défi est un défi… Un simple duel n’ayant que peu d’intérêt au vu de tes exploits, je vais accepter ta demande mais pour la tourner en une épreuve autrement plus glorieuse. »

     Eh merde, pensa Hjalmar. Fichu beau parleur.  

      « Tout ce que tu nous as présenté vient de lieux autre que la Norsca si je ne m’abuse. Bien ! Dans ce cas, pour définitivement payer ton Wergild, ramène-nous une preuve d’une victoire contre un monstre de notre beau pays et tous tes crimes passés seront pardonnés. Bien entendu, cette fois-ci tu seras accompagné de quelques chasseurs qui viendront attester de ton acte… En vertu de mes droits de goði, ton statut de niðingr est révoqué. Néanmoins, tu ne pourras réintégrer Iskvard qu’une fois la tâche accomplie. Et une fois la chasse commencée, tu n’auras toujours aucunement droit à aucune aide extérieure de la part d’un Bjornling, ils se contenteront d’observer. Après tout, il serait dommage de biaiser le résultat et partager ta gloire. Elle te revient de droit… »

     Hjalmar n’écoutait plus vraiment Gundmundr. Sa harangue continua dans une série de sons étouffés alors que le baroudeur réalisait que ces quelques mots venaient d’être prononcé : « ton statut de niðingr est révoqué ». Le souffle encore court d’avoir crié à tue-tête toute son histoire devant un public à qui elle était pourtant destiné, la boule dans son ventre se serra d’autant plus. Une page se tournait enfin, mais était-il vraiment prêt à lire la suite ?
     Le pragmatisme revint au galop. Après tout, il n’était pas encore accepté en tant que membre du clan et au vu des conditions imposées par Gundmundr, la seule différence était qu’on ne pouvait légalement plus l’exécuter à vue sans raison. Une bien maigre amélioration finalement.
     Un silence fit revenir Hjalmar à la réalité. Le goði se tournait vers les membres du conseil des anciens et les interrogeait du regard.

     « Ce devrait être une formalité et un haut-fait digne d’un héros tel que lui à n’en pas douter. Quoi de mieux pour continuer la saga de Hjalmar ‘Oksilden’ ? De plus, cela nous débarrasserait d’une menace directe. Alors, qu’en dites-vous ? »

     Un à un, les différents membres du conseil acquiescèrent et validèrent le jugement. Hmpf, grogna Hjalmar intérieurement, comme s’ils allaient proposer autre chose. Le goði leur avait à peine laissé le temps de parler, alors pourquoi changer...
     Derrière, l’excitation de la foule devint palpable en peu de temps. Une chasse impliquant le ‘grand Hjalmar’ ? Comment rester insensible ? Ce type jouait avec la populace et leur désir de gloire afin de faire passer ses règles idiotes. Plus la demande était alambiquée et irréalisable, plus les norses allaient s’y intéresser et pardonner les écarts dans le même temps. Il le savait mieux que quiconque, c’était un de ses principes de vie durant ces dernières années.

     « Oh ! s’exclama le goði. J’allais oublier. »

     Il pointa alors l’oracle de la main avec un grand sourire.

     « Ce sera aux dieux de décider de ta cible ! Qui d’autre que Karneth, père des haches, ou même Olric, dieu de l’hiver, serait mieux placé pour t’indiquer la proie parfaite ? La sagesse divine pour te guider vers une chasse sublime dont on parlera encore durant des générations ! N’êtes-vous pas d’accord ? »

     La foule cria comme un seul homme son approbation et le soupir de dédain de Hjalmar se perdit dans le brouhaha. Sagesse divine ? Divine comédie oui. Dans le meilleur cas, il irait tuer un monstre marin comme une baleine de la Mer des Griffes, au moins ce serait réglé rapidement. Mais avec sa chance, si ces enfants gâtés choisissaient vraiment pour lui, ils seraient bien capables de le renvoyer dans les Royaumes du Chaos par pure ironie.
     L’oracle s’avança alors d’un pas hésitant, tirant quelques fois sur sa robe de lin ornée de plumes d’oiseaux. Après cette demande abrupte, elle n’avait pas l’air prête à communier avec qui que ce soit. On était loin de l’habituel émissaire énigmatique des dieux au courant de toute chose. Quand elle passa à côté de Gundmundr, qui tournait le dos à la foule, ce dernier inclina légèrement la tête l’espace d’un instant. N’étant pas né de la dernière pluie, Hjalmar devina que ce salaud venait de lui murmurer quoi dire. Elle était belle son intervention divine.
     Les phalanges à présent blanches tellement Hjalmar les maintenaient serrées, le norse attendit la sentence qu’il savait maintenant injuste au possible. Lorsque l’oracle s’approcha de lui, Hjalmar réalisa son jeune âge. Elle devait être à peine plus âgée que Svaný.  
     Après avoir soutenu le regard du baroudeur, l’oracle sembla reprendre confiance en elle, ne serait-ce que pour un instant, et avança ses mains recouvertes de colifichets. Elle les posa des deux côtés de la tête du norse avant d’entamer un psaume dans une langue que Hjalmar ne compris heureusement qu’à moitié. La foule se tut aussitôt et observa la cérémonie avec un silence religieux. Certains reprirent par moment des phrases comme des mantras.
     La divination des oracles et autres vitkis chaotiques différaient quelque peu d’un village à l’autre, mais dans tous les cas une constante apparaissait : il fallait prononcer les incantations. Le Noir Parler et ses variantes norses restaient une langue orale qui ne trouvait la source de sa puissance que dans sa prononciation. Si l’oracle se contentait de murmurer quelques mots ou de les écrire dans des runes païennes, le résultat n’aurait été qu’au mieux partiel, au pire inexistant. D’ailleurs, après quelques minutes de rituel et à la grande surprise de Hjalmar, l’oracle prit son rôle très à cœur en fin de compte. Trop même. Son incantation continuait depuis si longtemps sans reprendre sa respiration qu’on frisait l’exploit. Pourtant, il lui suffisait juste de déblatérer quelques inepties et transmettre les ordres de Gundmundr, non ? Pourquoi tant de complications ? Pour sauver les apparences ?
     Hjalmar tenta alors d’ouvrir un œil discrètement. La coutume voulait qu’il les garde fermés durant le procédé, mais il n’était plus à ça près en termes de sacrilège divin. Il vit d’abord Gundmundr s’impatienter sur son trône. Puis que l’oracle suait, le front plissé par l’effort. Toujours perdue dans son incantation, elle donnait l’impression de ne pas réussir à en revenir. De légères pressions erratiques de ses doigts sur les tempes de Hjalmar lui confirmèrent qu’elle ne contrôlait qu’à peine ses mouvements.
     Puis, un frisson parcourut Hjalmar quand il réalisa que les borborygmes de l’incantation se mirent à faire sens. Des bouts de phrase remontèrent avant de sombrer, se répétaient sans arriver à flotter juste assez. Pataugeant dans la mélasse du Noir Parler, l’oracle se débattait avec quelque chose qui gagna lentement en étouffant ses litanies. Du flot de ses mots, au-delà de sa voix, émergea alors une phrase faite pour l’Oksilden seul :

     « Confronte-toi à toi-même, contemple ta fureur et dompte la certitude. Ton crâne rejoindra la pile éternelle que tu aideras à créer. »

     Le visage de l’oracle se tordit en un sourire que Hjalmar avait déjà vu, l’expression d’un homme heureux d’avoir accompli son destin. Elle agrippa vivement l’arrière du crâne du baroudeur.

     « Comprends-tu maintenant ? » entonna-t-elle en pleurant une larme noire.

     Décidant qu’il en avait assez vu, le norse tenta d’agripper une des mains de l’oracle. Au même moment, la jeune femme arrêta brusquement ses chants, prit une grande inspiration qui tendit vers le gémissement et tomba sur le dos. Elle se redressa bien vite, hagarde et tentant de retrouver le sens du réel.
     Il lui fallut bien une bonne minute de clignement d’yeux et de marmonnement incompréhensible avant qu’elle ne prononce enfin ses premiers mots clairs d’une voix cassée :

     « Tu.. Tu trouveras ce que tu cherches au-delà de la forêt de Tanngniost… Parmi l’échec des trois ancêtres. Au travers du brouillard et du sang. »

     Le visage de Gundmundr perdit visiblement des couleurs en entendant cela. Néanmoins, il resta silencieux comme une tombe. Si on pouvait les influencer (et c’était un jeu dangereux), remettre ouvertement en doute la parole d’un oracle revenait à questionner le divin du point de vue des norses.
     Hjalmar s’approcha alors de l’oracle pour l’aider à se relever. La pauvre fille tremblotait comme une feuille et il dut prendre son temps pour ne pas la brusquer. Puis, il amena l’oracle vers un banc pour qu’elle puisse se reposer et qu’on prenne soin d’elle.
     La clameur de la foule intervint à nouveau pour débattre du message divin avant d’être coupée par un geste de la main du goði. Cette fois, il ne se montrait pas aussi grandiloquent qu’avant et foudroyait même du regard l’oracle par intermittence.

     « Les dieux ont parlé. Nous souhaitons donc… bonne chance à Hjalmar et puisse sa quête s’accomplir dans l’honneur et la gloire. L’expédition partira dès que possible. Le thing est levé ! »

     Alors que la foule était reconduite à l’extérieur par la garde du goði, Hjalmar, lui, s’avança vers le petit tas formé par ses souvenirs et autres breloques. Il y jeta un coup d’œil rapide, digéra à quel point ces vingt dernières années tenaient en finalement bien peu de choses, puis récupéra un seul objet : son pendentif en argent. Il avait beau ne plus les vénérer, il ne voulait pas oublier ses dieux et ce qu’ils avaient fait de lui. Le reste, il le laissa derrière. Que les gens du coin se servent, ça ne lui servirait plus à présent.
     Récupérant ce qui restait de son collier en cordon pour le rafistoler, Hjalmar se mit à penser. Et ces derniers temps, cette activité l’horripilait. Il jeta un œil vers l’oracle qui tâtait le bois du mur derrière elle, comme si elle voulait s’assurer de sa présence, en prenant de longues inspirations. Une boule se serra dans le ventre de Hjalmar avant qu’il ne fasse jouer sa nuque pour se remettre les idées en place.
     Puis, sans un mot ou même un regard vers Gundmundr et son conseil, le norse sortit de la halle en se grattant nerveusement l’arrière du crâne.

Maraudeur


Dernière édition par Hjalmar Oksilden le Mer 22 Nov 2023 - 22:38, édité 1 fois

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"La Mort est un mâle, oui, mais un mâle nécessaire."
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Mar 21 Nov 2023 - 12:25
Merci pour ce texte ! toujours aussi sympa !

Comme d'habitude, quelques notes en vrac (et je mets les remarques sur les tournures de phrases à la fin)

Les eaux qu’ils traversaient provenant du fleuve du même nom, l’appellation coulait de source.
Cette citation mérite une mention spéciale : le jeu de mot est parfait Mr. Green

Il y a au début de ce nouveau passage un très beau paragraphe sur le retour au pays et le sentiment d'appartenance à la norsca. C'est très joliment écrit, et aussi très émouvant. Tu nous fait partager un beau moment d'émerveillement et de nostalgie !
Il y a la suite de cette émotion plus tard avec le premier pas sur le ponton. C'est un passage très bien rythmé, et encore une fois qui prend au coeur. Il devait probablement y avoir un petit côté meta à repasser sur ce passage à la réécriture.

Une petite remarque autour du passage où les marins enlèvent la figurent de proue du bateau (au passage, c'est un détail super immersif dans cette culture, très sympa) : A la fois Hjalmar pense à sa réputation, très grande et impressionnante, mais en même temps les marins se moquent de lui qui n'a pas le pied marin et qui a froid. Je serais intéressé de savoir ce que les marins pensent du "grand hjalmar" pas si loin de la pls sur le bateau.

Dans la maison, entre Hjalmar, Harald et le nain, je me dis qu'il doit être compliqué de se croiser dans les couloirs, ou alors ils doivent être bien larges !

« Eh, je suis désolé que tu l’apprennes comme ça, mais autant que ça soit dit, repris Harald. De toute façon, elle est mieux là où elle est, aux côtés des dieux. Pour le reste… Heum… Écoute, tu verras par toi-même. »
Cette phrase est très caractéristique de ton style, comme j'en parlais dans mon dernier message, et aussi du caractère des personnages : d'un côté, très direct avec la nouvelle de la mort de leurs parents, et de l'autre tout en prudence et en sous-entendu pour la fin de la phrase, sans trop d'entre deux. ça donne vraiment une touche particulière au style et aux caractères "bourru mais subtil dans le fond".

Quelques phrases en norse plus tard, ladite porte s’ouvrit à la volée
Là je me suis posé une question : dans quelle langue parlaient Hjalmar et son frère ?
ça me surprendrait qu’ils parlent en autre chose que norse entre eux, mais dans ce cas pourquoi préciser la langue si elle est identique au dialogue précédent ? Et si Hjalmar et son frère ne parlaient pas en norse, il y a une touche de lore à ajouter sur pourquoi peut-être

Hjalmar n’en reconnaissait qu’un seul, le vieux Halfdan qui devait représenter les réfugiés de Stavgard.
J’ajouterais bien une phrase pour dire comment Hjalmar trouve Halfdan : en 20 ans, il a pu changer, vieillir, gagner ou perdre de la barbe...

Le lögmathur étant absent, car parti régler un litige à Sverborg à la demande de la reine
Qui est la reine en question ? Je ne connais pas de roi/reine chez les norse, ça m'intrigue beaucoup ! Il me manque sans doute un bout de lore warhammer^^

Ha ! je retenais mon souffle dans le passage avant que Halfdan ne parle de la révocation de la sentence ! c’est super ! vraiment une belle monté en tension !  Sourire

A mon avis, la scène où Hjalmar jette les pièces de son épaulette comme preuve de ses exploits aurait encore plus de force si plus tôt (par exemple dans ses pérégrinations en début d’aventure ou sur le bateau), on le voyait plusieurs fois triturer son épaulette comme un toc, ou bien au contraire souligner qu’elle est importante pour lui (ralant contre un bandit qui abimerait un des souvenirs par exemple).
Sous-entendre l’importance de ces objets sans encore dévoiler la nature de cette importance (par exemple parler de pièces ou de fourreaux mais sans en dire l'origine) rendrait le passage où Hjalmar dévoile le sens de chacun des objets qu'il porte plus puissant (il y aurait un côté révélation en plus). Surtout que manifestement, Hjalmar a longtemps pensé à ce moment, puisqu'il est quasiment théâtral dans sa manière de le dévoiler, et que tu écris qu'il a une forme de soulagement/sentiment de devoir accompli.

Quelques petites remarques sur les tournures de phrase ^^:

LA SUITE ! Clap

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Ethgrì-Wyrda, Capitaine de Cythral, membre du clan Du Datia Yawe, archer d'Athel Loren, comte non-vampire, maitre en récits inachevés, amoureux à plein temps, poète quand ça lui prend, surnommé le chasseur de noms, le tueur de chimères, le bouffeur de salades, maitre espion du conseil de la forêt, la loutre-papillon…
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Mer 22 Nov 2023 - 22:39
Merci pour ton commentaire !

Ethgri a écrit:Il devait probablement y avoir un petit côté meta à repasser sur ce passage à la réécriture.
Je ne saurais dire finalement. J'ai lu et relu tellement de fois ce récit qu'il me semble connaître dans tous ses recoins sans vraiment réussir à le prendre à bras le corps. Et la réécriture est plus un résultat d'années de triturage que le fruit d'un regain soudain d'intérêt pour le récit.

Ethgri a écrit:Une petite remarque autour du passage où les marins enlèvent la figurent de proue du bateau (au passage, c'est un détail super immersif dans cette culture, très sympa) : A la fois Hjalmar pense à sa réputation, très grande et impressionnante, mais en même temps les marins se moquent de lui qui n'a pas le pied marin et qui a froid. Je serais intéressé de savoir ce que les marins pensent du "grand hjalmar" pas si loin de la pls sur le bateau.
Une réputation, ça reste fluctuant et pas toujours aussi bien réparti qu'on imagine.

Ethgri a écrit:bourru mais subtil dans le fond
il est vrai qu'indiqué comme ça, ça résumé plutôt bien ma façon de faire. Bien trouvé Happy

Ethrgi a écrit:Là je me suis posé une question : dans quelle langue parlaient Hjalmar et son frère ?
Ils parlent en norse. Dans le flot du dialogue j'ai dû me dire que rappeler la langue meublait un peu. Il est vrai que c'est un peu redondant avec la situation...

Ethgri a écrit:J’ajouterais bien une phrase pour dire comment Hjalmar trouve Halfdan : en 20 ans, il a pu changer, vieillir, gagner ou perdre de la barbe..
C'est chose faite ! Il y avait autrefois une description bonus mais qui avait été enlevé car pas très utile. Celle-là marche un peu mieux.

Ethgri a écrit:A mon avis, la scène où Hjalmar jette les pièces de son épaulette comme preuve de ses exploits aurait encore plus de force si plus tôt (par exemple dans ses pérégrinations en début d’aventure ou sur le bateau), on le voyait plusieurs fois triturer son épaulette comme un toc
La remarque est valide et il y a moyen de l'implémenter à quelques endroits. Je le note pour une future passe sur le début du récit.

Ethgri a écrit:Ce passage sort un peu du récit : on nous renvoie en arrière, à un dialogue qu’on n’a pas eu. Cette information serait mieux dans une ou deux phrases à la fin du dialogue où Harald parle du nouveau goði, à peine quelques lignes plus tôt
J'ai carrément enlevé le morceau. Ton idée est bonne, mais je ne voyais pas trop comment l'insérer dans le rythme de la fin du dialogue. Et ca laisse plus de doute quant à Gundmundr.

Ethgri a écrit:Il y a un truc qui sonne bizarre ici, je pense que c'est parce qu'il y a beaucoup de renvois de regards : on suit plus ou moins le point de vue de Hjalmar, qui donc regarde Harald, qui lui-même regarde Svany et Varki. Je pense que ça sonnerait déjà plus fluide en remplaçant "cependant, ce dernier" par "il", et "en gardant" par "tout en gardant"
"adossée" si c'est Svany. Si par contre on parle de Harald, il faudrait peut-être mettre le "adossé" en début de phrase pour que ce soit plus clair
J'ai revu le petit morceau selon tes commentaires. Il s'agit d'un moment inattention où le naturel revient au galop avec mes envies de points de vues multiples.

Les autres commentaires ont été corrigés aussi, tes propositions allant dans le bon sens.

J'essaierais de sortir la "suite" relativement vite. Nous verrons une fois arrivé au point de blocage précédent pour la marche à suivre.

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Dim 17 Mar 2024 - 16:03
C'est drôle, je me tâte en ce moment pour reprendre la plume, puis je me dis : lisons déjà ce qu'il y a à lire avant. Eh bien, j'ai lu, et ce qui est drôle, c'est que ce récit semble... prévenir d'une certaine manière mes propres craintes. Je me dis que j'ai envie d'écrire, mais que ce que j'écrirais serait un poil trop sérieux, grave, sombre... Puis je lis ton texte et j'y trouve justement ces éléments d'ambiance, sérieux, grave, sombre, ensuite je me rends compte que tu y parviens à y glisser par-ci par-là quelques rayons de soleil. En d'autres termes, un bon modèle à suivre si je m'avise à m'y remettre comme je l'envisage. Ca fait plaisir.

Cela étant, nous sommes effectivement guère loin de l'endroit dans la saga où tu avais décidé de procéder à la réécriture. Je crois que le tout dernier texte non-rééecrit parlait justement du début de la fameuse chasse. J'allais dire qu'il me tarde de découvrir enfin quel est ce fameux monstre que va affronter Hjalmar, mais il est plus véridique qu'il me tarde de te lire, de suivre tes personnages dans leurs faits gestes et pensées, que tu décris avec simplicité, affection et style. Ce n'est pas juste une histoire de monstre, c'est à n'en pas douter la Norsca que nous nous apprêtons à découvrir, la Norsca sauvage, où la Nature et le Chaos se livrent une lutte sans merci, parfois jusqu'à ne plus savoir qui est qui. Et au milieu de tout ça, des norses, pour qui le péril n'est que plus forte promesse de gloire.

La suite ! Love
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