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- EssenSeigneur vampire
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Date d'inscription : 22/12/2013
Palmares : Organisateur des tournois du Fort du Sang, de la Reiksguard, des Duels de Lassenburg & de la ruée vers l'Eldorado
Une histoire estalienne
Mar 17 Fév 2015 - 1:54
- Non, non votre Grâce, non je ne suis pas en train de tirer au flanc ni de bailler aux corneilles ! Oui, je sais que la série Vampire at war attend sa suite qui n'est qu'à peine entamée ! Oui, je sais que je m'expose à des représailles ! Non, votre Grâce, je n'abandonne pas la série, loin de moi cette folie ! Maintenant, laissez moi publier mon histoire, ou je démissionne ! Oui votre Grâce, parfaitement !
Je vous remercie, votre Grâce. Oui, votre Grâce, dans les plus brefs délais, certainement. Oui, je sais, personne ne me croit jamais de toute manière, donc laissez-vous persuader si cela vous chante... A vous aussi, votre Grâce, je vous souhaite ce qu'il y a de meilleur en ce monde... S'il existe encore d'ici-là... Au plaisir de vous revoir !
La couche nuptiale diffusait une tiédeur qui paraissait plus agréable que l’étouffante chaleur de la nuit. Il y avait là tout le luxe que la richesse et le pouvoir puissent offrir : soie, plumes, broderies dorées, bois vermoulu. Tout autour du lit démesuré, un baldaquin de velours aux fines ciselures sur les boiseries interdisait tout accès à la lumière à travers les épais rideaux de tissu ; à l’intérieur, une obscurité totale régnait, apaisante, rassurante. Une intimité quasiment palpable pour l’heureux couple qui y goûtait le repos. Cependant, qui aurait pu croire qu’aucun des deux nouveaux mariés, unis devant l’autel il y avait moins d’une journée, ne dormait pas ? L’époux, notamment, peinait à trouver le sommeil. Une sourde angoisse le saisissait, alors qu’il regardait dans la direction opposée de sa moitié, les yeux braqués dans le noir : qu’avait-elle véritablement pensé de lui, de sa prestation ? Les minutes s’écoulaient interminablement, et l’interrogation ne cessait de vriller dans son esprit, tel un bourdon insupportable. Il revint encore et encore sur les derniers moments avant qu’elle ne s’endormit : la question qui le tourmentait à présent, il l’avait posée sur un ton désinvolte, attendant seulement qu’on lui rende son dû, qu’on le complimente avant de le couvrir de baisers… Il n’en fut rien. Elle demeura allongée à côté de lui, respirant de plus en plus paisiblement, puis émit un rire cristallin qu’il ne comprit pas. Abasourdi par cette réaction, il ne réagit pas quand elle remonta sur eux la fine couverture du lit, et il sentit qu’elle se détourna de lui, étouffa encore un petit rire, puis se tut. Lorsque sa consternation lui rendit sa liberté de mouvement, Sebastián se rapprocha, lui caressa le flanc, l’appela par un doux murmure, s’efforçant de ne pas paraître inquiet. Comme elle ne lui répondit pas, il conclut, sans réprimer son regret, qu’elle devait déjà être endormie, tendre créature. Il demeura allongé depuis, à une coudée de son adorable épouse, cherchant vainement à s’oublier dans les bras de Morr le Rêveur. Finalement, le jeune homme se fâcha contre lui-même, trouvant son agitation à la fois indigne et ennuyeuse, et décida de s’assoupir autant qu’il le pût, se convainquant qu’il lui arracherait une réponse dès le matin, mais de manière plus galante et discrète. Ses muscles se relâchèrent, il bougea encore un peu dans la douceur de la soie et la mollesse du matelas, puis, insensiblement, il s’assoupit.
Tendre et belle, elle ne sommeillait pourtant pas. Ce n’était pas l’angoisse qui occupait son esprit alerte, mais l’impatience : quand Sebastián s’endormirait-il enfin ? Elle éprouvait toutes les peines du monde à feindre sa propre inconscience, se retenait de se mordre les lèvres, de crisper ses poings, de remuer ses jambes et ses chevilles délicates. A maintes reprises, elle dut se rappeler qui elle était, ce qu’elle devait faire, les efforts qu’elle devait fournir pour ne pas passer pour une idiote. Chaque instant qu’elle passa ainsi immobile, elle crut l’avaler comme l’on avale une potion amère, comme un traitement douloureux mais nécessaire qu’il fallait accepter. Une seule pensée lui permit de tenir : l’avant-goût du délice qu’elle éprouverait quand son époux aurait enfin une respiration ralentie. Ce qu’elle ferait alors.
Des sons de guitare résonnaient dans sa tête : la musique que l’on avait jouée il y a quelques jours dans le grand salon lui était restée en souvenir, et son rythme effréné s’accordait parfaitement avec l’impression qu’elle avait en ce moment-même : un déferlement d’émotions qu’elle s’efforçait de réprimer.
Enfin, elle réalisa qu’elle avait le champ libre pour agir. D’abord incrédule, comme engourdie par son attente, elle patienta encore quelques instants. Sebastián dormait à poings fermés. Alors, elle réussit encore à se contenir, fière de la prudence dont elle faisait preuve, et, tout doucement, commença à se glisser hors du lit. Elle fit délibérément durer ces actions, faisant passer sa lenteur pour de la discrétion, mais en vérité savourant chaque seconde qui passait pendant qu’elle se soustrayant à son mari à son insu. A son insu ! Cette pensée faillit dérégler brièvement sa souple et silencieuse progression. Elle se contrôla néanmoins, se permit toutefois de sourire désormais, sourire qui ne la quitta plus dès lors que par moments, pour reprendre ses appuis.
Invisible dans le noir, elle mit enfin ses pieds sur la surface ferme mais agréable de douceur d’un immense tapis arabéen. Souple et gracieuse, elle se releva, toujours attentive à chaque mouvement qu’elle faisait, gravant chaque geste dans sa mémoire, considérant que cette nuit marquait pour elle un début nouveau, un nouveau ciel qui s’ouvre, un événement inoubliable. Le rideau du baldaquin fut traversé sans le moindre bruit. Nue, la jeune femme se retrouva éclairée par un rayon de lune, doux halo qui lui parut aveuglant après l’obscurité du lit. Reprenant peu à peu contenance, elle tendit l’oreille, voulant s’assurer une dernière fois que son escapade n’était pas remarquée. Rien d’alarmant. Elle se sentit tellement triomphante qu’elle en faillit sautiller de joie. Cependant, ce ne fut qu’un éclat fugace, rapidement balayé par son envie plus grande de promenade remplie de langueur mensongère. Elle avait un objectif devant elle, elle allait l’atteindre le plus lentement possible.
Lorsqu’elle commença son cheminement à pas de loup, chaque pas qu’elle prenait, chaque objet qui l’entouraient lui semblèrent complices, arborant des sourires cachés derrière leur nature visible, tout comme elle à présent… Observant les environs de temps à autres, s’efforçant de retenir chaque détail de sa vision, elle continua cependant à défiler en ligne droite sur la pointe des pieds, se délectant de se sentir belle, riche et désirée. Elle possédait un corps de déesse, des mains d’elfe, un visage d’ange, et ses cheveux noirs bouclés rajoutaient une pointe de charme sauvage à son apparence délicieuse. Que pouvait-elle désirer d’autre à part continuer à être désirée ? Sa beauté subjuguait, elle le sentait, elle le vivait désormais, pleinement consciente des capacités extraordinaires que lui offrait sa nouvelle condition. C’était doux à considérer, mais aussi enivrant, oui, aussi enivrant, non, bien plus enivrant que les fins vins rouges que l’on offrait à la table de son époux.
Elle parvint au bout de la chambre, prise d’une suave fièvre d’émerveillement, comme si elle venait de gravir une montagne ou d’échouer sur une plage après un naufrage. Se mouvant toujours avec une grâce enchanteresse, elle s’empara de la poignée d’une grande porte vitrée qui conduisait à un balcon si large que l’on aurait pu y disposer une grande table avec une vingtaine de convives de chaque côté. Entrouvrant la porte, elle sentit une brise légère lui caresser la peau, presque maternellement, mais aussi sensuellement, frôlant chaque parcelle de son être. Presque à contrecœur, elle s’empressa de franchir le seuil, puis de refermer délicatement la porte, craignant assez naïvement qu’un courant d’air aussi imperceptible suffirait à réveiller son mari. Alors enfin, elle se permit un frisson, un frisson qui n’avait rien avoir avec la fraicheur qui provenait de la mer au loin, mais qu’elle avait réprimé pendant une éternité. Respirant à pleins poumons, elle fit quelques pas en avant, sentant le marbre lisse et tiède sous ses pieds. Elle regarda, et se désespéra à l’idée que jamais son regard se suffirait à englober et à mémoriser toute la magnificence de cette aventure : le ciel nocturne était limpide, constellé d’étoiles, chacune semblable à une pierre précieuse ; le disque lunaire promenait sa lumière épurée sur les environs du palais, puis vers les tours et les maisons de la ville immense, là où des myriades de lumières jaunâtres indiquaient que les citoyens de Magritta ne dormaient jamais qu’à moitié, vaquant à leurs occupations le jour, buvant, chantant et se dépravant la nuit.
Leurs chants ne parvenaient pas jusqu’ici, et le silence tempéré par le bruit secret des cigales parut à Camila comme étant le meilleur des orchestres que la capitale lui aurait pu offrir. Bercée quelque temps par une sérénité inattendue, elle demeura ainsi statufiée sur le balcon, pareille aux statues inestimables qui ornaient chaque angle de la balustrade, mais infiniment plus proche d’un chef d’œuvre tel que les hommes pouvaient se l’imaginer.
Puis elle se rappela de sa présence en ce lieu, à ce moment précis. Elle se rappela qu’elle était là par nulle autre volonté que la sienne, contre toutes les volontés que les hommes auraient voulu lui imposer, contre la volonté de son époux, ce beau Sebastián, qui ne pensait visiblement qu’à sa propre virilité, et non à elle. A ce moment-là, elle était seule maitresse de ses mouvements et de son corps, elle ne portait d’autres vêtements que la lumière nocturne, et personne ne lui imposait rien… D’ailleurs, le premier homme qui apparaitrait devant elle à cet instant précis, elle l’attraperait par le cou, lui planterait la main dans son ventre et l’étriperait comme le porc qu’ils sont tous…
Quelque chose se remua en elle, et subitement elle se força à se rasséréner de nouveau. Certes, elle était désormais libre, mais elle était la seule à le savoir, et ce savoir devait demeurer un secret parmi les mieux gardés de toute l’Estalie. Oui, cette nuit-là était sa seule récréation, peut-être la première parmi tant d’autres qui suivront, mais peut-être aussi la dernière. Pour l’heure, elle devait jouir du moment présent, jouir de ce qu’elle était devenue, jouir de se sentir chez elle dans la nuit, sentir l’étreinte de l’obscurité et le baiser de la lune… Son mari, lui ne comprendrait jamais rien à tout cela, et ne devait pas comprendre. Il n’y était pas destiné.
Elle – si.
Le corps divin de Camila se tordit soudain, secoué par un rire d’abord discret, puis gagnant peu à peu en intensité ; cristallin, innocent, n’importe qui aurait été hypnotisé rien qu’à l’entendre. Hypnotisé, tel était le mot. La jeune femme rit de plus en plus, de vive voix, avec une joie telle qu’elle s’en étonnait elle-même, et alors sa joie décuplait encore, déferlant par un rire encore plus sonore et encore plus charmant et envoûtant. Tout son être se détendit, elle écarta les bras comme si elle voulût serrer la nuit contre sa poitrine exquise, et rit, encore et encore, à gorge déployée, à pleines dents, parfaitement consciente que peu à peu, ses canines de mortelle s’allongeaient nettement, révélant sa nature véritable, sa métamorphose récente, ce baiser que la nuit lui avait offerte, et qu’elle rendait maintenant avec passion.
Je vous remercie, votre Grâce. Oui, votre Grâce, dans les plus brefs délais, certainement. Oui, je sais, personne ne me croit jamais de toute manière, donc laissez-vous persuader si cela vous chante... A vous aussi, votre Grâce, je vous souhaite ce qu'il y a de meilleur en ce monde... S'il existe encore d'ici-là... Au plaisir de vous revoir !
*sort du manoir à grands pas, une pile de parchemins sur les bras*
*arrive dans la taverne*
Se mettre dans des états pareils, non mais je vous le jure...
Salut tout le monde !
Voici ce que l'on pourrait qualifier de début d'un nouveau récit, chose assez étonnante pour moi-même, mais pas moins excitante à considérer... Le titre, pas très recherché, témoigne lui-même de mon but précis : je désire écrire, et je désire être lu. Et je désire que ce soit en Estalie, allez savoir pourquoi...
J'espère que vous serez satisfaits, notamment vous, mes chers compagnons de taverne !
Bonne lecture !
*arrive dans la taverne*
Se mettre dans des états pareils, non mais je vous le jure...
Salut tout le monde !
Voici ce que l'on pourrait qualifier de début d'un nouveau récit, chose assez étonnante pour moi-même, mais pas moins excitante à considérer... Le titre, pas très recherché, témoigne lui-même de mon but précis : je désire écrire, et je désire être lu. Et je désire que ce soit en Estalie, allez savoir pourquoi...
J'espère que vous serez satisfaits, notamment vous, mes chers compagnons de taverne !
Bonne lecture !
Une histoire estalienne...
La couche nuptiale diffusait une tiédeur qui paraissait plus agréable que l’étouffante chaleur de la nuit. Il y avait là tout le luxe que la richesse et le pouvoir puissent offrir : soie, plumes, broderies dorées, bois vermoulu. Tout autour du lit démesuré, un baldaquin de velours aux fines ciselures sur les boiseries interdisait tout accès à la lumière à travers les épais rideaux de tissu ; à l’intérieur, une obscurité totale régnait, apaisante, rassurante. Une intimité quasiment palpable pour l’heureux couple qui y goûtait le repos. Cependant, qui aurait pu croire qu’aucun des deux nouveaux mariés, unis devant l’autel il y avait moins d’une journée, ne dormait pas ? L’époux, notamment, peinait à trouver le sommeil. Une sourde angoisse le saisissait, alors qu’il regardait dans la direction opposée de sa moitié, les yeux braqués dans le noir : qu’avait-elle véritablement pensé de lui, de sa prestation ? Les minutes s’écoulaient interminablement, et l’interrogation ne cessait de vriller dans son esprit, tel un bourdon insupportable. Il revint encore et encore sur les derniers moments avant qu’elle ne s’endormit : la question qui le tourmentait à présent, il l’avait posée sur un ton désinvolte, attendant seulement qu’on lui rende son dû, qu’on le complimente avant de le couvrir de baisers… Il n’en fut rien. Elle demeura allongée à côté de lui, respirant de plus en plus paisiblement, puis émit un rire cristallin qu’il ne comprit pas. Abasourdi par cette réaction, il ne réagit pas quand elle remonta sur eux la fine couverture du lit, et il sentit qu’elle se détourna de lui, étouffa encore un petit rire, puis se tut. Lorsque sa consternation lui rendit sa liberté de mouvement, Sebastián se rapprocha, lui caressa le flanc, l’appela par un doux murmure, s’efforçant de ne pas paraître inquiet. Comme elle ne lui répondit pas, il conclut, sans réprimer son regret, qu’elle devait déjà être endormie, tendre créature. Il demeura allongé depuis, à une coudée de son adorable épouse, cherchant vainement à s’oublier dans les bras de Morr le Rêveur. Finalement, le jeune homme se fâcha contre lui-même, trouvant son agitation à la fois indigne et ennuyeuse, et décida de s’assoupir autant qu’il le pût, se convainquant qu’il lui arracherait une réponse dès le matin, mais de manière plus galante et discrète. Ses muscles se relâchèrent, il bougea encore un peu dans la douceur de la soie et la mollesse du matelas, puis, insensiblement, il s’assoupit.
Tendre et belle, elle ne sommeillait pourtant pas. Ce n’était pas l’angoisse qui occupait son esprit alerte, mais l’impatience : quand Sebastián s’endormirait-il enfin ? Elle éprouvait toutes les peines du monde à feindre sa propre inconscience, se retenait de se mordre les lèvres, de crisper ses poings, de remuer ses jambes et ses chevilles délicates. A maintes reprises, elle dut se rappeler qui elle était, ce qu’elle devait faire, les efforts qu’elle devait fournir pour ne pas passer pour une idiote. Chaque instant qu’elle passa ainsi immobile, elle crut l’avaler comme l’on avale une potion amère, comme un traitement douloureux mais nécessaire qu’il fallait accepter. Une seule pensée lui permit de tenir : l’avant-goût du délice qu’elle éprouverait quand son époux aurait enfin une respiration ralentie. Ce qu’elle ferait alors.
Des sons de guitare résonnaient dans sa tête : la musique que l’on avait jouée il y a quelques jours dans le grand salon lui était restée en souvenir, et son rythme effréné s’accordait parfaitement avec l’impression qu’elle avait en ce moment-même : un déferlement d’émotions qu’elle s’efforçait de réprimer.
Enfin, elle réalisa qu’elle avait le champ libre pour agir. D’abord incrédule, comme engourdie par son attente, elle patienta encore quelques instants. Sebastián dormait à poings fermés. Alors, elle réussit encore à se contenir, fière de la prudence dont elle faisait preuve, et, tout doucement, commença à se glisser hors du lit. Elle fit délibérément durer ces actions, faisant passer sa lenteur pour de la discrétion, mais en vérité savourant chaque seconde qui passait pendant qu’elle se soustrayant à son mari à son insu. A son insu ! Cette pensée faillit dérégler brièvement sa souple et silencieuse progression. Elle se contrôla néanmoins, se permit toutefois de sourire désormais, sourire qui ne la quitta plus dès lors que par moments, pour reprendre ses appuis.
Invisible dans le noir, elle mit enfin ses pieds sur la surface ferme mais agréable de douceur d’un immense tapis arabéen. Souple et gracieuse, elle se releva, toujours attentive à chaque mouvement qu’elle faisait, gravant chaque geste dans sa mémoire, considérant que cette nuit marquait pour elle un début nouveau, un nouveau ciel qui s’ouvre, un événement inoubliable. Le rideau du baldaquin fut traversé sans le moindre bruit. Nue, la jeune femme se retrouva éclairée par un rayon de lune, doux halo qui lui parut aveuglant après l’obscurité du lit. Reprenant peu à peu contenance, elle tendit l’oreille, voulant s’assurer une dernière fois que son escapade n’était pas remarquée. Rien d’alarmant. Elle se sentit tellement triomphante qu’elle en faillit sautiller de joie. Cependant, ce ne fut qu’un éclat fugace, rapidement balayé par son envie plus grande de promenade remplie de langueur mensongère. Elle avait un objectif devant elle, elle allait l’atteindre le plus lentement possible.
Lorsqu’elle commença son cheminement à pas de loup, chaque pas qu’elle prenait, chaque objet qui l’entouraient lui semblèrent complices, arborant des sourires cachés derrière leur nature visible, tout comme elle à présent… Observant les environs de temps à autres, s’efforçant de retenir chaque détail de sa vision, elle continua cependant à défiler en ligne droite sur la pointe des pieds, se délectant de se sentir belle, riche et désirée. Elle possédait un corps de déesse, des mains d’elfe, un visage d’ange, et ses cheveux noirs bouclés rajoutaient une pointe de charme sauvage à son apparence délicieuse. Que pouvait-elle désirer d’autre à part continuer à être désirée ? Sa beauté subjuguait, elle le sentait, elle le vivait désormais, pleinement consciente des capacités extraordinaires que lui offrait sa nouvelle condition. C’était doux à considérer, mais aussi enivrant, oui, aussi enivrant, non, bien plus enivrant que les fins vins rouges que l’on offrait à la table de son époux.
Elle parvint au bout de la chambre, prise d’une suave fièvre d’émerveillement, comme si elle venait de gravir une montagne ou d’échouer sur une plage après un naufrage. Se mouvant toujours avec une grâce enchanteresse, elle s’empara de la poignée d’une grande porte vitrée qui conduisait à un balcon si large que l’on aurait pu y disposer une grande table avec une vingtaine de convives de chaque côté. Entrouvrant la porte, elle sentit une brise légère lui caresser la peau, presque maternellement, mais aussi sensuellement, frôlant chaque parcelle de son être. Presque à contrecœur, elle s’empressa de franchir le seuil, puis de refermer délicatement la porte, craignant assez naïvement qu’un courant d’air aussi imperceptible suffirait à réveiller son mari. Alors enfin, elle se permit un frisson, un frisson qui n’avait rien avoir avec la fraicheur qui provenait de la mer au loin, mais qu’elle avait réprimé pendant une éternité. Respirant à pleins poumons, elle fit quelques pas en avant, sentant le marbre lisse et tiède sous ses pieds. Elle regarda, et se désespéra à l’idée que jamais son regard se suffirait à englober et à mémoriser toute la magnificence de cette aventure : le ciel nocturne était limpide, constellé d’étoiles, chacune semblable à une pierre précieuse ; le disque lunaire promenait sa lumière épurée sur les environs du palais, puis vers les tours et les maisons de la ville immense, là où des myriades de lumières jaunâtres indiquaient que les citoyens de Magritta ne dormaient jamais qu’à moitié, vaquant à leurs occupations le jour, buvant, chantant et se dépravant la nuit.
Leurs chants ne parvenaient pas jusqu’ici, et le silence tempéré par le bruit secret des cigales parut à Camila comme étant le meilleur des orchestres que la capitale lui aurait pu offrir. Bercée quelque temps par une sérénité inattendue, elle demeura ainsi statufiée sur le balcon, pareille aux statues inestimables qui ornaient chaque angle de la balustrade, mais infiniment plus proche d’un chef d’œuvre tel que les hommes pouvaient se l’imaginer.
Puis elle se rappela de sa présence en ce lieu, à ce moment précis. Elle se rappela qu’elle était là par nulle autre volonté que la sienne, contre toutes les volontés que les hommes auraient voulu lui imposer, contre la volonté de son époux, ce beau Sebastián, qui ne pensait visiblement qu’à sa propre virilité, et non à elle. A ce moment-là, elle était seule maitresse de ses mouvements et de son corps, elle ne portait d’autres vêtements que la lumière nocturne, et personne ne lui imposait rien… D’ailleurs, le premier homme qui apparaitrait devant elle à cet instant précis, elle l’attraperait par le cou, lui planterait la main dans son ventre et l’étriperait comme le porc qu’ils sont tous…
Quelque chose se remua en elle, et subitement elle se força à se rasséréner de nouveau. Certes, elle était désormais libre, mais elle était la seule à le savoir, et ce savoir devait demeurer un secret parmi les mieux gardés de toute l’Estalie. Oui, cette nuit-là était sa seule récréation, peut-être la première parmi tant d’autres qui suivront, mais peut-être aussi la dernière. Pour l’heure, elle devait jouir du moment présent, jouir de ce qu’elle était devenue, jouir de se sentir chez elle dans la nuit, sentir l’étreinte de l’obscurité et le baiser de la lune… Son mari, lui ne comprendrait jamais rien à tout cela, et ne devait pas comprendre. Il n’y était pas destiné.
Elle – si.
Le corps divin de Camila se tordit soudain, secoué par un rire d’abord discret, puis gagnant peu à peu en intensité ; cristallin, innocent, n’importe qui aurait été hypnotisé rien qu’à l’entendre. Hypnotisé, tel était le mot. La jeune femme rit de plus en plus, de vive voix, avec une joie telle qu’elle s’en étonnait elle-même, et alors sa joie décuplait encore, déferlant par un rire encore plus sonore et encore plus charmant et envoûtant. Tout son être se détendit, elle écarta les bras comme si elle voulût serrer la nuit contre sa poitrine exquise, et rit, encore et encore, à gorge déployée, à pleines dents, parfaitement consciente que peu à peu, ses canines de mortelle s’allongeaient nettement, révélant sa nature véritable, sa métamorphose récente, ce baiser que la nuit lui avait offerte, et qu’elle rendait maintenant avec passion.
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- ArkenMaîtresse des fouets
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Palmares : Championne de la Reiksguard, Comtesse de la Crypte 2019
Re: Une histoire estalienne
Mar 17 Fév 2015 - 9:28
Très beau texte de mise en situation
Nous pensons d'abord cette jeune femme encore bien candide, mais la fin nous laisse deviner toute la perfidie potentielle de cette demoiselle
Ce commentaire n'aspire qu'à une idée : je veux la suite !
PS : j'avais trouvé une ou deux fautes de conjugaison, mais j'ai la flemme de les rechercher
Nous pensons d'abord cette jeune femme encore bien candide, mais la fin nous laisse deviner toute la perfidie potentielle de cette demoiselle
Ce commentaire n'aspire qu'à une idée : je veux la suite !
PS : j'avais trouvé une ou deux fautes de conjugaison, mais j'ai la flemme de les rechercher
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Ceux qui ne croient pas en la magie ne la trouveront jamais.
- GilgaladMaître floodeur
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Palmares : Champion d'Ubersreik
Re: Une histoire estalienne
Mar 17 Fév 2015 - 10:22
Vraiment intéressant comme récit. Je suis d'accord avec Arken sur le fait qu'à la fin, on perçoit tout le potentiel de la jeune femme. Sinon, l'une des seules choses à faire prochainement sera de nous indiquer au moins l'époque. Cela dit, cela peut attendre un peu.
Au niveau du récit, il n'y a rien à redire. Tout est très bon et sans problème.
Au fait, j'attends la suite avec impatience.
Au niveau du récit, il n'y a rien à redire. Tout est très bon et sans problème.
Au fait, j'attends la suite avec impatience.
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Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
Re: Une histoire estalienne
Jeu 19 Fév 2015 - 11:04
Très beau texte, tout simplement.
Ton style est tellement fluide, mais vraiment fluide, je n'ai jamais vu ça ailleurs (enfin je faisais p-e pas forcément attention non plus ), et c'est un véritable plaisir que de te lire. Tu as un vrai "flow", comme dirait d'autres, ne le perds surtout pas.
Du coup : LA SUITE !
Ouaip, même le nain, ton texte lui coupe la chique.
Grom'
Ton style est tellement fluide, mais vraiment fluide, je n'ai jamais vu ça ailleurs (enfin je faisais p-e pas forcément attention non plus ), et c'est un véritable plaisir que de te lire. Tu as un vrai "flow", comme dirait d'autres, ne le perds surtout pas.
Du coup : LA SUITE !
Ouaip, même le nain, ton texte lui coupe la chique.
Grom'
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Uzkul ged a ibid Dawi. Bar Dawi urz grim un grom, un ekrokit "Nai. Drekgit.". Un Uzkul drekged.
La mort vint pour obtenir la vie du nain. Mais le nain était brave et obstiné, et répondit : "Non, va-t-en." Et la mort passa son chemin.
Proverbe nain.
Traduction réalisée d'après Grudgelore, de Nick Kyme et de Gave Thorpe.
- EssenSeigneur vampire
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Palmares : Organisateur des tournois du Fort du Sang, de la Reiksguard, des Duels de Lassenburg & de la ruée vers l'Eldorado
Re: Une histoire estalienne
Dim 8 Mar 2015 - 12:29
***
- Félicitations pour ce mariage, mon frère.
Deux hommes se tenaient dans une grande chambre dont les murs étaient recouverts d’étagères remplies de livres. Le milieu de la salle était occupé par un magnifique bureau surmonté de deux chandeliers dorés, qui diffusaient une faible lumière aux alentours.
- Merci, Votre Majesté.
Les deux hommes se ressemblaient, habillés de riches vêtements enjolivés de broderie dorée. Ils paraissaient avoir le même âge et le même visage.
- Maintenant, votre fils vous donnera une nombreuse descendance…
L’homme qui venait de parler avait une attitude légèrement embarrassée, quoique sa voix demeurât calme.
- Oui, Votre Majesté.
L’autre homme semblait calme également, mais son frère ne pouvait s’empêcher de remarquer l’ombre de mépris que son ton dissimulait.
- Eh bien, si tout a été dit, alors…
- Pardonnez-moi, Votre Majesté, mais j’ai une requête à soumettre à Votre Majesté.
Le Rey parut surpris, mais retrouva vite sa sérénité.
- Oui, mon frère, dites-moi.
Celui-ci prit une grande inspiration.
- Si Votre Majesté le permet, j’aimerais que mon fils prenne la tête de l’expédition vers le Monde Inconnu.
Le Rey fut surpris une fois de plus, mais cette fois-ci prit tout son temps à réfléchir à ce qu’il venait d’entendre. Son frère, quant à lui, gardait respectueusement son regard vers le bas. Enfin, le Rey répondit :
- Voila bien une étrange requête, Martín. Suggèrerais-tu que ton jeune fils aille risquer sa vie dans une expédition aussi périlleuse ?
Son frère demeura impassible.
- Il est jeune en effet, mais sa loyauté envers Votre Majesté est à toute épreuve, et il a un potentiel que Votre Majesté n’a pas encore découvert.
- Vous avez évité ma question, mon frère.
- Votre Majesté ! Je me préoccupe de mes enfants autant que le ferait tout bon père à ma place ! Cependant, je voudrais que mon fils devienne un homme, qu’il voie le monde, au lieu de rester enfant gâté dans son pays.
Une fois encore, le Rey considéra les paroles de son frère. Ce qu’il disait était parfaitement sensé, toutefois…
- Je comprends votre pensée, mon frère. Cela dit, j’attends beaucoup de cette expédition, et voudrais par conséquent qu’un sujet plus expérimenté soit aux commandes.
Là, ce fut Martín qui n’osa parler pendant un moment. Puis, il répondit avec insistance :
- Bien sûr, Votre Majesté a entièrement raison. Mais alors, serait-ce acceptable que mon fils soit placé en second après le commandant ? Ainsi, il pourrait apprendre de son expérience.
Le Rey se trouva fort désireux de dire « Oui ». Après tout, ce n’était pas souvent que son frère lui demandait des faveurs pareilles, et celle-ci devait lui être particulièrement chère. Il parla, choisissant ses mots avec précaution :
- Ce n’est pas exactement ce que j’avais prévu, mais, mon frère, ainsi soit-il.
A cet instant Martín plia le genou devant lui.
- Merci, Votre Majesté !
Une douce sensation de générosité emplit le Rey.
- Allons, levez-vous, mon frère, - dit-il. – Considérez cela comme un cadeau de mariage à votre fils, et veillez à ce que dans deux semaines, il soit prêt pour le long voyage qui l’attend.
Son frère le remercia encore, s’inclina, puis se retira en révérence vers la sortie, souhaitant une bonne nuit à Sa Majesté. Une fois la porte finement ciselée refermée, il se mit à marcher discrètement à travers un couloir éclairé par des torches. Il croisa plusieurs gardes en faction, qui s’empressèrent de le saluer alors qu’il passait à côté, perdu dans ses pensées : « Cette femme est extraordinaire ! Elle a prévu toutes les pensées du Rey ! Elle est formidable ! Je m’en vais, non, je dois la remercier immédiatement, oui, immédiatement ! »
Il marcha encore, cette fois-ci à grands pas, ignorant les bruits nocturnes et la chaleur étouffante de l’air. Enfin, il trouva la bonne porte, qui conduisait à une chambre attenante à celle des nouveaux mariés. Sans aucune hésitation, il ouvrit la porte. Alors, il la vit assise sur son lit, le regardant droit dans les yeux, presque invisible dans l’obscurité. La lune, en effet, s’était dissimulée.
- Alors ? Tout s’est bien passé ? – chuchota-t-elle.
Martín entra et vint s’asseoir auprès d’elle. Prenant une pose désolée, il prononça :
- Eh bien, ça ne s’est pas si bien passé…
Si à ce moment-là, il l’avait regardée, il aurait vu deux étincelles rouges s’allumer puis s’éteindre dans ses yeux. Il fut cependant étonné quand elle plaça ses mains sur ses joues et tourna son visage vers le sien :
- Dis-moi, murmura-t-elle, comment ça s’est passé ?
Martín lui vit un air si désespéré qu’il s’en voulut pour sa stupide plaisanterie.
- Ma belle María ! – s’exclama-t-il en s’emparant de ses mains. – Ça s’est passé à merveille, évidemment !
En son for intérieur, la femme de chambre de Camila maudit le détestable sens de l’humour des mortels. Sa réaction, toutefois, fut de faire « Chut ! » d’un air inquiet, craignant qu’ils ne dérangent les nouveaux mariés. L’instant suivant, elle se permit un rire étouffé alors que le frère du Rey l’allongeait sur la couche et lui retirait avec violence sa robe de nuit. Ils s’embrassèrent plusieurs fois, puis elle demanda :
- Alors c’est décidé ? Sebastián fera le voyage vers le Monde Inconnu ?
- Oui, ma María, oui, - lui chuchota son amant.
- Oh, mon Martín ! – souffla-t-elle, et comprit ensuite qu’elle n’avait plus rien d’autre à dire, car l’homme était déjà perdu quelque part au niveau de sa poitrine.
Dès ce moment, elle le savait, il ne penserait à plus rien d’autre qu’à satisfaire son désir. En vérité, les hommes étaient si prévisibles ! Le Rey, son frère jumeau, ne valait pas mieux : elle le savait homme honnête, qui souffrait constamment de la sourde haine de son frère. Ils étaient jumeaux, en effet, et l’autre sentait et regrettait que la couronne eût pu lui appartenir, si seulement il était sorti en premier du ventre de leur mère. Pour lui, obtenir une petite faveur de la part de son royal frère n’était que l’affaire de quelques paroles bien placées. Demande-lui plus qu’il t’en faut d’abord, puis ce qu’il te faut après, et ton souhait sera exaucé…
Elle aperçut alors qu’il voulait passer au moment principal. Elle sourit, puis, se mouvant aussi rapidement qu’un serpent, sa main le saisit par les cheveux, et elle fixa son regard dans le sien, intensément, murmurant des paroles d’amour et de promesses. Pendant un bref instant, les yeux de son amant brillèrent de la même lueur rouge que les siens, puis tout son corps se paralysa. L’instant d’après, la vampiresse lui planta ses crocs dans le cou, avec avidité.
Re: Une histoire estalienne
Dim 8 Mar 2015 - 12:42
Ben... Rien à dire, à part peut-être :
L'histoire se prend de l'ampleur et s'envole, je dirais même, qu'elle aussi, elle sort ses crocs... Bref, on sent que t'as pas fini de nous montrer toute la dimension du récit, et on a envie de voir plus !
Sinon, eh bien, effectivement ton texte se suffit amplement à lui même, je n'ai aucune reproche à lui faire concernant sa longueur.
Juste, j'espère que le rythme va augmenter, pck moi, je veux une suite ! Bon, ok, je peux rien dire car je fais la même chose de mon côté. Mais j'y travaille.
Encore une fois, très bon texte, et bien évidemment j'ai très hâte d'en voir la suite.
Grom'
trouvaLe Rey se trouve fort désireux de dire « Oui ».
L'histoire se prend de l'ampleur et s'envole, je dirais même, qu'elle aussi, elle sort ses crocs... Bref, on sent que t'as pas fini de nous montrer toute la dimension du récit, et on a envie de voir plus !
Sinon, eh bien, effectivement ton texte se suffit amplement à lui même, je n'ai aucune reproche à lui faire concernant sa longueur.
Juste, j'espère que le rythme va augmenter, pck moi, je veux une suite ! Bon, ok, je peux rien dire car je fais la même chose de mon côté. Mais j'y travaille.
Encore une fois, très bon texte, et bien évidemment j'ai très hâte d'en voir la suite.
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La mort vint pour obtenir la vie du nain. Mais le nain était brave et obstiné, et répondit : "Non, va-t-en." Et la mort passa son chemin.
Proverbe nain.
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Re: Une histoire estalienne
Dim 8 Mar 2015 - 12:48
Certes court, mais comme tu l'as dit toi même, il se suffit à lui-même. Si ton imagination ne voulait rien rajouter, il ne faut pas la forcer
Et toute cette mise en place d'intrigues et de personnages encore plus mystérieux me donne juste envie de savoir la suite !
Et toute cette mise en place d'intrigues et de personnages encore plus mystérieux me donne juste envie de savoir la suite !
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 12 Mar 2015 - 20:30
***
Les mouettes au plumage noir et blanc s’égosillaient dans le ciel limpide de la matinée. Avec une constance régulière, les vagues allaient s’écraser contre les rares rochers proéminents de la baie, faisant planer leur écume dans les airs, emportée par la brise. La fraicheur de l’écume s’envolait vers la côte croulante de charpente et de pierres agencées, où depuis les premières lueurs de l’aube s’affairaient marins, portiers, négociants, quelques nobles et beaucoup de mendiants. Souvent leurs paroles animées paraissaient semblables au piaillement agressif des mouettes, mais se distinguaient par la variété des timbres de voix et une rudesse beaucoup plus marquée envers son prochain…
- REVIENS ICI ! SALE PETIT VOLEUR !!!
Le visage pourpre de colère, la respiration haletante, un petit homme grassouillet richement vêtu finit par s’étaler par terre de tout son long au milieu des passants. Ses deux gardes de corps, suant à grosses gouttes dans leurs uniformes, s’empressèrent de le relever. Leur maître ne tarda pas à retourner sa colère contre eux :
- Misérables bons à rien ! – faisait-il de sa voix nasillarde. – Le contenu de cette bourse sera déduit de votre salaire !!!
Le petit garçon au teint bronzé et aux cheveux châtains ébouriffés continuait de courir parmi la foule qui emplissait les quais, une foule multicolore, bruyante et joyeuse, où l’on pouvait entendre ça et là un vieux chant marin. Dans sa main gauche, il tenait fiévreusement le fruit de son larcin, qu’il savait suffisant pour nourrir lui et sa famille pendant deux bons mois. Il avait rarement eu autant de chance.
Il émit un hurlement révolté quand son bras fut agrippé d’une poigne de fer, levé au dessus de sa tête puis utilisé pour l’arracher du sol en pleine course. Un homme aux traits durs, aux joues mal rasées et à la mine narquoise le regarda dans ses yeux embués de larmes.
- C’est bien, muchacho ! C’est très bien ! Maintenant, ouvre ta main gauche avant que je n’aie à te briser les doigts.
Derrière lui, trois autres individus portant la même sorte de guenilles trouées affichèrent de larges sourires mauvais. Aux alentours, personne ne s’intéressait à une scène d’extorsion aussi banale, et les mouettes criaient toujours avec autant d’entrain. L’homme resserra son emprise, arrachant un cri de douleur à l’enfant, et la bourse avec.
- Attends, muchacho ! – ajouta-t-il en le maintenant toujours en l’air. – Je ne suis pas qu’un méchant homme. Je vais t’apprendre à nager ! C’est très simple, tu verras !
Acclamé par ses compagnons, il porta le garçon vers le bord du quai.
- Et hop ! – il relâcha sa poigne, laissant sa victime tomber immédiatement dans l’eau avec un grand bruit mouillé.
Tous les quatre hommes en rirent à cœur joie, nullement inquiets si l’enfant savait nager ou pas, puis s’éloignèrent vers le plus proche comptoir.
Toussant et crachotant, ce dernier refit surface, remuant comme un beau diable. Il se maudit de sa malchance, puis chercha des yeux un endroit où remonter. Refaisant rapidement le nœud de la corde qui lui servait de ceinture, il opta pour le quai d’accostage le plus proche, et se mit à labourer les flots de ses mains frêles. Son bras meurtri émettait encore une douleur sourde, mais plus douloureux lui paraissait le dépit d’avoir si stupidement perdu son argent. La gorge serrée, il se faisait mille promesses de vengeance dès que son père voudrait bien lui apprendre le combat au coutelas.
Soudain, il entendit à mi-chemin un cri qui se distingua parfaitement du tumulte général, un cri de surprise, poussé sans nul doute par une femme d’un certain âge.
- Mais envoyez lui donc une corde, par la Sainte Lance !
L’ordre de la dame dut être entendu, car l’enfant aperçut l’épais cordon de chanvre utilisé dans les navires s’écraser à quelques brasses devant lui, dans un millier d’éclaboussures.
Un groupe de marins en chemises relativement propres le hissa sur les planches du promontoire, ruisselant d’eau salée, essayant en vain de se débarrasser du goût atroce dans sa bouche, toujours pleurant de dépit pour son argent et sa faiblesse actuelle. Ils l’interpellèrent sans méchanceté, mais il ne put les entendre à travers son chagrin. L’un d’eux finit par hausser la voix :
- Hé, gamin ! On te parle !
Il n’en pleura que de plus belle, souhaitant intérieurement qu’on le laisse tranquille à cuver sa honte.
- Gamin !
- Mais cessez donc, señor !
La voix féminine coupa la parole au marin qui s’impatientait. Sa douceur intrigua l’enfant, et il osa lever les yeux vers la personne qui parlait. Il en resta bouche bée.
C’était une dame fine et belle, aux longues boucles noires rangées en chignon, habillée dans de beaux atours de toile jaune et de dentelle raffinée. Dans sa main gauche, elle portait une élégante ombrelle orangée qui protégeait son visage des rayons du soleil. Elle avait les traits fins et les yeux en amandes, dont l’ombre cachait la couleur.
Se retrouvant tout d’un coup si fixement observée, la dame fit un pas en arrière, visiblement embarrassée, et sortit de sa main droite un magnifique éventail assorti à l’ombrelle. Si dissimulant derrière, elle émit un rire enjoué, comme pour cacher sa gêne subite.
- Quel charmant garçon ! – fit-elle, le regard pétillant derrière son accessoire.
Pour mieux parler, elle finit par le baisser légèrement, à la joie secrète de l’enfant qui voulait encore la regarder. Il en avait vu, des comme ça, mais… pas des pareilles !
- Tu es seul ? Où sont tes parents ? – demanda-t-elle.
- Au travail, - répondit-il machinalement.
- Tu es donc tout seul ? – la dame poussa un soupir déçu.
- Mes frères et sœurs aussi ! – s’exclama l’enfant, comme outré.
La dame fit une mine déconfite, et regarda les marins, comme cherchant parmi eux la confirmation de ce que disait le petit garçon. Surpris de sa sollicitation, ils se dévisagèrent coupablement, puis l’un d’eux lança maladroitement :
- C’est comme ça un peu partout ici, señora. Chacun pour soi, et que le meilleur survive. Même les enfants l’apprennent au berceau.
Elle serra les lèvres de désagrément, puis se retourna vers l’enfant.
- Et où sont tes frères et sœurs ?
- Je ne sais pas. Il y en a qui travaillent, - marmonna-t-il, un peu ennuyé par toutes ces questions, mais ne voulant pas être malpoli envers la dame.
Cette dernière parut néanmoins de plus en plus contrariée. Apercevant cela, l’un des marins tenta :
- Il faut s’y faire, señora, ça se voit que vous n’êtes pas d’ici. Des enfants comme ce gamin, vous en verrez des centaines à Magritta, ils pullulent autant que les filous.
Elle claqua son éventail d’un geste sec, se baissa rapidement à hauteur de l’enfant.
- Tu veux venir avec moi ?
Le garçon, totalement désarçonné par la question, ne répondit pas. Les marins, eux, se remirent plus rapidement de la brusquerie de la chose, et l’un d’eux poussa même un soupir d’énervement. Ces nobles ont des caprices intolérables !
- Alors, tu veux ?
- J’ai… J’ai… J’ai…
Les yeux noirs de la dame fixés dans les siens, il se sentait rougir et en avait honte. Son embarras fut tel qu’il finit par crier :
- Je ne peux pas !!!
Surprise, la dame faillit perdre l’équilibre. Elle s’empourpra, fâchée à la fois de la misère urbaine qu’elle découvrait, de la conduite étrange de l’enfant et de son refus qu’elle ne comprenait pas. Elle se releva dans le même temps, salua les gardes assez sommairement, puis se mit à revenir vers la terre ferme. L’envie ne lui manquait pas de se retourner vers l’enfant pour lequel elle ressentait de la pitié, mais elle réalisait peu à peu sa propre sottise : il devait avoir sa propre famille qui l’aimait, et qu’il n’abandonnerait pour rien au monde… Sa honte l’empêcha de se retourner pour le revoir.
Elle fut rejointe par sa suivante, une femme d’âge plus avancé, aussi élégamment vêtue, mais remplaçant l’ombrelle par un chapeau de tissu aux larges bords. Celle-ci avait patienté pendant que sa maîtresse faisait connaissance avec l’enfant.
- Señora, où voulez-vous que l’on aille ensuite ?
- Retournons… au palais, pour le moment. La vue de ces quais me dégoûte.
- Non non, Señora, il faut que vous soyez apte à passer beaucoup de temps sous le soleil, sans commettre aucune maladresse, et cela s’apprend. Il faudra que nous marchions jusqu’à midi.
- María !
- Navrée, Señora. Un choix de votre préférence ?
Camila soupira.
- Les beaux quartiers alors. Au moins je me sentirai chez moi.
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 12 Mar 2015 - 20:40
- Spoiler:
- "levé au dessus de sa tête puis utilisé pour le l’arracher du sol en pleine course."
Pas mal comme scène... Mais j'ai l'impression qu'il nous manque la suite pour savoir sa réelle utilité
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 12 Mar 2015 - 22:07
Je suis d'accord sur un point. Il nous faudra la suite aussitôt que possible
Sinon, c'est toujours aussi bien.
Sinon, c'est toujours aussi bien.
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Re: Une histoire estalienne
Ven 13 Mar 2015 - 22:35
Plus je te lis, plus je me rends compte que ton style est tout en subtilités et douceurs et tournures (parfois) sournoises... et plus j'aime te lire. Tu as un flow, mon gars, comme on dit en anglais, une patte bien à toi, et te lire est toujours un véritable plaisir. Alors bravo.
Mais bon, hein, il serait peut-être tant que tu sortes quelque chose en dessous de ton niveau histoire que je puisse faire autre chose que me répéter à chaque fois que je lis un de tes textes.
Et puis, bon, c'est pas tout ça, mais je rejoindrais Arken sur son avis. Me wants action ! Et la suite aussi.
Grom'
Mais bon, hein, il serait peut-être tant que tu sortes quelque chose en dessous de ton niveau histoire que je puisse faire autre chose que me répéter à chaque fois que je lis un de tes textes.
Et puis, bon, c'est pas tout ça, mais je rejoindrais Arken sur son avis. Me wants action ! Et la suite aussi.
Grom'
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 26 Mar 2015 - 19:18
***
Sebastián allait et venait à travers la vaste chambre somptueuse, son visage proprement rasé affichant une expression d’inquiétude. Il ne cessait dans son esprit de prier Myrmidia de lui fournir une issue au tourment qui l’enserrait sans pitié : dans deux semaines, il devrait dire adieu à son adorable épouse, et partir pour une destination connue seulement par les dieux ! Le matin, seulement après qu’ils eurent terminé quelques passes d’échauffement, son père lui eut annoncé la terrible nouvelle. Ah, quelle lueur de fierté il vit alors dans ses yeux ! Quelle grande attente d’accomplissements glorieux de la part de son fils, qui ne devait surtout pas le décevoir ! Sur le coup, il ne put que balbutier son étonnement, et quand ils eurent repris leurs rapières, sa confusion était telle que son père en vint à le gronder pour sa piètre prestation d’escrime…
A présent, il était midi passé, et dans moins d’une heure aurait lieu le repas de la mi-journée, à laquelle toute sa proche famille, sauf le Rey, serait présente. La pensée de croiser alors le regard de Camila eut pour effet de figer le jeune homme sur place, et de se prendre la tête entre les mains, gémissant d’angoisse. Lui annoncer qu’il partirait, qu’il ne la verrait plus, qu’il ne reviendrait peut-être pas… Il sentait que si lui avait du mal retenir des larmes de dépit, alors elle, la pauvre et douce femme, ne s’en remettrait pas d’une pareille annonce. Et pourtant, il ne devait pas faillir à son devoir de tout lui dire, de partager sa peine avec elle, entre époux et épouse… Sebastián finit par s’effondrer sur une magnifique chaise en bois et en cuir rembourré, tout son corps inerte, la tête avachie sur le rebord du siège, le regard fixant béatement le plafond. Tout d’un coup, il se releva, puis se rassit, se releva encore et se remit à déambuler dans la salle, les pensées totalement confuses. Il sentait seulement que le temps s’écoulait sans relâche, et que bientôt un domestique viendrait courtoisement le quérir pour le déjeuner, et qu’alors, ce serait la fin…
Soudainement, quelqu’un frappa délicatement à la porte. Sebastián se figea, le teint livide, et scruta la porte à double-battant comme s’il s’agissait d'un portail conduisant droit aux royaumes de la corruption.
- Señor Sebastián, - entendit-il une voix d’homme étouffé par le bois qui les séparait, - le repas est servi, vous êtes attendu par votre père.
Affrontant bravement le mal qu’il avait à sortir les mots de sa gorge, Sebastián lança :
- Mon épouse… est-elle déjà présente à table ?
- Sí, Señor.
La réponse laconique du serviteur faillit mettre le jeune homme hors de lui, mais il réalisa à temps à quel point cela paraitrait insensé et indécent. Réunissant tout son courage, il dit d’un ton neutre :
- Veuillez annoncer mon arrivée, je vous suis dans… un instant.
Il entendit alors un bruit de pas s’éloigner peu à peu de l’entrée de la chambre, et expira avec grand bruit : Myrmidia lui vienne en aide pour être ferme et juste face à sa femme ! Nul ne devait renoncer au devoir par amour, même conjugal, et surtout pas lui, Sebastián Alonso de Magritta, neveu du Rey lui-même !
Il décida donc de sortir dans le couloir sans plus attendre, et essaya de ne pas prêter attention au léger tremblement qui troublait ses mains alors qu’il refermait la porte derrière lui. Chaque pas lui parut ensuite aussi lourd que s’il avait bu, et la lumière du soleil l’aveugla à maintes reprises alors qu’il passait près des fenêtres de l’allée du palais. Dans son étourderie, il ne fit même pas attention à la rapière qui pendait toujours à son flanc dans son fourreau, arme redoutable que l’étiquette de la cour exigeait de laisser dans ses appartements si l’on ne sortait pas du palais ou si l’on ne s’entrainait pas à l’escrime. Seul le Rey et son commandant des armées gardaient le privilège de se déplacer partout avec une arme à la ceinture, ainsi que les gardes royaux desquels on exigeait des preuves de loyauté absolue à la Couronne. Aussi, lorsqu’il descendit l’escalier qui conduisait aux chambres communes et traversa un autre couloir, ce fut avec grand étonnement que les convives de la salle à manger le virent arriver, les yeux brûlants d’une étrange détermination, la voix tendue en les saluant, les gestes lents et maladroits…
- Mon fils !
Le ton de reproche de son père rappela Sebastián à la réalité, et il s’aperçut de l’émotion qu’il venait de causer, et peu de temps s’en fallut pour qu’il en découvrît la cause. Immédiatement, il rougit de honte, mais retrouva vite ses esprits :
- Hola, quelqu’un !
Un laquais en livrée se présenta à lui en peu de temps, saluant respectueusement.
- Va porter ceci dans mes appartements, et tâche d’être discret !
- Sí, Señor.
S’emparant de la rapière et du fourreau avec déférence, le serviteur s’en fut aussi rapidement qu’il était arrivé. Voulant dissiper rapidement le froid qui venait de s’installer parmi les convives, Sebastián s’inclina avec une exquise courtoisie et prononça :
- Veuillez excuser mon empressement, señores y señoras. J’avais tellement faim que j’en ai oublié mes manières ! – et il s’assit à sa place, maintenant sur ses traits un sourire qui se voulait rassurant.
Bien que profondément troublé, son père partagea son envie de faire oublier l’incident :
- Ha ! Voila Sebastián comme nous le connaissons tous, n’est-ce pas ? – fit-il en lui posant la main sur l’épaule, et dévisagea chacune des personnes présentes avec un air jovial. – Un vrai soldat, qui ne pense qu'à manger juste après avoir combattu ! Passons à table, passons à table, mes amis !
L’invitation étant des plus chaleureuses, les convives se laissèrent convaincre. Recouverte d’une nappe d’un blanc immaculé et brodée or et argent sur les bords, la table était recouverte de plats succulents, avec plusieurs plateaux de viandes froides et de salades de légumes, et de splendides carafes de cristal remplies de vin rouge. La vaisselle argentée brillait aux rayons du soleil qui filtraient à travers de fins rideaux de soie, et chacun des invités s’empressa à la remplir de ce que bon lui semblait, et le frère du Rey s’était assuré à ce que tout soit délicieux.
Sebastián ne remarqua qu’après avoir servi son assiette que la personne à sa droite n’était nulle autre que son épouse, et manqua d’avaler un morceau de viande de travers. Celle-ci le gratifia d’un sourire timide, et il ne remarqua pas la malice dissimulée dans ses yeux.
- Alors, mon époux, - dit-elle à mi-voix, - on oublie ses manières à table à présent ?
Elle avait un ton à la fois innocent et légèrement taquin, qui charmait le jeune homme. Il reprit son souffle, et répondit tendrement :
- Du tout, ma chère, mon père et moi nous entrainions ce matin, et… - il ne trouva pas quoi rajouter, ce qui fit rire son épouse, rendant Sebastián encore plus gêné qu’au départ.
- Vous autres, les hommes, pensez tellement aux armes et à la guerre… Je ne vous en veux pas, mais essayez de les oublier quelquefois pour moi, n’est-ce pas ?
Se sentant léger par l’affection que lui témoignait sa femme, il voulut oublier pour le moment le projet qui le taraudait tant : l’annonce de son départ au Monde Inconnu. De plus, les convives semblaient avoir repris leur joie de vivre face à tant de mets savoureux, et le jeune homme ne voulut pas assombrir le moment du repas familial. Il y avait sa grand-mère maternelle, une de ses tantes avec ses trois enfants, dont l’ainé n’avait que neuf ans, ainsi que son frère cadet, Martín, qui avait dix ans, et qui était nommé après leur père. Encore trois autres invités étaient des dignitaires particulièrement favorisés par le frère du Rey, des gens de confiance, qu’il connaissait et qu’il respectait pour leurs capacités et leur loyauté envers leur famille.
Le repas continua ainsi dans la bonne humeur, jusqu’à ce que Sebastián eût remarqué le peu d’aliments que Camila se permettait d’avaler : son assiette était quasiment vide, à savoir remplie de trois cuillérées de trois salades différentes.
- Mais, mon épouse, vous ne prenez donc pas de viande ?
- Oh non, - répondit-elle, le ton montrant un dégoût réprimé par la timidité, - j’ai toujours détesté que l’on tue les animaux.
Il fut de nouveau émerveillé par l’innocence et l’extrême douceur dont sa femme faisait preuve. Attendri, il remarqua :
- Eh bien, vous pourriez manger au moins ce que vous avez dans votre assiette.
- Je…
Elle ne pouvait lui révéler que la moindre gorgée de nourriture lui causait une atroce révulsion, comme si on lui faisait avaler de la cendre. Sachant néanmoins que sa nature véritable ne devait pas se faire connaître, elle se résolut au pire des efforts : du bout des doigts, elle s’empara de la fourchette argentée, et dut lutter avec toute sa volonté afin d’échapper au malaise qui s’emparait d’elle au contact du précieux métal. Par les dieux, si María ne l’avait pas prévenue de toutes ces choses…
Cependant, alors qu’elle essaya d’avaler les légumes qu’elle venait d’attraper, la douleur lui parut insoutenable. Recourant à son ultime issue de secours, elle poussa un gémissement non feint, et s’effondra de sa chaise, fermant les yeux et respirant à peine.
- DalamyreZombie
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 26 Mar 2015 - 21:36
Très bon ! Je viens de lire ton récit et c'est très sympa. Ton style est fluide et la lecture est du coup très agréable. Si je puis me permettre une petite suggestion, essaye de bien nous lancer dans l'histoire avec quelques enjeux, on ne sait pas encore bien où l'on va. Après, il ne s'agit là que de mon propre ressentit.
En tout cas, je lirai la suite avec plaisir
En tout cas, je lirai la suite avec plaisir
- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 26 Mar 2015 - 22:04
"A présent, il était midi passée" : le mot "midi" est masculin
Je me délecte des petites touches d'espagnol insérées dans le texte, et ma joie tend à en demander plus... le "oui, señor" des serviteurs pour être remplacé par un "sí, señor"
Et je me délecte encore plus de cette façon d'écrire, où l'on voit deux lahmianes évoluer dans ce monde d'humains inconscients... Cette vie à la cour rajoute un côté fort agréable à ton récit déjà savoureux
Une seule chose me turlupine... Je veux LA SUITE !!
Je me délecte des petites touches d'espagnol insérées dans le texte, et ma joie tend à en demander plus... le "oui, señor" des serviteurs pour être remplacé par un "sí, señor"
Et je me délecte encore plus de cette façon d'écrire, où l'on voit deux lahmianes évoluer dans ce monde d'humains inconscients... Cette vie à la cour rajoute un côté fort agréable à ton récit déjà savoureux
Une seule chose me turlupine... Je veux LA SUITE !!
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Re: Une histoire estalienne
Mer 6 Mai 2015 - 10:13
***
Le Rey se sentait à la fois concentré et incapable de concentration. Dès qu’il arrivait à attraper une pensée précise, celle-ci glissait comme une anguille et fuyait hors de son esprit. Le manque de sommeil le frappait durement.
Il était assis dans sa bibliothèque, les coudes appuyés sur son bureau, le front appuyé contre ses doigts entrecroisés. Deux hommes de carrures totalement opposées lui faisaient face : le commandant des armées, grand, droit, au visage creusé de rides et aux cheveux grisonnants ; le trésorier du Rey, petit, rond, la mine sournoise et le crâne chauve. Tous deux venaient d’être convoqués par sa Majesté, et attendaient ses ordres en silence.
Finalement, le Rey opta pour un préambule qui ne laissait rien présager, sentant qu’il ne pouvait demeurer muet plus longtemps.
- Señor comandante, señor tesorero, comment vont les préparatifs ? – disant cela, il délia ses mains et fixa un regard interrogateur sur ses deux sujets.
- Votre Maj… - prononcèrent-ils en même temps, et s’arrêtèrent net dans la confusion.
Agacé, le Rey trancha net :
- Comandante ! Au rapport !
Le militaire prit une posture rigide, et déclama d’une voix forte :
- Deux navires sur trois sont prêts à naviguer, le dernier est en cours de fabrication. Les équipages sont déjà sélectionnés, de même que les troupes embarquées par la flotte. Les vivres ne sont évidemment pas encore mis en cale, tout comme les armes et la poudre.
Le Rey se sentit pris de court par la brièveté et la clarté du rapport. Ne voulant pas se montrer déconcerté, il pressa le trésorier de parler à son tour. A son grand désarroi, le petit homme fut encore plus avare en paroles :
- Aucune pièce n’a encore quitté vos coffres, Majesté. Les armateurs sont patients.
Sentant qu’il serait inutile de le faire parler davantage, le Rey consentit en lui-même qu’il n’avait plus de moyen de tergiverser. Inspirant profondément, il commença :
- Señor comandante, qui avez-vous nommé en tant que second ?
- Le señor Vasquez, Majesté.
« Un excellent choix, - pensa le Rey, - dommage… »
- Vous… devrez prendre un autre second, señor comandante.
- Quién, votre Majesté ?
- Le señor Sebastián Alonso de Magritta. Le señor Vasquez ne lui sera pas subordonné, cependant, - s’empressa-t-il d’ajouter.
Le comandante resta muet pendant quelques secondes, sans trahir aucune émotion, puis :
- Bien, Majesté.
Le Rey se retint à peine de souffler de soulagement. Il ne devait montrer aucun signe de faiblesse devant ses sujets, s’il voulait mériter ainsi leur confiance aveugle. Cependant, ses ordres n’étaient pas finis, et il s’embarrassait lui-même de leur étrangeté. Son accord, toutefois, avait été obtenu auparavant, et le Rey n’était pas homme à revenir sur une parole donnée.
- Señor comandante, señor tesorero, lequel des trois navires est le plus propice à accueillir une femme à son bord ?
Cette fois-ci, les deux hommes ne purent retenir des signes d’étonnement profond, mais ni l’un ni l’autre n’osa éviter la question ;
- La Santa Lanza, Majesté, - répondit le vieux militaire.
- Muy bien, - reprit le Rey, pressé d’en finir, - vous prendrez à bord la señora Camila, épouse du señor Sebastián, ainsi que María Nieves, la femme de chambre de celle-ci.
Comme ses deux sujets peinaient toujours visblement à reprendre leurs esprits, il décida qu’au moins l’un d’eux devait obtenir des explications.
- Señor tesorero, partez immédiatement vous arranger pour que tout soit prêt à bord de la Santa Lanza. Les dépenses sont laissées à votre discrétion, mais chacune d’entre elles devra être justifiée par la suite.
Comprenant que la conversation se poursuivrait sans lui, le trésorier s’inclina, légèrement dépité, puis se retira de la bibliothèque. Le Rey attendit que le bruit de ses pas s’éteigne dans le couloir, avant de s’adresser à son chef des armées :
- Vous devez savoir deux choses, señor comandante. La première est que la désignation du señor Sebastián au poste de second ne doit en rien mettre en danger le succès de cette expédition. Si vous constatez en route que le jeune homme est un incapable, même partiellement, écartez-le de toutes prérogatives, je vous signerai cet ordre qui doit rester secret.
Le commandant eut un air plus rasséréné qu’avant, ce qui encouragea le Rey à continuer.
- La seconde chose à savoir est que la présence des deux femmes à bord est un événement fortuit, qui une fois encore ne doit en aucun cas mettre en danger le succès de notre affaire. Sachez que peu après que j’ai donné mon accord pour que le señor Sebastián rejoigne l’expédition, sa femme a fait un grave malaise, et le médecin a été formel : c’est une maladie rare, qui nécessite que la personne affligée s’abreuve du sang de la personne qui lui a transmise cette maladie.
- Ce que votre Majesté veut dire…
- … est que le jeune homme est un infortuné, pour être la cause de la mauvaise santé de son épouse. Mais il a insisté pour qu’elle l’accompagne, afin de veiller sur elle. Vous comprenez que je n’aurais pu refuser face à une telle démonstration d’amour.
- Sans doute, votre Majesté.
- Señor comandante, j’ai peur que le voyage de cette femme ne soit le dernier, aussi veuillez à ce qu’elle ne manque de rien, la pauvre âme.
- Bien sûr, votre Majesté.
- Il va sans dire que toutes ces informations sont strictement confidentielles. Dites aux troupes à bord que cette femme leur portera bonheur, ou que sais-je, mais débrouillez-vous pour qu’il n’y ait aucune digression, aucun manque de discipline.
- Evidemment, votre Majesté.
- Ce sera tout, señor comandante, vous pouvez disposer.
- Bien, votre Majesté.
Se tenant dans l’ombre du couloir, María n’attendit pas que le vieux commandant des armées l’aperçoive en sortant de la bibliothèque. Avant que la porte ne s’entrouvre, elle s’était déjà éloignée à pas de loup, offrant des sourires radieux aux gardes royaux en faction cette nuit. Elle prit le même chemin qu’emprunta naguère Martín, le frère du Rey, et rejoignit sa chambre. A l’intérieur, le médecin royal, un homme maigre au teint cireux et aux joues creuses, l’attendait avec soumission…
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Re: Une histoire estalienne
Mer 6 Mai 2015 - 11:57
Tout se met en place, il ne manque plus que le départ !
Hâte de voir les intrigues que ces deux demoiselles vont tisser à bord...
Hâte de voir les intrigues que ces deux demoiselles vont tisser à bord...
- Spoiler:
les coudes appuyés sur son bureau, le front appuyé contre ses doigts entrecroisés. La répétition est faite exprès ?
Le Rey se sentir pris de court
qu’il n’avait plus de moyens de tergiverser. Phrase de quantité négative : toujours au singulier
lequel des trois navires est le propice
vous pouvez disposez
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Re: Une histoire estalienne
Mer 6 Mai 2015 - 16:57
- Spoiler:
- Tout ce met en place
Au départ involontaire, la répétition ne me fait pas tiquer... Peut-être que les mots "appuyé sur" et "appuyé contre" font pour moi la bonne différence
Et oui, tout semble prêt pour le départ
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 7 Mai 2015 - 23:40
Diable, les apothicaires estaliens ne sont décidément pas des plus compétent . Mais où sont les répurgateurs quand on a besoin d'eux ?
Sympathique passage en tout cas. J'attend la suite.
Sympathique passage en tout cas. J'attend la suite.
Re: Une histoire estalienne
Ven 8 Mai 2015 - 15:42
Ah quel plaisir de pouvoir lire du Von Essen à nouveau ! L'histoire avance bien, les événements s'enchaînent, et tout pointe vers la Lustrie... (À quand l'action ? )
Bref bref une petite lecture dont je suis bien content, plus qu'à attendre la suite pour voir ou tout ça nous mène.
Grom'
Bref bref une petite lecture dont je suis bien content, plus qu'à attendre la suite pour voir ou tout ça nous mène.
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Uzkul ged a ibid Dawi. Bar Dawi urz grim un grom, un ekrokit "Nai. Drekgit.". Un Uzkul drekged.
La mort vint pour obtenir la vie du nain. Mais le nain était brave et obstiné, et répondit : "Non, va-t-en." Et la mort passa son chemin.
Proverbe nain.
Traduction réalisée d'après Grudgelore, de Nick Kyme et de Gave Thorpe.
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Re: Une histoire estalienne
Sam 23 Mai 2015 - 16:02
Comme promis juré hier, je me mets à jour dans les différents récits et après "Le mercenaire", c'est celui-ci.
Le récit est de plus en plus intéressant et passionnant. Je pourrais même dire que maintenant vont commencer les choses sérieuses. J'attends avec impatience de voir comment elle va faire en pleine mer avec autant de chair fraîche à se disposition.
Du coup, si tu ne l'as pas compris, j'attends avec impatience la suite
Le récit est de plus en plus intéressant et passionnant. Je pourrais même dire que maintenant vont commencer les choses sérieuses. J'attends avec impatience de voir comment elle va faire en pleine mer avec autant de chair fraîche à se disposition.
Du coup, si tu ne l'as pas compris, j'attends avec impatience la suite
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Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
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Re: Une histoire estalienne
Sam 15 Aoû 2015 - 13:00
C'est avec plaisir que je reviens sur cette histoire
Tous les papiers étaient disposés dans un ordre très strict. Rien ne devait être laissé au hasard, tout était répertorié dans des journaux, puis classé dans d’épaisses reliures de cuir, elles-mêmes rangées par ordre chronologique sur chaque étagère, chaque placard étant réservé à une catégorie bien particulière de recettes ou de dépenses. Au dessus de la porte d’entrée, un curieux trophée s’offrait à la vision de tous ceux qui travaillaient à l’intérieur de la salle des comptes : une tête humaine empaillée, traitée aux onguents pour éviter les mauvaises odeurs. Les yeux de la macabre chose étaient fermés, ainsi que la bouche, et même l’on aurait pu dire que l’infortuné à qui la tête avait appartenu dormait, tellement ses traits ridés présentaient une expression de calme et de sérénité. Néanmoins, personne ne pouvait demeurer serein en voyant cet observateur muet accroché au dessus de la porte. Il suffisait de s’imaginer que cette tête avait jadis appartenu à quelqu’un, et que ce quelqu’un n’avait pas su la garder sur ses épaules, et que la hache du bourreau s’était abattue sur son cou, faisant gicler le sang chaud du moignon écarlate. En dépit des nombreuses armoires, des bougies et des fenêtres, la tête occupait la salle. Ce soir encore, bien qu’il s’efforçât comme toujours de ne pas la regarder, le trésorier du Rey la sentit se fixer sur lui, alors qu’il posait simplement son chandelier allumé sur son bureau. Là, les papiers étaient disposés dans un ordre très strict. Il y avait une pile pour les vivres, une pile pour l’eau douce, une pile pour les alcools, une pile pour les habits, une pile pour les instruments, une pile pour les armes, une pile pour les munitions, une pile pour les caisses vides et les sacs vides : le Rey les voulait pleins à craquer au retour de l’expédition. A présent, il fallait remplir une nouvelle feuille, avec pour intitulé : « les femmes ». Le trésorier grommela, puis ouvrit un tiroir dont il sortit une liasse de feuilles blanches ; un autre tiroir lui fournit plume et encrier. Une fois confortablement assis sur son siège, le petit homme prit une profonde inspiration avant d’écrire, puis… s’arrêta net. Légèrement perturbé, il reprit une autre inspiration… Sans résultat. Il se gratta le crâne, puis, quasi inconsciemment, leva le regard vers le dessus de la porte d’entrée. Toujours figé dans un masque de quiétude, son prédécesseur semblait dormir paisiblement. Le trésorier pâlit, cligna des yeux, puis se détourna brusquement de la porte. Il venait de se rappeler : le placard réservé à l’entretien des dames de la cour et de la famille royale était si régulièrement mis à jour… S’emparant une nouvelle fois du chandelier, le petit homme traversa vivement la grande salle, puis s’approcha d’un des placards remplis de reliures. Il saisit la reliure la plus récente, déjà d’épaisseur respectable, et revint vers le bureau. Lorsqu’il ouvrit l’épaisse couverture de cuir, son visage s’illumina d’un sourire de soulagement : parmi les myriades d’objets, robes, bijoux et autres nécessités que le palais commandant régulièrement, il y avait de quoi s’inspirer pour dresser un inventaire de voyage. Respirant à pleins poumons, comme s’il venait de finir un travail éprouvant, le trésorier referma la reliure, et l’emporta dans ses quartiers. Il aurait tout le temps d’écrire et d’envoyer le nécessaire le lendemain matin.
Sous la surveillance étroite du Señor Comandante et du Señor Tesorero, il fallut seulement trois jours supplémentaires pour que la flotte soit prête à lever l’ancre. Elle était constituée de trois navires, La Santa Lanza, La Hermosa et La Piadosa, le premier se distinguant par sa taille imposante, un tonnage largement supérieur, ainsi que des voiles supplémentaires. Tous trois arboraient sur leurs voiles carrées la couronne du Rey, ainsi que le lion d’Estalie.
L’aube qui précéda le départ de la flotte vit se réunir sur les quais une foule que peu de gens se rappelaient avoir vu de toute leur vie : les familles entières, du plus vieux au nourrisson, se sont agglutinées sur la chaussée, et tous ne pouvaient s’empêcher de crier des vœux d’encouragement et des prières de bonne fortune. Nombre d’enfants n’étaient pas complètement réveillés, et nombre de nouveau-nés serrés contre le sein de leurs mères braillaient à n’en plus finir, effrayés par la clameur des magrittains et le tonnerre des canons, qui lâchèrent une salve à blanc pour saluer les braves gens qui leur souhaitaient bonne route. Les plus grands des enfants, les garçons surtout, s’efforçaient de se faire entendre par les soldats et les matelots qui s’affairaient sur les trois navires : ces hommes partaient pour des contrées lointaines, gorgées, disait-on, de trésors, mais aussi de peuplades féroces et laides… Même les plus bêtes des gamins comprenaient que quelque chose de formidable se produisait sous leurs yeux, et beuglaient leurs « hourras » à s’en déchirer les cordes vocales. La liesse générale atteignit son sommet lorsque les amarres furent larguées, et le vent gonfla les voiles des trois bâtiments, qui commencèrent lentement à s’éloigner des quais. Les cris des hommes se firent encore plus insistants, les femmes agitèrent leurs foulards avec encore plus d’ardeur, et celles qui avaient un mari, un père, un fils, un frère sur l’un des trois navires essuyèrent quelques larmes qui ne cessaient de couler. Puis, à mesure que la flotte gagnait la pleine mer, la foule commença à se dissoudre, petit à petit, les badauds revenant à leurs occupations quotidiennes, et les derniers restants furent ceux dont un proche venait d’embarquer pour l’inconnu. Bientôt, même eux ne virent plus que de minuscules points noirs disparaître à l’horizon : Myrmidia leur avait envoyé un vent favorable en ce jour. Alors, adressant leurs dernières suppliques à la déesse guerrière, les familles s’en allèrent à leur tour, et les quais reprirent tant bien que mal leur vie habituelle, quoique cette fois-ci chargée d’émotions.
Le soleil poursuivit sa course paisible dans le ciel bleu, écartant le moindre nuage et laissant la voûte céleste aussi limpide et transparente que s’il s’agissait de la surface de l’océan. En revanche, la brise matinale qui avait permis un départ aussi vif à la flotte estalienne s’essouffla peu à peu, jusqu’à disparaître totalement, au grand dam des marins et des capitaines. Sur la poupe de la Santa Lanza, le vieux commandant regarda les voiles dégonflées avec une grimace d’extrême dégoût. Pour le comble, la chaleur montait avec la vitesse d’un four que l’on chauffait pour un pain prêt à cuire, autre élément que le militaire trouvait insupportable s’il n’y avait pas un bon vent qui soufflât en même temps. Il fallait au moins exprimer son mécontentement ! Le commandant s’adressa directement à la personne qui se tenait à la barre, un homme plus bas que lui, mais bien plus large d’épaules, avec un visage aussi parcheminé que le sien, portant les marques d’usure qu’infligent la mer, le vent et le soleil. Une tenue simple (chemise blanche, braies noires et bottes de cuir) semblait lui suffire amplement, avec l’ajout d’un chapeau à larges bords qui recouvrait de longs cheveux couleur de suie dont plusieurs mèches étaient couleur de cendre. Ses yeux noirs regardaient dans le vague, et il fallut au commandant qu’il répète son appel pour être enfin entendu :
- Señor Vasquez !
- AH !
Le capitaine se retourna comme si une guêpe l’avait piqué. Pendant une seconde, le gouvernail dériva en pleine liberté, mais les mains du capitaine devaient avoir une conscience propre, car ce dernier clignait encore des yeux, hébété, alors que ses mains retenaient fermement la barre.
- Señor Vasquez, est-ce que la chaleur vous fait déjà l’effet d’une bouteille de vin ?
- Non ! Non, - le capitaine cligna encore des yeux avant de retrouver enfin ses esprits.
- Vous semblez aussi loin de moi que nous sommes loin de chez nous. Réveillez-vous, Vasquez !
- Sí, señor ! Mais si vous avez une bouteille de vin à m’offrir, ça ira encore mieux ! Juré sur la sainte lance, je la partagerai avec mes hommes !
- Et la discipline alors !
- Eh ! Une bouteille pour quarante matelots !
- La discipline, capitán ! Le vin n’est servi qu’aux grandes occasions, et tout le boulot, jusqu’à maintenant, a été fait par le vent !
« Du vin ! Du vin ! »
Le commandant se retourna immédiatement vers les quelques hommes qui, ayant facilement entendu la conversation, s’étaient discrètement rapprochés de la poupe et scandaient à présent leur réclamation, sourire en coin.
- DU VENT ! – ses yeux semblèrent lancer des éclairs alors qu’il les regarda en contrebas, et les matelots obéirent avec un empressement non feint.
Le militaire se retourna vers le señor Vasquez.
- Amigo, c’est le début, que le début. Il n’y aura pas assez de vin. Je vous l’ai déjà dit, encore et encore, ce que nous faisons là n’est pas la même chose que d’habitude.
Le capitaine l’observa de la tête aux pieds, puis répondit avec aplomb :
- Amigo, le soleil vous fait faire une tête d’enterrement…
- Espèce de vieux mac…
- Si je puis vous conseiller, vous devriez vous réfugier en bas… Il y a aussi des dames… - Vasquez souriait à pleines dents.
La mine abasourdie, le commandant finit par se rendre : la chaleur commençait à devenir suffocante. Prenant congé de son vieux compagnon d’armes, Bernardo Rodrigo de Molena descendit les marches flambant neuves de la poupe, puis ouvrit la porte conduisant au dessous. Une agréable pénombre y régnait, et il entendit immédiatement de joyeux éclats de rire. Pendant quelques instants, il fallut que ses yeux s’habituent à la faible luminosité de la salle. Puis, il vit enfin trois jeunes personnes assises autour d’une exquise table en bois verni : Camila Alonso de Magritta, sa suivante María Nieves, et son « second », Sebastián Alonso de Magritta, qui ne manqua pas de l’apercevoir.
- Señor comandante ! Vous faites bien de venir nous rejoindre ! Asseyez-vous, je vous en prie !
Les deux femmes se levèrent immédiatement et firent une élégante révérence. Le militaire ne put s’empêcher d’être troublé par leur beauté peu commune, mais ne laissa rien paraître et les salua en retour.
- Las señoras se sentent à leur aise ? – dit-il galamment en s’installant à leur table. – Si vous vous sentez malades, il vaut mieux sortir…
Camila lui adressa un sourire radieux, qui le fit frémir.
- Ma foi, señor, vous êtes trop bon ! Heureusement María et moi-même nous portons à merveille ! Pas vraie, mon amie ?
- Vrai de vrai, señor, - renchérit celle-ci.
Le commandant sentit un frisson parcourir son dos. Il n’avait jamais approché ces femmes, et à présent sentait que jamais il n’avait rencontré de telles créatures. Elles n’étaient pas de simples femmes, elles étaient plus que ça…
- Señor comandante ! – reprit Sebastián. – María sait lire l’avenir sur les cartes ! N’est-ce pas formidable ?
Rodrigo de Molena eut grand peine cette fois-ci à réagir à ses paroles. Son regard glissa sur la table, et il vit des cartes disposées en ligne, chacune montrant un curieux dessin. Un curieux dessin…
- Señor comandante ?
- Si ! – il se retourna vers le jeune homme avec une telle brusquerie que les femmes sursautèrent.
Le militaire fit un effort de volonté, puis adressa ses excuses aux demoiselles, qui les acceptèrent aussitôt. Une gêne plana sur la table pendant un instant, puis, Camila décida de le disperser.
- Comandante, señor, nous pouvons faire taire nos amusements si vous avez besoin de quiétude et de repos…
Il se fit violence pour la regarder dans les yeux. L’intimidait-elle ? L’effrayait-elle ? Cependant, il n'eut guère le temps de réfléchir davantage ; on frappa à la porte, puis une voix masculine porta à travers : « Navire en vue ! »
La diversion était providentielle. Mieux valait se briser la voix à ordonner la défense de la flotte plutôt que de soutenir la présence de ces femmes étranges. Rodrigo de Molena quitta son siège, adressa ses hommages aux jeunes gens, puis sortit de la salle à grande enjambées. Un silence inattendu s’imposa de nouveau, Sebastián ne sachant trop que dire ni que faire. Il fut brutalement interpellé par la suivante de sa bien-aimée :
- Eh bien, allez-donc le rejoindre ! Vous êtes son second, oui on non ?!
María le fusillait du regard. Piqué au vif, il rougit, balbutia quelques mots de politesse en se levant, puis regarda Camila. Cette dernière le trouva alors tellement désemparé, que la pitié le disputa à la moquerie en elle. Finalement, elle opta pour la bienséance :
- Quel que soit le danger, mon époux, sachez que je vous aime et que mes vœux vous accompagnent.
Le visage du jeune homme s’illumina à ses mots. Il se pencha pour lui déposer un baiser sur la joue, salua María, puis quitta la salle aussi rapidement que le vieux militaire. Les deux femmes restèrent seules : Camila regardait la table, sa main touchant distraitement sa joue à l’endroit où les lèvres de Sebastián l’avaient touché. Puis, elle sentit sur elle l’attention de sa suivante : celle-ci l’observait, non, la toisait ? Camila la vit se pencher au dessus de la table, posant sont menton sur ses mains jointes, sans la lâcher du regard. Gênée, la vampiresse essaya néanmoins de ne pas se détourner, de lui faire face ; elle y parvint. Alors, María sourit légèrement. Soulagée, Camila regarda vers la porte…
- Camila !
La suivante ne souriait plus. Prise de court, Camila se sentit effrayée, et ne put le dissimuler. Alors elle supplanta sa peur avec de la colère.
- Quoi ! Qu’il y a-t-il, María !
- Il est adorable, mais il ne doit pas te distraire.
Camila s’enflamma.
- Je ne suis pas distraite !
- Tu sais bien de quoi je parle. Mais, - María prit soudain un ton plus détendu, - je ne suis pas là pour empêcher ce qui doit arriver. Je peux même t’aider, si tu veux. Nous sommes amies, après tout.
Camila ne se détendit pas. Son amie venait de tromper son attention avec un faux sourire, elle pouvait tout aussi bien répéter le traitement. Une fois, mais pas deux !
- Tu peux m’aider… En quoi ? Comment ?
Sa suivante lui adressa un sourire complice.
- En amour, ma chère, en amour ! Il faut prendre soin d’un mari, surtout s’il est aussi méritant que ce bon Sebastián !
- Mais je me débrouille très bien ! – répondit-elle avec fierté.
- En es-tu sûre ? Avec les bons moyens, il t’aimera encore plus… - María observa avec satisfaction le doute qui se dessinait sur les traits de sa maîtresse, ou plutôt de son apprentie.
- Je… Je… ne te crois pas, enfin, je ne crois pas que ce soit nécessaire, il m’aime déjà bien assez ! – lâcha Camila en un seul souffle.
- Tu es sûre ? Alors pour lui faire plaisir au moins… Non ?
Camila se sentait de plus en plus gênée. Son imagination partait à bride abattue, lui dessinant des images encore floues et inexactes de tous les moments de plaisir qu’elle pourrait passer avec Sebastián. Elle se sentait capable de jouer le jeu seule, mais María paraissait avoir tant de choses à lui montrer, à lui apprendre… De toute façon, il fallait trouver de quoi s’occuper pendant un si long voyage… Oui, juste pour passer le temps alors.
- Oui, oui. Juste… Pour lui faire plaisir, - dit-elle avec un sourire timide.
Ses yeux, cependant, trahissaient une vive lueur de désir, ce qui ne pouvait échapper à sa suivante. María prit une expression que l’on pourrait croire maternelle.
- Partons dans la chambre alors, nous y serons moins dérangées.
Camila obtempéra, et les deux femmes quittèrent le salon pour aller s’enfermer dans une salle annexe.
***
Tous les papiers étaient disposés dans un ordre très strict. Rien ne devait être laissé au hasard, tout était répertorié dans des journaux, puis classé dans d’épaisses reliures de cuir, elles-mêmes rangées par ordre chronologique sur chaque étagère, chaque placard étant réservé à une catégorie bien particulière de recettes ou de dépenses. Au dessus de la porte d’entrée, un curieux trophée s’offrait à la vision de tous ceux qui travaillaient à l’intérieur de la salle des comptes : une tête humaine empaillée, traitée aux onguents pour éviter les mauvaises odeurs. Les yeux de la macabre chose étaient fermés, ainsi que la bouche, et même l’on aurait pu dire que l’infortuné à qui la tête avait appartenu dormait, tellement ses traits ridés présentaient une expression de calme et de sérénité. Néanmoins, personne ne pouvait demeurer serein en voyant cet observateur muet accroché au dessus de la porte. Il suffisait de s’imaginer que cette tête avait jadis appartenu à quelqu’un, et que ce quelqu’un n’avait pas su la garder sur ses épaules, et que la hache du bourreau s’était abattue sur son cou, faisant gicler le sang chaud du moignon écarlate. En dépit des nombreuses armoires, des bougies et des fenêtres, la tête occupait la salle. Ce soir encore, bien qu’il s’efforçât comme toujours de ne pas la regarder, le trésorier du Rey la sentit se fixer sur lui, alors qu’il posait simplement son chandelier allumé sur son bureau. Là, les papiers étaient disposés dans un ordre très strict. Il y avait une pile pour les vivres, une pile pour l’eau douce, une pile pour les alcools, une pile pour les habits, une pile pour les instruments, une pile pour les armes, une pile pour les munitions, une pile pour les caisses vides et les sacs vides : le Rey les voulait pleins à craquer au retour de l’expédition. A présent, il fallait remplir une nouvelle feuille, avec pour intitulé : « les femmes ». Le trésorier grommela, puis ouvrit un tiroir dont il sortit une liasse de feuilles blanches ; un autre tiroir lui fournit plume et encrier. Une fois confortablement assis sur son siège, le petit homme prit une profonde inspiration avant d’écrire, puis… s’arrêta net. Légèrement perturbé, il reprit une autre inspiration… Sans résultat. Il se gratta le crâne, puis, quasi inconsciemment, leva le regard vers le dessus de la porte d’entrée. Toujours figé dans un masque de quiétude, son prédécesseur semblait dormir paisiblement. Le trésorier pâlit, cligna des yeux, puis se détourna brusquement de la porte. Il venait de se rappeler : le placard réservé à l’entretien des dames de la cour et de la famille royale était si régulièrement mis à jour… S’emparant une nouvelle fois du chandelier, le petit homme traversa vivement la grande salle, puis s’approcha d’un des placards remplis de reliures. Il saisit la reliure la plus récente, déjà d’épaisseur respectable, et revint vers le bureau. Lorsqu’il ouvrit l’épaisse couverture de cuir, son visage s’illumina d’un sourire de soulagement : parmi les myriades d’objets, robes, bijoux et autres nécessités que le palais commandant régulièrement, il y avait de quoi s’inspirer pour dresser un inventaire de voyage. Respirant à pleins poumons, comme s’il venait de finir un travail éprouvant, le trésorier referma la reliure, et l’emporta dans ses quartiers. Il aurait tout le temps d’écrire et d’envoyer le nécessaire le lendemain matin.
Sous la surveillance étroite du Señor Comandante et du Señor Tesorero, il fallut seulement trois jours supplémentaires pour que la flotte soit prête à lever l’ancre. Elle était constituée de trois navires, La Santa Lanza, La Hermosa et La Piadosa, le premier se distinguant par sa taille imposante, un tonnage largement supérieur, ainsi que des voiles supplémentaires. Tous trois arboraient sur leurs voiles carrées la couronne du Rey, ainsi que le lion d’Estalie.
L’aube qui précéda le départ de la flotte vit se réunir sur les quais une foule que peu de gens se rappelaient avoir vu de toute leur vie : les familles entières, du plus vieux au nourrisson, se sont agglutinées sur la chaussée, et tous ne pouvaient s’empêcher de crier des vœux d’encouragement et des prières de bonne fortune. Nombre d’enfants n’étaient pas complètement réveillés, et nombre de nouveau-nés serrés contre le sein de leurs mères braillaient à n’en plus finir, effrayés par la clameur des magrittains et le tonnerre des canons, qui lâchèrent une salve à blanc pour saluer les braves gens qui leur souhaitaient bonne route. Les plus grands des enfants, les garçons surtout, s’efforçaient de se faire entendre par les soldats et les matelots qui s’affairaient sur les trois navires : ces hommes partaient pour des contrées lointaines, gorgées, disait-on, de trésors, mais aussi de peuplades féroces et laides… Même les plus bêtes des gamins comprenaient que quelque chose de formidable se produisait sous leurs yeux, et beuglaient leurs « hourras » à s’en déchirer les cordes vocales. La liesse générale atteignit son sommet lorsque les amarres furent larguées, et le vent gonfla les voiles des trois bâtiments, qui commencèrent lentement à s’éloigner des quais. Les cris des hommes se firent encore plus insistants, les femmes agitèrent leurs foulards avec encore plus d’ardeur, et celles qui avaient un mari, un père, un fils, un frère sur l’un des trois navires essuyèrent quelques larmes qui ne cessaient de couler. Puis, à mesure que la flotte gagnait la pleine mer, la foule commença à se dissoudre, petit à petit, les badauds revenant à leurs occupations quotidiennes, et les derniers restants furent ceux dont un proche venait d’embarquer pour l’inconnu. Bientôt, même eux ne virent plus que de minuscules points noirs disparaître à l’horizon : Myrmidia leur avait envoyé un vent favorable en ce jour. Alors, adressant leurs dernières suppliques à la déesse guerrière, les familles s’en allèrent à leur tour, et les quais reprirent tant bien que mal leur vie habituelle, quoique cette fois-ci chargée d’émotions.
Le soleil poursuivit sa course paisible dans le ciel bleu, écartant le moindre nuage et laissant la voûte céleste aussi limpide et transparente que s’il s’agissait de la surface de l’océan. En revanche, la brise matinale qui avait permis un départ aussi vif à la flotte estalienne s’essouffla peu à peu, jusqu’à disparaître totalement, au grand dam des marins et des capitaines. Sur la poupe de la Santa Lanza, le vieux commandant regarda les voiles dégonflées avec une grimace d’extrême dégoût. Pour le comble, la chaleur montait avec la vitesse d’un four que l’on chauffait pour un pain prêt à cuire, autre élément que le militaire trouvait insupportable s’il n’y avait pas un bon vent qui soufflât en même temps. Il fallait au moins exprimer son mécontentement ! Le commandant s’adressa directement à la personne qui se tenait à la barre, un homme plus bas que lui, mais bien plus large d’épaules, avec un visage aussi parcheminé que le sien, portant les marques d’usure qu’infligent la mer, le vent et le soleil. Une tenue simple (chemise blanche, braies noires et bottes de cuir) semblait lui suffire amplement, avec l’ajout d’un chapeau à larges bords qui recouvrait de longs cheveux couleur de suie dont plusieurs mèches étaient couleur de cendre. Ses yeux noirs regardaient dans le vague, et il fallut au commandant qu’il répète son appel pour être enfin entendu :
- Señor Vasquez !
- AH !
Le capitaine se retourna comme si une guêpe l’avait piqué. Pendant une seconde, le gouvernail dériva en pleine liberté, mais les mains du capitaine devaient avoir une conscience propre, car ce dernier clignait encore des yeux, hébété, alors que ses mains retenaient fermement la barre.
- Señor Vasquez, est-ce que la chaleur vous fait déjà l’effet d’une bouteille de vin ?
- Non ! Non, - le capitaine cligna encore des yeux avant de retrouver enfin ses esprits.
- Vous semblez aussi loin de moi que nous sommes loin de chez nous. Réveillez-vous, Vasquez !
- Sí, señor ! Mais si vous avez une bouteille de vin à m’offrir, ça ira encore mieux ! Juré sur la sainte lance, je la partagerai avec mes hommes !
- Et la discipline alors !
- Eh ! Une bouteille pour quarante matelots !
- La discipline, capitán ! Le vin n’est servi qu’aux grandes occasions, et tout le boulot, jusqu’à maintenant, a été fait par le vent !
« Du vin ! Du vin ! »
Le commandant se retourna immédiatement vers les quelques hommes qui, ayant facilement entendu la conversation, s’étaient discrètement rapprochés de la poupe et scandaient à présent leur réclamation, sourire en coin.
- DU VENT ! – ses yeux semblèrent lancer des éclairs alors qu’il les regarda en contrebas, et les matelots obéirent avec un empressement non feint.
Le militaire se retourna vers le señor Vasquez.
- Amigo, c’est le début, que le début. Il n’y aura pas assez de vin. Je vous l’ai déjà dit, encore et encore, ce que nous faisons là n’est pas la même chose que d’habitude.
Le capitaine l’observa de la tête aux pieds, puis répondit avec aplomb :
- Amigo, le soleil vous fait faire une tête d’enterrement…
- Espèce de vieux mac…
- Si je puis vous conseiller, vous devriez vous réfugier en bas… Il y a aussi des dames… - Vasquez souriait à pleines dents.
La mine abasourdie, le commandant finit par se rendre : la chaleur commençait à devenir suffocante. Prenant congé de son vieux compagnon d’armes, Bernardo Rodrigo de Molena descendit les marches flambant neuves de la poupe, puis ouvrit la porte conduisant au dessous. Une agréable pénombre y régnait, et il entendit immédiatement de joyeux éclats de rire. Pendant quelques instants, il fallut que ses yeux s’habituent à la faible luminosité de la salle. Puis, il vit enfin trois jeunes personnes assises autour d’une exquise table en bois verni : Camila Alonso de Magritta, sa suivante María Nieves, et son « second », Sebastián Alonso de Magritta, qui ne manqua pas de l’apercevoir.
- Señor comandante ! Vous faites bien de venir nous rejoindre ! Asseyez-vous, je vous en prie !
Les deux femmes se levèrent immédiatement et firent une élégante révérence. Le militaire ne put s’empêcher d’être troublé par leur beauté peu commune, mais ne laissa rien paraître et les salua en retour.
- Las señoras se sentent à leur aise ? – dit-il galamment en s’installant à leur table. – Si vous vous sentez malades, il vaut mieux sortir…
Camila lui adressa un sourire radieux, qui le fit frémir.
- Ma foi, señor, vous êtes trop bon ! Heureusement María et moi-même nous portons à merveille ! Pas vraie, mon amie ?
- Vrai de vrai, señor, - renchérit celle-ci.
Le commandant sentit un frisson parcourir son dos. Il n’avait jamais approché ces femmes, et à présent sentait que jamais il n’avait rencontré de telles créatures. Elles n’étaient pas de simples femmes, elles étaient plus que ça…
- Señor comandante ! – reprit Sebastián. – María sait lire l’avenir sur les cartes ! N’est-ce pas formidable ?
Rodrigo de Molena eut grand peine cette fois-ci à réagir à ses paroles. Son regard glissa sur la table, et il vit des cartes disposées en ligne, chacune montrant un curieux dessin. Un curieux dessin…
- Señor comandante ?
- Si ! – il se retourna vers le jeune homme avec une telle brusquerie que les femmes sursautèrent.
Le militaire fit un effort de volonté, puis adressa ses excuses aux demoiselles, qui les acceptèrent aussitôt. Une gêne plana sur la table pendant un instant, puis, Camila décida de le disperser.
- Comandante, señor, nous pouvons faire taire nos amusements si vous avez besoin de quiétude et de repos…
Il se fit violence pour la regarder dans les yeux. L’intimidait-elle ? L’effrayait-elle ? Cependant, il n'eut guère le temps de réfléchir davantage ; on frappa à la porte, puis une voix masculine porta à travers : « Navire en vue ! »
La diversion était providentielle. Mieux valait se briser la voix à ordonner la défense de la flotte plutôt que de soutenir la présence de ces femmes étranges. Rodrigo de Molena quitta son siège, adressa ses hommages aux jeunes gens, puis sortit de la salle à grande enjambées. Un silence inattendu s’imposa de nouveau, Sebastián ne sachant trop que dire ni que faire. Il fut brutalement interpellé par la suivante de sa bien-aimée :
- Eh bien, allez-donc le rejoindre ! Vous êtes son second, oui on non ?!
María le fusillait du regard. Piqué au vif, il rougit, balbutia quelques mots de politesse en se levant, puis regarda Camila. Cette dernière le trouva alors tellement désemparé, que la pitié le disputa à la moquerie en elle. Finalement, elle opta pour la bienséance :
- Quel que soit le danger, mon époux, sachez que je vous aime et que mes vœux vous accompagnent.
Le visage du jeune homme s’illumina à ses mots. Il se pencha pour lui déposer un baiser sur la joue, salua María, puis quitta la salle aussi rapidement que le vieux militaire. Les deux femmes restèrent seules : Camila regardait la table, sa main touchant distraitement sa joue à l’endroit où les lèvres de Sebastián l’avaient touché. Puis, elle sentit sur elle l’attention de sa suivante : celle-ci l’observait, non, la toisait ? Camila la vit se pencher au dessus de la table, posant sont menton sur ses mains jointes, sans la lâcher du regard. Gênée, la vampiresse essaya néanmoins de ne pas se détourner, de lui faire face ; elle y parvint. Alors, María sourit légèrement. Soulagée, Camila regarda vers la porte…
- Camila !
La suivante ne souriait plus. Prise de court, Camila se sentit effrayée, et ne put le dissimuler. Alors elle supplanta sa peur avec de la colère.
- Quoi ! Qu’il y a-t-il, María !
- Il est adorable, mais il ne doit pas te distraire.
Camila s’enflamma.
- Je ne suis pas distraite !
- Tu sais bien de quoi je parle. Mais, - María prit soudain un ton plus détendu, - je ne suis pas là pour empêcher ce qui doit arriver. Je peux même t’aider, si tu veux. Nous sommes amies, après tout.
Camila ne se détendit pas. Son amie venait de tromper son attention avec un faux sourire, elle pouvait tout aussi bien répéter le traitement. Une fois, mais pas deux !
- Tu peux m’aider… En quoi ? Comment ?
Sa suivante lui adressa un sourire complice.
- En amour, ma chère, en amour ! Il faut prendre soin d’un mari, surtout s’il est aussi méritant que ce bon Sebastián !
- Mais je me débrouille très bien ! – répondit-elle avec fierté.
- En es-tu sûre ? Avec les bons moyens, il t’aimera encore plus… - María observa avec satisfaction le doute qui se dessinait sur les traits de sa maîtresse, ou plutôt de son apprentie.
- Je… Je… ne te crois pas, enfin, je ne crois pas que ce soit nécessaire, il m’aime déjà bien assez ! – lâcha Camila en un seul souffle.
- Tu es sûre ? Alors pour lui faire plaisir au moins… Non ?
Camila se sentait de plus en plus gênée. Son imagination partait à bride abattue, lui dessinant des images encore floues et inexactes de tous les moments de plaisir qu’elle pourrait passer avec Sebastián. Elle se sentait capable de jouer le jeu seule, mais María paraissait avoir tant de choses à lui montrer, à lui apprendre… De toute façon, il fallait trouver de quoi s’occuper pendant un si long voyage… Oui, juste pour passer le temps alors.
- Oui, oui. Juste… Pour lui faire plaisir, - dit-elle avec un sourire timide.
Ses yeux, cependant, trahissaient une vive lueur de désir, ce qui ne pouvait échapper à sa suivante. María prit une expression que l’on pourrait croire maternelle.
- Partons dans la chambre alors, nous y serons moins dérangées.
Camila obtempéra, et les deux femmes quittèrent le salon pour aller s’enfermer dans une salle annexe.
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Re: Une histoire estalienne
Dim 16 Aoû 2015 - 11:37
Tu nous fais le remake du voyage de Christophe Colomb ? Trois bateaux, dont l'un plus grand que les autres, en direction d'un monde inconnu...
Et on veut toujours la suite !!
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 20 Aoû 2015 - 11:13
***
Un lit somptueux avait été aménagé dans un espace plutôt étroit, observant à la fois la rigueur qu’imposait la nature du voyage, ainsi que la coquetterie qu’imposait la nature des dames de la cour. Une commode pleine à craquer était vissée au sol boisé, sol qui lui-même avait été soigneusement poli et verni afin de rajouter de l’éclat à la chambre. Une fenêtre vitrée s’ouvrait directement sur l’arrière du navire, fenêtre constamment dissimulée par un rideau de soie violette, car selon les conseils du médecin, la souffrante devait s’exposer le moins possible aux rayons du soleil. Les draps et la literie étaient également teintés de violet, choix personnel de la señora, après une question discrètement posée au détour d’un couloir du palais. La couche, bien que modeste en taille, était destinée au señor et son épouse, à l’exception qu’en l’occurrence, deux femmes s’apprêtaient à en goûter les délices. Lorsqu’elles furent entrées, la suivante referma la porte derrière elles, observa sa maîtresse avancer vers leur but, puis s’arrêter, étonnée de ne plus voir son amie. Camila se retourna, vit María lui sourire, les bras croisés sur sa poitrine. Celle-ci s’appuya doucement contre la porte, enjouée de voir son apprentie aussi confuse et, peut-être, intimidée. Il fallait commencer…
« Capitán ! Ce n’est pas un navire ! Ça ne peut pas être un navire ! »
« Capitán ! »
« Capitán ! »
« Señor Vasquez ? »
« LA FERME ! Un momento ! »
« … »
- María ?
- Chut ! Ecoute !
« TOUT LE MONDE SUR LE PONT ! TOUT – LE MONDE – SUR LE PONT ! LEVEZ LES VOILES, TOUTES LES VOILES, RAPIDO !!! »
Les deux vampiresses entendirent un tonnerre de pas résonner à l’extérieur, entrecoupés des cris des marins qui redonnaient les ordres du capitaine à ceux qui venaient de sortir des soutes. Toutes deux eurent un sinistre pressentiment : le ton du señor Vasquez avait été empreint d’une gravité péniblement dissimulée.
- María, il faut que nous allions voir.
- Il faut que nous entendions, maîtresse. Entendre nous suffit.
- JE VEUX VOIR !!!
Leurs regards opposés furent semblables à deux lames qui s’entrechoquent. Chacune vit les prunelles de l’autre s’embraser légèrement. Elles ressentirent soudain chaque fibre de leurs corps, prêtes à se mouvoir, si besoin est, à la vitesse d’une morsure de serpent. Il fallait néanmoins éviter ce genre d’extrémités, María le savait.
- Dois-je te rappeler pourquoi c’est une mauvaise pensée ?
- Dis toujours !
- Tu es une faible femme pour eux, une enfant de la nuit pour moi. Une faible femme se fera gentiment reconduire dans sa cabine pendant que les hommes la protègent. Une vampiresse en plein jour ne survivra pas longtemps.
Camila serra les lèvres de dépit, sentant à présent sa propre impuissance, et la justesse des propos de sa suivante. Cette dernière s’empressa d’ajouter sur un ton plus désinvolte :
- En fait, être une faible femme n’est pas si mal, ma chère. Je t’apprendrai comment faire !
Son apprentie la toisa avec un air renfrogné.
- Je n’ai pas besoin de l’apprendre.
- Soit, soit ! Il faut maintenant que nous écoutions ce que disent les hommes ! Alors, quand nous saurons tout, nous agirons.
María la vit hésiter un instant, puis s’asseoir sur le lit luxueux, triste et résignée. Elle n’avait cependant ni l’envie, ni le temps de s’en soucier : à l’extérieur, le branle-bas de combat se poursuivait sans relâche. Les hommes couraient partout, une grande voile venait d’être enfin déployée, d’autres suivraient bientôt. Subitement, son ouïe fut interpellée par un bruit auquel elle ne s’attendait pas : la porte du salon venait de s’ouvrir.
« Camila ! María ! »
L’agacement de la suivante fut immédiat : pourquoi lui ! Pourquoi maintenant !
Sebastián, cependant, se dirigea promptement vers la chambre, trouva porte fermée, frappa avec insistance.
- Ouvrez ! C’est moi, Sebastián !
Le verrou fut levé tout de suite ; en pénétrant la chambre, le jeune homme aperçut la suivante de son épouse lui céder le passage avec une muette révérence. Puis, assise sur le lit, il aperçut Camila.
- Ma chère et tendre ! – il s’approcha, s’agenouilla devant elle, puis lui baisa la main.
- Mon cher, n’êtes-vous pas censé vous trouver auprès de votre supérieur, auprès de vos hommes ?
- Il… - malgré la pénombre, Camila le vit s’empourprer. – Il m’a demandé de veiller sur vous pend… pour le moment.
- Sommes-nous attaqués ?
Il la regarda avec toute l’assurance qu’il pouvait exprimer sur son visage.
- C’est nous qui attaquons, ma chère !
Etonnée, Camila ne répondit pas de suite. Il mentait, cela se comprenait par tout ce qu’elles venaient d’entendre, mais il mettait tellement de conviction dans ses mots qu’il aurait été aisé de le croire. Agréable, surtout.
- Mais… Qui sommes-nous pour attaquer ? Qui sont-ils pour l’avoir mérité ?
Ce fut au tour de Sebastián de rester coi pendant un moment. En vérité, quelle femme pure et généreuse ! Que pouvait-il argumenter ? Cependant, il n’était point dénué d’intelligence, et retrouva ses moyens.
- Des brigands de la pire espèce. Nous devons débarrasser les mers de leur présence absolument nuisible aux gens honnêtes, et c’est ce que nous ferons bientôt, ma douce.
Camila se détourna, irritée. Il ne lui disait rien que des sottises censées la rassurer, alors qu’elle désirait exactement le contraire : seule la vérité pouvait calmer son agitation. Il fallait jouer serré et insister davantage.
- Mais qui sont-ils enfin, ces êtres tellement dépravés que nous devons les occire ? Ne pouvons-nous pas les aider ?
- Malheureusement, non. Ils sont au-delà de toute rédemption.
Sebastián prit un air grave et résolu. Par ses derniers mots il désirait clore cette conversation, qui ne tournait pas à son avantage. Il ne voulait surtout pas terrifier son épouse, ni qui que ce soit, avant tout lui-même. Comme si en dissimulant la vérité à elle, il rendait les choses moins horribles pour lui. De toute façon, il ne devait pas s’en soucier, pas encore. Son but était de protéger les dames, pas de faire face à la menace présente. Il n’était d’ailleurs pas de taille, n’avait ni la force, ni l’expérience. Le commandant avait eu raison de l’envoyer ici. S’il pouvait déjà s’acquitter de cette première tâche, il serait comblé pour le restant du voyage, pour le restant de ses jours. Il ne devait rien arriver à Camila, rien, ni à sa suivante, tout aussi pure et innocente que son épouse. Il les protégerait, au péril de sa vie s’il le fallait, au péril de…
Avant qu’il ne pût réagir, les lèvres de son épouse se posèrent sur les siennes, alors que deux bras fins et frêles l’enlaçaient tendrement. Un baiser doux et sucré, une étreinte amoureuse, elle qui le renversait sur le lit, sur la douceur des duvets… Puis, aussi subtilement, les lèvres de Camila glissèrent vers son oreille, et murmurèrent :
- Mon amour, je veux savoir. Je t’aime, alors ne me cache rien, s’il te plait.
- DalamyreZombie
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 20 Aoû 2015 - 17:37
C'est bien, ça avance tout cela. Je persiste cependant à trouver les Estaliens particulièrement peu méfiants et naïfs
Il manque de répurgateurs ce pays ! En attendant la suite.
Il manque de répurgateurs ce pays ! En attendant la suite.
- Nyklaus von CarsteinSeigneur vampire
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Re: Une histoire estalienne
Jeu 20 Aoû 2015 - 18:50
Ouf !
J'ai tout lu d'une traite ! En plus comme j'ai la mémoire encore à chaud, ça va être plus facile pour le commentaire !
Alors d'abord, comme les autres l'ont dit, ton style est très fluide et on se laisse "porter" par ton récit !
Ensuite, je suis pressé de voir ce que les Lahmianes attendent de l'expédition !
Le pauvre Sebastian n'a aucune chance...
Par contre, comme toi, je désire une chose : DU SANG !!!! Et des massacres ! Et bien sur... La suite ! ;-P
J'ai tout lu d'une traite ! En plus comme j'ai la mémoire encore à chaud, ça va être plus facile pour le commentaire !
Alors d'abord, comme les autres l'ont dit, ton style est très fluide et on se laisse "porter" par ton récit !
Ensuite, je suis pressé de voir ce que les Lahmianes attendent de l'expédition !
Le pauvre Sebastian n'a aucune chance...
Par contre, comme toi, je désire une chose : DU SANG !!!! Et des massacres ! Et bien sur... La suite ! ;-P
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Re: Une histoire estalienne
Sam 22 Aoû 2015 - 0:54
Mouahahacela ce comprenait
Je suis pas d'accord ! T'as pas le droit de commencer une hypnose de lahmiane à la fin de la scène ! Je veux savoir moi aussi !
La suite !!
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- EssenSeigneur vampire
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Re: Une histoire estalienne
Ven 9 Oct 2015 - 23:05
***
L’équipage était fureur.
La fureur emplissait leurs estomacs, comme la bile, et cela rendait leurs estomacs encore plus furieux.
Tout partait trop vite !
Même la CALE ne sentait pas la viande, elle criait famine !
L’équipage était sur le point d’exploser. En bon ogre, le capitaine savait ce que cela signifiait. Lui-même se sentait pareil. Une galère vide portait malheur. Une galère vide porte la mort.
Quand il aperçut trois jambons potentiels, il ordonna tout de suite la poursuite.
Un miracle, une incongruité de la physique maintenait un tel bâtiment à flots.
Selon les marins, chacun faisant le poids de dix hommes, l’océan n’avait pas la gueule assez large pour les avaler.
L’imposant assemblage de planches et de barres de fer tordu écrasait le monde aquatique par sa présence, et ses quatre rames engendraient des courants contraires qui détournaient les bancs de poisson. Quatre rames suffisaient. Un mat unique, dépouille d’un cèdre millénaire, soutenait une voile carrée en peaux de mammifères marins.
Le capitaine avait autant faim que ses ogres. Ceux-là ne se rebellaient pas parce que le capitaine en tuait alors l’un d’eux qui servait de repas. Alors, sans se rebeller, ils grondaient autant que grondait le vaste océan.
Quatre ogres se mirent à ramer sous le soleil radieux et le ciel limpide, croulant sous les injures de leurs quatre collègues. Loin de faire taire ces derniers, le capitaine et son vice-capitaine se mirent à injurier les rameurs.
Ils entrèrent dans une sorte de zèle destructeur. La proue de la galère était large, obtuse et maladroite, et écuma comme la gueule d’un animal enragé. Les flots grondèrent, protestant constamment contre cette violence débridée. La galère s’élança, semblable à un galet lancé par la main d’un dieu, sauf qu’il s’agissait d’un équipage d’ogres à côté desquels les requins étaient des poissons rouges.
La galère gagna la pointe de sa vitesse lorsque le capitaine se rappela qu’il serait judicieux de faire baisser la voile. Les cordes semblèrent une fois de plus sur le point de lâcher, mais la Gueule devait avoir d’autres projets pour elles.
La gueule de la Gueule, c’est comme ça que la galère était nommée, même si ce n’était pas écrit dessus. De toute façon écrire ne servait à rien. Seule importait l’aptitude à s’imposer. Et s’imposer signifiait écraser. Et écraser…
Une détonation vrilla les tympans du capitaine, en même temps que les jambons droit devant émettaient des fumerolles. Jambon fum…
Un craquement sec interrompit une fois de plus le courant de pensée du capitaine. Des planches venaient de voler de sa proue adorée !
« ENVOYEZ-LEUR DU PL… » Mais ces ordres étaient déjà en train d’être exécutés, trois des marins inoccupés ramassant trois canons rangés dans un coin sur le pont. Fouillant dans leurs poches gigantesques, ils sortirent des poignées énormes de ferraille et de poudre mélangées.
Au moment de lâcher la salve, l’un des trois crache-plomb cessa de vivre : sa tête venait d’être arrachée par un boulet ennemi, envoyant dans l’air des fontaines de sang chaud, des bouts d’os et de cervelle blanchâtre.
Le capitaine aperçut que le dernier marin inoccupé venait subitement de passer par-dessus-bord dans un atroce gémissement, laissant derrière lui quelques tripes sanguinolentes.
Le flot d’injures du capitaine fut inintelligible, se mélangea au tonnerre des rames qui labouraient l’océan, faillit couvrir la troisième détonation provenant des trois jambons décidément indigestes. Ils étaient à portée de main, prêts à être avalés, et n’hésitaient tout de même pas à démolir la seule joie et création de sa vie, sa précieuse gueule de la Gueule.
Lorsque la pensée le traversa de leur rentrer dedans, il était déjà trop tard : un bruit abominable indiqua que la galère prenait l’eau, et coulait à pic. Deux des trois jambons, toutefois, étaient à portée de harpon.
Le capitaine ne s’embêta même pas à donner des ordres ; il fut le premier à ramasser l’une des nombreuses ancres qui trainaient sur le pont, et à la balancer avec toute la haine dont il se sentait rempli. Il fut immédiatement suivi par son équipage survivant…
Un crépitement retentit du plus gros jambon ; l’un des ogres, couvert de petits trous noirs, ruisselant de sang, s’effondra.
Les ogres n’avaient plus rien à perdre. Occuper le gros jambon était devenu leur seul et unique but. Manger, se venger, manger, se venger. L’un des crache-plomb, toutefois, avait du mal comprendre, et était en train d’escalader un petit jambon.
Tant pis pour lui, les cinq ogres restants, dont le capitaine et son vice-capitaine, se hissèrent à l’abordage.
« TERCER REGIMIENTO DE SU MAJESTAD EL REY ! ATAQUE ! »
***
Les rodeleros du troisième régiment étaient des vétérans de maintes batailles navales. Ce jour-là également, ils n’hésitèrent pas.
Lorsque cinq ancres ravagèrent le pont et tuèrent deux hommes sur le coup, ils n’hésitèrent pas. Lorsque cinq ogres surgirent, manquant de faire chavirer la Santa Lanza, ils n’hésitèrent pas. Ils avancèrent en rangs serrés vers l’ennemi, guidés par le vieux commandant des armées.
Une prière silencieuse fut adressée à Myrmidia, puis les premiers cris retentirent.
Le sang imbiba les planches alors que la première ligne de soldats vola en éclats face aux attaques déchainées des pirates affamés. Rodrigo de Molena ne dut sa survie qu’à une esquive prodigieuse. Le régiment entier se figea un instant, stupéfait.
Puis le cri de guerre du vieux militaire retentit, plein de hargne :
« POUR LA GLOIRE ! POUR LE REY ! POUR MYRMIDIA »
Et il chargea le plus gros des colosses qui, en plus des braies multicolores et des bottes démesurées, portait un large chapeau orné de plumes chatoyantes.
Une mêlée impitoyable s’engagea, ponctuée de cris, du craquement des planches et du choc de l’acier. Prenant bonne mesure de la force de leurs adversaires, les soldats ajustèrent leurs rondaches et se dispersèrent sur le pont, privilégiant la rapidité des coups à la pression des rangs. Lorsque les marins se joignirent, toutefois, ils parvinrent à submerger l’un des ogres, qui fut incapable de se maintenir debout sur le pont du navire mutilé. Mais le combat était loin d’être gagné.
Malgré ce qu’il pensait accomplir, le commandant n’était pas capable d’abattre le chef ennemi seul et sans aide. Nombre de coups qui auraient du le trancher en deux ne lui furent épargnés que par des rondaches interposées à temps, alors que d’autres soldats s’approchaient par derrière et tailladaient le dos de l’ogre titanesque. Ce dernier ne semblait plus voir ce qu’il y avait devant lui : ses deux armes tranchaient dans tous les sens, réduisant en miettes le moindre obstacle, qu’il soit fait de bois ou de chair. Le mât de proue fut ainsi abattu, émettant un craquement atroce.
Le vice-capitaine et un crache-plomb avaient bondi sur le pont central, faisant trembler la caraque de fond en comble : leurs coups mieux ajustés visèrent uniquement les hommes, mais pour cela ils devinrent prévisibles ; les soldats connaissaient à présent leur force et leur lenteur. Quelques bottes bien ajustées firent lâcher son arme au crache-plomb, alors que deux lames furent profondément plantées dans son cou épais, ôtant la lueur de ses yeux. Son cadavre ne cessa d’empester le sang et la sueur, odeur exacerbée par l’immobilité de l’air, alors que tout autour les ogres persévéraient dans leur assaut désespéré.
Des renforts finirent par arriver de la Hermosa et de la Piadosa ; quelques tirs d’arquebuse isolés retentirent dans l’intense cacophonie de cris de plus en plus déterminés des soldats. Sur la proue, en revanche, le capitaine des ogres poursuivait son ouvrage de mort comme si plus rien dans le monde n’existait.
Le commandant connaissait ce genre d’ennemi, semblable aux rejetons des Forces Obscures qu’il lui avait été donné d’affronter en protégeant sa patrie. Si rien n’était fait pour l’arrêter, il ne s’épuiserait pas même après avoir écrasé ses victimes.
Ses soldats étaient des braves, mais il fallait décidément être fou se jeter sous les lames de la chose qui était semblable à un tourbillon de sang. Or l’héroïsme ne s’ordonnait pas, il s’assumait. Sans réfléchir davantage, Bernardo Rodrigo de Molena plongea en avant, vit du coin de l’œil un éclat de soleil aveuglant, n’y prêta pas attention. Se retrouvant face à un ventre semblable à une montagne, portant une ceinture à la boucle aussi grande qu’une rondache, il bondit, tenant son épée comme une dague, et avec les deux mains, il ficha profondément son épée dans le poitrail de l’ennemi. La seconde d’après, une douleur cinglante lui traversa l’épaule.
Il retomba sur ses appuis, sa main se crispa sur son épaule, ce qui ne fit qu’empirer la douleur ; des lumières blanches et noires inondèrent sa vision, alors que les cris se brouillèrent dans son esprit dans un brouhaha inintelligible et lointain. Sa dernière vision fut celle d’une montagne basculant par-dessus-bord, puis tout devint néant.
***
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Re: Une histoire estalienne
Sam 10 Oct 2015 - 0:38
Beau récit de bataille, mais où en sont les donzelles ?
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Re: Une histoire estalienne
Sam 10 Oct 2015 - 12:32
On le portait. Il était allongé. Son ennemi, un ogre trois fois plus large qu’un tonneau, et trois fois aussi haut, le narguait en lui montrant la tête tranchée du capitaine Vasquez, dont les yeux morts scrutaient le vide, et la mâchoire pendait misérablement… Il voulut tendre le bras… Une douleur soudainement familière lui déchira l’épaule, et lui arracha un cri désespéré…
Tout disparut, puis réapparut dans une lumière étrangement tamisée. Puis son épaule lui fit violence, et il retomba sur la couche rigide, grognant et jurant entre ses dents. Si seulement il pouvait comprendre…
- Comandante ! Vous ne voulez donc pas mourir !
Cette voix était moqueuse, mais aussi infiniment rassurante. Rodrigo de Molena se permit de tourner la tête dans la direction d’où elle provenait, et vit le capitaine Vasquez, également allongé sur une couche sommaire, son visage buriné affichant un sourire jovial. Il était torse nu, et ses bandages recouvraient une tâche rougeâtre sur son flanc droit.
Le capitaine suivit son regard, et renifla de mépris.
- Ce n’est rien, - grogna-t-il. - Un bout de fer. Déjà retiré, déjà cicatrisé. Mais toi !
Le commandant, qui souriait au caractère bien trempé de son ami, lui jeta soudain un regard accusateur. Il s’était aperçu qu’ils étaient juste en bas du pont, les rayons d’un soleil couchant filtrant à travers de nombreux trous au plafond. Ils n’étaient pas seuls, mais en compagnie d’autres blessés. La plupart étaient allongés et semblaient endormis, mais d’autres étaient bien éveillés, et regardaient dans leur direction. Ils souriaient malgré leurs nombreux bandages.
- Viva el comandante ! – fit l’un à voix basse.
- Viva el comandante ! – d’autres répondirent en écho, de manière à ne pas réveiller les dormeurs.
- Olé !
- Olé !
Rodrigo de Molena leur adressa un salut en retour, ragaillardi. Puis il se tourna vers le capitaine, qui se reprit immédiatement :
- Mais vous, comandante, même quatre décades passées, vous ne voulez toujours pas mourir ! Avec tout le mal que vous vous donnez pour y arriver !
Le vieux militaire sourit une fois de plus aux piques innocentes de Vasquez, puis redevint sérieux :
- Quelles sont les pertes ?
Joaquim Jorge Vasquez savait que son compagnon d’armes ne se détendrait pas tant qu’il ne savait pas tous les détails. Il grogna furtivement, puis fit son rapport :
- En plus de vous et moi, dix-neuf blessés. Trente-et-un morts… Coman –
La main valide du commandant venait de se serrer contre sa poitrine, le visage affichant un masque de souffrance. La crise ne dura toutefois qu’un moment. La main gauche du vieux militaire se desserra, il respira à pleins poumons, aplati sur sa couche. Le capitaine le regarda, l’air extrêmement réprobateur. Si le bilan des morts lui faisait un tel effet à présent, il était temps de songer à la retraite. Heureusement que ce n’était plus une armée qu’il commandait, mais un corps d’expédition.
- Poursuivez, Vasquez… Trente-et-un morts…
- Je n’ai pas eu l’occasion de compter, mais la majorité sont des soldats. Parmi les dix-neuf blessés, la minorité sont des soldats.
- Ils ont rempli leur devoir envers leur patrie et le Rey. Les femmes ?
- Indemnes. Aucun des ennemis ne s’est frayé un chemin vers la poupe.
- Bien. Repos. Il faudra faire le bilan exact des morts demain.
- Bien, señor comandante.
- Qui assure votre rôle sur le pont cette nuit ?
- Perez, mon navigateur.
- Bien… Vasquez ?
- Si ?
- Pourquoi ne suis-je pas soigné dans mes quartiers ?
Un moment de silence s’ensuivit, sans que le commandant prenne la peine de voir ce qui se tramait sur le visage de son ami. Il n’attendit pas la réponse, il la connaissait.
- Vous avez bien fait, capitán. La solitude m’aurait achevé.
Vasquez demeura muet. Ils n’avaient guère besoin de mots pour se comprendre dans des moments pareils, et il n’y avait rien à ajouter.
La nuit achevait de remplacer le jour, plongeant les blessés dans une douce obscurité. Epuisés, les derniers soldats éveillés sombrèrent dans un profond sommeil, suivant le ronflant exemple de leurs supérieurs.
***
Il sentit qu’on le soulevait, et ouvrit les yeux ; se sentait extrêmement faible, il ne pouvait se défendre…
- Que… ?!
- Chut ! Vos bandages, señor comandante !
La voix de l’une des deux femmes, la dame de compagnie. Il faisait nuit noire, quoique les rayons de lune diffusaient un pâle halo à travers le pont défoncé. Diablerie ?!
- Que faites-vous là ?! – il parvint à baisser la force de sa voix, sans toutefois dissimuler sa colère.
- Je change vos bandages ! – siffla celle-ci dans un ton également irrité. – Vous êtes déjà le vingtième !
Elle l’avait doucement forcé à s’asseoir, puis avait d’une quelconque manière sectionné les fines bandelettes de lin qui lui enserraient l’épaule. Le sang imbibé avait coagulé. Les mains fines de la femme presque invisible dans le noir allaient et venaient autour de son torse avec habileté, déroulant les bandelettes supérieures. Le commandant, qui avait souffert maintes blessures au cours de sa longue carrière, reconnut là des mains expertes.
- Vous n’êtes pas celle que vous prétendez être.
Elle ne sembla nullement déconcertée par son ton dur.
- J’ai servi dans un temple de Shallya, étant jeune.
- Vous l’auriez quitté ?
- Une longue histoire, vous ne seriez pas intéressé.
- Tous les membres de cette expédition sont sous ma responsabilité. Si par je ne sais quel hasard je vous surprends en train de les soigner, en dehors de ce que l’on m’a dit sur vous, j’exige des explications complètes, señora.
La femme s’arrêta dans son office, et soupira.
- Puis-je au moins terminer ce que j’ai commencé ? Ce ne sera pas long.
Elle était sur le point de décoller des bandelettes figées dans le sang. Une étape risquée, nécessitant toute l’attention de guérisseur. Sans raison quelconque, Rodrigo de Molena sentit sa méfiance envers cette femme décupler. Il regretta de ne pas avoir de pistolet auprès de lui. Cependant, la femme semblait attendre patiemment. A contrecœur, s’attendant à tout instant à une traitrise, le vieux militaire lui donna finalement son accord.
La maîtrise de cette femme ne laissait nul doute à ce qu’elle fut jadis shalléenne. En quelques minutes, les derniers bandages furent enlevés, sans rouvrir une plaie pourtant atroce : un large pan de muscle et de peau avait été arraché. Immédiatement, maniant un rouleau de lin avec adresse, la suivante de la señora de Magritta, María Nieves, commença à remettre le bandage nouveau, prévenant toute nouvelle infection.
- Votre blessure est peu commune, - l’entendit-il murmurer. – Si j’étais vous, je fixerais ce bras contre le flanc, avec une corde ou une ceinture. Le moindre mouvement peut s’avérer dangereux pour la cicatrisation, surtout demain et après-demain.
- Je le sais très bien, señora, - lâcha-t-il abruptement. – Je me réserve toutefois le choix dans cette décision. Et vous, je vous somme de vous expliquer sur vos origines.
- Je suis de Molena.
- De Molena ?
Il ne s’attendait pas à rencontrer une compatriote si proche du lieu de sa propre naissance. Cela éveilla en lui une sympathie involontaire, qu’il s’empressa de réprimer.
- De Molena, oui. J’ai rejoint les sœurs pour soigner les derniers croisés. Enfin, les nouveaux soldats plutôt.
- Pourquoi les avoir quittées ?
- J’en ai eu assez. J’ai épuisé ma compassion, si vous voulez.
- Comment êtes vous parvenue auprès de la señora de Magritta ?
- J’avais de la famille là-bas. J’ai appris les choses qui me manquaient là-bas, puis mes services ont été proposés au palais. J’ai eu l’honneur d’être engagée.
Le nouveau bandage était presque terminé. L’interrogatoire aussi semblait presque terminé. Que la dame ne donne ni noms ni détails, il pouvait comprendre qu’elle ne désire pas en parler. Elle en parlerait s’il l’exigeait. Cependant, cela pourrait être cruel, voire injuste envers une femme qui le soignait à présent, lui ainsi que ses hommes. Le commandant ne voulut pas en savoir davantage ; si la fortune avait décidé d’envoyer une ancienne shalléenne à bord, il ne s’en plaindrait pas. Cependant, un doute persistait.
- Où est le médecin de bord ?
- Je n’ai pu voir ce qui s’est passé aujourd’hui. J’espère que là où il est à présent, son âme est en paix et son corps ne souffre plus.
- Je vois.
Rodrigo de Molena remarqua que son ton était devenu moins sévère. Il s’en voulut, mais ne parla pas davantage. Pour le moment du moins, il apaiserait sa méfiance, n’ayant pas d’autres raisons de s’alarmer que son instinct. S’il se trompait rarement, il devrait attendre que les forces lui reviennent pour être à nouveau efficace.
- Je vous repose. Ne bougez pas et détendez-vous.
Il se laissa faire. La voix de la femme était ferme, mais son timbre était tendre et rassurant. Les hommes en auraient besoin, et puis si les soins étaient prodigués avec autant de brio, ils guériraient rapidement. Ses craintes passées, le vieux militaire se retrouva de nouveau en proie à la fatigue, et lutta pour ne pas s’endormir immédiatement.
Il entendit plus qu’il ne vit María Nieves reproduire les mêmes mouvements autour du buste du capitaine Vasquez, qui, visiblement, ne s’alarma pas de son traitement. Il avait du apprendre ses talents pendant que lui, Rodrigo, était encore inconscient.
Le commandant rejeta résolument ses inquiétudes dans un coin de sa tête, savourant amplement le calme de la nuit, et les pas feutrés de la dame qui s’éloignait d’eux, vers ses quartiers. Il fut bercé par le chuchotement des vagues et le balancement du navire, et se remit à émettre de faibles ronflements.
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Re: Une histoire estalienne
Sam 10 Oct 2015 - 16:34
Si la suite arrive dès que je commente, je ne vais pas m'en priver... A-t-on le droit à la suite ?
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