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Seigneur vampire
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Palmares : Organisateur des tournois du Fort du Sang, de la Reiksguard, des Duels de Lassenburg & de la ruée vers l'Eldorado

La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Dim 21 Fév 2021 - 17:20

Les sombres pensées du capitaine Phy’lis

     Deux défaites consécutives avaient laissé Phy’lis et son équipage exsangues, épuisés, courroucés et avides de faire souffrir autant d’humains que possible jusqu’à temps qu’ils eussent satisfait leur soif de supériorité en exterminant cette race. Phy’lis se lamentait de ne pas avoir ramené avec lui un atout plus grand, une sorcière par exemple, ou bien une bête à enfermer dans sa cale. On lui avait proposé de garder une hydre encagée dans son reaver, mais il avait refusé car il s’agissait d’un animal non encore maté, et il avait jugé cette idée trop dangereuse, même pour un rabais du prix. Qu’il aurait pourtant été satisfait à cette heure si il s’était trouvé que les humains ayant pris son reaver avaient découvert une bête indomptable cracheuse de flammes dans le ventre du navire. Quelle scène, qui n’arriverait jamais. Voilà ce qu’on gagnait donc à être trop pingre. Il aurait dû tenter l’expérience juste pour le comique de la chose.

     Maintenant, il n’avait ni suffisamment d’elfes ni surtout le temps pour atteindre cette cité pleine d’or qu’indiquait la carte de Theyclos. Déjà deux vaisseaux humains les avaient dépassés sur l’Amaxon, avaient de l’avance sur eux, et il ne serait possible ni de les détruire, ni de les doubler. Et quand bien même, avec aussi peu de combattants, il ne lui restait qu’un espoir: se trouver un navire capable de voguer en haute mer et quitter cette jungle folle, de préférence pas tout à fait les mains vides.

     Ils remontaient le fleuve avec une lenteur frustrante, mais nécessaire pour voir venir tous les dangers qui pouvaient surgir de la jungle. Mais leur discrétion et leur sens de l’attention devaient payer.

     Sur le rebord du fleuve, une silhouette noire et autrement plus colossale que tout ce qui environnait pouvait être reconnue sans peine comme étant un navire, dont la forme, la couleur et la facture ne laissaient pas de doute sur son origine.

     « Le reaver. Splendide. Ainsi le destin nous aura guidé jusques à nos objectifs sans nous laisser vaquer en vain dans vingt vingtaines de vaines diversions.

     - J’ai peur, messire Phy’lis, que ce ne soit pas le nôtre.

     - Or ça, un autre reaver que le nôtre ? C’est donc que des nôtres se vautrent sur le fleuve hôte de nos saumâtres mésaventures. C’est qu’un corsaire sans doute est ici en quête de piller ces fameux lézards qui résident si souvent céans. J’ai entendu dire que le culte de Khaine pouvait payer des fortunes colossales à qui leur ramènerait vivant un de ces batraciens que d’aucuns appellent les slanns, car les sacrifier est acte d’une telle tremblante puissance que Khaine lui même semble danser de joie en dévorant ces âmes sénescentes. Ou alors, et lors la lorgne est de mise en ces lieux qui d’alors se présentent à nos yeux on ne peut plus dangereux : la carte au trésor qui dans cette jungle flétrie nous a par un coup du sort astucieusement conduits, s’est ébruitée en plus d’être bruyante et vibrante vicissitude du mauvais aloi d’un Theyclos mal famé mal glané enfumé. L’enfoiré.

     - Euh… quoi ?

     - Je dis : on a de la concurrence !

     - Ah… en effet je le pense.

     - Mais dans de telles circonstances, c’est plutôt une chance, pour nous, de continuer. Des compatriotes ne sauraient nous rejeter. Nous n’aurons qu’à nous intégrer, combattre à leurs côtés. Or, lorsque nous aurons surmonté le fleuve et jeté notre rapace regard sur l’aurifère cité lacustre que d’ors nous nous organisions de trouver... lors, nous aviserons.  Ces corsaires nous amèneront aux cités d’or, et le moment venu nous partagerons astucieusement le butin.

     - Je le devine, oui, messire.

     - Attirons leur attention mais attention à l’aviron.

     - Euh… quoi ?

     - J’ordonne qu’on approche leur navire, et plus vite que ça. Je vais me présenter et requérir qu’ils me laissent monter à bord pour pourparler. S’ils sont de Karond Kar, ils reconnaîtront mon allure, et s’ils ne sont pas de dernière pluie, ils sauront que dans cette jungle hostile le service de cestuy vaut mieux que de nouveaux ennemis.

     - Ah oui oui oui ! J’ordonne immédiatement qu’on les approche.

     - Et fais également allumer une torche. Je veux paraître illuminé dans l’onde proche.

     Dans la lumière et dans l’éclat inlassable et mal compréhensible de ses plumes, Phy’lis se dévoila. Debout, un pied sur la proue du bateau, l’air trop fier et assuré pour pouvoir être un ennemi, si bien que les arbalètes braquées sur lui ne décochèrent pas leurs carreaux. Pas immédiatement.

     « Messieurs, si vous êtes de Naggaroth vous aussi, accordez moi une audience ! Je suis à la recherche d’esclaves. J’ai à ma disposition des dizaines de guerriers qui ne sont qu’assoiffés de vengeance, et je devine que vous êtes mal en point à l’allure de votre vaisseau endommagé. Je sollicite donc audience auprès de votre capitaine. S’il peut mériter par quelconque moyen ma présence magnifique, nous pourrons peut-être nous entendre de Druchii à Druchii. Il y a sur ce fleuve toutes sortes de races méprisables, c’est pourquoi je dis que comme nous sommes seuls ici de la race supérieure, nous devrions au moins tenter l’entente. »

     Il se doutait qu’on l’entendait, même si les résidents du navire étaient un peu trop timides à se montrer au bastingage. Un coup d’arbalète est si vite arrivé. Mais à terme, l’effort et l’imprudence  finirent par payer…



Les cruels esprits se rencontrent

     Le rêve d’Atharti était étonnamment silencieux malgré l’activité soutenue des membres d’équipage. C’était comme si tout le monde avait cherché une raison de travailler sur le pont : certains lavaient les planches, d’autres recousaient la voile, d'autres inspectaient les balistes accolées au bastingage. Mais derrière toutes ces tâches de façade, tous prêtaient attention au centre du navire. Le butin du dernier abordage avait été rassemblé autour de la grande voile, et un contremaître effectuait l’inventaire. Rien n’était oublié: bijoux funéraires de l’ancien temps, armes décoratives, et même certaines planches de bois couvertes de feuilles d’or arrachées aux cabines intérieures. Tous les elfes comptaient leur part dans leur tête en même temps que le contremaître notait soigneusement la valeur et la nature de chaque objet.

     Sarquindi surveillait la scène depuis le château arrière. Il se délectait à la fois de la splendeur du trésor que de la pensée que les richesses qui l’attendaient au bout de l’Amaxon étaient mille fois plus grandes. Bien entendu, les dangers qui le guettaient étaient eux aussi mille fois plus grands. Le capitaine sourit en se remémorant son duel précédent. Il s’était passé comme il les aimait le plus: bref, décisif, et surtout victorieux. Contrairement à sa rencontre avec cet Asur…

     A ce souvenir désagréable, le corsaire ne put s’empêcher de poser sa main sur le ventre. Sa blessure était encore vive. Il sentit que ses doigts étaient humides. En les regardant, il vit immédiatement que ceux-ci étaient légèrement rougis. Sarquindi pesta, et s’empressa de descendre au pont inférieur. Il ne s’inquiéta pas des regards qu’auraient pu lui lancer ses marins: ceux-ci ne quittaient pas le trésor des yeux. Le corsaire fit irruption dans la cabine du médecin de bord et lui lança sèchement :

     « Kielmir ! Espèce d’incompétent ! Refaites-moi ces bandages, ceux-ci sont complètement inutiles !

     - Il ne faut pas vous étonner, répondit calmement le vieil elfe. Vous avez beaucoup trop donné dans ce combat. La blessure ne pouvait qu’empirer.

     - Silence! Un mot de plus et j’utilise ta langue pour colmater ma plaie. »

     Le médecin se tut. Il indiqua à Sarquindi une couche contre le mur de la pièce et alla chercher son matériel rangé dans le coin opposé. Le capitaine s’allongea en grommelant, et Kielmir put commencer à travailler.
     Quelques minutes plus tard, alors que le médecin terminait d’attacher les bandes, un marin fit irruption dans la pièce :

     « Capitaine, vous êtes là ! Un autre équipage approche en canots !

     - Ferme la porte, idiot ! l’apostropha Sarquindi. Si tu racontes quoi que ce soit de ce que tu as vu ici, tu ne reverras plus jamais Naggaroth en un seul morceau. »

     Le marin remarqua soudain le médecin, et les blessures de son capitaine, et ne put retenir un geste de surprise. Agacé, le capitaine reprit :

     « Qu’est-ce que cet autre équipage ? Il y a du combat ?

     - Non, pas du tout. Ce sont des naggarothii aussi.

     - Des compatriotes ? Que veulent-ils ?

     - Parlementer, visiblement.

     - Faites-les monter à bord. J’arrive.

     - Oui Capitaine.

     -  Avant de partir, va me chercher une chemise propre. Je vais rencontrer ces alliés potentiels. »

**************************

     Phy’lis et quelques marins avaient été autorisés à monter à bord du Rêve d’Atharti. Le reste de l’équipage de l’artiste attendait dans les embarcations amazones, prêts à grimper à l’abordage si les pourparlers tournaient mal. Sur le reaver, les deux groupes d’elfes noirs se toisaient,  un sourire de façade aux lèvres, et les mains posées sur la garde. Les richesses volées lors de la bataille précédente avaient été rapidement transportées dans les cales.

     Phy’lis s’impatientait. Le silence l’ennuyait. S’il avait été en charge de ce navire, il n’aurait pas hésité à corriger les quelques marins qu’il avait vu chuchoter en regardant ses sublimes plumes tout juste acquises. Et puis, quelle impolitesse de la part de son interlocuteur de ne pas se montrer! Lui qui à Karond Kar n’avait jamais hésité à faire attendre son public, il ne pouvait pas tolérer beaucoup plus longtemps cette insupportable solitude.  

     Enfin, le maître du navire parut par l’escalier du pont. D’un regard expert, Phy’lis détailla l’arrivant: habillé de vêtements neufs, le regard un peu moins banal que le reste des marins, et un sourire qui s’était sans doute voulu accueillant, mais qui dissimulait mal une malice cruelle. De son côté, Sarquindi ne parvint à cacher sa surprise que grâce à la description que ses corsaires lui avaient faite de l’arrivant. Mâchant encore les plantes que lui avait données son médecin pour faire passer la douleur, il prenait soin d’éviter tout geste qui pourrait dévoiler sa faiblesse.

     Phy’lis commença la discussion d’un ton enjoué :

     « La rencontre de votre bâtiment est une félicité au milieu de cette infinité végétale ! Je me nomme Phy’lis, grand tragédien et maître de ce ramassis de félons que l’on nomme équipage. Nous eûmes quelques mésaventures aux détours du fleuve, aussi suis-je fantastiquement heureux de pouvoir marcher sur le bois naggarothii d’un navire peuplé de ce qu’imagine volontiers être de futurs amis. Puis-je avoir l’honneur immense de connaître l’identité de mon généreux hôte sur ce fleuron de la flotte de notre grandiose roi-sorcier? »

     Déstabilisé par la verve du tragédien, Sarquindi répondit bien plus sobrement:

     « Vous êtes sur le navire du capitaine Sarquindi. Que faites-vous en Lustrie? Où est votre bateau ?

     - Nous sommes partis en quête d’une légendaire source de richesses et d’abondance que l’on trouverait au cœur de cet entremêlement d’arbres et de lianes. Hélas, trois fois hélas, alors que nous naviguions sur les eaux magnifiques de ce fleuve, il nous advint une mésaventure que mon second va vous conter car je ne puis souffrir de revivre par la parole les désastreux évènements qui nous prirent de court au détour des méandres de notre aventure. Vehiyash, narre à nos camarades les affres par lesquels nous sommes passés!

     - Euh… Oui, oui, hésita le récemment nommé second. Nous avons été attaqués par des humains, deux fois. Chaque fois nombreux et bien armés. Nous avons pu nous échapper mais notre reaver a été laissé sur place. »

     Un éclair de douleur aida Sarquindi à retenir son rire, et il ne laissa paraître qu’un tressaillement.

     « Et donc, vous recherchez mon aide pour récupérer votre bâtiment, c’est cela? C’est que nous avons une autre priorité, pas vrai les gars? »

     Les corsaires autour de lui approuvèrent en ricanant. Phy’lis ne se laissa pas démonter et reprit:

     « Je conçois et comprends que nos soucis matériels ne vous concernent en rien, cependant nous sommes loin de venir les mains vides, car celles-ci manient au moins aussi bien le sabre que les vôtres ! De plus, nous avons pu voir à la triste allure de vos voiles que vous mêmes n’êtes point indemnes. Unissons nos forces, amis comme nous débarqués des terres nordiques. Avec vos lames jointes à la danse des nôtres, nous n’aurons aucun mal à remporter victoire sur victoire sur les pathétiques êtres inférieurs qui osent flotter dans ces eaux que nous bénissons de notre présence druchii. Les esclaves nombreux, et l’or toujours promis au bout de la route nous rendront tous les deux plus riches que dans nos rêves.

     - Vous tombez bien, je dois l’avouer. Et vos yeux ont vu juste. Nous avons rencontré un navire de ces haïssables asurs. Si nous les rattrapons, vous aurez les survivants comme esclaves, et leur navire.

     - Des rejetons d’Ulthuan? Des serviteurs du traître roi phénix? Quelle horreur, et en même temps quelle chance! Sur les marchés de Karond Kar, ils valent fort cher, tant vifs, qu’à vif, que mort qu’à mettre à mort! Où sont donc ces ennemis à qui nous allons apporter le salut ou les cales?

     - Cet enthousiasme me fait plaisir, allié! Que vos soldats viennent à bord. Nous ne devons pas tarder à nous remettre en route si nous voulons les rattraper. »

     Sarquindi tendit la main à Phy’lis. Celui-ci la serra énergiquement avec un grand sourire. l’artiste conclut:

     « C’est un plaisir de conclure un accord avec vous, mon cher et grand ami. Notre collaboration est vouée à la réussite.»



Entre enfants d’Asuryan, il faut s’entraider

     Yelmerion naviguait tranquillement sur le fleuve, les batailles résonnaient de part et d'autre, elle n’était donc pas la seule en ces eaux. Au bout de quelques heures, une bonne nouvelle, un pavillon asur à l’horizon. Les Yvressii et les Cothiquii se saluèrent. Yelmerion et Prestelance débarquèrent sur la côte, installant leurs camps à côté. Les deux commandeurs se présentèrent dans les plus pures traditions asurs, les hauts elfes d’Yvresse participèrent ainsi à l’aide aux blessés et à la réparation du bâtiment de Cothique.

     Loué soit le Créateur pour avoir permis cette rencontre !

     Ces quelques mots pouvaient assez bien résumer l'état d'esprit du prince de Cothique, suite à l'apparition et à la prise de contact avec cet autre équipage d'Ulthuan. Aetholdyr n'en fut que plus ravi et honoré quand il apprit que la noble dame qui dirigeait ce vaisseau n'était autre que Yelmerion l'Argentée : pair d'Yvresse et nièce d'Eltharion le Sinistre en personne! Un des plus grands héros asurs s'il en est! Ce fut ainsi que les deux navires et leurs équipages s'allièrent pour créer une expédition, dont la puissance ne pouvait qu'égaler la noblesse de ceux qui la dirigeait.

     Une fois le Conseil de Guerre rassemblé, le prince de Cothique fut le premier à parler, expliquant à Dame Yelmerion et son état-major son précédent affrontement avec ce corsaire décadent de Naggaroth, racontant bien évidemment sa victoire sur ce dernier. Aetholdyr fit aussi part de ses observations et de ses remarques sur la composition et le comportement de leurs sombres cousins lors de l'abordage.

La Route d'Eldorado - Page 2 Rgerg10

     Puis ce fut au tour d'une étrange mage de prendre la parole. Le prince Prestelance et ses suivants se figèrent alors que celle-ci proposait un plan, avec semble-t-il une très bonne connaissance des druchii et des morts-vivants...une trop bonne connaissance peut-être...

     En Ulthuan, les magiciens du royaume de Saphery avaient toujours été réputés pour leur excentricité surprenante. Cependant, chez cette sorcière, il y avait quelque chose de douteux, voire d'obscur à son sujet....
     Toutefois, l'intervention de la princesse d'Yvresse à son sujet rassura un peu son homologue.
Après tout, bon sang ne saurait mentir, pensa le prince en écoutant les explications de Dame Yelmerion.

     À la sortie du Conseil, après s'être fait bousculer par cette guerrière-fantôme, Aetholdyr, de nature intraitable, eut l'envie d'aller la retrouver afin de lui apprendre la politesse. Mais c'était sans compter sur l'Argentée, intervenant une fois de plus et lui expliquant pourquoi elle se comportait ainsi.
Il fallait dire que chez la plupart des hauts-elfes, les aesanar de Naggarythe étaient considérés comme assez sombres, sinistres, voire même pervertis, et ce même après la Déchirure ayant entraînée l'exil du Traître et de ses sbires:

     "Écoutez, Dame Yelmerion, répondit Aetholdyr en haussant légèrement ses sourcils, Je dois vous confier que votre équipage est...d'une diversité singulière... poursuivit-il sur un ton poli, mais peu importe, cela ne nous empêchera pas de triompher sur ce petit ramassis de dégénérés, fit ensuite le prince avec une fierté et une superbe toutes elfiques, N'ayez crainte, Puissance, Vertu et Destinée sont à nos côtés. Les dieux nous gardent, j'en suis persuadé, continua-t-il, hochant légèrement la tête pour appuyer ses propos.
     "Bien, avec votre permission, puis-je prendre congé de vous et retourner en ma nef pour les préparatifs?"

     Et c'est ainsi que les pairs d'Ulthuan se séparèrent, retournant dans leurs navires. Nul doute que le jour qui suivra verra une glorieuse victoire pour les enfants d'Isha...

***
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Dim 21 Fév 2021 - 17:39

Prédateurs, Proies

     Le soleil n’était pas encore levé sur la jungle. Dans le silence de la nuit tardive, les bêtes de la jungle se pourchassaient les unes les autres. Mille drames animaux et végétaux se jouaient dans l'indifférence de tous. La jungle n’était que meurtres silencieux, traques invisibles.

     Une flottille de pirogues amazones descendait le fleuve. Les petites embarcations longeaient la berge, se camouflant de la lune dans l’ombre des grands arbres. A bord des frêles esquifs, pas une guerrière de Lustrie, mais plusieurs douzaines de féroces pirates elfes noirs. Ils avaient enroulés leurs armes de chiffons pour masquer tout bruit. Tous se tenaient couchés, ne donnant que de prudents coups de rame pour avancer vers leur proie.

     Devant eux, deux grands navires elfiques étaient amarrés l’un à l’autre , les voiles baissées. Ils avaient jeté l’ancre dans un coude du fleuve, à l'abri des caprices du courant. La plupart des hauts elfes étaient assoupis, rassurés par la présence de leurs compatriotes de l’autre navire. Seuls quelques gardes aux cimiers d’argent dépassaient des bastingages blancs.

     Les druchii s’arrêtèrent dans les mangroves pour observer les asurs à quelques centaines de mètres seulement. Un nuage passa devant la lune, assombrissant les eaux du fleuve aux yeux des gardes hauts elfes. Un elfe noir donna un signal et les corsaires se relevèrent soudain pour ramer énergiquement droit sur leur cible.

     Les pirogues touchèrent la coque du navire le plus proche quelques instants plus tard. Avec des gestes experts, les druchii lancèrent plusieurs grappins et commencèrent à escalader le flanc du bâtiment. Deux hauts elfes un peu trop vigilants basculèrent par-dessus bord, un carreau d’arbalète au milieu du front. Leurs corps furent attrapés dans leur chute par les elfes noirs qui les allongèrent dans leurs embarcations sans un bruit.

     Sarquindi grimpa à son tour. Ses blessures au ventre étaient comprimées par des bandages serrés, et il avait pris avec lui plusieurs rations de potions. Celles-ci supprimaient toutes ses douleurs, mais le médecin de bord avait aussi prévenu le capitaine corsaire que sa perception du danger risquait d’être réduite. Peu importe, pensait le corsaire, il n’en avait jamais eu. Un elfe monta du pont inférieur. Sarquindi  se jeta sur lui et le cloua de sa lame contre le bois du bateau.

     Les quelques elfes noirs déjà à bord exécutèrent les dernières sentinelles, puis traversèrent le pont des bâtiments elfiques pour faire descendre une dizaine de cordes le long de la coque de l’autre côté. Sarquindi marcha alors jusqu’au bastingage et fit un signe en direction du rivage. Aussitôt, la jungle vomit le reste des corsaires. L’équipage de Sarquindi et les guerriers de Phy’lis sortirent de l’ombre des arbres en portant d’autres pirogues qu’ils mirent immédiatement à l’eau. Une vague sombre s'apprêtait à engloutir les deux navires blancs.

     Les corsaires montaient à bord,se glissaient par les portes ou grimpaient aux échelles de corde. Chaque seconde, un nouvel asur s’effondrait, frappé dans le dos dans un couloir ou la gorge tranchée dans son sommeil.

     Sur la berge, Phy’lis jubilait.

***************************

     Les corsaires sortirent de la forêt armes aux poings et coururent le plus silencieusement possible vers les navires asur. Des traits furent lancés sur les sentinelles, il ne restait qu'une centaine de mètres lorsqu'une sentinelle se prit un carreaux et tomba dans l'eau faisant "plouf" ; deux secondes plus tard, l'alerte sonna dans le camp et les asurs préparèrent une ligne de défense. Yelmerion sortit de sa cabine, elle sortait d'une réunion avec Prestelance de Cothique, les deux portaient encore leurs armures. Rejoignant la première ligne, Yelmerion se tînt prête à recevoir les druchii.

***************************


     « Une, deux, trois… que le spectacle commence ! »

     Les elfes étaient capables de s’élancer avec une agilité et une célérité terrifiante, à même de glacer le sang, comme s’ils étaient les avatars de la grâce la plus démente. Des cris n’eurent pas été plus rapides que ce ballet de bateleurs enchantés qui bondirent de la jungle en déversant leurs nuées de dards sadiques sous la forme de salves d’arbalète. Phy’lis avait recruté la lie de Karond Kar, des vauriens et des ratés, mais il en avait fait quelque chose. Son aura théâtrale et sa beauté surnaturelle forçaient les cœurs à de plus redoutables efforts.
     Un esthétisme frappant se dégageait de leurs mouvements, de chacun de leurs gestes, de leurs bonds, de leurs pas, de leurs tirs ; car avec Phy’lis ils étaient la part d’un carnaval ambulant, d’une compagnie théâtrale sanguinaire et anticonformiste. Point décadente, non. Phy’lis aimait la chair, les plaisirs, la sensualité, mais pas le relâchement sur les questions artistiques. Il savait faire d’une comédie une œuvre sérieuse, à la représentation aussi glauque et saisissante que l’étaient ses diatribes publiques à Karond Kar. Il était de ceux qui caressent les dictateurs et crachent sur les tyrans. Il était d’un art osé et méticuleux, parfait sans être avant-gardiste, original sans se supporter lui-même. Il était fou de théâtre, il était fou de guerre, il était fou de dévorer la chair et de torturer. Il était à la pointe de son assaut, boule multicolore et brasurée se dandinant dans des ambitions de violence.

     « Par Khaine ! Voici notre scène ! Veillons à divertir les dieux ! »

     La marée de capes de dragon des mers se mouvait en un délicieux désordre qui cachait une harmonie planifiée, des mouvements gracieux par lesquels on évitait les flèches adverses et rendait la progression plus imprévisible. Le navire de Prestelance était là, à portée de main, et Phy’lis sentait d’ici l’odeur des asurs et de leur chair blanche qui ne demandait qu’à être écharpée.

« Ô glorieux sacrifice de sang qui de ces lieux s’en va jaillir !
Je prédis que la mort va frapper,
et vous vous en allez gésir.
Ce sera de toute beauté ! »

     Ils bondissaient déjà sur les navires d’Ulthuan. Ces vaisseaux gracieux avaient accueilli une flopée de grappins avides et avares, et des pirouettes de trapézistes permirent aux corsaires de se jeter au corps à corps alors que certains d’entre eux s’arrêtaient sous l’ombre du navire pour décocher tous les carreaux qu’ils pouvaient contre les vaillants défenseurs. Des corsaires tombaient raides morts à chaque seconde, mais cela ne parvenait pas à effrayer des créatures aussi égoïstes et obsédées que les elfes noirs. Des traits les fauchaient dans des cris, mais ils se savaient assez nombreux, et se croyaient chacun assez habile pour se tirer vivant de ce combat. Tous les hauts elfes n’étaient même pas encore montés sur leur pont, que les elfes noirs s’y étaient déjà invités. Phy’lis ne put s’empêcher de se donner en spectacle, debout sur le bastingage en lançant :

     « Oh, rendez-vous compte de l’honneur que vous fait Khaine en vous offrant la chance de périr et de souffrir par la main d’un être aussi beau que moi, et dans l’exécution d’un spectacle aussi merveilleux que celui que nous vous proposons. Allons, essayez de m’abattre, vous verrez que le script a déjà été écrit par Khaine lui-même et que tous vous êtes destinés à pâtir entre mes mains sans espoir d’y échapper. »

     En effet, les flèches dirigées contre lui eurent la fâcheuse tendance de le manquer, sans que cela soit une décision du destin et encore moins de Khaine. Le fourbe tragédien s’était entouré d’une aura déroutante avec ses plumes dans lesquelles étaient accrochées subtilement des tiges de fumigènes auxquels il bouta le feu en montant sur le navire. Des fumées multicolores montèrent, de sa tête, de ses épaules, de ses flancs et même de ses bottes, l’encerclant comme un bouclier démoniaque. Il exécuta des pas de danse qui ne firent que répandre ces volutes autour de sa splendide silhouette. Voilà à quoi il ressemblait quand on lui laissait le temps et le loisir de se préparer au combat, un démon sur le champ de bataille, un spectacle de sons et lumières à lui seul, un fumeux fumiste fanfaronnant non sans forfanterie, faisant figurer des forfaits toujours plus farfelus et effrontés.

     Des flèches, bien sûr, le touchèrent, hésitantes et mal dirigées, mais les mailles qui étaient rendues invisibles par son plumage ne faisaient que le faire paraître invincible. À lui seul, par son numéro glorieusement ridicule, il attira l’attention et la consternation des asurs qui dans un élan colérique concentrèrent leur hargne et leur juste mépris à bannir cette chose ricanante et détestable qui souillait de sa présence le pont de leur navire, mais cela ne fit que permettre aux corsaires d’avoir plus de répit pour grimper en hâte avec pavane et dantesque joie, s’émerveillant aux éclats en découvrant les visages colériques de leurs ennemis de toujours qui semblaient attendre d’être massacrés par leurs soins. Un délicieux combat s’annonçait, mais un grain de sable vint jeter à bas la machine que ces joyeux acrobates de cirque sanguinaires avaient érigée sur le podium de leur spectaculaire représentation. Sur le pont, organisant la riposte face à cet assaut soudain, un héros en armure rutilante, si blanc que cela en choquait la vision, apparut dans son champ de vision. Le capitaine en personne irradiait tant dans son immaculée blancheur qu’en comparaison le plumage féérique des vêtements de Phy’lis pouvait ne ressembler qu’à une terne et vile tentative qu’un chaotique ferait pour ressembler au ramassis vomitif qu’un corbeau des désolations deviendrait en laissant son noir se diviser en flagrantes vomissures.

     Le comédien n’avait jamais paru aussi noir qu’en comparaison du prince Aetholdyr Prestelance. Gracieux et imposant comme un séraphique paladin. Phy’lis se sentit immédiatement et instinctivement menacé par cette apparition, sifflant en se drapant de sa cape multicolore où une seule teinte manquait cruellement : le blanc.
     Son visage violacé de rage et noirci par son ascendance sauvage parut ressortir en même temps que sa colère. Pourtant, dans ses yeux rouges sangs, un éclat semblable à celui du rire se manifesta. Nul ne sut jamais pourquoi, il susurra en un couinement langoureux une phrase en reikspiel, cette langue humaine. Une phrase qu’il connaissait et trouvait agréablement bien servie à cette situation. Quel elfe aurait su dire ce que cela voulait dire. En tout cas, cela ressemblait à des vers.

     Il ricana puis reprit en langue elfique.

     « Vous… délicieuse entrave à ma gloire… venez… dansons ensemble pour le plus grand plaisir de Khaine… dansez avec moi… et priez donc le dieu du sang que je ne vous prenne pas vivants ! »

     Le prince répondit par la probité et le flegme guerrier de sa lignée. Cette créature venait de révéler un aspect plus flou et mal constitué de sa nature, opaque et translucide à la fois. Cet elfe noir en devenait dégoutant. Qu’à cela ne tienne, il fallait le tuer en tout cas, même si à première vue il ne semblait pas dangereux. Assez sûr de lui, bouclier et lance prêtes, il se précipita au combat avec l’idée d’en terminer rapidement.

     Phy’lis bondit dans toutes les directions les unes après les autres. La lance pourtant redoutablement foudroyante du prince n’arrachait que des plumes, car la parure et les fumées qui enrobaient la plantureuse silhouette de Phy’lis ne cessaient de tromper le regard et les sens. Le prince pouvait même se demander si oui ou non ses attaques touchaient sa cible, pour se rendre compte que celle-ci sautillait déjà sur son autre flanc avec des rires enfantins en récitant comme un poème alors que la lance cherchait à tout prix à le transpercer :

« Ô, voulez-vous voir le lit en flammes?
Voulez-vous descendre dans votre peau et vos cheveux ?
Vous souhaitez également coller le poignard dans la feuille.
Vous voulez aussi lécher le sang de votre épée ! »

     Puis s’ensuivait un ricanement et Phy’lis lui tirait la langue, ce qui n’était que pour mieux camoufler qu’il tirait son poignard. Un coup fut aisément paré par Aetholdyr, un second plus par miracle, mais au troisième Phy’lis parvint à se glisser si proche du prince que sa lance ne pouvait plus menacer le tragédien, et la lame de sa dague sembla se rendre éthérée pour toucher la chair sans réellement en avoir acquis le droit. Ou bien était-ce que le coup était trop rapide et la situation trop préoccupante pour que le prince puisse se soucier de deviner où il avait été touché ? En tout cas, une douleur le lança, mais il n’en montra rien, repoussant le comédien d’un coup de bouclier. Phy’lis le contempla avec hargne, grimaça, et continua de chantonner :

« Ô, vous voyez les plaies sur l'oreiller,
vous pensez que vous pouvez embrasser l'innocence,
vous pensez que tuer serait difficile
Mais d'où viennent tous les morts ? »

     Il semblait presque en transe, se remémorant les paroles d’une étrange tirade aux vers tortueux, qui en elfique sonnaient comme des menaces et des avances en même temps. En vérité, réciter ce texte lui donnait à la fois un aspect terrifiant, mais surtout permettait à son esprit de se concentrer sur la musicalité et la danse plutôt que sur la haine, la colère et la jalousie qui autrement auraient pu le mener à faire des pas bien trop empressés et virulents dans sa volonté capricieuse de voir le prince asur mordre la poussière.

     Il recommença son attaque, avec un nouveau tempo pour dérouter l’adversaire, se glissant jusque vers son visage pour l’aveugler de ses fumigènes scabreux, puis s’en retournant d’une pirouette dansante après avoir asséné un coup de dague venimeuse. Le prince asur ne se laissait pas avoir par tous ces futiles artifices. Il repoussait les attaques, et patientait pour l’occasion de frapper avec sa lance, parfaitement conscient que son ennemi finirait forcément par faire un mauvais pas.

     Ce mauvais pas vint : Phy’lis, comme un clown, marcha sur une des plumes de son costume. Il en fallait plus pour faire réellement trébucher un elfe. Mais le coup de lance de Prestelance n’avait pas besoin de plus que de la seconde de désorientation de Phy’lis alors qu’il venait d’échouer dans un de ses pas. La lance transperça des plumes, qui volèrent en tous sens, ne laissant que pour un regard acéré la vue des gouttes de sang qui perlaient dessus.

     Phy’lis avait bondi en arrière, tel un couard. Son visage grimaça dans la haine la plus grande qui soit, mais cette bouche haineuse se fendit en un sourire alors que du sang gouttait sur le sol.

     « Aha ah ! Ne sais-tu pas ce qu’est la guerre ! »

     Il commença à tournoyer sur lui-même en lançant des filets de fumée tout autour qui l’enrobèrent comme des tentacules voluptueux. Prestelance voulut en profiter pour attaquer, mais il soupçonnait une quelconque ruse. Alors il prépara sa lance, guettant le mouvement qui approcherait sa cible pour frapper avant d’être à portée de la dague.

« L’amour, c’est la guerre !
L’amour c’est la guerre !
Et je vous hais ! »

     Et le nuage de fumées et de plumes arrachées s’envola, en même temps que Phy’lis détalait par surprise. Décidément, cet adversaire était un peu trop coriace pour lui. Il l’avait blessé plusieurs fois avec sa dague empoisonnée, et s’était imaginé que cela suffirait, mais visiblement ce vil haut elfe était par on ne sait quel moyen capable de résister à ce venin. Peut-être n’avait-il pas assez remis de l’enduit sur sa lame après la bataille contre les singes de la jungle, les humains. Il se rua vers le côté opposé du navire, cherchant peut-être un moyen de se rendre utile à la bataille d’une autre manière. Pour s’assurer de ne pas avoir perdu la main, il égorgea par surprise deux archers asurs, s’ouvrant ainsi la voie vers l’autre navire, où il put apercevoir Sarquindi se battant avec une femelle asur. Une princesse elle aussi ? Il les observa plus attentivement, cherchant à repérer si la proie de Sarquindi était plus forte ou non que la sienne.




Du sang pour Khaine, des larmes pour Isha

     La Garde Argentée forma rapidement une ligne, derrière laquelle les archers asurs se réfugièrent, les traits commencèrent à tomber sur les corsaires. Les gardes des portes formèrent la deuxième ligne, prête à renforcer la première. Au milieu de la ligne, Yelmerion donna l’exemple et embrocha un elfe noir, accomplissant le premier sang. Elle enchaîna rapidement sur un deuxième qu’elle décapita.

*******************************

     Les affrontements s’étaient généralisés sur l’ensemble des deux navires elfiques. Désormais, des ponts inférieurs surgissaient des vagues d’asurs prêts à défendre chèrement leurs vies. Les corsaires continuaient à grimper aux bastingages. Dans les deux camps, chaque perte était immédiatement remplacée par un nouveau guerrier, la haine dans le regard et l’arme tirée.

     Sarquindi venait de sabrer un archer dans le château arrière. N’étant pas immédiatement menacé, il se baissa et enfonça ses doigts dans l’orbite de sa victime, en retira l’œil et le porta à ses lèvres. Il en goûta la surface avant d’y croquer à pleines dents.

     En dessous de lui, les soldats d’élite de la troupe asure venaient de surgir sur le pont. La garde d’argent, lourdement équipée, forma rapidement une ligne derrière laquelle les archers asurs se réfugièrent. Les traits commencent à pleuvoir sur les corsaires. Plusieurs d’entre eux furent criblés de projectiles l’instant d’après, avant d’avoir eu la moindre chance de trouver un couvert.

     Voyant le semblant de ligne de bataille que les hauts elfes tentaient de former, plusieurs druchii se regroupèrent et lancèrent un assaut contre le mur de bouclier de leurs cousins d’outre-mer. La violence du choc disloqua la ligne, mais coûta cher aux assaillants: huit d’entre eux furent rapidement transpercés par les lances. Les autres parvinrent à ôter la vie de plusieurs lanciers avant d’être repoussés par les moulinets de l’épée de Yelmerion. Un elfe noir se jeta sur elle mais fut décapité par un autre mouvement de la lame tourbillonante de la noble d’Ulthuan.

     Sarquindi, pourléchant ses doigts couverts de sang, se releva. Il remarqua immédiatement la cheffe asure dans la mêlée et esquissa un rictus cruel. Il sauta face à Yelmerion. Contrairement à son nouvel allié, Sarquindi ne parlait pas en combattant. Sa lame parlait pour lui. Une première attaque fut parée in extremis par l’asure qui tituba sous la violence du coup. Une seconde ne rencontra que l’air. Au troisième coup, le corsaire écarta l’épée de son adversaire mais celle-ci parvint à se baisser pour esquiver la frappe. Un coup de genou dans le côté la fit malgré tout rouler sur le côté. Le tumulte du combat sépara alors les deux adversaires.

     Frustré par la résistance imprévue de la noble, Sarquindi se jeta sur un lancier proche et l’éventra de bas en haut. Il ne vit qu’au dernier instant que Yelmerion le chargeait. Le druchii évita l’assaut d’un pas de côté et se remit immédiatement en garde. Les deux enchaînèrent les passes d’armes sans parvenir à prendre l’ascendant. L’acier de naggaroth passa plus d’une fois à un cheveux de la tête d’Yelmerion, mais celle-ci parvenait à tenir à distance les attaques les plus dangereuses par les mouvements de son épée à deux mains.

     Un tir de carreau perdu sépara les duellistes qui s’écartèrent à nouveau. D’autres traits venus de l’autre bout du pont se plantèrent autour des combattants. Un soldat asur profita de ce bref répit dans le duel des deux capitaines pour tenter de s’interposer. Sarquindi lui planta sa lame dans le palais et dégagea le corps d’un coup de pied. En relevant les yeux sur la noble d’Ulthuan, il la vit retirer son épée du corps d’un corsaire.

     Ce fut alors que Phy’lis fit irruption au travers de la foule.  Le comédien attira l’attention de Sarquindi en pointant un combattant à l’autre bout du navire. Celui-ci haranguait ses troupes et mettait à rude épreuve la garde d’un marin druchii. Son armure immaculée et son grand heaume blanc irradiaient de lumière dans les ténèbres de la nuit. Le capitaine corsaire reconnut aussitôt celui qui l’avait blessé lors de l’abordage deux jours plus tôt. Son sang ne fit qu’un tour. Délaissant sans même un regard la jeune elfe qu’il affrontait un instant plus tôt, il se rua à l’assaut d’Aetholdyr, qui combattait à l’autre bout du navire.

     Phy’lis regarda son allié de fortune s’éloigner, puis se tourna vers Yelmerion avec une révérence.

     « M’accorderiez-vous cette danse fortuite ? J’ai ouï dire que votre vie était à prendre, et il se trouve que ma lame manque de compagnie »

************************************

     Yelmerion finit par tomber à terre ; elle exécuta une roulade, pensant esquiver un coup mortel, mais une guerrière fantôme se tint entre elle et sa mort. La princesse reconnut immédiatement Kallemmensha avec son bouclier d’obsidienne. Animée par la colère, l’aesanar repoussa facilement l'assaut d'un autre druchii. La commandante analysa la situation pour trouver le point faible des elfes noirs.

************************************

     "L'échec est interdit ! Ne cédez pas, soldats !!"

     Au beau milieu du chaos, des combats, des lames qui chantent et s'entrechoquent, des flèches qui sifflent, des cris de guerre et des râles d'agonie ; au beau milieu de tout cela se tenait Aetholdyr.

     Le prince de Cothique avait perdu de sa superbe, criant, s'époumonant tout en donnant des ordres à ses troupes, avec une fougue à peine maîtrisée. Le flegme avait définitivement abandonné son esprit, désormais habité par la hargne et la culpabilité.

     "Archers! Tirs à volonté! Tirs à volonté, bon sang !!" ordonna-t-il, plus qu'énergique dans son ton.

     Sa patience avait été entamée, son orgueil avait beaucoup trop été froissé. L'aube approchait, et pourtant l'avenir s'assombrissait.

     D'abord il y avait eu cette embuscade, aussi soudaine qu'imprévue, le prenant de court lui et ses hommes, plongeant tout le navire dans la confusion.

     Ensuite, il y avait eu ce grotesque emplumé, qui l'avait littéralement abordé avec ses mots comme avec ses lames. Ce comique, avec ses tirades grandiloquentes, s'était sûrement crû dans les amphithéâtres de Lothern, à se dandiner dangereusement dans son costume, tout autour du noble.

     Toutefois, ce dernier avait fini par lui faire comprendre que la situation était bien plus sérieuse et tragique qu'il ne le croyait.

     Oui, il le lui avait fait comprendre, mais pas de manière définitive...

     Quelle honte.
     Comment ne l'eut-il pas tué ? Comment lui, un Grand de Cothique, un fier guerrier à l'entraînement de plusieurs siècles, avait-il pu laisser ce dégénéré échapper à son destin ?
     Il fallait effacer cette humiliation.

     Subitement, Aetholdyr tourna la tête dans tous les sens.

     Plus il regardait autour de lui, plus il voyait que la situation était précaire, voire franchement mauvaise.
     Partout sur le navire, les hauts-elfes semblaient débordés, isolés, tentant tant bien que mal de repousser les vagues d'assaillants druchii. Les asurs combattaient dos à dos, ou bien dos aux bastingages, aux murs, quand ils n'étaient pas dos au sol, déjà morts.

     En cet instant crucial, plus que les ordres, plus que les mots, ce sont les actes qui comptent. Avec le prix du sang, peut-être que le prince pourra racheter son honneur...

     Au milieu de tout ce tumulte, il aperçoit alors cinq gardes maritimes, coincés au niveau de la proue, se battant bec et ongles, avec acharnement face à sept squales de Naggaroth.
     Réfléchissant à peine, relevant son bouclier, abaissant sa lance, poussant un grand cri de guerre ; c'est avec une hardiesse insoupçonnée que le prince de Cothique fonce sur eux, les percutant sur leurs flancs, les prenant au dépourvu:


     "Courage!" cria-t-il, donnant un grand coup de bouclier à l'un d'entre eux, le déstabilisant, le projetant au sol pour ensuite lui planter sa lance dans la gorge.
     "Ténacité!" continua-t-il, tuant un deuxième squale, l'empalant, le transperçant de part en part avec son arme au niveau du torse.
     "Abnégation!" conclut-il, son arme fendant l'air, se figeant dans le ventre d'un autre corsaire qui tomba à genoux, grimaçant de douleur avant de mordre la poussière, le prince lui donnant un ample coup de pied, retirant par là même sa lance de son corps, désormais sanguinolente.

     A six contre quatre, motivés et soutenus par leur seigneur, les hauts-elfes prirent l'avantage, ne tardant pas à occire promptement les druchii restants.
     De suite après, avec rapidité, les gardes de Lothern s'alignèrent sur leur chef, comprenant instinctivement ce qu'il attendait d'eux.
     En une seconde, au milieu des combats et des clameurs, les boucliers se levèrent et les lances se baissèrent silencieusement ; en un clin d'œil, dans un grand claquement, les écus se vérrouillèrent simultanément, formant ainsi un début de phalange.

     Tout n'était pas perdu, pas maintenant, pas encore.
     Les enfants d'Isha peuvent plier, mais ils ne rompent pas. Jamais.

     Avançant pas à pas sur le pont du navire, animé par un prince et des gardes austères comme déterminés, le mur de boucliers se porta au secours des autres guerriers asurs qui, envers et contre tout, se battaient encore sur le pont.
     Les attaques des corsaires naggarothii, fulminants, ivres de rage, s'écrasèrent contre la phalange des gardes disciplinés d'Ulthuan, galvanisés par la présence de leur prince.

     "Hardi soldats! Hardi!
     Prêts à l'action!
     Prêts au combat!
     Prêts pour notre nation!
     Prêts au trépas!!"

     Les paroles d'Aetholdyr résonnèrent sur toute la nef, et ceux qui l'entendirent redoublèrent d'ardeur dans leur défense.

     Non. La défaite ne les accablerait pas, pas aujourd'hui.

     Dans ces affrontements, dans cette boucherie semblant sans fin, la formation tient bon.

     Du sang, beaucoup de sang est versé, des écus sont défoncés, des lances sont brisées, mais la volonté, elle, reste intacte. Petit à petit, l'offensive des druchii est encaissée, voire même contenue.
Alertés par les bruits du combat, d'autres asurs surgissent ainsi des entrailles du navire, armés, armurés et parés à en découdre. Ces renforts, plus que précieux, rejoignent rapidement la phalange, verrouillant à leur tour leur boucliers ; ou bien ils se postent sur la dunette, bandant leur arcs avec célérité, lâchant des volées de flèches sur les corsaires, perturbant désormais leur assaut avant même qu'il n'atteigne le mur de boucliers.


     Courage ; Persévérance ; Discipline: voilà ce qui ferait pencher le sort du combat en faveur des ulthuanii. Le prince savait cela, et malgré la situation incertaine, il était persuadé que la victoire lui reviendrait grâce à ces qualités.

     Quand soudain, une nouvelle vague, une nouvelle charge des druchii s'abattit sur son vaisseau.
Le choc et l'affrontement qui s'ensuivirent furent encore plus sauvages, brutaux et meurtriers que les précédents.
     Dans un grand fracas, avec une violence inouïe, la plus amère des haines se heurta à la plus inflexible des résolutions.

     On se battait sur un plancher gorgé de sang, et plus seulement pour vaincre, mais aussi pour tuer, pour exterminer son adversaire. Dans les deux camps, on hurlait désormais à mort, on se rouait de coups, on se combattait tout en piétinant les blessés et les mourants sous ses pieds.
     Beaucoup d'elfes noirs moururent, percés et lardés de coups de lances ; mais de nombreux hauts-elfes connurent aussi le même sort, tellement en fait que le mur de boucliers faillit céder face à cet assaut semblant implacable.

     Très vite, le prince de Cothique reconnut celui qui menait cette attaque. Un mélange de dégoût et de mépris s'empara alors de lui.

     Contre toute attente, ce sale traître, dont les ancêtres pervertis avaient partagé le même air et les mêmes terres que ceux d'Aetholdyr, était encore en vie.

     Comment ce maudit bâtard a survécu à la cuisante défaite que le prince lui avait infligée plus tôt ?
Un corsaire se jetant sur lui, Aetholdyr n'eut pas le temps d'approfondir cette question.
     Un pas de côté, et la lame du squale ne fendit que l'air ; un coup de bouclier, et l'elfe se retrouva sonné, à terre ; un coup d'estoc dans le cœur, et l'adversaire n'était plus.

     Tout ceci attira l'attention du capitaine des druchii, qui reconnut alors le prince.
     Au beau milieu de la mêlée, les deux personnages se toisèrent d’un regard des plus noirs.
     D'un geste vif, Aetholdyr lâcha son bouclier, le laissant tomber à terre, se saisissant de sa lance à deux mains, resserrant sa prise sur la hampe de son arme alors qu'il faisait un pas dans la direction de sa némésis.

     L'existence de ce capitaine était une infamie à elle seule, sa mort n'était donc pas une nécessité, mais un devoir. Et la véhémence envahit le prince à l'idée de l'accomplir.

     "Meurs, charogne !" s'exclama-t-il, impétueux, avant de se précipiter sur son opposant, qui fit de même.
     L'affaire était désormais personnelle...

********************************
     « Cette fois-ci, druchii, ce sera le cœur ou la gorge ! »

     Sarquindi s’aperçut avec une joie suffocante de cet énervement passager mais fatal de l’asur ; il lui fallut faire preuve d’un art martial proprement diabolique pour esquiver l’estocade experte du prince à la dernière seconde, la pointe de sa lance lui laissant une profonde entaille au cou. Entaille profonde et douloureuse mais ô combien lointaine de lui ôter la vie… (Aetholdyr : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 2 PV !!)
     Lui-même n’allait pas rater sa proie, oh que non, sa propre lame filant droit vers la trachée exposée du prince… qui se déroba en arrière, dans une chute disgracieuse, lâchant sa lance, tout pour s’éloigner de ce fil d’acier qui allait le tuer… Il finit dos à terre, complètement à la merci du corsaire, lisant dans le regard de celui-ci une seconde d’hésitation, une éphémère tentation vaniteuse de glisser quelque toxique remarque avant le coup de grâce… (Sarquindi : 5T, 1T annulée, 4T, 4B, 1 invu, 3 PV !!!)

     « ISHA  ET  KHAINE !! »

     Sarquindi manqua d’être empalé par trois lances d’un seul coup, effectuant une roulade latérale qui lui valut une retraite salvatrice vers le bord du navire où ses corsaires continuaient d’affluer. Dans une rage impuissante, il ne put qu’assister à la formation d’un mur de boucliers asurs autour du prince qu’il avait terrassé et raté d’un cheveu.

     Aetholdyr ramassa sa lance et voulut ordonner à ses lanciers de lui faire place mais, à son ultime consternation, constata que ses jambes le supportaient à peine, tant son corps avait senti son existence menacée ; ses doigts tremblaient également, son cœur ratait des battements, sa respiration était haletante. Invoquant la sagesse de ses ancêtres à son aide, le prince de Cothique profita du bref répit que lui accordèrent ses elfes aussi longtemps qu’il le put.

     Le duel des deux commandants parut presque décupler la violence des affrontements sur le pont ; dans le chaos des lames et des projectiles, Khaïne s’emparant petit à petit de tous les esprits, le prince et le corsaire n’eurent plus de combat singulier.      

**********************************
     Yelmerion fit face à un nouvel adversaire, les deux s’échangent des regards.

     “Quel nom devrais-je écrire sur ta tombe ?” dit Yelmerion en interrompant le silence.

     “La mort qui est au programme aujourd'hui n'est pas la mienne." répondit le corsaire

     "Au moins tu auras une épitaphe, je me prénomme Yelmerion d'Yvresse !"
     Elle exécuta une brève salutation de son épée avant d'engager le duel. Elle commença par un coup horizontal pour couper son adversaire en deux. Phy'lis, plus préoccupé par sa survie que par l'offensive, recule face à la première attaque, laissant la lame cueillir certaines de ses plumes. Revenant à la raison après un fantasme de combat facile, il fit jongler sa dague d'une main à l'autre pour passer à l'offensive. Une offensive d'apparence confuse, mais à l'incohérence calculée. Yelmerion ne prêta aucune attention à son adversaire. Qu'il danse aux joutes, il reste une cible en mouvement imprévisible. Elle prit son élan et courut sur le druchii avant de tourbillonner sur elle-même.

     Phy'lis s'imaginait que ce duel serait un coup bas dans un chaos irrationnel, celui d'une bataille où la confusion régnait en maîtresse absolue. Or, ce fut lui qui fut confus de voir la guerrière elfe se mettre à effectuer de grands moulinets avec son épée sur le pont de son propre navire. Ni grâce, ni préparation, celle-là refusait de danser avec lui. C'était une des raisons pour lesquelles il détestait les femelles. Incapables de se joindre à sa vision esthétique de chaque action. En tout cas, il perdit plus que des plumes, car il lui fallut se jeter à terre pendant que le lourd métal de la lame tranchait tout un plan de l'espace, écartant avec la subtilité d'un rocher les elfes et les cordages qui pouvaient se trouver sur son chemin. Au sol, déboussolé. Voilà que Phy'lis était une proie parfaite. La princesse s'arrêta lorsqu'elle vit le druchii se mettre à terre. Cette technique, bien que pratique, était assez déboussolante une fois terminée ; heureusement, Yelmerion était encore lucide et abattit son épée sur l'elfe noir encore au sol. "Vraiment, aucun nom." dit-elle en faisant cela.

     Phy'lis se sauva de peu en roulant sur le sol, mais il comprenait à quel point sa situation devenait intenable. En un mouvement dont la souplesse évoquait celle d'un serpent, il se redressa à côté de l'asur, sa lame prête à frapper. Viser la gorge lui semblait le mieux, mais dans son arrogance il commit une erreur en annonçant son attaque, sifflant à la méprisable haut-elfe: "Si vous en étiez digne je vous l'aurais bien dit, Mais de dignité, ô le plus lamentable des êtres, vous n'en eûtes jamais un atome !"

     Yelmerion se retourna en tenant son épée dans sa main pour un mettre un coup de poing avec sa main droite pour faire reculer son adversaire, puis elle continua en prenant son épée à deux mains. Son épée vint verticalement vers le druchii, alors que l'asure ne montra que son flanc droit.

     "La plus lamentable, vous m'en voyez navré mais vous n'arriverez jamais à vous faire connaître ainsi !"

     Le coup de poing fut sans doute plus douloureux que le coup de lame qui s'ensuivit, d'une part parce qu'il eut rouvert une blessure récente de Phy'lis en dépit de ses mailles et, d'autre part, parce qu'il n'y avait rien de plus humiliant pour un combattant elfe. Il avait l'impression de combattre un orque, un orque qui, comble de l'ironie, serait en train de gagner. Mais l'épée ne fut pas indolore pour autant, loin de là. Elle disloqua son armure camouflée et le fit reculer de terreur, un membre lacéré et fracturé, ou presque. Difficile à dire, car une adrénaline fielleuse coulait à présent dans ses veines. Le regard qu'il posa sur son ennemie était celui d'un sauvage chasseur de scalps. Il cligna des yeux. Il s'était assez éloigné pour préparer une nouvelle manœuvre, mais à présent son esprit oscillait. La fuite était peut-être une option viable. Remarquant que son adversaire semblait perdu dans ses pensées, Yelmerion prit appui sur un corsaire agonisant, un pied sur le sur la partie inférieure de la jambe, un autre dans son dos puis dans sa nuque, tout ça pour s'élancer en l'air avec un coup pied retourné, projetant Phy'lis une nouvelle fois à terre.

     "Arrête de dormir ! C'est un duel à mort, pas une auberge"

     Il y avait ce ton de mépris dans sa voix. En réalité, elle défoulait sa frustration sur le druchii. Phy'lis se retrouvait réduit à esquiver des coups, chacun trop puissant pour qu'il puisse les encaisser. Au final, dans une cabriole, il s'écarta vers le bastingage du navire en évitant la pointe de l'épée de Yelmirion. Il passa sa colère sur quelque archer qui avait le malheur de passer par là, qu'il poignarda et rejeta en direction de son adversaire. Puis il lança à la capitaine asure un regard de défi en posant un pied sur le rebord du navire. D'une impulsion, il prit de la vitesse et, tandis qu'elle le talonnait, il sauta par dessus la tête de l'asure, atterrit derrière elle dans un mouvement gracieux, s'épousseta puis partit en courant dans la direction opposée, ne cherchant plus à continuer le combat.

     Yelmerion le poursuivit un instant avant de le plaquer au sol et de le martyriser à coup de poing, laissant son épée à côté. Plaqué au sol, à la merci de l'elfe, il ne dut sa survie qu'à la colère irraisonnée de celle-ci. Plutôt que de saisir une dague pour l'achever, elle préférait le frapper avec ses poings gantés de métal, arrachant la splendeur emplumée de ses vêtements, et plus encore celle de son amour propre. Heureusement, Phy'lis n'avait pas, lui, de tels scrupules dans sa haine. Il ne vit pas exactement ce qui se passait, mais il y eut une ouverture, il se glissa avec un froissement de plumes et caressa la gorge de Yelmirion avec sa dague, mais finalement dirigea sa lame vers le nez de princesse d'Yvresse, lui arrachant un bout de chair, minuscule mais au beau centre du visage, donc bien visible. "Voici comment vous me retiendrez en mémoire, camarade !"

     « Espèce de fou damné !! »
     Elle s’empara de son poing armé et tordit le membre avec une telle violence que le visage du druchii se tordit sous la douleur alors que ses doigts lâchaient la dague. (Yelmerion : tests réussis ! 3T, 2B, 2 PV !!)
     Phy’lis eut alors un geste quasi instinctif, sa main libre se plaquant cruellement contre le visage de la princesse, ses longs ongles s’enfonçant dans sa peau délicate ; désorientant ainsi son adversaire, le comédien la repoussa et s’apprêta à lui rendre la monnaie de sa pièce… (Phy’lis : 1T, 1B, 1 PV !) Ce fut sans compter sur les réflexes de celle-ci : dans sa chute en arrière, Yelmerion se rattrapa sur ses paumes derrière elle, regroupa ses jambes et se détendit subitement tel un ressort, les talons de ses bottes jointes percutant le faciès du druchii avec une violence toute relative, mais qui suffit à inverser la trajectoire de son assaut et lui faire voir trente-six chandelles ! Lorsque Yelmerion se releva, elle le vit à terre, frémissant comme si son corps essayait désespérément de s’affranchir de l’impuissance soudaine de son esprit. (Yelmerion : tests réussis ! 4T, 3B, 3 PV !!! Phy’lis : 2T, 0B)

     À peine voulut-elle ramasser son épée pour en finir que sa vision périphérique capta, se détachant nettement dans un rayon de lune, toute une nuée de javelots dirigée droit sur la scène du duel… Elle ne dut son salut qu’à un bouclier qui trainait à portée de main, les projectiles en bois rebondissant sèchement sur la surface polie de l’objet.

     Yelmerion n’aperçut pas son détestable adversaire s’emparer d’un cadavre encore tiède pour ne pas lui-même finir décimé par la salve…

***


Dernière édition par Essen le Sam 27 Fév 2021 - 16:32, édité 1 fois
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Dim 21 Fév 2021 - 17:58

La fin d’une cousinade

     Les défenseurs de la lustrie n’avait pas raté l’occasion de faire d’une pierre quatre coups. Une imposante force de skinks s’était rassemblée sur la rive droite du fleuve. Les hommes-lézards tiraient sur les elfes, sans faire la moindre distinction entre Ulthuanii et Naggarothii.

     Alors que le ciel était calme, docile, il pleuvait sur les navires asurs: Il pleuvait la mort. Par centaines, des fléchettes enduites des pires poisons de la jungle s’abattaient sur le pont des bateaux. Les elfes qui avaient le malheur d’être touchés ne sentaient sur le coup qu’une simple piqûre. Certains, surpris par celle-ci, avaient la chance de baisser leur garde et de mourir tué par une épée, une lance ou une flèche. Les autres succombaient quelques secondes plus tard seulement, la bouche emplie d’une bave pâteuse, les yeux paniqués, et le feu aux veines.

     Mais il fallait plus que ça pour calmer la haine millénaire qui opposait les druchii et les asurs. Les corsaires et les lanciers n’avaient qu’à peine prêté attention aux nouveaux assaillants. Les couverts étaient rares sur le pont. Les boucliers des hauts elfes et les capes des corsaires apportaient un peu de protection aux combattants contre la pluie mortelle. Juste assez pour continuer à s’entretuer entre enfants d’Isha.

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     La pluie de projectiles qui s'abattait sur le navire semaient une telle confusion que désormais Phy'lis pouvait disparaître et échapper à l'impétueuse combattante qui lui faisait face. Yelmerion poussa un cri de douleur puis de rage, rapidement elle ordonna la retraite, abandonnant toute velléité de poursuite envers les druchii.

***********************************

     D’un bond gracieux et trépignant, Phy’lis s’éloigna de quelques mètres de son ennemie. Il s’attendait à ce que ce combat soit plus aisé, et une part de son esprit commençait à douter que la victoire soit possible, à lui ordonner la prudence et la retraite, mais cette part infime de sagesse était inhibée par une soif de sang plus inflexible et cruelle que tout. Il ne pouvait pas poser ses yeux sur cette viande fraîche et luminescente sans avoir un instinct plus fervent que la raison elle-même lui criant de se jeter sur elle pour la dépecer et la détruire. La femelle asure devant lui éveillait tant de haine et d’excitation sanguinaire qu’il en avait oublié toutes ses autres préoccupations.

     « La dague, le sang et l’honneur de Khaine, sont indiscutables ! Mort, gloire, sang, saignez... » pour une fois ses paroles étaient basses, hésitantes, mal construites. Il fallait véritablement que Phy’lis fût dérangé pour en arriver à pareille extrémité. Resserrant sa poigne sur le manche de sa dague, il balaya du regard ses troupes, darda ses yeux affamés vers l’ennemi, puis eut un frisson. Il se tourna à nouveau vers ses hommes.

     Quelle était cette diablerie ? Des fléchettes pathétiques, qui ne pouvaient même pas être celles d’elfes, pleuvaient en une grêle meurtrière sur l’ensemble du champ de bataille. Des elfes des deux camps tombaient sous des tirs empoisonnés de sarbacanes.

     « Vehiyash ! »

     Le lieutenant émergea du combat et se glissa juste à côté de son maître. Une silhouette en cape de dragon des mers, du sang délicieusement étalé sur sa tenue et sa lame.

     « Messire, j’ignore ce qui se passe, mais ces tirs vont nous décimer si nous restons à découvert.

     - Frustrante déduction. Désolante conclusion. Mais êtes vous sûrs que la létalité de ces tirs est digne de nous inquiéter ?

     - Je ne saurais trop dire, messire. C’est arrivé de façon si subite, je ne sais pas si... »

     À cet instant, Vehiyash s’effondra en avant avec un cri de souffrance. Un projectile venait de toucher son œil. Il se mit à râler, à pester, et une salive mousseuse se déversa de sa bouche tandis qu'il rampait au sol.
     Phy’lis chatouilla son chapeau d’un air déconfit.

     « Voilà donc que ce danger est réellement confirmé. Que diantre pourrions-nous faire, sinon retourner vers les ombres, afin de mieux préparer notre riposte. »

     Une volte-face gracieuse, dans un froissement de plumes et de cape. Il lui fallait trouver un moyen de quitter cette bataille maudite, ce gâchis improbable. Mais comment ? Ses elfes voulaient continuer de se battre jusqu’à l’extermination la plus sanglante et la plus virulente de l’ennemi. Il le savait car il avait lui-même eu le même sentiment. Mais maintenant il se rendait compte de la futilité de ce combat. Ils ne gagneraient rien. D’une part, leurs alliés étaient bien trop obtus pour laisser des survivants, mais de plus l’immobilité en ces lieux ne pouvait signifier qu’une mort douloureuse et déshonorante. Non, Khaine voulait qu’ils attendent un autre jour pour exercer leur vindicte ancestrale.

     « Où allez-vous, abomination ! »

     Une asure avait rompu les rangs pour se lancer à la poursuite du tragédien. Celui-ci n’eut qu’un pincement de mépris sur son visage. Quel malheur que même la langue elfique et sa verve ne suffisaient pas à lui donner le bon mot, l’unique terme qui définirait à lui seul l’immense et tempétueux torrent de haine et de mépris qu’il aurait désiré cracher au visage de ces détestables êtres. Par chance, il n’eut pas à dire un mot. Une forme fit un bond par-dessus le rang des corsaires, une silhouette aux dents acérées déployées dans un sourire crochu, une lance dans une main, dans l’autre un grappin. Phy’lis eut un pressentiment qui le fit sourire. Le grappin sauta au visage de l’asure impudente, lui lacérant la joue avant d’être tiré en avant, s’agrippant au bouclier qui fut à moitié arraché des mains de la guerrière. Dans l’ouverture ainsi créée, la druchii plongea sa lance et empala l’adversaire avec un grincement sanglant.

     « Toi, fit Phy’lis en se tournant vers la corsaire qui venait de perpétrer ce preste massacre, comment t’appelles-tu ?

     - Moi, monseigneur ? Niark. Je suis Emesteh monseigneur. Niark. Pour vous servir. »

     La corsaire en question avait l’air plus folle que Phy’lis sans doute. Elle avait des dents limées pour sembler pointues, et ne pouvait empêcher un son nasillard de sortir de sa bouche entre chaque phrase.

     « Emesteh, tu es promue au rang de quartier-maitre et lieutenant. Tu transmettras mes ordres à partir de maintenant .

     - Quel honneur ! Niark. Quels sont les premiers ordres à transmettre monseigneur ? »

     Phy’lis réfléchit quelques secondes à la meilleure façon de convaincre ses elfes de lever le camp. Il fallait ruser.

     « Nous devons quitter les lieux. Ordonne un repli stratégique vers la forêt, en direction de nos embarcations. Dit leur que nous ne pouvons pas vaincre sur ce terrain et qu’il faut les attirer dans la jungle pour espérer les écraser.

     - Excellentissime, monseigneur. Niark. J’y vais. »

     Phy’lis se doutait que les asurs ne les poursuivraient pas. Ce n’était pas dans leur intérêt. Une fois ses corsaires écartés du combat, ils pourraient mieux observer la situation et réfléchir. Ils n’auraient alors aucune difficulté à reconnaître que rester à découvert sur ce champ de bataille était stupide, étant donnée cette pluie de projectiles empoisonnés, et que la poursuite de cette embuscade signerait leur perte à tous.
     Aussi, les corsaires de Phy’lis amorcèrent un repli. Tout au plus le tragédien murmura-t-il une dernière insulte, qui pouvait autant être destinée aux vils hauts-elfes qu’à son inconséquent allié, le sanguinaire Sarquindi. Il faudrait cependant aussi tirer cet énergumène de là, vivant si cela se pouvait. Phy’lis avait besoin de lui, de ses compétences de marin, et de son équipage...

**********************************

     Yelmerion, voyant la pluie de flèches qui ne cessait de s’abattre sur les rangs ulthuanii, donna alors l’ordre de la retraite.

     “Elfes! Repliez-vous sur mon navire! Les druchii courent à leur perte! Inutile de s'attarder sur eux!” ordonna l’Argentée, inspirée par la sagesse.

     La majeure partie de l’expédition entendit son appel.
     De Cothique comme d’Yvresse, archers, lanciers, gardes maritimes, tous obtempérèrent, tous lui obéirent. Avec toute la discipline dont ils étaient capables, tous les hauts-elfes se replièrent promptement. Reculant prudemment avant de surmonter les bastingages et les sabords, tous quittèrent le vaisseau du prince pour rejoindre celui de la princesse.

     Tous ?
     Pas vraiment…
     Certains, animés par un jusqu’au-boutisme et une vindicte implacable, continuent encore le combat contre leurs cousins honnis, envers et contre tout ; malgré les avertissements de Yelmerion, malgré les morts qui s’entassent à leurs pieds, malgré les fléchettes qui sifflent à leurs oreilles ou se figent dans leurs armures.

     Au centre de cet affrontement, au milieu de ce massacre repoussant sans cesse les limites de la raison et de la violence, se trouvait le Prince de Cothique, accompagné de ses soldats les plus fidèles et les plus forcenés….

     Son duel avec le capitaine des squales avait prélevé un lourd tribut sur lui.
     Mais puisant dans sa rancœur comme dans sa colère, le prince Prestelance trouvait encore la force, la force de donner rageusement des coups de hampe et d’estoc, empalant, brisant des côtes, faisant littéralement mordre la poussière à ceux qui lui faisaient face. Le sang s’écoulait de ses plaies, il était blessé de la tête aux pieds, mais il s’en moquait éperdument.

     “Aeltholdyr! Revenez! Ce n’est que peine perdue!” cria de nouveau la princesse d’Yvresse.

     Voyant le prince continuer, s’enfoncer dans son obstination, elle ordonna à Azshannar qui, jusque là, était restée en retrait, de tuer les druchii proches des soldats de Cothique, sans blesser ses alliés.
Des éclairs de magie noire fusent alors des mains de la sorcière, ne tardant pas à s’envoler vers le pont du navire de Cothique, lacérant, déchirant les chairs des druchii tout en épargnant miraculeusement celles des asurs.

     Soudain, les naggarothii se trouvèrent en mauvaise posture.
     Combattant déjà Aetholdyr et sa garde rapprochée, ils se retrouvaient désormais donnés en pâture à la plus noire des sorcelleries.

     Toutefois, de manière assez surprenante, ce n’était guère la victoire qui comptait le plus aux yeux de la princesse.

     “Aetholdyr! Je vous ordonne d'arrêter, exhorta l’Argentée, à la fois autoritaire mais aussi inquiète, ne m'obligez pas à intervenir!! - clama-t-elle.

     Toutefois, au milieu des combats, entre les clameurs et les nuages de magie noire qui ravagent le vaisseau du prince, elle n’entendit qu’un seul un cri:

     "JUSQU'À LA MORT!!”

     Aetholdyr avait-il perdu la raison? L’avait-il seulement entendue ? La princesse le comprit: il fallait agir, et vite.
     Dans tous les cas, une chose était sûre, le prince de Cothique a décidé d’en finir avec Sarquindi. A ses yeux, le capitaine des corsaires n’était qu’un sale traître, une vermine, une raclure qu’il se devait d’abattre. Ces volées de projectiles qui venaient de la jungle n’étaient qu’un simple contretemps ; un simple contretemps, mais qui l’avait quand même séparé de sa némésis. Qu’importe, Aetholdyr était plus que décidé à terminer ce qu’il avait commencé.

     Quelle ne fut pas sa réaction quand il entr’aperçut de nouveau le chef des squales, au beau milieu de ce tumulte, de cette lutte qui n’en finissait pas, et qui ne finirait jamais.
     Aussitôt, guidé par son courroux, serrant sa mâchoire et ses mains autour de sa lance, le prince commença à le charger.

     Mais d’un coup, Aetholdyr a le souffle coupé, on l’a percuté, on l’a pris aux flancs ; complètement déstabilisé, il tombe subitement sur le pont. Une fléchette siffla juste au-dessus de lui.
     La princesse d’Yvresse est intervenue juste à temps, l’ayant plaqué au sol, in extremis.
Azshannar incanta de plus belle des éclairs noirs sur les druchiis restants, les terrassant, les dispersant de tous les côtés :

     “Aetholdyr! Il faut nous replier! lança Yelmerion, toujours plaquée contre le prince.

     - Quoi ?! fit ce dernier, se démenant brusquement, finissant par se redresser. - Impossible…

     - Voyez! Voyez autour de vous!” répliqua la princesse.

     Elle voulait sauver des vies.

     Il voulait achever l’ennemi.

     Le noble tourna rapidement sa tête, jetant des coups d'œil tout autour de lui.
     Le sang comme la sueur souillaient le sol et ses vêtements, des cadavres éviscérés ou démembrés l’entouraient jusqu’aux genoux, son navire était en piteux état, des projectiles frappaient sans relâche ses gardes ; mais surtout, surtout, de la magie noire était utilisée… par son propre camp…

     “Trahison! lâcha-t-il subitement, On nous vole la victoire!!”

     Aux yeux du prince, il faut désormais arrêter cette sale sorcière, qui est sûrement de mèche avec les naggarothii.
     Car sinon, comment expliquer le succès de cette embuscade?
     Comment expliquer le fait qu’elle n’intervînt que maintenant? A la fin du combat?

     “Repli soldats! Repli! Il y a des traîtres parmi nous!” ordonna-t-il, bien malgré lui, ses mots transpirant la frustration.

     C’est donc dans la précipitation, sous les volées de flèches et des fléchettes, que Yelmerion, Aetholdyr et ses soldats ensanglantés se replièrent sur le bateau de la princesse. L’équipage de ce dernier, rattachant rapidement leur vaisseau à celui de Cothique, remorquant ainsi le navire hors des tirs et des druchii.

***************************************

     Depuis qu’ils avaient été séparés par le chaos de la mêlée, Sarquindi cherchait Aetholdyr. Les yeux fous du capitaine corsaire balayaient le pont du navire, qu’il traversait à grands pas. Il enjambait les corps agonisants des victimes des dards skinks, bousculait indistinctement les combattants, donnant parfois un coup d’épée meurtrier à tout asur que son reste de lucidité faisait lui reconnaître. Il ignorait complètement les nombreux projectiles qui lui passaient à côté du visage. Dans le panthéon elfique, Anath Raema, la déesse de la chasse, aveuglait son champion du jour à tout ce qui pouvait l’écarter de la traque du capitaine haut elfe.

     Un tourbillon de couleur enveloppa le corsaire. Sarquindi écarquilla des yeux et mis quelques secondes à réaliser que son nouvel associé, Phy’lis, se tenait devant lui. Le comédien estima avoir suffisamment capté l’attention du regard vide du capitaine druchii :

     « Entracte ! »

     Sarquindi le regarda, sans comprendre, et écarta son allié sans ménagement. Il fit quelques pas en s’éloignant mais fut rattrapé par Phy’lis :

« Qu’à la vie ou la mort vous vous soyez dédié
Ne pourra pas changer que l’entracte a sonné !
L’équipage va périr si vous restez ici
Nous reviendrons plus tard finir ces ennemis. »

     Le corsaire plaça sa lame sur la gorge du comédien avec un rictus cruel :

     « Vous osez me demander de fuir alors que cette pourriture de chien d’Asuryan est encore en vie ?

- Pas la fuite, un entracte, une pause dans l’action,
Pour changer le décor où laver votre affront.
Nous n’avons pas le choix : ce n’est pas en mourant
Sous ces fourbes fléchettes que vous serez gagnant »

     Sarquindi écarquilla les yeux, comme s’il prenait conscience du danger. Comme pour donner raison au comédien, il fut forcé de parer un dard du plat de la lame. Après une seconde de réflexion, il concéda:

     « Soit, Entracte, puisqu’il le faut. CORSAIRES ! AUX CANOTS ! »

     Souriant de cette décision, Phy’lis n’attendit pas un instant de plus et cabriola jusqu’au bastingage. Un haut elfe se rua sur lui pour le retenir mais le comédien lui planta d’un geste dramatique une dague dans le front. Puis, le druchii santa dans une pirogue en contrebas dans un froissement de plumes multicolores. Obéissant à l’ordre de leur capitaine, l’équipage corsaire cessa le combat et courut vers les embarcations. La majorité de leurs cousins ne les poursuivaient pas, trop occupés à se protéger des projectiles divers ou à grimper aux mâts pour préparer le départ en urgence du lieu du combat.

     Sarquindi tenta une ultime fois de retrouver sa proie dans le tumulte, en vain. Il cracha de dépit et fit demi-tour. Juste avant d’arriver au bord du navire, il arrêta plusieurs de ses corsaires. Désignant un duo de lanciers un peu trop téméraires qui tentaient de freiner la retraite des druchii, Sarquindi leur ordonna :

     « Je ne partirai pas les mains vides. Capturez-moi ces deux-là ! ils crieront pour les autres.»

     Les marins hochèrent la tête et se jetèrent sur les hauts elfes. Submergés par cette contre-attaque soudaine, ils furent rapidement assommés, trainés et descendus sur l’épaule jusque dans une pirogue. Sarquindi contempla une dernière fois le pont dévasté du navire blanc, puis quitta la scène à son tour.


***************************************

     A peine les navires asurs parvinrent-ils à distancer les lieux du massacre qu’une altercation eut lieu entre les deux commandants d’Ulthuan. Yelmerion et Prestelance étaient dans la cabine de ce dernier, Prestelance ayant convoqué son homologue pour réquisitionner la mage et la ramener dans les prisons de Saphery, d’où elle venait.

     “Une telle sorcellerie est interdite, et vous le saviez en plus!” insista un Aetholdyr encore marqué par les combats, sur un ton acerbe.

     “Les mages de Saphery ont autorisé qu’elle puisse accompagner des expéditions pour réduire sa peine” répondit calmement Yelmerion

     “C’est une traîtresse! C’est une druchii, ce n’est plus une asur! La mort est l’unique verdict pour cette engeance!” dit-il en tapant du poing sur la table.

     “Pourtant il me semble qu’elle les tuait en protégeant nos troupes!” s’exclama t-elle

     “Vous pouvez dire ce que vous voulez, la magie noire reste prohibée dans tous les cas!” répondit le prince

     “Puisqu’aucun de nous ne souhaite céder, je propose de régler cela en duel. Le gagnant décide du sort d’Azshannar.” proposa la princesse

     “Accordé!” lâcha Aetholdyr.
     Les deux commandants sortirent de la pièce et allèrent se préparer après avoir expliqué la situation à leurs elfes. Malgré que des mots violents avaient été échangés, Azshannar n’avait pas bronché, son utilisation de magie noire était parfaitement justifiée à ses yeux. Prestelance voulait la renvoyer dans les cachots qu'elle avait quittés, Yelmerion avait encore besoin d'elle pour se guider jusqu'à son artéfact.



*



     Au matin, après avoir envoyé deux éclaireurs vérifier la sûreté de l’endroit, les deux commandants se rejoignirent sur la terre ferme.
     Les lances, frappées à l’unisson contre les boucliers, résonnèrent : les Yvressii et les Cothiquiens encourageaient leurs seigneurs respectifs.

     À la différence des innommables affrontement de la veille, ce duel à l’aube dépassa rapidement le différend qui opposait les deux commandants pour devenir quelque chose de plus sacré, de plus noble, de plus haut, de plus unificateur : un combat selon les codes millénaires des asurs.
Prestelance tenait tantôt sa lance bloquée entre son flanc et son coude pour une succession de frappes de taille, tantôt appuyée sur son bouclier pour un essaim d’estocades ; Yelmerion devait faire appel à tous les trésors d’escrime qui lui avaient été inculqués par ses instructeurs pour ne pas céder un pouce de terrain au lancier, qui avait l’avantage de l’allonge. Son style en devenait nettement différent de celui du prince : là où ce dernier campait fermement sur ses appuis, en calculant chaque pas, elle n’hésitait pas à faire de rapides pas chassés, des feintes, voire des roulades risquées, destinées à la rapprocher de l’adversaire, ce dernier n’hésitant point alors à ses dérober pour rétablir son avantage.

     Malgré les pertes accablantes des deux camps, malgré les blessés et malgré l’incertitude de l’avenir, les deux équipages ressentirent au contraire un certain soulagement à contempler ce duel, manifestation épurée de la prouesse martiale de leurs commandants respectifs. Force fut de constater qu’aucun de ces derniers ne cédât un pouce de terrain à l’autre, chacun se démenant pour parer ou esquiver les attaques adverses.

     Le soleil s’était depuis longtemps levé au-dessus de la jungle infinie et de l’Amaxon majestueux ; impériaux ou bretonniens se seraient depuis longtemps demandés jusqu’à quand ces deux combattants pouvaient-ils encore ferrailler avec tant de ferveur. Or, pour les elfes, les heures prenaient l’apanage de minutes, l’ennui et la jalousie s’effaçaient face à l’admiration envers les deux duellistes. Aux alentours de midi, après une énième succession de passes d’armes, le prince et la princesse se figèrent lestement à quelques pas l’un de l’autre. Si la nuit précédente n’avait pas été un enfer sans nom, ils auraient pu continuer ainsi des jours durant. Or, à présent, la chaleur suffocante n’aidant pas, tous deux se sentaient épuisés et suaient à grosses gouttes. (Aetholdyr : 4T, 3B, 1 invu, 2 PV !! Yelmerion : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 2 PV !!)

     Tous deux sentaient que pour ne pas s’effondrer lamentablement à cause de la fatigue, ils devaient à présent en finir. D’une manière ou d’une autre, ils devaient surpasser la maîtrise d’autrui et rédiger ainsi un nouveau chapitre à la longue tradition martiale des asurs.
     Ils s’élancèrent.

     Le choc fut violent ; le plat de la lame de Yelmerion finit par s’écraser sur le casque d’Aetholdyr (Yelmerion : 4T, 4B, 1 svg, 1 invu, 2 PV !!!) avant que la princesse ne fut elle-même rejetée violemment par un heurt de bouclier en plein menton (Aetholdyr : 1T, 1B, 1 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV chacun).
     Tous deux à moitié assommés, ils repartirent dans un assaut effréné où les gestes se faisaient moins précis et où les muscles commençaient à crier grâce (Aetholdyr : 2T, 2B, 2 PV !!! Yelmerion : 3T, 3B, 3 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV chacun).
     Ils lurent dans leurs regards respectifs la même résolution où pas un seul n’avait l’attention de succomber face à l’autre. Leurs armes s’entrechoquèrent, leurs poignes furent mises à rude épreuve, en vain (Aetholdyr : 1T, 1B, 1 PV !!! Yelmerion : 3T, 2B, 2 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV chacun).
     Les deux équipages furent partagés entre l’envie de les faire cesser l’affrontement et la peur de commettre ainsi un sacrilège : l’échange ne discontinuait plus et les deux commandants semblaient à présent résolus de risquer jusqu’à leurs vies dans l’affaire :
     Aetholdyr : 2T, 2B, 2 PV !!!
     Yelmerion : 4T, 4B, 1 svg, 1 invu, 2 PV !!!

     Yelmerion : 2T, 0B
     Aetholdyr : 3T, 2B, 2 PV !!!

     Fidèle à une sorte d’instinct de son entrainement à la lance, Aetholdyr n’eut en réalité qu’effectué un pas en arrière et armé de nouveau un coup d’estoc vers le cou adverse ; l’horreur de ce qui allait s’accomplir ne le rattrapa qu’au dernier moment car il réalisa que la princesse allait subir le coup fatal, tous ses mouvements visiblement ralentis sous l’effet de la fatigue. Le prince raffermit sa poigne et stoppa net sa lance, dont la pointe effilée fit perler quelques gouttes carmin à l’ombre du menton de Yelmerion.
     Elle réalisa dans la seconde ce qui venait de se passer et en faillit se mordre la lèvre ; tout son corps avait été poussé à l’extrême et ce fut elle qui finit par faire preuve d’inattention. Par Isha, quel duel…

     Le roucoulement de la jungle et le roulis discret du fleuve ne peinèrent en rien le silence solennel qui s’était installé sur la rive, entre les deux. Tous les asurs étaient désormais suspendus aux lèvres de leurs commandants, leurs armes ayant fait parler d’elles pour des générations à venir, désormais. Le prince Prestelance avait retiré sa lance et avait refusé de la confier à un officier qui s’était prudemment proposé pour l’en délester. Yelmerion, quant à elle, avait rengainé sa lame et ôtait péniblement son casque, qui lui pesait terriblement. Aetholdyr suivit son exemple et confia son casque à l’officier, qui s’éloigna aussitôt. Alors et seulement alors, les deux duellistes s’observèrent l’un l’autre.

     La voix du prince fut rauque, tant la soif le tenaillait, mais n’en demeura pas moins impérieuse :
     « Soldats ! Saluez Yelmerion d’Yvresse ! »
     Le choc des lances contre les boucliers fut accompagné d’un vivat martial. La princesse, cependant, ne bougea guère d’un cil : la politesse de cet elfe était seulement signe de son excellente éducation et de son honneur, rien de plus. Elle avait perdu le duel et se demandait comment elle allait pouvoir accepter d’abandonner son amie et seule clé de réussite dans sa mission à l’équipage du Cothique.
     Aetholdyr, quant à lui, avait pris sa décision, il lui fallait à présent trouver un moyen quelconque pour la rendre justifiable aux yeux de sa cour sur le continent…

     « Princesse d’Yvresse, commença-t-il, la loi est formelle sur l’usage de la magie noire par les sujets du roi-phénix. Nos ancêtres nous ont laissés des instructions formelles en ce sens, desquelles dépend la stabilité du Grand Vortex et le salut de ce monde. Contrevenir à ces instructions est un acte de trahison et tout pratiquant de cette hérésie doit être mis aux arrêts par tout souverain d’Ulthuan qui se respecte. Par cela, je ne doute pas un seul instant, m’entendez-vous, un seul instant, que vous mettrez immédiatement la dénommée Azshannar aux arrêts à bord de votre navire et la présenterez au jugement souverain de votre oncle, à Tor Yvresse. N’est-ce pas ? »

     Yelmerion saisit la nuance du verdict. Elle inclina la tête en guise d’approbation. La magnanimité du prince en ce jour, elle la récompenserait plus tard, les dieux lui fussent témoins. Prestelance, quant à lui, reprit sur un ton nettement moins amène :

     « Je ne souhaite cependant pas mettre mes guerriers en péril d’un tel funeste voisinage. L’histoire de notre peuple regorge d’incursions démoniaques provoquées par moins que cela. Nous levons le camp sur le champ et j’insiste catégoriquement pour que votre navire reste en dehors de notre champ de vision. Je n’en suis point navré. »

     Une fois de plus, Yelmerion acquiesça silencieusement, elle-même plus sévère dans ses traits. La mise en garde du prince était fondée et elle le savait, seulement elle n’avait guère le choix : la Lame Lunaire devait être retrouvée, et son amie magicienne était son unique boussole pour ce faire.
     La princesse observa Aetholdyr lui adresser un bref salut avant de s’éloigner d’un pas qui restait droit malgré l’épuisement. Elle pria intérieurement Isha de préserver ce prince de Cothique avant de lancer à ses elfes : « Soldats ! Saluez Aetholdyr Prestelance ! »


     En traversant la haie de lanciers qui le saluaient, Prestelance se permit enfin un sourire sincère.


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Essen

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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Dim 21 Fév 2021 - 23:17

     Les dernières marches à gravir furent les pires : Haakonson et les autres guerriers survivants les escaladèrent presque à quatre pattes, tant ils avaient donné de leur personne pour parvenir à l’ascension de cette immense ziggourat des temps anciens. De jour, l’expérience aurait sans doute été un fiasco lamentable : de nuit, ils pouvaient au moins éviter la chaleur abominable de la jungle qui entourait la vaste cité en ruines. Haakonson aperçut au sommet du temple la figure solitaire du seigneur vampire qui se découpait au clair de lune. Ce dernier se retourna aussitôt en sentant les regards posés vers lui et franchit le grand espace de la plateforme pour venir à la rencontre de ses nordiques. Le chroniqueur avait définitivement abandonné le manteau de fourrure et le couvre-chef qui allait avec, persuadé désormais qu’il gagnait bien plus à être libre de ses mouvements que de s’encombrer d’accessoires superflus. Lorsque son équipage fut entièrement sur place, pliés en deux et reprenant leur souffle, Von Essen leur déclara qu’ils ne le regretteraient pas car le rituel d’invocation pouvait désormais débuter. À la question portant sur la nécessité de grimper aussi haut, il indiqua sur un ton d’expert que la meilleure connexion était souvent établie sur les points surélevés. Il se rapprocha ensuite d’un autel délabré, lui-même surplombé d’un toit massif en pierres taillées. L’autel en question était lui-même un bloc unique au poids indéfinissable, proprement taillé sur les flancs et recouvert de bas-reliefs à moitié effacés par le temps. Les maraudeurs n’avaient aucun intérêt pour ces détails et se présentèrent auprès de l’autel tantôt en maugréant, tantôt en inspirant encore et encore à pleins poumons. L’ascension du temps ne leur avait certainement pas paru aussi ardue lorsqu’ils avaient commencé à gravir les premières marches de l’immense escalier…

     « Bien, glissa le chroniqueur à l’assemblée, Haakonson, est-ce que toi ou quelqu’un d’autre serait volontaire pour sacrifier un peu de sang sur l’autel ? »

     Haakonson lança au vampire un regard méfiant. Ses compagnons froncèrent les sourcils en voyant son expression, cependant le nordique répondit : « Et en quel honneur devrais-je te donner mon sang, vampire ? Mon sang appartient à Korn ! »

     Von Essen ne se laissa point démonter : il avait clairement conscience de sa démarche et n’avait seulement pas anticipé l’amalgame qui était pourtant évident entre la rituel chaotique qu’il allait tenter et sa propre nature maudite.

     « Exactement, Haakonson, c’est à Korn que j’ai l’intention de sacrifier ton sang. Le rituel que je souhaite exécuter s’adresse très précisément à votre dieu tutélaire.

     - Alors tu perds ton temps, Nessenov ! Mon dieu n’écoute pas les voleurs, or tu voles le sang des mortels pour ton propre profit, ta propre pitance.

     - Haakonson ! Si depuis le début de cette traversée, j’ai donné à toi ou à tes hommes des raisons de douter de mes pouvoirs, je souhaite l’entendre tout de suite !

     - C’est en me provoquant que tu veux obtenir mon sang, vampire ? »

     Von Essen se pinça le nez à la racine, juste entre les deux yeux. Il n’avait guère anticipé un tel scepticisme de la part de son équipage, qui ne l’était pas vraiment, certes, mais avec qui il avait au moins eu le temps de tisser quelques liens à travers les dangers affrontés ensemble. Non, en fait, c’était de ce côté-là qu’il devait creuser : « Du calme, tu as raison, Haakonson, tu as raison et j’ai tort. J’ai tort de ne pas vous mettre au courant sur la teneur exacte de ce qui va se passer, je vous dois bien ça après tout ce que nous avons traversé. Je t’explique tout et tu me dis ensuite ce que tu en penses, d’accord ? »

     Le nordique haussa ostensiblement les sourcils face à cet aveu assorti d’une solution diplomatique, avant de hocher finalement du chef. Il eut même un sourire en coin en voyant le vampire souffler de soulagement. Ce dernier lui expliqua alors en termes simples que le sacrifice du sang était destiné à entrer en contact avec les forces obscures de Korn, par-delà la jungle et les mers, par-delà le voile du chaos. À ces forces obscures, il demanderait pieusement les coordonnées aethyriques de quelque compagnie de braves fidèles de Korn désœuvrée qui chercherait gloire et pillages dans des terres lointaines. Une fois les coordonnées octroyées, il userait de poudre de malepierre pour ouvrir un portail dimensionnel permettant aux guerriers de Korn d’accéder à leur position, en plein cœur de la Lustrie, simplement en passant à travers le portail. Lorsqu’il eut fini, il tenta de percer l’expression barbue de Haakonson, en vain : en dehors des moments de combat où il se laissait aller à la rage, le guerrier conservait le plus souvent un flegme tout à fait admirable.

     « Tout d’abord, Nessenov, explique-moi une chose : quel est ton but, dans tout cela, au juste ?

     - Mon but dans tout cela ? La gloire, quelle question !

     - La gloire ?! Mais pour qui ? Tu ne vénères pas nos dieux, ni ceux du Kislev, à ce que je sache, et encore moins ceux des terres du sud !

     - Certainement, puisque je me vénère moi-même. Mes actes de gloire me glorifient moi-même, et je n’y vois aucun inconvénient.

     - Et nos dieux, dans tout ça ?!

     - Ma foi, nos intérêts convergent étonnamment souvent, Haakonson. Le seule différence est que là où vous accomplissez vos actes en leur nom, moi, je sème le chaos pour ma propre modeste personne et pour mes propres modestes intérêts. Rien ni personne ne m’obligera, cependant, à céder un seul pouce de ces intérêts à autrui, qu’il soit dieu ou mortel, homme, femme ou enfant.

     - Homme, femme ou enfant… répéta Haakonson, croisant les bras sur sa poitrine, levant les yeux vers le plafond de pierre, noir d’encre à côté du ciel constellé d’étoiles.

     - Maintenant, Haakonson, ma patience atteint ses limites : soit tu acceptes cette proposition d’alliance, soit tu refuses, pour toi et pour tes hommes, auquel cas je continuerai mon voyage seul. Ta réponse ? »

     Le nordique grimaça : le ton catégorique du seigneur vampire indiquait qu’il ne mentait pas et qu’il exigeait une réponse immédiate. Or, les dilemmes de ce genre étaient rares dans la vie simple et rude de tout habitant des terres gelées. Ami, ennemi… S’éloigner de ces deux notions vers quelque chose de plus vague demandait une souplesse d’esprit dont pas tout maraudeur pouvait se vanter. Haakonson, pour le meilleur ou pour le pire, réalisa qu’il faisait partie de ces rares exceptions…

     « Ma parole, Nessenov, tu es bien aussi fou que les autres membres de ton peuple, tu… Bah ! J’accepte, en mon nom et en celui de l’équipage ! Tu es fou, Nessenov, mais je sens que je serais lâche si je reculais face à un fou. Tu prétends que Korn va t’écouter, eh bien, soit, prouve-le avec ce sang que j’offre sur cet autel ! »

     Sous les regards ébahis du reste des guerriers, Haakonson sortit un couteau d’un fourreau pendant à sa ceinture et s’entailla profondément la paume, puis serra le poing blessé : un mince filet noir s’en écoula, se déposant sans bruit sur la pierre froide de l’autel.

     Aussitôt, Von Essen se reporta sur sa vision aethyrique : les vents arcaniques en Lustrie, il le savait déjà, étaient une horreur sans nom à invoquer, surveillés qu’ils étaient nuit et jour par les esprits indomptables des slanns, ces créatures qu’il ne souhaitait jamais rencontrer dans sa non-vie, de peur qu’une telle rencontre ne le renvoie dans les limbes. Le chroniqueur entendit Haakonson réciter une prière improvisée et comprit que son intuition avait visé juste : l’acte de foi du nordique attirait les courants chaotiques les plus éloignés et les plus dérisoires, encore fallait-il faire preuve de concentration et d’adresse pour les concentrer sur l’autel et obtenir l’effet escompté.

     Il fouilla dans une bourse d’excellente facture, en sortit une pincée de poudre verdâtre : la malepierre rongeait tout, il avait acheté la sacoche à grand prix auprès de ses contacts skavens… Du cuir de Malefosse, qu’ils avaient prétendu. Le vampire jeta la pincée à la surface de l’autel en s’assurant que nulle brise n’était là pour la disperser aussitôt. Il eut fugacement l’impression de jeter de la nourriture aux poissons qu’il s’efforçait d’attirer dans ses filets, si les poissons avaient été les vents corrupteurs et si lui avait été un sinistre pécheur. Le sang, cependant, le sang sacrifié devait être le réceptacle des vents maudit, le gage de foi et de fidélité lancé aux Puissances de la Ruine, plus précisément en l’occurrence – au Seigneur des Crânes, Khorne, la Guerre, la Rage, la Calamité.

     « N-Nessenov ! Ils… Ils me parlent ! Des voix me parlent, Nessenov !! »

     Priant pour que les autres guerriers n’intervinssent point, le chroniqueur fit brusquement le tour de l’autel et s’empara à deux mains de la tête du nordique dont le sang lui valait une audience avec les Puissances Obscures. Il fixa ses prunelles rougeoyantes dans les yeux exorbités de Haakonson, s’empara de la seconde où il fit attention, à lui, s’immisça immédiatement dans son esprit par l’hypnose, entendit à son tour les murmures du Chaos : « Parle ! Toi qui as osé invoquer mon nom, toi qui as sacrifié ton sang et la pierre de la Ruine à ton dieu, parle, ou subis mon courroux ! »

     Von Essen ne se perdit pas en vaines hypothèses s’il s’agissait bien du dieu suprême ou bien d’un démon inférieur : il ne s’agissait certainement pas des abrutis chargés du service après-vente des Khorne Flakes, et il devait jouer serré : « Je sers la Ruine et je sers la Calamité ! Je cherche le chaos et je cherche la gloire ! Perdu en Lustrie, je cherche la Guerre ! Perdu en Lustrie, je cherche les Guerriers ! Seul, je cherche le soutien des Fidèles ! Seul, je veux leur ouvrir le Sentier ! Que ce sang soit gage de ma foi, que cette pierre soit gage de ma puissance ! Que mes frères puissent me rejoindre afin qu’ensemble, nous portions la Ruine et la Calamité en Lustrie ! Je cherche le Sentier !! »

     Sous le commandement du vampire, Haakonson s’entailla l’autre paume et serra le poing de plus belle, le sang qui se déversait sur l’autel se chauffant subitement sans pour autant s’assécher, s’animant même d’une viscosité nouvelle qui lui faisait tracer des runes abjectes sur un bloc qui, des siècles durant, avait servi à invoquer le conseil des Grands Anciens. Von Essen, quant à lui, s’apercevait désormais que si ses précédents artifices avec le froid hivernal avaient pu être tolérés par les slanns, cette dernière audace allait immanquablement attirer leur ire sur lui : les vents du chaos tourbillonnaient à présent sans relâche au-dessus du temple en ruines, des lueurs furtives apparaissaient parmi les étoiles, crépitements sinistres qui n’avaient rien en commun avec les éclairs de l’orage. Le vampire n’eut cependant guère l’occasion de s’en rendre compte car les murmures reprirent dans l’esprit de Haakonson : « Traître ! Voleur ! Menteur ! Blasphémateur de surcroît ! Ton destin n’échappera pas au Trône des Crânes ! Le sang ne ment pas et la prière sera exaucée mais sois averti, misérable : tous les crânes reviennent à Khorne ! Le tien ne fera guère exception !! »

     Dans un fracas épouvantable, une fêlure déchira le voile de la réalité et un vent totalement étranger à ces terres s’y engouffra, glacé et chargé de pluie. Von Essen, encore légèrement étourdi par la malveillance des murmures, s’extirpa de l’esprit du nordique pour se concentrer sur la faille dimensionnelle qui s’ouvrait. Contournant les autres guerriers qui se trouvaient comme paralysés par ce qui se déroulait sous leurs yeux, le vampire regarda dans la faille et parvint à y distinguer ce qui devait être la Mer des Griffes, se dit-il, sous une pluie glaciale, avec un… navire qui fonçait droit vers l’ouverture arcanique.

     Von Essen sortit immédiatement une seconde pincée de malepierre, puis, se ravisant, en sortit une généreuse poignée ; enserrant la poudre brûlante entre ses doigts, il récita quelques mots de pouvoir destinés à asseoir sa domination sur la faille, par laquelle les écumes des vagues commençaient à se déverser abondamment. La faille était juste assez grande pour laisser passer le langshiff et le vampire n’aimait pas ça : la Ruine pouvait encore se jouer cruellement de son audace et influer sur la faille au moment le moins opportun. Son aura vampirique fut galvanisée par la malepierre, les vents corrupteurs éloignés de leur source reconnaissant le pouvoir du sorcier qui les domptait à présent. Le navire nordique, nettement plus grand que leur drakkar, d’ailleurs, se rapprochait. Sur impulsion du vampire, la faille s’agrandit, les eaux salées de la mer se déversant désormais sur la plateforme en un flot continu ; ceux qui gouvernaient le langshiff eurent l’intelligence de ranger leur voile et rentrer leurs rames lorsqu’ils empruntèrent le portail dimensionnel ; le flot des eaux les entraina vers le bord de la plateforme ; Von Essen gaina sa volonté et obligea sèchement les vents de magie à se rétracter et, alors que des échos de rires surnaturels se faisaient entendre, la faille se referma. Le langshiff, emporté par son élan, glissa sur les quelques derniers pouces qui le séparaient du grand escalier avant de piquer la proue la première vers le bas.

     Au bruit et aux cris qui s’ensuivirent, Von Essen eut un haut-le-cœur auquel le disputait une furieuse crise d’hilarité. Il y avait bien au moins deux-cents marches avant d’atteindre la grande place tout en bas…      
     Son équipage clignait des yeux, encore sous le choc de ce qui venait de se produire : fou ! Par Korn, ce vampire était complètement fou ! Les dieux leurs viennent en aide !  

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Sam 27 Fév 2021 - 18:56
Troisième journée de combats sur l’Amaxon

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     La cité abandonnée de Tlanxla eut préservé bon nombre de ses secrets en ce jour. Lorsque l’on rapporta au seigneur Skrolk, le Pestilentiellissime, Oui-Oui, que les derniers intrus-étrangers assoiffés de richesses s’étaient éloigné sa cité en ruines, le skaven sentit qu’un poids énorme s’était ôté de son esprit malade : la gigantesque maison de jeux souterraine du Temple Maudit n’avait point été découverte, les clans pouvaient de nouveau sereinement venir perdre leur malepierre et s’étriper joyeusement les uns les autres entre deux parties de cartes. Le Pestilentiellissime, Oui-Oui, ne savait guère qu’une fortune tout autre était convoitée par ces intrus. Il pensait cependant que si ce n’étaient point les choses-lézards qui s’occuperaient d’eux, ce serait tout simplement la jungle, sa meilleure assurance contre toute inspection-surprise du Conseil des Treize…
***
     On eut dit que la jungle se fût presque habituée à eux. Les intrus, peu importât leur nature, s’intégraient peu à peu à l’univers aussi vibrant qu’impitoyable du continent lustrien. Cet obscur baptême, fait de douleur, de maladies, de frayeurs et de privations, tous y étaient passés désormais, et tous avaient choisi leur camp : celui des prédateurs, et non des proies. Cependant, malgré cette acclimatation des plus dangereuses, les étrangers demeuraient des étrangers, les autochtones demeuraient des autochtones. La traversée de l’Amaxon ne passait jamais inaperçue pour qui que ce fût, surtout si quelques-uns laissaient derrière eux des traces de sang… Les plus sages à bord des navires éprouvaient ce même instinct qui caractérisait les survivants de longue date : l’étau se resserrait, et même le labyrinthique Amaxon devenait trop petit pour toutes les ambitions qui avaient le malheur de s’y croiser. Désormais, chaque instant comptait, et le moindre effort comportait en lui au moins une étincelle de vigilance quasi animale.



     
     Felbar le Fourbe (Doobloom) vs Helmut Markus Heldenhame (Vytrium)
 
     Depuis sa défaite contre « l’autre vampire », comme elle l’appelait désormais, Felbar s’était enfermée dans son cercueil à fond de cale et n’en sortait plus, digérant une sorte de rancœur tenace qui l’empêchait de retrouver ses esprits. Qu’elle rencontrât d’autres humains, comme l’autre fois, serait passé encore, or à présent cette jungle devenait trop étroite, bien trop étroite si tous les flibustiers de la région comptaient parmi leurs membres d’équipage au moins un vampire aussi doué qu’elle l’était. Son vaisseau fantôme avançait sans empressement : la vampiresse avait ordonné à GrAaflblabl, son redoutable second, de ne la déranger qui si la situation devenait critique. Une sorte de superstition lui faisait croire qu’après la rouste qu’elle s’était prise de la part du dernier « rafiot » (elle tenait à au moins insulter le navire), la situation ne pouvait plus devenir plus critique, elle avait atteint le fond de la honte et s’en extirpait désormais avec lenteur.
     Lorsqu’on lui signala qu’un navire les rattrapait à toute vitesse, Felbar tempêta contre cette infamie, en vain : l’Amaxon semblait indifféremment disposé à lui procurer de nouvelles rencontres…

     Le soleil se levait au-dessus de la jungle, une brume à peine visible s’élevant des eaux miroitantes du fleuve. L’Emmanuelle fendait les flots de l’Amaxon avec bonne allure, son équipage s’étant affairé la veille à procéder à toutes les réparations nécessaires depuis l’attaque des amazones.
     Il y avait sur le pont désormais non seulement des sentinelles, mais aussi un petit détachement de piquiers mobilisé nuit et jour car relevé régulièrement, donnant de loin l’illusion qu’un énorme porc-épic s’était installé sur l’Emmanuelle et surveillait les environs. Quelques mètres plus bas, un nouveau roulement avait été crée spécifiquement pour la surveillance de la sainte barbe, le commandant du navire ayant promis la cour martiale à quiconque trouvé assoupi ou même simplement distrait lors de l’accomplissement de sa veille. Helmut inspirait désormais crainte et respect à tout l’équipage : le récit de sa bravoure avait depuis belle lurette fait le tour du navire, parfois avec quelques enjolivements, cependant il était indiscutable que leur commandant avait sauvé l’intégralité de l’expédition et portait désormais des cicatrices toutes nouvelles, que le médecin de bord refusait catégoriquement de décrire aux plus curieux.
     Le branle-bas-de-combat s’était lui-même mué en une mobilisation discrète, les impériaux apprenant manifestement vite les tactiques de leurs ennemis : s’il y avait la moindre chance que le navire qu’ils venaient d’apercevoir droit devant ne les avait point remarqués, l’équipage de l’Emmanuelle était résolument déterminé à disposer de l’effet de surprise.

     Ce fut ainsi que les deux navires furent côte à côte dans un silence inquiétant. Les impériaux, prêts à en découdre, furent médusés en voyant le pont du vaisseau en-face totalement vide. La levée de toute ambiguïté provint cependant des chevaliers du Corbeau : ils reconnaîtraient cette odeur douceâtre de charogne entre mille, et le pont vide n’était rien d’autre qu’un insidieux guet-apens.
Les instructions furent promptement transmises aux canonniers : par la volonté de Sigmar et la sagesse de Morr, ils enverraient cette coquille pourrie par le fond…

     Le bombardement déchira le silence matinal de la jungle, provoquant un nuage de fumée blanche ainsi qu’un tintamarre de protestation des oiseaux des environs ; dans les instants qui suivirent, les sabords survivants du vaisseau-fantôme s’ouvrirent et le grondement des canons adverses répondit à ceux de l’Emmanuelle ; réalisant le danger auquel ils s’exposaient à présent, les canonniers lâchèrent leur deuxième salve sur les sabords adverses, rechargeant désormais leur artillerie au bruit du sifflet. Ce fut alors que le pont adverse grouilla subitement de monde et que des crans d’abordage furent lancés : réalisant que ces lâches mortels n’allaient tout simplement pas tomber dans le piège, Felbar avait ordonné l’assaut général.

     En d’autres circonstances, les chevaliers de Morr en première ligne auraient été amplement suffisants pour écraser le gros des troupes mort-vivantes qui bondissaient à bord de l’Emmanuelle ; la présence de Felbar et de GrAaflblabl les fit reculer. Réalisant au quart de tour que c’était à lui de jouer, Helmut Markus Heldenhame dégaina son épée et se mit crânement en travers du chemin de la vampiresse.
     Cette dernière n’avait cependant nullement l’intention de faire dans la dentelle : apercevant promptement de curieuses carences grossièrement rafistolées sur l’armure de l’impérial, Felbar déjoua sa garde en quelques passes et enfonça sa rapière dans son ventre mal protégé jusqu’à la garde. (Felbar : 4T, 4B, 1B annulée, 3 PV !!!)
     Le tonnerre des canons parut plus assourdissant que jamais à Helmut : il crut voir tous les mouvements autour de lui en accéléré, ou au ralenti, il ne savait plus, avant de perdre toute force dans ses bras et ses jambes et s’effondrer sur le pont.
     La formation impériale n’eut guère même le temps de frémir : irrépressibles, la vampiresse et son revenant brisèrent les hampes des piques et ouvrirent promptement une brèche dans laquelle les morts-vivants galvanisés s’engouffrèrent. En quelques instants, l’avantage bascula en la faveur de l’équipage maudit, plus personne à bord ne semblant en mesure de mettre un terme à la curée de Felbar. Les chevaliers du Corbeau ne fléchissaient point encore mais n’étaient guère en mesure ne serait-ce que de toucher la vampiresse en furie. La mort dans l’âme, le lieutenant Heinrich Durken prit sur lui la responsabilité d’ordonner l’abandon du navire : l’Emmanuelle était perdue. Lorsqu’Antonio Salieverri lui aboya des ordres d’une teneur capitale, Durken blêmit mais acquiesça et s’engouffra promptement dans les étages inférieurs du navire. Lorsqu’il fit face à la tâche, cependant, l’officier réalisa qu’il n’aurait jamais la volonté de le faire : mettre le feu à la sainte barbe de l’Emmanuelle, même dans l’espoir de faire sauter les morts-vivants avec, cela lui parut aussi infaisable que d’abattre un proche ou un enfant.

     En voyant les impériaux rompre les rangs et jeter leurs armes avant de sauter par-dessus bord et nager vers la rive, Felbar les arrosa copieusement d’insultes bien senties et ordonna à ses morts-vivants de ne pas achever ceux qui étaient incapables de fuir ou avaient la folie de se rendre : ils lui seraient tout aussi utiles vivants que morts… Les prisonniers furent ramenés à bord de son vaisseau, ainsi qu’à peine de quoi les nourrir, elle n’avait point encore oublié ce besoin qu’elle aussi avait éprouvé il n’y a pas si longtemps. Décidément, pour une remontée de pente, ça, c’était une remontée de pente ! Felbar et ses morts-vivants poussèrent encore longtemps des cris sauvages et victorieux après avoir laissé le navire ennemi derrière eux.
     À bord de l’Emmanuelle, Helmut gisait face contre terre, son armure lui pesant plus que jamais, à peine conscient. Il lui semblait presque entendre le Herr Salieverri lui parler encore de son requiem que l’on jouerait sans doute à de nombreuses funérailles.
     Contre sa poitrine, le talisman de la comtesse von Liebwitz palpitait férocement.



     Le capitaine Sarquindi (Ethgri Wyrda) vs Sargath, le Héraut des Mille Lames (Thaelin)

     Lorsque les elfes noirs du Rêve d’Atharti aperçurent droit devant une poupe qui leur sembla familière, chacun ressentit une crainte qu’il se garda bien d’avouer à ses congénères. Ce fut également avec une hésitation à la limite de l’acceptable que le rapport de cette apparition fut fait au capitaine, dont personne ne pouvait véritablement deviner l’humeur, surtout depuis leur assaut avorté de la veille. Fort heureusement pour le druchii qui s’acquitta de ce devoir, Sarquindi fut simplement trop distrait par la singularité de la nouvelle pour se permettre un quelconque accès de courroux envers son subordonné.
     Alors qu’il arrivait sur le pont, talonné de près par Phy’lis, son « bon allié de circonstance », la situation changeait déjà vers quelque chose de plus inquiétant : il était facile de discerner dans la clarté matinale que la galère qu’ils voyaient loin devant virait de bord et se retournait manifestement dans leur direction. Il était tout aussi aisé de détailler la proue du navire : ce n’était plus qu’une simple structure proéminente en bois, c’était un imposant… quelque chose… qui bougeait…

     Le premier trait de l’Arc du Désert manqua de trancher net le haut mât du reaver et déchira la voile, se plantant quelques centaines de coudées plus loin dans les eaux opaques de l’Amaxon. L’amalgame en os commença alors à puiser prudemment dans sa structure afin de créer une nouvelle flèche qui, si les dieux le voulaient, ne raterait pas sa cible.
     Sargath avait lui aussi reconnu le navire auquel il faisait face désormais. La fortune devait lui sourire pour ainsi lui permettre de régler ses comptes aussi rapidement.

     À bord du Rêve d’Atharti, le capitaine vociféra l’ordre de ramer à toute vitesse, quitte à perdre quelques esclaves dans le processus : ils devaient à tout prix neutraliser cette chose au plus vite. Au niveau inférieur, la cadence des rameurs s’accéléra ostensiblement. Au niveau supérieur, l’intégralité des elfes noirs disponibles fut réunie, Sarquindi laissant à son éloquent allié le soin de prodiguer aux troupes une harangue qu’ils n’oublieraient pas de sitôt. Lui-même estimait désormais la distance qui les séparait de la galère maudite, la nature approximative de la chose qui menaçait de trouer leur coque à tout moment et leurs possibilités, aussi minces qu’elles pussent l’être, d’esquiver le prochain tir.
     Le salut du reaver provint de là où Sarquindi l’attendait le moins : ignorant royalement le traitement d’orateur que Phy’lis réservait à leurs troupes, il n’avait guère remarqué les ordres que son allié avait donné à tous ceux qui arrivaient à suivre sa verve et qui les avaient exécutés en un temps record : un peu partout sur le pont du Rêve d’Atharti, des feux furent allumés. Sarquindi ne put qu’accuser les faits, soupçonnant un odieux sabotage, réalisant l’instant d’après que tout le combustible utilisé n’avait qu’un seul but : produire autant de fumée que possible. Quelques substances fumigènes furent même jetées dans l’eau, dissimulant partiellement à leur vision la galère ennemie, maximisant leurs chances de brouiller la vision de celle-ci.
     Lorsque le second tir de l’Arc du Désert tinta, le trait monstrueux perfora le château arrière du reaver, la pointe arrachant le gouvernail sur sa lancée, avant de sombrer dans les flots ; dans les minutes qui suivirent, les deux navires se frôlèrent brutalement, bousculant l’intégralité de l’équipage druchii, les vampires n’en revenant pas encore de la bassesse des tactiques employées par les mortels.

     Sarquindi reconnut immédiatement l’être à qui il avait abandonné l’une de ses précieuses lames ; la pensée de devoir se séparer d’une deuxième le visita comme un insecte répugnant, qu’il chassa en pensée avant d’ordonner l’abordage de la galère. L’exécution de l’ordre d’attaque fut immédiatement retardée par la terrifiante figure de proue de ladite galère : construction faite d’os et de crânes, elle pouvait rappeler le torse d’un centigor géant devenu amphibie ; dotée de deux monstrueux appendices et d’une tête massive aux traits diffus, la construction s’efforça de plaquer l’une de ses paumes gigantesques sur les elfes noirs réunis sur la proue du reaver.
     Si la plupart parvint à échapper à ce péril, un bruit abominable indiqua le funeste destin des moins chanceux.
     Sargath se tenait debout devant son trône : sa construction nécromantique serait l’instrument de sa vengeance et il n’allait guère se salir les mains sur des ennemis qui n’avaient manifestement aucun sens de l’honneur. Peu lui importait qu’il eût perdu contre l’un d’eux en combat singulier : ces mortels étaient une plaie sur la surface du monde et il ne reculerait plus devant aucun moyen pour en venir à bout.

     Sarquindi se souvenait vaguement d’un proverbe en ancien druchii qui sonnait un peu comme « Kil’zewiza, En’dzebat’l », proverbe qu’on lui avait rapporté était très populaire parmi les exécuteurs de Har Ganeth, qui détestaient plus que tout se voir décimer par une quelconque sorcellerie adverse avant même d’avoir pu lever leurs tranchoirs. En l’occurrence, tout portait à croire que leur ennemi était un sorcier dont le trépas signifierait également l’arrêt du monstrueux automate, comme ce fut le cas la dernière fois pour ses plus modestes pantins… Au terme d’un rapide conciliabule, lui-même et Phy’lis déjouèrent sans peine la vigilance de la construction en os et se retrouvèrent à bord de la galère, face aux deux vampires.

     Heinrich von Carstein comprit immédiatement l’intention de cet abordage en si petit nombre et sut que seul un miracle saurait dissuader son seigneur de refuser le défi. Le sylvanien rencontra ensuite le regard de Phy’lis, comprit qu’il regardait dans les yeux d’un dément, se prépara à vendre chèrement sa peau.
     Sargath et Sarquindi dégainèrent leurs armes, leurs « seconds » s’écartant presque naturellement vers le bastingage de la galère, chacun regardant tour à tour soit son opposant, soit le duel des commandants qui allait se produire une deuxième fois. Chacun espérait que ce serait la dernière.
Sargath aurait voulu croire qu’ils avaient bondi simultanément. Or, ce fut comme dans un mauvais rêve qui se répétait. L’elfe noir n’avait laissé aucune chance à son ennemi, comme la première fois : doté d’un instinct meurtrier aiguisé par des siècles d’entrainement et de massacre au cours des pillages, Sarquindi jouait non seulement de sa vélocité et de sa force, de loin supérieures par rapport à la moyenne de sa race, mais aussi de sa finesse : la pointe de sa lame trouva le cœur du vampire avant même que ce dernier ne put abattre son sabre sur lui. Terrassé, son ennemi s’effondra de nouveau. (Sarquindi : 4T, 4B, 4 PV !!!)
     Phy’lis et Heinrich von Carstein échangèrent des regards lourds de sens. Le dernier lut dans les yeux du premier le sort qui l’attendait et bondit promptement par-dessus-bord. Puis, le membre titanesque de l’amalgame s’abattit sur le pont de la galère, là où Sargath et Sarquindi se tenaient il y a un instant. Le druchii réalisa encore une fois dans la seconde à quel point il venait à nouveau de l’avoir échappée belle. Cette diabolique sorcellerie ne s’arrêterait-elle point ?!
     Les deux elfes noirs rejoignirent promptement le reaver et ordonnèrent de manœuvrer hors de portée de la galère ; il fallut faire une pénible marche arrière, la proue du Rêve d’Atharti perdant définitivement toute sa superbe face aux coups ahurissants de la construction. Sarquindi ordonna d’envoyer des projectiles enflammés avec le dernier combustible qu’il leur restait : l’espoir était maigre d’accomplir quoi que ce fut dans l’humidité ambiante, l’opération tenant plus d’une envie sauvage de voir le feu se répandre ne serait-ce qu’un peu sur cette galère maléfique. Cette dernière commença d’ailleurs à lentement dériver dans le sens du courant, indiquant aux elfes noirs qu’au moins, ils ne risquaient point d’être poursuivis par la « chose ».
     Sargath n’avait aucun doute que son acolyte reviendrait l’extirper de l’emprisonnement de la lame une seconde fois. Ce qu’il peinait à concevoir, en revanche, c’était ce qu’il ferait ensuite.      



     Qracl‘Naui (Hjalmar Oksilden) vs Alicia de Meissen (Alicia)

     La jungle requerrait de tous ses habitants une vigueur prodigieuse pour qui tenait à être la race survivante. Dans l’équipage d’Alicia de Meissen, il n’y avait que des hommes vigoureux, mus non seulement par la force de la foi et du patriotisme, mais aussi par une force intérieure bien plus universelle, que l’inquisitrice avait appris depuis longtemps à reconnaître. Cela n’était guère difficile, d’ailleurs : les faibles trépassaient, les forts perduraient. Ils lui rappelaient parfois certains talabeclanders qu’elle avait croisés au cours de sa carrière, des hommes qui priaient Taal, le dieu des forêts et des animaux sauvages, à moins que la ressemblance ne fût plus frappante avec certains middenlanders particulièrement coriaces, dévots du dieu-loup, Ulric. Ses stirlanders à elle étaient des hommes à l’extérieur et des bêtes à l’intérieur, elle en avait conscience. Elle avait tout simplement choisi de faire avec. Pourvu que leur allégeance envers l’Empire et leur obéissance envers elle demeurât intacte, Alicia était même prête à fermer les yeux sur les rares fois où ses hommes pouvaient accomplir quelque acte de cruauté barbare, d’autant plus s’il agissait de races ennemies à l’Empire.
     En l’occurrence, cependant, c’était bien parce qu’ils se trouvaient dans cet enfer vert que les choses étaient ainsi. Depuis leur dernier accrochage avec les créatures indigènes, l’inquisitrice éprouvait des pointes de douleur à chaque respiration et peinait encore plus qu’avant à s’assoupir en position allongée. C’était cependant dans sa nature d’ignorer la partie éreintante de ces dommages, il y avait toujours plus préoccupant dans cette jungle. Par exemple, Alicia savait pertinemment que leurs ennemis les traquaient sans relâche depuis deux jours, attendant vraisemblablement le moment opportun pour attaquer. Ils avaient eu raison de ne pas abandonner le reaver : au milieu du fleuve, ils n’étaient guère des proies aussi faciles que dans la végétation grouillante de bêtes.    

     L’impériale n’avait point tort : deux jours durant, les skinks de la cohorte de Tixyxyon s’étaient relayés pour maintenir à toute heure une vision claire de la position de l’embarcation des intrus. D’autres skinks sillonnaient encore la jungle à la recherche de renforts ; deux ou trois, enfin, avaient été envoyés dans la cité des Anciens la plus proche, afin de requérir le soutien des grands slanns. Comprendre leur absence présente n’était guère du ressort des skinks : ils se contentaient de faire ce qu’ils avaient été entrainés à faire depuis leur conception et d’acquiescer à tous les ordres venant des temples sacrés. Rares étaient parmi eux ceux qui naissaient « différents » et grandissaient ensuite auprès des vénérables slanns, encore plus rares étaient ceux qui avaient eu l’occasion de combattre avec eux contre des envahisseurs et avaient survécu pour le raconter.  
     Pendant tout ce temps, Tixyxyon avait également veillé sur Qracl’Naui, avec qui son lieu était toujours aussi fort, malgré la curieuse blessure que le kroxigor avait reçue à la tempe. La crise de folie avait depuis longtemps quitté l’esprit de ce dernier sans laisser aucune trace. Qracl’Naui ne nourrissait désormais plus qu’un seul vœu : accomplir son devoir et détruire pour de bon les intrus sur leurs terres. Le chef de sa cohorte, cependant, ne semblait guère aussi pressé que lui et lui intimait à chaque fois de partir chasser ailleurs ou de s’entrainer lorsqu’il lui faisait par sa fougue combattive. Qracl’Naui, qui vouait au skink une confiance aveugle, obéissait à chaque fois et ne revenait qu’au moment où il avait soit fini de chasser, soit fini de démolir des rochers à mains nues. Tixyxyon, quant à lui, recevait de temps à autres des renforts épars de skinks caméléons, dont certains portaient les nouvelles inquiétantes d’autres intrus présents dans d’autres parties du fleuve.

     Le reaver se rapprocha de la rive de l’Amaxon pour la raison la plus bestiale qui fût : les maigres provisions des précédents occupants du navire arrivaient à leur terme et il leur fallait inévitablement faire une halte de ravitaillement. Alicia de Meissen était au-delà du point où l’on disait que l’on n’aimait pas ça : la prise de risque faisait partie de leur quotidien, tous les hommes exécutaient ses ordres sans rechigner puisqu’ils reflétaient simplement l’accomplissement coordonné de leurs besoins. Leur débarquement se fit en bon ordre, la pénétration dans la jungle se fit avec l’attitude de prédateurs connaissant leur terrain. Tous espéraient le meilleur tout en étant préparés au pire.
     Le pire ne manqua pas de décevoir leurs attentes.

     La charge tonitruante de Qracl’Naui servit de signal au reste de la cohorte, qui surgit du sempiternel couvert végétal en brandissant leurs lances et leurs boucliers. Les skinks de Tixyxyon étaient de ceux qui suivaient la voie de Sotek, le dieu serpent : ils avaient fait le choix de renoncer aux projectiles pour se consacrer au corps-à-corps, pratique héritée de l’époque cataclysmique où les skavens avaient attaqué les cites-temples en si grand nombre qu’aucune embuscade n’aurait jamais suffi à en endiguer l’assaut.
     La mêlée s’engagea sous les frondaisons, aucun des combattants ne serait-ce que songeant au concept de prisonniers ou de remords.
     Alicia braqua son pistolet sur le kroxigor dès qu’elle le vit. Sa cible étant en plein mouvement, elle visa le torse et fit mouche (Alicia : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 2 PV !! Piétinement : 0B) mais cela ne stoppa guère l’élan de la créature, que l’inquisitrice n’esquiva que partiellement, et fut projetée contre un arbre (Qracl’Naui : 1T, 1B, 1 PV !). Le kroxigor poursuivit sur sa lancée et ratatina encore deux hommes avant de s’effondrer, inerte, une dizaine de pas plus loin : la blessure de son torse saignait abondamment, l’arme à poudre soigneusement entretenue de l’impériale démontrant une fois de plus son incontestable efficacité dans cet environnement hostile. (Alicia : 2T, 2B, 2 PV !!!)
     Ce nouveau déséquilibre des forces servit cependant de signal aux renforts des hommes-lézards pour punir les intrus avec leurs projectiles : javelots et fléchettes empoisonnées jaillirent depuis la canopée, déclenchant une retraite presque immédiate des impériaux : l’inquisitrice savait leur navire suffisamment proche et ils n’avaient aucune chance si cette rive était infestée d’ennemis. L’affaire fut réglée en quelques interminables minutes : les skinks de la cohorte étaient hargneux mais malingres en comparaison avec les troupiers triés par la jungle elle-même d’Alicia. La rive fut rejointe en accusant des pertes minimales et le reaver se défendit bec et ongles jusqu’à évacuer toute la troupe dans la sécurité relative des eaux du fleuve. Les provisions devraient attendre, ils avaient l’habitude.
     Tixyxyon, maudissant les intrus, se jura qu’il se rendrait en personne dans la cité-temple la plus proche pour requérir des renforts.



     Fiodor le Non-Mort (Arcanide Valtek) vs Yelmerion d’Yvresse (Lynairyth)

     À bord du vaisseau qui avait quitté Tor Yvresse quelques longues semaines plus tôt, l’on continuait encore à retrouver de temps à autre une fléchette empoisonnée fichée dans les planches du pont ou du bastingage, présents littéralement empoisonnés de la veille de la part des créatures protectrices de la forêt tropicale. En apparence aussi inoffensifs que des échardes, ces objets étaient retirés avec la plus grande prudence avant d’être jetés dans le fleuve. Une seule avait été gardée par la magicienne Azshannar, désireuse de trouver une occasion pour identifier le venin employé. Il lui fut cependant impossible de trouver un moment opportun pour ce faire : depuis la veille où la princesse Yelmerion, son amie mais surtout la commandante de toute l’expédition, avait négocié son avenir au cours d’un duel mémorable contre le prince Aetholdyr de Cothique, la Ténébreuse ne disposait plus vraiment d’un moment de répit, taraudée à la fois par les regards de tout l’équipage et par sa propre conscience : elle devait à tout prix rester concentrée sur la divination, afin qu’ils retrouvent enfin la Lame Lunaire et puissent enfin remettre le cap sur Ulthuan. Yelmerion ne lui en disait rien, elle se doutait que la magicienne ne fuyait à aucun moment ses responsabilités et se contentait d’accomplir la sienne en supervisant les nombreuses réparations que devait subir le vaisseau depuis la cruelle bataille contre leurs détestables cousins. Toutes deux avaient en commun le fait que leur patience et leur hardiesse étaient constamment mises à rude épreuve au cours de cette traversée de l’Amaxon, fleuve qui leur paraissait désormais interminable et auquel les cartes de Tor Yvresse, pensaient-elles désormais, ne rendaient guère justice. Les esprits avec lesquels la magicienne parvenait à communier n’avaient depuis longtemps plus la même conscience des distances et des nécessités propres aux vivants, aussi Azshannar luttait pour ne pas se laisser aller au pessimisme lorsqu’elle entendait de nouveau que le but de leur quête était proche ; elle se contentait désormais de transmettre à l’état-major la direction globale à prendre. La princesse et son lieutenant avaient eux aussi appris à s’en contenter, bénissant intérieurement les dieux que la direction générale concordait avec la direction générale du fleuve. Ils priaient également Asuryan, Isha et Mathlann que leur traversée ne les fît rencontrer un obstacle qu’ils ne pourraient surmonter. Ensuite, ils priaient Khaine afin qu’il leur octroie la force et la résolution de venir à bout de n’importe quel obstacle qui se dresserait sur leur chemin.
     Lorsqu’un navire fut aperçu au loin, les elfes survivants se rassemblèrent sur le pont, armés de pied en cap et résolus à sortir victorieux de n’importe quelle bataille.

     À bord du Corbeau Centenaire, lorsque la vigie indiqua la présence d’une cible potentielle d’abordage, Fiodor le Non-Mort pointa immédiatement sa longue-vue dans la direction indiquée et se figea : un vaisseau de la lointaine Ulthuan était facile à reconnaître pour qui connaissait Marienburg comme sa poche, et la vision de ce navire eut tout d’abord pour effet de raviver dans la mémoire du vampire certains souvenirs de sa vie antérieure. Il en fut cependant distrait lorsqu’il perçut distinctement le craquement sonore de phalanges naines à ses côtés. Derrière lui, rares étaient les marins qui n’attendaient pas les ordres de leur capitaine, déterminés que tous étaient à l’idée de pouvoir enfin saccager quelque navire qui ne fût pas rempli à ras-bord de morts-vivants sanguinaires. Fiodor, cependant, prit bien le temps de soupeser la situation nouvelle qui s’offrait à son attention : d’abord un ancien compagnon d’armes aussi petit et aussi large qu’une commode, puis ça. Décidément, cette jungle regorgeait de surprises en tous genres, il ne regrettait point du tout d’avoir mis le cap sur l’estuaire de l’Amaxon le jour fatidique où il avait mis la main sur cette carte au trésor. Le vampire baissa le regard en direction de Thrond : le barbu lui rendit un regard noir qui ne laissait aucun équivoque sur l’opinion du nain vis-à-vis de la fréquentation du fleuve par des asurs. Fiodor lui fit signe de la tête : il comprenait. Lui-même ne portait guère les elfes dans son cœur : les rares fois où il les avait observés à Marienburg, ils lui avaient paru bien trop arrogants envers les humains avec qui ils cohabitaient ; les rares fois où il les avait croisés en pleine mer, c’était le plus souvent le moment où ils essayaient de fuir le plus vite possible, ces satanés longues oreilles transportant toujours leurs marchandises sous solide escorte navale. Or, ici, le navire semblait seul, curieusement seul, et surtout terriblement éloigné des voies maritimes marchandes, sans parler du fait qu’il avançait délibérément à contre-courant de l’Amaxon, un peu comme eux, d’ailleurs…
     « Ma parole, glissa le vampire à demi-voix, avec un ton qui trahissait l’énervement, il semblerait que ces proprettes se croient tout permis, n’importe où, n’importe quand… »
     À ces mots, Thrond lâcha, lui aussi d’une voix sourde, une série monocorde de mots en khazalid parmi lesquels Fiodor reconnut quelques insultes qu’il connaissait. Le reste devait sans doute être des promesses de mort prochaine et de rancunes bientôt réglées. Tout ce qui s’ensuivit demeura dans les souvenirs du vampire comme une succession d’ordres parmi les plus véhéments qu’il n’avait jamais donnés à ses hommes : outre le chargement des canons, il devait y avoir quelque chose autour des armes à feu, de la poudre, de l’affutage des sabres, de menaces de mort en cas de lâcheté ou d’indiscipline, de promesse de richesses et de proies faciles, de glorieux massacres et du sort peu enviable qu’ils réserveraient à ces « elfettes » une fois qu’ils auraient envoyé leur vaisseau par le fond.
     Le Corbeau Centenaire vira de bord et l’on ouvrit les gueules des sabords : avant de cuisiner la viande, il fallait d’abord l’attendrir !

     Le vaisseau asur accusa la première salve de bombardement de plein fouet : si la proue tint bon, les boulets ricochant sur la coque robuste et élancée du navire, deux projectiles sifflèrent un peu plus haut, envoyant quelques marins malchanceux ad-patres et faisant voler les planches du bastingage en mille copeaux. La riposte fut cependant immédiate : l’unique baliste contenue à bord lâcha une salve de six carreaux successifs qui perforèrent le flanc du Corbeau Centenaire comme des aiguilles, causant des pertes parmi les canonniers et provoquant un rugissement féroce du la part du maître d’équipage. Le bâtiment du Non-Mort dérivant lentement dans la direction du courant, la distance qui séparait les deux vaisseaux s’amenuisait à vue d’œil et sur le pont du vaisseau asur, les archers survivants lâchèrent une première salve qui obligea l’équipage de Fiodor à se mettre à couvert. La seconde salve des canons eut la malchance de rater la baliste une seconde fois, laissant à cette dernière l’opportunité de répliquer avec six autres carreaux tout aussi meurtriers que les six premiers. Le Corbeau Centenaire vira de bord, un crépitement discret signala que les quelques arquebuses contenues à bord étaient employées avec les meilleurs espoirs, la seconde salve des archers elfiques les obligeant toutefois à reconsidérer cette prise de risque. Les deux navires allaient se croiser lorsqu’il fut manifeste que les deux atouts de chaque navire eurent la même idée d’intimidation de masse : Thrond Ventre-de-Fer et Azshannar la Ténébreuse se tenaient l’un comme l’autre à la proue de leurs navires respectifs, le nain ayant apprêté son lance-flamme et l’elfe sentant déjà les énergies interdites crépiter entre ses paumes. Tous deux se repérèrent, constatèrent la même malveillance dans le regard d’autrui, libérèrent chacun un torrent de flammes dont les origines ne pouvaient être plus différentes : le liquide hautement inflammable du lance-flamme croisa le jet de magie noire à l’état brut ; les deux proues s’embrasèrent immédiatement.
     Il avait fallu en revanche la bienveillance d’anges gardiens pour que les deux incendiaires ne s’entretuent suite à ce premier et dernier échange de politesses : Fiodor eut reconnu la nature des flammes de la magicienne et avait in extremis tiré son associé barbu par le col avant que son corps ne soit cuit dans son armure sous le maléfice ; quant à Yelmerion, elle fit moins preuve de moins de ménagement en tirant brutalement son amie par la cheville, la faisant trébucher mais en échappant toutes deux par miracle au jet de flammes aveuglantes du nain.
     Dans les instants qui suivirent, les pirates du Corbeau Centenaire lancèrent l’abordage du vaisseau d’Ulthuan sous le commandement de Monsieur Flouz, le second ; la ligne de défense des asurs se forma sous les cris de harangue de Lecmentor le Gris, les lances abaissées au-dessus des boucliers ne promettant qu’une mort sans gloire à quiconque tenterait de franchir la ligne. Ce fut le noble également qui attira sur lui l’attention de Marcel de Parravon, les deux ennemis échangeant immédiatement des regards féroces suivis d’insultes bien senties. Leur combat s’engagea au milieu-même de la mêlée, pendant que sur la proue se relevaient prestement la princesse et la magicienne, Fiodor le Non-Mort atterrissant immédiatement à quelques pas d’elles, sabre au clair. Le capitaine chargea.
     Leurs lames se croisèrent dans une gerbe d’étincelles et leur échange d’escrime fut fulgurant ; à l’offensive redoutable du pirate (Fiodor : 4T, 3B, 2 invus, 1 PV !), Yelmerion opposa toute la rapidité et la souplesse dont elle était capable (Yelmerion : 1T, 1B, 1 PV !) ; intérieurement furieux de faire face à un adversaire insaisissable, Fiodor redoubla d’adresse et feinta en essayant de tromper la vigilance de son opposante (Fiodor : 3T, 2B, 1 invu, 1 PV !), s’exposant lui-même dans le processus à des blessures guère profondes mais douloureuses que lui infligeait la princesse avec la pointe de son épée (Yelmerion : 3T, 2B, 2 invus, 1 PV !). Puis, brusquement, tout bascula : au détour d’une énième parade, un coup de pied de l’elfe le cueillit en pleine poitrine, suffisant pour le faire reculer de quelques pas seulement, droit dans les flammes qui léchaient abondamment la proue élancée du vaisseau… Surpris, il ne comprit que trop tard que la distraction du brasier dans son dos octroya à son ennemie l’ouverture suffisante pour le charger de front, l’empalant au travers du poitrail et le clouant à la proue en feu ; de douleur tout d’abord, de fureur aussi, Fiodor hurla comme rarement il avait hurlé. (Yelmerion : 4T, 4B, 4 PV !!!)
     Le hurlement de leur capitaine sapa le moral des pirates ainsi qu’une vague réduit à néant un monticule de sable sur une plage ; comprenant que les choses n’allaient pas du tout, que leur assaut était devenu bien trop incertain, les membres d’équipage du Corbeau Centenaire opérèrent une retraite aussi rapide que, curieusement, efficace : les asurs furent contraints de refermer leurs boucliers lorsqu’une petite bombe fut larguée par un des humains quittant leur bord.
     Yelmerion ne pouvait plus se rapprocher de l’homme en feu et ne s’en préoccupait guère, à tort : se débattant comme un forcené, Fiodor finit par s’extirper du piège de bois, de flammes et d’acier qui menaçait de l’anéantir et eut le réflexe salutaire de se jeter hors du vaisseau. La princesse estima rapidement l’état de ses troupes et constata avec soulagement que les pertes avaient été minimes ; leur magicienne était également saine et sauve, le navire ennemi était à leur merci ; ce fut à cet instant qu’un nouveau jet de flammes dévastatrices s’abattit sur le pont dans quasiment toute sa largeur, le liquide qui se consumait dégoulinant insidieusement des boucliers elfiques dont certains ne seraient plus jamais utilisables ; ce qui avait commencé comme un incendie partiel se mua en incendie sérieux. Sur le Corbeau Centenaire, Thrond Ventre-de-fer renonça à recharger sa machine infernale alors qu’ils s’éloignaient de plus en plus du vaisseau des elgi. S’ils venaient à en redemander, il n’hésiterait pas à se montrer généreux, c’était sur le compte de la maison…
     La princesse d’Yvresse ramassa son épée encore fumante alors qu’elle se fut retrouvée en première ligne dans l’opération effrénée d’éteindre les flammes voraces qui se répandaient sur leur navire. Par Isha, Asuryan et Khaine, si ces humains et ce nain abject osaient un jour vouloir réitérer leur audace, elle serait en première ligne pour réduire tous leurs rêves à néant.

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Essen

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Dim 28 Fév 2021 - 15:43
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     Le prince Aetholdyr Prestelance (Johannes la Flèche) vs Von Essen (Essen)

     Le jour était sur le déclin lorsque le vaisseau-aigle de Cothique arriva en vue de quelque chose qui ressemblait à la poupe d’un navire dépassant de la jungle. Le prince Prestelance distingua une multitude d’individus fourmillant autour : il lui sembla que certains allumaient des feux de camp. Puis, il apparut manifeste que le vaisseau-aigle venait d’être remarqué à son tour car les individus sur la rive s’agglutinèrent subitement autour de leur embarcation et, Aetholdyr peina à croire ce qu’il voyait, soulevèrent la large construction en bois et la mirent à l’eau en l’espace de quelques minutes.
     Le prince annonça sèchement au Heaume des Mers qui se tenait toujours à ses côtés qu’ils allaient subir l’attaque de ces hommes, qui qu’ils fussent. En le voyant s’éloigner pour alerter les troupes survivantes, Aetholdyr rejeta négligemment la possibilité de toute intention pacifiste que ces hommes pouvaient avoir envers eux : les symboles sur les boucliers de ces sauvages, il les avait reconnus.  

     Von Essen s’était tout simplement joint au mouvement collectif lorsque le branle-bas-de-combat fut déclaré ; son équipage comptait désormais une bonne cinquantaine de nordiques armés jusqu’aux dents, et leur langschiff soulevé par la seule force de leurs bras lui parut aussi léger qu’une plume. À la différence des mortels avec qui il avait commencé cette traversée, il ne connaissait guère autant tous les guerriers qui s’étaient joints à leur force et qui en représentaient même la majorité. En revanche, il avait dû procéder aux présentations minimales dès la veille, lorsque l’équipage de Haakonson et lui-même durent faire face au groupe beaucoup plus large et menaçant de « Gust le Cruel », un guerrier aussi massif qu’une armoire, véritable monolithe incarné à la gloire de Korn, à l’autorité que manifestement seuls ses propres dieux pouvaient lui contester. Le chroniqueur s’était même demandé pourquoi cet individu exceptionnel ne possédait point d’armure du chaos ; cependant, il entraperçut sur le dos de ses paumes et sur la peau de son cou quelque chose qui ressemblait à des rides bien trop proprement agencées pour être des traces de vieillesse. La peau du nordique avait muté, Von Essen ne doutant pas que son poignard peinerait à transpercer ce qui paraissait affreusement proche à des écailles de drake du nord.
     Il fut également totalement dépassé dans ses attentes vis-à-vis de l’attitude que ces « renforts » auraient pu avoir envers lui : le vieux Gust l’eut transpercé du regard lorsque Haakonson lui eut expliqué le rôle que le vampire avait joué dans leur arrivée en Lustrie. Puis, il s’était exprimé dans un dialecte que Haakonson parut avoir toutes les peines du monde à comprendre, cependant finalement le message fut transmis : Von Essen était reconnu comme celui qui allait les conduire vers leur prochaine cible de massacres glorieux au nom de Korn. Il serait traité avec respect, non pas comme un guerrier mais comme un messager divin ; jusqu’à un signe contraire des dieux, les duels contre lui étaient déclarés interdits par Gust. Sur le coup, le chroniqueur ne put que hocher la tête en signe d’approbation, après quoi il fut royalement ignoré par les nordiques qui passèrent le reste de la nuit à réparer le langschiff que la chute depuis le haut temple avait modérément endommagé. Au petit matin, ils étaient à flots sur l’Amaxon et passèrent la journée à se relayer sur les rames. Le vampire, quant à lui, s’était dissimulé sous son manteau de fourrure pendant que le soleil était haut dans le ciel, revenant brièvement sur quelques notes qui constitueraient le début de ses mémoires.

     À présent, leur langschiff allait irrémédiablement croiser la route du vaisseau elfique qu’ils venaient d’apercevoir ; Von Essen aurait donné sa main à couper qu’il ne s’agissait pas celui qu’ils avaient déjà croisé plus tôt : les runes elfiques sur les boucliers et les bannières indiquaient un royaume différent, sans parler des blasons. L’héraldique d’Ulthuan devait cependant être le cadet des soucis de Gust et de ses hommes, auxquels Haakonson et son équipage s’étaient joints avec ferveur. Les nordiques avaient entonné un puissant chant guerrier, si l’on pouvait appeler cette succession de cris un chant, succession de cris entrecoupée du fracas des armes contre les boucliers.
     La salve de flèches lâchée depuis leur cible ne causa que des dommages superficiels ; ce fut moins le cas du trait de baliste qui transperça les rangs des nordiques. Cependant ce premier sang ne parut que décupler leur hargne ; lorsque les deux navires furent suffisamment proches, les crochets d’abordages et les haches de jet volèrent par dizaines et l’abordage commença avec une telle férocité que Von Essen crut que les elfes n’avaient aucune chance.

     Aetholdyr ne demeura point en retrait, au contraire : il connaissait les us de ces sauvages et aperçut immédiatement celui qui devait être leur chef. Se battant au premier rang de ses elfes, le prince lança un mince couteau de jet en direction de l’humain. Le projectile se ficha dans le cuir et la maille du guerrier, qui sembla apercevoir celui qui en était l’émetteur. Il rugit quelque chose qui devait être une prière et fut sur le point de relever le défi lorsqu’un brutal coup de poing venant d’à côté l’en empêcha : un humain bien moins impressionnant bouscula crânement le chef et se rua en direction du prince.
     Contrairement aux nordiques, cet humain-là n’avait point de bouclier et ne semblait guère aussi dangereux. Aetholdyr voulut l’embrocher d’un simple coup d’estoc mais fut stupéfait lorsqu’il ne sentit rien là où il aurait dû sentir le torse de cet être (Aetholdyr : tests réussis ! 2T, 0B). Les coups de taille de son ennemi furent cependant bien trop évidents à parer, ce qui ne contribua qu’à rajouter une couche au mystère qui entourait cet individu (Von Essen : 1T, 1T annulée, 0T).
     Le mystère s’épaissit encore lorsque le prince capta brièvement le regard de son adversaire : il fut comme distrait par l’étrange couleur de ses yeux, rouge sang, se sentit soudainement comme emprisonné dans ses mouvements ; de rage, comprenant qu’il avait affaire à un sorcier, Aetholdyr enchaîna une suite d’estocades aussi redoutables que nombreuses, et son bras armé sentit la résistance familière des chairs, et son oreille perçut le grognement de douleur de son ennemi. Il fut aveugle, cependant, à la pointe de l’épée qui le cueillit droit à l’abdomen avec la puissance d’un trait de baliste, avant de se rétracter brutalement. Aetholdyr entendit confusément les bruits du combat aux alentours, mais ne distingua que le bruit de sa propre chute. (Aetholdyr : tests ratés ! 2T, 2B, 2 PV !! Von Essen : 4T, 4B, 1 invu, 3 PV !!!)
     La violence de la mêlée décupla autour du commandant asur : Von Essen se retrouva à ferrailler dos contre dos avec Gust le Cruel car, à eux seuls, ils avaient percé la ligne de boucliers des elfes ; ces derniers étaient parvenus à transporter le prince blessé à l’arrière de leurs lignes et se battaient avec l’opiniâtreté qui leur était propre, cependant la force et la fortune ne semblaient pas de leur côté en ce jour : le Heaume des Mers s’en aperçut et sonna la retraite pendant qu’il restait encore des réserves de courage dans les cœurs de ses soldats.
     Au terme d’une bataille qui dura bien au-delà du crépuscule, les elfes avaient abandonné le vaisseau-aigle aux nordiques et s’étaient rétractés jusqu’à la rive opposée de l’Amaxon sur des barques légères. Entièrement absorbés par le combat, ni les uns, ni les autres n’avaient remarqué la venue d’épais nuages qui voilaient désormais la quasi-totalité du ciel nocturne : les guerriers de Khorne avaient à peine entamé le pillage du navire d’Ulthuan lorsqu’une pluie torrentielle commença à tomber.
     Le pillage s’accéléra quelque peu et des imprécations rageuses contre le climat local furent rapidement étouffées par le clapotis de l’averse. Le vaisseau-aigle fut ensuite laissé à la dérive et l’équipage du langschiff se mit à la recherche d’un autre endroit où établir un campement.
     Sur l’autre rive de l’Amaxon, le médecin de bord du prince appliquait à celui-ci les meilleurs bandages qui étaient à sa disposition.




     Ixi’ualpa, Guerrière Aigle des Amazones, (Gromdal) vs Corus (vg11k)

     Les épais nuages de pluie qui avaient recouvert la jungle avaient entièrement voilé les lunes jumelles et les étoiles et l’obscurité ne pouvait être plus complète. Toutes les créatures vivantes, à l’exception de quelques rares espèces, s’étaient tapies chacune dans sa tanière ou dans les hauteurs des arbres, à l’abri approximatif des feuillages. Sur l’Amaxon, la Lorelei avançait prudemment, une veille constante étant maintenue sur le pont afin de parer à toute funeste éventualité. Le capitaine Molos se tenait à la barre ; d’ici quelques heures un de ses subordonnés viendrait l’y remplacer. Le champion de l’équipage, Corus, se reposait quelque part aux étages inférieurs. Tout était calme.

     Des feux s’allumèrent tout d’un coup sur les deux rives, illuminant des silhouettes dansantes, de frêles embarcations qui les attendaient, la quiétude de la nuit éventrée telle une paisible créature par les cris aigus et vibrants qui provenaient des deux côtés.
     Même pour Molos, qui en avait vu d’autres, la vision eut de quoi lui glacer le sang dans les veines : l’existence de ces brasiers au milieu d’une telle averse tenait de l’absurde, l’impression d’une attaque d’ampleur était puissante et fit miroiter dans son imagination la fin aussi inattendue que brutale de leur expédition. Le vieux capitaine se ressaisit cependant, ordonnant immédiatement de lever tout le monde et de se préparer au combat. Il réalisa bien assez vite que si les feux ne suffisaient guère à estimer correctement le nombre des assaillants, la Lorelei devenait on ne peut plus visible au milieu du fleuve, sa silhouette massive était simplement inratable !

     Les amazones qui investissaient l’Amaxon les unes après les autres ne sentaient ni la pluie, ni la fatigue et ne sentiraient probablement pas la douleur si l’on les transperçait de part en part. Sur leurs pirogues, les guerrières Kalim exultaient à la seule pensée du nouveau carnage qui s’offrait à elles. Rakt’cheel, leur cheffe, avait totalement oublié l’existence d’autres amazones que ses guerrières, totalement oublié sa haine envers Ixi’ualpa : tout ce qui comptait dans son esprit drogué, désormais, c’était le nombre de sacrifices qu’elle pourrait bientôt offrir à Rigg, et l’extase qui en résulterait.
Le pirogues se rapprochaient rapidement et l’on pouvait de mieux en mieux distinguer la Lorelei ; les mâles qui s’agitaient à bord du navire ciblé, les guerrières Kalim exultaient à la seule pensée de la terreur qu’ils devaient éprouver à présent. Elles poussaient des cris et des claquements de langue, hurlaient leur gratitude à Rigg pour cette opportunité de combat qu’elle leur offrait et se sentaient en harmonie complète avec la jungle, avec le fleuve et avec leurs proies frémissantes.

     Ixi’ualpa n’adhérait pas aux rites des Kalim mais ne pouvait rester indifférente au spectacle sacré auquel celles-ci s’adonnaient. Leur sauvagerie était contagieuse et la guerrière aigle le sentait ; ce qui lui faisait prendre un autre parti, c’était son aversion pour la défaite absurde : s’il y avait de meilleurs moyens de venir à bout d’un ennemi qu’au prix de nombreuses vies perdues, l’amazone voulait les appliquer aussitôt et exécrait ses consœurs dès qu’elles ignoraient les tactiques guerrières au profit du fanatisme religieux, de plus en plus souvent stérile en termes de résultat.
     Avec ses guerrières, Ixi’ualpa se rapprochait de la poupe du navire : dans le noir, l’amazone avait refusé à contrecœur de s’aventurer à l’intérieur du navire. Ce qu’elle pouvait faire, en revanche, c’était d’escalader le bâtiment et de frapper là où leurs ennemis pouvaient se croire à l’abri.

     Molos continuait à diriger le navire : le laisser tout simplement à la dérive pouvait l’éloigner du centre du fleuve et le capitaine préférait garder un maximum de distance de là où la jungle semblait vomir des ennemis. Son ouïe fine lui indiqua cependant un grattement furtif qui provenait d’une direction qui n’avait rien à voir avec leurs flancs. Molos se retourna et vit plusieurs femmes enjamber le bastingage de la poupe du vaisseau. Une vive lumière surgit d’un outil, non, d’une arme que tenait l’une d’elles. Molos hurla le premier nom qui lui était venu à l’esprit : « CORUS !! »

     Au départ idéalement placé pour repousser les assaillantes avec son trident sur la proue de la Lorelei, le grand guerrier poussa un juron lorsqu’il entendit le cri de détresse de son capitaine. Lançant un « Je m’en occupe ! » à qui pouvait encore l’entendre dans le chaos de l’assaut, Corus franchit le pont du navire en quelques enjambées et franchit l’escalier menant à la dunette arrière en un souffle.
     L’amazone la plus proche ne comprit même pas ce qui lui arrivait lorsque le trident du marin perfora sa gorge et s’en rétracta sèchement ; les trois autres, dont celle qui tenait une arme incandescente qui diffusait une vapeur constante à cause de la pluie, se figèrent durant un instant avant que l’une d’entre elles ne jetât sur lui un projectile que le champion dévia avec son trident.

     « Vous deux, le barbu ! claqua l’ordre d’Ixi’ualpa avant qu’elle n’engageât brutalement le nouveau venu. »
     Elle réalisa immédiatement sa hardiesse : dans les lueurs incertaines des feux lointains et le feu-follet qu'était la pointe de sa lance, ses frappes étaient tout aussi incertaines que celles de son adversaire qui maniait lui aussi une arme d’hast ; tous deux échangèrent de foudroyantes estocades assénée quasiment à l’aveugle ; tous deux n’en sortirent guère indemnes (Ixi’ualpa : 2T, 2B, 2PV !! Corus : 5T, 1T annulée, 4T, 4B, 1 svg, 1 invu, 2 PV !!).
     Corus aperçut de coin de l’œil que son capitaine avait tout simplement bondi hors de la dunette sur le pont un peu plus bas et que ses deux assaillantes l’y avaient suivi ; il ne pouvait cependant guère lui être d’une quelconque assistance, sa propre adversaire lui ayant cruellement entaillé les chairs de son arme brûlante (Ixi’ualpa : 1T, 1B, 1 PV !!!). Lui-même, cependant, n’était guère en reste, sentant que la guerrière ne déviait les coups redoutables de son trident qu’au prix de blessures superficielles mais de plus en plus nombreuses (Corus : 5T, 5B, 2 svg, 2 invus, 1 PV !!! Les deux combattants repartent à 1 PV chacun).
     Ixi’ualpa s’était sentie obligée de reculer pas après face aux attaques de ce guerrier redoutable ; elle n’avait jamais encore rencontré de mâle dont le style de combat lui serait paru étrangement proche du sien. L’amazone aperçut cependant que les blessures qu’elle avait assénées ralentissaient les mouvements du marin (Corus : 4T, 4B, 2 svg, 2 invus). Elle-même, galvanisée par l’adrénaline, sentait à peine les lacérations infligées par le trident et redoubla d’ardeur dans ses attaques ; en l’espace de quelques instants, Corus sentit une demi-douzaine d’estocade lui perforer le torse, la chaleur surnaturelle de la pointe lui causant mille douleurs qu’il n’aurait jamais pu s’imaginer auparavant. L’amazone paracheva son œuvre par un redoutable coup latéral qui cueillit son ennemi en pleine tempe et l’envoya chuter dans les ténèbres par-dessus le bastingage (Ixi’ualpa : 3T, 2B, 2 PV !!!). Après seulement, elle sentit la tête lui tourner.

     Corus ne revenait pas et ses marins, bien que braves, commençaient à céder tout simplement sous le nombre d’ennemis : Molos réalisa avec amertume qu’ils étaient en train de perdre la bataille. Son propre combat, d’ailleurs, avait eu tout d’une fuite à travers le pont des deux guerrières qui le poursuivaient, leurs lances leur procurant un cruel avantage sur le sabre du capitaine. Lorsqu’il lui parut manifeste que leur défense s’était muée en deux dernières poches de résistance, l’une sur la proue, l’autre contre le château arrière de la Lorelei, Molos beugla à ses hommes de se jeter à l’eau.
     Les guerrières Kalim furent quelque peu dépassées par cette manœuvre car la fuite des humains n’eut rien de panique : les deux groupes de survivants élirent chacun une direction à prendre et écrasèrent les quelques amazones qui leur barraient la route vers le bord du navire. Beaucoup d’entre elles plongèrent à leur suite, désireuses de faire des prisonniers, ce qui jusqu’à présent leur avait été sèchement refusé. Ce qui se déroula sous la surface du fleuve parut cependant ne donner aucun résultat ou, plus exactement, aucune des poursuivantes ne refit surface, c’est ce qui sembla à Rakt’cheel alors qu’elle s’attendait à voir ses guerrières triomphantes avec au moins quelques sacrifices. En désespoir de cause, elle ordonna la fouille du navire de fond en comble mais ne trouva pas exactement ce qu’elle recherchait : les deux mâles enchainés tout au fond avaient tout de prisonniers qui n’avaient guère pris part au combat. Leur sacrifice n’aurait strictement aucune valeur…
     Ixi’ualpa fut rejointe par ses deux guerrières survivantes : Haa’thee, une de ses rares camarades de longue date, et Luxia, guerrière Kalim qui avait décidé de sortir du giron de Rakt’cheel. La quatrième guerrière et amie de Luxia avait péri, hélas, par le trident du mâle qu’Ixi’ualpa lui jura qu’elle avait envoyé rejoindre ses ancêtres. Les trois amazones parvinrent ensuite à retrouver leur pirogue et s’éloignèrent aussi vite qu’elles le purent du vaisseau : les cris des guerrières Kalim à son bord prenaient des notes de démence, l’absence de prisonniers éveillait en elles une fureur à la croisée entre folie et infantilité. Ixi’ualpa réactiva sa lance, serra les dents et cautérisa la plaie la plus profonde que son adversaire lui avait laissée sur le flanc. Les dieux l’avaient encore protégée du passage vers le Grand Inconnu, Rigg en fût louée.

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Essen

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Sam 6 Mar 2021 - 23:11
Intermèdes III


     Les dépouilles des quelques étrangers tués lors de l'assaut avaient été entassées près du mât principal alors que leur meneuse avait les deux mains dans le torse d'un des hommes capturés dans les cales. Dominées par leur soif de sang, Rakt’cheel et quelques kalims étaient restées sur la Lorelei pour en finir avec les prisonniers, maigres offrandes mais seules victimes à leur disposition.

     Étudiant les corps des membres de l’équipage tombés au combat, l'une des kalims s'attarda sur ses armes et son accoutrement excentrique. Mollets, poignets et gorge complètement exposés : leurs protections étaient toutes garnies d'ouvertures, s'en était risible. Autant ne pas en porter et moins gêner ses mouvements. Et puis qu'ils étaient laids, tous barbus et… fronçant les sourcils, elle nota que tous, sans exception, avaient de la barbe sur les joues. Mais étonnamment pas le menton. De plus, tous arboraient un colifichet en forme de coquillage autour du cou. Conque, pétoncle, coquille d'escargot… Tous avaient un unique gris-gris.


     Une poignée des guerrières fanatiques redescendirent le long de la coque, accrochées aux cordages de la Lorelei. Leur victoire sur ces étrangers avait quelque chose de vexant suite à leur surprenante fuite organisée. Quel genre de marins se jetait à l'eau en abandonnant leur navire aux agresseurs, se laissant couler sans laisser de traces ? Ce dénouement avait été suffisamment singulier pour doucher l'entrain de ces kalims, et la koka, se dissipant, renforçait leur intense fatigue. Seul le petit groupe resté sur le pont fêtait plus ou moins leur victoire. Un humble sacrifice valant mieux qu'une absence de sacrifice.

     Une fois à bord de leur pirogue, les trois femmes s'écartèrent du navire et commencèrent à ramer en direction du rivage. Jusqu'à ce qu'un corps flottant à la surface, dos nu exposé, interpella l'une d'elles et, prestement, qu’elles se dirigèrent vers lui. La crinière sombre de longs cheveux et les tatouages sur ses omoplates ne laissaient que peu de doutes : il s'agissait d'une autre guerrière kalim, probablement tombée lors de l'assaut. L'une des amazones tendit la main pour hisser la dépouille à bord… mais un soubresaut anima soudain le corps.

     Avant qu'elle ne puisse comprendre ce qui se passait, le corps fut aspiré sous l'eau dans de grandes éclaboussures. Surprise, la kalim leva les bras pour se protéger tandis que ses consœurs se levaient dans la pirogue, pointant leurs armes vers quelques menaces tapie sous la surface. Mais, excepté des remous qui se dissipèrent rapidement, rien ne vint troubler l'onde, semblable à un miroir dans la nuit et reflétant les feux sur la rive.


 
     Avec un rictus, la guerrière referma ses doigts sur l'un des pendentifs. Elle ne put retenir une moue de dégoût en le sentant encore tiède sous ses doigts. Puis, sectionnant la cordelette de la babiole, elle s'en empara.

     Elle ne put retenir un hoquet de surprise et trébucha en arrière, les yeux rivés sur le corps du pirate. Sa réaction interpella les autres kalims les plus proches, qui remarquèrent à leur tour ce qui avait fait réagir leur sœur. Rapidement, la quinzaine de femmes encore à bord du navire forma un demi-cercle autour des dépouilles, si bien que Rakt’cheel dû jouer des coudes pour le franchir, les bras écarlate de sang. Enfin, elle put contempler le cadavre avec des yeux ronds.


     « Qu'était-ce ? Interrogea l'une des rameuses, stupéfaite. Un caïman ?
     — Non… ils n'attrapent pas leurs proies comme… »

     Un choc sourd sous la pirogue manqua de les propulser toutes les trois à l'eau. S'accroupissant pour assurer leur équilibre, elles échangèrent quelques regards. Puis se rassirent avant de reprendre leurs rames. Nul besoin de mots : elles n'étaient pas en sécurité. Plongeant leurs pagaies, elles synchronisèrent vite leur effort, se pressant vers la terre ferme. L'amazone en queue d'embarcation poussa un cri de surprise quand quelque chose attrapa son aviron. Quelque chose qui s'avéra être de longs doigts blafards lorsqu'elle s'efforça de garder sa prise. Quelque chose doté d'un visage efféminé et de barbillons, arborant un sourire bardé de crocs acérés.

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Illustration par Gromdal

     Le cri en provenance du fleuve attira l'attention des amazones ayant déjà rejoint la berge, comme celle des kalims à bord. Ces dernières se détournèrent du corps étrange et se pressèrent contre le bastingage. Plusieurs désignèrent la pirogue retournée, perplexes. Que s'était-il passé ? Leurs sœurs ne refaisaient pas surface… Personne n'avait rien vu ?

     Le regard de Rakt'cheel alla des cadavres à la pirogue. Suite à leur succès, la majorité des amazones avaient regagné la terre ferme. Seule elle et les plus fanatiques étaient restées pour sacrifier les quelques prisonniers. Sa frustration de n'avoir pu capturer la majorité de l'équipage de pirate fondit comme neige au soleil.

     « C'est mon navire. » grogna une voix calme dans son dos.

     Les guerrières pivotèrent d'un seul bloc, se tournant vers l'autre côté du pont, où l'étranger avait grimpé lorsqu'elles s'étaient précipitées vers le bastingage opposé. Plusieurs autres pirates, dégoulinant d'eau, passaient le rebord, leurs regards trahissant leur soif de vengeance.

     « Mais… mais ils… balbutia l'une des kalims à présent en sous-nombre. Sous l'eau tout ce temps ?! »


     Dans une crique légèrement à l'écart de la berge, là où était retourné le principal de la troupe amazone, Ixi’ualpa et ses deux camarades s'étaient relevées en entendant les cris de leurs sœurs. De leur position, elles pouvaient apercevoir la pirogue non loin, mais il n'y avait nulle trace des amazones revenant du navire capturé vers la berge principale. Ne restait que l’embarcation retournée, trahissant qu'il s’était effectivement passé quelque chose.

     Sans attendre, Luxia et Haa’thee se précipitèrent vers l'embarcation avec l'intention évidente d'aller leur porter secours. La guerrière-aigle quant à elle mit un instant à les imiter, posant une main sur son abdomen lancinant. Néanmoins, son hésitation lui fit remarquer un mouvement dans l'eau qu'avaient raté ses camarades.

     Le sommet du crâne et les yeux d'un homme venaient de percer la surface de l’eau, à quelques mètres seulement, approchant de la terre ferme. À ses cheveux en dreadlocks et ses rouflaquettes, ainsi que le trident qui perça l'onde à son tour, elle reconnut rapidement celui qui avait eut raison de la sœur d'arme de Luxia. Sauf qu'Ixi’ualpa l'avait occis, l'empalant de sa lance avant de le projeter par-dessus bord. Nul homme n'aurait pu survivre à un tel sort, et encore moins sortir de l'eau pour venir à elle avec une lueur d'excitation dans le regard. Moins encore en ayant sa tunique flambant neuve bien que dégoulinante d'eau, comme si elle n'avait jamais été percée à plusieurs reprises par sa lance !

     « Tu es une adversaire de valeur, déclara Corus en avançant dans le sable à portée de lame. Mais je refuse de m'incliner encore. Pas contre un second opposant. En tant que Champion de K'Kligir, je ne peux pas le tolérer. »

     Secouant la tête, Ixi’ualpa chassa sa stupeur puis fit un pas en retrait avant de prendre une posture de combat, lance pointée vers le pirate revenu d'entre les morts. Elle était prête à en découdre. La douleur de sa blessure s'était envolée. Elle fit abstraction de son environnement et des deux autres amazones n'ayant peut-être pas remarqué l'envahisseur qui… qui venait de planter son trident dans le sable.

     Circonspecte, l'amazone l'observa porter la main à une breloque pendue à son cou. Lui la fixait avec intensité, puis arracha son médaillon.

     Ixi’ualpa cligna des yeux. L'homme avait disparu, laissant place à un… à une créature à la peau bleutée et luisante comme celle d'un batracien, affublée d'une tunique comme elle n'en avait jamais vue, brillante comme de la nacre. Tunique qui, elle, avait été complètement ruinée au niveau du torse et de l'abdomen.

     Les yeux de Corus, d'un jaune intense et aux pupilles fendues, tels ceux de reptiles, étaient rivés sur elle et luisaient d'intelligence. Ses cheveux avaient été remplacés par quelques sortes de pseudopodes lui tombant derrière les épaules. Sa barbe par des barbillons reliés entre eux par d'une membrane écarlate. Dans la chair de part et d'autre de sa gorge, des fentes jumelles frémissaient à chacune de ses inspirations. Ses avant-bras présentaient le même genre de barbillons rougeâtres aux allures de nageoires qui ornaient ses joues. Tout comme ses mollets.

     « Que… qu'est-ce que tu es … » murmura-t-elle entre ses dents serrées, toujours en position de combat, la pointe de lance ciblant son torse.

     Esquissant un sourire qui dévoila des dents acérées, Corus prit le temps d'enrouler son collier autour de son poing, puis reprit son trident de la même main. Il n’avait pas compris un traître mot de ce qu’elle venait de dire et elle, probablement, ne le comprenait pas non plus. Cependant, le langage corporel était universel : son expression surprise, certes fugace, ne laissait aucun doute. Levant de l'autre bras son bouclier où était sculptée une silhouette entourée de serpents, il répondit :

     « Bats-moi une seconde fois, humaine, et je te dirai ce que je suis ! »

     Sur cette provocation, il se jeta en avant dans une éclaboussure, trident brandit. Se contorsionnant en levant le bras, Ixi’ualpa évita de justesse les pointes mortelles qui ne firent qu’érafler son vêtement au niveau de l’aisselle. Elle effectua quelques pas de côté pour retrouver son équilibre et retrouver une posture défensive. Corus ne lui en laissa pas la possibilité, pressant son avantage et effectuant une nouvelle fente de son trident. (Corus 5T, 1anulée, 3B, 2svg, 1Invu)

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Illustration par Gromdal

     Écartant la tête, elle évita les pointes qui ne traversèrent que ses cheveux. L’une des perles jumelles, sous ses oreilles et retenant ses mèches sombres, éclata néanmoins. Sans se laisser démonter, elle se fendit à son tour, leurs armes se croisant alors que le pirate repliait le bras. Cette fois, la contre-attaque d’Ixi’ualpa fit mouche. L’étranger récolta une estafilade aux barbillons de la joue dans une gerbe de flammes. (Ixi’ualpa 1T, 1B, 1 PV)

     Reculant d’un pas, son entrain douché par ce à quoi il venait d’échapper, Corus se mit sur la défensive. Le feu n’était pas quelque chose qui l'effrayait particulièrement depuis son séjour à la surface. Néanmoins, aussi près de son visage, il était prêt à reconsidérer cet avis. Il se renfrogna en ouvrant la bouche, montrant à nouveau ses dents aiguisées.

     Ixi’ualpa quant à elle s’empara de ces précieuses secondes pour réfléchir à toute allure, la surprise liée à l’apparence de son adversaire étant passée. Sa nature humaine n’était qu’une illusion. Voilà pourquoi il n’avait pas arboré les blessures dues à leurs premières passes d’armes. Cependant, sa “véritable tunique”, songea-t-elle, faute de mieux pouvoir la nommer, était sévèrement endommagée, signe qu’il avait bel et bien subi ses coups de lance ravageurs. Et surtout, il saignait là où elle l’avait éraflé à la joue. S’il saignait, il pouvait mourir. Aussi se précipita-t-elle en avant à son tour, sans chercher à comprendre comment il avait pu survivre au traitement qu’elle lui avait infligé à bord du navire.


     Le combat tourna court à bord de la Lorelei. Les kalims, surprises à leur tour de se faire aborder, luttaient à plus de trois contre une alors même que les effets exaltants de la koka s’étaient dissipés et même pire, les accablaient d’un contre-coup, affaiblissant tant leurs corps que leurs ardeurs. Quelques-unes firent malgré tout encore preuve d’obstination, empêtrées dans les filets de multiples retas des pirates, jusqu’à ce qu’elles soient rouées de coups par les pirates n’ayant pas vraiment apprécié se faire chasser de leur propre bâtiment.

     Approchant les corps de ses hommes près du mât, Molos s’accroupit devant la créature à peau bleu sombre ayant remplacé le marin. Puis il posa solennellement la main sur la poitrine humide du corps inerte.

     « Puisse Stromfels recueillir ton âme, murmura-t-il dans un souffle. Puisse-t-il recueillir toutes vos âmes. »

     Quelques secondes, il resta immobile et silencieux. Jusqu’à ce que l’un de la demi-douzaine de pirates du tas de dépouilles ne tousse en crachant un peu de sang.

     « Apportez-lui de l’eau ! s’écria aussitôt le capitaine, interpellant ses hommes passant à tabac les prisonnières. Apportez… »

     Ce n’est qu’alors qu’il remarqua les multiples pirogues mises à l’eau sur les rives. Leur retour à bord n’était pas passé inaperçu et, malgré le coup d’éclat de leur reconquête, celle-ci serait de courte durée s’ils n'agissaient pas rapidement. Aussi aboya-t-il à ses marins d’aligner la dizaine de prisonnières le long de la rambarde, bien en évidence. La plus entêtée lui fut apportée, le visage tuméfié et du sang venant recouvrir la peinture blanche étalée sur sa peau. Il n’eut toutefois pas le loisir de s’y attarder. Il entendait des éclats métalliques, trahissant qu’un combat avait encore lieu alors que le pont du navire avait été sécurisé (Corus 2T, 1B, -1PV ; Ixi’ualpa 2T, 1B, 1PV). Perplexe, Molos grimpa jusqu'au gaillard arrière et découvrit qu’un des membres de son équipage était manquant. Il s’en était allé ferrailler seul jusque sur la terre-ferme !


     Corus fut frappé par la hampe de lance en plein estomac malgré son bouclier levé, lui coupant le souffle. C’est de justesse qu’il parvint à lever son écu, bloquant la pointe de lance comme l’amazone effectuait un pas en retrait en décrivant un arc de cercle avec son arme. Écartant son défenseur, le champion effectua une nouvelle fente fulgurante en guise de représailles.
     De justesse, la guerrière aigle planta son arme dans le sable et intercepta le trident entre deux pointes. Ixi’ualpa se fit toutefois entailler les deux poignets au passage. Mais cela lui évita de se faire empaler (Corus 4T, 4B, 1 svg, 2 invu, -1PV). Marquant un temps d’arrêt, l’étranger poussa un sifflement approbateur, appréciant l’originalité de la parade avant de se dégager de quelques pas en arrière (Ixi’ualpa 2T, 0B).


     « Dites, on ne devrait pas aller l’aider ? interrogea l’un des membres d’équipage en désignant le combattant solitaire.
     — Non, rétorqua sèchement Molos. Bougez-vous et captez-moi cette brise ! Qu’on sorte de ce fffoutu bourbier ! »

     Sur la rive, les amazones convergeaient en nombre vers le duel, faute de pouvoir approcher du navire en raison des otages exposées. Molos leur jeta un regard sombre qui glissa jusqu’à son champion, qui leur offrait involontairement le temps d’apprêter les voiles. Plus vite ils auraient décampé de ce guêpier, mieux ils se porteraient.

     Malgré tout, il alla se pencher par-dessus la rambarde, bousculant deux femmes immobilisées par des marins, dague contre la gorge. Les ignorant royalement, Molos releva la tête, sa longue barbe pendant dans le vide. Puis il poussa d’étranges sifflements de gorge à l’adresse de la surface, l’amazone prisonnière la plus proche fronça les sourcils d’incompréhension.


     Saisissant la reta à sa hanche du bras portant son bouclier accroché à son poignet, Corus surprit l’amazone en tentant de lui envelopper le visage dans les mailles acérées d’un revers furtif. Celle-ci interrompit sa charge et l’évita en se penchant en arrière, le dos arqué. Malgré cela, elle se fit entraîner de côté, les cheveux happés par le filet. Elle tomba de côté et roula dans le sable, poussant un cri comme la douleur envahit sa blessure au ventre tout juste cautérisée (Corus 3T, 2B, 2PV !).

     Néanmoins, malgré ses yeux plissés, Ixi’ualpa discerna l’ombre de son adversaire s’interposer devant les feux allumés plus loin sur la berge au-delà de la crique. N’écoutant que son instinct, elle roula de côté et but la tasse en se retrouvant dans l’eau, évitant néanmoins le trident qui se planta dans le sable (Ixi’ualpa 2T, 1B, 1PV ! Les deux combattants repartent avec 1PV !).

     Reculant sur les coudes et s’enfonçant dans l’eau, Ixi’ualpa s’efforça de mettre de la distance entre elle et la créature à peau bleutée. Plutôt que pousser son avantage, celle-ci se contenta de raccrocher sa reta à sa hanche, lui faisant signe du menton de se relever.

     « Debout humaine, déclara-t-il. Je veux t’ôter la vie debout plutôt que rampante. Tu mérites pas d’être ainsi déshonorée après un duel si glorieux. »

     Sur quoi, sans même savoir si ses mots avaient furent compris, il leva haut son bras armé et passa le trident dans une boucle de cuir, entre ses omoplates. Puis, il s’empara du glaive accroché à son autre hanche. De la lame, il fit à nouveau signe à Ixi’ualpa de se relever.

     Ce qu’elle fit avec une lenteur mesurée, reprenant son souffleet prête à bondir au moindre coup-fourré. La scène avait tout d’une exécution car, dans sa chute et avant de prendre du recul, son arme lui avait échappé. Elle gisait à présent quelques pas derrière l’étranger.

     Patiemment, Corus attendit qu’elle soit relevée et ai retrouvé ses deux appuis pour charger. Poussant un sifflement de triomphe, il brandit son épée pourvue d’un crochet accompagné de quelques éclaboussures.

     En désespoir de cause, Ixi’ualpa fit un pas en retrait, de l’eau jusqu’aux mollets, portant une main à son poignet opposé. Comme le pirate effectuait un bond en avant à renfort d’éclaboussures, elle lui jeta au visage le brassard qu’elle venait de s’ôter. La surprise fit manquer sa mise à mort à l’étranger et son épée ne trancha que de l’eau (Corus 4T, 3B, 1svg, 1invu, 1PV).

     Sifflant de frustration, Corus fit volte-face et courut après l’humaine, la rattrapant à toute vitesse dans l’eau peu profonde. Celle-ci se précipita sur sa lance, se jetant en avant sur les derniers mètres. Elle roula au sol et pivota sur un genou d’un mouvement félin, effectuant un revers de sa lance fraîchement retrouvée. Elle vint frapper au poignet le champion qui s’apprêtait à frapper à nouveau. L’arme lui échappa des doigts et alla voler dans l’eau (Ixi’ualpa 2T, 2B, 2PV ! Les deux combattants repartent à 1PV !).

     Corus ramena son bras contre lui, sa nageoire de poignet douloureusement vrillée. Grimaçant, son regard jaune alla de l’amazone à sa lance ardente retrouvée. Il esquissa un sourire contrit, révélant ses crocs, avant de lever son bouclier plutôt que prendre le temps de se saisir de son trident : il ne lui avait pas laissé le loisir de reprendre son arme, il n’y avait pas de raison qu’elle le lui accorde.


     Molos poussa un juron en constatant que le duel ne tournait pas en la faveur du champion de son équipage. S’emparant d’un pistolet caché à l’intérieur de son épais manteau, il s’empressa de lever le bras pour tirer en l’air et interrompre leur combat, dut-il s’attirer le courroux de Corus pour cette intervention. Mais un ridicule grésillement fut tout ce qu’il obtint : son séjour dans le fleuve avait évidemment trempé la poudre.

     Il jura à nouveau en jetant son arme sur le pont, réclamant un pistolet sec. Toute proche, Rakt'cheel profita de la confusion engendrée pour soudain se redresser en infligeant un coup de l’arrière du crâne au marin qui la maintenait immobile. En un éclair, elle fut sur le Molos, un poignard apparu comme par magie à sa main et fusant vers la gorge du capitaine… sauf que la barbe de celui-ci s’enroula autour du poignet armé au vol. Il stoppa net l’attaque pernicieuse de la femme, l’entravant avec la force d’un étau. Stupéfaite, elle se tourna vers lui, les yeux ronds pour la seconde fois cette nuit-là. Il lui décocha un regard noir, silencieux. Accroissant encore la pression sur son bras, il l’obligea à ployer le genou sous la douleur...


     Prenant l’initiative en désespoir de cause, Corus chargea et fit effectuer un arc-de-cercle à son bouclier. Il anticipa le mouvement de l’amazone vers son épaule exposée, avec l’intention de faire glisser la lance sur cette protection, puis de la frapper à la tête. Mais le prenant à contre-pied, elle se décala sur la gauche du pirate (Corus 2T, 2B, 1svg, 1invu).

     Profitant de l’ouverture béante dans sa défense, la lance traversa l’abdomen de Corus et ressorti dans son dos. Il hoqueta quelques instants, stupéfait, avant de baisser les yeux sur la hampe enfoncée dans son ventre, les genoux flageolants (Ixi’ualpa 3T, 3B, 3PV !!).

     Ixi’ualpa retira sèchement sa lance, le privant d’appuis. Incapable de tenir debout, Corus tomba à genoux, laissant s’échapper une gerbe de sang qui gicla par ses branchies. Haletante, l’amazone posa le pied sur son épaule et le repoussa en arrière. Il s’effondra sur le dos, dans l’eau, bras grands écartés. Difficilement, il toussa, quelques vaguelettes portant une eau écarlate aux pieds d'Ixi’ualpa.

     Un coup de feu retentit brusquement sur la Lorelei passant à un jet de pierre comme Ixi’ualpa, avancée dans l’eau jusqu’à mi-mollet, levait sa lance pour percer le cou du vaincu, juste sous le menton. Elle se tourna vers l’origine de la détonation et ce n’est qu’alors qu’elle put remarquer les guerrières kalims alignées contre le bastingage. Toutes avaient une lame sous la gorge. Depuis la hauteur du Gaillard arrière, Molos désigna du sabre les amazones capturées. En particulier leur meneuse qu’un marin devait maintenir debout pour qu'elle ne s'effondre pas.

     Le geste se passait de mots : l’homme à la peau bleue mourrait, les amazones également.

     En signe de “bonne foi”, Molos cracha un ordre à ses pirates. La seconde suivante, ils balançaient des kalims par-dessus bord, ne gardant que celle qu’il identifiait comme leur cheffe, Ratch’keel, ainsi que quelques autres, à côté de lui...

La Route d'Eldorado - Page 2 2021_011
Illustration par Gromdal

     Refaisant surface, les amazones libérées s’empressèrent de nager jusqu’à la berge proche ou vers les pirogues approchantes. Elles ne furent pas entraînées sous l’eau, même si Ixi’ualpa ne remarqua pas ce détail.

     Ixi’ualpa resta un immobile pendant tout ce moment, qui parut à Molos comme à sa prisonnière, extrêmement long. Depuis le bateau, Ratch’keel renvoyait à l’amazone son regard dur. Le visage de la guerrière aigle s’était fermé, insondable. Celui de la kalim s’empreignit de résignation face au sort qui lui était réservé : Ix’iualpa ne la portait pas dans son cœur, et elle le savait.

La Route d'Eldorado - Page 2 2021_014
Illustration par Gromdal

     La guerrière baissa, lentement, sa lance... Posant une main sur le corps inconscient de Corus qui flottait sur l’eau, elle le poussa doucement en direction du cœur du fleuve. Elle manqua de bondir en retrait lorsque dans une grande éclaboussure de forme massive perça la surface près du corps à la peau bleue.

     Le visage dégoulinant d’eau, une femme jusque-là embusquée sous l’eau sombre s’interposa entre l’amazone et son adversaire vaincu.

     Non, pas une femme, réalisa Ixi’ualpa avec stupeur. Des barbillons verdâtres ornaient ses joues et ses yeux jaunes étaient similaires à ceux du vaincu. Ses dents également étaient aiguisées, semblables à une multitude d’aiguilles, menaçant l’amazone comme elle feulait en sa direction.

     Sans prononcer un mot, la créature s’empressa de passer un bras puissant autour de l’abdomen de Corus. Puis elle l’emporta avec elle dans les profondeurs, arrosant copieusement la guerrière-aigle d’un puissant coup de la nageoire, terminant la queue de poisson reliée à ses hanches en lieu et place de jambes.

     Abasourdie, trempée et éreintée, Ixi’ualpa leva néanmoins le regard vers le navire, à temps pour voir les dernières prisonnières basculer par-dessus bord. Après quoi la Lorelei glissa rapidement, poussée par la brise nocturne, et s’éloigna de ce bras de fleuve inhospitalier, laissant les amazones à leurs retrouvailles.

***

     La créature creva soudain la surface de l’eau, secouant la tête avec quelques éclaboussures. Après avoir pris la mesure de son environnement immédiat, un méandre marécageux du fleuve, elle s’empressa de se diriger vers des racines noueuses plongeant dans l’eau boueuse. Tenant fermement son fardeau contre sa poitrine nue, elle s’efforça de s’y frayer un chemin. Mais son corps imposant ne lui permettrait pas d’aller bien loin, l’obligeant vite à se contorsionner à moitié découverte. Aussi, après quelques minutes d’hésitation, flottant au milieu des racines des arbres immenses, étudiant cet environnement étrange, elle jugea qu’ici il serait plus en sécurité. Si y accéder était difficile pour elle, il le serait également pour cet énorme reptile croisé sous la surface.

     Remarquant non loin un agrégat de branches et racines formant presque une cage naturelle, la créature aux traits féminins s’y dirigea. D’un regard, elle convint qu’en aucun cas elle ne pourrait y entrer. Ce qui la conforta en accord avec ses précédentes réflexions.

     Avant de glisser le corps à l’intérieur de l’enchevêtrement végétal, elle porta toutefois les doigts à la main de son protégé. Même inconscient, il avait continué à serrer le poing autour de son colifichet. S’en emparant, elle le lui passa au cou et redonna à Corus son apparence humaine. Après quoi elle le glissa aussi délicatement que possible à l’intérieur, bataillant pour faire passer le trident accroché dans son dos, puis grimaçant lorsqu’il toussa et cracha un peu de sang. Mais une fois l’opération effectuée, elle s’en retourna d’où elle venait d’un discret plongeon.

     Glissant lentement dans l’eau et la vase, Corus était revenu à lui. Il s’était laissé manipuler, à moitié conscient, serrant les dents lorsque la douleur avait irradié à travers son abdomen. Mais à présent, il se laissait aller, gisant presque complètement immergé. Où qu’il se trouve, la nixe l’avait déposé à l'abri du prédateur rencontré dans l’eau du fleuve. Ici il pouvait baisser sa garde. Laisser l’eau cicatriser sa terrible blessure. Fermer les yeux…

     Un temps indéfini passa durant lequel il erra entre rêve et semi-conscience, la lumière de la lune - à moins que ce fut le soleil ? - jouant avec les racines le surplombant.

     Lentement, l’eau dans laquelle il baignait se teinta de rouge. Son engeance avait le don de régénérer dans l’onde, mais même eux avaient leurs limites. Cette fois, il aurait besoin de temps...

*

     Mannslieb était basse dans le ciel, mais sa douce lumière éclairait les rives en apparence calmes de l’Amaxon. Cependant,même la nuit, celles-ci étaient emplies d’une multitude de sons, allant du bruissement des feuilles aux cris de quelques animaux nocturnes. Dans cette étrange cacophonie, il aurait été aisé de ne pas remarquer la forme qui avançait péniblement sur la berge, boitant à moitié, et animée d’un souffle rauque. Mais pourtant, autour d’elle régnait un silence irréel. Fiodor le non-mort, vampire redoutable dans son état normal, était à présent fatigué, blessé, et plus que tout il était assoiffé de sang. Cette envie de meurtre compulsive semblait presque instinctivement ressentie par toutes les formes de vies alentour, qui s’éloignaient le plus silencieusement du monde. Et ce à son grand dam, car il avait soif. Oui, très soif.
     Son apparence ne payait pourtant pas vraiment de mine. Ses vêtements déchirés étaient brûlés par endroit, ses cheveux habituellement coiffés et attachés tombaient en une cascade noire sur ses joues creusées. Il se déplaçait avec précaution, et un regard attentif s’apercevrait rapidement d’une certaine difficulté dans le mouvement. Et surtout, une plaie béante déchirait son abdomen, signe indélébile de sa récente défaite face à la princesse Ylmerion. Mais un seul regard à ses yeux aurait suffi à n’importe qui pour tourner les talons. La sclère noircie, et l’iris rouge vif, dépourvu de pupille, rendaient inhumaines ces deux fentes habituellement si froides. Et le sourire béat qui lui fendait le visage n’aurait en rien atténué cette sensation.

     L’esprit de Fiodor était empli de pensées qui se bousculaient les unes avec les autres. Il avait faim, ou soif, ou les deux. Il lui fallait du sang, du sang frais, du sang humain, ou elfe, ou même nain, tout pourvu que ce fut du sang. DU SANG ! Il voulait arracher le bras de cette elfe, le manger, le lui faire manger, ou la dévorer elle. C’était flou, il déciderait une fois sur place, mais il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer la massacrer de mille façons différentes, sans réussir à déterminer laquelle lui ferait le plus plaisir. Pourtant, un petit recoin de son esprit lui rappela que ce n’était que passager, que sitôt le prochain adversaire trouvé cette elfe quitterait ses pensées. Mais ça ne l’empêchait pas de rêver au démembrement de la princesse, encore et encore.
     Il pensait aussi à son équipage. Où étaient-ils ? Depuis qu’il s’était extirpé du fleuve, il les avait perdus de vue, mais il n’avait pas eu le temps de s’en soucier au début, trop occupé qu’il était à refermer sa blessure par nécromancie. C’était chose faite à présent, mais l’effort que cela représentait l’avait affamé, au grand dam de toutes les créatures environnantes.

     Puis tout d’un coup il se figea. Une odeur avait pénétré ses narines. Du sang.

     Du sang frais !

     Il y en avait, tout proche. Ses yeux scrutèrent les alentours avec frénésie. Il n’y avait pas de doutes, quelque-chose saignait, pas loin. Et cette odeur, cette odeur lui rappelait…
     Rien.
     Ou plutôt si, mais ce n’était pas net. Ce n’était pas du sang humain, pas tout à fait, mais ce n’était pas celui, musqué, d’une bête sauvage. Non, c’était plus proche du sang d’un poisson. Mais ça n’en avait pas l’odeur fade. C’était le sang d’une chose qu’il n’avait jamais vue. Instinctivement, il posa la main gauche sur la garde de son épée, qu’il avait miraculeusement gardée malgré toutes ses péripéties.
     Puis une autre odeur, plus subtile, lui parvint petit à petit. C’était celle de la peur. Oh, oui, cette créature avait peur, rien qu’un peu, et peut-être même inconsciemment, mais ça suffisait pour savoir qu’elle se cachait. Fiodor secoua la tête, souriant de plus belle. S’il avait trouvé le moyen d’étancher sa soif tout en goûtant à une nouvelle saveur, cette soirée allait certainement être plus belle que la journée qui l’avait précédée.

*


     - Si tu ne sors pas, petit poisson je vais venir te chercher.

     La voix de Fiodor brisa la quiétude ambiante avec la subtilité d’un poignard dans une gorge. Son timbre était plus aigu que d’habitude, son ton plus traînant. Il était ici le chasseur, et non le capitaine. Ses yeux fixaient la direction approximative de l’odeur si entêtante du sang : une mangrove, où il devinait plus qu’il ne voyait une forme se réfugier.

     L’éclat de voix tira le pirate blessé de sa torpeur. D’instinct il tourna la tête dans toutes les directions, cherchant ce qui venait de rompre le silence relatif de la jungle lustrienne. La lumière qui perçait entre les racines l’entourant avait baissé, ne devenant plus qu’une pénombre ambiante. Ici et là, des clapotis et coassements de quelques animaux sauvages se faisaient entendre, ayant bercé son repos.

     Combien de temps avait-il dormi exactement ? Quelques heures ? Une journée entière ? Impossible à dire. Cependant, il en avait la certitude, ce qu’il venait d’entendre n’était pas un rêve, bien que le sens des mots lui échappa dans son état comateux.

     Prenant appui sur ses coudes, plongés dans la fange, il se redressa péniblement, le ventre cisaillé par une douleur atroce. Son corps était maculé de boue, baignant dans l’eau trouble jusqu’à la poitrine. Cela ne le dérangeait nullement et, en vérité, il serait bien resté dans cette position quelques heures de plus. Mais que quelqu’un ou quelque chose soit aussi proche, dans une forêt aussi vaste, ne pouvait être une coïncidence. Il s’arracha à son matelas de limon avec un bruit de succion, puis se tourna de côté. D’une main sur son abdomen, il constata l’état de sa blessure. La cicatrisation était bien avancée au vu de ce qu’il avait subi, mais pas terminée.

     Qu’importe, il faudrait que cela suffise. Tendant de bras, il serra le manche de son trident, posé contre quelque racines, et utilisa cet appuis pour se redresser. Aussi silencieusement que possible. Où était l’importun l’ayant réveillé ? L’avait-il localisé ? Avait-il réellement perçu sa présence ? Dans le doute, il resta immobile. Silencieux. À l'affût.

     Fiodor fit quelques pas en avant, les sens en alerte, le regard toujours fixé vers l’obscurité des mangroves au bord du fleuve. Ses lèvres étaient plissées, au point que sa bouche ne formait plus qu’une fente tremblante. Car il tremblait, de faim et de violence difficilement contenue. Les odeurs et les sons l’agressaient de partout, et il voulait faire de l’ordre dans son esprit, sans y parvenir. C’était presque trop pour lui, mais sans trop savoir comment il parvenait encore à garder son calme. Un miracle. Mais ce petit jeu l’énervait déjà. Sa voix claqua de colère.


     - Petit poisson, je perds patience. Si tu ne sors pas maintenant, ce sera au bout d’une pique !

     Petit poisson ? Au bout d’une pique ? songea Corus avec un sentiment de confusion mêlé d’irritation.

     Clairement c’est à lui qu’il s’adressait. Et qu’il persifflait.

     Avec une grimace qui ne devait plus rien à la douleur engendrée par sa blessure, Corus se releva, les mollets à moitié plongés dans la boue. Puis, péniblement, s’arracha à la gangue pour se glisser à l’extérieur. Il était le champion des arènes de K'Kligir ! Il n’était pas question qu’il laisse un simple maraudeur le provoquer ainsi !

     Escaladant ces mêmes racines l’ayant jusqu’à présent abrité, maculé de boue, il se révéla à la lueur de la lune. Sa machoire et ses bras tremblaient. Mais ce n’était ni de froid ni de douleur. Non.
Quelqu’un venait de bousculer sa fierté. De l’insulter. De le menacer.

     Quelqu’un qui allait en payer le prix.

     Sondant la pénombre, il chercha celui-ci du regard, perçant aisément l’obscurité. Nulle embarcation ne se trouvait à proximité. L’intéressé était donc à pied. Du côté de la berge. Où justement il le découvrit avant de froncer les sourcils, surpris par son accoutrement en à peine meilleurs forme que le sien. Le visage, les rouflaquettes et dreadlocks maculés de boues, il ne devait vraiment pas payer de mine. Quand à sa tunique humaine, générée par le charme de son médaillon, elle avait littéralement changé de couleur, devenue marron-verdâtre. Elle avait toutefois meilleure allure que sa véritable tunique dissimulée sous l’illusion… Toutefois, aussi pitoyable qu’il paraisse - dégoulinant de boue, d’eau et de sang - son bouclier et son trident orientés vers l’inconnu étaient parfaitement fonctionnels. Avec une adresse propre à ceux de son espèce, il s’approcha en sauta d’une racine noueuse à une autre sans glisser malgré ses chausses recouvertes de limon.

     Scrutant les ténèbres, la main toujours accrochée à la poignée de son arme, Fiodor finit par figer le mouvement chaotique de ses yeux. Il avait capté, au milieu de la mangrove, deux petites lueurs. Il rendit son regard à Corus, et haussa les sourcils pour bien montrer qu’il l’avait repéré. La traque prenait fin. Il vit alors émerger, dans un clapotis d’eau boueuse et sanguinolente, la forme imposante du champion de la Lorelei. Il constata rapidement son piteux état, ses vêtements au moins aussi ruinés que son propre accoutrement, mais aussi et surtout la détermination imprimée sur son visage. Le triste état de Corus rappela douloureusement à Fiodor sa propre piètre forme, mais il chassa cette pensée. Qui qu’il fut, ce mortel n’avait visiblement pas l’intention de se laisser insulter, et encore moins de se rendre.
     - Bon, maintenant, petit poisson, je vais te prendre du sang. Beaucoup de sang. J’ai soif, au point que je pense bien ne pas pouvoir me maîtriser très longtemps. Alors ne t’avise pas de résister.

     Provocation puérile, et bien inutile, Fiodor s’en doutait. Mais c’était plus fort que lui. Il aimait jouer, et garder la mine sombre et implacable devant ses hommes pouvait le lasser. À présent qu’il était seul, il entendait bien jouer un peu plus du plat de la langue.

     Haussant un sourcil d’étonnement, Corus dévisagea son vis-à-vis du bandana au bottes. S’attarda sur la blessure similaire à la sienne auquel nul humain ou elfe n’aurait put survivre. L’éclat écarlate de ce regard luisant dans la nuit. La solution se fit évidente. Cet importun était de la même espèce que celui l’ayant déjà défait lors du premier assaut de la Loreleï sur l’Amaxon. Une sangsue portant un masque d’humanité. Une macabre parodie de vie.

     Lentement, il esquissa un sourire, s’efforçant de masquer sa douleur comme sa fatigue.


     - Tu peux certainement essayer, déclara-t-il. Mais je préviens, d’autres que toi se sont cassés les dents.

     Narquois, il insista bien sur ce dernier mot, mettant en évidence le fait qu’il ai deviné la vraie nature de son interlocuteur. Fiodor, qui ne s’y attendait pas, se contenta seulement d’étendre son sourire en penchant légèrement la tête sur le côté d’un air légèrement paternaliste, révélant ses crocs aiguisés. Cette défiance, il l’avait déjà vue, maintes et maintes fois. Ces jeux de mots, il les avait déjà entendus, et même utilisés avant de s’en lasser. Mais le jeu, le jeu l’avait pris, et il s’entendit presque répondre :


     - Oh, ne t’inquiète pas. J’ai les dents solides.

     Ces mots furent suivis d’un silence tendu. La tension montait.

     Puis ce fut l’explosion.

     En un éclair, Fiodor dégaina son arme, et se rua en hurlant comme un damné sur un Corus qui l’attendait de pied ferme. Il avait déjà levé le bouclier, la mine résolue à vendre chèrement son sang. Dans un fracas métallique, l’arme du vampire s’écrasa sur la protection du guerrier, qui cependant recula sous la force de l’impact. Corus serra les dents, se rappelant soudain de la force de ces créatures.

     Mais de la force, il en avait aussi.

     D’un mouvement simultané des bras et des hanches, il repoussa immédiatement l’attaque du vampire. Puis se lança dans un déluge d’attaques en profitant de son allonge supérieure. Le trident fusa vers les points vitaux de son adversaire, visant là la gorge, ici le cœur. Mais à chaque fois Fiodor parvint à esquiver de justesse ou à dévier l’arme de son épée. Ses mouvements étaient pourtant imprécis, voire inutiles. Corus en ressentit une intense frustration car son propre état physique limitait grandement ses capacités martiales. Il ne parvenait pas à en profiter. Fiodor, de son côté, n’était que colère et insatisfaction. Lui avait voulu se défouler, se lancer à corps perdu dans un combat. Mais il devait à présent se concentrer et rester calme pour éviter de finir embroché. D’une certaine façon, cet adversaire l’impressionnait, car lui manifestement n’avait pas le même problème. De plus, il n’arrivait toujours pas à interpréter son odeur insolite. Péniblement, il commençait à se résigner à jouer au jeu de l’esquive, espérant que ses sautes d’humeur ne le mènerait pas à l’erreur.

     Ce fut pourtant ce qui finit par arriver. Parant une énième attaque du champion d’arène, Fiodor se tourna sur le côté, laissant son flanc grand ouvert. Corus ne perdit pas un instant et s'engouffra dans l’ouverture. Il ramena à lui son trident d’une main experte puis effectua une fente fulgurante vers ce point faible. La frustration qui s’imprima sur le faciès du vampire révéla, si c’était nécessaire, qu’il ne s’y attendait pas. Il ne put se détourner assez vite. Une vive douleur lui vrilla l’esprit alors que l’arme de Corus s’enfonçait dans sa main gauche, la perforant de part en part. Son hurlement de douleur résonna dans la jungle et fut la cause involontaire d’un massif mouvement de panique animalier à des lieues à la ronde (Corus : 3T 2B 2PV !).

     Corus eut un bref rictus de satisfaction, qu’il réprima aussitôt. Cette blessure était bon signe, mais il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin. Son adversaire allait certainement faire de plus en plus d’erreur.

     Aussi quelle ne fut pas sa surprise en voyant Fiodor lâcher son épée et s'empaler la main jusqu’à la garde du trident, refermant les doigts dessus.


     - Je t’ai eu petit poisson !

     D’un coup sec et puissant, le vampire blessé écarta le bras avec cri mêlant rage et douleur. Corus, horrifié, sentit son arme lui échapper des mains, violemment tiré en avant. Jetant le trident dans les fourrés, Fiodor laissa la furie s’emparer de lui, son adversaire à présent désarmé. La bête qui était en lui se révéla petit à petit tandis que ses doigts se changeaient en griffes. Que son visage s’allongeait. Que sa mâchoire se garnissait de crocs. Corus, désemparé, reçut de plein fouet le premier coup de griffe à l’épaule. Si son bouclier bloqua le suivant, la troisième attaque fut un brutal uppercut au ventre. Il se plia en deux, le souffle coupé et échappant une gerbe écarlate, frappé en plein sur sa blessure à peine refermée. Acculé, le combattant aux dreadlocks porta une main tremblante à sa hanche, cherchant son épée à la pointe pourvue d’un crochet. Mais ses doigts ne trouvèrent que de l’air.

     « Zut » jura-t-il, réalisant l’avoir une nouvelle fois égaré.

     En désespoir de cause, il opéra un pivot sur le sol tout en se redressant, ayant l’intention d’envoyer son bouclier dans le visage de la bête devant lui. Mais Fiodor, éructant un ricanement rauque, esquiva d’un bond. Il atterrit derrière Corus, qui, hébété, n’eut pas le temps de se retourner. Le vampire lui porta un coup de griffe qui l’entailla de l’épaule aux reins, déchirant sa tunique. Sous le choc, ce dernier n’eut même pas la présence d’esprit d’hurler avant de s’écrouler (Fiodor : 4T 3B 3PV !).

     Corus balbutia, étalé au sol et le dos en feu. Sa situation était mal engagée. Mais même si cela devait être sa fin, il n’était pas question qu’il meure de cette façon. Pas vautré au pied de quelque rejeton abject de la surface. Porté par sa fierté, il se releva sur les coudes, assez pour voir tomber entre ses mains le pendentif à la lanière tranchée.

     L’illusion brisée, sa véritable nature fut révélée au vampire lorsqu’il se tourna vers lui, bien qu’encore à terre. La peau de son visage était toujours maculée de boue, mais d’une teinte bleue et huileuse. Les barbillons rougeâtres ayant remplacé sa barbe soignée vibra en écho au feulement sauvage qu’il poussa, révélant ses crocs pointus, sans être aussi développés que ceux du vampire. Ses yeux jaune au pupilles fendues cherchèrent le regard écarlate de son bourreau. Pour la seconde fois en approximativement une journée, sa véritable nature d’être amphibien était percée à jour.

     Fiodor, de son côté, savoura un instant sa victoire, mais il n’oubliait pas sa faim. Ses narines humaient toujours l’odeur du sang frais, d’autant plus qu’il en avait les griffes. Griffes qu’il lécha avec une lenteur consommée. Son ouïe percevait le cœur de Corus, qui battait... qui battait... Chaque battement était comme un appel. Une tentation de la plus haute sophistication. Mais surtout, il étudiait la créature qui, à terre, le défiait encore. Ses nageoires. Sa peau bleue et abîmée. Ses yeux jaunes. Ses barbillons. En tant que pirate centenaire, il devait bien admettre que c’était la première fois qu’il posait le regard sur une telle forme de vie. Une sorte d’homme-poisson. L’Amaxon était vraiment le lieu de tous les étonnements.

     Alors, d’un geste vif, Fiodor se saisit de Corus par le haut du crâne et le souleva d’une main, mettant le visage de l’homme-amphibien devant sa propre gueule. Corus porta les doigts au poignet du mort-vivant, luttant contre sa prise. En vain. Sur son visage passait l’odeur nauséabonde et glaciale du souffle du vampire. L’autre main de Fiodor l’attrapa au cou, juste sous les branchies, lui arrachant un glapissement d’effroi. A nouveau le vaincu lutta inutilement contre cette poigne implacable lui broyant la chair. Un instant passa alors que Fiodor, frustré de ne pas trouver de zone adéquate à mordre au niveau du cou, se rabattait sur le poignet. Une nouvelle fois il dut revoir son choix d’où planter ses crocs : les avant-bras de Corus étaient garnis de nageoires rigides et garnies des pointes qui lui éraflèrent le visage. « C’est la dernière fois que je m’attaque à ce genre de proie » se dit-il avec amertume. Mais celle-ci disparut, en même temps que tout le reste de ses sensations, quand il planta ses dents dans le creux du coude de Corus, qui cette fois poussa un cri de panique.

     L’extase. Voilà comment Fiodor décrirait ce moment plus tard. Plus qu’un bien-être soudain, c’était l’assouvissement de plusieurs heures de privations et de retenue qui, à cet instant, l’emplissait en entier. Le liquide chaud se déversait dans sa gorge par torrents et il sentait petit à petit les doigts de Corus relâcher ses poignets. C’était divin, plus divin que tout ce qu’un humain peut ressentir dans sa courte existence, plus divin que leurs tristes repas ou leurs pauvres étreintes amoureuses. Ce sang, c’était la force, c’était la vie, c’était l’amour, c’était le bonheur et le frisson du plaisir, c’était tout cela à la fois, et bien plus encore.
     Et au fur et à mesure qu’il sentait sa soif s’apaiser, Fiodor sentit ses idées devenir de plus en plus claires et sa victime toujours plus inerte. Le chaos de ses sens s’amoindrit jusqu’à devenir tout à fait supportable. Sa colère diminua, et au fil des secondes et des minutes qui passaient il s’aperçut que son corps reprenait son apparence normale, ‘humaine’, sans griffes ni crocs, mais avec des mains et des dents.

     Enfin, au bout de ce qui lui parut être une fraction de seconde, et à Corus une éternité, il relâcha son étreinte. Puis laissa choir au sol le guerrier amphibien exsangue. Ce dernier laissa échapper un faible râle en se recroquevillant sur lui même, qui fit baisser les yeux à Fiodor.


     - Ainsi, tu es toujours en vie ? Eh bien soit, tu as de la chance, petit poisson. En bon pêcheur, je vais relâcher ma prise si je ne la consomme pas.

     Joignant le geste à la parole, il fit rouler Corus du pied, l’envoyant droit dans l’eau de l’Amaxon. Il l’observa rapidement se perdre dans les mangroves, emporté par le courant.

     C’est alors qu’il remarqua un son qui le fit sourire, et que la restauration de ses sens lui permit maintenant de distinguer à travers tous les autres. Ce son, c’était celui du sifflet spécial de son second. Le son de son équipage. Monsieur Flouz ne l’avait pas oublié visiblement. Ayant soudain totalement oublié Corus, il ramassa son épée et s’élança en direction de son second, et, il l’espérait, de son bateau.

*

     Bien plus tard cette même nuit, le navire glissa doucement sur l’eau. Précédée de remous familiers, la Loreleï progressait sans un bruit à quelques mètres seulement des racines noueuses, plongeant dans l’eau trouble.

     Accoudé au bastingage, Molos poussa un léger sifflement désapprobateur en observant le corps flotter plus bas, dos vers le ciel.


     - Remontez le, indiqua-t-il à son équipage sans cacher sa déception. S’il est en vie, plongez le dans un tonneau de ffflotte.

     Las, il observa l’opération sans plus rien dire, les bustes et visages féminins crevant ponctuellement la surface pour observer ou aider les pirates à hisser le corps inconscient. L’une de ces créatures marine tendit d’ailleurs l’arme du blessé à un marin. Son fameux trident.

     A nouveau Molos siffla de désapprobation, puis porta distraitement la main à l’épée du guerrier pendue à sa propre ceinture. Lors de sa diversion sur la plage des femmes-guerrières, il avait perdu cette lame pour la seconde fois. Là, son trident.


     - Dernière fffois qu’on passe après toi bonhomme, murmura-t-il dans sa barbe comme le corps inanimé de Corus passait devant lui, transporté par ses hommes.

     Le fameux champion de K'Kligir faisait peine à voir. Les barbillons du côté gauche de son visage étaient pliés selon un angle improbable. Son visage et sa gorge étaient boursouflés là où la poigne du mort-vivant avait maltraité sa chair. Ses coupures et hématomes étaient trop nombreux pour être comptés. Quelque arme tranchante avait cisaillé sa tunique et la peau de son dos sans aucune distinction. Sa blessure à l’abdomen, mal cicatrisée, avait pris une inquiétante teinte laiteuse. Enfin, en addition de tout cela, quelque chose que Molos n’expliquait pas avait dû lui arriver. Corus semblait… émacié. Voire amaigri. Et cela n’était nullement dû à une régénération interrompue ou quelques repas manqués.

     La surface n’a pas été tendre avec toi, songea le capitaine du navire comme il était emporté dans le ventre protecteur du navire.


     - Capitaine, vint l’interpeller l’un de ses hommes. Puis-je…
     - Parle, l’interrompit-il aussitôt.
     - Je… Corus est mal en point et nous avons perdu plus d’un tiers de l’équipage, se reprit-il. Les nixes sont harcelées par la faune locale et nous par d’autres équipages des terrestres.

     Il marqua un arrêt, scrutant les expressions de Molos. Lorsque la barbe de celui-ci se tortilla, comme animée d’une vie propre, il reprit toutefois :


     - Que fait-on pour l’Appel ? Nous…
     - Nous fffferons ce qui doit être fffait, coupa Molos avec autorité. Quitte à brûler la Loreleï et rentrer à la nage, bien que cela ne m’enchante guère. Mais nous irons à Chaqua et nous rapportons l’Appel de Dagon. Une telle opportunité pourrait ne pas se représenter avant des siècles.

     Ce à quoi le pirate hocha la tête, discipliné, puis retourna à ses tâches. Soupirant, Molos revint s’accouder à la rambarde, lorgnant sur les femmes pourvues de queues de squales nageant plus bas. Distraitement, il porta un cigare à ses lèvres sans bouger les mains. Puis l’alluma de la même façon.

     L’Appel de Dagon, songea-t-il en inspirant une bouffée de tabac. L’un des nombreux artefacts détenus par les sauriens et dotés d’une puissance incommensurable. Déplacer les montagnes… modifier le lit des fleuves… faire pleuvoir du feu…

     ...contrôler la marée.

     Cette relique devenue légende pour leur peuple lui paraissait à portée de griffes et pourtant si inaccessible…

*

     Au même moment, plus en aval, un autre bateau récupérait son capitaine. Monsieur Flouz observa silencieusement Fiodor alors que ce dernier franchit le bastingage après avoir été ramené en chaloupe. Le marin aux cheveux gris serrait effleura inconsciemment le sifflet qui lui pendait au cou, ravi de voir son chef remonter à bord. Autour de lui, les marins étaient rassemblés, attendant les ordres. Au premier rang, la silhouette massive et métallique de Marcel de Parravon se découpait, les lueurs verdâtres de son regard étant bien visibles en cette heure de la nuit. En retrait, Thrond Ventre-de-fer avait la mine des mauvais jours.

     Fiodor fit quelques pas puis s’arrêta. Tous pouvaient voir ses blessures, malgré la pénombre, du fait de la lueur de Mannslieb et des quelques braseros du pont. Ses vêtements déchirés, ses cheveux décoiffés et surtout ses nombreuses plaies auraient pu lui enlever une partie de sa superbe, mais le vampire se tenait droit, l’expression fermée et le regard perçant, comme à son habitude. Les secondes paraissaient s’étendre pour les spectateurs, qui s’aperçurent, horrifiés malgré ce qu’ils savaient de leur capitaine, que son visage était couvert de sang séché, ainsi qu’une partie de son cou. Il ressemblait à un tueur revenant de la guerre, mais n’avait absolument pas l’air de s’en rendre compte. Toisant les marins, une expression de colère passa sur son visage. L’ordre claqua, sec et sans réplique.

     « Qu’est-ce que vous regardez, bande de rats d’égouts ? Tout le monde à son poste, et que ça saute ! Faites vos roulements de nuit ! »

     La magie de l’autorité opéra. Les pirates du vampire, tous depuis longtemps hypnotisés par ses soins pour lui obéir, fusèrent aux quatre coins du « Corbeau Centenaire », poursuivis par les habituelles harangues du maître d’équipage. Fiodor, lui, s’approcha de Flouz, qui n’avait pas bougé.


     - Je vais me changer et me détendre un peu, puis je prendrai la barre. Tu iras te reposer à ce moment.


     - Bien capitaine. Le repas a été bon ?

     Fiodor jeta un regard surpris sur son second, qui était le seul qui osait parfois lui parler comme ça. Monsieur Flouz savait toujours quand il pouvait s’exprimer avec lui, et devait avoir compris que pour une fois, malgré les apparences, il était de bonne composition. Fiodor s’humecta les lèvres. À cette distance, le second s’aperçut de l’existence de l’importante cicatrice de la main gauche du vampire, et hoqueta de surprise.


     - Un peu épicé. J’ai mangé du poisson. Ça change.

     Puis, sans plus d’explication, il plongea vers sa cabine, uniquement suivi par Thrond qui se demandait si, par hasard, il ne pouvait pas profiter du moment pour fêter leurs retrouvailles avec une bouteille de rhum. Ou deux.


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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Ven 12 Mar 2021 - 11:26

     L’attaque de ces saloperies de lézards, la deuxième, avait été une plaie. À nouveau Alicia mordait le bastingage du reaver. À nouveau elle était collée à une couchette pour plusieurs jours, à se refaire des blessures reçues du combat.
     Le moral avait pris du plomb dans l’aile, de même que leur effectif, celui-ci sérieusement réduit par les combats, les blessures, s’infectant rapidement sous ce climat tropical et le froid de la nuit. Sans parler des insectes qui, à mesure que l’on progressait à l’intérieur des terres, se faisaient plus nombreux pour vous harceler et vous pomper le sang. Il avait d’ailleurs fallu grouper les hommes par deux, afin de s’assurer, après chaque descente à l’eau, que les sangsues et autres parasites ne restent pas collées dans le dos d’un de ses gars.

     Au moins les esclaves intégrés à la troupe étaient-ils en forme, assurant l’entretien et la navigation de l’embarcation. C’était toujours ça de pris.
     De même, les quelques morts qu’ils avaient sur les bras avaient permis de réduire l’urgence concernant la recherche de nouvelles rations. Après tout, moins de bouches à nourrir, c’était un rationnement qui pouvait durer plus longtemps, qui était rallongé dans le temps.
     Sans compter d’un bonus inattendu, cadeau de l’attaque précédente. Eh oui. Les ennemis laissaient sur le taquet un bon paquet des leurs.
     Eh oui. Car n’étant pas humains, ils n’étaient pas sujets aux interdits religieux morriens. En fait, leur consommation pouvait même être interprétée comme l’application de commandements taalites. Manger ce que l’on chasse. Car ces bestioles, en plus d’être comestibles, avaient un petit goût de poulet en bouche. Pourvu qu’on enlève correctement les écailles et qu’on cuise de la bonne manière leur chair, on pouvait les consommer.
     Et les consommer on le fit, permettant de rallonger à nouveau les rations.
     Si la prochaine attaque pouvait être aussi aisément repoussée, et laisser sur le carreau autant de ‘‘vivres’’, alors l’inquisitrice souhaitait que les lézards reviennent faire les malins. Plus ils attaquaient, moins la faim, ce terrible danger, ne viendrait les menacer. Merci les crocos.

     Les prochains jours à voguer paresseusement sur le fleuve furent consacrés à récupérer de la fatigue des combats, des blessures. Alicia de Meissen somnolait dans sa couchette, tandis que l’équipage faisait de même dans les hamacs, ou essayait de pêcher à la ligne depuis la poupe, les plus chanceux tombant sur des pirhanas n’ayant pas assez de mâchoire pour directement couper la ligne lorsqu’ils mordaient celle-ci.
     On avait aussi eu du caïman, ce petit crocodile des rivières, abattu au fusil.
     La poudre commençait à se faire rare. Trop pour pouvoir avoir un impact sérieux lors de la prochaine rencontre martiale, aussi mieux valait dépenser celle-ci à bonne escient, pour rallonger une fois de plus les vivres.

     Plus tard, la vigie, pas complètement endormie par la chaleur, distingua sur l’autre rive des éclats lumineux. Après plus grande attention, on estima qu’il s’agissait là d’humains. Matériel impérial, barbes d’une semaine…. C’était là des impériaux en jungle depuis peu.
     Prenant la décision de se rapprocher prudemment, au moins à portée de voix, la capitaine tanna les quelques hommes présents sur le pont pour s’activer en armes, laissant dormir ceux à la cale.
     Arbalètes sorties et pointées vers ces étrangers, par mesure de précaution, elle s’enquit de l’état des provisions de ceux-ci, pour avoir la bonne surprise que ces nouveaux venus étaient dotés de ce qu’il lui fallait.
     Alors qu’elle concoctait un plan pour passer par les armes ceux-ci et s’emparer de leurs ressources, elle retint son bras lorsque ces proies lui demandèrent à rejoindre son groupe.
     Leur capitaine était en effet tombé au combat, et ils étaient à la recherche de n’importe quoi, n’importe qui, pourvu qu’ils aient une direction et une chance de rentrer à la métropole, ou même simplement e se tirer de cet enfer vert.
     Un moyen de redonner du corps à sa compagnie à l'effectif déclinant ?
     Elle était prenante.

     Et ainsi Alicia de Meissen vint renforcer ses stirlandais fatigués par des nulners et autres racailles urbaines, aux larges réserves de poudres, de vivres et de barriques d’eau.
     Sûr, ces métropolitains allaient déchanter, la moitié crevant certainement dans les jours à venir à cause du climat et des maladies, ne pouvant s’adapter à celles-ci en un si court espace de temps, mais sous son commandement, elle ferait en sorte que l’autre moitié ait une chance de survie.


     Ainsi le reaver continua-t-il à dériver paisiblement sur le fleuve, en direction des mystérieuses cités d’or….

*

     La première chose qu’il sentit fut le roulement des vagues contre la coque du navire. La seconde fut la tiédeur des planches du pont. Poussant un gémissement de fatigue mêlée des vestiges de douleur, Helmut Markus Heldenhame, garde Nulner, dirigeant attitré de l’expédition de Nuln sur l’amaxon, se releva en s’aidant de son épée.
     Le cri des oiseaux semblait le narguer. Il leur hurla donc des imprécations dessus, pour se soulager, principalement. Il tituba ensuite jusqu’aux bastingages. Aucune trace de l’équipage. Mais aucune trace des morts-vivants. Combien de temps était-il resté dans entre vie et trépas ? Il ne savait plus.
     Il accéda avec peine à la cabine, où il vit que tous les objets de valeurs avaient été emportés par les pirates pourrissants et leur effroyable sangsue de capitaine. A la pensée de cet adversaire si redoutable, ses blessures lui rappelèrent leur existence.
     Poussant un gémissement de reddition face à la douleur lancinante, il se laissa tomber lourdement sur la chaise qui sentait encore l’encens des temples de Morr, signe que son occupant avait été un membre de ce culte.
     Il se figea soudainement. Du bruit. Et des bruits inquiétants. Des voix, des rames. Des humains cette fois. Le nulner brandit son arme, mais dût bien vite la baisser nouveau, faute de pouvoir la manœuvrer avec ses blessures.
     Quelqu’un criait son nom. On le cherchait. Il restait donc d’autres survivants. Des impériaux, avec un peu de chance. Ensuite, des bruits de pas. Quelques hommes. Sur le pont. Ils entrent. Du vert, Hochland ou Stirland. Bien, des compatriotes de l’empire. Un peu de blanc et gris, de surcroît. Ses hommes avaient donc survécu. Du moins, quelques-uns. Il croisa le regard d’un de ses hommes, qu’il reconnut comme étant le timonier. N’en pouvant plus, il se laissa de nouveau sombrer dans le néant de l’inconscience…





***




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     Une grande douleur tira subitement le prince de son inconscience. Lui qui était resté inanimé pendant si longtemps écarquilla d'un coup ses yeux, et tenta de bouger son corps. Mais une main assez ferme l'en empêcha:

     "Doucement, mon commandant. Je suis en train de refaire vos pansements, lui dit alors son médecin, presque interrompu dans son travail.

     -Docteur. Depuis combien de temps suis-je bloqué dans cette couche? lui répondit Aetholdyr, plissant ses yeux en direction de son soigneur.

     Eh bien, cela doit faire un jour. Presque deux, je dirai. reprit-il, tout en entourant la poitrine du prince de nouvelles bandes de lin blanc.

     -Presque deux jours... répéta le guerrier, comme s'il n'arrivait pas à prendre conscience du temps écoulé, Presque deux jours? fit-il encore, sous le coup de la surprise.

     -Oui, c'est à... le médecin n'eut pas le temps de terminer sa phrase, Aetholdyr l'interrompant soudainement.

     -Docteur, répondit-il, sur un ton devenu d'un coup intraitable, Je veux que vous convoquiez mon état-major. Aller les chercher immédiatement!

     -Permettez-moi encore quelques secondes, fit le soigneur, d'un air désormais circonspect, Il me faut terminer vos bandages.

     -Les bandages attendront, médecin. Vous pourrez les continuer plus tard! Le temps nous manque! Pour l'amour des dieux, allez chercher mes officiers!

     -Bien... reprit prudemment le docteur, achevant tout juste de fixer l'un des pansements avec de la cire, Je m'en vais les chercher, mon prince." termina-t-il, sortant rapidement de la tente, laissant là sa trousse de soin et tout son matériel.

     Aetholdyr se releva, pivotant sur son couchage, avant de poser ses pieds au sol pour se mettre debout. Un tel geste, effectué brusquement aprés plusieurs heures d'inertie complète, le fait se sentir pesant et courbaturé ; sans parler de la douleur qui le relance à nouveau. Alors son regard se balade nerveusement dans toute la tente, recherchant son armure, sa lance et son bouclier.
     Quand le Heaume des Mers et l'Oeil-de-Faucon entrèrent dans le petit pavillon de toile, ils trouvèrent un prince paré pour la bataille, mais à l'air bien sombre, et qui semblait s'appuyer sur son arme et son pavois:

     "Enfin! Ce n'est pas trop tôt! lâcha Aetholdyr, Officiers! Au rapport! Et où est donc passé la Sentinelle des Lanciers?

     -Elle s'est sacrifiée pour couvrir notre retraite face aux barbares. expliqua le chef du régiment des archers, tandis que le medecin entrait à son tour dans la tente, se faisant tout petit pour récupérer son matériel.

     -Quoi? Notre retraite? répéta le prince sur un ton presque acerbe.

     -Nous leur avons abandonné le navire, intervint alors le Heaume des Mers, avec tout le professionnalisme qu'on lui prêtait, Nous avons établi un campement sur la rive du fleuve, en attendant votre réveil. continua-t-il, alors que le docteur sortait rapidement des lieux, sa trousse et ses outils dans les mains.

     -Et où est notre navire? reprit Aetholdyr.

     -Il est à la dérive sur le fleuve. J'y ai envoyé du personnel pour le sécuriser, mais il est mal en point: cale inondée, coque endommagée, voiles déchirées, gréements coupés, pont supérieur et baliste complètement saccagés... Ces porcs ont tout pillé, et même profané nos défunts qui reposaient à l'intérieur.

     -Merveilleux! lâcha alors le prince, pince-sans-rire, dans un sarcasme plus que mordant, Ecoutez-moi bien, Heaume des Mers. Je veux que vous retourniez sur le vaisseau, que vous preniez tout ce qui est utile, et que vous le brûliez ensuite.
     Tout ceci fait, revenez au camp."
reprit-il toujours renfrogné.

     Les visages des officiers se figèrent subitement. Le Heaume des Mers fronça même les sourcils face à cet ordre si radical:

     -Mais... fit-il, sa tête penchant légèrement sur le côté, Mais mon commandant, la vaisseau est certes endommagé ; toutefois il est enco...

     -Nous n'avons pas de temps à perdre! interrompit Aetholdyr, balayant littéralement ses objections d'un revers de la main, Le navire est de toute façon dans un sale état. Si nous passons des jours à le réparer, alors nos ennemis auront tout le temps pour trouver la cité d'Or et la piller! continua-t'il de débiter, toujours inflexible et intraitable, Les dieux l'ont voulu ainsi! Alors exécution!"

     -Mon Prince, sauf votre éminent respect, comment allons-nous pouvoir lutter contre les autres navires que nous croiserons en cours de route? Nous n'avons que des barques à manoeuvrer et des archers comme puissance de feu. A nouveau, loin de moi l'intention de vous nuire, mais tout ceci me semble plus qu'hasardeux." intervint l'Oeil-de-Faucon, parlant rapidement, une certaine inquiétude au bord de ses lèvres.

     Le regard ombrageux d'Aetholdyr se braqua sur celui du chef des archers. Les quelques secondes qui suivirent furent les plus longues et les plus pesantes dans toute cette conversation. Le prince soupira alors brièvement du nez:

     "Puisque vous le dites, officier. Heureusement, j'ai conçu une parade à ce genre de problème! Maintenant, écoutez-moi bien!"

     C'est ainsi qu'Aetholdyr leur présenta le plan à suivre en cas d'attaque d'un vaisseau, ladite présentation fut bien rapide, presque expédiée par un prince à l'humeur de plus en plus sombre. Une fois tout ceci fait, aprés un nouvel ordre sèchement donné, le Heaume des Mers quitta prestement la tente du guerrier, s'embarquant en trombe sur une barque, allant appliquer les directives qui lui avaient été données:

     "Oeil-de-Faucon! Je n'ai toujours pas entendu votre rapport! fit soudain Aetholdyr envers l'officier, qui était resté dans la tente aprés le départ.

     -Eh bien... C'est-à-dire que les choses ne vont pas pour le mieux au sein de l'expédition...

     -Ne perdez pas de temps dans des formules et autre courbettes, officier! interrompit à nouveau le prince, grinçant dans ses propos, Nous sommes en guerre! Le temps nous manque! Alors allez droit au but!"

     Le chef des archers ne put qu'incliner de la tête, à la fois respectueux de son supérieur et craintif de son châtiment.

     -Bien mon prince. Nous avons perdu la moitié de nos effectifs au cours des derniers combats. Seul un quart est indemne, l'autre est constitué de blessés plus ou moins graves, mais ils sont toujours aptes à porter une arme si nécéssaire. L'abandon du navire a porté un coup au niveau des réserves.
     Nous n'avons plus beaucoup de vivres, et d'eau en particulier. Les gardes-maritimes ont vidé tout leurs carquois dans les derniers affrontements, ils n'ont plus de munitions pour tirer. Il n'y a que les archers qui peuvent encore le faire ; mais là aussi, les réserves s'amenuisent. Et vous le savez déjà mais...


     -Oui oui, je sais! Nous avons perdu le chef des lanciers au combat. grogna Aetholdyr, Quel est le moral des troupes?

     -Toujours disciplinés et prêts au combat. Mais je crois que le doute commence à circuler dans les rangs.

     -Soit. Maintenant, allez leur annoncer qu'il faut lever le camp. Préparation des paquetages, mise à l'eau des canots, rapidement! Exécution!"

     En deux temps trois mouvements, le chef des archers sortit au pas de course du petit pavillon, allant en tout hâte transmettre les ordres du prince. Ce dernier, aprés avoir vérifié qu'il avait toutes ses possessions, les rangea rapidement dans une grande sacoche, avant de la mettre en bandouillère sur lui et de sortir de sa tente. Alors qu'il marchait dans le camp, son humeur massacrante fut alors un peu atténuée par ce qu'il voyait.
     Tout autour de lui, le bivouac grouillait soudainement de soldats dynamiques et laborieux ; partout, les tentes étaient démontées avec rapidité, les feux de camp était promptement étouffés, l'équipement était rassemblé en vitesse avant d'être transporté sur les canots et les barques, elles-mêmes déjà en train d'être mises à l'eau.

     Le prince, s'appuyant sur sa lance, porta alors sa main au niveau de son torse, pour la retirer tout de suite aprés. Sous son armure, les blessures étaient toujours vives. Une fois qu'ils auront embarqués, il faudra que le docteur l'ausculte à nouveau.

     Cette expédition avait pourtant si bien commencée.
     Mais il en fallait plus pour abattre le prince de Cothique, bien plus.
Aetholdyr, animé par une impérieuse fierté, est venu ici pour défendre l'honneur et la crédibilité de son peuple, voire de sa race entière, même si l'on peut dire que les résultats sont mitigés, pour l'instant.
     Toutefois, dans tous les cas, ce ne sont pas des suceurs de sangs ou des dégénérés de Naggaroth qui vont l'arrêter:

     "Mon commandant."

     Le prince Prestelance se retourna subitement, derrière lui se tenait le Heaume des Mers, en compagnie de gardes maritimes, qui le flanquaient sur les côtés.

     "Vos ordres ont été exécutés, fit-t'il, toujours aussi sobre et professionnel, Que faut-il faire ensuite?"

     Un léger sourire se dessina sur le visage d'Aetholdyr, mais il garda ses sourcils froncés et son front plissé:

     "Rapidité, Discipline, Efficacité : voilà des choses que j'aime voir, officier! son ton était toujours acerbe, profond, mais plus négatif, Suivez-moi!

     La petite troupe se faufila à travers les groupes de soldats, vers la berge où se trouvaient les barques, certaines étant déjà à l'eau et chargées de matériel:

     "OEIL-DE-FAUCON!" cria alors le prince.

     Quelques secondes à peine, et le chef des archers surgit, passant à la hâte entre huit soldats en manoeuvre:

     Oui mon commandant? fit-il, tout haletant qu'il était.

     -Où en est la levée du camp? Ou en est l'embarquement? interrogea Aetholdyr.

     -Les choses sont presque terminées, mon prince. répondit l'officier.

     -Bien, bien! Achevez votre tâche, nous partirons sous peu!

     -Mon prince! Oui mon prince!", répondit-il avant de disparaître à nouveau.

     Au bout de quelques instants, le noble de Cothique et son second parvinrent au niveau des barques, toutes préparées et prêtes à prendre le fleuve.

     "Restez ici!" ordonna Aetholdyr envers son officier les gardes maritimes qui l'accompagnaient.

     Se hissant sur l'un des canots, il s'éleva sur la proue, surplombant ainsi tous ceux qui l'entouraient:

     "Rassemblement soldats! Rassemblement! Sur moi!"

     En quelques secondes, presque toute l'expédition -les blessés graves ayant déjà été déposés dans les barques- accourut vers lui ; tout le monde était présent, silencieux, attendant quelque chose de la part du prince.

     Soldats! La destinée n'a pas été tendre envers nous ces derniers jours!
     Les difficultés et les épreuves commencent à peser de plus en plus, sur vos épaules comme sur les miennes!
     Mais ce n'est certainement pas une raison pour abandonner notre expédition!
     Les victoires les plus douces ne parviennent qu'au prix du sang! De la souffrance! De la douleur et des larmes!
     Les dieux nous regardent! Ils jugent et jugeront nos actions futures!
     L'honneur de nos pères! De nos fils! Et de nos petits-fils sont en jeu! Ulthuan ne doit pas perdre la face!
     Soldats! Je ne vois que deux issues à cette aventure!
     La Mort, que favorisent le Doute et le Désespoir:
     Et la Victoire, que soutiennent la Ténacité, la Vertu et la Discipline!
     Rappelez-vous de cela soldats! La Victoire ou la Mort!
     Maintenant tous à vos postes! Et souquez ferme!
     Nous ne connaîtrons pas l'infamie! Jamais!"



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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Dim 14 Mar 2021 - 11:33


     Dans les terres de Lustrie, là ou des combattants se disputaient pour un trésor mythique, une troupe s'aventurait aléatoirement dans ce désordre : Firvulniel « la Joyeuse » était une élue d'Asuryan en provenance de la Citadelle du Crépuscule ; elle était accompagnée par une troupe de maîtres des épées. Bien qu'elle eût fait vœu de silence, elle savait faire rire toute sa troupe, même les plus tristes et mélancoliques d'entre eux. Le jour où elle voulut explorer les environs de la Citadelle, forteresse bâtie il y a des siècles aux abords de la jungle, les maîtres des épées dits « Lame du Soir » l'accompagnèrent dans sa quête.
     Ce qui aurait dû être une simple expédition se transforma en enfer pour les Lames du Soir : Firvulniel, en effet, n'avait pas le sens de l'orientation, elle passait sept fois à faire le tour d'une ruine en jurant qu'elle n'était pas perdue. Au bout de nombreuses semaines ils avaient traversé la Lustrie de part en part. Les Hommes Lézards étaient perdus quant aux motivations de ces étrangers mais, puisqu'ils attaquaient tout intrus des Puissances du Chaos à vue, il fut ordonné de les surveiller de loin sans pour autant entraver leur progression.
     De leurs côté les asurs eurent remarqué qu'ils étaient surveillés mais Firvulniel ne s'en soucia guère... Arthras, le capitaine des Lames du Soir, fit jurer à toute son escouade de ne plus jamais se laisser guide par Firvulniel ni de lui laisser de cartes.
     Un matin, épuisé par des marches incessantes, Arthras prit la parole :
     « Ça suffit maintenant, voilà des semaines que vous nous avez baladés. Donnez-moi la carte, que je nous ramène en ville...
     - Que je vous donne la carte ! Mais voyons, capitaine, nous sommes presque arrivés, et sans faire de détour, expliqua l'élue avec ses gestes, langage de signes que toute la garnison avait appris à comprendre
     - Arrivés où ?! Nous sommes perdus au milieu de la jungle, inutile de nous mentir, élue !
     - Et que suggérez-vous, Capitaine ? gesticula la commandante, l'air étonné.
     - Que vous me donniez cette fichue carte, Firvulniel !
     - En oubliant les titres, Arthras ? Et que se passera-t-il ensuite après vous avoir donné cette carte ?
     Elle fit semblant d'être choquée puis lui montra la carte pour savoir ce qu'il souhaitait en faire.
     - Je n'ai que faire des titres quand on me fait tourner sept ou huit fois autour des mêmes monuments délabrés. Donnez-moi cette carte je vous indiquerai la route à suivre.
     - Et bien tenez, Arthras et guidez nous, tâchez de pas nous perdre.
     Firvulniel lui tendit la carte sous le regard incrédule des soldats, qui ne revenaient pas du ton qu'Arthras tenait à sa supérieure et de la réaction de cette dernière. Arthras, retourna plusieurs fois la carte avant de pointer le chemin avec son épée :
     - Si on remonte cette rivière, on arrivera devant une cascade paradisiaque et sans danger.
     À ce moment-là, un cadavre fut aperçu, descendant la rivière en flottant.
     - Sans danger... l'élue regarda ironiquement le cadavre flotter.
     - Asuryan, pardonnez-moi si je la frappe.
     L'élu sourit et fit un signe de prière comme pour dire que le dieu elfe le pardonnerait, puis elle fit signe de continuer en direction du haut d'une colline escarpée. Arthras soupira et les elfes commencèrent à escalader, la montée fut difficile.
     - Par Hœth, c'est impossible ! s'écria le premier épéiste qui avait fini de monter.
     
     Devant eux se dressait le vaisseau de la princesse Yelmerion d'Yvresse.

     - Asuryan si tu dois me punir, cessez de le faire par elle. »
     Le capitaine implorait son dieu devant l'élue qui sourit à sa victoire. Firvulniel et Arthras conduisirent ensuite leur troupe jusqu'à Yelmerion, Arthras fit les présentations.
     Il poussa ensuite un cri de joie quand Yelmerion leur proposa de les accompagner : il ne serait plus perdu au milieu de la Lustrie...

*

     Quelque part dans la jungle, Veckir, despote de Ss’ildra Tor de son état et « saigneur des hommes-lézards », pillait comme bon lui semblait, que pouvait-il craindre ? Il avait bien eu vent de ce « soi-disant trésor » que ces idiots de corsaires étaient partis chercher, alors qu’il y avait une multitude de cités d’hommes lézards à piller pas loin. Les sang-froid ne sont que des proies pour le saigneur d’hommes lézards ! En l’espace de quelque mois il avait rassemblé un beau butinet, contrairement à ses cousins asurs, Veckir savait quand se retirer...

     Valandral marchait depuis bientôt une semaine. Cette fois, elle les attraperait, elle avait promis aux Homme lézards qu'elle les vengerait s'ils la laissaient passer. Quelle idée d'accepter mais elle ne laisserait pas des elfes noirs lui échapper.
     Elle finit par les atteindre dans une ruine antique et les y attaqua. Chaque martelier elfe équivalait son adversaire. Valandral se retrouva rapidement devant Veckir qui souffla dans une corne appelant ses autres guerriers en renfort. Voyant un piège se refermer sur eux, les asurs se mirent en cercle et se défendirent coûte que coûte. Un à un les druchii étaient démolis, leurs crânes éclatés, enfoncés dans le torse. Les asurs repérèrent d’autre séides du roi sorcier qui se faisaient violemment repousser par... par d'autres asurs dirigés par une forgeronne, leurs marteaux éclatant les casques et écrasant les lourdes armures noires. Valandral faisait usage de son marteau contre les guerriers du dieu du sang, des silhouettes familières vinrent lui prêter main forte et repoussèrent avec elle les suppôts de Veckir. Le saigneur d’homme lézard voyant des centaines d’asurs arriver se retira rapidement avec ses adeptes.
     Une fois la bataille terminée, elle remercie ses alliés, reconnaissant la bannière argentée d'Yvresse. Parmi leurs rangs se trouvait une élue d'Asuryan au couleur de la Citadelle du Crépuscule et une guerrière fantôme. Les maîtres des épées et les marteliers firent connaissance avec le reste de l’équipage, les uns soufflant et remerciant Isha de ne plus être perdus, les autres se reposant après une longue traque. Yelmerion était ravie d'avoir de nouveaux commandants sur qui compter : Firvulniel, Arthras et Valandral.

     Alors que tous se reposaient et profitaient du repos des combats et de la marche, Kellemmensha partie comme à son habitude, pour elle le temps des réjouissances étaient derrière, elle voulait trouver d'autres druchii à massacrer. Valandral, la voyant partir, se mit à la suivre. L’elfe de Nagarythe prit la parole :
     « Je vais apporter la mort, je n’espère pas en revenir. Fais demi-tour, si tu veux encore vivre.
     - Je vous laisserai pas mourir seule, Asnar.
     - C’est ton choix. »

     Au bout d'un moment les deux elfes retrouvèrent Veckir et ses druchii qui s'apprêtaient à prendre en embuscade un kroxigor. Veckir se tenait derrière, prêt à frapper la bête avec un dreich lorsque l'asur bondit dans son dos en enfonçant son bouclier dans la nuque de l'elfe noir. Il poussa un cri qui avertit le kroxigor du danger, celui-ci se retourna et attrapa le premier elfe qu'il trouva et le lança sur sa sauveuse : pour lui elle était une intruse de plus. Le projectile fut découpé en deux avec la dreich ramassée au sol. Valandral s’abattit sur un autre elfe noir, la bête se déchaîna sur tout ce qui passait à portée. Les asurs l’évitèrent soigneusement, Valandral en restant à distance et Kallemmensha en l’utilisant comme un tremplin pour atteindre les druchii, les plus retranchés. Elle sautait de corsaire à furie, d’exécuteur à garde noir, donnant des coups de bouclier aussi dévastateurs que le kroxigor avec sa masse. En moins d'une minute, les corsaires étaient tous au sol, plus ou moins en morceaux, le seul qui restait encore vivant prit les jambes à son cou. Le bouclier d’Obsidienne était devenue rouge écarlate.
     « Je n'ai pas de raison de te tuer mais lui, oui, dit la guerrière en montrant le fuyard de son bouclier. »
     La seule réponse fut un rugissement.
     Elle partit rejoindre ce dernier « fils à **** » alors que l'un des corsaires qu’elle venait de tuer volait dans les airs au-dessus, dépassant même les arbres avant de retomber la tête la première dans l’Amaxon, près d’un… bateau un peu plus loin ? Le bateau semblait sinistre et rempli de sombres secrets…



***



     Von Essen somnolait paisiblement dans la soute à provisions du langschiff. Si la chaleur y régnait toujours autant qu’à l’extérieur, il y avait un peu moins d’humidité et il s’était débrouillé pour calfeutrer les quelques minuscules failles qui auraient pu laisser passer le soleil. Il y avait, bien entendu, les odeurs qui auraient pu gâcher le confort du chroniqueur, cependant ce dernier n’avait guère trop réfléchi avant de se boucher les narines avec un peu de cire, ce qui diminuait drastiquement ses capacités olfactives jusqu’à un niveau où la seule chose qui aurait pu capter l’attention de son nez, c’était le sang frais. Or, l’on ne mettait jamais de la viande sanguinolente dans une soute à provisions, cela allait de soi, même pour des nordiques vénérant le dieu du sang et de la guerre.
     Il était impossible d’affirmer que le vampire rêvât de quoi que ce fut : recroquevillé de partout à cause du manque d’espace, l’être aurait pu ressembler de loin à une de ces étranges momies curieusement embaumées dans les tumuli de l’Empire, vestiges d’un temps où Sigmar n’était guère encore né et l’on se permettait absolument toutes les superstitions possibles et imaginables. Von Essen était de ceux qui préféraient ne croire qu’à ce qu’ils voyaient ; en contrepartie, le chroniqueur était convaincu d’avoir vu suffisamment de choses dans sa non-vie pour être prêt à croire en quasiment tout et n’importe quoi. Depuis l’invocation chaotique du langschiff, il dissimulait quelques regrets quant au brusque changement occasionné dans sa propre situation : ses quelques nordiques qu’il pouvait reconnaître parmi tous les autres, les nouveaux, eux avaient été prêts aux aussi à remettre en doute leurs anciennes croyances et à rejoindre le seigneur vampire dans le champ des mille et un possibles. L’arrivée de Gust le Cruel et de sa bande, qui croyaient dur comme fer que leur arrivée en Lustrie avait été uniquement du fait de Korn, semblait avoir effacé tous ces doutes parmi les hommes de Haakonson. Même pour eux, désormais, il était « le messager du Chaos » et non pas ce curieux allié de circonstance qui n’hésitait pas à dompter les vents maléfiques. La veille, il avait cru apercevoir une lueur de compréhension dans un bref échange de regards avec Haakonson, celui qui parlait le reikspiel et était nommé interprète officiel par Gust. Hélas, c’était là tout ce qui était resté de leur complicité récente : tout semblait désormais parti pour être rythmé selon les rites et les coutumes de Korn, dont plus de la moitié n’intéressaient guère le chroniqueur. Par Nagash et les neuf Boyars, il avait même été désagréablement surpris en réalisant que la gloire du duel qu’il avait volée à Gust ne lui valait aucun mauvais traitement de sa part, pas même la faveur d’un classique « Comment as-tu osé ?! », non, pour le chef des maraudeurs, il devait passer désormais pour la volonté de Korn incarnée, et c’était la volonté de Korn, et non lui-même, qui était venue à bout du prince haut elfe. Par le sang de S… truc, les dieux du chaos devaient bien rire de sa détresse actuelle, si l’on pouvait la qualifier de la sorte. Ah, tiens, l’odeur de sang frais, du sang frais d’elfe, du sang frais d’elfe… Du sang frais d’elfe ?!

     Von Essen s’extirpa brusquement de la soute à provisions, couvert de pied en cap de son manteau de fourrure et de son chapeau afin de narguer l’astre diurne. À bord de leur navire, les guerriers ramaient avec le même entrain qu’à l’accoutumée, sans aucun doute persuadés que la gloire les attendait au plus profond de la jungle. Nul ne semblait en alerte, Gust le Cruel taillait quelque chose en bois avec un couteau, lové dans le creux de la proue majestueuse du langschiff. Comment pouvait-on être la terreur du monde civilisé et tailler des bouts de bois à ses heures perdues ?! Le chroniqueur s’en détourna cependant pour scruter les rives du fleuve à droite comme à gauche : si l’odeur de sang avait atteint ses narines et qu’ils n’étaient guère attaqués, c’est qu’un combat devait avoir lieu dans les environs, une escarmouche, même. Ce fut alors que le vampire aperçut du mouvement sur la rive droite : un guerrier en armure rutilante s’était extirpé de l’épais couvert de la végétation et semblait désormais affairé à nettoyer son arme dans les eaux du fleuve. Il ne devait sans doute pas être seul mais aucun autre guerrier n’apparaissait à ses côtés. Or, Von Essen réalisa que leur langschiff fendait les flots à bonne allure et qu’ils allaient bientôt perdre de vue cette apparition solitaire.    
     « Aakonson !! »
     L’intéressé, surpris, fit néanmoins un vif signe de la main pour montrer qu’il écoutait sans s’arrêter de ramer. Cela eut le don d’horripiler le vampire mais il préféra poursuivre :
     « Continuez sans boi, je bous rejoins ce soi’ au b’us ta’ ! »
     Au vu du fait que le nordique eut cessé de ramer, Von Essen comprit qu’il avait compris et pas compris en même temps.
     « Fais-boi conbiance, nob d’un squelette !! Je bais ‘elier ba bière de boyer à botre bavire !! »
     Il était cependant manifeste qu’il lui faudrait bien plus de temps pour rassurer son compagnon sur la fiabilité de cet énième tout de passe-passe et du temps, eh bien, il n’en avait point.
     « KUCHIYOSE NO BONEY !! »
     Son sortilège d’invocation surprit l’intégralité de l’équipage car l’on pouvait difficilement accepter l’apparition d’une sinistre créature équine au beau milieu des rameurs. Un destrier d’ombre n’était d’ailleurs guère facile à invoquer en plein soleil, Von Essen dut de nouveau employer une pincée de malepierre afin de compenser l’insuffisance du vent concerné. Enfourchant crânement la monture arcanique, le chroniqueur la mit immédiatement au galop et Gust le Cruel faillit se jeter par-dessus-bord lorsque cette apparition de l’absurde le survola pour quitter le langschiff et opéra un virage serré entre ciel et Amaxon.    
     Von Essen n’avait pas pris le temps de relier sa pierre de foyer au navire des nordiques et se demandait si le destin le punirait pour son empressement. Il écarta cependant son inquiétude vers les confins de son esprit : une nouvelle rencontre des plus incongrues l’attendait et il était hors de question de la laisser passer.



***



     Kalemmensha, guerrière de Nagarythe de son état, faisait partie de celles qui ne se laissaient guère démonter par le surnaturel. Sorcières et maléfices étaient monnaie tellement courante sur les champs de bataille impliquant des naggarothi qu’elle crut de prime abord que c’était une énième sorcière sur pégase qui descendait sur elle depuis les cieux. Son ouïe, cependant, était formelle : celui qui hurlait comme un dément en pleine descente (« OUIII !! ») était un homme ; enfin, cela ne lui importât guère plus que s’il était une tortue : « quelque chose » de sombre se dirigeait vers elle à toute vitesse et la guerrière réagit comme pour tout ce qui pensait la faire bouger de ses appuis : elle leva son bouclier et apprêta son épée. Il y eut un « boum » sonore qui confirma que le bouclier d’obsidienne de la guerrière avait une fois de plus rempli son rôle (Von Essen : 3T, 2B, 2 invus !), après quoi Kalemmensha pourfendit de la pointe de son bouclier quoi que ce fût qui retomba lamentablement devant elle (Kellemmensha: tests réussis ! 4T, 4B, 2 invus, 2 PV !!). Sentant que c’était la base de son cou qui venait d’être enfoncée, le chroniqueur constata qu’il aurait peut-être du mal à s’extirper de ce mauvais pas : son invocation s’était, bien entendu, dissipée. Il ne sentit presque pas la douleur lorsque la pointe fut retirée de son cou, son grognement outré quittant sa gorge avec le même retard qu’a le tonnerre après la foudre.
     Le coup suivant, horizontal, visa sa tête (Kellemmensha: tests réussis ! 3T, 2B, 2 PV !!!) Kelemmensha l'expédiant sèchement dans les flots de l’Amaxon. Eh bien, lui qui pensait tutoyer le ciel, voilà qu’il se mettait à tutoyer les poissons. Tu parles d’une rencontre !!


     « Kal’, tu viens ?
     - Encore un moment, forgeron ! La peste soit de cette jungle peuplée de fous ! Qu’ils viennent tous en même temps et non un par un, ce sera plus vite fini !! »


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Essen

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Dim 14 Mar 2021 - 21:54
Quatrième journée de combats sur l’Amaxon


La Route d'Eldorado - Page 2 Temple10




     Le chaos se brisait contre les terres lustriennes ainsi que le faisait l’écume de l’océan. Si le Grand Vortex d’Ulthuan attirait à lui la magie déchaînée des Désolations, épargnant au monde entier la dernière invasion démoniaque que celui-ci connaîtrait avant d’imploser, les cités-temples dispersées, semblait-il, aléatoirement dans l’immense continent lustrien occupaient à la fois un rôle d’observation, de surveillance et d’assainissement. Or, pour les nombreuses races étrangères qui tentaient régulièrement d’implanter leurs colonies sur ces terres ou simplement d’en piller les ressources, cet état de fait restait le plus souvent inconnu : seuls quelques rares érudits des peuples elfiques se doutaient de l’importance de ces étranges créatures appelées slanns dans le fragile équilibre du monde… Cependant, pouvait-on véritablement imputer la faute aux multitudes profanes, souvent elles-mêmes manipulées par leurs pairs plus rusés et moins scrupuleux qu’eux ? Débarquant sous un grand ciel bleu, ils venaient en envahisseurs, leurs cœurs gonflés d’espoirs et de promesses souvent surfaites voire farfelues ou, parfois, au contraire, avec une connaissance parfaite de l’hostilité de la jungle qui se dressait alors devant eux, enchevêtrement interminable de plantes et de lianes peuplé de toutes sortes de créatures mortelles qui en gardaient jalousement les secrets. Comment pouvaient alors ces étrangers, aigris par les privations que leur infligeait ce nouveau continent, songer à une quelconque place dans un équilibre qui dépassait les limites de leur conscience et qui souvent allait à l’encontre de leur foi ? Quant aux temps immémoriaux, quand la jungle avait jadis été un paradis terrestre crée par les Anciens, ces temps-là furent à jamais révolus depuis l’avènement catastrophique d’une espèce nouvelle sur ces terres, une espèce qui proliféra tellement qu’elle ravagea jusqu’à certaines cités-temples, brisant la veille millénaire des slanns qui les habitaient et pillant tous les artefacts de pouvoir arcanique. Depuis l’avènement du clan Pestilens, le paradis était devenu un enfer pour quiconque osant y pénétrer et les cites-temples qui se dressaient encore dans toute leur splendeur devaient à présent nourrir une guerre constante avec ces parasites à fourrure.
     Quelle place, dans ce théâtre sanglant de guerre, de résilience et de voracité, la jungle réservait-elle aux quelques nouveaux venus qui bravaient à présent tous les dangers de la Lustrie en empruntant l’unique sentier qui semblait en visiter les moindres recoins ? Tout portait à croire que les dieux, désormais, lorsqu’ils devenaient las de surveiller les querelles du Vieux Monde ou les luttes fratricides sur les océans, tournaient leur attention vers ces quelques équipages menant leurs navires sur l’Amaxon, de plus en plus loin, vers une destination qui semblait proche, si proche…





     Felbar le Fourbe (Doobloom) vs Ixi’ualpa, Guerrière Aigle des Amazones (Gromdal)

     La brume matinale ne s’était pas levée, elle s’était même épaissie. À bord du vaisseau-fantôme de la capitaine Felbar, l’équipage mort-vivant fut sévèrement réprimandé par la vampiresse lorsque leur navire manqua de rentrer droit dans une mangrove. L’Amaxon semblait devenir de plus en plus méandreux, les courants indiquaient la présence régulière d’affluents, aussi la capitaine finit par tenir constamment la barre du navire, s’orientant avec une boussole rustique afin de garder le cap vers le sud. De plus, elle prêtait constamment l’oreille aux bruits aux alentours : ce brouillard laiteux, c’était la première fois qu’elle l’observait depuis qu’ils avaient pénétré dans l’embouchure du fleuve. Felbar détestait cette puanteur d’embuscade. Il lui arriva même d’abaisser la main vers la garde de sa rapière à plusieurs reprises : fausse alerte à chaque fois. La vampiresse détestait ça. C’était elle, normalement, l’apparition fantomatique, pas ses ennemis…
     Là ! Une torche, sur le fleuve ! Quelqu’un !
     Felbar dégaina sa rapière pour de bon et une demi-douzaine de mousquets rouillés furent pointés en direction de la lumière flottante.

     Une pirogue vide ! Une pirogue vide ?!

     Felbar effectua une volte-face fulgurante en faisant décrire un arc de cercle redoutable à sa rapière ; sur la poupe derrière elle, les amazones les plus téméraires glapirent autant de douleur que de surprise.

     « AUX ARMES ! À L’ARRIERE, MOUSSAILLONS !! »
     « RIGG MAUT LAATA HAI !! »

     « GRAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!! »

     Felbar se retint de justesse de foncer dans le tas : ennemis trop nombreux, et les deux marins qui avaient été là par hasard venaient d’être embrochés sous ses yeux ; leur non-vie acheta à la vampiresse quelques précieuses secondes du fait qu’il fallut aux assaillantes le temps de comprendre qu’un « mort » continuait évidemment de bouger avec seulement une pointe de lance fichée entre les cotes… ce qui n’était pas toujours son cas à elle.
     La capitaine n’eut cependant que le loisir de ces considérations : alors que son équipage accourait, l’une des guerrières l’attaqua.

     Une pointe effilée est souvent ce qu’il y a de plus simple et d’efficace et les deux combattantes frappèrent d’estoc ; tout se déroula affreusement vite ; Felbar sentit une douleur cuisante sous son aisselle droite (Ixi’ualpa : tests réussis ! 3T, 1B, 1 PV !) ; son adversaire avait reculé aussi vite qu’un serpent, profitant de l’allonge de sa lance pour garder l’avantage ! (Felbar : 1T, 1T annulée, 0T)
     S’ensuivit un échange d’estocades successives dont la mêlée générale sembla s’écarter instinctivement : les amazones investissaient le pont du navire et faisaient face à la hargne des morts-vivants pris de court, cependant tout cela n’avait guère d’importance pour les deux combattantes : chaque attaque menaçait de mort, chaque fibre du corps était tendue à l’extrême (Ixi’ualpa : tests réussis ! 1T, 0B ; Felbar : 3T, 2B, 2 invus !). Cependant, soutenue désormais par son équipage, Felbar fit reculer son ennemie : coincée contre le bastingage, celle-ci voyait ses options drastiquement limitées (Ixi’ualpa : tests réussis ! 1T, 0B !), alors sa rapière demeurait tout aussi létale (Felbar : 3T, 3B, 2 invus, 1 PV !).
     Tout se déroula cependant différemment lorsque l’humaine se jeta soudainement sur elle telle une panthère, abandonnant sa lance et l’entrainant Felbar à terre ; éberluée à la fois par la rapidité de l’assaut et l’étrangeté sauvage de celui-ci, la vampiresse reçut subitement deux coups de poings foudroyants dans la mâchoire ; les quelques instants qu’il lui fallut pour comprendre enfin ce qui se passait furent les instants de trop : Ixi’ualpa avait sorti sa dague d’un geste fluide et la planta jusqu’à la garde dans la poitrine adverse. Atteinte droit au cœur, la capitaine se raidit, un rictus haineux se figeant sur ses traits. (Ixi’ualpa : 4T, 2B, 2 PV !!!)

     « GRAAAAAAAAAAAAAAA !!! »

     Les cris de victoire des amazones se bloquèrent dans leurs gorges face à au déchaînement de violence du seul mort-vivant qui dépassait tous les autres d’une bonne tête. Son cri, bien qu’étouffé par l’intense humidité de l’air, vibrait de férocité et rappelait le rugissement d’un kroxigor. Ignorant totalement la présence des ennemies sur la poupe, le revenant sauta brusquement sur le pont et arracha la grille qui retenait l’accès à la cale à l’étage supérieur, où il disparut immédiatement du champ de vision des amazones, ses cris rageurs témoignant cependant de son emplacement exact.
     Rakt’cheel dirigea ses guerrières-kalim dans les entrailles du navire et elles eurent vite-fait de trouver le mort-vivant : dans un craquement épouvantable, il venait de défoncer à mains nues la coque épaisse du vaisseau et élargit drastiquement la brèche en broyant les planches avec une force insoupçonnée ; l’eau s’y engouffra ; GraAflblabl rugit cette fois-ci en direction des amazones qui hésitaient à l’approcher. Rakt’cheel beugla son cri de guerre en retour : il était hors de question qu’elles laissassent ce sauvage ennemi sombrer ainsi, sans lui livrer bataille !
     Lorsque l’on rapporta la nouvelle à Ixi’ualpa, elle comprit qu’il y aurait des cris pendant de longs et pénibles moments encore : de nouveau privées de sacrifices, les kalims ne pouvaient simplement partir sans gloire. Elle-même avait eu son lot, elle pouvait partir avec ses guerrières.

     Quand le second du navire-fantôme se tut enfin, l’eau avait entièrement inondé la cale et les kalims, épuisées, durent lutter encore pour ne pas finir prisonnières de l’épave.





     Le prince Aetholdyr Prestelance (Johannes la Flèche) vs Fiodor le Non-Mort (Arcanide Valtek)

     Les barques ulthuanii fendaient les flots avec une discrétion toute relative : elles étaient conçues de prime abord pour l’évacuation de troupes et la survie en pleine mer. Les asurs qui les manœuvraient, cependant, avaient reçu des ordres dont l’importance allait de soi : soit ils parvenaient à tromper la garde de quelque navire de mauvaise fortune, soit ils tombaient en pâture à celui-ci. Le sort des quelques blessés qu’ils transportaient, par ailleurs, serait réglé en premier : dans les conditions où ils étaient calés dans les barques, à la merci de l’humidité et de la pluie, ils dépériraient bientôt. Chacun, cependant, se rattachait à l’exemple donné naguère par leur prince : au-delà du sens évident de ses paroles, Aetholdyr de Cothique avait impressionné tous ses elfes par son attitude vigoureuse, non, féroce, lors de sa harangue. Dans le timbre de sa voix, les fils d’Ulthuan avaient entendu le rire grinçant de Khaïne ainsi que la majesté d’Aenarion le Défenseur. Leur prince n’avait guère cédé au défaitisme, au contraire : il paraissait raffermi dans sa détermination à vaincre.
     Dès lors, chaque elfe manœuvrant les barques sentait en y repensant les échos des batailles passées visiter son esprit dans une sorte de rêve éveillé. La plupart ne pensait même plus à leurs proches laissés par-delà le Grand Océan : tout ce qui comptait, c’étaient les combats à venir et les victoires qu’ils allaient remporter. Puissent Isha et Asuryan veiller sur les royaumes asurs ; ici, ils remettaient leur sort entre les mains de Khaine.


     Ils faillirent passer à côté. Aetholdyr réprima l’envie de se donner une claque lorsque l’on rapporta du milieu de leur colonne la présence d’une silhouette anormale à tribord. Ils avaient failli la rater dans ce même brouillard qui leur procurait un tel avantage… En lui, instinct meurtrier et discipline de fer se croisèrent brutalement pour donner naissance à quelques ordres clairs et précis, lâchés dans un murmure et véhiculés tout aussi discrètement parmi la colonne. Les barques commencèrent à virer de bord direction de la tâche sombre qui se dessinait à côté de la façade bien plus intimidante de la rive densément boisée. Les mêmes pensées demeuraient présentes dans l’esprit de chacun : ils avaient failli passer à côté, Khaine soit loué qu’ils ne fussent pas passés à côté !

     « FEUER !! »

     Deux détonations simultanées furent suivies du crépitement lamentable de quelques mousquets. Ce vacarme cisailla les oreilles des elfes et leur ôta en même temps la moindre illusion quant à leur avantage de surprise. Leurs ennemis ne dormaient pas.
     Aetholdyr Prestelance retint une ferme envie de franchir la dizaine de mètres qui les séparait à la nage.
     « Souquez ferme, soldats ! MORT ! MORT À NOS ENNEMIS, PAR KHAINE !! »
     « FEUER ! »
     Le vacarme des armes à poudre accusa un certain retard par rapport à l’invective prononcée ; aucune barque ne fut retournée mais la proximité d’un boulet en fit tanguer une et envoya plusieurs guerriers dans les flots, sans compter d’éventuelles pertes dont seuls des cris isolés pouvaient attester. Les ulthuanii se rapprochèrent néanmoins du navire ennemi avec une redoutable vélocité, les canons à bord devenant définitivement inutiles.
     À ce moment-là, les asurs démontrèrent que leurs sombres cousins n’avaient guère le monopole de l’art de l’abordage. Bien que sous un feu nourri, les barques s’agglutinèrent à l’arrière et le long du bord exposé du navire, des grappins furent lancés ; opérant en binômes, les pupilles dilatées par l’adrénaline et leurs armes aussi tranchantes que le jour où elles furent forgées, les elfes bondirent à l’assaut. Le navire étant à faible tirant d’eau, ils n’avaient même pas d’escalade à effectuer, atterrissant droit sur le pont où leurs ennemis se jetèrent sur eux, sabres au clair.

     Fiodor se retrouva une fois de plus en première ligne ; une fois n’est point coutume, il s’agissait d’une ligne de défense ! Le vampire aurait eu beaucoup de choses à dire à ces assaillants à qui ils avaient même accordé un passage sain et sauf sans les attaquer, il n’avait simplement pas été d’humeur et ne voulait pas tenter le diable dans l’inconcevable purée de pois qui recouvrait actuellement les environs. Tout ce qu’il disait maintenant, cependant, c’étaient des ordres à l’adresse de ses hommes, plus souvent des invectives, même. Ce fut alors qu’un elfe qui atterrit d’abord sur le bastingage du pont bondit à présent sur lui, lance en avant.
     Fiodor dévia l’estocade et arma un coup de poing redoutable qui s’écrasa sur le casque ailé de l’asur (Fiodor : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 1 invu, 1 PV !) ; ce qui ressembla à une perte d’équilibre se solda cependant par une frappe horizontale de l’elfe qui impacta son pied d’appui et le fit trébucher (Aetholdyr : 4T, 3B, 2 invus, 1 PV !). Fiodor fit un saut carpé pour se relever mais ressentit immédiatement la pointe de la lance cisailler les chairs de sa gorge (Aetholdyr : 4T, 2B, 2 PV !). Il s’effondra alors : feindre la mort était bête, méchant et injustement efficace, surtout contre les meilleurs bretteurs qui existassent. À peine l’elfe se fut détourné de lui qu’il frappa par derrière… Quel diable de sixième sens l’avait-il averti au dernier moment ?!! (Fiodor : 5T, 3B, 2 invus, 1 PV !)
     D’un revers de coude et d’un crochet du pied, Aetholdyr fit chuter son adversaire et, de toutes les forces dont il se sentait capable, le transperça en plein abdomen avec sa lance, clouant le vampire aux planches du pont (Aetholdyr : 4T, 4B, 2 invus, 2 PV !!!) ; la supercherie ne marcha pas deux fois cependant, aussi l’asur dégaina un glaive, son arme secondaire, dont il se servit pour déjouer la garde de son ennemi et lui clouer au pont son bras armé ; en vérité, nul n’aurait su prédire si l’elfe aurait pu venir finalement à bout de son adversaire, sans doute le plus coriace qu’il eût jamais affronté, si ces soldats n’étaient pas accourus avec leurs propres armes. L’équipage humain avait affronté les asurs avec toute l’habileté dont leur race était capable mais ces derniers semblaient inarrêtables en ce jour ; l’absence de leur capitaine à leurs côtés finit par décourager les hommes.
     Puis, un jet de flammes aveuglant fit croire à Aetholdyr que le maudit navire abritait également un dragon ou quelque mutation abjecte qui s’en rapprochât ; lorsqu’il croisa le regard d’un nain qui venait de surgir depuis le château arrière, des millénaires de haine et de rancœur ancestrale se rappelèrent à tous deux en l’espace de cet instant. Vétéran et académicien des champs de bataille, le prince de Cothique reconnut la nature de l’appareillage du dawi, s’empara de sa lance et la projeta dans sa direction.
     Thrond sentit la pointe riper contre le haut de son casque mais un craquement sec lui indique quelque chose de bien plus grave : le réservoir de gaz était fêlé ! Un chuintement à peine audible lui confirma l’infirmité provisoire du lance-flamme, et le nain comprit qu’il faisait face à l’une des pires situations qu’il avait imaginées : Fiodor l’ayant persuadé de rester en retrait, soi-disant qu’il fallait économiser la précieuse puissance de feu pour des cas d’extrême nécessité, eh bien, voilà, l’extrême nécessité arriva la première ! Et l’ennemi avait l’ascendant ! Et quel ennemi, par Grimnir !!

     Lorsque Fiodor retrouva peu à peu l’usage de sa vue, il vit la canopée verte au-dessus d’eux et comprit tout : le Corbeau Centenaire, ils l’avaient abandonné aux proprettes.

     Quelques lieues plus loin, délirant de fièvre à cause de blessures anciennes et nouvelles, Aetholdyr jurait à qui voulait l’entendre qu’ils devaient absolument retrouver ce nain, raser sa barbe et apporter sa barbe à Khaine.





     Le capitaine Sarquindi (Ethgri Wyrda) vs Von Essen (Essen)

     Le chroniqueur poussa un grognement capricieux lorsqu’il comprit qu’une perche à crochet s’était rapprochée de lui et que l’heure de la méditation à la surface de l’Amaxon touchait à son terme. Avant qu’elle et ses consœurs n’endommageassent son habit déjà méconnaissable, il s’agrippa à l’une des perches et se laissa hisser par quiconque la tenait à l’autre bon. En se retrouvant à bord d’un navire manifestement peuplé d’elfes noirs, Von Essen se demanda s’il n’aurait pas mieux fait de plonger au fond des eaux, comme le font parfois les poissons apeurés.
     Les regards que lui jetaient les elfes noirs n’avaient rien d’amical : il avait surtout l’impression qu’ils tenaient absolument à paraître moqueurs et intimidants, bien que la fatigue se devinât cachée sur les traits de certains. Lui-même aurait eu tout le mal du monde à paraître intimidant : dégoulinant de partout et en haillons, il devait avoir piètre allure. Ce fut alors que son regard croisa celui d’un druchii en particulier : son costume lui rappela immédiatement certaines fêtes populaires impériales et tiléennes. En revanche, ce ne pouvait être décemment un elfe noir ainsi accoutré, si ?...

     Phy’lis détaillait sa trouvaille (enfin, « leur » trouvaille, passons) avec une curiosité teintée d’une méfiance grandissante. Qui était cet hurluberlu, ce primitif, cet animal perdu que quelque mauvais propriétaire avait sans doute voulu noyer dans les eaux énigmatiques du fleuve ? Un esclave égaré par un autre reaver ? Trop de couches de vêtements pour un esclave. Un rescapé d’une malencontreuse escapade ? Ce devait être ça, un rescapé d’une malencontreuse escapade…

     Sarquindi apparut nonchalamment sur le pont. Il lui était arrivé de revoir le navire-colosse de sa nemesis en rêve et il voulait se changer les idées. La rumeur qui lui était parvenue par une de ses « oreilles » à bord lui suffit pour quitter ses quartiers. Qui sait ? Après tant de désagréments, le destin leur avait enfin octroyé une petite récréation ? La première chose qu’il entendit de récréatif fut un « Bonjour ! Je m’appeler Vonessenne ! », articulé dans un eltharin à l’accent qui lui donna soit envie de rire à gorge déployée, soit de vomir son repas. Il accomplit un miracle de sang-froid en optant pour une approche plus officielle et redoubla simplement de vitesse pour se retrouver face à la source de loisir.
     Il fit des yeux ronds en voyant l’humain dont l’habit rouge et noir laissait tomber encore de grosses gouttes sur le pont et se tourna mécaniquement vers Phy’lis : un tel étalage de couleurs devait forcément être le fruit de ses manies. Son allié, cependant, s’esclaffa : pour une fois, cette incongruité au milieu du vert et du… blanc qui les entouraient n’était pas de son stratagème. L’article était authentique !  
     « Je m’appeler Vonessenne ! Et vousse ? »
     Cette fois, Sarquindi ne tint plus : le rire s’échappa de sa gorge telle le cours d’un fleuve détruisant les digues qui le retenaient. Il s’appuya sur l’épaule de son allié, plié en deux, ignorant royalement l’assemblée autour de lui qui se permettait seulement quelques sourires nerveux. Ah, que c’était bon d’être le commandant ! On pouvait faire ce qu’on voulait ! Et rire à gorge déployée quand on voulait !
     « Je suisse de l’Empire ! »
     L’équipage du Rêve d’Atharti ne savait plus trop où se mettre alors que leur capitaine avait fini par abandonner son appui et se roulait désormais par terre. C’était plus fort que lui ! Plus fort que lui !!
     « J’être ami ! A-mi ! »
     L’elfe noir fini par rester en place, agenouillé, les larmes aux yeux : il savait qu’à toute nouvelle parole de cet énergumène, ses genoux ne le tiendraient pas mais, comme ça, au moins, il demeurait en place.
     « Vousse comprendre ? A-mi-euh ! »

     Phy’lis, se sentant nettement écrasé par la crise d’hilarité du capitaine, comprit immédiatement que c’était l’effet comique de cet énergumène qui mettait son allié dans cet état et paraissait involontairement s’attirer sa faveur. Parbleu, si c’était ainsi, peut-être que cet animal perdu pourrait faire office d’oiseau savant dans sa troupe d’artistes… Oh, l’idée avait son charme, ses horizons multiples valaient au moins la peine d’être explorés ! En vérité, il était désormais hors de question d’infliger un quelconque dommage à ce perroquet lustrien, qui manquait de plumes, certes, mais ne manquait pas de présence scénique ! Par ailleurs, comment allaient-ils le lui faire comprendre ? Enfin, c’était comme pour tous les animaux, il fallait d’abord essayer de les amadouer…

     Lorsque l’on apporta une coupe de vin à Von Essen, il comprit que… qu’ils n’allaient pas le tuer tout de suite, à moins qu’il ne s’agît d’un moyen affreusement élaboré d’empoisonner un inconnu. Le vin, il n’en voulait pas, cependant il ne voulait pas non plus faire l’affront de refuser ce qui devait être l’hospitalité. Et si…

     Lorsque la coupe de vin fit le tour de quelques druchii moins haut gradés et atterrit entre les mains de l’état-major, Sarquindi écarquilla les yeux avant de s’effondrer sur place, de nouveau secoué de spasmes d’hilarité, les bruits qui quittaient sa gorge ressemblant aux plaintes d’un supplicié. Phy’lis fut quant à lui paralysé de stupeur : la coupe était froide, le vin à l’intérieur était glacé ! Non seulement c’était un oiseau savant, c’était également un prestidigitateur ! Un talent ! Une perle ! Une gemme du spectacle repêchée dans les eaux du fleuve ! Louée soit Atharti pour avoir épargné la vie de cette créature formidable ! Elle ferait fureur à la cour de son mécène, non, elle ferait fureur à la cour du Roi-Sorcier ! La voilà, la voilà, cette étincelle d’absurde, cette pincée de drogue à éternuer qui fait rire et pleurer n’importe quel public avant de se faire étourdir sous le tonnerre des applaudissements !! La voilà !!  
     « Cher allié ?
     Phy’lis haussa les sourcils : le capitaine aurait-il surmonté son mal ? Son tourment ? Son délice ?
     - Oui ?
     - Vous ne comptez pas l’apprivoiser, tout de même ?
     - Vous voulez rire ? Mais je vais – »

     L’estocade de Sarquindi fusa avec la vitesse de la foudre. Là où elle aurait dû décapiter l’humain qui se tenait là, une brume rouge et noire apparaissait indistinctement et s’éloigna tout aussitôt du navire. Le capitaine renifla de mépris : peut-être qu’il avait commis une erreur mais il préférait une inimitié ouverte à un rapprochement aussi mensonger que dangereux. Cet « humain », après tout, n’en était évidemment pas vraiment un… (Sarquindi : 5T, 4B, 1 invu, 3 PV !!!)
     Il ne fut guère surpris en trouvant à Phy’lis l’expression d’un enfant à qui l’on venait de briser son jouet favori. En attendant, jusqu’à nouvelle trahison, c’était lui, le capitaine à bord du Rêve d’Atharti, et lui seul décidait de l’acceptation d’animaux exotiques à son bord !  

     Von Essen n’avait dû son salut qu’à son instinct, fallait-il croire : dès que l’elfe avait fini de rire, il eut senti un besoin oppressant de devenir aussi intangible que possible…





     Alicia de Meissen (Alicia) vs Yelmerion d’Yvresse (Lynairyth)

     Les hostilités débutèrent dès que, à travers le brouillard, la vigie du vaisseau de Tor Yvresse distingua les contours bien trop familiers d’un reaver druchii. La baliste serre d’aigle fut immédiatement pointée en direction de leurs cousins honnis et tous adressaient des prières aux dieux avant l’affrontement imminent. Les balistaires, cependant, brûlaient tout autant de l’instinct meurtrier ambiant et décidèrent cette fois-ci de se surpasser en essayant d’abattre le navire ennemi avant même qu’il ne se rapprochât. Le trait unique fusa, un craquement se fit entendre, suivi d’un gémissement étouffé : nettement visible dans l’opacité déclinante, le mât principal du reaver s’affaissa ; des cris de se firent entendre de loin.

     Puis, deux détonations claquèrent sèchement dans la quiétude du jour déclinant : Alicia avait installé quatre canons au bord du reaver : deux sur les flancs et deux à l’avant, n’hésitant pas à malmener le bastingage sur la proue pour aménager les fenêtres de tir. Les canonniers recrutés à bord de l’Emmanuelle, qui suivait non loin, firent leur office.

     L’un des boulets perfora le château arrière du vaisseau ulthuanien ; l’état-major entendit des cris à l’étage inférieur. Des paroles incrédules furent échangées : les druchii s’étaient-ils abaissés à user d’armes à poudre, désormais ?!
     Le vaisseau vira de bord et se retrouva bientôt à quelques dizaines de coudées du reaver, leurs flancs se faisant face mais les équipages toujours incapables de distinguer les visages ennemis d’en-face. Alicia, qui avait installé une torche à l’arrière du reaver et ordonné le même procédé pour la proue de l’Emmanuelle, savait qu’avec la puissance de feu de cette dernière, ils avaient l’avantage. L’inquisitrice avait repoussé dans un coin de son esprit toute considération quant à l’identité claire de leurs ennemis : ils avaient tiré sans sommation, ils récolteraient ce qu’ils semaient. À bord de l’Emmanuelle, Helmut Markus Heldenhame aperçut également la silhouette du vaisseau qui se rapprochait d’eux en biais, désormais. Il n’aimait guère ce qu’il voyait mais n’avait nullement l’intention de subir un deuxième fiasco d’affilée : les sabords de l’Emmanuelle, portant toujours les séquelles de leur combat contre les morts-vivants, s’ouvrirent.
     De seconde en seconde, le vaisseau se rapprochait et le commandant s’apprêta à donner le signal aux canonniers. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il distingua enfin la proue du vaisseau. Puis, des bannières à son bord. Il savait peu, très très peu sur les haut elfes mais ce qu’il savait lui suffisait pour savoir les distinguer des elfes noirs, ennemis jurés de l’Empire.
     « Commandant !
     - Attendez !
     - Commandant, ils vont être sur nous !!
     - Ne tirez pas, vous m’entendez ?! Ne tirez pas !! »
     Helmut accourut sur le pont depuis la dunette arrière ; il commettait peut-être la plus grave erreur de sa vie et ses tripes lui hurlaient quant au danger auquel il s’exposait. Par Sigmar, devait-il tirer sur un navire…
     « Tirez ! Feu ! FEU !! »
     Le souvenir qu’eux-mêmes faisaient usage d’un navire ennemi l’aiguilla sur un possible et ignoble subterfuge tendu par leurs ennemis. Il sentait son sang battre dans ses tempes alors que le tonnerre des canons inonda son ouïe. Si c’étaient des elfes noirs à bord d’un navire asur, il devait absolument prendre la décision qui imposait de parer à cette éventualité. Et puis, quand bien même s’agissait-il de leurs alliés d’Ulthuan, savait-on seulement leurs intentions véritables ici, loin de leurs palais et de leurs intentions paternalistes…

     Le vaisseau de Tor Yvresse fut perforé dans plusieurs endroits, et rares étaient les endroits qui n’abritaient point d’elfes armés de pied en cap et prêts à en découdre, tant ils avaient dû être entassés à bord du navire. Leur abordage se heurta à une formation compacte de hallebardiers et de piquiers, ceux-là comportant également quelques officiers nouvellement nommés, recrutés parmi les durs à cuire de l’expédition d’Alicia. Ceux-là haranguaient les troupes et se battaient là où les elfes menaçaient de briser la formation, compensant leur infériorité martiale par leur endurance et leur brutalité. L’état-major asur, cependant, aperçut le reaver en train de s’approcher d’eux ; Yelmerion, flanquée de ses meilleurs lieutenants et d’une escouade de lanciers restée en réservé, décida de tenir ce flanc du vaisseau.

     Alicia maudissait à présent le brouillard : s’ils avaient vu le vaisseau plus tôt, ils auraient pu le trouer comme une passoire avec l’Emmanuelle et envoyer tout son équipage nourrir les piranhas ! À présent, à présent ils devaient régler le sale boulot à l’ancienne, évidemment ! L’inquisitrice, bien que sentant tout son corps encore convalescent, harangua sa bande mélangée de stirlanders, de nulners et d’esclaves en leur promettant que, si ça se trouve, eh bien, les elfes eux aussi avaient un petit goût de poulet !
     Lorsqu’il se retrouvèrent bord à bord avec le navire ulthuanii, l’inquisitrice chercha instinctivement la personne qui devait être la plus haut gradée à bord, aperçut une elfe blonde dont l’armure semblait la plus ouvragée de toutes celles qu’elle voyait. Elle sortit son pistolet dont elle vérifia la charge. Vociféra quelques instructions à ses hommes.

     Ils s’abattirent sur les elfes qui les déchiquetèrent presque tous avant même qu’ils ne puissent frapper ; l’inquisitrice n’avait besoin que de ces quelques secondes pour décharger son arme sur sa cible à bout portant (Alicia : 3T, 3B, 1 invu, 2 PV !).
     La princesse accusa la douleur dans son ventre de plein fouet ; elle connaissait l’existence des armes à feux mais n’avait jamais subi de blessure semblable. En revanche, elle sentit clairement son ennemie s’emparer d’elle et lui mettre une dague sous la gorge en hurlant quelque chose dans sa langue barbare ; révoltée par tant de bassesse, Yelmerion s’empara de sa propre dague et visa le flanc exposé de l’impériale ; l’acier elfique ripa sur l’acier impérial (Yelmerion : 1T, 1B, 1 svg). Elle sentit aussitôt une poigne de fer se refermer sur main armée et tenter de lui vriller le poignet (Alicia, entrainement martial : 0T) mais la princesse déjoua la tentative et parvint même à lacérer la main adverse (Yelmerion : 4T, 2B, 1 svg, 1 PV !). Sentant que sa proie allait lui échapper de la sorte, l’inquisitrice se résolut au plus risqué : Yelmerion sentit la dague impériale se resserrer contre son cou (Alicia : 3T, 3B, 2 invus, 1 PV !!!). Le signal était sans appel : si elle ne cessait pas immédiatement, elle mourrait.
     Mourir sans être parvenu à remplir sa mission était inacceptable. Priant Hoeth de lui accorder la patience et Khaine – pour lui offrir la vengeance, la princesse ne résista guère davantage.


     Dans les deux heures cauchemardesques qui suivirent, Helmut observa les elfes se retirer, les mines de marbre, sur leur vaisseau quasiment hors d’usage. Il n’avait jamais vu une mêlée aussi sauvage s’interrompre d’abord puis se solder de la sorte. Il était incapable de distinguer clairement l’inquisitrice, qui était parvenue à retourner à bord du reaver avec son otage, mais frémissait à l’idée de ce que devait éprouver sa victime à l’heure qu’il était.
     Yelmerion n’éprouvait que la froide conviction qu’elle était encore en vie et que la vie de cette humaine, elle, ne serait plus jamais à elle tant que Yelmerion respirait encore. Son devoir envers Yvresse passerait toujours avant tout mais, à la moindre occasion, cette humaine saurait qu’elle n’aurait pas dû la laisser en vie. Enfin, Yelmerion adressait une prière silencieuse à Ereth Kial : l’humaine n’avait guère relâché son emprise sur elle et rien ne retenait sa dague de lui trancher la gorge. Si, dans un coin replié de son intelligence, la princesse réalisait qu’elle n’avait croisé aucun elfe noir de tout l’affrontement, que tout ceci n’était peut-être qu’une monstrueuse et abominable erreur, présentement, ses instincts prévalaient, sa foi, ses convictions profondes. Sa douleur aussi.
     Alicia, quant à elle, vivait dans l’instant. Grâce au sacrifice dévoué de quelques hommes, elle avait pu exploiter la faille dans l’armure du géant qu’était ce navire truffé de guerriers sanguinaires. Tout n’avait depuis tenu qu’à la chance et à sa puissance physique : les elfes tenaient-ils à ce point à sa proie ? Oui, elle avait eu de la chance. Sa poigne suffisait-elle à maintenir juste ce qu’il fallait de pression de la lame sur le cou délicat de sa proie ? Oui, grâce à Sigmar, elle se sentait encore la force de faire durer la situation. Pendant combien de temps encore ? Il fallait qu’ils se servissent de l’opportunité pour en finir. Par les dieux, dans cette jungle, au milieu de nulle part, qui saurait le destin de quelques elfes noyés tout au fond de l’Amaxon ?
     Elle siffla ses ordres à un de ses hommes survivants, qui hurla les instructions à l’adresse de l’Emmanuelle. À bord du vaisseau ulthuanii, où bon nombre d’elfes comprenaient le reikspiel, des visages blêmirent et l’on ne sut quoi faire. Puis, depuis le bord de l’Emmanuelle, une réponse fut criée : refus catégorique d’obtempérer. S’ensuivit encore une demi-heure de terreur et de tension constantes où il apparut manifeste aux elfes que quelqu’un semblait tenir absolument à épargner leurs vies ; les noms « Heldenhame » et « von Meissen » résonnèrent de manière de plus en plus sonore alors que la lumière du jour décroissait.
     Puis, les deux navires s’ébranlèrent, laissant le vaisseau de Tor Yvresse, dont la moitié des cales avait pris l’eau, sur place avec tous ceux qui s’y trouvaient. Tout devenait de plus en plus sombre.

     Helmut Markus Heldenhame dut négocier au prix fort la sauvegarde des haut elfes et de l’otage : dès qu’il remettrait celle-ci entre les mains des siens, en chaloupe, il devrait rejoindre lui-même, par la seule force de ses bras, les deux navires qui l’attendraient beaucoup plus loin. Nuln devrait désormais moult avantages à la colonie de Markus Wulfhart et lui, Heldenhame, devrait s’en porter garant.
     Le wissenlander supporta sans mal ces promesses qui lui pèseraient dans un avenir encore incertain. Cette nuit, au moins, il aura préservé l’honneur martial de sa patrie.


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Essen

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Lun 22 Mar 2021 - 9:45
Intermèdes IV

La Route d'Eldorado - Page 2 Fires_11




     Il faisait nuit noire mais la lumière était partout dans le ciel : Von Essen avait rarement vu autant d’étoiles en même temps, c’en devenait presque intimidant. Il s’était octroyé ce court moment de contemplation presque à contrecœur car c’était également un moment d’hésitation. Le vampire avait les idées claires mais hésitait à les mettre en œuvre. Tenait-il à ce point à mettre encore une fois son existence en péril ? Devait-il à ce point constamment vivre sur le bord d’une lame de rasoir ? Lui, dont le corps svelte ne devait son intégrité actuelle qu’à la vigueur impie du vampirisme, lui qui avait visité les limbes et qui en était revenu à grand prix, pouvait-il valablement remettre tout ceci en jeu encore une fois, qui en préfigurerait sans doute encore mille autres fois, encore et encore ? À part le sang, c’était son nectar favori, c’était ce qui faisait trembler la moindre parcelle de son être… Le chroniqueur étira ses membres ; il se tenait sur la rive de l’Amaxon, à quelques centaines de pas du campement de ses nordiques, qu’il était parvenu à retrouver. Les vents du chaos ne restent guère insensibles aux sacrifices rituels impeccablement réalisés et Von Essen avait appris à relier leurs mouvements célestes aux lieux desdits sacrifices. Ce qui le retenait à présent de rejoindre le campement, c’était le risque avéré que ses plans immédiats allaient peut-être causer plus de dégâts que de bénéfices, voire pire, un regrettable gâchis. Se retirer maintenant était cependant hors de question, et le vampire quitta l’ombre des arbres pour se diriger lentement vers ses nordiques. « Ses » nordiques, par Nagash, « ses » nordiques qu’un certain Gust lui avait cupidement retirés.  

     Haakonson et ses frères d’armes poussèrent comme les autres des cris de joie brutaux pour acclamer le retour du messager de Korn. Le guerrier crut ses oreilles lui jouer des tours lorsque le messager lui ordonna de traduire sa demande à Gust, leur chef : c’était un défi. Le vampire voulait défier leur chef.
     Haakonson n’était point un faible, Korn aurait fait de lui un amas d’os et de chair informe s’il avait été un faible. Ainsi, il désira plus que tout d’enfoncer sa hache dans le crâne du vampire au moment où ce dernier le menaça de faire de lui son pantin servile s’il ne traduisait pas immédiatement sa demande. Seule la curiosité de Gust, que ce dernier ne manqua guère d’exprimer, le retint dans son envie. Canalisant sa fureur avec discipline, le guerrier lui transmit sans trop de difficulté ce que le messager avait à lui dire.
     L’ensemble du campement devint silencieux ; le murmure du fleuve et la boîte à musique de la jungle furent les seules sources de bruit pendant un moment qui parut durer trop longtemps ; Gust semblait réfléchir. Le messager ne le quittait pas du regard et beaucoup de maraudeurs voyaient dans ses yeux l’éclat écarlate de Korn. Il était chétif, ce messager, mais Korn ne pouvait faire d’erreur sur la personne, le messager avait fait montre de sa puissance lors du dernier combat contre les elfes. Gust, enfin, prononça sa réponse, celle que peut-être tous ses guerriers attendaient : la volonté du dieu suprême serait accomplie séance tenante. Le yeux du chroniqueur s’illuminèrent brièvement, telles deux étoiles rouge sang.

     La rive était mince, beaucoup de buissons avaient dû être précédemment ôtés pour faire de la place à tout l’équipage du langschiff. Beaucoup d’animaux avaient également fui l’endroit au moment où le campement fut établi : ceux qui n’étaient point conscients de cette nouvelle présence étrangère finissaient généralement piétinés ou passés par le fil d’une épée. Des feux avaient été allumés de part et d’autre du langschiff ramené sur la rive. Le chef et le messager finirent par se placer à un endroit suffisamment large à leur goût, entre trois feux crachotants, entre trois douzaines de guerriers de la Norsca dont la moitié était en train de fabriquer des torches avec ce qui leur passait sous la main. Gust avait ramassé son casque, son bouclier et sa hache ; Von Essen portait toujours sa dague et avait tout simplement emprunté une épée pour le duel. Le propriétaire de l’épée sentait désormais qu’il jouait lui aussi un rôle plus important dans le grand dessein de Korn.
     Gust examina pour la énième fois le messager de la tête aux pieds : il avait affronté des hommes plus petits que lui lors de ses nombreux raids dans les terres fertiles du sud. Ils avaient de la hargne, ces gringalets, parfois, ils avaient de la hargne. Celui-là, cependant, était le messager de Korn et ne serait certainement pas comme les hommes faibles des terres du sud. Le vieux guerrier remercia Korn pour l’honneur qu’il lui accordait d’affronter son messager : il ne retiendrait aucun de ses coups car ce serait sinon un blasphème.
     Von Essen exultait, comme il l’avait anticipé, car devant lui se tenait un homme digne des sagas comme celle de Hjalmar Oksilden. Il allait affronter un de ces hommes dignes des sagas, un peu comme il avait jadis joué au chat et à la souris avec Silvère de Castagne, le preux paladin de la Dame du Lac. Le vampirisme, quel heureux fruit du hasard, quel destin inconcevable : il ne pouvait demander mieux, il ne désirait nul autre place que celle dans ce cercle de féroces guerriers quelque part au cœur d’un continent gorgé de mystères. Une fois que le piétinement des hommes en quête de torches se tut, le chroniqueur se mit en garde ; Gust apprêta ses armes ; le chroniqueur attaqua.
     Le guerrier nordique ressentit un net malaise : les yeux, les yeux du messager, c’était comme si quelqu’un semait le doute dans son esprit, c’était comme s’il n’avait jamais combattu de sa vie ! (Gust : tests ratés ! 0T)
     Le vampire, cependant, réalisa qu’il faisait véritablement face à une machine créée uniquement pour le combat : malgré le ralentissement causé par l’hypnose, Gust para ou bloqua toutes ses estocades ! (Von Essen : 1T, 0B)
     Pendant un instant, les deux duellistes se figèrent ; Gust secoua vigoureusement la tête, comme pour se libérer d’un mauvais rêve (Gust : tests réussis !) ; Von Essen comprit que le guerrier avait compris et fonça droit sur lui, conscient qu’il fallait en finir au plus vite ; le colossal nordique poussa un grondement martial et abattit sa hache d’un geste expert qui aurait coupé n’importe quel homme en deux ; Von Essen, qui, par un bond furieux, eut enfoncé son épée à moitié entre le cou et l’épaule du nordique, se prit le fer de la hache en plein dans les côtes et alla s’écraser contre le mur de boucliers des spectateurs.
     Tous deux se redressèrent, malgré ces blessures abominables. (Von Essen : 2T, 2B, 2 PV ! Gust : 1T, 1B, BM : 2PV !)
     Le vampire dut concentrer toute sa volonté pour rester debout : il sentait que sa colonne vertébrale n’était plus tout à fait intacte et qu’il ne pouvait attaquer en l’état (Von Essen : 0T). Il parvint cependant à piéger de nouveau son adversaire (Gust : tests ratés !). Il comprit que cela ne suffirait pas lorsque le guerrier se rapprocha de lui, hache levée haut pour frapper, et abattit son tranchant sur le crâne du vampire (Gust : 2T, 2B, 1 invu, BM : 1 PV !!!).

     La hache heurta le sable de la rive ; face à Gust se trouvait quelque chose qui ressemblait à un nuage noir refusant de se dissiper.

     « Félicitations, Gust le Cruel ! »

     L’intéressé écarquilla les yeux. Jamais, jamais il ne s’était attendu à ce qu’il voyait à présent. Jamais un serviteur du dieu suprême n’aurait eu recours à ce qu’il voyait à présent. Il sentit encore une fois le doute s’immiscer en lui : qu’était-ce que ce messager inhumain ?! Un duel ne pouvait se terminer ainsi !
     « Haakonson ! gronda-t-il. Qu’a-t-il dit à l’instant ?! »
     Il chercha son interprète du regard et remarqua dans l’expression du guerrier du dégoût, de la fureur, mais aussi… autre chose ?
     « Au nom de Korn, que s’est-il – »

     Le chef des maraudeurs sentit sa gorge se nouer et son cœur battre comme jamais auparavant, lui procurant une souffrance nouvelle qui venait s’ajouter à celle, plus familière, de sa blessure ; il tomba alors à genoux, lâchant ses armes, car ce fut sa tête qui fut vrillée à son tour par un mal innommable. La voûte céleste prit pour lui une teinte carmin lorsque tout son être fut secoué par une voix d’outre-monde qui, en même temps qu’elle résonnait dans son crâne, elle démolissait l’édifice de son esprit : « INCAPABLE ! IN-CA-PABLE !! VA, GUST L’INCAPABLE, VA ET NE VIS PLUS QUE PAR LE SANG ET LA DOULEUR INFINIS !! »

     Le cercle de boucliers frémit. Ce qui se déroula sous leurs yeux fut abject ou glorieux, selon la folie qui habitait la foi des maraudeurs : leur chef hurlait à l’agonie alors que ses chairs se boursouflaient et que sa peau virait au rouge vif ; ses yeux injectés de sang finirent par quitter leurs orbites ; son crâne finit par se dilater tellement que son épiderme éclata en de nombreux endroits avant de pendre misérablement de tous les côtés, ne laissant apparaître que des muscles nouveaux qui s’ajustaient aux mâchoires canines de l’enfant du chaos. Ses membres désormais aussi puissants que difformes et dégoulinants encore de fluides incolores, l’enfant du chaos émit des sons qui ressemblaient aux râles d’un homme que l’on étouffait.
     Von Essen se matérialisa derrière son ennemi métamorphosé, si l’on pouvait encore parler de derrière pour une telle monstruosité. Le chroniqueur sentait la volonté du Khorne se canaliser à travers l’esprit de son dévoué serviteur, maintenant déchu mais toujours redoutable. Il sentait également l’hostilité de la créature envers lui : son dieu devait maintenant la guider aveuglement vers son ennemi le plus proche.
     Allons donc, c’était du sale boulot mais il devait finir ce qu’il avait commencé !
     Les maraudeurs de Gust étaient encore paralysés de stupeur et d’incompréhension lorsque le chroniqueur s’abattit sur l’être difforme dont une seconde gueule canine surgit brusquement à l’arrière ! Ses crocs de refermèrent sur le bras gauche que le vampire lui opposa (Enfant du chaos : tests réussis ! 3T, 1B, 1 PV !) ; ce dernier planta profondément sa dague dans la structure osseuse de la gueule et finit par l’arracher à la masse chaotique (Von Essen : 4T, 1B, 1 PV !). Ce succès fut de courte durée : l’enfant du chaos était aussi massif que Gust et s’abattit tout simplement sur le vampire, prit de court par ce déferlement de chair et d’os impies (Von Essen : 3T, 0B) ; son torse lui signala que quelque chose s’enfonçait entre ses côtes et il déduisit avec dégoût qu’il s’agissait des côtes déformées en pointes acérées de la créature (Enfant du chaos : tests réussis ! 1T, 1B, 1 PV !). C’en fût trop pour le vampire :
     « AMATERASU ! »
     Von Essen puisa avec allégresse dans ses mêmes vents qui flottaient autour de la créature et les asservit à sa volonté ; au contact de sa malédiction, ceux-ci prirent la forme de flammes noires s’attaquant voracement aux chairs de l’enfant du chaos, dont les râles s’intensifièrent. La créature faillit se refermer sur sa proie pour la broyer avec toute sa force maudite mais le chroniqueur se mua en brume sans la moindre honte : il en était ainsi et il montrerait à « Korn » que, malgré l’admiration qu’il portât à ses fanatiques, il n’avait aucune intention de devenir leur jouet. Le vampire reprit forme physique à quelques pas de la créature et l’enveloppa de flammes nécromantiques avec méthode et sang-froid auxquels se mêlait de la cruauté. D’abord secoué de spasmes qui se traduisaient par des coups mortels assénés à l’aveugle, l’enfant du chaos finit par choir dans une masse abjecte d’os et de cendres grises. (Von Essen : 3T, 2B, 2 PV !!!)

     Alors que le premier maraudeur s’élançait vers lui en beuglant le nom de son dieu, Von Essen décida solennellement qu’il ne regretterait strictement rien à ce qui allait suivre. Que les dieux maudits dominent leurs chiens de guerre de leur vivant ! Il offrirait à ces nordiques l’honneur et la gloire de lui servir dans la mort.


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Lun 22 Mar 2021 - 19:10


     « A notre butin encore minuscule ! » harangua Sarquindi en levant son verre de vin.

     « A notre Capitaine ! » répondirent plusieurs corsaires.

     Le Rêve d’Atharti était en fête. Pour célébrer la vue des premières pyramides au loin, et les récentes victoires contre leurs concurrents dans la course au trésors, Sarquindi avait décrété que l’on jetât l’ancre. Les marins chantaient en cœur les chants paillards des tavernes de Karond Kar et Hag Graef. Les derniers tonneaux d’alcool avaient été montés depuis le fond des cales, et quelques esclaves rameurs parmi les plus présentables servaient d’amusement à plusieurs elfes noirs en mal de divertissement.

     Phy’lis avait trouvé dans les richesses pillées aux autres navires une série de masques funéraires en or. Virevoltant sur le château arrière et dans les cordages, il avait fait du navire sa scène de théâtre. Il jonglait avec les masques pour être tour à tour le dynaste fourvoyé, la maîtresse cruelle ou l’intriguant capitaine. Les elfes qui assistaient à sa représentation ne cessaient de tourner sur eux-mêmes pour suivre la pièce qui se déroulait de la proue à la poupe.

     Sarquindi était assis au centre du navire à une table. Le chef druchii tenait dans ses doigts une mâchoire sanguinolente qu’il scrutait avec attention afin de déterminer où ses dents allaient dénicher sa prochaine bouchée. Un sanglot lui fit tourner la tête vers la seconde prisonnière asure qu’il lui restait du dernier abordage contre les ulthuani. Celle-ci se tenait debout, les poings liés, et gardée par un corsaire immobile. A ses pieds gisait le corps mutilé de son camarade. Elle se mordit la joue pour réprimer un nouveau signe de tristesse. Mi-las, mi-cruel, Sarquindi lança à sa prisonnière :

     « Ne t’inquiète pas pour lui, ça aurait pu être pire. Imagines-tu la détresse qu’il aurait ressentie si j’avais tué un de ses amis devant ses yeux par exemple ? »

     La prisonnière ne répondit que par un regard de haine. Ses larmes avaient disparu. La capitaine corsaire ne put s’empêcher d’admirer la résistance mentale de l’asure. Elle serait parfaite pour la suite. Sarquindi balaya le pont du regard. Tout était en place. Presque tout. Il fit un geste discret à deux marins. Ces derniers hochèrent la tête et se décalèrent de quelques pas puis reprirent leur discussion. Un autre geste invisible du chef druchii et le garde de la prisonnière se tourna légèrement et croisa les bras. Sarquindi eut un petit sourire satisfait en voyant que l’asure lorgnait sur la poignée du sabre d’abordage de son geôlier qui, soudain, devenait plus accessible.

     Au pied du grand mât, Phy’lis terminait sa pièce. Simulant les spasmes et les chocs, il succombait aux traits que lui lançait une sorcière imaginaire. Sarquindi connaissait la pièce, une tragédie qu’il avait eu l’occasion de voir une ou deux fois. Il attendait la chute. Elle vint.

     Le comédien tomba au sol en poussant un dernier cri d’agonie. Tous les regards se tournèrent vers lui, surpris. La prisonnière profita de l’occasion qui s’offrait à elle. Elle se jeta sur le sabre de son garde et s’en arma.

     « Arrière, abominations ! » hurla-t-elle d’une voix cassée

     Tous s’immobilisèrent sur le navire et fixèrent l’asure et son arme. Plusieurs secondes s’écoulèrent sans un mouvement.  L’ulthuani jetait des regards de bête traquée autour d’elle. Elle remarqua une ouverture dans la foule de druchii. Une voie vers sa liberté. Elle n’hésita pas, se lança en un instant vers le bastingage et plongea dans les flots. Les marins elfes noirs coururent à sa suite et s’agglutinèrent au bord du navire.

     « Je joue ma part qu’elle va se noyer, paria un corsaire.
     - Tenu, répondit un autre.
     - Elle est déjà sur la plage! s’exclama un marin du haut des cordages.
     - Capitaine, combien de temps lui laissons-nous ? » demanda un elfe.

     Sarquindi, qui n’avait pas quitté sa table, finit sa bouchée.

     « Mettez les barques à l’eau. Je termine ce bout là et nous y allons, dit-il tranquillement. J’ai presque cru qu’elle ne partirait jamais. »

*

     La colonne d’amazones serpentait silencieusement dans les ténèbres nocturnes de la jungle, sans besoin de torches pour les guider sur leur chemin qui, même de jour, serait resté invisible à tous sauf aux autres habitants de l’endroit. De même, les seuls bruits qu’elles faisaient étaient ceux des craquement de branches et de bruissements de feuilles, et, noyés dans le bourdonnement incessant et omniprésent de la forêt, qui jamais ne dormait, ils étaient inaudibles pour toute personne qui n’avait pas grandi en ces lieux.

     Pour une fois, les kalims n’étaient pas sous l’emprise de leurs multiples substances hallucinogènes. Toutes arboraient un air fermé, solennel, voire même sévère, comme Rakt’cheel qui les menait, précédée uniquement par deux éclaireuses allant au devant du groupe.

     Ixi’ualpa, à l’arrière, suivait silencieusement la procession, les yeux grand ouverts. Lorsqu’elle avait entendu que les kalims comptaient se rendre à la stèle sacrée la plus proche pour y honorer la mémoire des Anciens par un petit rituel, cela avait tout de suite éveillé sa curiosité. Elle, qui avait passé toute sa vie, depuis son plus jeune âge à se battre ou s’entraîner pour défendre sa cité et son peuple, ne connaissait finalement que peu de choses du monde, encore moins des kalims qui vivaient beaucoup à l’écart de la société. De fait, elle était … terriblement curieuse, à un tel point qu’elle en était presque honteuse, de pouvoir assister à la scène, surtout après avoir déjà côtoyé les dévotes et leurs pratiques étranges, parfois dérangeantes, mais toujours fascinantes.

     D’un autre côté, la guerrière aigle avait aussi eu l’envie de garder un œil sur les kalims pour s’assurer qu’elles ne commettent pas… d’impairs, en son absence.

     Cependant, jamais elle n’aurait cru que Rakt’cheel accepterait de la laisser se joindre à elles. Au lieu du refus catégorique et le regard haineux auxquels elle s’était attendue, la dévote n’avait fait que grogner une vague approbation avant de se détourner.

     Depuis qu’elle était retournée du navire des hommes-poissons, son attitude envers Ixi’ualpa avait changé. Pour le meilleur ou pour le pire, la guerrière ne pouvait encore le dire… Le mutisme de la dévote pouvait, à ses yeux, aussi bien cacher un désir de meurtre qu’un début de respect. Quand elle avait interrogé Luxia, l’une des quelques kalims avec lesquelles elle avait réellement pu nouer des liens depuis le début du voyage, cette dernière avait haussé ses épaules avant de lui répondre que Rakt’cheel n’avait tout simplement pas encore digéré le fait d’avoir une dette de trois vies envers elle.

     Devant une réponse aussi évasive, Ixi’ualpa n’avait pas insisté et s’était résolue à respecter le silence des kalims pour le restant de leur marche. Silence, qui visiblement, venait d’être brisé, ce qui tira la guerrière de ses pensées. À l’avant de la troupe, les éclaireuses étaient revenues et un attroupement commença à se former autour d’elles et de Rakt’cheel. Les éclats de voix qui parvinrent jusqu’à Ixi’ualpa portaient un vent de trouble et d’inquiétude.

     Elle n’eut pas besoin de se frayer un chemin à travers la troupe, car les kalims s’écartèrent devant elle, la laissant face à face avec le visage de Rakt’cheel, fermé et résigné sous son maquillage.

     « Révérée de l’Aigle. » commença-telle, comme si il lui en coûtait de prononcer ses paroles. « Nous avons besoin de votre aide. Des étrangers, pire… des… ma’chamiy’obo, se sont réunis. Quels sont vos directives ? »


*

     « Franchement, capitaine, je vous le redis. On est à découvert. Et je n’aime pas ça. »

     En un concert de cliquetis, Marcel de Parravon faisait les cent pas dans la clairière, foulant du soleret les touffes d’herbe rase et les buissons feuillus. La lumière des lunes se reflétait sur son armure rouillée, mettant en valeur sa haute stature et sa maigreur cadavérique. Les deux flammes au fond de ses orbites étaient visibles derrière son heaume, et en cette lugubre soirée où une nuit claire avait suivi une journée brumeuse, elles semblaient luire de colère. Le seul autre bruit dans la clairière, venait du nain, assis un peu plus loin. Thrond réparait son lance-flamme avec force sonorités métalliques, tout en grommelant des imprécations en khazalid, les sourcils froncés. L’extrémité de son cigare, lueur rougeâtre dans la nuit, éclairait son visage d’une façon effrayante.

     « Laissez le capitaine faire ce qu’il souhaite, revenant » admonesta Max Flouz, immobile silhouette noire aux allures de fossoyeur d’un mètre quatre-vingt-deux qui, les bras croisés, tirait sa tête habituelle : celle des mauvais jours. « Il sait ce qu’il a à faire, et vous aussi. »

     Le revenant émit un sifflement mais ne répondit rien. Il avait toujours été ravi de voir que l’hypnose dans laquelle Fiodor le Non-mort tenait son équipage rendait ce dernier docile et obéissant, et ce jusqu’au second, mais là, ce soir, il aurait aimé un peu de contestation. Sa propre nature d’esclave de la volonté du vampire ne lui échappait pas non plus, mais il s’en moquait, même s’il savait que ce sentiment était artificiel. Mais il avait aussi été ressuscité pour servir de soldat, et en cet instant, son instinct de soldat tirait la sonnette d’alarme. Et ce n’étaient pas les trois membres d’équipages qu’ils avaient pu récupérer après la débandade face aux elfes qui allaient les aider si ces derniers les rattrapaient.

     Le sujet de cette discussion, lui, affectait de ne rien écouter aux babillages de ses subordonnés. Fiodor était occupé à examiner l’objet circulaire qui se trouvait devant lui, effleurant des doigts les fines gravures et les bas-reliefs enchâssés dans la pierre. L’objet en question devait bien faire deux mètres de diamètre pour un mètre de haut, et était orné d’un enchevêtrement de symboles anguleux qui lui évoquaient fortement l’esthétique de la civilisation reptilienne de ces contrées. Ces symboles, organisés en cercles concentriques, ne lui évoquaient rien, mais de toute façon cela ne l’intéressait pas. Ce qui l’intéressait, c’était que cette chose pulsait dans les vents de magie. Et ce d’une façon bizarre, mais très perceptible pour toute personne qui, comme lui, disposait d’une capacité à voir les flux de l’aethyr. Et cette pulsation était puissante. Profonde. Ainsi, si Fiodor se moquait de l’utilité première de l’artefact, il souhaitait ardemment s’en servir dans son nouveau but ultime :

     Se venger des elfes.

     Il comptait commencer violemment, mais sûrement. Il savait que le premier elfe qui passerait à sa portée subirait le pic de sa colère, mais ce ne serait que le début. S’il était illusoire de vouloir anéantir toute cette race, il pouvait au moins faire sa part du travail en anéantissant tous ceux qu’il trouverait. Et à commencer par ce voleur de bateaux, sans honneur ni dignité, qui avait eu l’audace de lui voler ses biens les plus précieux : ses instruments. Et de tuer son orchestre en prime. La colère lui fit serrer le poing.

     Oh oui, il comptait se venger.

     Les vents de magie affluèrent autour de lui dès qu’il les appela, tourbillon d’énergies chaotiques et sauvages, ardentes et glaciales, qui par leur simple existence avaient détruit des royaumes et créé des civilisations. Fiodor lui-même n’était pas un grand thaumaturge, mais il affectait d’avoir une maîtrise suffisante pour pouvoir créer quelques surprises à ses adversaires, du moins en temps normal. Là, cependant, c’était une autre paire de manche. Plus habitué au maniement des vents de la mort et de l’ombre, il dirigea Shyish et Ulgu vers la pulsation, se demandant s’il allait obtenir une réaction.

     Le résultat fut au-delà de ses espérances.

     Il sentit d’abord la magie être absorbée, et se mêler à celle qui, toujours, pulsait sans s’interrompre. Il avait l’impression d’avoir versé du colorant dans un fleuve pour voir si la couleur en changeait. Mais presque aussitôt, la structure lui répondit, et même physiquement. En un craquement sonore qui fit se tourner toutes les têtes présentes, les différents cercles concentriques qui constituaient les ornements du puits de pierre se mirent à tourner, dans des sens contraires les uns par rapport aux autres. Et Fiodor vit, par ses sens magiques, que son fleuve commençait à ouvrir un nouveau confluent. Petit à petit, la magie affluait vers la pierre, vers lui. Il n’avait plus qu’à attendre, et bientôt il aurait assez de puissance pour…

     Fiodor se retourna brusquement, l’œil brillant de colère. On osait l’interrompre à cet instant ?!

     « Vous pouvez vous montrer, vous savez » déclara-t-il doucereusement en direction de l’orée de la jungle. « Mais je vous prierais d’attendre votre tour. Je suis pressé. »

***

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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Lun 22 Mar 2021 - 20:24

     Ixi’ualpa sentit Luxia tressaillir à côté d’elle lorsque l’homme prit la parole, calmement.

     Dissimulées à la lisière de la clairière en un arc de cercle qui en couvrait presque la moitié, les amazones attendaient le moment pour frapper. Ixi’ualpa pouvait voir les kalims mâcher des feuilles de koka, ou mettre la main à la ceinture pour s’emparer d’une gourde aux mixtures ésotériques pour en descendre une ou deux gorgées. Ainsi se préparaient-elles au combat.

     « Tu as compris ce qu’il a dit ? » demanda la guerrière aigle.

     L’expression de sa compagne d’arme était indéchiffrable, entre incrédulité et … et peur ?

     « Je crois… je crois qu’il vient de nous adresser la parole. »

     C’est alors que du mouvement venant de l’autre côté de la clairière attira leur attention. Quelque chose s’approchait.  

*

     Le souffle d’Apsa se faisait de plus en plus audible. Le sang battait à ses tempes. Mais elle ne pouvait pas arrêter. Pas tant qu’elle n’aurait pas semé les démons naggarothii. Ses jambes devenaient de plus en plus lourdes. Ses bras commençaient à manquer de force en écartant les larges feuilles dans sa course. Son pied s’enfonça soudain dans une flaque de boue.

     « Isha, protège ta fille ! » gémit-elle. Par dessus les battements de son propre cœur, elle entendit les cris de ses poursuivants. Des cris, des menaces, des… plaisanteries? Apsa eut un haut-le-cœur : Comment pouvait-on rire de lui infliger cela? Un carreau d’arbalète passa à un cheveu de sa tête. Elle devait repartir. L’elfe tira son pied de la boue et reprit sa course.

     Un bruit différent la fit tressaillir : devant elle, sur la gauche, elle percevait des éclats de voix différents. Il y avait aussi des sons métalliques répétés… un campement? Des amis peut-être? Un espoir ? Apsa en doutait tant cette jungle semblait hostile, mais elle n’avait pas le choix. Elle sauta par-dessus une liane épaisse et jeta ses dernières forces dans une dernière course droit vers la source des bruits. Une voix la fit sursauter: elle n’avait pas compris tous les mots mais elle avait reconnu du Reikspiel. La langue des humains ! C’était bien des alliés ! Et ils n’étaient plus très loin!

     L’elfe traquée pressa encore l'allure. Ses yeux se couvraient d’un voile rouge et ses poumons étaient en feu, mais son salut était proche ! Un autre carreau la dépassa, mais elle n’y prêta pas attention : elle voyait la lumière d’une clairière à une centaine de mètres ! Elle y était presque…

     Elle perçut un mouvement furtif sur sa droite: une silhouette féminine accroupie s’éloignait et disparut entre les arbres. Interloquée par cette vision et emportée par son élan, Apsa ne vit pas la racine qui lui fit perdre son équilibre au moment d’entrer dans la clairière. Elle fit quelques pas en avant et tomba dans la poussière. Éblouie par les torches, l’elfe mit quelques instants à se relever et à se rendre compte que le bruit métallique avait cessé.

     Elle leva la tête, hébétée. Ses yeux croisèrent les ténèbres au fond d’un large tube cuivré.

     « Ekganded zharraz dum, ek dohak elgi. »

     Apsa vit quelque chose bouger au fond des ténèbres. Quelque chose de flamboyant qui grandissait, grandissait…

     Sarquindi, Phy’lis et leurs corsaires débouchèrent à leur tour dans la clairière. La première chose qu’ils virent fut le corps calciné de leur proie tomber sur le côté dans un bruit sec. Une grande trace sombre au sol l’entourait. À l'autre bout de la trace, les druchii virent un nain tenant à la main un étrange objet fumant (et qui s’exclamait d’un air satisfaisait “Ouaip, il remarche bien maintenant !”). Un peu plus loin, une poignée d’humains entourait un puits fait de blocs de pierre gravée. La structure était couverte de glyphes cabalistiques qui luisaient d’un bleu serein. Tous dégainèrent leurs armes à la vue des corsaires, et le nain s’exclama :

     « Les oreilles pointues sont pires que la chienlit ! On en tue un, vingt autres surgissent !

     - Trouble-fête! s’offusqua Phy’lis. N’as-tu donc aucun respect pour arrêter une traque si entrainante sans un parachèvement glorieusement sublime ! La minimitude de cette fin est un affront à la face de la proie que nous suivions, et de nous-autres, nobles chasseurs par la même occasion ! Comment un bras peut-il tolérer que sa tête ne lui indique une si rustre consigne ? Comment ne vous effondrez-vous pas sous la honte qui couvre votre chef ? Lequel chef est fort laid au demeurant.

     - Ne vous inquiétez pas, cher associé, sourit Sarquindi. Nous n'avions qu'une proie, nous en avons maintenant plusieurs ! La fête continue! »

     Le capitaine se jeta en avant. Sa lame vola droit vers la tête du nain. Mais au dernier moment, Thrond poussa un juron en appuya sur la gâchette. Le jet de flammes frappa Sarquindi de plein fouet (Thrond (souffle) : 8T, 1T annulée, 4B, 1Svg, -3PV!!!). Enveloppé de flammes, le druchii recula en titubant, tomba au milieu de ses troupes et se roula dans l'herbe pour éteindre le feu. A la vue de leur chef ainsi touché, les corsaires hésitèrent un instant. Fiodor, ses ‘hommes’ et le nain s’étaient regroupés autour du puits et se tenaient attentifs aux mouvements des corsaires. Thrond réarma son lance-flammes. Le vampire s’était mis en garde dos à la pierre.

     Sarquindi se releva finalement sur les coudes, le corps encore fumant.

     « J’exécuterai personnellement tous ceux qui n’auront pas plongé leur lame dans le corps de ce nain. TUEZ LES TOUS! »

     Phy’lis ne se fit pas prier et tira ses couteaux avant de se lancer au combat, suivit l'instant d’après par le reste de la troupe elfique. Les marins hypnotisés, accompagnés d’un Marcel prêt à donner de sa lame comme de ses invectives fleuries, se tinrent derrière le nain. La mêlée s’engagea.

     Fiodor, profitant du chaos ambiant, décida que le moment était bien choisi de reprendre l’exploitation du puits. Les anneaux de ce dernier continuaient en effet de tourner, et le pilier de lumière qu’il émettait éclairait la scène d’une lumière violette. Essayant à nouveau d’attirer à lui les vents de magie, le vampire se mit à psalmodier des mots qu’il avait eu peur d’avoir oubliés.

     C’est à ce moment que des formes hurlantes jaillirent des fourrés depuis l’autre côté de la clairière.

     Les kalims avait été rapidement échauffées par leurs drogues, autant que par la haine envers les actes profanateurs dont elles venaient d’être témoins, au point d’en être tendues comme les cordes d’un arc, prêtes à craquer. Et le début des combats venait de mettre le feu aux poudres.

     Rakt’cheel avait porté toute son attention, toute son ire, sur Fiodor. Il avait souillé le monument sacré par son toucher, par son rituel, et elle verserait son sang en compensation ! Elle voulait son cœur, et le lui arracherait !

     Fiodor n’eut pas la moindre seconde pour réagir. Tout à sa concentration, il ne put que s’apercevoir, au dernier moment, qu’une femme répugnante aux tatouages bigarrés s’apprêtait à l’estropier. Son corps ne put réagir à temps (Rakt’cheel : 5T 4B -4PV!), mais une force le tira brusquement en arrière, le projetant au sol et brisant sa concentration. Il entendit un bruit sourd, suivi d’un juron prononcé en un Reikspiel tonitruant auquel répondirent plusieurs hurlements féminins.

     « Capitaine, je ne sais pas à quoi vous pensiez, mais c’est complètement débile de rester immobile au milieu d’une bataille ! Vous voulez finir comme moi, en cadavre que tout le monde a oublié ? »

     Fiodor se releva promptement, crachant des jurons. Rakt’cheel, toujours en transe meurtrière, enchaîna les passes d’armes contre Marcel, bousculant le revenant. Tout autour d’eux, d’autres guerrières similaires se joignaient au combat et se mettaient à affronter elfes comme humains sans discriminer. Il devait bien se rendre à l’évidence : les pitreries magiques prendraient trop de temps. Il allait devoir combattre pour se sortir de cette très mauvaise passe.

     Rakt’cheel, enfiévrée par ses drogues de combat, déchaîna sa violence sur le revenant bretonnien avec brutalité. Ses dagues trouvèrent rapidement plusieurs failles dans la garde et l’armure rouillée de Marcel, qui ne put bloquer toutes ses attaques. Les lames se plantèrent à plusieurs reprises dans son corps (Rakt’cheel : (Test réussi) 5T 2B -2PV!), lui arrachant des grognements alors que plusieurs de ses articulations étaient atteintes. Cependant, la partie rationnelle du cerveau de la kalim la mit en garde instantanément.

     L'éclaireuse n'avait pas menti en l'avertissant de la présence de non-morts parmi les profanateurs.

     Ce furent ses réflexes de guerrières chevronnée qui la sauvèrent. L’épée de Marcel virevolta, et si elle put esquiver le coup mortel qu’il lui réservait, elle fut tout de même touchée à la cuisse. L’acier rouillé de la lame spectrale, entourée d’un halo verdâtre, lui arracha un cri, et elle sentit le sang, son propre sang, lui réchauffer la cheville (Marcel : 3T 1B -1PV).

     « Tu te défends bien pour une détraquée du bulbe » railla le revenant. « Mais ce n’est pas avec des moulinets que tu vas me b... »

Il n’eut pas l’occasion de terminer sa phrase. Ratch’keel, qui venait de comprendre sa nature de mort-vivant de sa cible, tout en sentant l’effet des drogues commencer à se dissiper, avait tenté le tout pour le tout. Avec la même vivacité que précédemment, elle avait projeté l’une de ses dagues dans le crâne de son adversaire, lame la première. Cette dernière se logea avec précision entre le heaume et le gorgerin, le faisant tituber, et Ratch’keel, sans hésiter, se jeta sur lui, le faisant basculer à terre.

     « Par le tonnerre de l’Anguille... » jura Marcel en se débattant alors qu’il réalisait que sa situation n’était pas très enviable. Ignorant ses vociférations, Ratch’keel plaça ses deux dagues autour de son encolure, et d’un mouvement cisaillant, elle sépara la tête de son corps. Marcel de Parravon sentit alors tout contrôle sur ses membres l’abandonner, et c’est dans un concert de jurons qu’il fut abandonné par l’amazone guerrière, qui fonça trouver une autre cible (Ratch’keel : (Test réussi) 3T 1B -1PV!).



     Ixi’ualpa avait elle aussi placé son dévolu sur Fiodor. Tout profanateur devait mourir, mais un mage était un ennemi suffisamment puissant pour qu’il faille s’en débarrasser au plus vite, surtout un mage capable de manipuler un monument des Anciens.

     Aussi avait-elle vu Rakt’cheel la prendre de vitesse et foncer toutes dagues dehors vers l’incantateur. Alors même qu’Ixi’ualpa allait chercher une autre cible, elle avait vu la masse imposante du chevalier en armure littéralement intercepter l’assaut de la dévote kalim.

     Les autres guerrières avaient déjà rejoint le gros de la mêlée, chargeant aveuglément vers le plus grand nombre d’ennemis. Ixi’ualpa soupira, resserra sa poigne sur sa lance et se résigna. À elle, donc de s’occuper de régler la menace du sorcier.

     Fiodor croisa son regard dans la mêlée, alors que sa dernière adversaire, une amazone trop sûre d’elle, était au sol, la gorge tranchée. Le vampire et la guerrière aigle se jaugèrent mutuellement, apprêtant l’un son épée, l’autre sa lance. Autour d’eux, l’affrontement semblait perdre son importance.

     Ce fut l’amazone qui initia les hostilités. Bondissant, lance pointée en avant, son assaut se voulait précis. Mortel. Mais Fiodor, aussi vif que le vent, déjoua ses assauts, et bien qu’Ixi’hualpa parvint à plusieurs reprises à tromper la garde de son adversaire, ce dernier s’arrangeait pour limiter la force du coup (Ixi’ualpa : 2T 0B). En retour, Fiodor eut du mal à attaquer, mais parvint tout de même, d’une fente, à la toucher au front, lui arrachant un petit cri de douleur alors que quelques plumes tombaient au sol, tranchées net (Fiodor : 2T, 1T annulée, 1B, -1PV!).

     Ixi’hualpa recula un instant, aussi surprise par la vivacité de ce mage que par sa seule présence ici. De son côté, Fiodor contenait à nouveau sa frustration pour éviter de foncer tête baissée contre une allonge supérieure. Pourquoi était-il condamné à affronter encore et encore des ennemis armés de lances et autres armes longues ? Pourquoi personne ne se servait d’une bonne vieille épée, pour changer ?

     La guerrière aigle ne s’accorda pas plus qu’une seconde de répit. Déjà, la lance fusait, encore plus précise qu’avant, et le vampire ne put cette fois éviter que sa chair ne soit touchée. Cependant, son endurance de mort-vivant lui évita la moindre blessure (Ixi’ualpa : 3T, 2B, 2 Invus), et il profita de la surprise de la guerrière aigle pour se lancer dans un enchaînement de coups d’une violence inhumaine. Mais il en fallait bien plus pour mettre Ixi’hualpa en difficulté. Ses réflexes et son agilité permirent à l’amazone d’esquiver la majorité des coups. Elle serra les dents cependant, quand l’un d’entre eux finit par la toucher à la jambe (Fiodor : 4T, 4B, 3 invus -1PV).

     Refusant de se laisser abattre, Ixi’hualpa décida de changer de tactique. Puisque ce non-mort aimait esquiver, elle allait lui montrer ce que c’était que l’esquive. Elle ouvrit sa garde, dans une posture faussement négligente, tout en se tenant prête. Pour Fiodor, c’était le signe. C’était le moment où son adversaire lâchait prise. Il fonça.
     Et le regretta.
     Son assaut n’eut aucun effet. Désormais habituée à ses mouvements, l’amazone parvint à éviter toutes ses attaques (Fiodor : 3T, 2B, 2 Invus). Pire, d’un ample mouvement des deux bras, elle projeta la hampe de son arme dans son visage, le faisant tituber avec un bruit sourd (Ixi’ualpa : 4T, 1B, -1PV). Il repartit à l’assaut avec une vigueur nouvelle, mais là encore, une fois au corps à corps, ses attaques furent soit bloquées soit esquivées (Fiodor : 2T, 2B, 2 Invus). Profitant d’une nouvelle ouverture, Ixi’hualpa le fit reculer, avant de le frapper au sternum par l’autre extrémité de sa lance (Ixi’ualpa : 4T, 2B, 1Invu, -1PV). Fiodor en tomba presque à la renverse.

     La rage l’envahit. Il perdait du temps. Il y avait des elfes autour, et il perdait du temps. Puisqu’il était incapable de surclasser cette femme en habileté, il l’aurait par la force.
     Ixi’hualpa vit alors Fiodor se relever, le visage déterminé, et pousser un hurlement. Apprêtant son arme pour un nouvel assaut, elle n’était cependant pas préparée à la violence qui s’ensuivit. Le vampire frappa de toutes ses forces, ignorant totalement que ses attaques soient bloquées. Ixi’hualpa finit par en perdre l’équilibre (Ixi’ualpa : 2T, 0B). Et ce fut le moment où le poing du vampire la percuta au creux des reins. La force de l’impact la fit littéralement décoller du sol, et elle se sentit être projetée avant de ressentir un nouveau choc, et de sentir le contact de la terre sur ses lèvres. Un cri répondit à ses interrogations. Elle avait percuté une guerrière kalim, qui n’en demandait pas tant (Fiodor : 1T, 1B, -1PV !).
     Il lui fallut quelques instants pour se relever, mais visiblement le profanateur en avait profité pour s’éloigner dans la mêlée.

*

     Phy’lis jubilait d’affronter enfin ces humaines de la jungle. Au fond de lui, il avait trouvé très désagréable de devoir quelque chose à ce peuple qui lui avait fourni des pirogues quelques jours plus tôt. Chaque coup de couteau qu’il lançait vers la chair des amazones était un remerciement tout droit venu du cœur. Un cœur glacé, bien entendu. Les adversaires étaient coriaces, bien plus vives et fortes que ce qu’il imaginait en se jetant dans le combat. Et les quelques humains alentour avaient été rapidement submergés par les belligérants des deux bords, l’empêchant de profiter de leurs faiblesses, ce qui était frustrant au possible. Mais au moins le comédien pouvait-il exprimer sa frustration passée en frappant sur quelque chose. Il prenait le plus malin plaisir à utiliser au maximum les restes de sa parure de plumes dans chacun de ses duels.

     Une guerrière sauta devant Phy’lis, les yeux fous et la peau peinte étrangement.  L’elfe se courba en avant en signe de salutation. L’amazone ne répondit pas à ce salut et se jeta sur lui dague en avant. Phy’lis s’attendait à une telle attaque. Il tourna sur lui-même, fouettant la guerrière d’un coup de plumes au passage. Profitant de cette diversion, il s’agenouilla pour planter une de ses lames à l’arrière de la jambe de la kalim et la pousser au sol. Le comédien se releva, satisfait. N’étant pas immédiatement pris à parti à nouveau, il prit le temps d’observer en détail la structure au centre de la clairière. Les lumières étranges des glyphes qui couraient sur la pierre le fascinait. Elles tournaient, brillaient, menaçaient et appelaient tout à la fois. Py’lis s’exclama :

     « Si j’avais voulu une statue à ma gloire, rien de moins que cette pierre n’en serait le piédestal ! Mais que dis-je ! Bien entendu que je veux une telle statue ! »

     L’elfe assomma l’amazone d’un coup de genou au visage. Puis, il l’attrapa par les cheveux et la traîna jusqu’à la pierre. Ayant vérifié que personne ne se ruait sur lui, il hissa sa victime sur le puits. Il y grimpa lui-même et relustra les quelques plumes qu’il avait ébouriffées pendant l’affrontement. Puis, il se mit debout, portant par devant lui le corps de l’amazone. L’arme de l’elfe était visible de tous, bien en évidence sous la gorge de son otage. Le comédien se mit alors à déclamer :

« Ouvre grand les oreilles, foule de combattants
Car pour toi se produit l’artiste Phy’lis le Grand !
On raconte des merveilles sur lui à Karond Kar
C’est une chance inouïe qu’il s’offre à vos regards !

Ce public n’est certes pas de la première noblesse
Mais il a pour tuer une certaine adresse
Et se tournant vers moi, il est admiratif
De cette langue acérée, de ces vers incisifs

Celui qui devant vous déclame ce péan
Autrefois dans les rues chantait pour les passants
Se moquait des jaloux, divulguait des secrets
Révélait les cocus… Tous craignaient ce qu’il sait !

Le peuple de Karond Kar lui doit bien des fous-rires
Et pour remerciements il a failli mourir
Au lieu de cette gloire que mérite cet artiste
Il eut pour seul paiement un exil des plus tristes

Mais voilà qu’aujourd’hui il reçoit une estrade
Et retrouve une audience pour clamer ses bravades
Par tous les dieux druchii, c’est un retour en grâce !
Un succès sans nuance ! Phy’lis est là, faites place ! »

     Le comédien prit la pose quelques instants. Puis, voyant que les autres combattants semblaient lui laisser le champ libre, il laissa tomber son otage pour avoir plus de liberté de mouvement. Il s'éclaircit la gorge et enchaîna avec d’autres vers dans toutes les langues qu’il connaissait.


***

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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Lun 22 Mar 2021 - 21:15

     Un elfe se jeta sur elle. Rakt'cheel entendit son cri de guerre distordu, déformé, plongé au milieu de la mélasse sifflante du vacarme du combat tel qu’il lui parvenait à travers le voile autant auditif que visuel qui avait été jeté sur son esprit par les drogues rituelles. Même, le son lui parut un peu trop net, trop clair, ce qui confirmait le sentiment qu’elle avait eu en affrontant le mort-vivant. Elle n’avait eu que trop peu de temps avant de se lancer à l’assaut pour consommer assez de koka. Plus, il lui en fallait plus.

     Troublée, elle ne sentit pas vraiment la lame de l’elfe, qu’elle vit parcourir son flanc alors qu’elle échouait à l’esquiver correctement. Cela ne lui empêcha pas de lui porter un coup de ses dagues. Puis un deuxième, qui cette fois ne glissa pas sur son armure noire, et s’enfonça dans les chairs avec un bruit mou. L’elfe se courba en deux, ses poumons privés d’air par le coup. Elle le laissa choir à terre sans même reprendre sa dague.

     Répit. Enfin.

     Frénétiquement, elle mit sa main à présent libre à sa ceinture, fit jaillir un bout de chique de koka, faisant tomber au sol quelques feuilles séchées au passage. La vision du bout noirci était presque suffisante pour la rendre folle, et elle se mordit presque les doigts en se le fourrant entre ses dents.

     Tous ses muscles se détendirent alors que le goût si doux, si divin, pour elle tant figurativement que littéralement, se répandait dans sa bouche. Tout son corps se tendit à nouveau comme un arc. La koka n’avait pas un effet immédiat, mais rien que la sentir lui redonnait de l’énergie, elle se sentait comme plongée à nouveau dans la transe par anticipation. Elle avait de nouveau envie de crier, de hurler, de rire et de pleurer à la fois. Et elle avait envie de tuer. Il lui tardait de sentir le sang couler à nouveau sur sa peau, sur ses tatouages. Le sien, celui des autres, peu lui importait.

     Dans le jeu de couleurs saturées qui reprenait place devant son regard. La gerbe de flamme qui s’élança vers le ciel ne put qu’attirer son attention. Elle se souvint qu’il était là. Lui qui avait creusé dans sa peau les traces de leur ardent dernier affrontement. Oh oui. Oui, elle brûlait de prendre sa revanche sur ce petit être pourtant trapu.

     Il ne serait pas difficile de l’atteindre : le tir de son arme étrange avait justement fait reculer tous ses opposants. Sans réfléchir une second de plus, elle fonça.

     Le nain la vit. Dressa son arme vers elle.

     « Oh non, non pas cette fois. » murmura-t-elle pour elle-même avec un sourire dément. La gerbe de flamme jaillit… et se révéla décevante, faiblarde. Le peu qui lui fut envoyé, elle l’esquiva avec une agilité féline déconcertante. (Thrond (souffle) : 4T 1B 1Svg)

     Thrond jura. Il fallait croire qu’il n’avait pas suffisamment bien réparé son lance-flammes. Maudit soient les elfes et surtout ce foutu prince ! Que Grungni lui tanne le cul avec son marteau ! Il n’eut pas le temps de jurer plus longtemps car la sauvageonne – il n’avait pas d’autres mots – lui tomba dessus. Heureusement, son marteau se dressa entre eux d’eux, juste à temps, repoussant l’assaut pourtant frénétique de la guerrière. (Rakt'cheel : 4T, 1T annulée, 1B, 1Svg ; Thrond : 1T 1B -1PV!)

     Il en fallait plus pour désarçonner Rakt'cheel. Se recevant sur ses pieds, elle partit brusquement sur le côté, les dagues pointant droit vers l’aisselle de Thrond. Il fallut un coup de poing instinctif du nain pour l'empêcher d’y planter ses deux lames, une seule goûtant le sang. (Rakt'cheel : 5T, 3B, -1PV ; Thrond : 1T, 1B, -1PV) Il tenta ensuite de la faire reculer en usant de grands moulinets de son marteau, mais à chaque fois, l’amazone esquivait ses coups. Au moins, cela la maintenait occupée. (Rakt'cheel : 3T, 0B ; Thrond : 0T ; Rakt'cheel : 3T, 0B)

     Heureusement pour lui, Thrond connaissait aussi quelques tours moins recommandables que des passes d’armes. Ses compatriotes sur le continent cracheraient dans son dos en voyant cela, mais lui ne s’attardait que sur le fait que cela pouvait lui sauver la vie. D’ailleurs, cela avait déjà été plusieurs fois le cas.

     D’un pied, il envoya du sable au visage de son adversaire. La voyant reculer en fermant les yeux, il lâchant d’une main son marteau pour se jeter en avant et empoigner la cuisse nue de l’amazone, juste au dessus du genou. La kalim comprit ce qui allait lui arriver, mais trop tard : grognant sous l’effort, le nain la fit basculer à terre et, avant qu’elle ne puisse reprendre ses esprits, elle sentit sa main s’abattre à nouveau impitoyablement, cette fois derrière sa nuque.

     Leurs têtes se rencontrèrent violemment : Thrond s’était servi de sa poigne pour projeter le visage de la kalim contre son front. Rakt'cheel sentit son nez craquer sous l’impact avant qu’un kaléidoscope de couleurs ne vienne couvrir son regard. Elle chuta au sol, le visage ensanglanté, sans conscience. (Thrond : 1T, 1B, -1PV !)


     La première chose que fit Thrond fut de ramasser son marteau. La seconde fut de ramasser son lance-flammes. Pour la troisième, il remarqua qu’il avait le champ dégagé jusqu’à la stèle dont s’était occupée Fiodor. Stèle où était juché un elfe bien reconnaissable, celui qui l’avait insulté à leur arrivée. Enfin, en soit, le fait qu’il déclame ses insupportables vers était déjà passable de peine de mort aux yeux du nain, l’insulte initiale ne changeait plus grand chose. Hmmm, mis à part peut-être le plaisir qu’il tirerait à mettre un terme aux dites élucubrations. Terme définitif si possible, bien évidemment.

     Phy’lis était emporté dans son élan poétique qui penchait de temps à autre vers la diatribe, et il ne vit que trop tard le nain s’approcher de sa position surélevée, son arme cracheuse de feu pointée vers lui. Avant qu’il ne puisse ne serait que se retourner pour sauter à couvert, le doigt du nain se resserrait sur la gâchette.

     Clic.

     Rien ne se passa. L’elfe noir cligna des yeux plusieurs fois. Tout autour, la bataille faisait rage sans porter attention à l’un ou l’autre des deux guerriers interloqués.

     « Boga ! » s’exclama Thrond. Cette saloperie n’était finalement pas encore réparée. Il secoua son arme, sans grand effet, avant de jurer de plus belle. Foutre zut ! (Mais en Khazalid s’il-vous-plaît.) Que le maudit haut-elfe soit maudit mille fois de plus. Que le marteau de Smednir lui fasse ravaler sa virilité d’un coup stratégiquement bien placé ! (Endroit aussi précieux que fragile, que l’on appelle communément, dans le milieu, “Dongliz”.)

     Phy’lis, qui avait fini par comprendre tout le sel de la situation, se pencha sur la pierre pour observer non sans un grand sourire narquois le nain qui se débattait avec son arme comme s’il l’avait oublié. Il était temps pour le tragédien d’essayer de dérouiller et dérouler sa maîtrise du Reikspiel.

     « Eh quoi, maître nain ! commença-t-il sans la moindre trace d’accent. Vous voilà démuni de votre petit jouet. J’espère que vous n’allez pas vous défiler tout de même, il serait dommage d’en rester là entre nous. Ou bien, serait-ce que, en raison de votre petite taille, vous n’osiez pas tenter de me disputer ma place en haut de cette vénérable stèle. Vous devriez essayer pourtant, la vue y est fort belle, et je ne doute pas qu’elle le serait encore plus pour vous, qui ne devez pas avoir l’habitude d’en avoir une telle !
     « Vous ne répondez pas ? Allons, je suis déçu. Ou est donc passée la combativité verbale des nains ? Partie avec votre envie de m’affronter je suppose, quelque part dans le lointain à la vaine recherche de votre honneur ? Mais je puis comprendre. Après tout, s’il m’a été aisé de grimper jusqu’ici, je me doute que ce grandiose monument vous pose plus de difficultés, tout aussi grand que vous qu’il est.
     « Quoiqu’il en soit, je suis déçu, moi qui eus, l’espace d’un instant, cru qu’enfin je pourrai rencontrer un vrai nain, dont on vante tant l’ardeur et la pugnacité, et non les quelques esclaves enchaînés, tous abattus et mutiques que l’on nous ramène depuis les arches noires… Je dois dire que vous ne faites pas meilleure figure. Finalement, vous faites bien de ne pas tenter de me rejoindre : il vous sied bien mieux de rester là où vous êtes, c’est à dire petite tâche crasseuse tout en bas de mon champ de vision. Quoique, peut-être que me combattre me donnerait l’occasion de lancer d’autres de vos congénères à mes trousses, qui offriraient un meilleur spectacle, si je vous occ…
     — Ah ! »

     L’interjection du nain, accompagnée du claquement métallique de l’arme qu’il venait … de partiellement remonter ? … le coupa dans sa tirade. Le paltoquet ! Il en était presque au bout et il avait l’outrecuidance de l’interrompre. Alors même qu’il allait justement vocaliser ses plaintes, Thrond le prit une fois encore de court en frappant d’un coup sec un le culot du fusil, juste au-dessus de la jonction du tube qui reliait l’arme à son imposant sac à dos.

     Le bruit crépitant qui s’en suivit ne rassura pas l’elfe, et encore moins la gueule de l’arme se mettant à fumer abondamment. Gueule qui, à nouveau, pointait vers lui. Diantre ! Sa position surélevée était tout d’un coup beaucoup moins enviable… Si on ne pouvait plus compter sur les malfonctions des armes naines, où allait le monde ? Et il se jeta de la pierre avec autant d’élan qu’il put se donner afin de s’écarter au plus loin du nain.

     Un peu trop tard. La langue de flamme le cueillit en plein vol dans son dos. (Thrond : test réussi ! Souffle : 11T, 6B, 1Svg, 1Invu, -4PV !!)

     Son accoutrement emplumé s’embrasa, et devint littéralement flamboyant. Il retomba au sol, s’y roulant vigoureusement. Cela n’eut pas l’effet escompté. Le feu de ne donnait pas l’air de vouloir s’arrêter… et l’un de ses fumigènes venait de s’activer. Eh ! Voilà qui n’était point si mal finalement…

     Effectivement, la forme prostrée de l’elfe disparut rapidement dans un petit nuage de fumée, entourant d’un halo brumeux les flammes orangées qui le recouvraient. Thrond s’approcha, un air satisfait sur le visage. (Sourire, donc qui donnait plus un aspect de rictus grimaçant qu’autre chose.)

     « Bon débarras. Jamais aimé le théâtre. »

     Il ne resta pas là à contempler la scène, et préféra se relancer dans la mêlée. Dommage pour lui car, se dissipant, la brume révéla non pas le cadavre calciné auquel il se serait attendu, mais un tas d’herbe encore brûlantes surmonté d’une coiffe de plume que dévoraient les flammes. Phy’lis, plus loin, hors de sa vue, ne s’en plaignit pas.


     Le combat faisait justement rage. Corsaires elfes noirs, armés de pieds en cap et rompus aux affrontements d’un côté, amazones vouées au meurtre et au massacre de l’autre. Les cris fusaient, surtout du côté de ces dernières, car leurs drogues les rendaient particulièrement sujettes à la rage, et leur soif de sang ne trouvait son égal que dans les mœurs sadiques de leurs adversaires du jour. Enfin, de la nuit. Au milieu de tout ça, le puits de pierre, oublié de tous et abandonné par son verbial cavalier, continuait sa lente activation, projetant à nouveau sans obstacle son pilier de lumière aux teintes violettes vers le ciel. Mais, si la rotation de ses rouages émettait le moindre bruit, ce dernier était couvert par la cohue ambiante, faite du bruit des lames, des corps, et surtout des cris.

     Au milieu de tout ça, Fiodor, le capitaine sans bateau et désormais sans équipage, maniait son épée avec une colère toute maîtrisée. Lui qui voulait soulager le monde du plus d’elfes possible il n’y avait pas dix minutes, voilà qu’ils étaient tout un groupe, tout un équipage, à être venu d’eux même. Que pouvait-on rêver de mieux, à part le petit déjeuner au lit ? Comme ça faisait longtemps qu’il ne prenait plus l’un et ne dormait plus dans l’autre, la réponse était claire : rien.

     C’est ainsi qu’il tuait des elfes, pour son plus grand plaisir. Ici un corsaire présomptueux avait cru le prendre par derrière, et avait fini empalé. Là, un autre s’était cru intelligent en le prévenant qu’il allait le « mettre dans une cage s’il était gentil ». Gentil. Fiodor n’avait pas le souvenir d’avoir un jour pu se considérer comme ‘gentil’. Aimable, certes, et parfois généreux. Mais gentil ? Pas moyen de savoir. L’elfe ne put donc mettre sa menace à exécution, et sa tête roula bien vite sur l’herbe haute. Dans tout ce chaos, le vampire avait conscience que ses derniers membres d’équipage avaient perdu la vie, à l’exception de Thrond, dont les insultes, et surtout les flammes, ayant depuis peu repris de plus belle, le rendaient inratable. Et il avait vu monsieur Flouz rester en périphérie de la clairière. Un léger sourire se dessina sur son visage autrement si sérieux. Flouz ne perdait jamais son sang-froid. Et rarement son sang tout-court d’ailleurs. Et en parlant de sang, la présente quantité de ce nectar divin, répandu par litres entiers sur le sol, les armes, et les cadavres, avait de quoi l’enivrer. Il se sentait prêt à tout.

     Son sérieux revint lorsqu’il croisa le regard – et la lame – de l’elfe le plus proche.

     « Toi, le taré, si tu ne finis pas dans un sac au fond de ma cale, c’est que tu seras trop abîmé pour y rentrer. On ne massacre pas mes hommes comme ça. »

     Sarquindi avait un timbre en acier trempé, et défia du regard le vampire qui se tenait au milieu d’une demi-douzaine de corps d’elfes. S’il ne voyait lui-même pas d’inconvénient majeur au fait de subir des pertes lors d’une attaque, c’était tout autrement quand les dés étaient pipés. Et de toute évidence cette…créature, au regard de glace et dont les blessures, nombreuses, auraient déjà dû venir à bout, n’était pas un homme. Le capitaine corsaire n’en doutait pas, pas après avoir affronté deux autres de ces sangsues à forme humaine dans les alentours.

     Ce vampire allait subir le même sort. Et même pire.

     « C’est toi celui qui mène cet équipage de demoiselles ? »

     La voix trainante de Fiodor savourait l’insulte, et les coins de sa bouche se muèrent en un rictus malfaisant quand il réalisa qu’il avait certainement en face de lui une ‘proprette en chef’. Sarquindi se contenta de sourire en retour, habitué à pire joute verbale.

     « Avec toi parmi mes rameurs, cela sera un peu plus vrai qu’avant. »

     La discussion se termina aussi vite qu’elle avait commencé. Les deux capitaines se lancèrent l’un sur l’autre en un duel sans concession, où seule la haine primait sur la violence. Les mots étaient vains, voire contre-productifs. Chacun réalisa que l’autre saurait utiliser la moindre distraction pour porter un coup mortel. L’acier frappa l’acier, le cuir, et la chair, alors qu’un cercle se dégageait autour des deux belligérants tandis que corsaires et amazones s’écartaient, par réflexe, de ces bouchers sans merci.
     La lame de Sarquindi était une arme létale, maniée par un escrimeur qui l’était tout autant. Elle perça cruellement la tenue et la chair du vampire en de nombreux endroits alors que Fiodor échouait à bloquer chaque attaque. Le déluge de coups que portait l’elfe noir était simplement trop intense. Mais malgré cela, si sa propre technique était plus brutale, il l’emportait par la force. À chacune de ses attaques, il sentait son adversaire plier.
     Pourtant, ce fut Sarquindi qui, le premier, perça totalement sa garde. En un puissant revers, l’elfe noir perfora le vampire de part en part au niveau de l’estomac. Un sourire sardonique apparut sur son alors que du sang noir suinta de la blessure (Sarquindi : 5T 4B 1Invu -3PV !!).

     Le sourire s’effaça.

     Fiodor venait de lâcher son épée pour le saisir à la tête.

     Le choc de la morsure de Fiodor sur la nuque de Sarquindi coupa le souffle de ce dernier, l’empêchant de crier ou même de soupirer. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise puis de douleur au fur et à mesure que son sang s’écoulait dans la gorge du vampire.
     Cela ne dura pourtant qu’un instant. Un éternel instant où leurs deux silhouettes enlacées se tinrent immobiles dans une bataille sans issue visible.
     Puis Sarquindi serra les dents, et lutta de toutes ses forces, parvenant enfin à repousser du pied un Fiodor rendu extatique par le sang d’elfe, si fort et si enivrant, lui arrachant du même mouvement son épée du torse. Le vampire souriait de toutes ses dents (Fiodor : 5T, 1T annulée, 4B, -4PV !!!).

     « Pas mal mais c’est fini. Je vais te… »

     Fiodor ne termina jamais la liste des supplices qu’il voulait infliger à Sarquindi. Premièrement car l’elfe noir ne resta pas pour l’écouter, préférant reculer derrière les siens, la main libre pressée sur son cou. Et deuxièmement, car un brusque changement des vents de magie attira toute son attention.

     Il avait complètement oublié le puits.

     Faisant volte-face, le pirate vampire s’élança vers la structure de pierre. Désormais elle agissait comme un véritable phare dans l’aethyr, ou plutôt comme une source, exsudant des réserves semblant inépuisables des vents de l’ombre et de la mort. Personne d’autre ne paraissait l’avoir remarqué. Mais après tout, il était certainement le seul ici à posséder le moindre talent magique. Bien. Tant pis pour eux.
     Les combats continuaient autour de lui, mais les deux folles furieuses de tout à l’heure semblaient ne pas l’avoir retrouvé. Parfait, il allait pouvoir commencer.

     Fiodor se posta près du puits, grimaçant de douleur à chaque geste du fait de la blessure que Sarquindi venait de lui infliger. « Encore. Je me suis encore fait empaler par un elfe » s’admonesta-t-il en réalisant que cela faisait la troisième fois. Il se jura que ça ne se reproduirait pas de sitôt.
     Mais peu importait à présent. La douleur quitta son esprit alors qu’il tendit la main gauche, libre et griffue, vers le haut, paume ouverte, et qu’il se concentra sur ce qu’il était venu faire depuis le début.

     Une invocation.

     Les mots qui quittèrent sa bouche n’étaient pas de ce monde. C’était ce que Mundvard lui avait appris. « La magie vient aussi des mots, mais dans sa propre langue ». La langue du chaos, la langue de la ruine. Fiodor le sentait en les prononçant. C’était comme si son corps luttait contre cette grammaire, comme s’il se rebellait contre sa propre nature. Et pour contrebalancer cela, pour se donner la force, il y avait Shyish, le vent de la mort, dont Fiodor se drapa, qu’il absorba comme il l’avait fait tout à l’heure avec le sang de l’elfe, mais d’une manière plus naturelle, et plus brute. Il savait qu’il pourrait rester là des semaines entières, à se nourrir des vents de magie. Mais il savait ce qui arrivait à ceux qui le faisaient, et cela ne l’attirait guère. Et puis, le sang, c’était bon, et terriblement plus amusant à récupérer.
     Les autres vents se joignirent à celui de la mort tandis qu’il les appelait. La dhar, la magie noire, nécessitait plusieurs vents, car pour une obscure raison, le vent de la mort seul était insuffisant pour la nécromancie. Il fallait un mélange subtil et désordonné de chacun des huit vents. Un véritable numéro d’équilibriste, dans lequel il n’était pas particulièrement doué. D’où sa concentration.

     La nature réagit à cet événement qui lui était à ce point contraire. Les feuilles fanèrent, l’herbe noircit, et les roches se soulevèrent. Plusieurs craquements se firent entendre, et bientôt elfes comme amazones se demandèrent ce qu’il se passait. Puis certains posèrent leur regard sur la silhouette figée de Fiodor qui, le bras toujours levé, continuait son incantation dissonante.

     Une amazone sentit soudain un bras se refermer sur sa cheville, et baissa les yeux, s’attendant à voir un blessé s’y agripper.
     C’était un cadavre. Qui bougeait.

     Plusieurs cris retentirent, d’un timbre nouveau. Ce n’étaient pas des cris de douleurs. C’étaient des hurlements d’horreur. Elfes et amazones eurent en effet la désagréable surprise de constater que leurs morts se levaient à nouveau, faisant fi des membres arrachés, du sang perdu ou de la perte d’organes. Tous se relevaient, mécaniquement, sans un cri ni une parole, pantins d’os et de chair dont les fils étaient impalpables.

     Thrond regarda avec un dégoût profond l’amazone se relever à côté de lui, la mâchoire pendant sur son torse nu et ensanglanté, uniquement retenue par un mince lambeau de chair qui lui tirait toute la partie gauche du visage. Un seul regard suffit à confirmer ce qu’il pensait, ou plutôt ce qu’il craignait : Fiodor était bien là à incanter face au monument trapu. Ou plutôt, il avait tout juste fini d’incanter.

     L’espace d’un instant, il se demanda si l’amazone revenante allait l’attaquer. Mais non, elle passa à côté de lui en l’ignorant. Fiodor avait visiblement bien réussi son coup. Cela n’empêcha pas le nain d’écraser le crâne du zombie avec son marteau. Une telle abomination pouvait ne pas être contre lui, mais jamais Thrond se serait avec une d’entre elles.

     Le combat prenait une autre tournure… mais la surprise serait de courte durée : il n’était qu’une question de temps avant que les autres belligérants se rendent compte du point auquel les zombies pouvaient être patauds. Fiodor comptait ne plus être dans la clairière que cela serait le cas. Poussant un soupir (d'outre tombe) de soulagement, Marcel de Parravon se releva à côté de lui, et posa sa tête sur son cou, dans un claquement qui dépassait le simple son des os se remettant en place : l’enchantement qui le maintenait en “vie” était de nouveau complet.

     Thrond croisa le regard de Fiodor. Le vampire s’éloignait déjà du puits, s’engageant dans les fourrés. Quelques zombies, dont ceux de feu son ancien équipage, l’imitaient. Le geste que Fiodor adressa au nain était clair : il fallait déguerpir.

     Pour une retraite, elle fut piètre : déjà, un cri retentissait. Une amazone venait de les remarquer, et pointait son arme vers eux.

     Thrond regarda son arme à feu, qu’il venait si soigneusement de démonter, réparer, remonter, et démonter puis remonter une deuxième fois, le tout en une soirée. Il soupira.

     « Puisqu’il le faut... »

     D’un geste brusque, il fit sauter un clapet de son arme. Le tube s’en détacha. Il en fit sauter un deuxième, dans son dos, arrachant la plaque de métal bordée de tissus compressés qu’il avait disposés pour recouvrir le trou béant qu’avait déchiré la lance du prince haut-elfe. Thrond soupira derechef : il appréhendait la seconde réparation, sachant qu’elle serait bien plus ardue que la première...

     Dans un chuintement sifflant que tout entendirent, la clairière s’emplit soudainement d’un brouillard nauséabond. Mais ce n’était pas que des langues de fumées, c’étaient là des brumes de vapeur brûlantes, suffocantes, chargées de fines pellicules de minerais divers. Une purée de pois qui brûlait la peau et la gorge, piquait les yeux et enflammait impitoyablement la bouche. Pour ceux qui résistèrent aux pleurs, l’épaisseur du brouillard acheva de brouiller leur vue. Dans cette grisaille, quelques ombres noires filèrent entre les troncs moussus : ce qui restait de l’équipage du Corbeau Centenaire se retirait, emportant quelques membres des deux autres avec lui, sanguinolents et titubants, sous l’emprise mortuaire du capitaine vampire.

     Pour ceux qui restèrent, amazones comme elfes, la brume artificielle ne fit qu’empirer : croyant tout d’abord en un geste des membres de son équipage, Phy’lis avait lui-même lancé ses propres fumigènes.


     Depuis sa blessure, Sarquindi se sentait… étrange. Sa tête lui tournait, ses forces lui revenaient lentement, mais quelque chose restait, comme une marque au fer sur son cou. Il avait entraperçu pendant l’assaut de son adversaire une faim le subjuguer. Une faim intense, une faim inconnue. Des visions de sang, de festins, de mort lui étaient passées devant les yeux quand les dents avaient poignardé sa chair. Il n’en restait plus rien. Seulement un sentiment de manque profondément inscrit dans son esprit.
     Une brûlure dans la gorge lui fit retrouver ses esprits. Il était entouré d’une fumée épaisse et noire. Les corps rampaient autour de lui en direction de la jungle. Les elfes et les amazones toussaient et essayaient de quitter la nuée sombre qui emplissait peu à peu la clairière. Le druchii vit au loin quelques-uns de ses marins survivants disparaitre entre les arbres.

     « Revenez-vous battre espèces de… »

     Il ne put pas terminer sa phrase, coupé par la fumée charbonneuse qui était entrée dans ses poumons. Par tous les dieux du Cytharai, il allait y passer s’il ne quittait pas cet endroit lui aussi ! Sarquindi ravala sa fierté. Il coupa sa respiration et s’élança vers la jungle. Le corsaire passa sous la frondaison et se permit une inspiration. L’air était lourd et chaud, mais il lui fit l’impression d’une gorgée d’eau fraîche. Il s’appuya un instant à un tronc pour reprendre totalement son souffle. Une lance se ficha juste à côté de sa main. Par reflexe, l’elfe se mit à couvert derrière l’arbre.

     Une guerrière de la jungle arriva en courant. Elle décrocha la lance et se mit en garde dans le peu d’espace que laissaient les sous-bois. Sarquindi se mit à découvert, l’épée pointée sur l’arrivante. L’accoutrement de celle-ci, bien différent de celui des autres guerrières qu’il avait combattu, lui rappela par ses plumes les parures de son nouveau second.

     Ixi’ualpa hésita quelques instants. Elle s’était lancée à la poursuite des quelques kalims trop téméraires qui avaient couru sur les talons des elfes en retraite, mais elle n’avait pas pensé que, se perdant elle-même dans la brume, elle tomberait d’abord sur lesdits elfes. Tant pis pour celui-ci.

     Le sabre de Sarquindi vola subitement vers la guerrière aigle. En réponse, celle-ci étendit soudain le bras et projeta sa lance vers le torse du corsaire. L’elfe sentit la pointe de l’arme se planter sous sa clavicule (Ixi’ualpa : 3T, 1 annulée, 2B, -2PV). Son arme, déviée par le choc, passa bien au-dessus de l’amazone qui esquiva avec facilité l’acier (Sarquindi : 3T, 1T annulée, 2B, 2 invus). Le corsaire recula de quelques pas, l’amazone sauta en arrière et réarma sa lance.

     Sarquindi sentit alors quelque chose de chaud sur son ventre. L’elfe passa les doigts sous sa tunique et les monta devant ses yeux. Ils étaient couverts de sang, et devenaient de plus en plus flous. Le sol disparaissait sous ses pieds.

     « J’avais oublié cette blessure-là tiens… » murmura-t-il avant de perdre connaissance (Sarquindi perd 1PV).

     Ixi’ualpa vit son adversaire s’effondrer de lui-même sur le sol. Incrédule, elle avança prudemment vers le corps du capitaine corsaire. Ces elfes étaient fourbes, cela pouvait être une ruse. Une volée de carreaux d’arbalète jaillit d’entre les arbres et fit reculer la guerrière. Plusieurs corsaires apparurent, l’arme à la main et entourèrent Sarquindi.

     « Il respire encore ! Vous deux, portez le capitaine au navire » ordonna l’un d’entre eux.

     L’amazone recula devant la menace des arbalètes. Deux corsaires mirent leur chef sur les épaules et le reste de la troupe s’en alla aussi vite qu’elle était apparue. Ixi'ualpa ne tenta pas la poursuite. Elle avait d’autres chats à fouetter, et d’autres elfes pouvaient surgir n’importe quand. Après un dernier regard aux pirates, elle fit demi-tour et retourna à la clairière, espérant que la plupart des kalims y reviendraient. Avec un peu de chance, la fumée nauséabonde à la place des effluves de koka dans les poumons, elles seraient revenues à la raison.


     À sa grande surprise, la plupart des kalims étaient restée à la lisière de la clairière. Silencieusement, elles s’occupaient de leurs blessées, rassemblaient les cadavres qui n’étaient pas partis, en attendant que le nuage nauséabond se dissipe.

     Le tout surprit Ixi’ualpa. C’était comme si elle découvrait les kalims à nouveau. Elle qui ne les avait rarement vues en dehors d’expédition guerrières ne les connaissait presque exclusivement en tant que guerrières folles-furieuses et droguées, et toute cette expédition n’avait pas aidé à changer cette image… jusqu’à maintenant. C’était comme si elle avait oublié, depuis tout ce temps, que les kalims étaient les servantes des prêtresses et des dieux. Il n’y avait plus trace de déraison, de folie sanguinaire dans leurs yeux, et leurs cris, leurs respirations rauques, avaient été remplacées par un silence solennel.

     Ixi’ualpa s’approcha de Luxia, qui bandait méticuleusement son bras gauche. L’expression espiègle de la guerrière blonde avait disparu, comme pour toutes les autres kalims. Son visage était fermé, presque sombre, lorsqu’elle le tournait vers la guerrière aigle. Cette dernière n’eut pas besoin de mots : toutes ses questions se lisaient sur son visage.

     « La clairière a été souillée par la présence des étrangers, par le sang des nons-méritants… et c’est sans compter que le pilier a été profané… » D’un air sombre, elle pointa la dévote kalim qui méditait en tailleur, le visage empreint de concentration. « Rakt’cheel va devoir mener un rituel de purification.
     — Dois-je … ?
     — Je pense que tu peux rester. Mais reste à l’écart, et sois discrète. »


     De longs moments passèrent avant que les dernières langues de brume nauséabonde quittent enfin la clairière, pendant lesquels les kalims emportèrent les blessées et ainsi que les corps des défuntes au camp, ne laissant qu’une poignées d’entre elles en train de méditer patiemment. Ces dernières se levèrent, et, patiemment, nettoyèrent la clairière sacrée des quelques cadavres des elfes qui y restaient encore.

     Depuis la lisière, sa lance posée sur ses genoux, Ixi’ualpa observa les kalims rassembler quelques herbes de leurs différentes besaces, qu’elles posèrent sur la stèle avant de les faire y brûler. Curieusement, de là où elle était, la guerrière aigle ne reconnut pas la senteur particulière de la koka. Il devait s’agir là d’autres herbes, aux propriétés rituelles et aux effets qu’elle ne connaissait pas.

     Entourant la pierre sacrée, formant un cercle d’une demi-douzaine de kalims, elles laissèrent Rakt’cheel, au visage toujours ensanglanté de ses combats précédents, s’avancer jusqu’au monument, où elle prit une grande inspiration, respirant solennellement les fumées odorantes.

     Un chant s’éleva parmi les kalims. Murmuré tout bas par quatre d’entre elles, il était guidé par les deux voix de celles qui encadraient Rakt’cheel, l’une rauque et grave, l’autre claire et perçante, pleine de vie. Guidée par le rythme, la dévote mit la main à sa chevelure et en tira l’une de ses deux épingles. Alors que le chant s’accélérait, elle en approcha la longue et fine pointe de sa bouche grande ouverte, puis tira sa langue de sa main gauche. Le chant se suspendit en une longue double note tenue par les kalims, qui dura tout le temps que, lentement, la main légèrement tremblante, l’épingle traversa la langue, jusqu’à y être complètement enfoncée. Goutte par goutte, le sang perlait de la blessure, descendait la longue pointe et tombait ensuite sur la pierre.

     Ratch’keel enleva l’épingle, et si elle gardait une expression fermée sur le visage, elle ne put empêcher l’un de ses sourcils de trembler. Ixi’ualpa elle-même grimaçait, comprenant maintenant pourquoi elle n’avait pas senti de koka dans les herbes incinérées : la plante allégeait la douleur, et il s’agissait ici d’un rituel de sang, où il fallait donner de son corps, sans détour, en pleine souffrance pour que le sacrifice puisse atteindre sa pleine valeur. Par son sang et sa douleur, Ratch’keel purifiait la pierre des vilenies qui avaient été déversées sur elle.

     L’épingle enlevée, le sang coula d’autant plus de la plaie, et la dévote le récupéra dans ses mains, avant d’en asperger toute la pierre, plusieurs fois. Ceci fait, elle s’inclina bien bas, jusqu’à ce que son visage touche presque le bol aux plantes fumantes, dont elle prit de nouveau une large inspiration, avant de rentrer dans le cercle des kalims, qui reprirent leur chant. L’une d’entre elle s’avança, et saisit un couteau à sa ceinture.

     Ixi’ualpa regarda, en silence, les amazones s’entailler la langue les uns après les autres, jusqu’à ce que tout le plat de la stèle fut rouge de sang. Un respect nouveau naissait en elle envers les kalims, alors qu’elle était témoin de la pleine dévotion qu’elles adressaient à leur devoir, à leur fonction d’intermédiaires entre leur peuple et les dieux. Honneur avait été rendu à ces derniers, et par la-même elles honoraient toutes les amazones.

     Une fois chacune des kalims passée à l’autel, elles mirent fin à leur chant et, après avoir jeté de nouvelles feuilles dans le bol rituel, elles s’assirent en tailleur, toujours en cercle autour du monument désormais purifié, se laissant baigner dans les fumées.

     Le silence tomba sur la clairière. Comprenant qu’elles resteraient là un moment, Ixi’ualpa se leva aussi discrètement que possible et laissa les kalims à leur communion avec les dieux. Tout ceci lui avait donné l’envie de se rendre aussi utile que possible envers ses compagnes d’armes, de leur retourner un peu de leur dévotion et de leur don de soi. Peut-être qu’au camp, elle pourrait faire quelque chose pour les blessées. Puis elle planifierait leurs assauts de demain. Chaqua n’était plus très loin, et désormais, Ixi’ualpa était plus déterminée que jamais d’en protéger les reliques sacrées des mains profanes de tous ces étrangers.

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Lun 22 Mar 2021 - 21:25

La Route d'Eldorado - Page 2 Night_10

     La nuit parait toujours plus noire quand on est dans une jungle touffue. Le ciel avait beau être quasi exempt de nuages, presque aucune lumière ne parvenait jusqu’au sol, filtrée par plusieurs mètres de feuillages et de lianes. Mais ce noir avait beau être quasi-total, il n’était pas silencieux. Toute la faune nocturne s’était animée, et l’air était emplie des cris des grillons, des chauves-souris, des marsupiaux, et de temps à autres par celui, violent et lointain, d’un carnosaure en maraude. Le moindre coup de vent dans la canopée pouvait ressembler au vol d’un terradon, le moindre sifflement à un serpent géant. C’était un royaume où la force n’était vaincue que par la discrétion.

     Et de discrétion, Fiodor n’usait pas. À cet instant, il se moquait de la myriade de créatures autour de lui, conçues pour tuer de mille et une façons. Il se moquait aussi de l’obscurité, sa vision surnaturelle lui permettant de voir dans la nuit sans difficulté. Lui faisait partie des prédateurs, et entendait bien le faire comprendre, déployant, consciemment cette fois, sa soif de meurtre autour de lui. Car, une nouvelle fois, sa frustration cherchait un exutoire. Maudites amazones, et maudits elfes. Ils avaient payé leur insolence cette fois, mais pas assez, non, pas assez. Leurs chefs avaient survécu, et il n’avait pu lever l’armée qu’il avait imaginée. Juste une douzaine de zombies, tout juste bons à éponger trois coups de sabre. C’était une piètre parodie de son équipage désormais décédé. Il n’avait jamais été un grand pratiquant de la nécromancie, mais il se savait capable de mieux, Mundvard, son géniteur, l’ayant forcé à devenir un adepte suffisamment compétent pour contrôler une vingtaine de ces créatures, mais encore fallait-il trouver la puissance de les invoquer. Marchant à courtes enjambées derrière lui, Thrond Ventre-de-fer serrait les dents, luttant contre une partie de son esprit qui lui disait de tourner les talons et de fuir son ami. Le plus loin possible. Mais le nain se dominait largement, et tirant une nouvelle bouffée de son cigare, il devait admettre qu’au moins, la fuite de tout être vivant conscient à leur approche avait ceci de pratique que ça évitait les mauvaises rencontres.

     « Et maintenant, capitaine, que faisons-nous ? »

     Max Flouz pouvait se targuer d’être le seul humain encore en vie du groupe, et si ça lui faisait plaisir, c’était impossible de le voir. Son visage exprimait rarement le bonheur ou la joie, mais en cet instant il était évident qu’il n’était pas ravi de la tournure des évènements. Ses cheveux étaient poisseux de sang à demi séché, son bras gauche avait été entaillé par une lance, et ses vêtements n’étaient pas dans leur meilleur état.

     Fiodor répondit tout en avançant, ponctuant ses mots d’un coup de poing à l’arbre le plus proche.

     « On retrouve un bateau, voilà ce qu’on fait. Il doit bien y en avoir d’autres qui naviguent sur ce satané fleuve. On en trouve un, on balance son équipage à l’eau, et on fonce droit vers ces proprettes d’elfes. Ensuite, on les tue, et on balance leurs corps à la flotte, membre par membre. Ou l’inverse. Je n’ai pas décidé. »

     Seul Thrond fut témoin du regard que s’échangèrent Flouz et Marcel de Parravon, rare instant où un mort-vivant et un humain étaient unis dans les mêmes sombres pensées. Mais à leur décharge, tous deux étaient sous l’emprise du vampire. Le revenant avançait en silence, contrairement à son habitude. Le fait de ne plus avoir le moindre subordonné à insulter semblait le décontenancer. Autour d’eux, les corps des pirates, des elfes et des amazones trottaient mécaniquement, le regard vide, les bras ballant tenant toujours leurs armes. C’était ça le plus bizarre décida Thrond. Ce n’était pas de les voir avancer malgré d’évidentes blessures fatales, ni qu’aucun ne prononce le moindre mot. Non, c’était leur démarche, la tête penchée sur le côté, là.

     Tout d’un coup, Fiodor s’arrêta en levant le poing. Aussitôt, les zombies stoppèrent leurs mouvements, se figeant, droits comme des i. Fiodor sembla scruter les ténèbres devant lui, tournant lentement la tête de droite et de gauche, les sourcils encore plus froncés que la seconde d’avant.

     « Qu’est-ce que t’as vu ? » Demanda Thrond tout en se rapprochant cahin-caha, écartant quelques buissons tout en gardant la main posée sur le manche de son marteau.

     Le vampire mit quelques secondes à répondre.

     « Je ne vois pas. Je sens…je sens…je sens de la magie. Pas très loin. »

     Son visage prit une expression plus grave. Quelle que soit cette magie, elle était puissante. Et dangereuse, très dangereuse. C’était un concentré de dhar tellement intense que ça lui évoquait un oursin au milieu des oranges, une magie violente, sans concessions, qui ne pouvait avoir qu’une seule origine : un mage très puissant, et sans aucun respect pour la vie.

     Tout ce qu’il lui fallait.

     « Je la sens aussi capitaine » gronda la voix grave de Marcel. « C’est une source de magie puissante. »

     Fiodor acquiesça silencieusement, hochant lentement la tête alors que son esprit calculait ce que ça impliquait. Etait-il possible de s’attacher les services d’un tel thaumaturge ? Quoi qu’il en fût, la direction était à présent claire.

     « Allons-y »


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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Ven 26 Mar 2021 - 16:50

     Molos se pencha par-dessus le rebord du contenant, sa barbe s’accrochant à son contour. Le fumet qui en émanait était nauséabond, car depuis plusieurs jours ils déversaient dans son eau des morceaux de chair crue de poissons locaux, d’iguanes et de rongeurs dont ils ignoraient le nom. Mais cela n’incommoda pas le capitaine de la Loreleï, scrutant le liquide trouble. Même lui peinait à discerner les contours du guerrier immergé depuis que l’équipage l’avait retrouvé dérivant à la surface du fleuve, inconscient, blessé et terriblement affaibli. Quelque chose lui avait soustrait son endurance, le malheureux paraissant amaigrit et ne parvenant même plus à se régénérer dans l’eau. Il fallait qu’il consomme de la viande pour recouvrer ses forces.

     Il survivrait, cela le capitaine n’en doutait pas en reposant les talons au sol. Combien de temps cela prendrait en revanche… impossible à dire. Il hocha de la tête en silence à l’adresse des deux corsaires chargés de rester auprès du tonneau. À l’instant où Corus se manifesterait, ils subviendraient à ses besoins. Lui, en attendant, avait à faire.

     Laissant les deux tiers de ses hommes pour garder le navire, il descendit à terre à la tête d’un groupe expéditionnaire. D’après la carte en leur possession, la destination n’était plus très loin. Néanmoins, les eaux se faisaient de moins en moins profondes. Les dangers inconnus de plus en plus pernicieux. Leurs rivaux de plus en plus audacieux. Néanmoins, il en fallait davantage pour le décourager, marchant en queue de file, se contentant de suivre ses camarades.

     Presque distraitement, il tira une pierre de sa poche qu’il étudia tout en marchant. Poreuse et orangée, elle serait passée pour un vulgaire caillou aux yeux des êtres de la surface. Pour lui et ses hommes en revanche, il s’agissait d’une mine d’or. Eux connaissaient la vraie nature du corail. Son véritable potentiel. Celui d’écouter. De se souvenir. De restituer. Encore eut-il fallu être attentif à ses paroles et comprendre ses mots. Mais les humains comme les elfes étaient bien trop obtus pour cela. Les nains, ironiquement, semblaient plus à même de percevoir cette fabuleuse propriété. Mais ces imbéciles préféraient briser le matériau vivant et sculpter des inepties à sa surface plutôt qu’y prêter attention.

     Comme l’avaient découvert ces femmes lors de leur embuscade nocturne, l’équipage de la Loreleï ne comportait aucun humain. Écumant le Golfe Noir et le Lagon des Larmes, entre autre, l’équipage de la Loreleï dissimulait un secret dont ces furies avaient fait les frais. Derrière leurs traits humains se cachaient des êtres amphibiens. Des êtres capables de respirer aussi bien sur terre que sous l’eau, camouflés par des pendentifs enchantés les faisant passer pour natifs de la surface. Des colifichets bien pratiques comme celui rebondissant sur sa poitrine, entre les mèches de sa barbe. Même si ici, au bout du monde et loin de toute civilisation, ils auraient aisément pu s’en passer, ce que réclamaient ses guerriers. Mais il le leur refusait. Le monde de la surface n’avait pas besoin de connaître leur existence. Pas encore. Mieux valait qu’il continue à les confondre avec des esprits de la nature, des Naïades, et croire que l’empire sous-marin n’était qu’un conte fantaisiste.

     Soupirant, il porta la pierre à ses lèvres, puis baissa le bras. Il la tenait enroulée dans l’une de ses mèches de barbe relevée, trahissant l’illusion auprès d’un observateur attentif. Mais il s’autorisa ce léger écart. Puis commença à parler, transmettant à la roche ce qu’il voyait et ainsi que l’objectif de son expédition de reconnaissance. Cela lui épargnerait la peine de le faire à bord lors de son retour.

*

     À bord de la Loreleï, l’équipage s’ennuyait. Ce qui convenait parfaitement aux hommes. Suite à leurs différents accrochages avec d’autres équipages ou autochtones, ce repos était le bienvenu. Repos qui fut toutefois troublé par un cri aigu et atypique en provenance du fleuve. Cessant leurs occupations, les marins se regroupèrent sur la rambarde donnant vers l’Amaxon.

     La surface était agitée de remous, d’imposantes formes venaient crever l’onde et remontaient le courant dans leur direction. Reconnaissables, les silhouettes des nyxes nageaient à vive allure vers eux sans chercher à se dissimuler. C’était le cri de l’une d’elle qui avait tiré les marins de leur repos.

     - Encore un alligator ! s’écria l’un des officiers du pont, devinant ce qui effrayait leurs alliées aux traits féminins. Arbalètes !

     Plus ils remontaient le fleuve et plus les nyxes se faisaient harceler par la faune locale. Les attaques de ces reptiles étaient désormais quotidiennes. Avant même qu’elles n’atteignent le rebord du navire, une dizaine de carreaux avaient été encochés, pointés vers l’eau. Les alligators étaient imposants et endurants, mais une seule volée suffisait généralement à avoir raison d’eux, offrant d’ailleurs aux nyxes un repas facile.

     Un moment, Molos les avait suspectées d’attirer ces reptiles aquatique à dessein pour décrocher leur pitance sans avoir à chasser. Ces créatures, aussi appelées Sirènes par les hommes du Nord de l’Empire, étaient en effet connues pour leur esprit rusé. Néanmoins, lorsque les soldats de la Loreleï virent une crête écailleuse fendre la surface dans le sillage des femmes-poissons, ils surent que quelque chose n’allait pas. Voire n’allait pas du tout. Cette crête, avançant droit sur eux, mesurait aisément trois mètres de long. Ce qui laissait supposer un animal d’au moins le double.

     - Par Stromfels, murmura l’un des arbalétriers en visant le monstre aquatique. Nos projectiles seront des piqûres d’oursin pour lui…
     - Des lances ! s’écria l’officier arrivant à la même conclusion. Vite ! Et amenez le lance-harpon pour....
     - Il n’est pas encore réparé, l’interrompit aussitôt un autre marin. Les femmes ayant investi le bâtiment l’avaient saboté !
     - Je…

     Un nouveau cri aigu le coupa dans sa phrase, aussitôt étranglé et suivi d’une énorme éclaboussure. Sous les yeux médusés des pirates, l’une des nyxes fut projetée à travers les airs avant de s’écraser violemment un peu plus loin, en arrosant la coque du navire.

     La partie humaine de ces créatures était légèrement plus grande que celle des femmes normales. Leur queue de poisson, quant à elle, pouvait atteindre les deux mètres de long. Pourtant, l’alligator démesuré qui l’avait ferrée par la partie basse du corps l’arracha une seconde fois de l’eau sans effort apparent. Elle traversa les airs et claqua violemment à la surface dans des projections d’écume, face la première.

     - Tirez ! beugla l’officier alors que la malheureuse était à nouveau projetée hors des flots. Tuez-moi ce reptile !

     Aussitôt, une nuée de projectiles partit du pont, volant au-dessus des survivantes accolées au bois de la coque en quête de sécurité. Le déluge creva la surface, agitée de vagues écarlate.

     Il était à craindre que la nyxe fut également touchée par une lance ou un carreau. Mais au vu du traitement subi, c'eut été abréger ses souffrances.

     Rapidement, le calme revint, les marins prêts à lâcher une nouvelle volée. Attentifs, ils scrutaient la surface trouble du fleuve, guettant le moindre mouvement. Un béhémoth pareil, il était impossible de l’avoir fait déguerpir avec si peu. Encore moins d’en être venus à bout.

     Sans signe avant-coureur, la sirène réapparut, à nouveau furieusement ballottée à travers les airs. Elle ne criait plus et n’était que chair écorchée en-dessus des hanches, là où la peau cédait place à des écailles. Puis elle claqua à nouveau douloureusement la surface, disparaissant encore à leur vue.

     Sous le choc, les marins n’avaient pas lâché le moindre projectile. Ceux-ci n’avaient eu et ne feraient aucun effet. Quant à plonger au secours de la nyxe, malgré leur vraie nature d’êtres aquatiques et leurs compétences martiales, ce serait du pur suicide. En supposant qu’il n’y ait qu'un seul de ces monstrueux prédateurs tapis dans le lit du fleuve…

     Tout ce qu’ils pouvaient faire était de contempler l’eau rougeâtre, impuissants, et espérer que le reptile ne s’en prendrait pas aux nyxes survivantes.

     Brusquement l’un des marins se fraya un chemin au premier rang et arracha son trident des mains de son propriétaire. Avant que l’intéressé ne proteste, le voleur sauta par-dessus bord, un écu rond accroché dans le dos. La scène ne dura qu’une seconde. Mais tous eurent le temps d’apercevoir la peau bleue et les nageoires écarlate du marin ne portant pas de médaillon enchanté.

     - Corus ! s’écria l’un des matelots assigné à sa surveillance à l’étage inférieur. Où…

     Il trouva sa réponse en suivant tous les regards, convergeant vers le fleuve.

”ambiance”:

     D’une brasse vigoureuse, le gladiateur à peine remis de ses blessures se précipita au secours de la femme-poisson. Depuis la cale, il avait perçu ses cris de panique et, malgré sa condition actuelle, n’avait pas hésité un instant.

     Il flairait le sang de la blessée dans l’eau. À tel point qu’il aurait pu s’orienter les yeux fermés. Ce qu’il faisait presque à vrai dire tant l’eau était trouble à cet endroit du fleuve. Lorsqu’enfin il distingua son objectif, à deux mètres de profondeur environ, il put prendre la mesure de ce qu’il s’apprêtait à affronter.

     La créature était tout bonnement énorme. Au point qu’à K'Kligir, elle aurait été abattue plutôt que lâchée dans les arènes, représentant un risque trop grand pour les gladiateurs. Néanmoins, Corus n’en était pas le champion pour rien et il n’hésita pas. Son trident mordit le museau de l’animal, réalisant avec stupeur qu’il était couvert d’une protection en métal, l’empêchant de percer son cuir (Corus : 1T, 1T annulée, 0T). Il ne s’attarda cependant pas sur sa surprise, son intervention ayant visiblement attiré l’attention du monstre qui entrouvrit la gueule en se tournant vers lui. Le guerrier n’hésita pas. Il tendit le bras entre les crocs du monstre, brandissant son bouclier et lui bloquant la mâchoire. Puis, attrapant la nyxe par le bras, il la tira à lui et parvint miraculeusement à la dégager de ce traquenard. Le monstre tourna la tête de côté pour tenter de la rattraper. Il voyait son repas lui être soustrait, puis réalisa ne plus pouvoir mordre en raison du bouclier calé entre ses dents. Bouclier qui commença déjà à se déformer sous la pression exercée.

     De l’autre main, Corus s’empressa de se dégrafer l’écu du poignet, s’efforçant de garder son sang froid malgré cette démonstration de force. Il se débarrassa de l’accessoire. Puis, d’une impulsion des pieds sur le museau du monstre, se propulsa en arrière. Secouant la tête, le reptile parvint à recracher le morceau de métal plié en deux et tourna sa tête massive vers l’importun (Qracl'Naui : 1T, 1B, 1 PV ! ). D’une vigoureuse ondulation de la queue, il prit le gladiateur en chasse, s’éloignant de la Loreleï.

     Corus ne parvenait plus à distinguer la nyxe à travers l’eau brunâtre. Mais avec le prédateur sur ses talons, il n’eut pas le temps d’y réfléchir. D’un coup d'œil rapide par-dessus son épaule, il étudia la silhouette du monstrueux crocodile remontant le courant sans peine apparente. Un genre de masque doré lui couvrait effectivement le crâne. Également, des plaques de métal rebondissaient sur son ventre. Quelqu’un avait affublé cette bête de ces ornements tape à l'œil. Était-elle dressée ?

     Avant de se faire rattraper et perdre le contrôle de la situation, Corus coupa son effort et fit volte-face. D’une brasse puissante, il nagea à la rencontre de son poursuivant. Dans le sens du courant cette fois. Remarquant son approche, le reptile cessa sa progression et écarta les bras, marquant un arrêt. Dans l’une de ses “mains”, il tenait une masse énorme que Corus ne remarqua que maintenant à travers l’eau sombre.

     Cette chose n’était pas qu’un simple animal, mais bien une créature intelligente. En cela, il songea qu’elle ressemblait à une autre espèce du royaume sous-marin. Les “placoderm”. En d’autres circonstances, il aurait pu établir le contact avec cet individu. Mais là n’était pas le moment d’avoir ce genre de réflexions, qu’il chassa de son esprit.

     Corus tendit le bras en atteignant son ennemi et le trident fendit l’eau avec aisance. Mais ses pointes ne firent que glisser sur le cuir épais du cou de la bête (Corus : 1T, 0B). Esquissant une grimace de frustration qui lui étira les barbillons faciaux, Corus avisa le lent moulinet qu’effectuait le monstre, lui étant destiné. D’un coup de rein, le gladiateur s’octroya une impulsion en avant et, propulsé par le courant, passa sans difficulté sous le brassement d’eau puissant, mais d’une terrible lenteur (Qracl'Naui : 2T, 1B, 1 svg ).

     Nageant avec adresse, il tournoya et se retrouva dans le dos de son ennemi massif, esquissant un léger sourire. Ce n’est pas pour rien que masses et lames tranchantes n’étaient pas utilisées aux royaumes sous-marins. L’amplitude nécessaire à leur utilisation les rendait lentes et dépourvues de force, retenues par la résistance de l’eau. Lances et tridents en revanche se révélaient dévastateurs.
Le reptile se tourna dans la direction de l’homme-poisson, faisant preuve d’une agilité surprenante pour sa taille. Il lâcha son arme avant de nager vers Corus, bras le long du corps, adoptant une posture profilée et exploitant à son tour du sens du courant. Derrière lui, la masse rebondissait sur sa cuisse épaisse, retenue par une chaîne.

     Les crocodiles de mers, sauvages, adoptaient souvent ce genre de posture à la chasse. Corus en avait affronté des dizaines auparavant et devina ce qui allait suivre. Trident au poing, il se projeta en avant à contre-courant, venant à sa rencontre. Lorsque la créature ouvrit une gueule béante en se tournant légèrement de côté, lui s’octroya une soudaine impulsion de côté en écartant son mollet palmé. Le puissant claquement de mâchoire manqua de peu sa jambe tandis que lui plantait enfin son arme dans le dos du reptile, parvenant à traverser ses écailles.

     En revanche, il ne s’attendait pas à ce que le monstre ne roule brusquement sur lui-même pour se débarrasser du gladiateur. Il s’accrocha au manche de son arme, tourbillonnant avec le béhémoth. La masse, volant au bout de sa chaîne, passa dangereusement près de son visage, manquant lui arracher ses barbillons.

     Corus parvint à poser un pied contre l’épaule de l’homme-crocodile après une seconde rotation complète. Profitant de cet appui, il tenta de dégager les pointes barbelées de son trident, en vain. Celui-ci resta profondément fiché dans la cuirasse naturelle et, à la révolution suivante, la force centrifuge lui fit lâcher prise (Corus : 3T, 0B).

     Désorienté et pris de tournis, Corus secoua la tête. Il s’efforça de retrouver ses sens, d’identifier de quel côté se trouvaient la surface et le fond. Mais il fut interrompu par un étau lui broyant soudain le bras. Les crocs du saurien se plantèrent dans son épaule, déchirant comme du papier sa cuirasse enfilée à la hâte. Hurlant un chapelet de bulles, Corus fut brusquement entraîné en arrière par le reptile, se propulsant via de puissants coups de queue (Qracl'Naui : 2T, 2B, 2 PV).

     En panique, le gladiateur s'efforça de frapper le museau du saurien de sa main libre. Mais il ne récolta que la sensation des crocs qui lui fouillaient la chair plus profondément encore, raclant sur ses os. À nouveau il cria sans pouvoir être entendu. Jusqu’à ce qu’un choc sourd dans son dos ne le plonge brusquement dans les ténèbres.

     Du pont, les marins à apparence humaine suivirent ce qu’ils purent voir du duel aquatique. Puis brusquement, le manche du trident creva la surface, fusant à toute allure dans leur direction. Manche suivi d’une crête écailleuse de trois mètres de long. Réalisant son approche directe, les nyxes jusque-là agglutinées contre la coque fuirent précipitamment.

     La collision du reptile avec le flanc du navire fut si violente qu’elle se fit ressentir jusqu’au bastingage.



     Après une seconde de flottement, les marins jetèrent de nouvelles lances et carreaux d’arbalète au monstre aquatique. Ils l’invectivèrent et hurlèrent pour qu’il se détourne de sa victime. Mais leurs efforts semblaient dérisoires...

     Brusquement, un hululement aigu et perçant résonna à travers la jungle. À ce son, Qracl'Naui s’immobilisa et lentement dressa le museau hors de l’eau, révélant l’état horrible dans lequel se trouvait Corus. Son bras était en charpie, bien que miraculeusement encore accroché à son épaule.

     Lorsque résonna une seconde fois l’appel étrange, le kroxigor se contenta d’ouvrir la gueule, laissant couler l’homme-poisson, puis se dirigea vers la rive.

*

     Une troisième fois Tixyixyon appela son frère de couvée, les mains en porte-voix. Il mettait du temps à répondre. Quoi qu’il ait trouvé comme proie, soit elle lui avait donné un semblant de résistance, soit il jouait encore avec sa nourriture. Ce n’était pourtant pas le moment : l’un des éclaireurs du tupac venait de l’avertir de la convergence de multiple groupes d’êtres à sang-chaud en direction de la cité dorée. Dépourvue de Slann, celle-ci serait vulnérable à l’intrusion des envahisseurs. Il leur incombait de les en empêcher. Si Qracl'Naui daignait se montrer un jour...

     Une quatrième fois, il mit les mains en porte-voix, s'apprêtant à l’appeler avec plus d’insistance. Mais il se retint en entendant des craquements résonner dans le sous-bois, ponctués d’un pas pesant. Le kroxigor pénétra tranquillement dans la clairière où l’attendaient les skinks. Ils contemplèrent le trident avec perplexité, toujours fiché dans son épaule et ne semblant nullement l’incommoder.


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Ven 26 Mar 2021 - 22:04
La Route d'Eldorado - Page 2 Empire11


     Tout en grommelant et en poussant moult jurons, Helmut Markus Heldenhame était donc seul, ballotté par les eaux tumultueuses de l’Amaxon, tentant de ramer à contre-courant dans sa barque dérisoire. Il se demande si l’otage valait vraiment la peine mais, maintenant, il n’avait aucun intérêt à revenir en arrière, surtout que les asurs ne devaient pas porter les impériaux dans leur cœur, après cet affrontement.
     Les vêtements trempés par l’écume, le regard tourné vers l’horizon, les bras effectuant la même manœuvre suivant des rythmes réguliers, le nulner remontait le fleuve saumâtre. Il veillait à rester vers le centre du cours d’eau, car les berges boueuses et traîtresses abritaient des créatures à sang-froid qu’il ne voulait surtout pas rencontrer.
     Soudain, une de ses rames s’immobilisa. L’humain tira de toutes ses forces, mais ne parvint pas à arracher le simple ustensile de bois des abysses troubles. Suspectant tout d’abord le limon poisseux des berges, il vit qu’il ne s’était pas éloigné d’un pouce de sa position initiale.
     Une vérité bien pire s’offrit à ses pensée lorsqu’un mouvement eut lieu sous sa frêle embarcation. Une ligne sinueuse d’écailles pointues fendit soudain les flots tranquilles, et un grand reptile émergea, tenant en sa gueule hérissée de crocs semblables à des poignards la malheureuse rame de bois tendre que tentait de dégager Helmut. Celui-ci réagit au quart de tour, lâchant immédiatement les deux avirons pour s’emparer de son arme, qui brillait d’un éclat qu’on eût dit le reflet des cieux lorsque le vent d’Azyr soufflait à sa pleine envergure. Des éclairs, manifestation de la juste colère de Sigmar, crépitaient sur le métal béni lorsque la carapace rugueuse du reptile entra en contact avec le coup d’estoc de l’envoyé de la comtesse. L’alligator usa alors de ses pattes antérieures pour frapper sur l’embarcation, qui tangua dangereusement. Profitant des efforts d’Helmut pour se remettre en équilibre, l’animal prit dans l’étrave du gouffre de ses mâchoires l’avant-bras gauche de l’impérial. Hurlant de douleur, chancelant sur sa barque, celui-ci plongea finalement son épée dans le ventre de l’animal, qui se retira, à force de spasmes d’agonie, dans l’eau, entraînant avec lui son meurtrier.
     Un ballet de bulles se forma à la surface du fleuve, suivit ensuite par une pellicule de liquide carmin. Une main creva la surface de l’eau suivie d’une deuxième. Les deux trouvèrent le bord de la barque, et hissèrent leur propriétaire ruisselant sur les quelques planches qui constituaient le fond de l’objet.
     Ne pouvant se résoudre à abandonner sa précieuse arme, le nulner prit sa respiration et replongea dans les profondeurs. N’y voyant plus rien, il trouva néanmoins l’endroit où son épée avait provoqué la mort du monstre, et dut, pour détacher son arme de sa proie, user d’un mouvement de scie, qui sépara bientôt la tête saurienne du corps écailleux, en une figure de parfait trophée. C’est du moins ce qui traversa l’esprit de l’humain triomphant quand il remonta, saisissant d’une main son épée, brandissant de l’autre la tête de son ennemi.


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Lun 29 Mar 2021 - 3:05
Cinquième journée de combats sur l’Amaxon


La Route d'Eldorado - Page 2 Eldora12

     Le brouillard de la veille s’était dissipé à la levée du jour nouveau. Au-delà du mur impénétrable de la jungle, éblouissants de mille feux sous les rayons de l’astre diurne ascendant, les sommets visibles d’immenses et vénérables pyramides auraient pu passer pour autant de pépites que l’on eût pu toucher du doigt. Ce n’était plus qu’une question de quelques heures, tous ceux qui voyaient le séduisant éclat de l’or ce matin-là le sentaient…


     Ixi’ualpa, Guerrière-Aigle des Amazones (Gromdal) vs Alicia de Meissen (Alicia)

     L’inquisitrice rangea la longue-vue qu’elle avait réquisitionné à bord de l’Emmanuelle et d’un bref coup d’œil examina l’état de son équipage : ses stirlanders semblaient aussi frais que l’on pouvait l’être après des semaines de privations ; quant aux nulners présents à bord du reaver, ils survivaient. Pour de la chair à canon à la loyauté fragile, c’était déjà ça. À la première rencontre avec les autochtones de la cité, elle les enverrait au turbin en première ligne, ça aurait le mérite de faire le tri entre les bons et les faibles.
     Les ombres sur le fleuve pâlissaient, le soleil ne tarderait pas à devenir aussi oppressant que tous les jours… Alicia s’empara instinctivement de son pistolet et en vérifia la charge, rangea son arme. Ses hommes avaient depuis longtemps appris à reconnaître ce tic de leur commandante et s’emparaient alors à leur tour des quelques armes à feu qu’ils étaient parvenus à conserver jusque céans.
     Deux encablures plus loin, l’Emmanuelle fendait les flots de l’Amaxon à la suite du reaver ; à son bord régnait une atmosphère tendue depuis que le commandant nulner avait ouvertement défié les ordres de la commandante de facto de leur alliance. Les quelques stirlanders à bord préféraient désormais ignorer l’équipage de Heldenhame, et ce dernier, revenu à bord du vaisseau seulement quelques heures plus tôt, se demandait s’ils n’avaient pas reçu d’ordre de l’abattre en cas de récidive… Helmut n’avait cependant pas hésité de bon matin à réaffirmer son importance à bord : dès qu’ils avaient aperçu les sommets dorés à la chiche lumière de l’aube, il avait réuni tous les hommes sur le pont pour leur rappeler les richesses qui les attendaient au loin et les honneurs qui pleuvraient sur eux à leur retour à Nuln.
     Les échos de cette cérémonie furent ignorés à bord du reaver : c’était le genre de discours que les hommes d'Alicia avaient entendu à chaque nouvelle fournée de volontaires qui arrivaient à la colonie de Wulfhart ; l’inquisitrice n’allait guère leur faire l’affront de le répéter pour la millième fois.

     Au tournant, ils virent que, quelques encablures plus loin, le mur de la jungle cessait des deux côtés ; le mur de la jungle cessait des deux côtés ! Qu’était-ce que ces arbres épars, dont les racines noueuses s’étiraient péniblement à même le sol et jusque dans les eaux du fleuve ? Qu’était-ce que ces recoins gris et lisses sur la terre ? Qu’était-ce enfin que cet étrangeté rectiligne de l’Amaxon ?! Ces rives taillées ?! Ces oiseaux qui volaient d’une haie éparse à une autre ? Qu’était-ce, enfin, que ce risible et pitoyable rempart de quelques pirogues sur les dernières centaines de coudées qui les séparaient des ruines tant convoitées, tant espérées ?!

     Elles avaient retourné le problème dans tous les sens et étaient parvenues à ce plan : un détachement d’élite qu’elles commanderaient ferait face à l’ennemi, le mettrait en confiance, l’inciterait à l’imprudence de vouloir passer en force… Leur maîtrise des armes leur permettrait de tenir un peu, juste le temps d’une diversion. Juste le temps pour le gros de leurs forces de quitter l’ultime couvert de la jungle et de prendre les deux navires en tenailles. Trop longtemps ces étrangers naviguaient sur ces eaux sacrées, trop insultante était leur convoitise des trésors dissimulés des Anciens.
     Quelque part, Ixi’ualpa se demandait si elle n’avait pas donné son accord à ce plan sous une impulsion irrationnelle : teinté de bon sens, de cette ruse guerrière dont elle ne cessait de défendre l’intérêt, ce plan mettait celles qui se battraient dans le détachement d’élite dans une position singulière : leurs chances de survie ne seraient jamais plus tenues qu’ici, sous les regards et la haine de leurs ennemis, sous la grêle de projectiles dont elles seraient sans doute les victimes, bien que pour ce dernier point, Ixi’ualpa avait proposé le pari de plonger dans les eaux du fleuve avant que leurs ennemis ne leur tirent dessus…

     Deux détonations successives résonnèrent sèchement dans les oreilles des amazones ; Ixi’ualpa plongea instinctivement, maudissant ciel et terre : elle savait que ces bruits portaient la mort. Un petit nuage rouge sombre parmi les flots lui confirma qu’elle avait donné le bon exemple. En quelques instants, Rakt’cheel et elle guidèrent leurs meilleures guerrières sous les eaux du fleuve, priant pour que le sang déjà versé n’attire pas les prédateurs trop rapidement.
     À bord du reaver, les arquebuses étaient pointées sur la surface des eaux.

     Dès que les détonations retentirent, les guerrières-kalim cachées dans la jungle oublièrent toute retenue et le moindre mot de ce qui leur avait été ordonné : attendre jusqu’à ce que le détachement d’élite aborde le premier navire. L’air-même semblait vibrer de férocité, les intentions meurtrières devenaient presque palpables des deux côtés ; les kalims croyaient même que c’était cela qui justifiait leur empressement : elles *sentaient* l’envie de faire couler le sang parmi les hommes à bord du reaver…

     Alicia n’avait guère besoin d’ordonner la marche à suivre à ses hommes : leurs reflexes étaient devenus quasiment aussi bons que les siens et, comme eux, elle s’apprêtait à gratifier la première tête qu’elle verrait sortir de l’eau d’une jolie bille de plomb. Elle dut cependant détourner son attention de la menace immédiate lorsqu’elle entendit le vacarme des cris sur les rives. Les autochtones n’allaient pas leur faire de cadeaux, hein…
     À bord de l’Emmanuelle, la tension qui régnait entre nulners et stirlanders vola en mille éclats au bruit de l’embuscade tendue par les amazones ; Helmut, qui avait déjà eu affaire à ces femmes-guerrières, ordonna immédiatement à deux hommes d’aller surveiller la sainte-barbe. Par Sigmar, si ces furies pensaient qu’elles allaient l’avoir comme la dernière fois…
     Ixi’ualpa ne sut jamais que ce fut la frénésie des kalims qui lui sauva peut-être la vie lorsqu’elle émergea des flots, avant de se mettre à escalader le reaver ; la distraction causée par leurs imprécations sauvages ne dura que quelques instants ; le détachement d’élite n’eut besoin de guère plus pour aborder l’équipage impérial ; en face d’elle, la guerrière-aigle vit un groupe d’hommes et une femme ; tous braquèrent leurs armes à feu à bout portant ; les amazones jetèrent leurs lances.

     La balle perfora l’épaule de la guerrière (Alicia : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 2 PV !) alors que la lance se ficha brutalement dans l’épaule de l’inquisitrice (Ixi’ualpa : 3T, 2B, 2 PV !). Cette dernière perdit d’ailleurs son équilibre sous l’impact de l’arme de l’amazone et tomba à la renverse (Alicia, entrainement : 0T). Alors que la même scène se produisait simultanément autour d’elles, Ixi’ualpa s’élança vers l’élue de sa lance et retira brutalement son arme de l’épaule d’Alicia. L’inquisitrice sentit la tête lui tourner et sa vision se brouiller ; damnée soit cette jungle… La soudaine perte de sang causée par la blessure béante sur son épaule lui fit perdre conscience et elle ne se releva pas. (Ixi’ualpa : 4T, 2B, 2 PV !!!)

     Les hommes de l’inquisitrice étaient les meilleurs, cependant ils partageaient les mêmes privations que leur commandante ; les amazones, elles, n’avaient jamais souffert de maladies ou de sous-nutrition. La mêlée sur le reaver fut aussi brève que sanglante, les stirlanders vendaient chèrement leur peau et les nulners présents à bord, bien que terrifiés par tout ce qu’ils voyaient, suivaient aveuglement leur exemple. Malheureusement pour eux, les amazones étaient bien plus rapides et plus aptes à se battre ; il n’y avait guère le temps de recharger quelque arme que ce fût, et le corps-à-corps ne laissait aucun doute sur l’issue définitive de l’abordage : rien ne pouvait arrêter le détachement d’élite, surtout lorsque Rakt’cheel menait l’assaut. Ixi’ualpa, elle, dut se résoudre à beaucoup plus de prudence, son épaule blessée lui causant mille douleurs.
     Victorieuses, elles constatèrent alors ce qui s’était passé sur le deuxième navire, le plus gros : le bâtiment résistait furieusement à l’abordage des guerrières. Quelques moments plus tard, Ixi’ualpa restait à contrecœur à bord du reaver alors que Rakt’cheel plongeait dans le fleuve pour se joindre à la curée en face. Des cris retentirent à bord du vaisseau ennemi : le perte du reaver venait d’être repérée.
     Helmut ordonna immédiatement la retraite ; les stirlanders présents à bord de l’Emmanuelle poussèrent des imprécations rageuses que le commandant prit d’abord pour un signe de mutinerie mais qui se mua seulement en une résistance encore plus acharnée face aux guerrières qui n’avaient de cesse d’escalader le vaisseau.
     Soudain, Ixi’ualpa distingua dans les bruits ambiants le rythme soutenu de tambours de guerre qu’elle ne reconnaissait guère, à moins que…
     « La volonté du dieu du sang soit faite : FRACASSEZ LES CRÂNES ET CAPTUREZ TOUS CEUX QUE VOUS POUVEZ !! »

     Les sous-bois de la jungle traitresse vomirent des guerrières vêtues de peaux de bêtes et brandissant hachettes et boucliers ; leurs hululements se joignirent à la cacophonie ambiante et Ixi’ualpa réalisa que leur rêve de victoire allait tourner au tourment de la défaite si rien n’était fait. Ignea, Ignea, Ignea, maudite soit-elle, cette blasphématrice ! La malédiction de Rigg soit sur elle et sur toute sa tribu !!
     Cependant, contrairement à toutes ses attentes, le mouvement de ses guerrières et des kalims se mua en… retraite… sous les vociférations de… Rakt’cheel. L’abordage du vaisseau des mâles eut cessé en quelques instants et déjà les pirogues s’extirpaient du guet-apens, pagayant à contre-courant, vers le reaver à la dérive, vers la cité en ruines… La guerrière-aigle décida de remettre les questions à plus tard lorsqu’elle bondit adroitement sur la pirogue de Rakt’cheel. Cette dernière ordonna la poursuite de leur fuite vers l’avant : quels qu’étaient les dangers qu’abritaient les ruines, ils devaient s’avérer préférables au sort que leurs réservaient les guerrières de la Gardienne de l’Amaxon.
     Alors qu’en même temps, l’Emmanuelle virait de bord, Ignea constata que la puissance de sa tribu se heurtait lamentablement à la confusion engendrée par la fuite simultanée de leurs cibles dans deux directions opposées. La moitié des guerrières prenait la tribu ennemie en chasse, l’autre souhaitait manifestement attaquer le vaisseau des étrangers, l’ensemble parvenait à se ralentir mutuellement ! Elle-même réalisa avec dégoût qu’elle ne savait guère sur qui porter sa soif de meurtre, que le refus unanime de ses ennemis de lui faire face était une disgrâce pour sa tribu et qu’elle devait prendre une décision rapidement.

     Les étrangers ne valaient pas autant que la tribu ennemie. Encore fallait-il remettre la main sur leurs guerrières…

     Quelques heures plus tard, à bord du reaver à la dérive, Alicia reprit péniblement conscience. Par un miracle que nul érudit n’aurait su expliquer, son corps fourbu lui obéissait encore.






     Le prince Aetholdyr Prestelance (Johannes la Flèche) vs le capitaine Sarquindi (Ethgri Wyrda)

     Alicia parvint à se dissimuler du mieux qu’elle le put dans les circonstances qui étaient les siennes : par Sigmar, si ses ennemis la retrouvaient maintenant, elle leur ferait payer sa capture au centuple et sa mort – par leur mort à tous. Au vu de son état lamentable, se cacher sous une pile de couvertures et de coussins entassés au fond de la cabine des officiers du reaver avait le bénéfice d’être confortable ainsi que de la rapprocher du potentiel gratin qui viendrait prendre ses quartiers dans la cabine, quel qu’il fût. Par Sigmar, elle se battrait jusqu’à son dernier souffle. Par Sigmar, son dernier souffle ne l’abandonnerait que lorsqu’elle aurait liquidé tous les ennemis présents à bord du navire.

     Ignorant tout de ce qui se tramait sous ses coussins, Phy’lis se laissa tomber sur eux avec délice. Il avait retrouvé son navire, les affaires reprenaient, la cité était à deux pas…
     « Cher allié, nous avons de la compagnie !
     - Capitaine – »
     Le passage-éclair de Sarquindi et son refus constant d’écouter les répliques du comédien jusqu’au bout avaient le don de plonger ce dernier dans une colère abjecte, éveillant à chaque fois un peu plus en lui l’envie irrationnelle de le poignarder en traître. Malheureusement, un bretteur tel que le capitaine du Rêve d’Atharti lui était plus utile vivant que mort… Comme pour les fois où ils avaient de la compagnie, tiens.
     L’elfe noir quitta prestement la cabine ; Alicia se permit enfin un grognement étouffé. Elle avait mal partout et il fallait encore que ce fût cette peste des mers qui débarquât !!

     Ignorant tout de cette haine envers les druchii concentrée sous un amas de coussins à bord de l’épave qu’il venait de visiter, Sarquindi avait son attention entièrement accaparée par ce qui devait être un navire humain, au vu de la laideur du bâtiment. Comment donc se faisait-il cependant que, partout où il pouvait y avoir des bannières, il n’apercevait que les couleurs du royaume ennemi de Cothique ? Cothique, Cothique…
     Non, décidément, tuer d’abord et poser les questions ensuite était plus simple et accessible pour lui comme pour ses elfes. Sarquindi dégaina son épée et la soupesa. Par Khaine, avait-il maigri ? Ses blessures finissaient-elles par avoir raison de son métabolisme ? Sinon, sa lame ne lui semblerait point légèrement plus lourde qu’à l’habitude. Du sang, de la chair bien saignante, voilà ce qui lui manquait depuis qu’il s’était permis de jouer avec sa prisonnière asure pour la perdre ensuite au premier nain venu ! Au premier nain venu, en plein milieu de la jungle, ah, ah, non, il n’avait pas fini de s’amuser dans cette jungle, ça non ! Au bercail, son récit serait tellement incroyable que, pour une fois, certains se sentiraient presque forcés d’y croire…

     La journée avait été longue à bord du Corbeau Centenaire, bien que ses nouveaux propriétaires n’utilisassent guère ce nom. La journée avait été longue car tous portaient dans leurs cœurs la crainte que la maladie et les blessures auraient finalement raison de leur prince. Ce dernier ne s’était calmé que lorsque le soleil eut commencé sa lente descente depuis le zénith et dormait depuis. Le médecin qui le veillait peinait lui-même à garder les yeux ouverts : guère moins endurant que n’importe quel autre elfe, il ne subissait pas moins les affres du climat tropical, de la sous-nutrition et de l’épuisement. Il avait fini par trouver un moyen de raffermir sa détermination en tenant constamment le pouce appuyé contre le pouls du prince Prestelance : son pouls était synonyme d’espoir pour lui, et il devait veiller sur lui coûte que coûte.
     Lorsque l’alerte fut donnée, Aetholdyr se réveilla en sursaut, provoquant un hoquètement de surprise de l’érudit assis à son chevet. Le prince fusilla celui-ci du regard, comme si en lui il trouvait la justification à tous les maux que leur expédition avait subis depuis le début, avant de se lever doucement, mais résolument, avant de se rasseoir. Les remerciements qu’il prononça à l’adresse du médecin furent si peu audibles que ce dernier ne sut que penser. Lorsque le Heaume des Mers toqua prudemment à la porte de la cabine, le prince fit au médecin un signe de tête pour qu’il ouvrât ; le rapport de l’officier à son prince provoqua chez celui-ci un rictus qui acheva de convaincre le soigneur que son seigneur était soit de nouveau en pleine possession de ses moyens, soit complètement fou.
     Aetholdyr ne s’embarrassa guère d’explications ni de discours cette fois-ci : il savait que pour équipage, sa seule apparition sur le pont suffirait pour la mise au point de son état comme de ses intentions. Ses calculs se confirmèrent ; ah, ils étaient allés aussi loin… Il était hors de question qu’il restât alité alors même qu’un combat glorieux les attendait ! Mort ! Mort à leurs sombres cousins ! MORT !!

     Le Rêve d’Atharti vira de bord, les corsaires savourant en avance la curée qui s’annonçait contre… L’empennage des flèches qui furent tirées sur eux leur confirmèrent qu’ils avaient bien affaire à de vieilles connaissances.

     Leurs insupportables cousins !

     Sur un navire de singes !

     Et après, c’était eux que l’on accusait de déchéance et de débauche !!  

     « Pour Cothique, pour Ulthuan et pour le Roi-Phénix ! »

     « MORT !! »

     Dans leurs esprits, asurs et druchii entendaient les échos des batailles livrées par leurs parents, leurs grands-parents et les parents de ceux-ci. Si certains d’entre eux parvenaient à rentrer un jour vers leurs terres natales, ils transmettraient à leur tour les récits de leurs combats sanglants contre leurs intraitables cousins de par-delà-les-eaux. Leurs enfants auraient beaucoup à apprendre…  

     Il n’y eut guère d’abordage : les deux navires avaient leurs ponts respectifs peu ou prou à la même hauteur ; asurs et druchii bondirent les uns sur les autres selon des gestes et des coutumes réitérés au cours de millénaires de guerre fratricide.
     Sarquindi et Aetholdyr se reconnurent de loin et nul ne commit l’affront de s’interposer entre eux à cet instant ; le prince et le capitaine apprêtèrent leurs armes et croisèrent le fer, une dernière fois, espéraient-ils tous deux.
     Tous deux ressentirent une boule au ventre au sortir de ce que chacun avait cru être un combat bref et inégalé. Tous deux avaient lamentablement raté les points vitaux adverses ; tous deux tenaient à peine debout (Aetholdyr : 2T, 1T annulée, 1T, 1B, 1 PV ! Sarquindi : 4T, 1T annulée, 3T, 2B, 1 invu, 1 PV !), chacun sentant ses blessures récentes se rouvrir dangereusement… (Sarquindi perd 1 PV !)
     Le combat faisait rage autour d’eux et ils eurent la même pensée simultanée qu’ils devaient absolument montrer l’exemple à leurs elfes et en finir au plus vite : le second échange fut bien plus foudroyant que le précédent, les deux combattants finissant par s’empaler mutuellement. (Aetholdyr : 2T, 2B, 2 PV ! Sarquindi : 3T, 3B, 1 invu, 2 PV ! Les deux combattants repartent à 1PV chacun)
     La douleur ne sembla que de faire décupler leurs forces : rugissant tels deux fauves, le prince et le capitaine, combattant tantôt sur le reaver, tantôt sur le navire humain, finirent par ne plus du tour faire attention à qui pouvait se dresser sur les trajectoires de leurs armes. Feintant et tranchant à l’envi, ils étaient tels deux élus de Khaine dans une arène de Naggarond, ferraillant aussi longtemps que leurs membres tenaient en place. (Aetholdyr : 4T, 3B, 3 PV ! Sarquindi : 5T, 5B, 1 invu, 4 PV ! Les deux combattants repartent à 1PV chacun)
     La lutte s’éternisa ; tout autour, asurs et druchii s’entretuaient avec une rapidité que les deux ennemis en vinrent presque à leur envier. Leurs bras refusaient de frapper juste, tremblants à cause de l’épuisement extrême de leurs maîtres. Ni l’un, ni l’autre n’envisagea à aucun moment de renoncer au combat.
     Aetholdyr : 3T, 3B, 3 PV ! Sarquindi : 4T, 3B, 1 invu, 2 PV !
     Aetholdyr : 4T, 2B, 2 PV ! Sarquindi : 5T, 5B, 1 invu, 4 PV !
     Aetholdyr : 3T, 3B, 3 PV ! Sarquindi : 4T, 4B, 4 PV !
     Aetholdyr : 2T, 2B, 1 PV ! Sarquindi : 4T, 3B, 3 PV !

     Sarquindi ne se souvenait plus de quoi que ce fût de semblable. Tout son corps martyrisé, il se sentait cependant plus vivant que jamais. Aetholdyr, quant à lui, sentait ses forces le quitter au-delà de la limite du supportable ; il surprit son adversaire lorsqu’il hurla de toutes ses forces « JUSQU’À LA MORT !! » au beau milieu de la mêlée, avant de lancer ses dernières ressources dans cet ultime assaut. Sarquindi, se sentant en train de se transcender soi-même, déjoua férocement les estocades du prince (Aetholdyr : 1T, 0B) avant de trouver enfin la fente entre le casque et l’armure de son ennemi, fente que sa lame effilée emprunta immédiatement pour lui trancher la gorge.
     Aetholdyr tomba sur un genou, faisant tomber sa lance et son bouclier. Il articula muettement une prière à Ereth Kial, expira en s’effondrant. (Sarquindi : 3T, 2B, 2 PV !!!)

***

     La nuit tombait-elle vraiment ? Pour les elfes de l’expédition du prince Aetholdyr de Cothique, elle était tombée pour de bon.

     C’était également le cas pour beaucoup de corsaires, peut-être trop même selon la tolérance druchii pour les pertes. D’ailleurs, ceux qui avaient survécu à la bataille étaient nombreux à être plus ou moins gravement blessés. L’ampleur des dégâts était telle que les derniers elfes valides devaient absolument s’assurer de la navigation du Rêve d’Atharti, détruisant à jamais les rêves de Phy’lis de pouvoir récupérer son propre navire. Quant au navire humain, il ne restait tout simplement ni assez de forces, ni assez de fantaisie pour qu’un druchii s’aventurât dans ses cales et ses cabines. Caprice du destin, les ruines dont ils avaient entr’aperçu les sommets étaient là, juste à côté, comme suggérant d’y prendre un refuge providentiel, comme si quelque chose pouvait être plus dangereux que la jungle…
     Sarquindi sourit en réalisant que personne n’allait profiter de son état de faiblesse avéré, pas même son cher allié, qui avait survécu, pour le meilleur et pour le pire. Trahir son congénère devenait étrangement contre-productif lorsque l’on se retrouvait en nombre si restreint au sein d’un territoire si hostile. Ah, ah, cette jungle… Ah, ah, qu’est-ce qu’il avait une drôle de tête, son soigneur, lorsqu’il s’étonnait que son capitaine ne fût pas mort de ses blessures… Il fallait cependant absolument qu’il dorme, oui, absolument…

     À bord du reaver abandonné, l’inquisitrice avait également succombé au sommeil au sein même de sa planque.

     À bord du Corbeau Centenaire, les elfes d’Aetholdyr Prestelance dormaient du sommeil éternel.


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Dim 11 Avr 2021 - 16:49
Intermèdes V




La Route d'Eldorado - Page 2 Chaqua13




     Le marin contemplait les édifices crevant l’océan de verdure, impassible, depuis la colline où ils avaient fait halte. Une trouée dans la canopée leur permettait d’apprécier enfin l’horizon depuis leur légère hauteur. La jungle émeraude s’étendait aussi loin que portait son regard. Pour lui, habitué aux profondeurs ou la surface de l’océan, là où l’on ne voit qu’à quelques centaines de mètres ou rien à des kilomètres à la ronde, s’en était déroutant. Au moins autant que les curieuses pyramides qui s’offraient à lui.

     En passant près des ruines appelées Tlanxla, selon la carte obtenue à leur départ de Sartosa, ils avaient déjà pu apercevoir ce genre de constructions. À la nuance près que celles-ci étaient non pas faites de pierre, mais de métal, brillant de mille feux en captant les rayons solaires. La cité d’or et ces énormes demeures étaient si proches. Ces pyramides, comme les appelaient les humains. Le même genre de structures primitives se trouvait a priori au-delà de l’Arabie, perdues dans le désert… Rien que de songer à ce lieu, l’homme-aquatique se faisant passer pour humain réprima un frisson.

     Un craquement sinistre le tira toutefois de ses pensées. Se tournant vers le reste de leur groupe de reconnaissance, le marin jusque-là stoïque ne put retenir une mine écœurée.

     Laissant choir la dépouille d’un humain, une créature bipède se releva et s’étira le dos, le bas du corps affublé de braies et de bottes de marin. Sa peau verdâtre roulait sur des muscles noueux et était moite d’humidité, reflétant la lumière du soleil. Accrochés à son crâne bulbeux et mou, des tentacules faciaux occupaient la partie inférieure de son visage là où aurait dû se trouver son nez et sa bouche, dégoulinant de sang. L'aberration au faciès de céphalopode écrasa le scalp du défunt de la botte, puis accorda un dernier regard au crâne défoncé, vidé de son contenu. Enfin elle tourna ses yeux écarlates, enfoncé profondément dans leurs orbites, vers le marin le plus proche. Pour établir un contact visuel, elle dû lever la tête, légèrement plus petite.

     Grognant, l’hybride d’homme et de pieuvre leva une main griffue en sa direction, le tentacule naissant au milieu de son avant-bras s’enroulant autour de son poignet. Le pirate déposa dans sa paume le médaillon ensorcelé réclamé et, une fois que l'aberration commença à l’enfiler autour de son crâne, elle laissa place au capitaine de la Loreleï. Ayant retrouvé son apparence humaine et sa chemise de toile, il batailla un instant dans sa barbe pour y glisser la breloque, puis se tourna vers un autre guerrier tandis qu’elle continuait de se mouvoir, faisant disparaître l’artefact sous la couche de poils mouvants. Son acolyte lui tendit manteau et tricorne dont il s’empara.

     Toutes traces du sang sur ses appendices et son torse avaient disparu dans l’illusion.

     « L’un des humains portait ceci, l'interpella un de ses marins en approchant une besace à la main. Cela devrait vous intéresser capitaine.

     Plissant le regard, il tendit la main, rose et en apparence normale, vers le contenant qui lui fut transmis.

     - Le propriétaire portait une robe malgré la chaleur et l’humidité, précisa son subalterne. Je suppose qu’il s’agissait d’un mage, mais il n’a pas pu lancer de sort. Nous l’avons criblé de carreaux en premier lors de l’embuscade.
     - Vous avez bien fffait, répondit Molos en regardant à l’intérieur.

     Dubitatif, il fouilla le contenu du doigt, y faisant rebondir quelques breloques. Puis une étincelle d’intérêt vint s’animer dans son regard. Il jeta de côté la besace, ne gardant en main qu’une fiole qu’il leva au-dessus de lui. La lumière vint jouer dans le liquide vermillon et épais.

     - Une fiole de sang, capitaine ? Interrogea l’un de ses acolytes.
     - Pas de sang non, corrigea-t-il. De la vie. Ceci, à Miragliano, s’arracherait une petite ffffortune.

     Esquissant un sourire ravi, il poursuivit :

     - Il s’agit d’une potion de soin. Cependant, le port Estalien est un peu loin pour faire des profffits. Et il se trouve que je sais déjà, précisément, ce que je vais en faire.

     Les membres de son équipage comprirent aussitôt ce qu’il sous-entendait : leur téméraire gladiateur serait bientôt remis sur pied.

     - Nous avons vu ce que je voulais voir, déclara Molos avec un regard sombre en direction des pyramides dorées. Si l’Appel se trouve en ce lieu, nous le trouverons. Rentrons à la Loreleï. »



***
***
***



     Alors que la nuit tombait sur la Lustrie et que la jungle plongeait petit à petit dans les ténèbres, une embarcation décrépite, tenant plus de l'épave que du navire fonctionnel, était en train de dériver lentement sur l'Amaxon. Portée par le cours d'un fleuve paresseux et indifférent à son destin, cette parodie de vaisseau, à la coque malmenée et aux voiles déchirées, finit enfin par s'échouer sur la rive dans un grand grincement, penchant désormais à un angle improbable au-dessus du sable.
     Soudain, de longs filets de sang, débordant des sabords et du bastingage, ne tardent pas à s'écouler, puis se répandent au sol, ou dans l'eau, tout autour du navire.

     Encore et encore, du sang se déverse de cette carcasse de bois, dans un silence de mort, pendant de longues minutes.
     Tellement de sang.
     Un vampire en aurait pâli d'envie.

     On pouvait se douter qu'à la faveur de la nuit, tous les prédateurs et charognards de la forêt tropicale allaient se précipiter sur cette épave.
     Mais ce ne fut pas le cas, pas du tout même.
     Au contraire, aucune bête n'osa vraiment s'approcher de ce sinistre endroit. Toute la faune des environs semblait éviter ce navire dévasté, autant que possible, dérangée par le silence de plomb qui l'entourait, et par l'atmosphère, glaciale, qui régnait désormais à son bord.
     Seuls quelques perroquets, muets, se tenaient à la lisière de la jungle; perchés du haut de leurs arbres, ils observaient d'un air craintif les dizaines de cadavres, de têtes, de mains et de pieds, livides ou sanguinolents, qui jonchaient le pont saccagé de cette épave.

     Une rafale de vent, soudaine comme froide, parcourut alors les environs, soufflant et agitant tout ce qu'il restait à bord de ce navire dérangeant. Et ce que virent alors ces oiseaux les fit s'envoler à toute vitesse, poussant des cris de terreur à travers les arbres et la canopée.
     Entre les corps massacrés et les débris de bois, on aurait juré apercevoir une ombre irréelle.
     Une silhouette, d'une pâleur spectrale, figée sur le gaillard du bateau, semblant contempler le carnage immonde qui s'étendait sous ses yeux, sur les planches de l'épave.
     Mort et Violence avaient marqué de leurs stigmates l'apparence de ce fantôme. Son armure éthérée était désormais souillée par le sang, cabossée et même défoncée à certains endroits; une profonde entaille parcourait dorénavant sa gorge, sur toute sa largeur.

     Un spectre; un charnier; une épave: voilà tout ce qu'il restait d'Aetholdyr Prestelance et de sa fière expédition.

     De son vivant, le prince avait toujours été un elfe énergique, intrépide, voire téméraire; jamais l'abattement ne l'avait atteint, pas même dans les moments les plus durs de ce périple.
     Et pourtant, voilà maintenant que son visage fantomatique arbore un air lugubre, au centre duquel trône un regard vide, alors qu'il ne cesse de regarder la conclusion, funeste comme sanglante, de son périple au sein de cet enfer vert.
De son vivant, le guerrier avait toujours été quelqu'un de déterminé, convaincu, persuadé de la justesse de sa cause et de ses actes; il avait toujours eu cette certitude que jamais, au grand jamais, les sacrifices consentis par lui et son équipage ne seraient vains.
     Et pourtant, le voilà, lui, Grand de Cothique, en train de découvrir le goût amer de la défaite, et de l'échec.
     Ses épaules spectrales s'affaissèrent, et son visage balafré s'assombrit encore plus, l'aigreur raffermissant son emprise sur son esprit. Il se rendit alors compte qu'il était, quelque part, en tant que commandant, le seul responsable de cette fin tragique.

     Il avait été à la tête de l'un des meilleurs équipages d'Ulthuan, voire du Monde Connu. Des soldats disciplinés, talentueux et dévoués, l'avaient loyalement servi tout au long de son périple; tous étaient prêts à l'ultime sacrifice pour apporter Victoire et Gloire à leur nation.

     Et lui, en se comportant comme un aventurier hardi et exalté, voilà ce qu'il en a fait....

     "Incapable....Tu as échoué...."

     Cette phrase, lancinante, murmurée sans relâche par des voix irréelles, n'arrêtait pas de hanter l'âme d'un prince désormais déchu.
     Ses orbites vides se posèrent alors sur chacun des elfes qui jonchaient le plancher du navire, reposant au sein des ombres, baignant dans des flaques de sang. Tous avaient été démembrés, éviscérés, décapités ou estropiés par une haine ancestrale, et par un combat sans fin. Leur élégants uniformes étant désormais déchirés, débraillés, et souillés par le sang.

     "Incapable....Tu as échoué...."

     Toujours nimbé d'une aura sépulcrale, le fantôme d'Aetholdyr ne put s'empêcher de penser à sa famille, et à celles de ses hommes.
     Il ne put s'empêcher de penser aux parents, qui ne verraient pas leurs fils rentrer au foyer; aux enfants, qui ne verraient jamais revenir leurs pères dans leurs demeures; aux veuves éplorées, qui supplieraient aux dieux le retour de leurs maris, en vain....

     "Incapable....Tu as échoué...."

     Une immense trouble s'empara alors de son esprit, lorsqu'il pensa à quelqu'un en particulier. À sa simple évocation, l'émoi ne tarda pas à rejaillir en son âme, allant jusqu'à tirer les traits de son visage, déjà spectral et émacié. Cette même figure qui, de son vivant, lorsqu'il faisait face à cette fameuse personne, s'était figée dans la retenue et le stoïcisme.

     ....Dame Yelmerion....

     "Incapable....Tu as échoué...."

     Le spectre lugubre détourna alors son attention de l'épave, tentant d'oublier les reproches et les remords qui assiégeaient ses pensées. Son regard se perdit dés lors dans le lointain, sur l'horizon de l'Amaxon.
     D'un coup, il aperçut une autre nef, aux courbes agressives et à la voilure sombre, qui s'éloignait vers la Cité d'Or. Ses meurtriers se tenaient là, sous ses yeux, s'écartant de lui sans être inquiétés, sans qu'il puisse les pourchasser et se venger d'eux.
     À cette pensée, tous les regrets qu'il avait éprouvé jusqu'ici refluèrent de son esprit.
     Désormais, il semblait dévisager le navire des naggarothii, d'un regard imperturbable, froid, insensible.
     Haine et Rage, qui avaient pu s'emparer de lui lorsqu'il était en vie, n'arrivaient tout simplement plus à atteindre le revenant brumeux qu'il était devenu.
     Une phrase, une seule phrase résonna à ce moment dans son esprit.

     "Le devoir est plus lourd qu'une montagne; et la mort est plus légère qu'une plume."

     Dans cette expédition, le Prince de Cothique avait quasiment tout perdu; son navire, ses ambitions, ses soldats, et jusqu'à sa propre vie. Il ne lui restait plus que deux choses: l'honneur, celui d'avoir lutté, sans relâche, sans fuir, jusqu'à son dernier souffle, contre ses maudits cousins; et ce fameux sentiment du devoir accompli, envers sa famille, son pays, sa race, et aussi envers lui-même.
     Soudain, il se revoit alors dans le passé, au campement, à moitié fiévreux et juché sur une barque, en train de faire son discours à ses troupes.

     "Les dieux nous regardent! Ils jugent et jugeront nos actions futures!"

     Aux yeux d'Aetholdyr, cette phrase prend tout son sens désormais....
     Le Panthéon l'a regardé, lui et ses hommes, et a jugé que l'heure était venue, que son destin s'arrêterait ici, dans cette jungle.

     Si le nom de Prestelance, et de ceux qui ont combattu avec lui, ne ressortiront pas de Lustrie couverts de gloire, ils ne seront pas non plus marqués du sceau de l'opprobre. Il ne sera pas dit qu'ils rentrèrent honteux, accablés pour leur réputation et leurs familles, sans panache ni trésor pour leur patrie.

     Ulthuan n'a pas perdu la face.

     Une nouvelle rafale de vent souffla alors à travers la jungle. Et au cœur de la nuit, sur le navire, la silhouette spectrale s'estompa, peu à peu, avant de s'évanouir définitivement, rejoignant enfin l'au-delà.

     Oui. L'honneur est sauf.
     Même si pour cela, il a fallut payer le prix du sang...


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Dernière édition par Essen le Lun 12 Avr 2021 - 10:41, édité 1 fois
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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Dim 11 Avr 2021 - 17:09

     Cela faisait maintenant plus de quatre jours qu’Heinrich et Sargath erraient dans la jungle inhospitalière à la recherche de la cité perdue de Chaqua. Soudain, ils entendirent un bruit de piétinement répété et furent presque écrasés par une salamandre ancestrale pourchassée par quelques skinks menés par un skink à crête rouge, décidément cette jungle est pleine de danger. L’immense créature laboura l’armure du général lahmiane et déchiqueta son corps mais ses pouvoirs de régénérations lui permirent de tenir le temps qu’Heinrich fasse tomber un arbre sur le monstre en sciant le tronc à l’aide de son épée. Le monstre bougeait néanmoins et tenta de cracher un jet de flammes qui se répandit rapidement dans la végétation luxuriante. Alors qu’il rôtissait sur place, Sargath usa de toute sa volonté pour outrepasser la souffrance et avancer à travers le torrent de flammes tandis qu’Heinrich grimpait sur le dos du monstre. Le von Carstein enfonça son épée dans la nuque du reptile écarlate ce qui stoppa le jet de flamme et Sargath put ouvrir une longue entaille dans son cou, dans la peau tendre et non carapaçonnée et s’abreuva du sang qui lui fit repousser la peau  sur ses os calcinés. La créature se releva ensuite avec une lueur améthyste dans les yeux, tandis que Heinrich von Carstein vacillait en contrecoup de ce qu’il lui avait fallu pour relever une créature aussi massive. Le reptile en question tua rapidement les quatre skinks armées de lances puis Sargath embrocha leur commandant et se bût son sang pour reprendre des forces. Ils mirent le précieux liquide dans quelques fioles puis montèrent à dos de leur nouvelle acquisition. Ils progressèrent vite et virent bientôt sous leurs yeux émerveillés la cité dorée.

***
***
***

     « Herr Fiodor, je ne vous crois pas. Un orgue ne pourrait jamais rentrer à l’intérieur d’un navire. J’en ai déjà vu un au castel Drakenhof, sa hauteur fait au moins la taille du mât ! »

     Les deux vampires étaient dans l’eau jusqu’à la ceinture. Le chroniqueur avait la désagréable sensation de sentir des choses louvoyer entre ses jambes et la sensation de ses pieds sur le limon tendre du fond des eaux lui plaisait encore moins. Toute l’opération n’était censée durer que quelques minutes mais chaque minute lui paraissait durer trop longtemps, aussi il avait engagé la conversation avec son nouveau capitaine d’équipage, Fiodor le Non-Mort.

     « Vous pensez bien, Herr von Essen, que les instruments peuvent varier en taille en fonction des besoins ! »

     Un grincement salutaire suivi du mouvement subit de leur fardeau indiqua au capitaine vampire que leur langschiff venait enfin d’être extirpé des mangroves. Fiodor ne comprenait pas encore comment ils allaient s’en sortir, avec des rameurs morts-vivants dont le maître ne maîtrisait que fort mal la cadence, mais c’était déjà au moins ça de fait.

     « Il doit alors faire la taille d’un clavecin, votre instrument ! C’est un clavecin, c’est ça ? »

     Ils avaient passé la journée à progresser lentement, du fait notamment de l’application des deux vampires à se dissimuler tant bien que mal du soleil à bord de l’étroit langschiff. Au crépuscule, le mystérieux « Von Essen » avait jugé bon d’accélérer la cadence, le tout pour perdre le contrôle du navire quelques minutes plus tard et rentrer dans une haie de mangroves. Fiodor ne savait pas s’il trouvait la mésaventure comique ou pathétique. Un peu des deux, en réalité.

     « Non, Herr von Essen ! L’orgue à bord de mon navire est imbriqué dans la poupe du vaisseau ! Sa taille est respectable et les sons qui en sortent n’ont rien à voir avec ceux d’un clavecin !

     - Et des canons, alors, avez-vous des canons à bord de votre navire ?
     - Des canons ? Mais bien entendu que le Corbeau Centenaire dispose de canons à son bord ! Qu’allez-vous donc croire !
     - Ah, bonté gracieuse ! Peut-être arriverons-nous enfin à nous défaire de ces maudits elfes avant-même qu’ils ne vous démontrent encore une fois à quel point ils sont bons bretteurs ! »

     Ils venaient de remonter à bord du langschiff lorsque Von Essen se fendit de cette dernière remarque. S’ensuivit un regrettable malentendu avec son capitaine, qui eut pris ces propos comme une pique envers lui-même, et il coûta encore beaucoup de mots placés ici et là pour qu’enfin le chroniqueur lui expliquât que lui-même n’était tombé quasiment que sur les maudites longues-oneilles au cours de sa traversée. Les lunes jumelles étaient hautes dans le ciel nocturne lorsque les nordiques trépassés s’emparèrent à nouveau des rames et le vaisseau revint au centre de l’Amaxon.

     « Herr von Essen ? »

     L’intéressé, assis contre la proue du langschiff, venait d’enlever ses bottes et s’efforçait d’en évacuer le résidu vaseux du fleuve. Fiodor aperçut un bref éclair de frustration sur ses traits, qui lui rappela immédiatement la fureur de vampire lorsqu’il fut tombé sur lui la nuit précédente. Le massacre autour de lui avait alors beaucoup moins importé que l’intensité de cette fureur que le capitaine lui aperçut cette nuit-là : c’était de la rage mais de la rage consciente, dirigée non pas contre ceux qu’il venait de pourfendre ou d’immoler vivants, mais contre des puissances obscures, dont le capitaine avait entendu parler.

     « Je croyais que nous en avions fini, Herr Fiodor.
     - J’ai une proposition à vous faire. Vous comme moi souhaitez remonter ce maudit fleuve au plus vite, n’est-ce pas ?
     - Evidemment, oui !
     - Pensez-vous pouvoir accélérer la cadence de vos rameurs en évitant les accidents, cette fois-ci ?
     - Non, absolument pas.
     - Si vous m’en cédez le contrôle, je saurai obtenir un résultat qui me satisfera… Je veux dire, qui nous satisfera tous deux. »

     Fiodor se tenait debout, à quelques pas du chroniqueur. Ce dernier le regarda droit dans les yeux ; dans la pénombre nocturne, les prunelles du vampire brûlaient tels deux charbons ardents. Fiodor n’apprécia guère ce regard mais il avait vu d’autres. De plus, il s’était attendu à ce genre de réaction.

     « Vous savez, prononça Von Essen, j’y avais songé. Cependant, je dois vous avertir, capitaine : mon ignorance totale de l’art de la navigation n’est pas la seule raison pour laquelle ces rameurs ont été aussi… hasardeux à contrôler. Voulez-vous m’entendre jusqu’au bout ?

     - J’écoute, Herr.
     - Vous avez sans doute observé qu’il ne s’agit guère de simples zombies : j’ai capturé leurs âmes au moment où elles quittaient leurs corps et leur ai refusé le repos des trépassés. Au-delà même d’âmes puissantes rappelées depuis l’au-delà, affritées, incomplètes, celles-ci gardent quasiment toute leur intégrité, toute leur force. »

     Le chroniqueur marqua une pause, s’attendant à recevoir une quelconque critique vis-à-vis de tant de complications. Le capitaine fit cependant preuve d’une agréable retenue.

     « Je pense que vous devinez au moins les contours de la suite, Herr Fiodor. Ces « rameurs » luttent à chaque instant pour se libérer de mon emprise et s’extirper de leurs prisons charnelles pour de bon. Si je vous en cède le contrôle, je ne garantis même pas ce qui va arriver : au mieux, vous allez les perdre. Au pire, il vous en coûtera, à vous, d’avoir tenté de dominer ces âmes ardentes.

     - Je vous les rendrai dès que nous arriverons à retrouver mon vaisseau, Herr von Essen. Rien, pas même ces trente-huit âmes ardentes, ne peut se dresser entre moi et mon vaisseau.
     - Capitaine ?
     - Maître d’équipage ?
     - Je déteste mettre en doutes vos capacités, capitaine, mais je n’aime guère cette idée. »

     Von Essen gratifia de son attention le seul mort-vivant qu’il ne contrôlait pas à bord du langschiff, les zombies de Fiodor ayant tout simplement été chargés à bord sous leur forme inerte, dénuée de dhar. Il lui semblait en avoir croisé d’autres, des « comme ça », à une autre époque, sur un autre continent…  
     « Considérez cela comme la décision du capitaine.

     - Et que faisons-nous si la « décision du capitaine » lui joue un sale tour, capitaine ? »
     Ah, cet humain, aussi, n’était guère dénué d’intérêt. Il en avait aussi vu, euh… Bah ! Il suffit avec le passé !
     « À votre aise, Monsieur Flouz. On ne joue pas de « sale tour » à un loup de mer tel que moi.
     - Disons que le sort de mon collègue de Parravon sera décidé par le vôtre, capitaine. Moi, en revanche, je me retrouverai seul à seul avec Herr von Essen.
     - Monsieur Flouz, je vous trouve fort malpoli avec notre hôte. Tenez, en gage de pardon et de notre belle alliance, pourquoi ne lui offririez-vous pas votre bras ? »

     Cela devait sans doute être l’éclat verdâtre de Morrslieb qui éclairait présentement le visage mal rasé du mortel ; même sans cela, le chroniqueur aurait immédiatement senti son sang quitter les traits de son visage à cette annonce. Cependant, il devait mettre un terme immédiat à ce malentendu :

     « J’apprécie le geste, Herr Fiodor, mais je refuse la proposition. Le saviez-vous ? Non, vous devriez le savoir, en réalité : vous comme moi avez sans doute croisé au moins une amazone en arrivant en Lustrie ?
     - Une amazone ? Cette mortelle qui…
     - Qui se tenait à l’embouchure du fleuve, oui.
     - Eh bien ?
     - Eh bien je ne quitterai point cette jungle avant de m’être gorgé de sang d’une de ses congénères, voilà ce que je dis ! »

     Fiodor eut un rictus. Ce vampire était demeuré aussi indéchiffrable maintenant qu’il l’avait été vingt-quatre heures plus tôt, cependant une constante persistait : la détermination et la démesure. Deux qualités qui faisaient du « chroniqueur des von Carstein » quelqu’un d’appréciable à ses yeux. De plus… Bah, ils avaient déjà assez perdu de temps !

     « Bien parlé, Mein Herr. Je serais presque prêt à vous accompagner dans votre chasse, si l’occasion se présente encore devant nous. En attendant, acceptez-vous ma proposition ?
     - Vous voulez dire que vous ne renoncez pas ?
     - Je trouve l’expérience aussi intéressante que nécessaire.
     - Dans l’éventualité où vous réussissez, je vous prie de ne pas retourner mes chiens de guerre contre moi. Je détesterais d’avoir à les tuer à nouveau.
     - Balivernes ! Je suis prêt, Herr von Essen.
     - Bonne chance, Herr Fiodor. Ein… Zwei… Drei ! »

***
***
***

     Plusieurs heures s’étaient écoulées. Des heures où le langschiff, actionné par des revenants et des zombies, avait avancé à un rythme soutenu. À la barre, Fiodor hurlait des ordres aux cadavres calcinés qui avaient jadis été des norses avec l’assurance d’un maître en son logis. Il n’en avait pas besoin, et le savait très bien. Depuis que Von Essen lui avait transmis le contrôle de feu son équipage, il avait immédiatement organisé ceux-ci de façon à optimiser le fonctionnement du navire. Il lui avait fallu quelques temps pour en acquérir la maîtrise, car lui-même n’avait jamais vogué sur un tel bâtiment, mais son expérience avait fini par prévaloir. Désormais, le langschiff avait atteint sa vitesse de croisière, et fendait les flots d’apparence calme du fleuve Amaxon.

     Toute la concentration de Fiodor était divisée entre deux choses : le pilotage, c’est-à-dire le contrôle des morts-vivants pour les faire ramer en cadence, et aussi et surtout le maintien de sa mainmise sur ces marins non-morts. Ce dernier point n’était pas une mince affaire. Comme le soi-disant ‘chroniqueur des von Carstein’ – dont la présence ici loin de tout membre de cette lignée était en soit incompréhensible – lui avait indiqué, ces créatures n’avaient de cesse de lutter contre leur situation. Il devait déployer toute sa maîtrise des arcanes pour maintenir leurs âmes de force dans leurs corps, usant pour cela d’un subtil mélange des vents de la mort et de l’ombre. Il devait tisser, filin après filin, des liens de magie qui emprisonnaient âmes damnées et corps carbonisés. Ce travail était d’autant plus difficile qu’il s’agissait d’âmes de guerriers fiers et orgueilleux, qui n’avaient aucune notion de la soumission. Aucune importance pensa sombrement Fiodor, je le leur apprendrai. Certains de ces revenants, mouvantes insultes à la vie, déambulaient sur le pont en rondes bien ordonnées. Ici, à tout heure du jour et de la nuit, il fallait être prêt à se battre.

     À la proue du bâtiment, Marcel de Parravon scrutait les ténèbres, les deux flammèches de ses orbites perçant la nuit avec l’acuité d’un chat. Le revenant bretonnien se tenait coi, affectant l’immobilité du serpent qui scrute sa proie. Car dans son crâne vide, ses pensées tourbillonnaient. Sa propre nature de revenant lui provoquait une certaine pitié pour les nouveaux – et temporaires – esclaves de son capitaine, qui contrairement à lui n’avaient pas eu le temps de se faire à leur nouvelle condition. Pitié tempérée par deux choses : sa haine ancestrale de tout ce qui était un adorateur de la ruine, et sa profonde méfiance quant aux capacités de Fiodor à les maintenir sous son emprise. Il sentait, de façon diffuse et parcellaire, que le capitaine non-mort faisait de son mieux, et le résultat n’en finissait pas de l’impressionner. Pour l’instant, il n’avait pas eu à déplorer la moindre perte de contrôle. Mais il était méfiant, et si sa vue était fixée sur les ombres devant eux, tous ses autres sens étaient focalisés sur ses arrières.

     Accoudé à la poupe, Von Essen rêvassait, légèrement intrigué par son nouvel ‘associé’. Ce dernier s’en tirait plutôt bien avec les morts-vivants, bien que n’ayant pas vraiment sa propre maîtrise. Bah, on ne pouvait pas vraiment attendre mieux d’un roturier, fusse-t-il un vampire. Mais pour un roturier, il avait des passe-temps plutôt associés à l’élite. La musique, ce n’était généralement pas l’affaire des gueux, mais plutôt des gens de bien. Ce voyage est décidément plein de surprises, pensa le seigneur vampire en époussetant une poussière imaginaire sur son épaule. Son regard capta la présence de monsieur Flouz, qui examinait le langschiff sous toutes les coutures. Les effluves de la vie titillèrent ses narines et ses pensées avec l’obstination d’un amoureux éconduit. Mais Von Essen repoussa cette soudaine envie avec désinvolture. Ce genre de nourriture était bonne pour le bas peuple. Il ne trahirait pas son vœu de se nourrir de l’amazone, dû-t-il mettre la forêt à feu et à sang. Surtout à sang. Il n’avait d’ailleurs pas manqué de remarquer la présence quasi révoltante de certaines de ces exquises femelles parmi les rangs des zombies de Fiodor. Ainsi donc, cet agrégat de contradictions qu’était ce capitaine vampire avait rencontré des amazones et n’en avait pas ramené une seule vivante pour sa consommation personnelle ? Mais à quel point fallait-il être obtus pour en arriver là ?

     Un cri interrompit ses pensées, pour son plus grand bonheur.

     « Bateau en vue ! »

     Fiodor ne perdit pas de temps. Ses ordres inutiles fusèrent.

     « Bougez-vous, bande de chiens galeux ! Tenez-vous prêts à l’abordage ! Le premier qui lambine je le met au bout d’une corde et je m’en sers comme ancre ! Flouz, à la barre. »

     Cette dernière instruction provoqua chez Von Essen un sursaut d’intérêt. Ainsi, ce grand escogriffe mécontent était capable de tenir un gouvernail ? Il fallait vraiment que ce Fiodor soit bête pour ne pas l’avoir laissé faire dès le début. Bête, ou terriblement désœuvré. D’un pas nonchalant, le chroniqueur rejoignit la proue, où l’attendaient déjà Fiodor et Marcel de Parravon.

     « Aucun doute capitaine. » tonnait le revenant bretonnien. « Ce bateau a dérivé avec le courant et ne bouge pas d’un pouce. Mais il n’est pas assez endommagé pour avoir chaviré. Mille civadières, s’il reste quelqu’un à bord, il doit être en mauvais état. »

     Fiodor ne répondit rien, tout à la contemplation de la silhouette allongée à moitié renversée sur la berge, légèrement sur la droite, à deux ou trois encablures. Elle n’était pas difficile à distinguer à présent, malgré les nombreuses branches et troncs d’arbres qui dépassaient constamment de la jungle environnante. Le grand mât de l’embarcation se voyait bien, d’autant que, par chance, les deux lunes brillaient intensément. Von Essen avait l’air intrigué.

     « Flouz ! » La voix de Fiodor évoquait les grommellements d’un nain revanchard. « Mène-nous devant. Nous allons voir à son bord. »

     Silencieusement, le second obéit, et pendant de longues minutes seules le grincement des rames brisait le silence sur le bateau, silence rendu tout relatif par le bruissement de vie de la jungle alentours.

     « Vous perdez votre temps si vous pensez trouver qui que ce soit de vivant à son bord » fit soudain la voix nonchalante de Von Essen, qui s’était approché. « Je n’entends rien à son bord, pas le moindre soupir ou cliquetis de pistolet. Rien que le clapotis de l’onde. Et je sens aussi…
     - Du sang. »

     Fiodor avait répondu sans le regarder, tout son corps vibrant à l’idée seule de ce nectar. Pourtant, il s’était nourri la veille, et à plusieurs reprises. C’était parfois difficile de se contenir. Mais là, étrangement, l’odeur n’avait rien de divin, au contraire même. Ce sang n’était pas récent, du moins pas autant qu’il aurait fallu. Il avait coulé depuis plusieurs heures.

     « Capitaine…Ce bateau, c’est…c’est »

     Fiodor cessa de penser au sang et se concentra sur son environnement. Et avant qu’il ait pu demander à Marcel d’arrêter de bégayer, tout son être se figea. Le bateau échoué, qui n’était plus qu’à une vingtaine de mètres, se révélait à lui dans toute sa beauté.

     C’était le Corbeau Centenaire.

     « Vous reconnaissez ce navire, cher associé ? »

     Fiodor n’entendit même pas la question de Von Essen. Il avait retrouvé son bâtiment, contre toute attente. Sa conscience se focalisa dessus. Un battement de cils plus tard, il atterrit à bord.

     Sur le langschiff, von Essen laissa échapper un sifflement admiratif. « Je n’imaginais pas ce Fiodor capable de se changer en brume. Décidément, votre capitaine est plein de surprises. » Son ton était badin, comme si la scène toute entière était une simple distraction. Mais son regard perçant n’avait rien perdu des détails. Il nota que Fiodor n’avait d’ailleurs pas relâché son contrôle sur les rameurs, et ce malgré son trouble évident. Souhaitant être là où se passe l’action, il le rejoignit en un instant.

     Fiodor, lui, resta un instant immobile, la main posée sur le pommeau de son épée, les yeux luisant de colère alors qu’il détaillait la scène macabre qui s’offrait à lui. Le pont du Corbeau Centenaire avait manifestement été le lieu d’un combat sans merci entre des elfes et…d’autres elfes ? Le doute n’était pas permis, au vu de la posture de nombre de ces cadavres aux oreilles pointues. Son poing se serra en même temps que ses dents. Mais quel était ce monde où ses pires ennemis s’entretuent d’eux-mêmes ? L’affrontement avait aussi partiellement endommagé le bateau lui-même, plusieurs endroits du bastingage étant brisés, et des voiles arrachées. Fiodor se mit à déambuler au hasard, scrutant les corps aux visages figés dans des expressions diverses comme la haine, la peur, la rage ou l’incompréhension. Rien que de très classique en somme. Mais quelle tristesse de n’avoir pas pu être là pour causer ce carnage lui-même.

     Von Essen secoua la tête d’un air navré.

     « Ainsi, Herr Fiodor, si je comprends bien, nous avons retrouvé votre vaisseau ? Asurs et druchiis s’en sont visiblement servi comme champ de bataille. Mais à part ça, il a effectivement fière allure. »

     Fiodor laissa éclater sa colère.

     « Quelle sale engeance ! Les salopards, les enfoirés ! Ils m’ont volé ma vengeance ! C’était ma prérogative de les tuer, mon droit, mon droit exclusif de les écharper jusqu’au dernier ! Mais il a fallu que d’autres sales elfes m’en aient privé ! Et sur mon bateau, pour ajouter à l’humiliation. Pourquoi, pourquoi, est-ce qu’à chaque fois qu’une chose se passe mal, je me rends compte qu’un de ces oreilles pointues est dans le coup ?
     - Parce qu’ils ont la fourberie dans le sang, voilà pourquoi, Herr. Mais ne vous laissez pas abattre. Vous avez récupéré votre vaisseau. Quant à votre vengeance, elle peut toujours avoir lieu. Il vous suffit de retrouver ceux qui ont gagné ici. Ils ne peuvent être loin. Ils ont perdu pas mal des leurs, à ce que je vois. Oh, lui je le connais… »

     Le regard de von Essen s’était posé sur l’un des corps. Ce dernier était celui d’un asur, comme l’indiquait les quelques taches blanches de son armure, même si la quasi-totalité de celle-ci était recouverte de sang. Fiodor s’approcha à son tour, et retourna le cadavre sur le dos d’un coup de pied, révélant le visage exsangue et la gorge tranchée d’Aetholdyr Prestelance. Derrière eux, le langschiff s’était posté à côté du Corbeau Centenaire, et les revenants mettaient en place une passerelle entre les deux.

     « Moi aussi je le connais » finit par cracher Fiodor. « Je lui en dois un.
     - Un quoi ? »

     Sans répondre, le capitaine vampire se saisit de la lance du prince, gisant au sol à côté de lui, et en poussant un cri de rage il l’enfonça dans le corps de son ancien propriétaire, le clouant sur le pont juste dans le cœur.

     « Un empalement. »

     C’est soudain l’air plus détendu qu’il avisa von Essen.

     « Mein Herr, je suis navré, mais je crains que votre prise de guerre ne soit momentanément morte. Aucun des elfes présents ne peut, je pense, vous satisfaire. »

     Le chroniqueur eut un acquiescement désolé.

     « J’en conviens.
     - Je vous propose donc de poursuivre les responsables de ce gâchis jusque dans la cité d’or. Pour peu que personne ne nous dame le pion une nouvelle fois, nous pourrons retrouver ces elfes et leur faire payer cet affront. »

     Le rictus sadique de von Essen aurait suffi à faire frissonner un norse aguerri.

     « C’est d’accord ! »

***
***
***

     « Pour la dernière fois mein Herr, ce n’est pas ma faute si la salamandre se déplace en dodelinant de l’arrière-train. Si nous n’avons pas croisé ces écailleux sur son dos, c’est bien qu’il doit y avoir une raison. Alors accrochez-vous, et laissez-moi la diriger en paix. »

     Réajustant son armure à moitié carbonisée, Sargath grommela tout en s’accommodant, résigné, des instructions de son second – et seul membre d’équipage restant. Mais il lui répondit tout de même pour la forme.

     « Et pour la dernière fois, ce n’est pas ‘mein Herr’, Heinrich, c’est ‘Héraut’, ou ‘Héraut des milles lames’. Et tâche de la faire aller dans la bonne direction, j’ai l’impression que nous dévions. »

     Heinrich, dont la tenue de cour était tellement délabrée que même une friperie de Mousillon n’en voudrait pas, sans parler de la ruine qu’était son armure, ne pipa mot. Il se concentrait pour ne pas perdre le contrôle de l’immense créature rouge, dont les plaies suppurantes commençaient désormais à sérieusement offenser ses sens. Le héraut des mille lames lui-même n’avait pas non plus aussi fière allure qu’à leur arrivé sur ce fleuve, la moitié de son visage portant encore les stigmates de leur rencontre brûlante avec la salamandre, alors vivante. Une partie de ses vêtements avaient brûlé sous le feu, et le reste était désormais couvert d’une suie qui s’était révélée tenace. Qu’importe, cependant. La cité d’or était bien devant, immanquable à travers la végétation pourtant dense de la jungle, végétation que leur monture écrasait sur son passage. Plus qu’à voler un bateau, assujettir son équipage, remplir les cales du métal précieux, et repartir en sens inverse.

     Un jeu d’enfant.

***

Quelques centaines de mètres plus loin, où la jungle cédait à la place à l’Amaxon, sur un langshiff désormais attaché par un solide cordage de chanvre au Corbeau Centenaire, un autre vampire en tenue de cour presque aussi peu fraiche esquissa un sourire. Cette sensation, cette vergence dans les vents les plus obscurs, c’était…oui, c’était de la nécromancie. Il jeta un œil dans la direction du phénomène, mais ne vit rien. Seule la jungle lui rendit son regard, aussi impénétrable qu’un nain à la nouveauté. Ses autres sens ne l’informèrent pas plus. Odorat et ouïe étaient depuis longtemps saturés par le carnaval de vie de la faune et de la flore environnante. Il y aurait de quoi rendre fous les vampires les plus faibles, mais pas Von Essen. Ce dernier admit, en toute humilité, qu’il était fortement intrigué. À sa connaissance, le seul autre nécromant des environs était son allié, Fiodor le Non-Mort, dont le bateau récupéré naviguait en tête de leur petite formation. Il pouvait même entendre d’ici les hurlements de ce curieux revenant, qui, ayant retrouvé des marins – quoique zombifiés – s’en donnait à cœur joie. Mais Fiodor lui-même était trop occupé à commander son nouvel équipage par sa propre nécromancie, et cela, von Essen le sentait. Il n’y avait rien, rien qui établisse sa responsabilité dans ce phénomène. La meilleure explication était encore la plus simple : il y avait un troisième nécromant dans le coin.

     Von Essen se mit à faire les cent pas, sous le regard enflammé de ses revenants norses qui attendaient leur heure, immobiles auprès de rames devenues inutiles. Que faire ? Il se refusait à ignorer cette apparition aussi singulière qu’invisible, à laisser partir la seule manière de tromper l’ennui de la journée, ou plutôt de la fin de cette nuit. Mais alors quoi ? La rejoindre ? Seul ? Hors de question. Il l’avait déjà essayé une première fois et s’était fait pourfendre sur place par cette elfe au bouclier qui faisait très mal. Non, il allait tenter quelque chose de plus indirect, peut-être plus insidieux. L’idée-même le fit sourire.

     Se précipitant à l’avant, il héla son allié.

     « Herr Fiodor ! Avez-vous senti la même chose que moi ? »

     La réponse, prononcée d’une voix impatiente, trahissait la concentration dont faisait preuve le capitaine vampire pour piloter son vaisseau par nécromancie, vaisseau qui devait de surcroît charrier le langschiff de son impossible allié.

     « Oui ! Nous ne sommes pas seuls !
     - Alors ralentissez, je vous prie ! Il y a quelque chose que j’ai envie d’essayer. On va s’amuser. »

     Fiodor ne répondit pas, mais leva le bras. Aussitôt, les mouvements des zombies changèrent de cadence, et de nature ; les voiles furent repliées. Bientôt, les deux navires s’immobilisèrent dans le fleuve, ayant tous deux jeté l’ancre.

     Von Essen n’avait pas attendu, et s’était lancé à l’assaut des vents de magie. Il n’avait jamais tenté ça, mais cela faisait quelque temps qu’il maîtrisait les arcanes de la nécromancie, et de plus, à bien y regarder, le ‘troisième larron’ n’était pas si doué non plus. On allait bien rire.

***

     « Heinrich, redresse le cap. Ce n’est pas par là !
     - J’essaye mein…héraut. Mais je ne suis pas…elle ne m’obéit plus !
     - Comment ? »

     Sargath était fou de rage. Cet incapable n’était même pas à même de se faire obéir d’un simple zombie, fut-il une monstruosité de cinq mètres de haut et quinze de long ? Juché sur la tête de la bête, Heinrich tentait tant bien que mal de se concentrer pour reprendre le contrôle, mais en vain. Une volonté et une maîtrise plus forte que la sienne l’en priva. L’effort que représenta cette tentative ne fut pas gratuit cependant, et le vampire von Carstein hésitait à recommencer.

     Sous eux, la salamandre avançait à présent d’un bon pas à travers la jungle, se moquant des arbres, des buissons et des bêtes qui passaient par là. Ses pattes immenses faisaient légèrement trembler le sol, écrasant au passage feuilles et branchages, et traçant ainsi un sillon net dans la jungle. Plusieurs fois, un banc d’oiseaux s’était envolé à leur approche en poussant des cris d’alarme.

     Ce nouveau trajet ne dura pas longtemps. Au bout de quelques centaines de mètres, ponctués par les imprécations de Sargath et les cris d’Heinrich, la salamandre finit par s’arrêter brutalement.

     « Ah, Heinrich, bravo ! » Fit Sargath en avançant cahin-caha sur le dos de la bête en direction de la tête. « Maintenant que tu as repris le contrôle, retournons vers… »

     Le héraut des mille lames ne termina pas sa phrase. Son regard, perdu vers l’avant, venait de capter plusieurs choses. De une, ils étaient à présent devant le fleuve, la tête de la salamandre émergeant des feuillages bordant la berge de l’Amaxon. De deux, ils n’étaient plus seuls, car deux bateaux se tenaient arrêtés là, à une vingtaine de mètres d’eux. Et de trois, ces bateaux, d’apparence plutôt différente l’une de l’autre, étaient peuplés par des morts-vivants. Ce constat, il le fit tout autant par ses capacités thaumaturgiques que par sa vue, malgré l’obscurité nocturne. Et parmi ces autres créatures d’outre-tombe, deux rayonnaient particulièrement pour son troisième œil. Une sur chaque bateau.

     « Gute nacht, meine Herren. Belle nuit, n’est-ce pas ? »

     Cette voix enjouée venait du plus grand des deux bateaux, un navire norse, sur lequel se tenait sur la proue un individu pâle aux yeux de braise, vêtu de la même façon qu’Heinrich mais avec plus d’extravagances. Un vampire donc, et de la même origine. Heinrich pointa alors un doigt vers lui.

     « C’est lui, c’est lui qui a pris le contrôle ! »

     Sargath pris les devants.

     « Ce que dit mon subordonné est-il vrai ? »

     L’autre eut un geste évasif, se contentant de sourire.

     « C’est bien possible. Enfin, que voulez-vous, la vie est pleine de surprise. Enfin, la non-vie, en l’occurrence. Le seul être vivant ici, c’est Monsieur Flouz. »

     Sargath était éberlué. Cet outrecuidant personnage s’adressait à lui comme au dernier des imbéciles, en une diatribe sans queue ni tête, et ce après l’avoir offensé. Une réparation était de mise !

     Sans même prendre d’élan, le vampire nehekharien franchit d’un bond la distance qui le séparait du langschiff, atterrissant souplement sur le pont de celui-ci, faisant immédiatement froncer les sourcils de son interlocuteur.

     « Je ne crois pas avoir saisi votre nom, engeance de Vashanesh. Donnez-le-moi, que je puisse l’écrire à la fin de votre épitaphe. Ou au début, suivant ce que je déciderai. »

     L’autre fit une révérence.

     « Von Essen, chroniqueur des von Carstein. Le seul, le vrai, l’unique ! »

     Sargath, la main sur la poignée de son arme, eut un haussement de sourcils surpris.

     « Chroniqueur des von Carstein ? Heinrich, tu le connais ? »

     L’intéressé, à qui s’était adressé cette réplique criée depuis le pont du bateau, était toujours sur la tête de la salamandre, désormais immobile.

     « Pas le moins du monde, héraut. Mais ça faisait longtemps que j’étais dans ce cercueil dans lequel vous m’avez trouvé. »

     Sargath reporta son attention sur Von Essen, qui le dévisageait avec une attention soudain exempte de la moindre trace d’humour.

     « Et vous, ‘héraut’, avez-vous un nom ? J’en aurai besoin pour mes mémoires, voyez-vous. »

     Sargath dégaina son khépesh et se mit en garde.

     « Je suis Sargath, héraut des mille lames, chef de la garde de Lahmia. Et vous, Von Essen, pour l’humiliation dont vous m’avez frappé, vous allez mourir séance tenante, « le seul, le vrai, l’unique » ou non. »

     Et sans attendre de réponse, il bondit, l’arme levée et les dents serrées. Von Essen réagit au même moment, et le bruit du métal frappant le métal résonna soudain. L’échange initial fut brutal, mais bref. Sargath eut un sourire, constatant avec plaisir qu’il avait réussi à toucher cet impertinent vampire au torse (Sargath : 2T, 1B, 1 PV !). Von Essen recula d’un pas, la frustration se lisant sur ses traits.

     « Damned » grogna-t-il. « Jamais je n’arrive à frapper et à bloquer en même temps.
     - Quoi ? »

     Sargath s’aperçut que la dague de son adversaire était elle aussi couverte de sang, et il réalisa soudain qu’il avait mal au flanc. Sa main gauche palpa la zone, confirmant son diagnostic. Il avait été touché (Von Essen : 2T, 1B, 1 PV !). Ce filou n’était pas seulement un impertinent. Il savait aussi manier les armes. Un sourire appréciateur se dessina sur son visage, celui du connaisseur qui, d’un œil, sait discerner le talent. Cela faisait quelques jours qu’il n’avait pas disputé de duel à sa mesure. Autant en profiter.

     Von Essen contre-attaqua le premier, mais Sargath profita de son allonge supérieure pour l’intercepter, l’atteignant à la tête. Mais son épée ne fendit que l’air. L’instant d’après, un réflexe lui fit esquiver, et il entendit le chroniqueur jurer. Manifestement, ce dernier savait se changer en brume, et entendait bien en jouer pour esquiver ses coups. Fort bien, si c’était un test de son habileté, qu’il en soit ainsi. Sargath et von Essen s’élancèrent à nouveau l’un contre l’autre dans une danse où chacun cherchait l’ouverture. L’un frappait et esquivait, l’autre surgissait de la brume comme un spectre avant d’y retourner, encore et encore.

     Sargath en eu vite assez. Puisque tu refuses le combat, très bien, je vais me battre selon tes termes. Mais tu vas le regretter. Suivant le fil de sa pensée, Sargath orienta sa prochaine esquive de façon à se faire planter la dague dans le bras. Mais l’autre fut plus rapide, et l’atteignit à l’aisselle gauche, parvenant à le toucher sérieusement (Von Essen : 2T, 2B, 2 PV !!!). Pourtant, le vampire lahmian ne se laissa pas dominer, et profitant de la matérialité de son adversaire, il lui enfonça son khépesh dans l’estomac (Sargath : 2T, 2B, 2 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV).

     Von Essen eut un hoquet de surprise et de douleur. Un sang noirâtre sortit de leurs plaies respectives, mais sans couler. Le chroniqueur se changea à nouveau en brume pour reculer, libérant du même coup Sargath qui tomba à moitié à genoux, s’appuyant sur la pointe de son arme.

     « Tu ne…perds rien…pour attendre » pesta von Essen, chancelant, et heureux de ne pas avoir eu le cœur transpercé.

     Ce fut Sargath qui, cette fois, initia l’offensive. Brandissant son khépesh, il coinça Von Essen par d’habiles passes d’armes, lui zébrant le front (Sargath : 2T, 2B, 1 invu, 1 PV !!!). Mais le chroniqueur disparut immédiatement, et le héraut des mille lames sentit une douleur froide passer entre deux de ses plaques, dans son flanc droit. Ses forces s’amenuisaient (Von Essen : 3T, 2B, 2 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV).

     Il se retourna violemment, saisissant le chroniqueur au poignet, et sans lui laisser le temps de réagir il l’envoya violemment s’écraser contre le mât (Sargath : 2T, 1B, 1 PV !!!). L’instant d’après, l’autre avait encore disparu, et une seconde plus tard c’est dans le genou gauche que Sargath sentit l’acier cruel du chroniqueur s’enfoncer (Von Essen : 2T, 2B, 2 PV !!! Les deux combattants repartent à 1PV). Il réussit à ne pas fléchir les jambes, au prix d’une douleur immense, et ses dents serrées témoignèrent de la souffrance que lui causa le pas de côté qui lui permit de se mettre à nouveau hors d’atteinte.

     Cela ne pouvait plus durer.

     Von Essen disparut à nouveau, conscient lui-aussi que leur duel devait trouver une conclusion. Sargath eut alors un raisonnement rapide. Il avait été touché au flanc, au bras, et dans le genou. Si son adversaire cherchait à l’achever, il allait frapper…

     Une seconde passa. Sargath, alors seul, entouré de revenants immobiles comme des pierres, pivota soudain sur lui-même.

     La surprise qu’il lut dans le regard de von Essen quand sa lame bloqua la sienne juste devant sa nuque valait tout l’or du monde (Von Essen : 0T). L’instant suivant, le chroniqueur reçut un violent coup de poing au plexus, et sentit plus qu’il ne vit les dents de Sargath plonger dans sa gorge (Sargath : 1T, 1B, 1 PV !!! Règle Vampirique qui proc' ENFIN chez un des deux vampires : Sargath récupère 1PV).

     Soudain drainé de son essence-même, le chroniqueur finit par retomber au sol, impuissant car suffoquant sous la douleur, aux pieds d’un Sargath extatique qui poussa un rugissement de rage.

     Qui se transforma en hoquet de stupeur quand une main puissante se saisit de sa tête pour l’écraser sur le mât.

     « Toi, le héraut des mille lames, si tu ne veux pas finir en mille morceaux, tu vas te tenir tranquille. »

     La surprise passée, Sargath avisa son nouvel opposant, qui se trouvait être le vampire de l’autre bateau. Peste, il avait oublié qu’ils étaient deux. Surtout que ce dernier avec un visage impénétrable et un regard glacial. Un regard de tueur. Il n’était pas là pour enfiler des perles. Le dragon de sang se libéra brutalement, mais recula, réalisant petit à petit que ce combat l’avait affaibli, plus qu’il ne le pensait. L’autre s’en était également aperçu, et sa main était posée sur la poignée de son épée.

     « Si tu veux te lancer dans un deuxième round, libre à toi, mais sache que je ne te laisserais pas reprendre des forces. »

     Pour Sargath, c’en était trop. C’est d’une avec l’amertume d’un kislévite sobre qu’il déclara :

     « Quand ce ne sont pas des elfes, ce sont d’autres non-morts. Tout le monde cherche à m’humilier ici ? »

     L’autre s’arrêta net.

     « Des elfes ? Quels elfes ?
     - Des elfes noirs » cracha Sargath, comme si ce mot était en lui-même douloureux à prononcer. « Ces impudents ont détruit mon bateau et anéanti mon équipage. Mais ils ne m’ont pas tué moi, et je leur ferai payer cette erreur. »

     Le vampire au regard de glace parut réfléchir. Près de lui, le chroniqueur des von Carstein avait fini par s’asseoir péniblement en tailleur, et épongeait ses plaies sur un mouchoir qui n’en demandait pas tant. Heinrich les eut alors rejoints, mais Sargath remarqua une quatrième silhouette, celle d’un…d’un revenant vêtu d’acier, qui se tenait non-loin, et qui n’était pas du tout immobile.

     « Mein Herr Sargath, si vous souhaitez tuer de l’elfe, je préfère vous y aider que vous en empêcher. Mais si vous continuez de retarder notre expédition, vous finirez au fond de l’eau, éparpillé dans plusieurs tonneaux. Les elfes ne savent peut-être pas tuer un vampire, mais moi si. »

     Fiodor aurait tout aussi bien pu commenter la qualité du vin avec cette voix, mais la menace n’en était pas moins précise. Sargath cependant, bien loin de plier, s’emporta.

     « Mais vous ne manquez pas d’audace ! Je vous signale que c’est vous qui avez interrompu mon expédition, avec vos tours de passe-passe nécromantiques. Et maintenant vous me menacez, en m’accusant d’être le trouble-fête ? »

     Fiodor ne bougea pas, mais il baissa son regard pour aviser Von Essen, qui se tenait toujours assis à même le pont, le costume couvert de sang, et qui affectait, avec un succès mitigé, de garder une posture aussi discrète et aussi distinguée que possible en même temps.

     « Il a en partie raison, Herr von Essen. »

     Ce dernier secoua la tête, puis se lança dans une longue déclaration pleine de hauts et de bas.

     « Oui, tout cela semble être un affreux malentendu. Héraut des mille lames, j’ai l’honneur de vous présenter mon associé, Fiodor le non-mort, capitaine du fier vaisseau ‘Corbeau Centenaire’, qui se trouve à côté. Nous nous dirigeons vers la cité d’Or, avec pour objectif de piller l’endroit et de faire un carnage parmi les elfes qui s’y trouveraient. Mon associé et moi-même leur vouons une haine particulièrement tenace à force d’avoir fait les frais de leur vilénie sur l’Amaxon. Si ça vous intéresse, nous pourrions être trois dans cette opération qui, j’en suis certain, va aussi dans vos intérêts. »

     Sargath était cette fois interloqué. Une alliance ? Avec un autre descendant de Vashanesh et un pirate ? Par les mille lames dont il était le héraut, ce n’était pourtant pas une opportunité à prendre à la légère, car Heinrich et lui ne représentaient pas ce qu’on pourrait appeler une force conséquente. Et cela lui fournissait aussi un moyen de ravaler sa fierté sans la bafouer. Un seul coup d’œil à l’expression faussement innocente de Von Essen lui confirma que ce dernier l’avait très bien compris.

     Soit.

     « Pourquoi pas, messieurs. Si votre but et le mien coïncident, je ne vois pas de raison de refuser. Mais deux choses : d’abord ne jouez plus avec mes serviteurs, aussi décédés soient-ils, et ne m’appelez pas 'mein Herr'. »


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Lun 12 Avr 2021 - 20:19

     « Par Sigmar ! Cette expédition n’en finira donc jamais ? »
     Cette phrase fut la première que grogna Helmut après la violente mêlée sur le pont de l’Emmanuelle. Ses muscles lui faisaient mal, et ses armes lui semblaient bien lourdes. Des barques transportant des hommes aux livrées vertes et jaunes, maculées de sang séché, apparurent entre les racines de la mangrove, au loin. Le chef de l’expédition de Nuln se tourna vers ses troupes, affalées sur les planches du pont, éreintées après les âpres combats.
     « Les gars, j’vous avait bien dis qu’ces satanés demi-sylvaniens d’Orientaux allaient pas nous lâcher ! Pas avant qu’l’on trouve leur capitaine, c’est sûr. » Il tourna son regard vers les arrivants lorsqu’ils arrivèrent au niveau du navire. « Alors, Franz ? Rien à signaler ?
     - Rien cap’taine, pas la moindre trace de ces sauvageonnes des marais.
     - Bien. J’aime pas trop ça, mais c’est mieux qu’si on devrait encore lutter contre elles. Hein les gars, Ce serait dommage de ne pas en garder pour plus tard ?
     Les impériaux, que leurs livrées soient grises et blanches ou vertes et jaunes, rirent à cette pique malgré tout grossière envoyée à leurs ennemis. Ils se sentaient plus proches de leur commandant quand celui-ci parlait avec ce ton-là.
     La respiration calme, Helmut reprenait des forces dans la cabine du capitaine. Ce répit lui était bienvenu, et lui permettait d’oublier pendant un temps les horreurs des combats. Un nulner, visiblement officier, fit irruption dans la pièce.

     «  Chef, je viens de faire l’inventaire des réserves. On devrait en avoir assez pour le chemin du retour !
     - C’est une sacré bonne nouvelle, ça. On a encore de la bière pour se rincer le gosier ?
     - Oui cap’taine.
     - C’est qu’on a finalement un peu de veine, alors. »

***

     Plus tard, le commandant de l’expédition vit les Stirlanders rescapés manœuvrer un imposant navire noir qu’il ne reconnut tout d’abord pas. Les souvenirs le frappèrent ensuite de plein fouet. Il s’agissait du Reaver, navire de l’inquisitrice Alicia de Meissen. Où était-elle d’ailleurs passée ?
     Bah, ça n’avait pas tant d’importance, car le spectacle de la cité perdue de Chaqua s’offrit à ce moment aux yeux ébahis d’Helmut.
     - Les gars !  Venez voir. Vous imaginez le pactole qu’on se fera avec ça ?
     - Ouais, on pourra ptêt même bien racheter Nuln.
     - J’ai un plan : dès qu’on arrive dans les ruines, on s’empare de sacs et on collecte tout ce qui nous passe à portée de main. Compris ?
     - Oui chef ! »
     Le moral était enfin revenu parmi l’équipage. Rien de tel que la présence de trésors pour motiver les cupides esprits humains. La gloire marchait aussi, mais le désir de l’or était plus répandu. C’est donc avec la tête dans les projets fous que le trésor permettrait aux marins et soldats d’accomplir que les hommes commencèrent leur travail de pillage. Helmut préféra rester prudent, ce pourquoi il supervisa, depuis le pont du navire, le détachement des plaques d’or et leur rangement dans les cales du navire. Il avait avec lui une petite poignée de ses meilleurs piquiers, qui surveillaient stoïquement les voies d’accès à leur position.

     Cela ne l’empêcha pas d’être surpris lorsque le premier homme-lézard se jeta sur un Stirlander. Ni quand ledit Stirlander finit entre les mâchoires du monstre. Il fut prêt cependant quand le reptile anthropomorphe tourna sa face écailleuse en direction d’une autre proie, et descendit les échelons de l’échelle du navire à toute vitesse. Portée par l’élan de sa charge, il trancha net le cou du monstre, tandis que le sang crépitant d’énergie électrique aspergeait les pavés d’or des quais antiques. Mais il y’en avait d’autres. Armées de boucliers et d’armes perforantes ou contondantes, les saurus, comme leur espèce s’appelait, hurlèrent leur rage plurimillénaire à ces impudents humains. Ceux-ci se dépêchèrent de remonter au navire et de s’équiper de leurs armes...
     Les hommes-lézards, tant habitués qu’ils sont à être le prédateur, mirent du temps à comprendre que les puissantes armes d’hast impériales perçaient leurs écailles comme un poignard perce du cuir de mauvaise qualité. Leur rage les empêcha ensuite de ravaler leur fierté et de laisser tranquilles les hommes d’Helmut. Le sol fut bientôt jonché de corps inanimés, qui furent ensuite écorchés et équarris. L’équipage avait besoin de viande, et qui sait quelle valeur pouvait avoir leur peau ?
     Lorsque les zones attenantes à l’Emmanuelle eurent perdu leur éclat doré, les troupes de Nuln eurent le déplaisir de constater le départ du Reaver. Ils décidèrent de l’attendre, pendant que les plus versés en cuisine essayaient de faire rôtir les chairs dures et filandreuses des membres de la redoutable Légion de Chaqua. Il ne restait plus grand-chose à manger de ce côté-là quand le Reaver revint doucement, dans la nuit. Après un petit accès de colère de la part d’Helmut, il exigea des explications aux Stirlanders. Ceux-ci lui racontèrent donc comment ils ont découvert la cachette ensanglantée d’Alicia, suivi ses traces carmines dans la jungle, et enfin comment ils ont retrouvé leur capitaine à demi inconsciente dans la forêt, serrant son bras validé contre une large plaie située sur l’épaule. Helmut fit intervenir les quelques médecins de campagne qui avaient survécus aux fréquents affrontements pour monter sur le Reaver et tenter d’empêcher la mort de la contre-amirale de la flotte d’Altdorf. Si Alicia viendrait à mourir, l’impact moral que cela aura sur les troupes placées sous son commandement seraient inacceptables et pourraient sans aucun doute compromettre la maintenance du Reaver sous le contrôle d’Helmut. Seul la nuit nous le dira, se dit Helmut en remontant la couverture sur son torse, alors qu’il s’apprêtait à sombrer dans un sommeil réparateur et apaisant, du moins l’espérait-il.



***
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     Yelmerion poursuivait le voyage avec un sentiment amer. Elle s'en voulait de s'être fait attraper si facilement. Firvuniel s'apprêtait à lui parler avec ses mains, quand un "CRACK" survint : l'avant du navire venait d'être ouvert par un récif. Dans la courte panique engendrée, l'équipage s'aperçut trop tard qu'ils venaient de perdre le contrôle de leur vaisseau et que le courant les emportait désormais vers un étrange canal connexe. Canal qui, pour comble d'infortune, débouchait visiblement sur une cascade se déversant d'une falaise à-pic. Les asurs se jetèrent tous à l'eau pour éviter la chute potentiellement mortelle. Hélas, tous ne purent sauter à temps, sans compter ceux qui étaient emportés par le courant.
     Une fois leurs effectifs amoindris des hommes lézards passèrent à l'attaque.
     Désorganisés, en sous nombre et perdus, la seule chance des asurs résidait dans la fuite. Yelmerion, qui ne voulait pas abandonner le combat, fut traînée par Firvuniel et Valandral. Kallemmensha ouvrait la voie dans l’épaisse jungle : derrière elle, les asurs fuyaient à toute allure, seule la mort attendait ceux qui s’attardaient.
     Après une heure de course effrénée les asurs avaient semé leurs poursuivants. A peine plus d’un elfe sur deux avait survécu. Les elfes poursuivirent leur chemin dans un ravin. Tout à coup, une gigantesque colonne s’effondra au milieu des elfes mais, heureusement, cette fois-ci il n’y eut aucune victime. Seulement les asurs étaient divisés en deux groupes distincts : Kallemmensha, Firvuniel avec la garde argentée et les maîtres des épées, Yelmerion, Valandral avec les archers et les marteliers.
     Les hommes lézards arrivèrent derrière le groupe de Yelmerion qui fut obligé de fuir. Kallemmensha et Firvuniel ne purent leur être d'aucun secours : la massive colonne effondrée aurait nécessité des heures pour être gravie...

     Yelmerion parvint à échapper à l'embuscade des hommes lézards avec une poignée de survivants, pendant que les autres leur octroyaient une fois encore la possibilité de fuir. Les elfes étaient épuisés par toutes ces péripéties. Ils marchèrent, leur vigilance s’était amenuisée, aucun d’entre eux ne vit le nouveau danger qui les guettait. Les corsaires sautèrent sur eux de tous les côtés. Les archers, encerclés, se firent exécuter, les marteliers, essoufflés, ne purent écraser que quelques elfes noirs avant de trépasser. Yelmerion dut combattre dos à dos avec Valandral pour assurer leur sauvegarde.
     Phy'lis surgit entre les deux elfes, les séparant, Valandral se retourna et souleva son marteau maculé du sang d'un corsaire à qui elle avait ouvert le crâne pour éclater la mâchoire du druchii. Yelmerion sauta en l’air pour retomber sur son adversaire mais Phy'lis tourna habilement sur ses appuis, esquivant les jeunes elfes. Puis, il donna un coup de pied dans le dos de Valandral qui tomba terre. Yelmerion, ramassant son épée tombée au sol, tenta en vain de décapiter son adversaire qui se baissa, taclant la princesse en même temps. Il leva son épée pour tuer Yelmerion lorsque Valandral s'interposa, se faisant ainsi transpercer par l’épée. Aussitôt que Yelmerion se releva, Phy'lis lui envoya directement le corps agonisant de sa garde du corps. Yelmerion n’eut pas même le temps de songer à pleurer qu’elle reçut un coup de pied brutal à la tempe, l’assommant.

Essen

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Seigneur vampire
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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Lun 12 Avr 2021 - 21:23
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     Les portes d’une des plus sombres salles du « Rêve d’Atharti » s’ouvrirent à la volée. Sarquindi entra et accrocha au mur sa lampe. Il se tourna et contempla les différents objets qui occupaient la pièce : une table en bois de laquelle tombaient des chaines, un râtelier rempli d’objets tranchants et perforants, plusieurs fouets aux cordes différentes accrochés aux murs, un sac de sel, quelques scies… Rien d’autre que des classiques ennuyeux. Phy’lis entra à son tour.

     « L’avez-vous trouvée ? demanda-t-il avec impatience.

     - Oui. Elle est posée dans le fond de la pièce à côté du sac de limes. répondit le capitaine, agacé que son nouveau second lui parle sur ce ton.

     - Parfait ! Faites entrer notre invitée, vous autres ! »

     Deux corsaires trainèrent une prisonnière inconsciente dans la salle. Ils la portaient sous les épaules sans ménagement, son équipement avait connu des jours meilleurs, ses genoux frottant contre le sol étaient écorchés. Ses cheveux blonds et son armure blanche ne laissaient aucun doute sur la nature ulthuanienne de leur prisonnière.

     « Mettez la dans la petite cage ! » ordonna le comédien en sautillant d’excitation. « Et qu’on lui laisse son armure, car l’inconfort n’est jamais quelque chose que l’on doit sous-doser. »

     L’un des druchii alla chercher l’objet en question. C’était une cage cubique d’un mètre de côté. Toutes les faces de la cage étaient faites de barreaux de section différente, ronde, ovales, carrées. Les barreaux n’étaient ni rectilignes, ni parallèles, de sorte qu’il n’y avait l’espace de passer un membre entre les barreaux qu’au centre des faces du cube. L’un des coins de la cage comportait un anneau solide. Les corsaires déverrouillèrent la serrure de la cage, l’ouvrirent et mirent leur prisonnière à l’intérieur, les genoux repliés contre le torse. Ils lui tordirent les bras dans le dos et attachèrent les poignets de l’asure. Puis, ils firent passer une corde à une poulie au plafond, attachèrent la corde à l’anneau de la cage et hissèrent celle-ci jusqu’à ce qu’elle ne touche plus le sol. Phy’lis prit un seau d’eau dans un coin de la pièce. Il vérifia que l'eau était aussi saturée de sel et, satisfait, se prépara à vider le seau sur la tête de la prisonnière.

     « Ouvrez les yeux, chère invitée ! Vos hôtes aimeraient échanger quelques paroles choisies avec votre colère ! » chantonna Phy’lis.

     Il fut arrêté dans son geste par Sarquindi. Le corsaire ricana avec un sourire sadique :

     « Un instant cher associé. Nous pouvons encore la préparer un peu. »

     Il alla jusqu’au râtelier, fouilla un peu et brandit avec un sourire satisfait une minuscule lame arrondie, pas plus longue qu’un ongle. L’objet ressemblait de près à une petite griffe de rapace légèrement creuse à l’intérieur de la courbure. Sous le regard curieux du comédien, il revint vers la cage, et prit un instant de réflexion silencieuse. Il souleva doucement le menton de la prisonnière et tira lentement son visage vers le bord de la cage. Sarquindi tourna la tête de l’asur avec la délicatesse d’un joailler. Il approcha la lame du front de la prisonnière et enfonça le métal dans la peau sur quelques millimètres. Le tortionnaire vérifia que l’opération n’avait pas éveillé sa victime et, rassuré, entreprit de tracer dans son front des symboles précis. La lame, en avançant, retournait un très fin ruban de peau de part et d’autre de son sillon. Celui-ci se remplissait rapidement de vermeil. Manié par des doigts expérimentés, l’outil ne réveilla pas la prisonnière. Sarquindi recula pour contempler son œuvre. Sur le front de l’asur était dessinée la rune d’Hekarti en traits sanglants dans la peau de l’elfe.

     Phy’lis siffla d’admiration et félicita le corsaire d’une voix mielleuse :

     « Vous ne perdriez rien en reconnaissance si vous décidiez de cesser la course pour vous faire scribe auprès de notre roi. Cette rune est presque parfaite ! Donnez-moi le nom de votre professeur et j’irai à la nage au travers des flots auprès de lui pour qu’il m’enseigne les arcanes d’une telle gravure. Hekarti, dame de tous les savoirs, ne peut qu’approuver cet hommage.

     - Je suis, il est vrai, plutôt content de moi » répondit Sarquindi sur le même ton. « Tout est dans le choix du bon support, mon cher ami.

     - Il me tarde de retrouver une autre toile de cette qualité pour y essayer à mon tour cet art subtil. Je pense pouvoir y démontrer moi aussi un talent respectable. Mais nous oublions nos manières mon très cher ami, nous n’avons pas prévenu cette personne de la bénédiction qu’elle a reçu ! N’attendons pas une seconde de plus et réveillons-là avec subtilité. »

     Phy’lis reprit le seau et le vida d’un coup au visage de la prisonnière. Elle tressaillit et sa tête cogna contre les barreaux de la cage. Elle tenta de bouger mais enserrée par la cage et ses liens, elle ne fit que se tourner un peu. Devant ce spectacle, les druchii ne purent réprimer leurs rires.

     « Mon front ! Que m’avez-vous fait ? Ça brûle ! aboya l’asure.

     - Ce n’est que le sel, inutile de réagir aussi brutalement, se moqua le comédien. Ne vous inquiétez pas, mademoiselle, car votre front n’est jamais allé aussi bien.

     - J’ai mal ! Engeance bâtarde d’une lignée maudite ! Mon front ! Etiez-vous trop lâches pour essayer de me blesser au combat ? Ha ! Mon front brûle ! Qu’est-ce que c’est ?

     - Cher ami, notre invitée est coriace ! s’esclaffa Sarquindi. Ils sont peu nombreux, ceux qui arrivent à parler après un tel retour au monde des éveillés.

     - Chien de naggaroth ! Ha !

     - A votre service mademoiselle » rétorqua Phy’lis.

     Le comédien accompagna ses mots d’une révérence exagérément basse. Il se releva et rit de plus belle en voyant la prisonnière se contorsionner dans la cage pour tenter de tirer ses mains de ses liens. La grimace de douleur de l’ulthuanienne quand elle se cogna à nouveau ne fit qu’ajouter à l’hilarité des elfes noirs. Pendant quelques instants, ils durent reprendre leur souffle coupé par le rire. La douleur de l’asure s’estompa peu à peu.
     « C’est peut-être le seul défaut de ce petit plaisir salé : il passe trop rapidement, admit le capitaine corsaire.

     - Qu’allez-vous faire de moi, monstres ?

     - Nous avons déjà beaucoup fait Princesse, répondit Phy’lis. Bien sûr, la réception d’une personne de votre qualité méritait au moins cette petite récréation. Mais notre temps est tout aussi précieux que l’or qui nous attend dehors, et je crains qu’il nous faille pour le moment vous quitter. N’ayez crainte car vos hôtes reviendront bientôt, et vous aurez alors la chance d’être tourmentée non pas par des pirates du commun, mais par des elfes riches au-delà de tous les rêves.

     - Vous n’allez pas… me mutiler ? porter atteinte à ma pureté ? Faire de moi votre esclave » balbutia l’asure.

     Le visage des druchii se crispa subitement.

     « Vos fantasmes ne sont pas les miens, cracha Sarquindi.

     -  Regardez votre front, touchez vos cicatrices, et regardez ce que peut être le réel amusement que vous pouvez nous offrir, ajouta Phy’lis. Sans oublier la cage où vous vous agitez qui est à elle seule plus que divertissante.

     - Qu’avez-vous fait à mon front ?

     En réponse, le comédien tira un de ses couteaux et en présenta le plat de la lame devant les yeux de la prisonnière. L’ulthuanienne pourra un cri d’horreur en voyant le reflet de la rune sanglante sur l’arme.

     « Remercie Hekarti car son regard sera désormais toujours sur toi. Elle sera ton chemin, ta guide, ta bienveillante gardienne. Et en échange, tu arboreras son nom jusqu’à la fin des temps.

     - Qu’Asuryan prenne vos âmes et les jette au Chaos ! »

     Un peu à l’écart, Sarquindi ressentit soudain une grande lassitude. Il avait déjà vécu ce genre de scène, ces tortures, ces dialogues vains avec les prisonniers. Il ne ressentait pas les mêmes sensations d’excitation, la même attente vis-à-vis de la victime, la même envie que d’habitude.

     Les émotions qu’il avait ressenties deux jours plus tôt autour du puits lui revinrent à l’esprit. Cette soif, cette faim, cette envie de plonger ses dents dans une jugulaire… Il était conscient de n’avoir perçu qu’une fraction de des sentiments puissants du mort-vivant. Mais ce qui l’avait submergé à ce moment était incomparablement plus intéressant que ce qu’il vivait dans cette salle. Incomparablement plus fort et délicieux que ce qu’il parvenait à atteindre en ce moment. Il était en manque.

     Le corsaire écarta brutalement Phy’lis de la cage. Sa main saisit la mâchoire de la prisonnière et la força à ouvrir la bouche. Son autre main jaillit d’un coup, armée de la petite lame courbe et laissa une infime entaille sur le bout de la langue de l’asure. Le sang perla et se déposa aussitôt sur les lèvres de la prisonnière ; à la vue de celui-ci, une étincelle de plaisir s’alluma dans l’esprit de Sarquindi. Mais elle s’éteignit presque aussitôt. Le sentiment de manque revint. Déçu, le corsaire se détourna de la cage, rangea son outil et s’en alla.

     « Phy’lis, je vous confie la prisonnière et le navire. J’ai une cité à piller. »


     Déconcerté par cette sortie subite, le comédien resta interdit quelques instants. Puis, Phy’lis laissa éclater sa frustration:

     « Qu’est-ce qui lui prend ? Ce rustre a brisé l’instant ! Inculturel trouble-fête, de quel droit interromps-tu le jeu de Phy’lis ! Je te ferai payer ça par la douleur au centuple ! Va ! Va chercher l’or, et au retour je te garantis un accueil inoubliable sur « notre » navire ! Je te montrerai que tes petits tours de couteaux ne sont rien, rien ! Je te ferai ressentir l’absoluité de ma colère, la perfection de ma cruauté ! »

     Sans un regard pour la prisonnière, l’elfe noir sortit fulminant de la pièce et partit à la recherche de son second. Emesteh et lui allaient avoir du travail avant le retour du chef corsaire.

     Dans la cage, Yelmerion pleura. Le sang avait presque cessé de couler mais sa langue mutilée lui faisait horriblement mal. Elle ne parvenait pas à trouver une position où se poser, ses mains dans le dos étaient écrasées par son corps contre les barreaux. Elle pleura, et se demanda si elle pourrait un jour revoir les rivages blancs d’Yvresse.

**************************

        Sarquindi quitta le navire pour aller explorer la cité quelques heures avant la fin de la nuit. Il avait préféré laisser une force importante sur le « Rêve d’Atharti » et n’avait pris avec lui que quatre corsaires de confiance, dont le vieux Kielmir. Le capitaine l’avait choisi d’une part pour ses propres besoins, car ses blessures étaient encore fraiches et, d’autre part, comme otage pour le reste de son équipage : ses marins ne tenteraient pas le trajet du retour sans un médecin à bord. La petite taille de l’expédition leur permettrait de rester discrets dans la ville. Celle-ci était sans doute tout aussi dangereuse que l’Amaxon.

        La lune était pleine et éclairait la cité d’une lumière argentée. Les corsaires longeaient donc les murs des temples et des immenses bâtiments pour rester autant que possible à couvert. Mais ils ne regrettèrent pas cette luminosité, car elle leur permettait d’admirer la splendeur omniprésente. Tout était or. Les rues, larges de plusieurs dizaines de mètres, étaient pavées d’or. Les canaux qui suivaient le tracé des rues étaient emplis de bijoux d’or. Les pierres des maisons étaient couvertes de plaques d’or. Le vent enlevait la feuille d’or des bâtiments et les envoyait voler. Ces paillettes étincelaient sous les rayons sélénites. De l’or partout, de l’or plus que ce que les druchii n’avaient jamais pu rêver.

        Les elfes noirs étaient hébétés devant tant de magnificence. Les sacs qu’ils avaient pris étaient dérisoires. Les cales de leur navire étaient insuffisantes. La flotte entière de Naggarond n’aurait jamais pu transporter toutes ces richesses. La poussière d’or dans leurs bottes pouvait à elle seule acheter plusieurs palais. Chacune des statues d’or massif qui veillaient sur les carrefours de la citée aurait pu assurer l’allégeance d’un roi.
        Tout à leur contemplation, les corsaires ne virent pas la nuit passer. Le ciel commença à changer de couleur. L’orbe céleste naissant fit ressortir l’éclat doré des monuments. La troupe druchii se trouvait au pied d’une pyramide encore plus massive que les autres. Le sommet défiait les cieux. A chaque angle de chacun de ses étages, une statue en forme d’oiseau stylisé veillait sur la cité de ses yeux de diamants. Un grand escalier menait au sommet, les druchii décidèrent de monter pour avoir une vue sur toute la ville.

        L’ascension leur prit plus de temps qu’ils ne l’auraient crû. Quand ils arrivèrent finalement en haut, l’horizon s’éclairait déjà du retour du soleil.
        Le sommet de la pyramide était presque aussi grand que le pont du reaver. Il était couvert de dalles d’or, ce qui ne surprit même pas les druchii. Au milieu de l’esplanade était un autel fait d’un seul bloc de pierre, sculpté et couvert de représentations serpentines. Dans le prolongement de l’escalier, deux séries de piliers s’alignaient de part et d’autre jusqu’à l’autel.

        « C’est magnifique… » chuchota Sarquindi en admirant la vue de l’aube qui embrasait la cité d’or. Ils étaient au-dessus de toute la ville. Seuls trois autres édifices arrivaient à la hauteur du temple où étaient les elfes. Le reste de l’immense cité s’étalait sur plusieurs hectares dorés jusqu’à la bordure de la jungle, encore plongée dans les ténèbres. L’Amaxon serpentait jusqu’à l’horizon et miroitait sous les premiers rayons du matin.

        Le capitaine remarqua un mouvement dans la forêt. Une nuée de créatures s’élevait des frondaisons. L’elfe compta une douzaine de silhouettes, sans pourvoir les distinguer précisément à cause de la distance et du contrejour. Mais les formes se dirigeaient visiblement droit vers le temple. Avec la vitesse qu’elles avaient, Sarquindi jugea qu’ils n’auraient pas le temps de redescendre de la pyramide.

        « Alerte ! On nous attaque ! Trouvez une issue ou nous sommes morts ! » cria Sarquindi.

        Les corsaires se tournèrent vers leur chef et virent les créatures au loin derrière lui. Ils hochèrent la tête et commencèrent à inspecter l’esplanade. Après quelques instants de recherche, l’un deux s’écria :

        « Il y a une dalle ici ! On dirait une issue ! »

        Tous accoururent derrière l’autel où était le corsaire. Contrairement au reste de l’esplanade, le sol était là constitué d’une seule large pierre de plusieurs mètres de large. En la frappant, la dalle sonnait creux.

        « Aux pioches ! »

        Les druchii laissèrent tomber leurs sacs, prirent leurs outils et frappèrent la dalle. Leurs efforts eurent rapidement raison de la roche qui s’effondra, dévoilant deux mètres en dessous d’eux un escalier qui s’enfonçait dans les ténèbres. Il était si large qu’une dizaine de personnes auraient pu le descendre de front. D’un même mouvement, les druchii jetèrent tous un regard aux créatures. Elles approchaient du centre-ville et de ses temples. Les elfes remirent rapidement leurs pioches dans leurs bagages. L’un après l’autre, avec la discipline d’un équipage entrainé, ils sautèrent pour atterrir dans les gravats et l’escalier un peu en dessous.

        Sarquindi entra en dernier. Il jeta un dernier regard en arrière et aperçut les créatures qui planaient en de larges cercles presque au-dessus d’eux. C’était de grands lézards, plus grands qu’un elfe, avec de grandes ailes membraneuses orangées. Leurs serres, et surtout leurs becs remplis de crocs convainquirent le corsaire qu’ils avaient bien fait de ne pas chercher le combat. Il cracha dans la direction des monstres et sauta dans les profondeurs du temple. Il se réceptionna agilement dans l’escalier. Le groupe s’assura qu’aucune créature ne pouvait les suivre. Ils entendirent au-dessus d’eux des bruits contre la dalle. Un bec tenta de passer au travers du trou mais celui-ci était trop étroit. Le reptile renonça avec un cri de dépit et disparut. Rassurés, les corsaires décidèrent de continuer leur exploration.

        Malgré la pénombre de l’escalier, les druchii arrivaient à voir relativement bien grâce à leurs yeux d’elfes. Une seule torche suffit à leur apporter assez de lumière pour ne pas risquer une chute malheureuse sur les marches saillantes. L’escalier tournait petit à petit sur la droite. Après quelques minutes de descente, les marches débouchèrent finalement sur une grande salle hexagonale d’où partait un large couloir. La pièce était très sobre. Les murs et le sol étaient parfaitement plats, sans aucune inscription ni dessin. La roche qui les constituaient était d’un gris sombre uniforme. Le plafond était si haut qu’il se perdait hors de la vue des aventuriers. Pas d’or, remarquèrent les corsaires.

         Les parois du couloir étaient constituées de la même pierre que la pièce, mais avaient été autrement plus décorés. Le sol était gravé sur toute sa longueur de hiéroglyphes qui se couvraient les uns les autres et dont le motif semblait se répéter. Un long bas-relief déroulait une histoire dans laquelle des personnages reptiliens affrontaient des flammes et des formes à peine humanoïdes. L’issu du combat était perdue dans les ténèbres de l’autre côté du couloir. Le plafond de la pièce était constellé de pierres précieuses jaunes et rouges.

        « Puisqu’il n’y a qu’un chemin, continuons, proposa un des elfes.

        - Attend ! » l’interrompit Kielmir

        Le médecin posa son sac et en tira une pépite d’or ramassée dans les rues de la ville. Devant les regards intrigués de ses compagnons, il la jeta dans le couloir.

        Les runes au sol s’illuminèrent au contact de la pépite. Un instant plus tard, un rayon de lumière s’abattit depuis le plafond. En un instant, l’or fondit, puis se vaporisa. La lumière s’éteignit, ne laissant dans le couloir qu’un épais nuage de fumée.

        « Le sol est piégé, constata le médecin.

        - Il va falloir trouver un autre moyen de continuer, constata Sarquindi. Je doute que les monstres volants nous laissent ressortir à l’air libre.

        - Les bâtisseurs de la pyramide ont surement construit un autre chemin, proposa un des corsaires.

        - Ce n’est pas certain, le contredit Kielmir. Regardez sur la fresque ce personnage ressemblant à un crapaud. Ce sont les chefs des hommes-lézards.  Et voyez : il a l’air de léviter sur une sorte de plateforme. Le couloir a l’air assez large et haut pour qu’un tel engin puisse passer. Sans doute descendaient-ils par l’escalier avant qu’il ne soit scellé, laissaient leurs gardes dans cette pièce et continuaient ainsi seuls, en volant.

        - Le piège aurait ainsi servi à dissuader un éventuel espion ou assassin de le suivre plus loin, conclut Sarquindi pensivement.

        - Sans doute, acquiesça Kielmir.

        - Nous passerons par le bas-relief. Il y a assez de prises pour traverser le couloir sans avoir à toucher le sol. »

        Les elfes déposèrent leurs affaires sur le sol. Ils s’attachèrent leurs armes et ce qu’ils pouvaient porter facilement dans le dos. Les explorateurs commencèrent à avancer dans le couloir en s’agrippant aux sculptures des murs. Les elfes traversèrent ainsi le couloir, accrochés aux démons et aux héros des premiers âges du monde. Plus d’une fois, l’un des corsaires retint sa respiration quand son pied manquait une prise et frôlait le sol.

        Sarquindi, en tête, aperçut au bout de quelques minutes de cette escalade horizontale la fin du couloir qui donnait sur une nouvelle pièce. Il souffla de soulagement : aussi agile qu’il était, l’effort couplé avec ses blessures récentes l’avait épuisé. Il n’en laissa rien paraitre et se hâta d’arriver sur un sol sûr. Le reste du groupe le rejoignit.

        Ils avaient atteint une pièce carrée, au plafond assez bas. Deux des murs étaient aussi lisses que ceux de la salle hexagonale. Le troisième côté de la pièce, face au couloir d’où venaient les corsaires, donnait sur le vide. Une faille large de plusieurs mètres séparait les elfes de la paroi face à eux. Seul un étroit pont de pierre traversait le précipice. Il permettait d’atteindre un autre couloir qui semblait taillé à même la pierre de l’autre côté.

        L’un des druchii posa prudemment le pied sur le pont. Rassuré par sa solidité, il avança un petit peu dessus. Sarquindi l’aperçut et lui cria :

        « Reviens idiot ! C’est un piège !

        - Comment le savez-vous ? demanda Kielmir, surpris.

        - Le couloir précédent se traversait en volant. Pourquoi auraient-ils eu besoin d’un pont ensuite ? Pourquoi ne pas simplement voler par-dessus le vide ? C’est forcément un piège. »

        Peu curieux de savoir quel était le piège, le marin s’arrêta. Lentement, il fit demi-tour et retourna à son point de départ. Mais à peine avait-il remis pied dans la pièce qu’il porta les mains à son cou. Il tenta de dire quelque chose mais pas un souffle ne sortit de sa gorge. Il s’effondra dans la poussière. L’elfe se contorsionna au sol. Ses yeux se révulsaient. Son visage changeait de couleur. Ses gestes se faisaient de plus en plus frénétiques. Après quelques secondes d’agonie, son corps fut pris de spasmes, puis s’immobilisa. Le médecin s’agenouilla près de lui et lui prit le pouls.

        « Il est mort, déclara-t-il sobrement. Le manque d’air je crois. Il aurait dû être plus prudent.

        - Au moins maintenant nous sommes certains que ce n’est pas par-là, ironisa Sarquindi. Tant pis, ça fera plus d’or pour les autres.

        - Regardez ! Au-dessus ! Lança un autre druchi »

Le groupe s’approcha du bord et regarda ce que pointait l’elfe. Il y avait juste au-dessus d’eux une pièce identique à celle dans laquelle ils étaient. Sarquindi félicita son marin d’une tape sur l’épaule. Le quatrième corsaire tendit au capitaine le grappin qu’il avait emporté dans le couloir. Sarquindi revint au bord du gouffre et envoya la corde vers la nouvelle pièce. Le grappin crissa sur la pierre et retomba. Le capitaine pesta et retenta son lancer. Après deux essais supplémentaires, le grappin s’accrocha enfin à quelque chose. Sarquindi testa la solidité de l’accroche et grimpa. Les trois autres elfes suivirent leur chef sans encombre. Le dernier d’entre eux décrocha le grappin qui s’était coincé entre deux dalles du sol et l’enroula avant de le remettre sur son épaule.

        L’expédition continua son exploration de la pyramide. Il n’y eut pas d’autres pièges sur le chemin. Le passage avait l’air de remonter légèrement, ce qui rassura quelque peu les elfes. Contrairement aux nains, ils préféraient de loin les grands espaces aux lieux confinés.

        Ils débouchèrent finalement sur une salle bien plus vaste que tout ce qu’ils avaient rencontré jusque-là. Celle-ci mesurait une centaine de mètres de côté, et presque autant de hauteur. Quelques rayons de lumière au travers du plafond indiquaient que l’extérieur était proche. Mais ce qui attira immédiatement le regard des elfes, c’était la structure au centre de la salle.

        Malgré leurs décennies de voyage, les druchii n’avaient jamais rien vu de pareil. C’était aussi grand qu’une maison, et avait la forme d’un cône tronqué. La chose était manifestement faite de métal, mais aucun des elfes ne put en définir la nature. Elle était couverte de grandes sculptures représentant des visages stylisés qui toisaient les arrivants de leurs yeux sévères. La structure reposait sur quatre énormes supports qui ressemblaient à de grandes pattes d’araignée métalliques. Intimidés, les druchii n’osèrent pas avancer. La bouche du visage qui se trouvait face aux arrivants s’ouvrit. Un plateau de métal en sortit et s’abaissa pour former une rampe menant à l’intérieur.

        Sarquindi pressentit qu’il y avait dans cette chose un trésor bien plus important que tout l’or qu’ils pourraient piller dans les rues de la cité. « Suivez-moi ! » ordonna-t-il avant de s’élancer. Il courut au travers de la salle, monta la rampe et s’engagea sans hésitation à l’intérieur. Les autres elfes échangèrent des regards inquiets, avant de suivre leur capitaine, les sabres à la main.

        L’intérieur de la chose était exigu, deux elfes pouvaient à peine passer de front. Les couloirs étaient fait du même métal que l’extérieur et serpentaient jusqu’à une sorte de cabine où les corsaires retrouvèrent Sarquindi. La pièce était remplie d’objets étranges. Un établi occupait le mur le plus long. Il était couvert de leviers et de boutons de couleurs différentes. Assis dans une chaise face à un disque couvert de symboles, le chef druchii tenait devant les yeux une tablette de pierre. Ses yeux, brillants d’excitation, parcourait le texte qu’elle contenait aussi vite qu’ils le pouvaient. D’autres tablettes étaient empilées dans tous les coins de la pièce.

        « C’est en vieil elfique, mais je crois que j’arrive à en comprendre l’essentiel ! » s’exclama Sarquindi en se levant.
        Devant ses marins incrédules, il appuya sur un levier à sa gauche. Le mur face à lui devint alors transparent, à la plus grande stupeur des elfes. Ils parvenaient à voir au travers toute la pièce et le couloir d’où ils étaient venus. C’était comme le métal n’avait jamais été là. L’un des druchii mit la main sur la paroi et constata que le mur était encore là, invisible.

        « Qu’est-ce que c’est que cette chose ? demanda Kielmir

        - C’est un navire ! répondit Sarquindi en riant. Un navire de métal !

        - Comment est-ce possible ? balbutia un corsaire. Nous sommes trop loin du fleuve !

        - C’est que ce navire ne vogue pas sur l’eau, mais traverse l’air ! Lis ! »

        Sarquindi tendit à au marin la tablette de pierre. Le marin la parcouru. Ses yeux s’agrandirent :

        « Mais… Si ce qui est écrit est vrai, ce vaisseau daterait d’avant le Grand Cataclysme ?

        - Oui ! Peut-être même bien avant ! répondit Sarquindi. Peut-être des premiers âges du monde !

        - C’est un… « cadeau des Anciens à ceux qu’ils ont créés » ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

        - Un de mes amis m’a parlé d’une théorie selon laquelle les elfes auraient été façonnés par une race aujourd’hui disparue, avança Kielmir. Peut-être que c’est de ça que parlent ces textes ?

        - Comment cela est-il possible ?

        - Peu m’importe ! Cette chose est à moi ! les coupa le capitaine. Despote Sarquindi ! Maitre du ciel ! »

        Le druchii appuya sur un autre levier. Toute la pièce trembla. Un bourdonnement se fit entendre, venu de sous leurs pieds. Les elfes virent au travers du mur transparent les pattes de la structure se replier légèrement, et l’engin se soulever. Ils se collèrent à la paroi et constatèrent qu’ils ne touchaient plus le sol. Ils volaient. La chose était bien un navire. Ce qu’ils avaient pris pour un établi était un tableau de bord. Et ce que Sarquindi avait saisi avec un rire dément, c’était le gouvernail.

        Le vaisseau se souleva d’un coup et heurta le plafond de la salle dans un grand bruit. Emporté par son élan, le navire volant traversa la pierre. Les blocs du temple explosés par l’impact s’écrasèrent contre les bâtiments aux alentours. Aveuglés par la soudaine lumière du jour, les elfes se couvrirent les yeux. Le vaisseau continua sur la lancée, mû par les pouvoirs extraordinaires des technologies des Anciens.
        Quand ils purent à nouveau voir, les corsaires se rendirent compte qu’ils perdaient de l’altitude. Ils avaient dépassé les frontières de la ville, transportés à toute allure par la vitesse faramineuse de l’engin.

        Sarquindi se retourna pour attraper une autre tablette qu’il lut en diagonale. Il appuya alors sur une série de boutons et de leviers, mais rien ne changea dans la course descendante du navire volant.

        « Saleté ! Remonte ! Remonte ! » criait Sarquindi. Son équipage tentait s’accrocher à quelque chose, et tous regardaient avec horreur la jungle se rapprocher beaucoup trop rapidement.
        Ils s’écrasèrent contre un large arbre qui fut pulvérisé sous le choc. Malgré la violence de la collision avec le sol, le vaisseau n’était même pas égratigné. La porte de celui-ci s’ouvrit et les corsaires en sortirent. L’un d’entre eux se jeta au sol, un autre vomit contre un arbre. Sarquindi émergea à son tour, les bras remplis de tablettes de pierre.

        « Lisez-moi ça ! Le premier qui trouve comment faire redémarrer ce navire deviendra mon nouveau second ! »


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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Jeu 15 Avr 2021 - 10:49
LES LARMES DE KALITH
Duel au sommet

Petite ambiance musicale...


        « Derrière les baraquement ! Dépêchez-vous ! »

        La voix rauque d’Ixi’ualpa claqua comme un fouet dans l’air pesant d’humidité. En ce début d’après-midi, le soleil de plomb écrasait quiconque assez fou pour oser quitter les ombres. Pourtant, la petite troupe d’Amazones s’était bien décidée à braver sa chaleur impitoyable, courant comme des dératées dans les ruelles dallées, ou sautant de toits en toits. Leurs respirations étaient haletantes, et leurs corps luisaient de sueur sous les efforts demandés, leurs muscles ondulant au rythme de leur course effrénée.

        « Révérée de l’aigle, des hérétiques ! »

        La kalim était dressée sur un toit, le regard tourné vers les abords de la ville-basse. Ixi’ualpa s’arrêta.

        « Combien ?
        — Une douzaine, tout au plus ! »

        Ixi’ualpa leva la main, ordonnant aux autres de ses guerrières de s’arrêter. Les kalims obtempérèrent, et en profitèrent pour se ressaisir, leurs visages tendus. Elles s’adossèrent au murs ou s’assirent à même le sol, à bout de souffle.

        La guerrière aigle s’en sortait mieux. Elle, au moins, n’avait pas l’habitude de faire taire les protestations de son corps par la drogue lorsqu’elle avait besoin de lui demander de faire de lourds efforts. Elle se doutait que le manque de koka devait rudement affecter les kalims, mais avec un peu de chance, elles pourraient enfin avoir des conditions favorables pour combatte, et mettre fin à leurs privations.

        « Pas de nouvelles arrivantes ? demanda-t-elle à la kalim postée sur le toit.
        — Non, révérée, toujours une douzaine.
        — Bien. Elles ont dû se séparer du gros de leur troupe. Reprenez votre souffle, et préparez-vous. Il est temps de faire payer ces hérétiques pour leur témérité. »

        À côté d’Ixi’ualpa, le visage de Rakt’cheel se déchira en un sourire carnassier. Entre toutes les kalims, c’était elle qui s’était le mieux sortie de la matinée, passée à essayer de distancer les guerrières de la traîtresse Ignea : la dévote n’avait pas été hissée au rang de cheffe des kalims sans raisons.

        Une par une, les kalims sortirent des feuilles de koka, des chiques, des gourdes de leurs ceintures, et goûtèrent avec délectation à leur drogue favorite. Elles se mirent en position. Certaines s’abritèrent dans les ombres qui bordaient les maisons en ruine, d’autres se postèrent sur les toits. Dans le silence pesant qui s’installait, elles trépignaient, prêtes à bondir, impatientes de goûter de nouveau à l’odeur du sang. En chacune d’elle brûlait un feu motivé par une seule et même envie : tuer chacune des guerrières ayant suivi la prêtresse Ignea sur la voie du Dieu du Sang.

        Il fallut un moment avant que la première hérétique n’apparût au bout de la ruelle, bientôt suivie par une dizaine de ses compagnes. Contrairement aux kalims et à Ixi’ualpa, les premières presque nues et aux corps peints, la dernière aux vêtements et au casque finement ornementés, ces guerrières-là étaient habillées de simples tuniques ou toges, serrées à la taille par des pagnes, ou ceintures, aux couleurs bigarrées. Les plus modestement armées maniaient un bouclier et une arme de poing : hachette, épée, lance. Les mieux équipées arboraient des casques pointus et quelques pièces d’armures, comme un plastron.

        Les premières guerrières dépassèrent les kalims tapies sans les voir. Ixi’ualpa n’imaginait pas à quel point ces dernières devaient se retenir pour ne pas leur sauter dessus sur le champ… probablement que la koka ne faisait pas encore totalement effet. La guerrière aigle réaffirma sa prise sur sa lance. Il était temps de donner le signal de l’assaut.

        L’hérétique ne la vit pas sauter sur elle. Du moins pas à temps, car Ixi’ualpa transforma son cri d’alerte en un gargouillis inintelligible d’une seule frappe de lance qui lui perça la gorge.

        À peine la guerrière aigle s’était-elle réceptionnée au sol qu’une deuxième combattante était sur elle, hachette dressée. Ixi’ualpa eut à peine le temps d’esquiver son coup maladroit que Rakt’cheel jaillit dans son dos et lui ouvrit le ventre d’une de ses dagues. Sans s’arrêter, la dévote fonça vers une nouvelle adversaire.

        Tout autour d’elles, les kalims sortaient des ombres et s’abattaient impitoyablement sur leurs ennemies. Ixi’ualpa n’eut plus grand-chose à faire. Devant elle, les corps des guerrières d’Ignea tombaient au sol, rapidement mises à mort par les kalims qui possédaient à la fois l’avantage du nombre et de la surprise.

        Elles ne firent preuve d’aucune pitié : aucune hérétique ne fut épargnée et, en l’espace de quelques instants, il n’y en eut plus une seule encore en vie pour les affronter. En comparaison, seules quatre des guerrières d’Ixi’ualpa, plus malchanceuses, subirent des blessures légères. Immédiatement, ces dernières commencèrent à se soigner.

        La guerrière aigle s’adossa contre un mur en pierre moussue, attendant que les blessées bandassent prestement leurs plaies. Quelques-unes des kalims se promenaient entre les cadavres, prélevant des oreilles sur leurs ennemies ; plus tard elles offriraient aux dieux ces preuves de leurs victoires sur leurs sœurs hérétiques.

        Ixi’ualpa regarda les kalims panser leurs plaies. Même si elle aurait préféré avoir avec elle des guerrières-piranhas – avec une poignée de ces guerrières rodées à la guérilla forestière, elle aurait pu faire de l’expédition d’Ignea un enfer au lieu de devoir se replier vers la cité perdue – force était d’admettre que les kalims tenaient admirablement le coup. Elles encaissaient à la fois le rythme soutenu de leur fuite et les privations de koka qu’elle leur imposait, car en dehors des combats, elle avait besoin des guerrières en pleine possession de leurs esprits.

        Ixi’ualpa prit une grande inspiration, et se redressa. Les kalims venaient de finir de se soigner sobrement.

        « Hixik, d’autres hérétiques à l’horizon ? »

        L’intéressée se hissa à nouveau sur le toit d’une maison avec une grâce féline, avant de scruter l’horizon de la cité abandonnée. « Non, ix-tz’ikin tzili ! » répondit-elle d’une voix forte

        « Bien, très bien. Nous allons pouvoir profiter d’un peu d’avance. Repartons. »

        D’un même élan, la trentaine de guerrières se remit en route au pas de course, dépassant des rangées interminable de maisons. Ces dernières étaient toutes identiques, et séparées à intervalle régulier des mêmes ruelles, ce qui leur donnait l’impression de ne pas avancer. Il y avait toujours quelque chose d’irréel dans la rigueur mathématique dont avaient fait preuve les Anciens dans l’érection de leurs cités.

        Soudain, le vide s’ouvrit devant eux. Coulant plusieurs pieds en contrebas, un canal large d’une centaine de pas s’écoulait paresseusement et séparait de la ville basse de la ville haute. Même à moitié envahis par la verdure, les imposants bâtiments parés d’or narguaient les amazones, arborant mille reflets éclatants sous le soleil méridien, de l’autre côté du gouffre.

        Un peu plus loin, le long du fleuve, un pont à moitié écroulé permettait de rallier le cercle intérieur de la cité. Prudemment, la petite troupe entreprit de traverser l’édifice branlant. Jadis assez large pour laisser passer vingt guerrières de front, à peine deux amazones pouvaient, désormais, en traverser la partie la plus érodée par le temps.

        Si la manœuvre ne ralentit pas tant la progression du groupe, Ixi’ualpa se réjouit de ce tour de la providence : la centaine de guerrières qui formaient la suite de la traîtresse Ignea mettrait bien plus longtemps à passer ce goulot d’étranglement. Les mains de la guerrière aigle se joignirent sur son torse en un geste sacré : même dans les heures les plus sombres, Rigg et Amex veillaient sur leurs filles.

        Solennellement la troupe passa les deux gigantesques statues aux têtes reptiliennes qui gardaient encore l’entrée de la cité haute. Leurs yeux faits de gemmes précieuses brillaient d’un feu rouge et ardent à la lumière zénithale, qui scrutaient les femmes d’un regard sévère et impitoyable.

        Leurs premiers pas résonnèrent étrangement dans la rue à présent bien plus large. C’était plutôt une avenue en vérité, et la végétation rampante qui la recouvrait ne pouvait totalement cacher les pavés d’or que les âges n’avaient pu ternir. Même décrépite, la cité écrasait d’opulence, forçant ses visiteuses à protéger leurs yeux de leurs mains tant les multiples reflets du soleil étaient insoutenables.

        Loin devant elles, quatre pyramides gigantesques dominaient le cœur même de la cité, et de faîte doré, de l’une d’entre elle, un rai de lumière pure s’élançait vers le ciel. Au faîte d’une autre encore, une petite pyramide flottait en tournant paresseusement sur elle-même. D’innombrables escaliers permettaient de gravir l’impressionnante grandeur des quatre bâtiments. Une poignée de ponts éparses, arrogants de finesse, les reliaient avec autres bâtiments.

        Dans l’une de ces pyramides, des artefacts abandonnés, héritage laissé par les Anciens à leurs enfants, d’une puissance incommensurable pour qui saurait les utiliser, les attendaient. Depuis le début, le but de l’expédition d’Ixi’ualpa avait été d’arracher ces antiques objets des griffes avides des étrangers, pour les ramener dans la sécurité de la capitale amazone.

        Mais Ixi’ualpa avait aussi une petite idée, l’idée même qui faisait que les kalims lui obéissaient toutes au doigt et à l’œil depuis leur retraite. Oh, elles allaient récupérer les armes des Anciens. Et elles allaient les utiliser pour battre la horde impie d’Ignea une fois pour toutes. Les armes, une fois acheminées à la capitale, auraient dû servir à lutter contre cette dernière. Mais, puisque la traîtresse, désormais révélée au grand jour, s’offrait à la troupe d’Ixi’ualpa, cette dernière n’allait pas laisser passer l’occasion d’écraser sa menace ici-même.

        Sans surprise, les kalims avaient tout de suite adhéré au plan sans aucune forme de protestation.

        « Révérée Rakt’cheel. » demanda Ixi’ualpa, brisant le silence qui s’était installé au sein du groupe, tout en admiration devant la cité dorée. « Les visions de la Grande Prêtresse avaient indiqué quelle pyramide ?
        — Le rai de Chotec marque l’autel des Frères Guerriers, l’Impassible en garde l’entrée, l’héritage des Anciens nous attend au cœur de leur création, à celui qui les nourrira des paroles sacrées, nous a-t-elle dit.
        — La pyramide d’où jaillit le rai de lumière, serait la pyramide de Quetzl et Quetli donc. Nous devons chercher une entrée à la marque de Tlazcotl ? »

        Rakt’cheel tourne la tête vers la guerrière, l’air surprise.

        « Vous avez…
        — … Eu le temps de réfléchir un peu à tout cela pendant le voyage oui. La Grande Prêtresse m’a surtout livré sa propre interprétation avant que je parte vous rejoindre. »

        La dévote répondit au sourire amusé d’Ixi’ualpa par un haussement de sourcil circonspect… avant de sourire à son tour, ce qui surprit en retour la guerrière.

        Au début de leur voyage, Rakt’cheel l’aurait fusillée du regard, et fustigée verbalement, pour son insolence. Mais maintenant, ce n’était plus de l’adversité quelle sentait venir de la dévote, mais une certaine forme de respect, qui commençait à poindre ces derniers jours. Un respect de plus en plus mutuel, car Ixi’ualpa en appréciait un peu plus l’étrange adepte des dieux, qui s’ouvrait de plus en plus à elle. Cette dernière interrompit d’ailleurs brutalement le fil de ses pensées en faisant claquer sa voix dans le silence :

        « Voilà qui nous épargne un temps précieux ! Vous nous avez entendues, vous autres ? À la pyramide au rai, triple vitesse ! On cherche l’entrée marquée par Tlazcotl ! »

        La troupe se remit en marche vers son objectif avec une détermination et une énergie renouvelée.



        Trouver ladite entrée se révéla plus difficile que prévu. La base imposante de la pyramide, de plusieurs milliers de pieds de long, ne portait aucune percée, ni même d’escalier permettant de grimper à son faîte. En revanche, plusieurs ponts la reliaient aux édifices bien plus modestes qui la bordaient, à raison de deux ponts par côté. Aucun n’arrivait à une même hauteur, donnant probablement accès à des parties bien différentes de la cité.

        Les amazones ne se désespérèrent pas longtemps de trouver le pont qui leur conviendrait : chacun des édifices reliés se révéla être un temple dédié à un Ancien particulier. Au sommet du quatrième qu’elles inspectaient, elles trouvèrent un autel dédié à Tlazcotl l’Impassible.

        Le pont qui le reliait à sa grande pyramide voisine était fin et élancé, couvert çà et là de mousse, fissuré en mains endroits, mais toujours entier. Sans hésiter, les kalims s’y avancèrent, et l’édifice soutint leur passage, ce qui ne manqua pas de soulager Ixi’ualpa.

        Enfin, elles purent contempler de leurs yeux l’entrée de la pyramide qui leur avait été prophétisée. La porte close les toisait, elles qui s’étaient rassemblées sous le regard de ses deux statues gardiennes, imposantes représentations stylisées de Quetli et Quetzl, dont le physique reptilien était étrange, même pour elles qui avaient côtoyé les hommes-lézards serviteurs de ces mêmes Anciens…

        Les battants dorés demeurèrent fermés à leur approche. Nulle poignée ne les laissaient se faire glisser. Nul levier ne marquait l’ingénierie des Anciens au-delà du génie, qui aurait pu permettre l’ouverture des battants. Muette, la porte arborait dans la lumière solaires ses fresques antiques sans révéler le secret de son ouverture.

        Ou presque.

        « On dirait un cantique. » murmura l’une des kalims, plongée dans la contemplation de l’édifice. « Des versets sacrés, laissés par les dieux... »

        Alors même qu’elle allait poser la main l’un des glyphes, ce dernier bascula dans un grincement sourd et métallique. Surprise, l’amazone recula d’un coup, en même temps que le morceau de métal tournait sur lui-même pour révéler un autre glyphe.

        « À celui qui les nourrira des paroles sacrées, a dit la grande prêtresse… » Ixi’ualpa, pensive, murmurait entre ses lèvres. « C’est une énigme ? Une épreuve de connaissance ? De mérite ?
        — C’est ce qui nous ouvrirait la voie ? demanda la kalim à côté d’elle, incrédule.
        — C’est ce que la prêtresse a vu... » La guerrière aigle se retourna pour s’adresser à toute la troupe : « Quelqu’un connaît-il les textes sacrés ? »

        Quelques amazones prirent un regard pensif, d’autres reculèrent en secouant la tête, abattues. Ixi’ualpa se souvint que si les kalims étaient des guerrières redoutables et des fidèles incontestées des prêtresses, elles étaient en bas de la caste religieuse, les femmes qui avaient choisi la voie des adeptes sans avoir été touchée par les dieux, sans avoir reçu leur don de manier la magie sacrée. Elles n’étaient que des servantes, adeptes, gardes, en attente de mériter d’être, à leur tour, un jour initiées aux rites plus cachés, en progressant dans la sororité…

        « Je reconnais quelques passages. » La guerrière qui avait touché le glyphe avait levé la main. « Mais je suis loin d’avoir entendu parler de tout ce que les cantiques mentionnent.
        — Je pourrai peut-être en compléter quelques-uns. » avança une autre.

        Enfin, ce fut Rakt’cheel elle-même qui se fraya un chemin parmi les adeptes pour faire face à la porte.

        « J’ai déjà pu lire quelques tablettes sur Quetlz. En s’y mettant ensemble, on devrait y arriver. »

        Ixi’ualpa ne cacha pas son soulagement. Répondant au rang de dévote, Rakt’cheel avait déjà plus de connaissance que les autres, que les dieux en soient remerciés… Finalement, se dit la guerrière aigle, sauver sa vie par trois fois n’aurait pas été vain. Plus encore, cela c’était révélé de jour en jour être une excellente décision.

        « Allez, on-y va ! »

        Sous le regard d’Ixi’ualpa, Rakt’cheel rassembla autour d’elle la poignée de ses suivantes, qui elles aussi pensaient connaître quelque chose au cantique à compléter. Se concertant pour choisir les mots à changer, elles coordonnaient les autres kalims. Ces dernières durent aller jusqu’à former des échelles humaines pour accéder aux glyphes les plus élevés, la porte étant haute de plusieurs dizaines de pieds.

        Les observant, Ixi’ualpa s’imagina un des Slaans, ces créatures presque légendaires, mettre en ordre les glyphes d’un seul mouvement de main, par sa puissante force télépathique, pour accéder au cœur de la pyramide. Une scène qui n’avait pas dû arriver depuis des millénaires, vu que la cité avait été abandonnée depuis tout ce temps.

        Finalement, elle se désintéressa de la porte, pour contempler le paysage en contrebas. Le soleil avait déjà quitté son zénith, témoin de l’heure qui leur avait fallu arriver jusqu’ici depuis leur arrivée dans la cité. Réalisant cela, la guerrière fronça les sourcils, et se mit à scruter la ville basse au loin.

        En effet, quelques mouvements à l’orée de la forêt lui confirmèrent ses craintes. Les guerrières d’Ignea. L’avancée de sa troupe, forte d’une bonne centaine d’amazones entrant dans la cité, se laissait voir de loin. Elles ne donnaient pas l’impression de vouloir perdre leur temps : visiblement, la traîtresse était aussi avide de verser leur sang qu’elle le sien.

        Ixi’ualpa serra les dents. Elle n’attendait que de pouvoir sentir sa lance percer la gorge de la prêtresse qui avait osé renier Rigg pour le Dieu du Sang. Mais elle voulait attendre d’être sûre de pouvoir les renvoyer à leur nouveau dieu impie avant de frapper. Si Rigg le voulait, l’heure d’avance qu’elles avaient pu gagner lors de leur matinée de poursuite leur permettrait de gagner l’avantage.

        Un bruit sourd, celui de la pierre frottant sur la pierre, la fit se retourner. Lentement, solennellement, les deux battants s’ouvraient vers l’intérieur, révélant un tunnel sombre aux yeux des amazones attroupées sur le pallier, immobiles et incrédules devant le spectacle.

        Ixi’ualpa se fraya un chemin parmi les kalims, avant de faire face au groupe.

        « Mes consœurs ! » commença-t-elle. « Nous sommes enfin arrivées à notre but ! Dans une heure, peut-être un peu plus, les servantes d’Ignea, cette traîtresse impie qui a renié son rang de prêtresse pour s’adonner au culte du Dieu Rouge, et emporté toute sa tribu avec elle, seront sur nous. Une heure ! Voici ce qu’il nous faut pour arracher aux entrailles de cette pyramide les artéfacts que les dieux nous ont laissés pour nous battre pour cette juste cause ! C’est ce que nous ferons ! Depuis le début de ce voyage, autant de nos sœurs que nous sommes aujourd’hui se sont sacrifiées pour que nous puissions arriver jusqu’ici. J’entends bien que nous honorons le don de leur vie en prenant celle des hérétiques qui ont bafoué notre sang, notre lignée ! Kalims ! Êtes-vous avec moi ? »

        « Pour Rigg ! » s’exclamèrent sur le champ Luxia, Hixik et Haa’thee.

        « Pour Rigg !!! » reprirent toutes les kalims d’une seule voix dont l’écho retentit sur toutes les pyramides alentours. Rakt’cheel se joignit à elles sans la moindre hésitation :

        « Pour la Mère, pour Kalith ! Pour Amex ! Pour les Ancêtres ! »

        Elles s’enfoncèrent dans la pyramide sans un seul regard en arrière.


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Jeu 15 Avr 2021 - 10:53

        L’intérieur de l’édifice se révéla moins envahi de ténèbres que prévu : encastrées dans les murs à intervalles réguliers, des pierres à l’éclat laiteux baignaient le couloir d’une douce lumière bleutée, éclairant des fresques ésotériques, et les amazones ne s’arrêtèrent pas pour les déchiffrer.

        Bientôt, elles passèrent une porte, gigantesque, à même le mur du couloir haut de plusieurs dizaines de pieds. Le long du couloir, qui descendait en pente douce dans les profondeurs de la pyramide, elles en croisèrent encore une autre, encore et encore. Mais Ixi’ualpa et Rakt’cheel avançaient sans s’arrêter, sans même regarder tous ces battants fermés.

       Marchant derrière les deux femmes, hésitante, Haa’thee finit par oser leur adresser la parole : « Révérées ? Permettez-moi de vous demander… comment pouvons-nous être sûres que nous ne manquons pas la salle sacrée ? »

        Ixi’ualpa n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche pour lui répondre que la voix ferme de Rakt’cheel retentissait dans le couloir : « La vision de la Grande Prêtresse nous a dit d’aller au cœur de la pyramide, c’est ce que nous ferons. »

        La guerrière aigle tourna la tête vers la dévote, qui lui rendit son regard et hocha silencieusement la tête. Elles continuèrent leur avancée.

        Au bout d’un long, très long moment, le couloir déboucha enfin sur une large pièce. Non, une immense pièce, qui baignait dans une lumière éclatante irradiant de son plafond. Ce ne pouvait être la lumière du soleil : bien que démesurément grande, au moins autant que la pyramide de Tlazcotl, il était impossible que son plafond atteigne le faîte de la pyramide, autrement plus grande.

        Les Anciens ne faisaient pas dans la demi-mesure. Peut-être, se dit Ixi’ualpa, que pour eux, ce qui était la démesure de leurs serviteurs n’était que leur ordinaire, que ceci ne devait être rien à leurs yeux, dérisoire. Puis elle posa les yeux sur le sol de la pièce et oublia aussitôt ses réflexions.

        « Par toutes les déesses et tous les dieux... » murmura Rakt’cheel à côté d’elle. Derrières elles, le reste de la troupe s’avança. Les kalims, tout aussi subjuguées, ouvrirent de grands yeux pour tenter d’embrasser le spectacle qui s’offrait à eux.

        Posés sur des piédestaux, jetés en vrac à même le sol, d’innombrables objets s’étalaient sur toute la surface de l’endroit. Ixi’ualpa en reconnu quelques-uns – une lance ici, un casque là, une massue derrière – mais une bonne part échappait à ses connaissances, et celles qu’elle pouvait identifier arboraient parfois des styles étranges, qui la dépassaient.

        Plus important encore, il y en avait bien plus qu’elles pourraient en porter, ni que leurs pirogues pourraient contenir. À intervalles réguliers, des colonnes de pierres larges comme un arbre millénaire s’élançaient, soutenant des plateformes aériennes que des escaliers permettaient de rejoindre. Nul doute qu’encore d’autres merveilles s’y cachaient. Ni Ixi’ualpa ni les kalims n’en revenaient. Toute une armée aurait pu s’équiper dans l’endroit sans pour autant le vider de son contenu.

        « Qu’allons… qu’allons-nous faire, révérée de l’aigle ? » demanda une kalim au regard complètement perdu face à l’immensité de l’arsenal. À vrai dire, ladite révérée n’en menait pas plus large.

        « Pour savoir quoi ramener… je ne sais pas encore. Nous aviserons. Pour l’instant, équipez-vous ! » Ixi’ualpa se redressa, se retourna pour s’adresser à toutes. « Choisissez ce qui vous convient le mieux. Puis nous rebrousserons chemin, et nous donnerons à nos sœurs traîtresses l’accueil qui leur revient ! Nous pourrons ensuite revenir et compléter notre mission, de ramener autant de reliques qu’il nous sera possible. »

        Les kalims ne se firent pas presser et s’avancèrent, curieuses, dans la réserve antique. Ixi’ualpa les regarda essayer différentes pièces d’armure, différentes armes. Elle qui était entrée dans la cité en regrettant de ne pas avoir à ses côtés des guerrières jaguar, ou des révérées du piranha... elle allait bientôt être à la tête d’une troupe au moins aussi effrayante, sinon plus, que tout ce qu’elle aurait pu espérer.

        Il y eut quelques surprises qui faillirent se révéler mauvaises. Une masse fut parcourue d’éclairs lorsqu’on la toucha, et manqua de sonner la malheureuse qui avait osé le faire. Au dernier moment, cette dernière s’était ressaisie et avait carrément empoigné l’arme, et avait ainsi évité de se faire toucher par les éclats éthériques. Une autre kalim faillit blesser une de ses camarades lorsque le casque qu’elle endossa la baigna de flammes pourpres – la porteuse, elle, ne fut aucunement brûlée par le brasier. Une dernière kalim passa un bracelet autour de son cou… et disparut. Il leur fallut quelques secondes pour comprendre qu’elle était simplement devenue invisible.

        D’autres objets, ceux qui n’étaient pas soigneusement entreposés sur un piédestal, ne donnaient simplement pas l’air d’être enchantés, ou alors attendaient la manipulation opportune pour se manifester.

        À part les armes, que n’importe qui pouvait manier, la plupart des pièces d’armures n’étaient pas faites pour des physionomies humaines. Cela dit, elles trouvèrent quelques plastrons et casques qu’elle pouvaient porter : le dépôt des Anciens contenant véritablement tout ce qu’il était possible d’imaginer.

        Tout naturellement, les kalims portèrent leur dévolu sur les armes aux airs les plus spectaculaires, se disputant presque ces trophées. Soudain, la voix de Rakt’cheel s’éleva parmi la clameur des kalims.

        « Par la Mère, des sceptres du feu solaire ! »

        Ixi’ualpa, et les kalims à portée de voix, se retournèrent pour la regarder : la dévote tenait dans sa main un bâton doré. L’une de ses extrémités, plus large, était savamment ornementée, tandis que l’autre, plus petite, s’ouvrait en une gueule reptilienne stylisée.

        « À la capitale, seules les prêtresses et les dévotes les plus fidèles reçoivent l’honneur de manier un tel artefact… » expliqua-t-elle en pointant l’extrémité ouverte vers le couloir d’entrée. « J’ai déjà pu assister à une démonstration. Il suffit de prononcer les paroles sacrées et d’appuyer ic... »

        Dans un craquement rappelant le tonnerre, un rai de lumière jaillit aussitôt de la gueule béante, et fusa à travers le couloir d’entrée dans le prolongement du sceptre. Une fraction de seconde plus tard, une légère explosion se fit entendre au loin. Rakt’cheel regarda l’arme d’un air circonspect.

        « Eh bien… je suppose qu’il n’y a pas besoin des paroles sacrées. Les prêtresses ne nous ont jamais dit ça…
        — Tu pourras leur en toucher quelques mots, l’interrompit Ixi’ualpa, encore sous le choc de la démonstration. Emparez-vous de ces sceptres ! Ils pourront nous être cruciaux contre Ignea, j’ai une petite idée… Rakt’cheel, je te charge de montrer aux autres comment faire. »

        La dévote acquiesça de la tête, et fit passer à une poignée de kalims les quelques autres sceptres qui étaient sur le râtelier où elle avait saisi le premier.

        Bientôt, les amazones eurent fini de se préparer. Entre les armes ésotériques, incandescentes, ou parcourues d’éclairs, les quelques plastrons ornementés, les casques étranges et les boucliers miroitants, c’était une tout autre troupe qui se tenait devant Ixi’ualpa. Une troupe d’autant plus étrange qu’en plus de leur accoutrement hétéroclite, les kalims portaient encore leurs vêtements bariolés ainsi que leurs peintures de guerre. Ixi’ualpa elle-même avait revêtu un des rares plastrons qu’une humaine pouvait porter, ainsi que des épaulettes et jambières assorties. Tout ceci avait l’air parfaitement ordinaire, mais des protections supplémentaires étaient toujours bienvenues.

        La guerrière aigle leva sa lance.

        « Mes sœurs, en avant ! »

        Lorsqu’elles s’élancèrent dans le couloir qui les mèneraient à la surface, Ixi’ualpa se demanda un instant si elle n’envoyait pas sa troupe à sa perte. Même lourdement armées, elles n’étaient qu’une trentaine contre une force au moins trois fois supérieure en nombre, peut-être même plus.

        Elle secoua la tête. Elle n’avait pas besoin de doute : elle avait besoin d’un plan. Et justement, elle en avait un qu’elle comptait bien expliquer au kalims le temps qu’elles remontent à l’air libre.




        Les hérétiques ne les virent pas arriver. Du moins, pas d’une telle manière. Ignea et ses suivantes s’étaient attendues à une poignée de fugitives, tout aussi éreintées qu’elles, sinon plus, par leur demi-journée de poursuite effrénée… Elles déchantèrent bien rapidement.

        Les corps de leurs consœurs parties en amont, qu’elles avaient retrouvé dans la ville-basse, aurait dû les alerter, les mettre sur leurs gardes. Mais Ignea s’était trop sentie en confiance. Avoir révélé au grand jour sa vraie nature lui avait donné le sentiment d’être invincible, d’être l’élue du Dieu du Sang, du Carnage, et elle sentait la force de ce dernier dans ses veines. Aussi, elle avait laissé sa certitude de vaincre prendre le pas sur la prudence.

        Ixi’ualpa ne se priva pas d’exploiter cet excès de confiance. Elle et sa troupe avaient vu de loin les traîtresses remonter leur piste jusqu’à la petite pyramide de Tlazcotl. Patiemment, elles les avaient attendue, hors de vue.

        Avant même que les traîtresses ne les remarquent, les trois kalims armées des sceptres solaires avaient fait pleuvoir plusieurs traits bénis dans les rangs serrés des impies en bas de la pyramide. Les rais de lumière traversaient les boucliers et les armures comme ils déchiraient les chairs : avec une aisance particulièrement effrayante, avant de percuter le sol en des explosions, certes petites, mais extrêmement spectaculaires.

        Les guerrières avaient à peine compris ce qui leur arrivait que plus d’une quinzaine d’entre elles gisaient au sol, les plus chanceuses d’entre elles simplement blessées, au milieu des trous fumants laissés dans le sol par les armes des Anciens. À l’avant de sa troupe, Ignea jura, et se promit de briser les crânes de toutes ces ennemies elle-même.

        « Avec moi ! À l’assaut ! »

        Elle s’engouffra dans le bâtiments avec toute son avant-garde. Elle savait que leurs sœurs adverses n’étaient qu’une trentaine, de surcroît des kalims incapables de stratégie poussée : elles allaient les mettre à bas ici et maintenant, pour la plus grande gloire de Kh…

        Elle esquiva in-extremis la masse d’arme crépitante destinée à rencontrer sa tête, qui finit sa course en plein dans la guerrière à côté d’elle, projetant d’une part une gerbe d’éclairs, et d’autre part les restes sanguinolents du torse de la victime.

        D’accord. Elle s’était attendue à beaucoup de chose, mais pas à cela. Affublée d’un casque doré qui n’était définitivement pas de facture amazone, la kalim lui montra ses dents en poussant un cri rauque. Une guerrière s’interposa entre elles, se jetant sur la kalim avec férocité. Quelques échanges plus tard et cette dernière envoyait son adversaire au sol, le flanc enfoncé et calciné.

        Tout autour d’Ignea, son avant-garde subissait l’assaut éclair de la dizaine de kalims qui les avaient attendues dans l’antichambre de la pyramide. Puis, rapidement, un cri retentit :

        « Retraite !!! »

        Sous le regard incrédule de la prêtresse, les kalims survivantes, la majorité d’entre elles, se mirent en passe de reculer jusqu’à l’étroit escalier qui grimpait vers les étages supérieurs de l’édifice. Lorsque ses propres guerrières tentèrent de se lancer à leur poursuite, un trait de lumière aveuglante fusa du haut de l’escalier et transperça trois amazones dans un craquement assourdissant.

        Ignea poussa un juron. Quelque chose ne tournait définitivement pas rond. Rien de tout cela n’était dans le genre des tactiques des kalims. C’était simple : les kalims n’employaient tout simplement aucune tactique que ce soit.

        Le silence se fit dans les escaliers, la fumée causée par le tir retomba. Immobiles, les guerrières en contemplaient les volutes sans faire mine d’avancer.

        « Eh bien ? Qu’est-ce que vous attendez ? Allez-y ! » leur hurla la prêtresse, incrédule devant l’hésitation de ses troupes.

        Ses invectives eurent raison de la torpeur des amazones, et toutes s’engouffrèrent avec une énergie et des cris de guerres renouvelés, Ignea se joignant à elles.

        Elle avait compris. Elle avait promis les crânes de toutes les amazones restées fidèles à Khorne. Et Khorne avait relevé son défi, mieux : il en avait fait un défi à la hauteur de la prêtresse. Qu’elle le réussisse, et elle attirerait sur elle encore plus de ses faveurs. Oui, elle en avait la certitude : tout n’était qu’une longue épreuve imposée par les dieux.

        En cela ... sa foi nouvelle ne changeait pas de l’ancienne.



        En haut de la pyramide de Tlazcotl, Ixi’ualpa comptait les kalims qui débouchaient, à bout de souffle, de l’escalier. Neuf, dix, onze… C’était tout. La guerrière jura : elle avait laissé quinze kalims en embuscade dans l’antichambre. Elle n’avait aucune idée du nombre de guerrières qu’elles avaient tuées en retour, mais comparés à leurs nombre, quatre pertes, c’était quatre de trop.

        Elle serra les dents. Laissa quelques secondes aux kalims essoufflées pour se reprendre.

        « Allez, au pont ! Pas de temps à perdre ! Vous, avec les sceptres, vous savez quoi faire ! »

        Au pas de course, elles remontèrent toutes ensemble jusqu’à l’entrée de la grande pyramide. Ixi’ualpa et les kalims armées de boucliers prirent position en une première ligne au bout du pont. Le reste de la troupe venait derrière : elles formaient ainsi au total quatre rangs serrés, de sept guerrières chacun. Enfin, les trois kalims armées de sceptres solaires se hissèrent sur les statues qui gardaient l’entrée.

        « Koka minimale ! » criait Ixi’ualpa alors que les premières ennemies s’avançaient de l’autre côté du pont. « Il faut tenir, rien de plus, rien de moins ! Gardez l’esprit clair, et pas de percée ! Est-ce que c’est bien clair ?! »

        Quelques kalims grognèrent, mais la plupart lui répondirent avec un ferme cri de guerre commun, avant de se remettre à mâcher une ou deux feuilles de koka.

        En face d’elles, les guerrières d’Ignea se mirent à charger à travers le pont. Des tirs maladroits des sceptres en abattirent quelques-unes. D’autres partirent s’encastrer dans la pyramide en contrebas : les kalims ne s’étaient pas improvisées tireuses d’élites en quelques instants.

        « Rigg nous regarde ! continuait Ixi’ualpa. Rendons Kalith fière de ses enfants ! »

        Le choc fut brutal. Les guerrières impies rentrèrent dans la première ligne avec tout l’élan qui leur était possible. Si les kalims ne cédèrent pas de terrain, ce fut uniquement parce que leurs consœurs derrière elles les aidèrent à encaisser le coup de la charge. La mêlée pouvait commencer.

        Immédiatement, la kalim à droite d’Ixi’ualpa s’effondra, une lance chanceuse lui ayant transpercé la gorge. Elle fut aussitôt remplacée par la guerrière qui se tenait derrière elle, qui la vengea prestement après deux bottes de ses deux épées. Plus à gauche, un flash blanc éclatait alors qu’une des kalims parait un coup de son bouclier, qui s’illumina aussitôt et aveugla ses ennemies. La mêlée faisait rage, et les cris des deux partis se mirent à fuser dans tous les sens, tantôt couvrant, tantôt couverts par la clameur des armes.

        Ixi’ualpa ne se laissa pas déconcentrer par ses compagnes et leurs armes nouvelles, et mit sa propre arme à l’ouvrage. Une première guerrière mal équipée se dressa devant elle et lui porta un coup qu’elle esquiva sans peine. Sa propre passe fut impitoyable : la pointe incandescente de sa lance se logea sous la cage thoracique de l’ennemie, en plein sternum, transperçant le plastron de cuir sans aucune difficulté. Ixi’ualpa eut à peine le temps de retirer son arme du corps de son adversaire qu’une seconde hérétique se jetait sur elle. Le combat s’annonçait rude, mais il fallait tenir coûte que coûte, si elle voulait que ce qu’elle avait planifié ce déroulât comme prévu.

        Juchées sur les statues, Hixik et les deux autres manieuses de sceptres solaires contemplaient la mêlée en contrebas, sans cacher la frustration sur leurs visages. Tout dans leur corps leur disait de prendre la koka à leur ceinture et de se jeter elles aussi dans la mêlée en abandonnant leurs armes de tir. Mais Ixi’ualpa avait été claire sur la tâche qui leur incombait, et elles entendaient bien lui obéir. Pour l’instant, donc, elles se contentaient de regarder non sans envie la mêlée, lâchant sporadiquement un tir dans l’arrière de la troupe ennemie.

        Justement, les guerrières d’Ignea s’amassaient sur le pont, avide d’atteindre les combats. Bientôt, elle s’y seraient toutes engagées, et alors, se serait à d’Hixik et ses tireuses que reviendrait le rôle le plus important de toute la bataille.



        Au cœur du corps-à-corps, justement, la plupart des kalims de la première ligne gisaient sur le sol ou s’étaient retirées de la mêlée par les lignes arrière, blessées. Seules Ixi’ualpa et la kalim au bouclier miroitant tenaient encore debout, maintenant épaulées par la deuxième ligne. La troisième ligne attendait impatiemment son tour mais, en son for intérieur, la guerrière aigle priait pour qu’elles n’aient pas à en arriver jusque-là.

       Aux pieds d’Ixi’ualpa, les cadavres des hérétiques s’accumulaient. Un nombre admirable pour une seule guerrière, mais dérisoire face à toutes celles qui attendaient encore de se présenter devant sa lance.

        Au cœur des troupes des hérétiques, Ignea fixait justement le casque orné de plumes d’Ixi’ualpa. Elle comprenait à présent pourquoi les kalims avaient attaqué de façon si méthodique… Jamais se serait-elle doutée qu’une guerrière-aigle était là pour les épauler. Sans doute aucun, c’était là la championne que son nouveau dieu voulait qu’elle affronte. C’était là le crâne qui, une fois arraché à sa propriétaire, lui permettrait de s’attirer les bénédictions de Khorne. Et, justement, Ignea en faisait le serment devant lui, ce crâne serait sien avant la fin de la journée. Dégainant ses lames jumelles, elle commença à se frayer un chemin à travers ses guerrières, droit vers Ixi’ualpa.



        Hixik regarda la dernière hérétique s’avancer sur le pont. Il était temps de donner le signal.

        Ixi’ualpa entendit le hululement, transmis depuis les tireuses par les lignes arrières.

        « Préparez-vous à reculer ! » hurla-t-elle avant de renvoyer une énième traîtresse à son dieu impie.

        Les tirs d’Hixik et ses compagnes se firent subitement plus nourris. Les guerrières d’Ignea n’y prêtèrent pas attention, pas plus que les kalims, les unes comme les autres trop concentrées sur les combats.

        Les traits incandescents frappèrent le pont à sa jonction avec la pyramide en face. Les explosions causées par les tirs ébranlèrent la frêle arche. Une deuxième volée rata sa cible, se perdant dans les pierres solides de la pyramide de Tlazcotl. La troisième eut plus de chance : quelques blocs se détachèrent du pont sous les tremblements, assez pour inquiéter les guerrières d’Ignea à l’arrière du groupe. Mais c’était déjà trop tard : la quatrième salve eut raison de l’antique arche, qui commença à s’effondrer.

        L’effroi se répandit comme une traînée de poudre parmi les hérétiques, bien plus vite que les pierres du pont ne tombaient. Ixi’ualpa, elle, avait déjà ordonné la retraite des kalims. Dès les premières secousses, elles s’étaient préparées à se retirer en bon ordre pour rejoindre la sécurité de l’intérieur de la pyramide.

        Sous la poussée des guerrières d’Ignea prises d’effroi, le petit nombre des kalims n’aurait pu les retenir. Là, grâce à l’organisation d’Ixi’ualpa, elles purent traîner avec elles leurs blessées à l’abri, au lieu de les laisser se faire piétiner par la foule.

        Un torrent de guerrières impies se déversa à leur suite dans l’entrée de la pyramide, les premières arrivées chutant sous les secondes qui leurs marchèrent dessus sans aucune considération. Derrière elles s’élevait la clameur de l’édifice qui s’effondrait, assourdissante, et qui laissait parfois entendre les cris des amazones infortunées précipitées vers leur mort.

        Ignea jurait et pestait avec force hargne. Elle avait commencé à se frayer un chemin parmi ses guerrières lorsque le pont s’était mis à tomber, et cela lui avait sauvé la vie, arrivant parmi les dernières sur le bout du pont qui était resté debout. Serrant les dents, elle maudit mille et une fois la guerrière aigle. Seule l’anticipation de ce qu’elle pourrait lui infliger comme souffrance pouvait apporter à la prêtresse un semblant de consolation.

        Elle n’avait aucune idée du nombre exact de guerrières qu’elle venait de perdre sur le pont. Maintenant qu’elle regardait autour d’elle, elle pouvait compter ses suivantes, qui se redressaient péniblement sur la ruine du pont encore en place. Une douzaine de fidèles, toutes plus choquées les unes que les autres. Voilà ce qu’elle avait sous les yeux.

        Puis elle entendit la clameur qui s’élevait de l’intérieur de la pyramide : le reste de l’avant de sa troupe combattait encore. Ignea s’élança, enjambant cadavres et blessées sans leur prêter aucune attention. Un cri rageur sur les lèvres, elle brandissait ses deux lames sacrées.

        Dans le couloir envahi d’une épaisse poussière levée par l’effondrement du pont, une quarantaine de ses guerrières combattaient une vingtaine, tout au plus, de kalims, qui tenaient vaillamment leur position. Ignea évalua rapidement la situation : les kalims étaient mieux armées, exemplaires de pugnacité, combattantes expertes et, surtout, féroces. Il faudrait plus que ses quelques guerrières pour les repousser. Il était temps qu’Ignea se charge de saper tous leurs espoirs de victoire, en commençant par se débarrasser de leur cheffe.

« Tz’ikin bah te !!! Tali !!! »

        Le cri fit s’arrêter Ixi’ualpa qui, en retrait de la mêlée, était occupée à panser sobrement une blessure superficielle à son bras gauche. « Guerrière aigle, viens ». Quelqu’un l’avait appelée, d’une voix forte et ferme. Devant les kalims, les hérétiques se scindèrent en deux groupes, tout en continuant à combattre férocement, laissant entrevoir une guerrière qui s’avançait, une épée dans chaque main.

        Ixi’ualpa reconnut immédiatement celle qui se tenait en face d’elle : Ignea. La prêtresse impie la pointait d’une lame, une haine indescriptible sur le visage. La guerrière aigle lui rendit son regard, d’une même dureté. D’un geste rapide, elle acheva de se panser et ramassa sa lance. Si c’était la mort qu’Ignea souhaitait, elle allait se faire un plaisir de la lui donner.

        La prêtresse se mit à courir en direction de son ennemie. Une kalim tenta de s’interposer, et Ignea la reconnut : c’était celle qui maniait la masse crépitante. Cette fois-ci, personne ne l’empêcha de riposter. Elle esquiva l’attaque de l’amazone, et ses deux lames fusèrent, mortelles et précises. La brassière de son ennemie dévia une épée, mais l’autre se figea dans son ventre vulnérable avec un bruit mou, arrachant à la femme un cri de douleur étranglé. Ignea la laissa choir au sol sans même la regarder. Elle n’avait d’yeux que pour la guerrière aigle, celle qu’elle considérait comme son ennemie jurée.

        Justement, Ixi’ualpa s’élança à sa rencontre, ordonnant aux kalims de ne pas s’interposer – si toutefois les kalims avaient encore assez de raison pour l’écouter, toutes emportées par les combats qu’elles étaient. Empoignant sa lance, elle s’apprêta à rencontrer la traîtresse corruptrice.

        Le choc fut brutal.

        À sa grande surprise, la prêtresse se révéla plus preste qu’elle. Avec un petit sourire supérieur, elle esquiva sa lance avec une agilité déconcertante. Avant même qu’Ixi’ualpa ne puisse comprendre qu’elle l’avait attaquée, elle sentit les lames de la prêtresse lui lacérer le flanc droit d’une part, et la cuisse gauche de l’autre. Sous la douleur, elle poussa un cri étranglé. Complètement décontenancée, elle recula précipitamment, oubliant toute offensive. (Ignea : 6T, 1 annulée, 4B, 2svg, -2PV !)

        « Surprise ? » lui demanda alors Ignea sans se départir de son sourire. « Mon nouveau dieu est avec moi, bien plus puissant que Rigg ne le sera jamais ! Je suis invincible ! »

        Ixi’ualpa serra les dents et préféra riposter plutôt par les armes que par les paroles. Quatre fois sa lance frappa, et deux fois son ennemie l’évita, pour la parer deux fois de plus. (Ixi’ualpa : 4T, 2B, 2 Invus !)

        « Avant de mourir, donne-moi ton nom, guerrière. » dit la prêtresse. « Que je sache de qui je brandirai le crâne !
        — Ixi’ualp... »

        Elle ne put finir sa phrase. Ignea écarta sa lance d’un violent coup d’épée et, plus vite qu’elle ne pouvait réagir, la bouscula d’un grand coup d’épaule, avant d’enfoncer sa seconde lame profondément dans son flanc, lui coupant le souffle, et la parole. (Ignea : 2T, 2B, 1 Invu, -1PV !) Ixi’ualpa tomba à genou, laissant sa lance rouler sur le sol. Sa vision se brouilla, et les sons devenaient peu à peu comme brumeux tout autour d’elle.

        Ignea s’approcha, prit une de ses épées à deux mains, et la leva au-dessus de la tête de son adversaire, immobile au sol.

        « Merci, guerrière, pour ton sacrifice qui m’accordera les plus hautes faveurs de mon dieu... »

        La lame s’abattit, et ne rencontra que de l’air. Au dernier moment, le cou d’Ixi’ualpa fut tiré hors de portée de la lame.

        « Pas tant que je vivrai ! » s’exclama la responsable.

        Rakt’cheel avait tiré la guerrière aigle si fort en arrière qu’elle l’envoya rouler à travers les maigres lignes de ses troupes.

        « Traitez-la ! » beugla-t-elle aux kalims, blessées mais encore valides, qui s’occupaient de soigner sommairement leurs sœurs les plus mal en point à l’arrière des combats. « Je veux qu’elle se remette debout ! »

        Se retournant, elle esquiva un premier coup d’Ignea, sauta en arrière. Rakt’cheel ouvrit grand les yeux. Elle avait une idée.

        « Donnez-lui de la koka !!! » finit-elle par hurler.

        Elle vit les kalims lui lancer un drôle de regard, puis l’une d’entre elle glissa quelques feuilles déjà mâchées dans la bouche de la guerrière au bord de l’inconscience, lui forçant à en avaler le jus.

        Rakt’cheel détourna le regard et se concentra à nouveau sur son adversaire. Même légèrement atteinte par la petite dose de drogue qu’elle avait prise avant le combat – Ixi’ualpa leur avait fermement interdit d’en prendre plus – elle pouvait voir qu’Ignea surpassait de loin ses suivantes, simples femmes de clan à l’entraînement martial basique. Tout dans sa posture, dans sa prise sur ses lames jusqu’à sa façon de se déplacer, hurlait à Rakt’cheel de se méfier. Qui plus était… n’avait-elle pas mise à bas Ixi’ualpa, qu’elle avait vue mettre à bas un nombre incalculable d’étrangers depuis le début du voyage ? Pour une fois, la dévote ne pourrait pas se lancer à l’attaque sans réfléchir…

        Mais Ignea n’entendait pas la laisser réfléchir.

        « Tu t’es interposée entre moi et ma proie, félonne ! lui hurla-t-elle. Je vais répandre ta cervelle sur le sol, j’en fais le serment !
        — Alors viens me chercher, impie ! »

        La prêtresse se jeta en avant, et Rakt’cheel se saisit au dernier moment d’une guerrière pour la pousser entre elle et Ignea. Jurant, cette dernière bouscula sa suivante sans ménagement pour continuer son attaque, mais son ennemie n’était plus là.

        « Par ici ! »

        Empoignant une seconde guerrière, qu’elle égorgea prestement, Rakt’cheel narguait son adversaire depuis l’autre côté du couloir. Ignea poussa un cri de rage et se lança à sa poursuite.

        « Lâche ! » hurla-t-elle. « Viens te battre plutôt que de fuir ! »

        Rakt’cheel ne répondit qu’avec un sourire narquois et l’esquive d’une guerrière à côté d’elle. Encore une fois, elle recula hors de portée d’Ignea.

        Alors que la mêlée faisait rage à côté d’elles, la dévote continua ainsi pendant un moment à se laisser chasser par la prêtresse, avant de se dérober au dernier moment. Plusieurs fois leurs armes se croisèrent, mais jamais pour plus que quelques passes.

        Rakt’cheel avait bien conscience, en son for intérieur, qu’elle ne faisait que gagner du temps. Dès qu’elle avait paré un premier coup de la prêtresse, elle avait pu constater qu’elle ne faisait tout simplement pas le poids contre Ignea. Elle ne pouvait que l’attirer à l’arrière des lignes des kalims, la rendre vulnérable, l’empêcher de semer la mort parmi les autres combattantes. La dévote n’attendait qu’une seule chose : que son plan avec Ixi’ualpa porte ses fruits. Alors, peut-être, qu’elle aurait plus d’espoir de vaincre la féroce prêtresse.

        Justement, Rakt’cheel voulut jeter un regard à la guerrière aigle. Ce fut là son erreur. Une épée d’Ignea se heurta à l’une de ses jambières alors même qu’elle tentait de reculer, l’envoyant au sol. Se réceptionnant à quatre pattes, la dévote leva une de ses dagues pour se défendre, mais un coup de pied la fit s’échapper de ses mains. La seconde épée de la prêtresse heurta son casque, et un voile noir descendit sur son esprit. (Ignea : 5T, 4B, 1Svg, -3PV !! ; Rakt’cheel : 2T, 2B, 2Invus !)

        Ignea regarda la femme au sol, un sourire triomphant sur le visage. Enfin, ce petit jeu du chat et de la souris touchait à sa fin. Elle levait son épée pour l’achever, lorsqu’une dague siffla à côté de son oreille, emportant une de ses mèches blondes au passage.

        Debout au milieu des blessées dont elles s’occupaient, deux kalims la contemplaient, un regard empreint de haine et prêtes à foncer sur elle. Ignea soupira. Pourquoi personne ne la laissait achever ses victimes les plus méritantes ?

        La première kalim s’élança vers elle, tandis que l’autre la suivait en titubant : sa jambe était blessée, hâtivement pansée. Ignea remarqua que l’autre avait le torse bandé. Peu importait leurs blessures, elle allait les tuer sur le champ.

        La première s’avança et… feinta une attaque, qui manqua de peu de lacérer le torse de la prêtresse. Bien tenté, pensa cette dernière, mais il en faudrait plus pour venir à bout de ma maîtrise. Un coup de pommeau envoya l’arrogante kalim reculer en titubant, et sa deuxième lame fendit l’air. Dans un hurlement déchirant, son ennemie tomba au sol au milieu des blessées, une main sur le moignon sanglant qui quelques instants plutôt se terminait en une main tenant sa dague.

        Poussant un cri de rage, la seconde kalim s’élança sur elle et, armée d’une lance, força Ignea à reculer quelque peu. Passant sur son côté droit, la prêtresse l’obligea à prendre appui sur sa jambe blessée, ce qui lui arracha un cri de douleur, ainsi qu’un moment de battement. Il n’en fallait pas plus pour qu’Ignea la force à mettre son genou au sol d’un coup de pied précis sur sa jambe meurtrie.

        L’immobilisant d’un bras autour du coup, Ignea s’apprêta à l’égorger sommairement lorsqu’un mouvement dans le coin de son œil la fit s’arrêter. La kalim qu’elle venait de mutiler se relevait ? Comment…

        Non, ce n’était pas la mutilée. C’était l’amazone inconsciente sur laquelle cette dernière avait chuté qui s’était réveillée, et qui se redressait en la poussant de côté, insensible à ses sanglots de douleur. Ignea n’eut pas besoin de deux regards pour reconnaître le casque bordé de plumes de la femme.

        La prêtresse laissa immédiatement choir la kalim entre ses bras, la laissant suffoquer à ses pieds sans un seul regard.

        « Je vais pouvoir avoir ta tête, finalement… » murmura-t-elle à Ixi’ualpa, levant ses armes.

        L’intéressée, au flanc sobrement bandé – en vérité, les kalims n’avaient même pas pu finir de la panser – ne lui répondit pas, et ramassa la dague de la kalim à côté d’elle, l’arrachant de la main tranchée. Enfin, elle leva les yeux pour transpercer Ignea du regard. Cette dernière se figea un instant, interloquée par les yeux injectés de sang de la guerrière aigle, avant de continuer à s’avancer nonchalamment.

        « Heh, comme si un peu de koka allait te sauver. Au mieux, cela rendra le combat plus intéressant ! »

        Ixi’ualpa cracha dans sa direction. Elle se sentait étrange. Sa bouche était en feu, tout comme ses muscles, tendus comme des cordes prêtes à craquer. Elle ne sentait plus sa blessure au flanc, ce qui aurait dû l’inquiéter. Mais elle n’en avait que faire. Une unique chose lui accaparait l’esprit : tuer. Verser le sang de ses ennemies. Cela tombait bien, il y en avait une juste devant elle, dont elle souhaitait plus que tout prendre la vie.

        Rakt’cheel reprenait douloureusement connaissance à l’écart des combats, et s’adossa contre le mur proche en massant sa tête. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Ignea et Ixi’ualpa tournaient l’une autour de l’autre à quelques pas devant elle, au milieu des kalims blessées, feulant chacune à l’encontre de l’autre. La dévote voulut se lever, les rejoindre, mais sa tête lui fit défaut, et elle peina à lever sa main pour ramasser ses armes. L’esprit brumeux, elle jura en marmonnant, frustrée d’être encore une fois reléguée au rang de spectatrice.

        Ce fut Ixi’ualpa qui s’élança la première. Ignea l’attendait, et se préparait à frapper, mais fut surprise par l’agilité de son adversaire. Elle ne s’était pas attendue à autant d’énergie de la part d’une blessée. Puis elle se rappela que ladite blessée était sous l’emprise de la koka. La dague siffla, passa à deux doigts du visage d’Ignea, la força à revoir son offensive, qu’Ixi’ualpa dévia de ses nouvelles brassières. (Ignea : 5T 1 Annulée, 3B, 1 Svg, 2 Invus ! Ixi’ualpa : 3T, 1B, 1 Invu)

        La prêtresse pressa son attaque, refusant à Ixi’ualpa l’opportunité de se retirer. Mais Ixi’ualpa ne voulait pas se retirer. Elle passa sous le bras d’Ignea (Ignea : 2T, 2B, 2svg !), et darda de sa dague. La seconde épée fusa pour parer le coup… mais trop tard, la lame de la guerrière aigle traça un long sillon sanglant le long de l’épaule d’Ignea. (Ixi’ualpa : 2T, 1B,-1PV !)

        La prêtresse regarda avec horreur le sang couler sur sa poitrine presque nue. C’était impossible ! Elle était l’élue du dieu du sang, sa foi la rendait invincible ! Poussant un hurlement de rage, elle donna un féroce coup de pied à son adversaire qui ne s’y attendait pas, l’envoyant reculer et manquant de la faire trébucher sur les blessées au sol qui n’avaient pu s’écarter de leur mêlée. (Ignea : 4T, 4B, 1Svg, 2Invus, -1PV !)

        « Impie ! » hurla-t-elle à l’adresse d’Ixi’ualpa. « J’ai été choisie par le dieu du sang, tu ne peux pas me battre ! »

        Là encore, Ixi’ualpa ne répondit pas. À travers le voile que la koka avait jeté sur sa raison, elle ne put pousser qu’un grondement sourd, qui se transforma en un hurlement à gorge déployée lorsqu’elle se jeta à nouveau sur Ignea.

        La prêtresse la vit venir. Ou plutôt, crut la voir venir. Puis fut soulevée du sol lorsque la guerrière aigle la percuta de plein fouet après qu’elle eut dévié les épées jumelles avec sa dague. Les deux combattantes roulèrent au sol, abandonnant leurs armes dans leur chute. Tout autour d’elles était flou, l’une se trouvait tantôt sur l’autre, puis l’inverse, et elles s’échangèrent ainsi une furie de coups de poings. (Ixi’ualpa : 2T, 1B, -1PV ; Ignea : 2T, 2B, 1Svg, -1PV !)

        Ignea faillit en sortir avantagée, mais alors qu’elle allait immobiliser Ixi’ualpa sous elle, la guerrière aigle la dégagea d’un coup de genou dans le dos. Finalement, elles se retrouvèrent face à face, à genoux au sol, à quelques pas l’une de l’autre.

        Toutes deux fixèrent du regard la dague d’Ixi’ualpa qui gisait sur le sol presque à égale distance de l’une comme de l’autre.

        Les mains d’Ignea tremblèrent, couvertes de sang et de sueur.

        « Je suis l’élue de Khorne !!! » cracha-t-elle avant de se jeter sur la dague en même temps qu’Ixi’ualpa s’élançait elle aussi.

        L’acier froid transperça la gorge de l’amazone, s’enfonçant jusqu’à la garde sous la violence du coup. Elle voulut parler, mais un flot de sang jaillit de sa bouche à la place de ses paroles.

        « Tu n’as qu’à réclamer ses faveurs à ton dieu en personne. »

        Ixi’ualpa regarda Ignea tomber à genou, avant de s’étaler sur le sol, une expression de stupeur à jamais gravée sur son visage.

        Le voile de la koka commençait à se lever sur la tête de la guerrière aigle, poussé par les montées successives d’adrénaline qui lui clarifiaient peu à peu l’esprit. Oh, elle sentait encore tous ses membres trembler légèrement, sans qu’elle puisse le réfréner, mais la soif de sang, au moins, l’avait quittée.

        Elle tenta de faire quelques pas, mais une vague de douleur déferla sur son esprit. C’était comme si elle prenait soudainement conscience de ce que tout son corps avait subi ces dernières minutes. Tous ses membres lui faisaient mal, couverts des coupures et des bleus que lui avait infligé Ignea. Elle grogna, forcée à poser un genou à terre, et mit la main à son flanc. À travers les bandages presque entièrement défaits, elle sentait son sang chaud s’écouler par la blessure.

        Alors qu’elle se sentait perdre l’équilibre, elle vit Rakt’cheel se lever péniblement et avancer vers elle. Ixi’ualpa voulut lui adresser la parole, mais son souffle s’étrangla dans sa gorge, et elle ne put que cracher un peu de sang d’entre ses lèvres meurtries. Un voile noir descendit sur sa vision et, en même temps qu’elle se bascula en avant, elle perdit connaissance.

        (Ixi’ualpa : 4T, 3B, -3PV !!!)

        Rakt’cheel la rattrapa avant qu’elle ne touche le sol, avant de l’allonger doucement. Elle échangea un regard avec la kalim à côté d’elle, qu’Ignea n’avait pu achever. Après un moment de silence, elles s’écrièrent d’une même voix :

        « Gloire à Rigg ! La prêtresse impie est morte ! » La dévote continua encore : « Que la vengeance de notre Mère s’abatte sur toutes les hérétiques ! »

        Les combats s’arrêtèrent alors que kalims comme suivantes d’Ignea tournèrent leurs regards vers la dévote, qui s’empara du cadavre d’Ignea pour le soulever, tant bien que mal.

        Il ne restait plus qu’une poignée de guerrières hérétiques encore debout, une dizaine tout au plus. Les kalims n’en menaient pas plus large en vérité, à six encore véritablement valides et vaillantes. Mais c’en était trop pour les impies : tout autour d’elles, c’étaient les corps de leurs sœurs qui gisaient au sol, bien plus nombreux que ceux des kalims, et les yeux de ces brillaient toujours de la même fureur prodiguée par la koka. Elles-mêmes étaient épuisées, meurtries ; enfin, leur cheffe, leur élue, n’était plus. Une à une, elles prirent la fuite.

        Une poignée de kalims se lancèrent à leur poursuite. Les guerrières qu’elles ne rattrapèrent pas dans leur course se heurtèrent au vide qui se tenait à la place du pont. Une poignée d’entre elles préféra sauter plutôt que de se faire exécuter. Enfin, les quelques guerrières restantes tentèrent de se rendre, mais aucune pitié ne fut leur offerte.

        Le calme retomba enfin sur la pyramide sacrée. Un calme tout relatif à vrai dire, car si la clameur des combat s’était tue, les gémissement des mourantes et des blessées s’élevaient toujours en une complainte morbide.

        Privilège du vainqueur, les kalims pourraient soigner leurs blessées. Les suivantes d’Ignea n’eurent pas cette chance : elles furent achevées jusqu’à la dernière, et les kalims lancèrent leurs cadavres dans le vide depuis le pont.

        Elles étaient victorieuses. Mais à quel prix ? Sur les soixante vaillantes guerrières qui avaient quitté la capitale des Amazones, seule une petite vingtaine y retournerait, si toutefois les plus mal en point survivaient à leurs blessures jusque-là… À peine plus d’une dizaine de kalims tenaient encore debout, mais la drogue retombant, elles étaient épuisées et meurtries, à peine valides.

        La mort, si elle se prouvait utile, avait autant de valeur que la vie. Telle était la voie des suivantes de Rigg, des kalims. Leurs compagnes décédées goutteraient autant à la gloire que leurs sœurs encore en vie, et leurs noms seraient célébrés comme ceux des héroïnes de légende au retour de leur expédition.

        Un long chemin attendait encore leurs sœurs avant de pouvoir passer les portes de leur cité natale…


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Sam 17 Avr 2021 - 23:48
Sixième et Dernière journée de combats sur l’Amaxon


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     Au cours de la matinée, l’adrénaline de la poignée de druchiis qui s’était écrasée dans la jungle se fut estompée.
     De fil en aiguille, l’épuisement dû à la nuit blanche qu’ils venaient de passer les rattrapait : tous étaient des elfes triés sur le volet, cependant tous avaient subi les privations de l’expédition lointaine, tous se souvenaient tout d’un coup à quel point la chaleur du matin était étouffante, tous dissimulaient de coupables pensées de sommeil.
     Leur capitaine, quant à lui, était fiévreusement occupé à déchiffrer les tablettes de pierres qui contenaient la sagesse des premiers navigateurs du monde connu. Il avait fini par les disposer à même le sol, s’efforçant de les agencer de manière différente au fut et à mesure que les runes antiques livraient leur sens caché. Il était prudemment épaulé par Kielmir, le médecin de bord et érudit de surcroît, que Sarquindi se félicitait à présent d’avoir préservé en relative santé, sans langue coupée ou autres menaces dont il gratifiait souvent le vieil elfe.
     La jungle, cependant, continuait de vivre et de s’intéresser de près à toutes les nouveautés qu’elle accueillait en son sein. Ce fut ainsi qu’au bout de moins d’une heure, Sarquindi et ses corsaires entendirent quelques bruissement discrets dans les sous-bois, bruissements un peu trop nombreux pour ne pas sonner l’alerte et réveiller les deux nigauds qui avaient fini par s’assoupir, l’un derrière le vaisseau, l’autre à l’intérieur.
     Sarquindi éprouva un de ces moments détestables qui obligent à prendre une décision cruciale : ils allaient être attaqués, ils étaient à bout de forces, seules deux voies de retraite s’offraient à eux. Le capitaine, par cupidité, par vanité, par goût du risque ou simplement par foi en la sagesse des Anciens, ordonna à sa poignée d’acolytes de se retirer en vitesse à l’intérieur de la gigantesque structure métallique. Il réalisa aussitôt après que cela avait été la seule bonne solution.
     À peine eurent ils remonté la rampe du vaisseau et refermé l’entrée que tout l’espace autour du vaisseau se remplit de créatures trapues et velues ; elles semblaient cependant toutes réticentes à se rapprocher du vaisseau : Sarquindi pouvait opportunément les observer grâce à la fabuleuse magie des Anciens. Il ressentait dès lors un mélange d’amusement et de consternation : ces créatures ne pouvaient probablement guère les atteindre dans leur sanctuaire d’acier, cependant lui-même et ses corsaires se retrouvaient piégés, eh bien, comme des rats. Piégés comme des rats par des hommes-rats ! Non, celle-là, il la garderait pour un autre jour ; pour l’heure, il fallait tout d’abord s’assurer que ces abjectes demi-portions ne pouvaient rien pour accéder à l’intérieur du vaisseau.

     Les menaces scandalisées de leur chef étaient insuffisantes pour faire obéir les quelques dizaines de rats des clans attroupés autour de l’immense structure métallique, à une lieue seulement de la cité abandonnée de Chaqua. Cette chose avait tout pour terrifier : plus haute, plus large et plus massive que toutes les créatures que les skavens connaissaient dans cette jungle, elle était en plus modelée d’après des faciès aux regards énigmatiques et oppressants : une face à l’avant et une autre à l’arrière. Certains guerriers s’imaginaient aisément la structure commencer à se mouvoir et à s’abattre sur eux : son seul poids devait être suffisant pour tous les écraser…  

     Au bout d’une heure, cependant, la situation changea du tout au tout car la jungle ne dormait pas. Les rats des clans, qui commençaient à peine à croire que la « chose » était inerte et inoffensive et avaient fait de timides essais pour en entamer la surface, humèrent brusquement l’air et déguerpirent aussi rapidement qu’ils étaient apparus. À l’intérieur du vaisseau, où le capitaine et ses hommes avaient presque fini par s’assoupir, confiants en la sûreté de leur refuge métallique, l’alerte fut de nouveau donnée, ôtant pour de bon toute pensée de sommeil à Sarquindi : il devait déchiffrer les tablettes des Anciens coûte que coûte et se tirer de cette maudite jungle, sinon… sinon il n’aimait pas envisager le reste.
     L’arrivée furtive et méfiante des skavens fut rapidement oubliée lorsque les sous-bois furent troublés par un frémissement sismique. Les corsaires eurent la désagréable sensation de comprendre que cet étrange grondement qu’ils entendaient étaient celui d’un groupe bien plus nombreux et bien plus lourdement armé que ce qu’ils venaient de voir défiler au cours du lever du jour. Sarquindi entr’aperçut des dizaines de points lumineux dans la pénombre des sous-bois : c’étaient les armes de leurs ennemis qui reflétaient les quelques rayons de soleil… Avec un manque d’empressement qui parut oppressant à l’ensemble des druchiis, un vaste contingent d’hommes-lézards déboucha sur l’étroite clairière et encercla aussitôt le vaisseau des Anciens.
     Le capitaine des corsaires coupa court à la question qui brûlait les lèvres à tous ses elfes : ils ne bougeaient pas du vaisseau ! Quant à la marche à suivre, ils n’avaient qu’à se fier à leur capitaine !

     Les rangs serrés des guerriers reptiliens s’écartèrent pour laisser le passage à l’un des leurs. Sarquindi ne put détourner son regard de lui dès qu’il le vit : dépassant ses subordonnés d’une bonne tête, aux épaules encore plus larges, il portait un bouclier noir cerclé d’or ainsi qu’une masse ouvragée. En outre, les écailles de ce colosse étaient bien plus claires que celles de ses troupiers, l’on pouvait même dire qu’il s’agissait d’un albinos.

     « Sortez, et vous pourrez partir avec la tête sur vos épaules. »

     Sarquindi crut que sa raison commençait à lui faillir : il avait clairement entendu la voix résonner dans sa tête, tel un glas funèbre, cependant en voyant les mines horrifiées de ses corsaires, il comprit au moins qu’il n’était pas le seul à avoir été atteint du message… Il lui fallut cependant toucher le pommeau de son épée pour inciter ses elfes au calme : se rendre ?! Maintenant ?! Après tout ce qu’ils avaient traversé pour arriver jusqu’ici ?!

     « Refusez, et vous serez détruits. »

     Le capitaine refusa de réfléchir quant à la source de la voix : il ne voyait pas le massif albinos ouvrir sa gueule reptilienne, aussi il s’agissait encore d’une incongruité de la jungle mais cela importait peu. Sarquindi pointa muettement les tablettes à ses acolytes. À défaut de les sauver immédiatement, l’espoir de trouver leur salut dans l’incroyable vaisseau allait au moins maintenir le moral des troupes à flots durant ce qui ressemblait à des pourparlers.
     « Qui êtes-vous ? s’efforça-t-il de penser. »
     « Je suis Celui-qui-refuse-de-partir. »
     « Le général au bouclier noir, est-ce vous ? »
     « Gor-Rok est le bras armé d’Itza, enfant. Sortez, ou le bras armé d’Itza s’abattra sur vous. »
     Sarquindi comprenait qu’il n’allait guère pouvoir faire durer les pourparlers indéfiniment. Quelque part, il ne songeait même pas à considérer si l’offre de la voix sépulcrale était honnête ou non. C’était son vaisseau désormais, et il entendait bien quitter les lieux à son bord !

     Tout à coup, un bruit épouvantable percuta les tympans de l’ensemble des druchii à l’intérieur. Sarquindi dégaina sa lame et tous ses acolytes, Kielmir y compris, dégainèrent les siennes ; ils voyaient désormais qu’une immense créature avait essayé de défoncer l’accès au vaisseau avec sa massue ; ce n’était point le général albinos : ce dernier n’avait guère bougé de sa position et la créature fautive était encore plus corpulente que lui et à la gueule plus longue.
     Deux-cents pas plus loin, Tixyxyon explosa en invectives : il n’aurait jamais dû indiquer la porte d’accès à Qracl’Naui, qui avait compris qu’il fallait abattre la porte pour accéder aux ennemis.
     À l’intérieur, cependant, les elfes constatèrent que la surface de la porte n’était même pas déformée. Beaucoup plus enhardis, ils se dévisagèrent, peinant à croire l’immense soulagement qu’ils éprouvaient à ce moment précis : si leur sanctuaire pouvait supporter un coup pareil sans dommage, alors ils étaient véritablement saufs ! Il fallait juste trouver un moyen de refaire voler ce maudit vaisseau ! Un second coup, cependant, tout aussi redoutable que le premier, leur cassa les oreilles derechef et valut au kroxigor une farandole d’injures en Druck-eltharin, que l’intéressé n’entendit même pas, tout occupé qu’il était à casser la carapace de cette étonnante maison. Au deuxième coup, cependant, il s’arrêta, perplexe : il s’était attendu à au moins l’ombre d’un résultat, or la surface de l’accès au vaisseau ne portait pas la moindre égratignure…

     « Permettez-vous que l’on reste un peu ? »
     Sarquindi effectuait un formidable effort de volonté pour ne pas paraître narquois dans ses pensées mais, au contraire, le plus sérieux possible : « Notre intérêt en ces lieux est purement académique, nous sommes en train de traduire des tablettes qui, en plus sont rédigées en notre langue. »
     « Certaines choses valent mieux d’être ignorées, enfant. Abandonnez vos tentatives de comprendre et sortez avant de vous faire du mal. »
     Sarquindi avait la sensation singulière de ne pas savoir si son interlocuteur avait cru ses paroles ou s’il jouait la comédie à son tour. Bah, il gagnait du temps, c’était tout ce qui comptait. Kielmir lui indiqua cependant qu’il tenait quelque chose et que c’était justement du temps qu’il leur fallait, le plus de temps possible.
     « Qui que vous soyez, sachez que toutes nos trouvailles en ces lieux sont destinées à la sauvegarde de mon peuple, qui souffre nuit et jour d’incursions des puissances de la Ruine et de ses adorateurs ! »
     Plus un mensonge était gros, mieux il passait, surtout lorsqu’on y infusait un zeste de vérité par-derrière, se dit Sarquindi. Il se rattrapa aussitôt, momentanément pris de panique : et si son ennemi lisait aussi ses pensées qu’il voulait garder secrètes ?!
     « Malheureux enfant. Vous allez utiliser l’héritage des Anciens dans vos querelles puériles. Vous ne méritez guère d’en faire usage. Sortez, c’est votre seule chance de salut. »
     Alors que leurs pourparlers continuaient sur cette même voie stérile, Sarquindi eut le hasard d’apercevoir du mouvement en hauteur, direction où son regard n’aurait jamais dû tomber au vu de ce qui se passait en bas (un skink s’époumonait manifestement à rentrer un kroxigor dans les rangs de l’armée). En hauteur, deux… créatures ? Un peu trop humaines à son goût pour être qualifiées de créatures. Un peu trop familières aussi. Pourquoi diable atterrissaient-elles sur le haut de leur vaisseau depuis les branches d’un arbre ?!
     Ça ne tournait pas rond. Avec l’instinct qui distingue les meilleurs commandants druchii de leur inférieurs, Sarquindi flaira soudain la roublardise de leurs ennemis et comprit ou crut, plutôt, que leur temps leur était plus que jamais compté.
     « Kielmir, si tu as une idée géniale, c’est maintenant !! »
     L’intéressé recommanda son âme à l’Au-delà avant d’appuyer brusquement sur le même levier qui les avaient propulsés naguère hors du temple.

***

     La surface froide et lisse de l’immense structure se mit à trembler sous ses pieds. Elle échangea un regard inquiet avec Rakt’cheel, qui n’aurait pu désormais ne pas l’accompagner jusqu’ici, là où leurs alliés reptiliens les avaient appelés. Il fallait percer la coque de cette chose et la lance d’Ixi’ualpa devait passer pour le meilleur outil de précision dans les environs. L’héritage des Anciens était en jeu : si elles échouaient, leurs alliés n’hésiteraient pas à activer les arches de Sotek juchées sur deux massifs bastiladons. Leur tâche était pourtant simple : percer la coque métallique avec la lance d’Ixi’ualpa et ouvrir une brèche pour que des skinks puissent s'y introduire ensuite. Le tout uniquement si les étrangers à l’intérieur refusaient d’en sortir de leur propre gré. Pourquoi tout d’un coup cela devenait-il aussi périlleux ?!
     Les deux amazones sentirent le même haut-le-cœur lorsque le vaisseau métallique s’ébranla et quitta brusquement le sol.

     « Kielmir, si nous tombons pour la deuxième fois…
     - Cet engin avait besoin de reprendre des forces, capitaine. Il ne tombera plus désormais.
     - En êtes-vous certain ?!
     - Considérerez ce vaisseau comme un soldat à peine capable de marcher, capitaine. Demandez-lui de marcher, et rien de plus, et il marchera à coup sûr.
     - Par Khaine, Kielmir, si tu dis vrai, je te garantis une vie longue et remplie de plaisirs ! »

     Ixi’ualpa et Rakt’cheel furent stupéfaites lorsque le vaisseau ralentit son ascension et entama une lente descente en diagonale. Il fut immédiatement rassurant de constater que le vaisseau gardait une position non-inclinée, faute de quoi les amazones auraient immanquablement glissé vers le bord de la plateforme et probablement sombré vers leur trépas. La guerrière-aigle en ressentit presque de la rancœur envers ses « alliés » reptiliens : comment avaient-ils pu ne pas l’avertir du péril que pouvait représenter ce vaisseau ?!

     « Kielmir, nous avons des invitées en haut du vaisseau, je crois. Ne pourrait-on pas s’en débarrasser par une habile manœuvre ?
     - Je…
     - Quoi, non ?
     - Capitaine, je nous considère déjà chanceux d’avoir été à même de quitter l’encerclement, éviter une seconde chute et même préserver un semblant de trajectoire.
     - Vous n’allez pas me dire que je dois y monter moi-même ?
     - Vous êtes le capitaine. Si vous l’ordonnez, je tenterai de…
     - Suffit ! Vous deux, avec moi ! Et, Kielmir, s’il vous vient à l’esprit de « tenter » quoi que ce soit quand je suis là-haut, je vous garantis que Khaïne lui-même viendra vous chercher dans ce vaisseau. »
   
     Les deux amazones étaient bien trop préoccupées par la précarité de leur situation pour songer à contempler la beauté de la vue qui s’offrait à elles : sous le soleil de midi, la cité perdue de Chaqua resplendissait, semblait-il pour elles seules, et l’Amaxon serpentait à leurs pieds tel un immense ruban de bronze qui allait se perdre dans la verdure infinie. Ixi’ualpa hésitait de faire usage de sa lance comme elle aurait certainement hésité de piquer le dos d’une immense créature endormie sur le dos de laquelle elle se serait retrouvée.

     « Capitaine, mais comment avez-vous su qu’il y aurait aussi un accès en haut du vaisseau ?
     - C’est que les esprits ingénieux pensent de la même manière, Dendas.
     - Ne pensez-vous pas qu’elles risquent de nous attendre en haut ?
     - C’est une excellente remarque, Yenath ! Armé d’une telle sagesse, tu ne peux qu’être celui à nous ouvrir la voie ! »

     Ni la guerrière aigle, ni la dévote de Kalim ne s’attendaient guère à entendre le choc du couvercle qui s’écrasait contre la surface du vaisseau : Yenath eut sacrifié la discrétion au profit de la rapidité et nul ne saurait jamais s’il aurait pu prendre les deux amazones à revers s’il avait été plus discret. À présent, les deux amazones s’étaient mises en garde, alors même que les deux autres druchii surgissaient à leur tour sur la plateforme, lames au clair, aux intentions dénuées d’ambiguïté.  
     L’amazone armée d’une lance et à la coiffe en forme de bec d’oiseau parut vaguement familière à Sarquindi. Un obscur souvenir lui soufflait qu’il dût à cette autochtone un règlement de comptes pour un récent accrochage en pleine jungle…
     « Vous deux ! La guenon aux tatouages ! Je me charge de l’emplumée, avec la lance. »

     Les trois elfes se séparèrent ; toute velléité d’intimer les deux femmes vers une chute mortelle devint irréalisable lorsque les deux guerrières s’élancèrent brusquement à leur rencontre. Ixi’ualpa n’avait désormais qu’une seule intention : en finir. Quitte à pénétrer dans les entrailles de la bête, dont l’accès était miraculeusement ouvert.
     Les trois étrangers étaient tout ce qui se dressait désormais sur son chemin.



     Ixi’ualpa, Guerrière Aigle (Gromdal) vs le capitaine Sarquindi (Ethgri Wyrda)          

     En plus d’embraser sa lance, la guerrière aigle eut, pour la deuxième fois, consommé de la koka dès qu’elle eut entendit le bruit de ses ennemis derrière elle. Elle avait prié Rigg pour ne pas se retrouver confrontée à la nécessité de recourir à cette drogue à nouveau, cependant elle en avait gardé, sur recommandation de Rakt’cheel, une petite dose pour les situations… imprévues. Celle-ci en était une, se consolait-elle en mâchant les feuilles au goût étrange, c’était une situation imprévue, elle n’avait pas eu le choix.
     Sarquindi soupesa pour la énième fois sa lame dans sa main : elle lui parut étonnamment légère. Était-ce l’air frais des hauteurs qui lui paraissait aussi revigorant ? Peu importait, il y avait des passagers clandestins à bord de son vaisseau, et il ne réservait à ceux-là qu’un seul sort : le grand plongeon.
     Son ennemie poussa subitement un cri de guerre ; les yeux rivés sur la pointe de la lance adverse, le capitaine constata qu’il n’eut aucun mal à parer le déluge de coups qui se déversa sur lui (Ixi’ualpa : 4T, 1T annulée, 3T, 0B). Ce déluge de violence, cependant, l’empêcha totalement d’opter pour sa botte favorite, une seule estocade précise censée finir le combat sur le champ. (Sarquindi : 3T, 1T annulée, 2T, 2B, 1 invu, 1 PV !)
     Tout en retrouvant ses appuis, Sarquindi ressentit alors une douleur bien trop familière au niveau de son torse : l’une de ses (nombreuses) blessures s’était encore rouverte ! Maudit soit Kielmir et toute sa descendance ! (Eclat de Cényrn : Sarquindi perd 1PV !)
     Il constata trop tard que son corps peinait à suivre la vigueur persistante de son esprit : la blessure qu’il eut infligée au flanc de son ennemie ne sembla que démultiplier sa hargne, et lorsque la guerrière tenta de l’empaler derechef, Sarquindi ne put se mouvoir avec la même aisance qu’il y avait à peine quelques instants ; accusant subitement deux autres blessures graves au torse, lui-même ne parvenant qu’à blesser l’amazone à la jambe, le druchii sentit son corps tout entier lui demander grâce. (Sarquindi : 2T, 1B, 1PV ! Ixi’ualpa : 4T, 3B, 3 PV !!!)
     Son instinct de survie prit immédiatement le relai : n’accordant pas même l’ombre d’une pensée à ses deux acolytes, Sarquindi prit les jambes à son cou en lançant ses ultimes forces dans sa fuite ; par chance pour lui, son adversaire sembla hésiter pendant quelques précieuses secondes, comme incrédule face à cette soudaine dérobade, avant de se lancer à sa poursuite en feulant tel un fauve. Son ennemi, hélas, eut déjà glissé à travers l’étroit accès du vaisseau en refermant le couvercle derrière lui.

     « KIELMIR ! TENTE CE QUE TU VEUX, MAIS DECROCHE-LES DE MON VAISSEAU !! »

     Ixi’ualpa n’entendit guère les vociférations du druchii, elle-même en prise à la rage et à la frustration d’avoir laissé son ennemi lui échapper. Dans son esprit embrumé par la koka, la solution s’invita d’elle-même : sa proie avait disparu derrière une porte en métal, elle avait l’arme parfaite pour l’ouvrir…
   
     Quelques mètres plus bas, le capitaine aurait pu paraître plus vulnérable que jamais s’il n’avait pas été aussi terrifiant dans sa fureur. Kielmir renonça à la moindre protestation lorsqu’il le vit redescendre, ensanglanté et maudissant ciel et terre. Il renonça jusqu’à lui dire qu’en vérité, il ne savait pas exactement comment modifier l’inclinaison du vaisseau, se résignant à manœuvrer au hasard et à appuyer sur quelques leviers qu’il n’avait point encore utilisés. Le vaisseau des Anciens s’ébranla.

     Quelques mètres plus haut, Ixi’ualpa eut perforé le bord du couvercle avec sa lance incandescente ; elle sentait le métal résister à ses efforts mais cela ne semblait que lui procurer plus de joie : elle avait désormais l’impression de dépecer la carcasse d’une proie déjà attrapée ; brusquement, elle perdit l’équilibre et bascula sur le côté, extirpant sa lance du même coup.

     « Tz’ikin tzili ! Ixi’ualpa !! »
     Un des adversaires de Rakt’cheel avait depuis longtemps rendu l’âme, l’autre n’avait dès lors fait que repousser l’inéluctable, cependant le basculement inattendu de la plateforme les surprit tous les deux et l’étranger fut le premier à perdre l’équilibre, glisser, puis quitter le bord du vaisseau incliné en hurlant. Dès l’instant suivant, ce fut au tour des deux amazones.

     « Kielmir, nous quittons ce pays maudit. Oublie le Rêve, oublie l’or, cap au nord, avant que je crève ! »

     Ixi’ualpa n’eut que le temps de voir le couvercle s’ouvrir de lui-même lorsque le vaisseau finit par se renverser complètement. Toujours sous l’emprise de la drogue, elle ne comprit pas que sa chute était potentiellement mortelle et qu’elle vivait peut-être ses derniers moments.

     « Ixi’ualpa !! »

     L’intéressée tenta de se retourner en pleine chute, aperçut subitement la silhouette d’un étranger qui sombrait, comme elle, en hurlant. Jubilante d’avoir retrouvé une proie au milieu de nulle part, la guerrière aigle se prépara à l’affronter dès que…

     Telles trois pierres, ils sombrèrent dans les eaux dormantes de l’Amaxon.


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Ven 23 Avr 2021 - 15:23
Conclusions



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        Le contact brutal avec l’eau lava instantanément les dernières traces de koka du corps de Rakt’cheel. Elle avait eu le temps de se préparer à l’impact et, malgré tout, elle sentit tous les os de son corps se faire ébranler dès que ses pieds tendus crevèrent la surface de l’Amaxon, puis ses jambes, puis son torse et ses bras croisés, qui luttèrent pour ne pas se faire arracher à leurs épaules, et enfin sa tête dont les mâchoires s’entrechoquèrent avec tant de force qu’elle s’imaginait presque toutes ses dents s’écailler, se briser sous l’impact. Tout son corps luttait afin de briser l’eau et lui arracher, au prix d’un effort dantesque, sa survie.

        À sa grande surprise, ce fut un succès. Bientôt, toute la vitesse de sa chute, et la peur de l’impact alors que tout tournoyait autour d’elle, ne furent plus qu’un lointain souvenir alors que le cocon de l’eau s’adoucissait et l’enveloppait toute entière.

        De l’air, il lui fallait de l’air. Elle se rendait compte que tout son souffle lui avait été arraché. Sur le moment, tout son instinct lui cria d’ouvrir la bouche pour tenter de respirer, et elle faillit, loin sous la surface, offrir ses poumons en proie à l’eau du fleuve. Aussi, elle s’élança immédiatement vers ce qui lui semblait être le haut, avec toute la vitesse qui lui était possible. Elle remercia la providence de lui avoir fait mettre de côté l’armure qu’elle avait portée la veille : la légèreté du peu de vêtements qu’elle portait habituellement se révélait, en l’instant présent, plus que salvatrice.

        Jamais une bouffée d’air ne lui parut aussi … pleine de vie, aussi vibrante et riche. C’était comme si elle n’y avait pas goutté durant toute une vie. En un sens, en s’enfonçant dans l’eau, elle avait vu toute sa vie défiler devant ses yeux. Frénétiquement elle se gorgea de plusieurs goulées d’air avec délectation, se laissant flotter à la surface du cours si agréablement placide de l’Amaxon.

        Ixi’ualpa ?

        Son moment de calme se brisa soudainement alors qu’elle se rendait compte que la révérée de l’aigle n’était nulle part en vue. Pourtant, il avait bien semblé à Rakt’cheel que, avec l’elfe, ils avaient percuté l’Amaxon chacun non loin de l’autre. La kalim commença à tourner tout autour d’elle, frénétiquement en quête d’un indice de la présence d’Ixi’ualpa.

        Les plumes la mirent sur la voie. À quelques brassées d’elles, d’un vert éclatant, une poignée flottait à la de l’eau. Rakt’cheel n’hésita pas et plongea à cet endroit. Ouvrant grand ses yeux pour percer la brume boueuse des eaux de l’Amaxon, elle aperçut la forme sombre et prostrée qui ne pouvait être que la guerrière aigle. Elle était immobile, dérivant sans vraiment couler ni remonter à la surface, probablement retenue par le poids de ses vêtements. Seules quelques fines bulles d’air s’échappaient de sa bouche et de son nez, filant vers le haut. Plus inquiétant encore, des filets de brume pourpres dansaient tout autour d’elle, signe qu’elle saignait abondamment.

        La kalim n’écouta que son instinct et, s’empara de la guerrière à la ceinture. Laborieusement, elle les remonta toutes les deux à la surface, et la tête d’Ixi’ualpa s’appuya mollement sur son épaule, ce qui ne la rassura pas sur son état.

        Rakt’cheel remercia la providence pour que le courant de ce bras de l’Amaxon soit si paresseux. Autrement, elle aurait douté de ses capacités à ramener à la fois Ixi’ualpa et elle-même sur la rive. Après une longue bataille pour rejoindre la berge, les deux femmes s’échouèrent sur la rive, et Rakt’cheel s’autorisa un moment de repos, haletante, allongée face contre terre à même le sable.

        Ixi’ualpa n’allait pas bien. Le constat fut rapide, une fois la kalim remise de son effort et prête à l’inspecter. La blessure au flanc qu’Ignea lui avait causée s’était rouverte. Pire encore, les côtes voisines s’étaient brisées et pointaient de la plaie comme des dents dans une gueule étrange et vomissant un flot continu de sang. De sa bouche justement, la guerrière aigle laissait aussi s’échapper un long filet de sang. Elle ne respirait presque plus. Lorsque Rakt’cheel voulut lui faire du bouche à bouche, elle se rendit compte que la mâchoire d’Ixi’ualpa était brisée, et pendait mollement. De même, les postures de son bras comme de sa jambe gauches ne laissaient que peu de doute quant à l’état de ses os…

        La kalim était démunie. Clairement, ce n’était plus qu’une affaire de minutes avant que sa compagne d’armes et de voyage ne décède dans ses bras. Pire encore, elle était persuadée que c’était sa faute si la guerrière était dans cet état : sans l’effet de la koka qu’elle lui avait conseillée de prendre, elle aurait probablement pu avoir assez d’état d’esprit pour se préparer à l’impact…

        Soudain, elle se souvint. Plusieurs fois, elle avait vu Ixi’ualpa contempler ce petit caillou au coin du feu, sans rien dire. Rakt’cheel n’avait pas fait de remarque à ce sujet, mais elle avait reconnu la nature de l’objet. Mais pour cela, il lui fallait un sacrifice.

        Justement, où était donc passé l’elfe qui avait chuté avec elles ?

        Elle n’eut pas à regarder longtemps. Sur la rive d’en face, le corsaire venait lui aussi d’émerger des flots et s’était effondré dans le sable. Il avait abandonné son armure et sa lourde cape, réflexe qui devait l’avoir sauvé d’un sort tout aussi peu enviable que celui d’Ixi’ualpa.

        Rakt’cheel n’écouta que son instinct, et s’élança dans les flots.

        L’elfe la vit venir alors qu’elle n’était plus qu’à quelques brassées de la rive. Il se leva précipitamment, et tenta de fuir en titubant. Il n’était guère en bonne forme, mais Rakt’cheel n’en menait pas plus large. La chute et ce qui en avait suivi les avait bien malmenés.

        S’extirpant des flots, la kalim fit se tordre son visage de douleur en ordonnant à ses jambes meurtries de piquer un sprint vers le corsaire en fuite. Y jetant ses dernières forces, elle sauta en avant, s’étala de tout son long dans le sable et lui attrapa la jambe, le faisant chuter avec elle. Elle tenta de se hisser au-dessus de lui, mais il roula sur le côté, la faisant frapper dans le vide. À son tour, il se jeta sur elle mais, poussant un grognement sourd, elle le repoussa avec ses jambes.

        Écartés l’un de l’autre, ils regardèrent tous deux autour d’eux pour trouver quelque arme de fortune, ayant perdu les leurs pendant leur chute. Entre deux racines, Rakt’cheel avisa un galet de la taille de son poing. Alors qu’elle se jetait en avant, ventre contre terre, pour s’en saisir, un coup dans son dos lui arracha un cri de douleur déchirant.

        Le corsaire s’était saisi d’un bâton de bois flotté et, plus agile qu’elle, en avait profité pour se redresser et la frapper violemment au sol. Ignorant la douleur, Rakt’cheel se força à se retourner, croisant ses bras devant sa tête pour se protéger du déluge de coups que lui porta l’elfe.

        Chaque frappe menaçait de briser sa garde, et pourtant, elle pouvait aussi entendre la respiration rauque de son adversaire, tout aussi, sinon plus essoufflé qu’elle. Ses coups se firent de moins en moins puissants. Il était temps de riposter.

        Les bras en feu, elle fit se dérober les jambes de son adversaire sous lui d’un habile coup de pied. Un deuxième revers de jambe envoya le bâton se ficher loin dans le sable, et elle se dressa sur ses genoux. Elle ne laissa pas une seule seconde de répit au corsaire et, poussant un cri rageur, lui abattit le galet de ses deux mains sur le torse, lui coupant violemment le souffle.

        Un seconde fois, la pierre frappa l’elfe, en pleine mâchoire, lui arrachant sang et râles. Puis une troisième fois en pleine tempe. Puis une quatrième en plein front.

        La conscience du craquement la fit s’arrêter en plein geste, toute dressée au-dessus de l’elfe et prête à frapper encore et encore. Le corsaire était inconscient, mais vivant. Tout juste vivant.

        Elle se laissa choir à côté de lui, lâchant le galet ensanglanté dans le sable. Elle resta là un moment à contempler le ciel, attendant que sa respiration se calme. Dans un coin de son crâne, elle se félicitait de s’être retenue de consommer un peu de koka avant de traverser le fleuve : si elle l’avait fait, jamais elle n’aurait pu s’empêcher de réduire le crâne de l’elfe à l’état de pulpe sanguinolente.

        Maintenant, restait encore le plus laborieux : amener l’elfe inconscient sur l’autre rive. Tout d’abord, elle lui arracha sa fine chemise pour lui attacher mains et pieds. Au moins, se dit-elle en l’attachant, elle l’avait tellement malmené qu’il ne risquait pas vraiment de reprendre conscience au cours de la traversée.

        L’elfe se révéla étonnamment léger. Son torse dénudé arborait des côtes saillantes. Ses trait étaient émaciés, ses yeux enfoncés et cernés de noir, son teint maladivement pâle. Visiblement, le voyage avait demandé, à lui et son équipage un tribut au moins aussi pesant que pour les amazones.

        Malgré tout, il fallut à la kalim toutes ses forces et sa volonté pour arriver à le tirer jusqu’à la berge où gisait Ixi’ualpa, toujours inconsciente. Le sable tout autour d’elle était teinté de pourpre par son sang, mais elle respirait encore, d’un souffle quasiment imperceptible. Rakt’cheel allongea l’elfe à côté d’elle. Il était temps d’en finir.

        Il ne lui fallut qu’un instant pour fouiller la bourse de cuir à la ceinture de la guerrière pour en extirper la petite pierre d’un vert laiteux. Comme si elle savait ce qu’on attendait d’elle, les tourbillons de couleurs en son sein s’agitèrent lorsque la kalim l’empoigna. C’était un ballet presque hypnotique, et elle dut se forcer pour ne pas s’arrêter et le contempler.

        La dague d’Ixi’ualpa pendait encore à sa ceinture, fermement maintenue par un habile rabat de son fourreau, aussi Rakt’cheel la dégaina, et ouvrit sur le champ le ventre de l’elfe sur toute sa longueur, qui reprit conscience sur le coup en hurlant.

        Bien, c’était très bien même. Alors que le corsaire se débattait dans ses liens en criant, elle plongea sa main dans le ventre ouvert, et fourailla profondément dans ses entrailles chaudes pour y déposer la petite pierre. Ceci fait, elle maintint d’une main la plaie aussi fermée que possible, avant d’égorger l’elfe de l’autre.

        Attendant patiemment que l’elfe cesse de se débattre au fur et à mesure que la vie quittait son corps, elle prononça les paroles sacrées, qu’elle avait déjà eu l’occasion d’entendre récitées plusieurs fois.

        « Rigg, reçois le sang de cet ennemi, accepte sa force et sa vitalité. Amex, toi qui est généreux, fait de ce don de vie celle qui dure éloignée de tout mal. Kalith, notre mère aimante, permets à ton enfant de jouir de cette nouvelle vie. Oui, ô dieux, écoutez la prière de votre humble servante, jugez l’âme de qui s’apprête à venir bien trop tôt vous présenter ses respects. Acceptez de lui permettre de revenir parmi nous et continuer à vous servir pour votre plus grande gloire. »

        Il ne fallut pas beaucoup plus longtemps pour que les soubresauts du corsaire prennent fin. Aussitôt, elle plongea des deux mains dans ses entrailles pour en chercher la pierre. Arrosant au passage Ixi’ualpa du sang et d’autres fluides de l’elfe, elle lui ouvrit délicatement la bouche pour y enfoncer la pierre au fond de la gorge.

        Doucement, Rakt’cheel referma la bouche de la guerrière avant de s’asseoir à ses côtés. L’eau du fleuve léchait doucement ses pieds, emportant à la fois le sang de l’amazone et celui de l’elfe noir, laissant une traînée rouge qui s’étalait à chaque vague.

        Le temps passa sans que la kalim ne bouge. Rakt’cheel méditait, les yeux fermés, uniquement dérangée par le passage occasionnel de quelque oiseau bruyant. Soudain, un claquement sec et bruyant la fit rouvrir ses yeux. De la gorge d’Ixi’ualpa s’échappait une douce lumière verte qui filtrait à travers sa peau.

        Avec un nouveau claquement, l’épaule disloquée de la guerrière se remit en place. Fascinée, Rakt’cheel regarda les os brisés de sa jambe gauche se redresser avec force craquement, avant que les multiples hématomes qui la parcouraient ne se résorbe et disparaissent. Tout le corps d’Ixi’ualpa était parcouru de bruits sourds alors que les os se ressoudaient et que les plaies se refermaient les unes après les autres.

        Un sourire soulagé s’invita sur le visage de la kalim. L’œil du Grand Aigle faisait son travail : la guerrière était sauve. Dame Xoc et la grande prêtresse avaient fait à leur championne un grand cadeau en lui confiant la pierre bénie.

        Il faudrait encore un moment avant que les blessures d’Ixi’ualpa disparaissent complètement, et encore plus avant qu’elle reprenne connaissance. Aussi, avec toute la délicatesse dont elle était capable, Rakt’cheel déposa la guerrière à l’ombre d’un arbre à la lisière de la jungle, où elle serait à l’abri des regards depuis le fleuve. Avec moins de cérémonie, elle envoya le cadavre de l’elfe rouler dans les eaux de l’Amaxon.

        Se hissant sur l’arbre où reposait Ixi’ualpa, la kalim s’assit en travers d’une branche et s’adossa au tronc moussu. D’après l’endroit, Rakt’cheel jugeait qu’elles avaient chuté à bonne distance en aval de la Cité d’Or, d’où elles avaient quitté leurs Amazones en leur sommant de continuer sans elles avec les artefacts sacrés.

        Finalement, ce seraient ces dernières qui les rattraperaient, et non l’inverse.


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Essen

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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Dim 2 Mai 2021 - 15:54



       Le chroniqueur avait l’impression d’être le dindon de la farce. Ça avait commencé il y a quelques heures, de bon matin, alors que lui-même s’apprêtait à méditer silencieusement à l’arrière du langschiff. Quelqu’un parmi ses revenants avait eu l’inspiration d’entonner un chant du pays et tout le reste avait suivi. Par une algèbre nécromantique qu’il serait bien trop long à expliquer, il était le seul à pouvoir entendre ce chant dans les environs : c’était une mélopée d’outre-tombe, une réverbération d’âmes en peine que seul le nécromancien pouvait percevoir. À peine eut-il voulu imposer sa volonté pour faire taire cette nuisance mentale que ses revenants perçurent cet ordre comme un ultime défi qu’ils devaient relever dans leur existence maudite. Ce fut comme s’ils ne cherchaient plus à s’échapper directement de leurs enveloppes pourrissantes mais plutôt à exprimer leur mépris envers leur geôlier par le chant. Sans s’arrêter. Quitte à répéter les mêmes paroles, encore et encore, avec parfois des variantes mais avec l’intention immanquable de désobéir à la volonté de leur maître.
       Lui qui voulait profiter de la traversée, ou surveiller les environs, ou n’importe quoi d’autre, le voilà qui se retrouvait à batailler comme un beau diable contre cette improbable résistance passive de feu ses nordiques, sans le moindre signe de succès. Sa propre volonté était émoussée : la chaleur et l’humidité de la jungle environnante l’insupportaient, sa récente défaite contre leur nouvel allié l’insupportait, la crainte fondée de croiser quelque péril mortel dans les prochaines heures l’insupportait également. Lui qui voulait…
       PAR NAGASH ET LES NEUF MORTARCHS !
       
       Sur les coups de midi, il céda.
       
       « STAND UP ON THE PROW!! NOBLE BARQUE I STEER!! »
       
       Sur les coups de midi, il bondit et dégaina sa dague.
       
       « STEADY COURSE TO THE HAVEN! HEW MANY FOEMEN HEW MANY FOEMEN!! »
       
       Fiodor et Sargath, finalement attirés par le vacarme grandissant sur le langschiff à l’arrière du Corbeau Centenaire, furent nettement troublés en apercevant le chroniqueur en train d’abattre ses propres revenants les uns après les autres.
       
       « GALLEY WITH GOOD OARS! SAIL TO DISTANT SHORES! »
       
       Ce dernier ignora totalement leurs appels et poursuivit son macabre office. Les voix dans sa tête disparaissaient les unes après les autres et, qui sait, peut-être aurait-il pu désormais les réduire au silence, mais le cœur n’y était plus. Le message de ses nordiques était passé, leur allégeance dans la non-vie n’était guère facilement acquise et Von Essen, après des heures de délibération, avait résolu qu’il n’était pas le seigneur vampire qui irait jusqu’à malmener les âmes de ceux qui, il n’y a guère longtemps, avaient été ses compagnons de voyage. Quelque part vers la fin de la curée, le chroniqueur arrêta son geste pendant un instant : devant lui se tenait le trépassé Haakonson, le maraudeur le plus prometteur qu’il lui avait jamais été donné de rencontrer. Après l’avoir abattu une seconde et dernière fois, la rage au ventre pour une seconde et, l’espérait-il, une dernière fois, Von Essen détruisit les corps et libéra les âmes de ses derniers revenants. Dans sa tête résonnèrent encore longtemps les paroles de leurs âmes ardentes : « MY MOTHER TOLD ME, SOMEDAY I WILL BUY… »

***
             
       « Herr Sargath ? »
       Le seigneur de Lahmia avait toutes les intentions d’aller exiger des explications au sujet de la conduite insensée du chroniqueur. Le regard dur que lui décocha Fiodor en l’invectivant ne le découragea point, aussi bondit-il depuis l’arrière du Corbeau Centenaire pour se retrouver sur le langschiff, au beau milieu des corps démembrés et désormais inertes, face à Von Essen. Tout autour d’eux, l’humidité ambiante se condensait imperceptiblement en une légère brume translucide.
       « Etes-vous fou ? Nous sommes peut-être à deux doigts d’arriver aux cités d’or et vous vous amusez à réduire nos forces ? Je ne répéterai ma question qu’une seule fois : êtes-vous fou à lier ? »
       Face à lui, le chroniqueur avait reculé de quelques pas. Son sourire rêveur ne présageait rien de bon et Sargath était prêt à l’abattre ainsi que l’on abattait les chiens enragés en Nehekhara. Comme le silence commençait à devenir pesant, le héraut des Mille Lames considéra que sa patience était épuisée et dégaina son sabre. Ils n’avaient guère besoin d’un élément aussi instable dans leur alliance.
       « Vous souhaitez vous battre à nouveau ? Excellente nouvelle ! »
       Le seigneur de Lahmia n’accorda que mépris à l’amabilité malveillante de cet allié qu’il avait déjà vaincu une première fois. Il remarqua cependant que le chroniqueur retrouvait proprement ses appuis et donnait fortement l’air d’un serpent prêt à mordre à la moindre seconde. De plus, la brume autour d’eux semblait s’épaissir. Cependant, les tours de passe-passe de cet être n’allaient pas le sauver et il fallait seulement s’assurer que l’autre vampire, Fiodor le Non-Mort, n’interviendrait pas.
       
       « Sayyid Fiodor ! Notre allié veut sa revanche pour la dernière fois. Il veut aussi que cette fois-ci, ce soit un duel à mort !
       -        Alors vous êtes tous deux écervelés, l’un autant que l’autre !! »

       Le capitaine du Corbeau Centenaire avait annoncé sa réplique sans même se détourner du gouvernail de son navire. Il n’avait ni les moyens, ni l’envie de policer ses deux alliés si peu conciliants. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’il n’avait jamais encore passé sa malédiction à l’un de ses membres d’équipage : outre l’inconfort que cela causerait aux mortels de devoir nourrir deux suceurs de sang sur un seul navire, les vampires avaient ce don exacerbé pour s’insupporter mutuellement, autre leçon de non-vie que lui avait enseignée jadis Mundvard, son père de sang à Marienburg. À présent, que Ranald fasse son tri ! Lui saurait se contenter de l’alliance avec le vainqueur, quel qu’il fût.
       Heinrich von Carstein, quant à lui, était accoudé au bastingage sur la poupe du Corbeau Centenaire : l’annonce d’un duel à mort avait attisé en lui une forme de macabre curiosité et il s’efforçait de percer du regard la brume engendrée par le chroniqueur.

       « En garde ! »

       Von Essen se dissipa complètement dans la brume. Sargath, nullement décontenancé, se fia à son ouïe fine et à son instinct (Tests réussis !). Au bout de quelques instants, il frappa, semblait-il, dans le vide ; derrière lui, brusquement, une forme sombre se forma, perdant de sa substance quelques sombres gouttes qui tombèrent sur la proue du langschiff (Sargath : 1T, 1B, 1 PV !). Le seigneur de Lahmia, cependant, sentit une douleur cuisante à la cuisse. (Von Essen : Tests ratés ! 3T, 1B, 1 PV !)
       Sargath fit une volte-face fulgurante, le tout pour se prendre un coup de poing latéral d’une telle violence que le seigneur perdit tout contact avec ses appuis, valdingua vers le bord du langschiff et bascula dans l’Amaxon. (Sargath : Tests ratés ! 0T)
       Von Essen, triomphant, l’assura qu’il n’avait guère l’envie de prolonger leur duel jusqu’à la mort lorsque le héraut des Mille Lames, passablement énervé et trempé de la tête aux pieds, remonta à bord. (Von Essen : Tests réussis ! 2T, 2B, 2 PV !!!)
       Nul n’aurait su prédire la tournure qu’auraient pu prendre les événements si, depuis le Corbeau Centenaire, Fiodor le Non-Mort n’avait pas annoncé férocement : « Arrêtez-vous, malheureux ! Elles sont là ! Les cités d’or sont à nous !! »

       Les deux vampires convinrent d’un cessez-le-feu temporaire.
       Ce fut dans la plus profonde discrétion que le chroniqueur passa sa langue sur sa dague portant encore le sang de son adversaire (Test vampirique : Von Essen récupère 1 PV !).  
***

       Elles étaient là, à portée de main : des quartiers tout entiers que la végétation rampante de la jungle ne pouvait priver de l’éclat doré omniprésent. Le « X » marqué sur les cartes, l’exaucement de tous les espoirs, le trésor caché du continent lustrien. Fiodor y vit peut-être assez d’or pour s’acheter tout Marienburg, Von Essen – le passe-partout à toutes les soirées mondaines d’Altdorf et Sargath – la restauration miraculeuse de Lahmia. Contre leur gré se dessinèrent sur leurs lèvres des sourires béats. Puis, une ombre gigantesque survola leurs navires à grande vitesse.

       L’expérience des trois alliés les obligea à se détourner des cités d’or pour suivre du regard cette chose qui pouvait être n’importe quoi : un dragon, voilà à quoi avaient pensé le chroniqueur et le héraut des Mille Lames. Fiodor, qui ne se fiait qu’à ce qu’il voyait, n’en croyait pas ses yeux : il ne voyait pas d’ailes, c’était bien trop massif, l’éclat était métallique, semblable même à l’éclat des cités qui s’ouvraient à eux, et ça volait. Puis, « ça » bougea dans tous les sens et quelque chose de bien plus petit en tomba, bien des lieues plus loin, en amont du fleuve. Alors, la « chose » « bougea » de moins en moins (Von Essen pensa involontairement à une massive araignée qui frémissait sur une toile invisible) et continua de s’éloigner en direction du nord.

       Étaient-ils en danger ou non ?!

       Un écho en provenance d’une autre direction, quelque part au sud-est, les assura qu’ils n’étaient pas seuls. Ce tumulte confus qui rappelait le grondement d’un orage lointain, Sargath l’identifia comme étant le bruit engendré par des milliers de soldats en mouvement. Les trois alliés se dévisagèrent, arborant la même expression contrite sur leurs traits : si près du but, allaient-ils rencontrer un obstacle qui les empêcherait de devenir riches ?! Ils n’avaient plus un instant à perdre : au diable la contemplation des merveilles architecturales, ils devaient charger leurs navires d’autant d’or qu’il leur était possible et s’en aller aussitôt. Comme pour confirmer cette nécessité, des cris lointains de créatures que les alliés ne voulaient pas s’imaginer cisaillèrent la quiétude trompeuse des cités d’or et provoqua l’envol de plusieurs nuées d’oiseaux.

       Avaient-ils seulement poussé quelques lacets du fleuve plus loin, ils auraient remarqué au détour d’un canal deux bâtiments de leurs concurrents mortels, l’Emmanuelle impériale et le reaver d’une certaine inquisitrice. Cependant, toutes les pensées des morts-vivants (et de Monsieur Flouz) étaient désormais obnubilées par la nécessité de remplir leurs cales le plus vite possible de précieux métal de lever l’ancre avant la fin du jour. Fiodor et Sargath regrettèrent muettement la destruction récente des revenants du chroniqueur : leur assistance aveugle aurait permis d’avancer beaucoup plus vite. À présent, le Non-Mort avait résolu de ne pas se fier à l’assistance des quelques zombies que comptait désormais son équipage : ils devaient être prêts à manœuvrer le vaisseau à tout moment et leurs mouvements auraient été tout simplement trop lents pour le pillage auquel les alliés s’adonnaient désormais.

       Ils s’attaquèrent à la bâtisse la plus proche, et jamais l’on n’aurait pu s’imaginer force vampirique employée à un dessein plus vénal : la moindre aspérité dans l’assemblage méticuleux des bâtisseurs de jadis était exploitée sans pitié pour arracher les plaques métalliques des murs qu’elles recouvraient. Au bout d’une heure, ce fut toute la façade (à hauteur d’homme) de l’habitation de trois étages qui fut dépouillée de sa surface scintillante. D’un commun accord, les alliés s’interrompirent dans leur labeur de démolition pour ramener tout l’or qu’ils venaient d’arracher à bord du Corbeau Centenaire. Tous s’étaient dit que, si la nécessité l’exigeait, ils abandonneraient le langschiff en ces lieux, tout inutile qu’il était devenu depuis que ses rameurs avaient définitivement rejoint l’au-delà. Une fois l’or à bord du vaisseau du Non-Mort, les alliés prêtèrent leurs oreilles aux bruits environnants : assez étrangement, ils ne perçurent guère le même écho de l’armée de marche de tantôt. Quant aux créatures qu’ils avaient entendues, leurs rugissements étaient devenus encore plus lointains.

       Remerciant leur bonne étoile, les pillards vampiriques passèrent à la façade de l’édifice suivant.



***
***
***



       Le vaisseau des anciens filait au-dessus de la jungle, droit vers le soleil qui descendait peu à peu. Les deux corsaires elfes noirs étaient assis aux commandes. Kielmir, les mains sur les leviers, dirigeait l’objet millénaire. Il entendit son capitaine grogner à côté de lui
       « Kielmir ! demi-tour, tout de suite, grogna Sarquindi. On doit revenir au Rêve d’Atharti.
       - Qu’y a-t-il? demanda le médecin en ralentissant.
       - Cette sauvageonne savait ce qu’elle faisait. Elle m’a bien mieux touché que je ne le croyais. J’ai besoin de soins.
       - Laissez-moi voir. »
       Sarquindi se tourna vers le médecin. Son vêtement et son torse étaient lacérés de deux grandes entailles. Elles saignaient peu, mais le visage du capitaine était déformé par une grimace de douleur.
       « Je dois avoir encore une ou deux rations d’herbe contre la douleur, proposa le médecin, mais je ne peux rien faire pour les blessures. Pas sans mon matériel, et il est sur le Rêve.
       - Donnez-moi les herbes, et faites faire demi-tour à cet engin. » ordonna Sarquindi.
       Kielmir n’essaya pas de discuter les ordres. Il avait aperçu la main de son capitaine glisser vers son arme. Et le médecin savait que son chef pouvait piloter la machine des anciens sans lui. L’elfe fouilla dans son sac et en tira deux boulettes de plantes que son compagnon s’empressa de saisir. Sarquindi les mit dans sa bouche, commença à mâcher, et laissa immédiatement échapper un soupir de soulagement. Le médecin poussa le gouvernail sur la gauche et le vaisseau changea de direction. Ils apercevaient à nouveau la cité d’or au loin. Les murs éclatants des temples éblouissaient les elfes. La ville était comme un phare au cœur d’un océan de forêt.
       « Vole plus bas Kielmir. Il ne faut pas que l’on nous voie. Tu vois la colline en demi-lune là-bas au sud des faubourgs ? pointa Sarquindi. Tu vas emmener le vaisseau derrière, en restant à distance de la ville. Elle devrait nous cacher des yeux des lézards sur les derniers lieux.
       - Et ensuite ?
       - Le fleuve passe juste derrière la colline. Tu le rejoindras et nous le suivrons jusqu’au navire. »
       Obéissant aux commandes de plus en plus expérimentées de Kielmir, le vaisseau descendit jusqu’à se confondre avec la cime des arbres les plus hauts de la jungle. Puis, l’engin s’élança droit vers le relief. Comme l’avait dit Sarquindi, l’Amaxon serpentait paresseusement derrière, à l'abri des regards des sentinelles de Chaqua. Le fleuve longeait les faubourgs de la ville, puis se scindait en plusieurs bras dont l’un revenait caresser la citée avant de suivre le pied de la colline.
       « Descends encore, mets le vaisseau juste au-dessus de l’eau. Les arbres au bord du fleuve sont grands, ils devraient pouvoir nous cacher jusqu’au Rêve d’Atharti. »
       La manœuvre fut effectuée sans encombre. Le capitaine druchii alla à l’écoutille et sortit la tête du vaisseau. Comme il l’espérait, la hauteur de la végétation arrivaient bien au-dessus de leur machine. Sarquindi jeta un regard aux berges, mais ne remarqua rien d'anormal. La jungle bruissait comme à l’ordinaire. Apparemment, ils n’avaient pas été repérés. Rassuré, le druchii retourna à la cabine et le vaisseau reprit sa route au ras du fleuve.
       Après quelques minutes à descendre l’Amaxon, le cours d’eau sinueux devint plus rectiligne. Les deux druchii purent alors voir au loin le Rêve d’Atharti là où ils l’avaient laissé la veille. Sarquindi plissa les yeux. Quelque chose n’allait pas.
       « Kielmir ! Arrête l’engin tout de suite, avant qu’ils ne nous voient !
       - Mais Capitaine ! Nous sommes presque arrivés, le reaver n’est plus qu’à une lieue à peine, répondit le médecin, surpris.
       - Regarde à la proue, indiqua le capitaine. »
       Le médecin arrêta la machine et observa ce que pointait Sarquindi. A l’avant du navire, juste devant la figure de proue représentant la déesse Atharti, on distinguait plusieurs corps pendus qui se balançaient doucement. Le capitaine cracha :
       « Je n’aurais jamais dû laisser ce comédien seul ! Que ce soit son corps ou celui de ses victimes, il s’est passé quelque chose sur MON navire !
       - Ce sont des cadavres de druchii. Il y en a bien une dizaine.
       - Ça ne peut être une attaque extérieure. Ils n’auraient pas pendu que quelques elfes et laissé le navire. Ça s’est joué entre naggarothii.
       - Une mutinerie ? Phy’lis aurait pris le contrôle du navire ?
       - Surement. Je ne vois pas les plumes de cette crapule parmi les pendus.
       - Que fait-on capitaine ? demanda Kielmir
       - Hors de question de se montrer avant de savoir ce qu’il s’est passé. On va cacher l’engin et terminer à la nage. Avec le contre-jour et la distance, il n’y a aucune chance qu’ils nous aient vu. Immerge le vaisseau.
       - Ne pourrions-nous pas les survoler et regarder depuis là-haut ce qu’il s’est passé ? proposa Kielmir.
       - Et se mettre à portée de baliste ? Et révéler l’existence de ma merveille à ce comédien ? Et risquer de se montrer à toute la Lustrie après tous les efforts que nous avons mis à rester discrets jusqu’ici ? Si tu as d’autres idées absurdes, garde les pour toi et tes patients. »
       Le médecin se retint de rétorquer que Sarquindi était son principal patient de ces dernières semaines. Il abaissa un levier et la machine des anciens descendit petit à petit dans l’eau du fleuve. La paroi transparente permettait de voir la frontière entre eau et air monter alors qu’ils s’enfonçaient sous la surface. Le capitaine supervisait la manœuvre :
       « Plus bas…Plus bas… Encore un peu, il faut que l’eau arrive presque en haut… Encore… Stop ! c’est bon. Approche-toi de la rive, autant que possible. Il ne faut pas que nous soyons au milieu du fleuve, c’est trop risqué. Encore un peu plus près de la côte... Voilà ! arrête tout.
       - Si quelqu’un nous cherche, ça ne suffira pas à nous cacher totalement, fit remarquer le vieil elfe. Il reste le sommet de la plateforme.
       - Je le sais. Va dehors ramasser des branches, des feuilles, n’importe quoi qui pourrait faire passer ce qui dépasse de l’eau pour un tas de bois flottant. Je termine la manœuvre et je te rejoins. » répondit le chef corsaire.
       Le médecin obtempéra. Il ramassa ses affaires et quitta la cabine. Sarquindi tendit l’oreille et vérifia que son camarade avait quitté le vaisseau. Puis il se leva et courut dans un coin de la pièce. Il fouilla un peu dans les différentes plaques de pierre et en tira une. Il la parcourut rapidement et trouva l’information qu’il cherchait. Il courut au tableau de bord, et appuya sur un bouton à l’extrême bout du tableau de bord. Celui-ci émit un bruit synthétique. Le corsaire recula d’un pas, méfiant. Il tira son épée et l’approcha prudemment du siège de pilotage. Au moment où la pointe de la lame toucha le siège, une série d’étincelles crépitèrent. Une faible odeur d’ozone se fit sentir. Sarquindi sourit, rassuré par ce système de sécurité. Il recula lentement vers l’entrée de la pièce, puis se pressa jusqu’à la plateforme. Il grimpa et sortit.
       « J’ai presque terminé capitaine » lui annonça Kielmir. Il tenait dans chaque main une grande feuille qui aurait pu couvrir un elfe entier. Sarquindi hocha la tête. Le médecin avait tiré plusieurs grosses branches et les avait calées contre le vaisseau de manière à ce que les feuillages le masquent grossièrement. Il avait complété le tout avec plusieurs grosses feuilles identiques à celles qu’il portait. La plateforme était presque entièrement couverte de végétation.
       « Bien. Avec le contrejour et la distance, personne ne nous a vu depuis le navire. Et ton camouflage devrait suffire à masquer mon vaisseau pendant la nuit même depuis les sous-bois, dit Sarquindi. Maintenant, au navire, et vite. Je sens que l’effet de tes herbes s’estompe. »
       Sans attendre de réponse du vieil elfe, Sarquindi plongea dans l’eau. Kielmir le suivit l’instant d’après. Ils nagèrent jusqu’aux pieds de mangrove qui bordaient le fleuve, puis se laissèrent pousser par le courant de racine en racine. Portés ainsi par l’Amaxone, les deux elfes parcoururent sans trop d’effort les quelques centaines de mètres qui les séparaient du navire. Arrivés au bord de la coque du bâtiment elfique, ils s’accrochèrent à la chaîne de l’ancre et observèrent les pendus de plus près.
       « Je reconnais celui-là , chuchota le médecin. C’est Talei. C’était son premier voyage sur le Rêve d’Atharti.
       - Et celle du milieu c’est Moaha. Une des rares qui avait ma confiance sur ce navire.
       - Oui, je la connais aussi. Elle était sous vos ordres depuis aussi longtemps que moi.
- Maintenant nous sommes fixés sur la nature de l’évènement, soupira le capitaine corsaire. Qu’Ereth Khial protège leurs âmes. Nous prierons Anath Raema pour qu’elle nous offre l’occasion de venger ces fidèles et de récupérer le Rêve. Et cette occasion commence par me remettre en état Kielmir ! »
       Les deux elfes vérifièrent que le bastingage était dégagé au-dessus d’eux. La voie était libre pour monter. Sarquindi posa les mains sur le large maillon de la chaine de l’ancre et commença à se hisser. Sous l’effort, une vague de douleur l’arrêta un instant. Il ferma les yeux quelques secondes, puis reprit l’ascension. Kielmir le suivit. Le capitaine s’arrêta juste au-dessous du bossoir de l’ancre, deux mètres en dessous du pont du reaver. Sous le regard étonné de son compagnon, il passa la main sur le bois de la coque. Il tâtonna une dizaine de secondes et trouva enfin ce qu’il cherchait : Ses doigts avaient enfin réussi à retrouver le bord d’une trappe presque invisible.
       « J’ai fait installer ça il y a quelques années, au cas où. Je suis presque content que cette histoire me permette enfin de l’utiliser. » expliqua Sarquindi
       Il jeta un coup d’œil au-dessus de lui, souleva la trappe et se faufila à l’intérieur, suivi de Kielmir. Ils marchèrent à quatre pattes quelques mètres dans une galerie de bois aménagée entre les deux ponts. Au bout de celle-ci, Sarquindi ouvrit un panneau coulissant. Les deux elfes sortirent du passage et se retrouvèrent dans une cabine.
       « A qui est cette pièce ? demanda le médecin.
       - Plus personne. J’ai vu le corps du propriétaire parmi les pendus.
       - Sommes-nous loin de ma cabine ? Nous risquons de croiser des gens.
       - Nous sommes juste à côté. »
       Le capitaine entrouvrit la porte pour vérifier que le couloir était vide. Un corsaire marchait vers l’autre bout du couloir. Sarquindi attendit que ses bruits de pas disparaissent au loin. Il fit un geste silencieux au médecin et se glissa hors de la pièce. La cabine de Kielmir était deux portes plus loin. Les deux elfes l’atteignirent sans encombre. Sarquindi referma lentement la porte dès qu’ils furent tous les deux à l’intérieur. Les elfes se permirent de souffler. Kielmir, ayant compris où débouchait le passage secret, se permit une remarque, amusé :
       « Je n’imaginais pas que vous faisiez assez confiance à Laenis pour installer ce passage jusqu’à sa cabine. Elle était la première à médire sur votre commandement.
       - Et la première à me dire qui approuvait quand elle le faisait. Elle m’a découvert plus de conspirations que tous les autres espions que j’ai jamais payés. Mais nous ne sommes pas là pour parler des morts. Vous êtes là pour me garder en vie. Votre matériel est-il toujours là ? »
       Kielmir jeta un regard rapide dans la pièce, à son armoire ouverte et aux différentes commodes couvertes de fioles qui occupaient les coins de la pièce.
       « Je crois que rien n’a été touché.
       - Parfait. Commençons. »
       Sarquindi enleva son fourreau, tira son épée et alla s’asseoir sur le bord de la couchette du médecin. Il posa son arme à côté du lit. Il grimaça lorsqu’il essaya d’enlever sa chemise : Celle-ci était poisseuse de sang, et il sentait les croûtes de ses blessures partir avec le vêtement. Kielmir intervint en tendant une potion à Sarquindi :
       « Laissez, je vais m’en occuper. Allongez-vous, et buvez ça. Ça calmera la douleur et limitera l’hémorragie. Je vais travailler méthodiquement, il faut que j’enlève un peu de tissu, nettoie la plaie, traite, recouse, et recommence jusqu’à ce que nous ayons tout remis en état. Ça prendra le temps qu’il faut, mais vous n’avez pas le choix.
       - Combien de temps ? grogna le capitaine.
       - Moins d’une heure, si je me dépêche.
       - Alors dépêchez-vous, trancha Sarquindi. »



***
***
***



        Elle observa les amazones faire glisser doucement leurs pirogues jusqu’à la berge, où deux autres les attendaient. Ces dernières, elle les avait déjà identifiées comme leurs cheffes. Parfait, tout se déroulait comme elle l’avait espéré.

        Sous le couvert des arbres et des fourrés touffus, Kallemmensha s’approcha sans aucun bruit malgré son armure. Telle était la discrétion des guerriers fantômes de Naggarythe, et l’elfe faisait partie de leurs vétérans. Elle put ainsi s’approcher jusqu’à la lisière de la jungle, à quelques pas à peine des femmes guerrières, sans qu’aucune d’entre elles ne soupçonne seulement sa présence.

        Elle regarda l’une des deux cheffes, celle qui portait un casque ornementé dont les plumes avaient vu de meilleurs jours, monter sur la pirogue qui l’intéressait. L’amazone discutait vivement avec l’autre femme qui, elle se mettait à pousser doucement la pirogue dans l’eau. Les autres amazones les imitaient tout autour, se préparant à repartir sur le fleuve.

        Kallemmensha jura. Tout ne se déroulait pas comme elle l’avait espéré, finalement : elle s’était attendue à ce que les guerrières fassent une plus longue halte. Pas question qu’elle les laisse filer après tout ce temps passé à les espionner ! Ladrielle et Loec lui soient témoins, la Lame Lunaire ne lui échapperait pas ! La guerrière des ombres s’élança à travers les arbres tropicaux, en esquivant avec grâce les lianes moussues.

        Du coin de l’oeil, elle ne quittait pas la pirogue de la cheffe : au beau milieu du tas d’armes, d’armures et d’artéfacts dorés, dépassait la garde reconnaissable entre toutes de la Lame Lunaire. Sa facture elfique tranchait nettement, aux yeux de Kallemmensha du moins, avec les autres artéfacts qui ressemblaient bien plus à ce que les hommes-lézards et les amazones maniaient.

        Sautant par dessus une imposante racine, elle avisa un rocher devant elle qui surplombait l’Amaxon, et sur lequel des arbres élançaient leurs larges branches aux-dessus des eaux. Parfait. Elle n’aurait pas besoin de plus.


        Ixi’ualpa était en pleine discussion avec Luxia, qui pilotait doucement la pirogue, lorsqu’atterrit entre elles une guerrière en armure aux reflets argentés, faisant trembler le frêle esquif. Complètement surprise, l’amazone ne put qu’empoigner sa lance, avant de se rendre compte que la nouvelle arrivant n’avait pas dégainé ses armes : son épée reposait dans son fourreau, et un imposant bouclier était attaché dans son dos.

        Tout autour d’elles, les pirogues s’arrêtaient et, figées de stupeur, les amazones regardaient la nouvelle venue. Rakt’cheel avait déjà dégainé ses dagues mais restait immobile, attendant de voir ce qu’allait faire cette guerrière qui venait vers elles ses armes non dégaînées.

        Une expression de marbre sur le visage, cette dernière leva une main avant de lui adresser la parole dans sa langue, qu’Ixi’ualpa ne comprit pas. Elle remarqua cela dit ses oreilles pointues caractéristiques d’une elfe, et lui pointa sa lance sur le torse. L’elfe parla à nouveau et, cette fois, Luxia tiqua derrière elle.

         « Je comprends ce qu’elle dit ! s’exclama la jeune kalim. Je crois qu’elle veut l’épée de ses ancêtres.  »

        Effectivement, de son autre main, l’elfe pointait une arme à ses pieds, à la garde ornementée et dont la lame brillait faiblement, comme enveloppée d’un doux halo de lumière blanche. Ixi’ualpa fronça les sourcils.

        « Impossible, cette arme provient d’une armurerie des Anciens, nous ne l’avons pas récupérée sur des elfes.  »

        Laborieusement, Luxia traduisit ses propos pour elle dans le langage, haché et hésitant, de l’étrangère, qui lui répondit platement.

        « Elle a été volée aux siens, dit-elle, traduisit Luxia après un moment
        — Je ne suis pas certains de suivre, je ne vois pas pourquoi ni comment elle se serait retrouvée dans l’arm…  »

        L’elfe la coupa d’une plate réplique.

        « Et pourtant, elle est bien là. » traduisit Luxia.

        Ixi’ualpa regarda l’elfe, puis la lame. Clairement, cette dernière était d’une facture différente des autres. Et pourtant… comment aurait-elle pu se retrouver parmi les artéfacts des Anciens, dans cette forge abandonnée depuis des âges immémoriaux ? À moins que quelqu’un…

        « Je ne la crois pas ! » s’écria avec animosité Rakt’cheel, dont la pirogue s’était rapprochée de la leur. « C’est encore une manigance de ces elfes, il ne faut pas faire confiance à ces voleurs, ces profanateurs et ces impies !  »

        Cela eut raison du doute d’Ixi’ualpa. Oui, les autres elfes avaient volés l’une des pirogues célestes des Anciens, nul doute que celle-ci ne valait pas mieux qu’eux ! Elle allait exprimer son refus, que la guerrière elfe écarta violemment sa lance de sous sa gorge, et s’empara de la fameuse lame à ses pieds : visiblement, elle avait abandonné tout espoir d’une solution diplomatique.

        Tout s’accéléra : les amazones ne comptaient pas se laisser faire. Luxia lui s’élança sur l’elfe, mais cette dernière esquiva son coup avec une aisance presque nonchalance avant de faire perdre son équilibre à l’amazone et l’envoyer par-dessus bord. Ixi’ualpa, remise de sa surprise, se lança elle aussi à l’assaut sur la pirogue qui tanguait dangereusement sous leurs pieds. Mais Kallemmensha s’était déjà retournée et lui fit face, son épée dégaînée.

        Les deux guerrières étaient fines bretteuses, vétéranes de nombreux combats, expérimentées dans les manières d’infliger la mort par les armes sans elles-mêmes subir les coups. À la différence près que Kallemmensha versait dans cet art depuis des siècles, et cela faillit coûter sa vie à Ixi’ualpa, qui n’évita que de peu un coup de la lame qui au lieu de transpercer son épaule droite et l’incapaciter, ne fit que lui courir le long de la clavicule. Le sang de l’amazone éclaboussa les eaux calmes de l’Amaxon. (Kallemmensha : 4T une annulée, 3B, 1 Invu, -2PV ! Ixi’ualpa  : 3T, 2B, 2 invu !)

        La poignée d’amazones que l’aventure avait laissées valides s’apprêtaient à sauter sur la pirogue pour prêter main forte à la guerrière aigle, mais elles n’en eurent pas l’occasion. Poussant un cri de rage, Ixi’ualpa s’était jetée en avant, la lance la première, perforant le flanc de la guerrière elfe qui avait encaissé le coup… mais pas assez pour ne pas perdre l’équilibre et chuter par-dessus bord. Emportée par son élan, Ixi’ualpa tomba à sa suite, l’épée elfique ayant mordu sa chair une seconde fois. Les deux guerrières disparurent dans les flots aux yeux des kalims stupéfaites. (Kallemmensha : 3T, 1B, -1PV ; Ixi’ualpa : 4T, 3B, -3PV !! Les deux combattantes repartent avec 1PV.)

        Tout autour d’elles n’était qu’eaux boueuses et bulles d’air tourbillonnantes alors que le poids de l’armure de l’elfe les entraînait lentement vers le fond. Pourtant, aucune des  deux femmes n’abandonnaient leur bras de fer sous-marin. Tantôt l’une sur l’autre, tantôt l’inverse, elles tournaient sur elles-mêmes en s’enfonçant rapidement dans les profondeurs. (Kallemmensha : 2T, 2B, 1svg, -1PV ; Ixi'ualpa : 3T, 2B, -2PV. Elles repartent avec 1PV.)

        Au bout de quelques secondes, Kallemmensha sentit le fond mou du fleuve sous ses bottes. Elle comme l’amazone avaient, dans leur chute, lâchés leurs armes lorsque leurs corps s’étaient entremêlés, et à présent chacune tentait d’enserrer l’autre pour l’incapaciter. Soudain, à travers l’épais rideau boueux des eaux chargées de limon, Kallemmensha repéra la silhouette de la lame lunaire, qui brillait légèrement. De ses deux pieds, elle repoussa l’amazone et se propulsa dans le même élan jusqu’à l’arme.

        Alors qu’elle se retournait pour frapper, elle vit trop tard que la guerrière aigle avait fait de même avec sa lance et s’élançait aussi sur elle. Il n’y eut pas le temps d’esquiver de part et d’autre. D’un côté, l’épée elfique mordit une jambe et, de l’autre, la pointe de la lance amazone s’enfonça dans l’armure argentée juste sous l’aisselle droite. (Kallemmensha : 3T, 3B, 1svg, -2PV ; Ixi'ualpa : 4T, 2B, 1Invu, -1PV)

        Kallemmensha y vit sa porte de sortie. Lâchant l’épée, elle coinça la lance sous son bras, ce qui lui arracha un grognement de douleur. L’amazone tenta de lui arracher son arme, mais sans effet. La poigne de fer de l’elfe la saisit à l’épaule et la ramena contre elle, et le bras gauche de Kallemmensha enserra bientôt le cou d’Ixi’ualpa. L’amazone se débattit un moment, mais la guerrière des ombres ne relâcha pas un seul instant son ferme étaux, jusqu’à ce que le corps de son adversaire devienne enfin inerte. (Kallemmensha : 2T, 1B, -1PV ; Ixi'ualpa : 3T, 1B, 1Invu !)

        Doucement, l’elfe relâcha l’amazone ayant perdu connaissance et la laissa flotter doucement. Tout ce duel sous-marin n’avait duré que quelques dizaines de secondes, et Kallemmnesha, même entraînée, commençait elle aussi à manquer de souffle. Elle empoigna la Lame Lunaire d’une main, la lance de son adversaire de l’autre, et disparut dans les brumes épaisses de l’Amaxon. Au-dessus, plusieurs autres amazones plongeaient justement, mais elles ne la virent pas s’éloigner : le corps d’Ixi’ualpa accapara suffisamment leur attention, et c’était tout ce que l’elfe leur souhaitait.



        Rakt’cheel regarda les kalims hisser une Ixi’ualpa inconsciente sur la pirogue, et se pencha immédiatement pour l’inspecter. Au moins, les blessures ne paraissaient pas mettre sa vie en danger. Même, la dévote avait l’impression que la guerrière elfe avait frappé spécifiquement pour mettre son adversaire hors d’état de combattre plutôt que de simplement la tuer… une telle précision était presque effrayante.

        Alors qu’elle pressait le torse d’Ixi’ualpa pour lui faire cracher son eau et reprendre connaissance, une des kalims aptes au combat, Hixik, attira l’attention de Rakt’cheel sur la berge non loin : Kallemmensha venait d’émerger des eaux et s’élançait prestement vers la forêt.

        Rakt’cheel lança la poursuite à l’encontre de la guerrière, et laissa Ixi’ualpa entre les mains d’une kalim dont la jambe blessée l’empêchait de se joindre à eux.



        Lorsqu’elles revinrent bredouilles, la guerrière aigle avait repris connaissance, et était en train de se faire soigner. Entre deux cataplasmes, Rakt’cheel avoua leur impuissance : l’elfe n’avait laissé absolument aucune trace derrière elle. C’était tout simplement comme si elle s’était volatilisée.

        À ce même moment, un trait fusa d’entre les arbres et se ficha dans le bois de la pirogue. C’était la lance d’Ixi’ualpa.

        Rakt’cheel était prête à partir une nouvelle fois à la recherche de cette maudite elfe, mais Ixi’ualpa l’en dissuada rapidement : clairement, pour une fois, les amazones étaient surclassées. De plus, la guerrière n’avait dérobé qu’une seule arme, et Ixi’ualpa était de plus en plus persuadée qu’elle avait dit la vérité à son propos. Peut-être en était-il mieux ainsi. Le trésor qu’elles rapporteraient, elles, chez les leurs n’en était guère diminué. Et justement, ce trésor devait être mis en sécurité au plus vite ; aussi repartirent elles prestement sur le calme fleuve.


Essen

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Lun 3 Mai 2021 - 19:48

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     L'expédition avait été un échec, un de plus à rajouter à la longue liste d'entreprises au résultat mitigé. La Lustrie était un continent impitoyable. Tout là bas vous tuait. Les locaux, les plantes, les animaux, et même l'air. Tout voulait votre mort. Les seuls ilots de stabilité et de sécurité étaient les enclaves impériales installées sur les côtes, et éventuellement quelques plantations fortifiées dans des zones clairement défrichées et exploitées par les colons.
     On avait beau recevoir un flot quasi-continu de volontaires avides d'or et d'aventures, ce qui créait véritablement de la richesse sur ce continent, c'était sa mise en valeur agricole. Le butin des expéditions rarement victorieuses était la plupart du temps taxé par l'administration coloniale, et les gains des vainqueurs vainement dépensés dan les bordels ou au jeu. Ainsi, réussite ou échec, peu importait, car de toute manière l'or finissait toujours dans l'escarcelle du trésor impérial.
     Non. Ce qui ennuyait Alicia, c'était la perte du navire, d'hommes expérimentés et du mage. Les premiers, acclimatés et moins faibles face aux maladies, mettaient une chiée à être formés, tandis que le second était une ressource bien rare, uniquement réquisitionnée parce que ce con de nobliau à l'origine de l'expédition avait les papiers pour. Puis le navire, de facture elfe, aurait pu être revendu à grand prix aux chantiers navals locaux. Les exploitants étaient toujours alléchés à l'idée de mettre la main sur le bois et les méthodes de construction des longues oreilles, dans quelque espoir de percer les secrets derrière la conception de ces esquifs construits avec des techniques qui échappaient pour l'instant aux bâtisseurs navals.

     Ruminant cet échec plutôt coûteux, Alicia errait dans la jungle, veillant sans cesse à effacer ses traces pour perdre tout poursuivant. Rentrer à la Nouvelle Altdorf n'allait pas être de la tarte. Ça n'allait pas être la première couille qu'elle devait subir, mais à aucun moment ça n'avait été une partie de plaisir que de se farcir le chemin à pied sur des plages ou dans des marécages. Il fallait faire très attention les nuits. Il y avait de ces colonies de fourmis qui surgissaient du sol uniquement lorsque les lunes étaient levées. Extrêmement venimeuses et agressives, au nid très discret, ces saloperies vous tuaient un homme par leur poison en moins d'une heure. Puis il y avait les araignées. Pas les grosses noires toutes velues, non. Celles ci étaient amusantes, douces et sans danger. Elle en avait même eu une comme animal de compagnie pendant quelques années sur le navire. Non. C'étaient celles qui étaient colorées qu'elle haïssait. Venimeuses. Empoisonnées. Puis il y avait les serpents lianes, ces horreurs vertes qui se noyaient dans la végétation, uniquement pour vous tomber dessus depuis les hauteurs. Il fallait avoir l’œil pour les repérer. Sans compter les ocelots. Très rapides, et pas souvent amicaux avec l'homme, ces créatures de la jungle pouvaient se montrer très dangereuses. Fut une expédition par le passé, on avait amené un chien pour rechercher du gibier plus aisément. A peine une semaine passée dans la jungle, qu'au détour d'une piste, la colonne d'explorateurs entendit un bruit étrange provenir d'un côté de l'expédition. Croyant à une attaque ou la présence d'un de ces immenses lézards bien trop nombreux pour la santé mentale de tout sang chaud, l'ensemble de la compagnie s'était mise en garde, armes à la main... Pour voir filer sous ses yeux un pécaris effrayé qui poussait des hurlements, fuyant à travers les arbres.
     Étonnés, voilà que tout le monde baisse sa garde... Et qu'en trois secondes le chien se fait tuer. Alicia était juste derrière celui ci. Une seconde, une silhouette jaillit des fourrés. Deux secondes, celle ci se jette sur le chien, lui broie le cous. Trois secondes, le corps de la bête est tiré dans les fourrés et on ne le retrouve plus jamais. C'était une attaque d'ocelot, qui en trois secondes mis à mort un chien dressé pour la chasse. Sans coup férir.
     Et maintenant qu'elle était seule, elle avait à se méfier de pareilles créatures, puisque plus de tours de gardes pour se parer de ces dangers.

     Aussi, c'est une inquisitrice au bord du point de rupture mentale qui traversa la jungle de part en part, butant par moments sur des cadavres, humains ou non, se dissimulant de poursuivants ou créatures existant simplement dans les zones qu'elle traversait, se sustentant des quelques saloperies de serpents lianes qui essayaient de la lui mettre à l'envers.... Pour finalement émerger dans un abatis bien humain, bien vivant, bien en activité ! La civilisation ! Enfin !

     Et qu'elle n'est pas sa surprise que de voir dans l'installation des têtes connues ! Quelques stirlanders encore en vie, et le botaniste ! Le **** de botaniste que tout le monde avait oublié, en bonne santé, frais comme un lapin, qui papote avec les survivants....
Elle était trop vieille pour ces conneries.
     Temps de prendre sa retraite. De quitter cette foutue jungle et rejoindre un bureau, comme le vieux Marcus....



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     Fiodor arracha son quatorzième ou quinzième pan de mur, un pavé d’une trentaine de centimètres de long, et l’envoya derrière lui rejoindre les autres. C’était un travail fastidieux, et il aurait arrêté depuis longtemps si chaque morceau n’était pas constitué d’or massif. Il avait encore du mal à en croire ses yeux. Il tenait entre ses mains le prix d’un bateau de la même taille que le sien. Si on lui en laissait le temps, il pourrait s’acheter la flotte impériale. Équipages et fanfare compris. Mais pour l’heure, rien ne servait de rêver éveillé. Il fallait se dépêcher. La cité avait l’air d’être un piège mortel. Et cette mort-là serait la bonne. Non-loin de lui, Sargath, Heinrich et Von Essen faisaient de même. Et en silence. Ils avaient été surpris par quelques groupes de saurus, qui n’eurent cependant pas le temps de réaliser leur erreur avant de mourir. Mais il ne s’agissait que de patrouilles. Le gros des forces serait bien plus redoutable. Il s’agissait d’être discrets.

     Tout d’un coup, Fiodor redressa la tête. Ses sens avaient perçu une odeur étrange. Une odeur de brûlé. Ses lèvres se plissèrent en un petit sourire, et il secoua légèrement la tête. Laissant là ses compagnons vampiriques, il s’empara de son tas d’or et s’éloigna, suivant l’odeur si particulière. Il cherchait justement un signe de cette nature depuis leur arrivée, parce que cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : la présence d’un certain nain aux tendances… pyromanes.
     En effet, cela faisait deux jours que Thrond l’avait quitté, à la suite de leur rencontre avec Von Essen lors de laquelle les deux vampires avaient joints leurs forces. Au grand désarroi du capitaine vampire, le nain avait été intraitable, même en lui avouant toute la réticence que Fiodor avait lui-même à pactiser avec le nouveau venu aussi bien qu’à recourir à la nécromancie.
     « Je… t’as sauvé ma peau plusieurs fois hein, j’peux pas oublier c’qu’on a fait à Izzatal. » avait dit le nain. « Mais… Je suis un nain, et je resterai un nain toute ma vie. C’est dans mon sang qu’il se mette à bouillir à la simple vue d’un uzkular. »

     Même en faisant remarquer à Thrond qu’il était très loin de rentrer dans les clous de sa race, qu’il ne portait d’ailleurs guère dans son coeur pour des raisons qui restaient encore inconnues à Fiodor, le nain n’avait pas cédé.
     Enfin, à moitié seulement. Car finalement, il avait fini par accepter, mais sans vraiment accepter. Une technique proprement naine pour le coup. Il avait proposé que chacun face son petit bonhomme de chemin jusqu’à Chaqua, et qu’ils reconsidèrent l’offre de Fiodor une fois là : qui savait ce qui pouvait arriver entre-temps ? Thrond avait dit cela avec une pointe d’optimisme en espérant que Fiodor aurait quitté Von Essen et récupéré son navire, mais la réalité s’était révélée tout autre. Navire, oui, mais quitter Von Essen… c’était deux autres vampires, dont un tout aussi ingérable, qui s’étaient joints à lui !

     Et il y avait le pari aussi… Ils avaient eu la grande idée de proposer que ce soit une course. L’argent n’ayant plus de sens pour eux au vu des richesses qu’ils voleraient à Chaqua, ils s’étaient accordés pour que le premier arrivé gagne que le second le suive et l’accompagne dans ses aventures pendant une année.
     Fiodor fit une grimace en repensant à cela. Sur le coup, l’idée lui avait plu. Mais au vu des circonstances, le nain était arrivé avant lui… ça allait lui faire une belle jambe s’il devait suivre Thrond alors que ce dernier n’avait pas de moyen de transport et ne voulait pas mettre un pied sur le Corbeau Centenaire tant que des vampires indésirables y resteraient !
     Fiodor ne doutait pas qu’ils fassent un bon duo, mais l’aventure à Izzatal, c’était à cinq fous et non à deux qu’ils l’avaient réussie, et ils avaient manqué d’y passer plus d’une fois. Pire encore, ils n’avait pas croisés les bêtes titanesques de la jungle lustrienne, comme la salamandre vaincue par Sargath. Tout aussi forts qu’ils étaient, le vampire doutait que le lance-flamme du nain ou ses sabres leur soient d’une grande utilité face à une monstruosité enragée et blindée d’écailles.

     … De toute façon, il allait bientôt être fixé sur son sort. À une dizaine de mètres devant lui, se tenait une maison en ruine, identique à toutes les autres à l’exception du fumet qui s’en échappait, caractéristique de matière en train de se consumer. Il avait retrouvé Thrond. Tout autour gisaient un certain nombre de cadavres de skavens, qu’il enjamba négligemment.
Posant son tas d’or devant la bâtisse, Fiodor entra dans le bâtiment. Avisant l’intérieur de la maison en ruine, les cadavres de skavens sur le sol, le matériel du nain jonchant le sol tout autour du monticule de terre dans une impression très nette de chaos parfaitement organisé, Fiodor hocha la tête avec une petite moue approbatrice.

     « Je vois que tu n’as pas perdu ton temps… »
     — Mais pas toi par Thungni ! » Le nain lui, n’avait pas du tout l’air impressionné ou simplement surpris par la présence du vampire. « Je savais que tu finirais pas me retrouver, avec ton “flair” là, mais ça fait déjà un jour que je poirote ici ! » Marquant une pose, le nain reprit, cette fois d’un ton plus calme et sérieux : « Tout s’est bien passé sur le voyage ? »

     Distraitement, Fiodor regardait l’étrange fourneau au centre de la pièce.
     « Mieux que je l’espérais. J’ai récupéré le « Corbeau », et deux autres larrons aux dents longues se sont rajoutés à l’expédition. Pas que j’en sois si heureux d’ailleurs… » Disant cela, il secouait la tête : « l’un est l’orgueil personnifié et c’est un miracle que sa tête ne fasse pas la taille de la cité. L’autre est son toutou attiré. Pitoyable à voir. Le seul truc qui nous unisse c’est notre mépris des elfes. Tu vas trouver ça marrant je pense. »

     Le vampire prit un moment pour réfléchir, puis ajouta :
     « Ah, et les elfes qui l’avaient pris sont morts. Et pas à cause de nous. On a trouvé leurs corps sur le « Corbeau », et en sale état. » Fiodor sourit méchamment. « Au moins, ils ont eu ce qu’ils méritaient.
     — J’vais pas pleurer sur des morts d’elfes. »  Thrond cracha sur les braises pour appuyer son propos. « C’dommage que j’aie pas pu fourrer mon marteau dans la tronche de l’aut’couillon qui m’a fichu mon lance-flammes en l’air, mais y  a pire. En parlant d’pire, si j’comprends bien, quand tu dis ‘rajouter’, y a l’autre énergumène qui est toujours là lui aussi ? »

     Fiodor devina aisément que le nain parlait de Von Essen. Et encore, pensa-t-il, il l’appelait énergumène sans avoir été témoin de son dernier fait d’armes contre ses propres zombies. Repensant à cet épisode étrange, il hocha la tête en plissant les lèvres.
     « Ah ça, pour être là, il est là. Si un jour j’ai l’idée saugrenue d’écrire un dictionnaire, je mettrais son portrait juste devant le mot ‘taré’. Mais j’ai récupéré mon bateau, alors maintenant sa présence me tape moins sur le système, vu qu’il reste sur le sien. Vivement le moment où on partira chacun de notre côté. Ces trois énergumènes me pompent le peu d’air que j’ai dans les poumons. »

     Tout du long, Thrond avait hoché la tête en rythme avec ce que disait Fiodor, d’un air sombre. Lorsque ce dernier eut fini, il ajouta :
     « En tout cas, tu arrives juste à temps. Ça commence à bouger un peu dans la cité. Toute la nuit les thaggoraki – le nain pointa les skavens morts sur le palier de la porte – n’ont fait que courir dans tous les sens, c’est à peine si j’ai pu finir mon travail de fonte. J’te l’dis, ça sent mauvais, très mauvais, surtout avec tout le boucan dans la forêt depuis ce matin. Si tu veux mon avis y a du grabuge qui se prépare.
     — Heh, ils courent beaucoup moins maintenant. » répondit Fiodor en donnant un coup de pied dans l’un des skavens. Thrond ricana en regardant son marteau, qui portait encore les traces sanguinolentes de son combat nocturne. Fiodor continuait : « Mais ces trucs sont pires que les elfes, quand on en tue un, on en trouve dix autres, et ainsi de suite. Quand à la forêt… j’ai entendu ces bruits moi aussi. Avec les trois autres ‘zangunaz’, on fait le plein de butin, et on met les voiles. Au sens propre. Faut pas oublier que je suis venu pour ça à la base. »

     Fiodor marqua une pause, puis regarda Thrond en fronçant les sourcils :
     « D’ailleurs, à ce sujet, tu as un moyen de partir ? »

     Le nain pointa son sac à dos. Le vaste sac était rempli à ras-bords de plaques en en or qui dépassent de ses rabats en cuir. Il se lèva et prit un léger marteau de travail.
     « Disons que, justement, j’vais bientôt être prêt à partir moi aussi. Tout juste, même. »

     Il se rassit devant un petit pavé de terre cuite, posé juste devant l’ouverture en bas du fourneau, auquel Fiodor n’avait pas porté attention. Le nain le cassa avec son marteau, de façon étonnamment délicate : écartant les débris de terre encore fumants, révéla… un quart de sphère en métal bordé d’encoches et de trous ronds et réguliers.
     Saisissant des tenailles noircies de cendre à côté de lui, Thrond s’en servit pour attraper le morceau et le mettre dans un trou rempli d’eau claire, visiblement prévu à cet effet. Le métal n’avait pas l’air chaud, mais c’était trompeur : sa plongée dégagea un petit nuage de fumée qui surprit le vampire.
     L’opération faite, le nain tâta la pièce du bout des doigts, avant de l’empoigner fermement. De son autre main, il s’empara d’une partie du mécanisme de son lance-flamme : une sorte de bonbonne métallique, dont le couvercle hémisphérique manquait une moitié. Après vérification, la nouvelle pièce s’y imbriqua sans trop de soucis. Thrond hocha la tête satisfait, et se tourna vers Fiodor. Ce dernier haussait fort ses sourcils devant la scène.

     « C’t’une chance qu’y ait le fleuve à côté, dit le nain. Avec la bonne terre argileuse qu’j’ai trouvée sur les bancs, j’ai pu m’faire un moule pour refondre la pièce, sans le trou causé par l’autre oreilles-pointues. Après le tour de passe-passe de l’autre fois, j’avais plus d’autre option pour le réparer. »

     Il se mit à remonter, revisser et reclouer le tout, tout en continuant à parler nonchalamment entre deux tours de mains et autres coups de marteau.
     « Mon père dirait qu’c’est du travail de cochon, et il aurait bien raison ! Mais bon, j’fais c’que j’peux avec c’que j’ai, ça tiendra jusqu’à c’que sois d’retour à un semblant d’civilisation »
     Entendant cela, Fiodor fixa l’arme d’un des skavens à ses pieds et se demanda ce que le père de Thrond en aurait pensé. Toutefois, le nain avait évité sa question.

     « Je te demande comment tu as prévu de partir parce que, même si j’ignore comment...T’as gagné notre pari. Et selon ses termes, c’est moi qui dois te suivre. Mais les trois autres sont encore là. Ils ont autant de talent sur l’eau qu’un poisson sur une dune, alors je leur sers de guide. Mais dès que possible, je les lâche. Ras-le-bol de me les coltiner. Et il y a de la place sur le ‘Corbeau Centenaire’. Je m’en voudrais de te lâcher dans ce coin. »

     Thrond regarda dans le lointain, et resta un moment silencieux. Enfin, il fronça les sourcils,  ouvrit la bouche… puis la referma sans rien dire. Posant la bonbonne à moitié remontée à côté de lui, il se mit à remuer le reste de braises dans le bas fourneau d’un air évasif. Fiodor secoua la tête d’un air un peu exaspéré devant le spectacle.
     « Si c’est vraiment leur présence qui te gêne, tu peux aller dans la calle, et je leur interdirais d’y mettre les pieds. Jusqu’à leur départ. Il doit bien me rester un ou deux baril de rhum que les elfes n’ont pas vandalisé. Et il y aura prochainement un paquet d’or. »

     Thrond lèva les yeux au ciel à son tour. Mais ce n’était pas, cette fois, par exaspération, mais pour y chercher une solution à, visiblement, ce qui était un problème qui le travaillait beaucoup intérieurement.
     « Hmmm… T’sais, j’te l’ai dit, t’es un vampire, mais bon, on s’connait, j’sais qu’t’es loin d’être un mauvais bougre, et pis tu m’as sauvé la vie plus d’un fois. Du coup tu comptes pas. Mais les autres… si jamais ça effleure les oreilles d’un autre nain que j’ai fait tout le grand océan avec des… des choses pareilles. Boga, j’suis bon pour la damnation jusqu’au bout. »

     Fiodor se retint de lui dire que, si c’était la damnation qui lui faisait peur, à la longue on s’en accommodait très bien. À la place, il leva une main dans un geste qui se voulait rassurant.
     « Si ce n’est que ça, je peux te dire que je n’en dirais pas un mot. Et les trois sangsues qui voyagent avec moi ne sont pas vraiment du genre à s’en soucier je pense. Je dirais qu’un seul d’entre eux serait à même de remarquer ta présence. Ensuite, à la première occasion, on les laisse derrière. Ou devant. Ils peuvent bien se tailler là où ils veulent : dès qu’on arrive à l’océan, ils s’en vont. Moi aussi, mais sans eux. Même avant, si possible… »

     La dernière phrase, Fiodor l’avait à peine murmurée, plus pour lui-même que pour le nain. Cependant, entendant le tout, ce dernier releva la tête, une lueur nouvelle dans le regard.
     « Vraiment ? Ça… ça changerait déjà pas mal de choses. Beaucoup. Tout même, cinq jours, quatre avec le courant, c’est pas des mois ! Je… j’pourrais v’nir ouais. » Soudain, il reprit un air qui se voulait sévère, mais la petite lueur d’espièglerie qui luisait dans le fond de ses yeux ne put échapper à Fiodor. « Enfin, ça m’en coûte d’accepter hein, bien sûr, tout mon sang me pousse à frapper les zangunaz. »

     Le clin d’œil qui clôtura la phrase finit de rassurer Fiodor sur le ton réel de son propos. Au moins, à défaut de pouvoir se soustraire complètement à l’emprise du devoir moral de toute la race naine qui se posait sur ses épaules, Thrond était capable de le tourner un peu en dérision. Le vampire, qui s’était baissé pour manipuler l’arme d’un skaven en la regardant d’un œil dédaigneux, se releva avant de la lancer au loin.
     « Tu me vois ravi de l’entendre. Cela dit, il va falloir nous dépêcher. Nous partirons avant la nuit : je pense que demain, s’il y a encore des intrus ici, ils seront plus morts que moi. »

     Thrond hocha la tête, tout en pointant l’arme qu’avait lancé Fiodor.
     « Heureusement que tu l’es déjà d’ailleurs, faut faire gaffe avec ces machins. C’est d’la merde les armes des ‘raki, mais si ça tue pas sur le coup, t’sais jamais quelle saloperie tu peux récupérer à cause d’une ch’tiote plaie. Tétanos, peste… plusieurs pestes… t’as pas envie d’en avoir la liste. »

     Visiblement libéré d’une bonne part de son fardeau mental, le nain s’était remis à manipuler, ses doigts encore plus vifs qu’avant, le délicat mécanisme de son lance-flamme. La bonbonne claqua dans ses mains, avec la dernière pièce remise en place. Fiodor ne put s’empêcher de s’approcher, curieux :
     « En parlant d’arme, t’as réparé ton...truc, avec de l’or ?
     — Haha, non ! lui répondit le nain d’un ton amusé. J’ai refondu la pièce d’origine, en y rajoutant deux trois boulons que je gardais en rechange, histoire de compenser les pertes de la fonte. J’y ai pensé, tu m’diras, mais l’or est trop fragile pour la pression du machin. Et en parlant de ça… »

     Il réinstalla la bonbonne sur son harnais au milieu du système compliqué de son arme, attaché à son sac à dos. Il y raccorda des tubes, tourna une petite manivelle que Fiodor n’avait jamais remarquée jusqu’ici. De la fumée s’échappa du dispositif, qui se mit à siffler, d’une manière qui ne rassurait pas le vampire. Ce n’était pas le cas du nain qui, calmement, ouvrit une valve métallique pour y laisser tomber quelques braises rougeoyantes avec ses tenailles. Patientant un moment, il rassembla toutes ses affaires et les rangea dans les poches sans fonds de son sac et de toutes les bourses et sacoches accrochées à sa ceinture.
Enfin, le nain empoigna la partie de son arme qui ressemblait à un tromblon.

     « C’est l’moment du grand test… »

     Il pointa l’arme vers l’entrée de la maison, et Fiodor bien que hors de la ligne de mire, s’écarta prudemment. Thrond pressa la gâchette… et quelques petites flammèches jaillirent timidement de la gueule métallique, infimes par rapport au torrent de flammes généralement déversé par le dispositif.
     « Haha, c’est parfait ! s’exclama le nain avec énergie. Enfin, presque. Y faut encore un peu d’temps pour qu’la pression r’monte, mais d’ici une bonne heure ça aura d’quoi cramer tout Izzatal une deuxième fois ! »

     Tout enjoué, il entreprit de remettre son sac sur son dos… non sans tanguer légèrement sous le poids de tout l’or qu’il y avait glissé. D’aucun lui aurait dit qu’il s’était peut-être un peu trop chargé, mais Fiodor savait que c’était peine perdue de tenter de persuader le nain d’alléger son fardeau. Aussi le vampire se contenta-t-il de ramasser son propre tas d’or, lui-même assez impressionnant. Cependant, avec sa force surhumaine, il ne broncha pas, lui, sous le poids du métal précieux. De son autre main, il indiqua une ruelle au sol pavé et moussu.
     « Le bateau est par-là. Si Flouz ne veut pas te laisser monter, dis lui que quand j’arriverai il aura de la chance s’il lui reste une oreille pour m’entendre lui dire qu’il est viré. Ça devrait le convaincre. »

     Thrond, qui donnait un coup de pied dans son bas fourneau pour le faire s’effondrer sur lui-même, tourna la tête vers Fiodor :
     « Eh beh ! C’était pas aussi strict sous les ordres de Domingo le pronto machin-chose ! » Avant que Fiodor ne puisse répondre, il lui secoua le dos d’une bonne claque de sa large main. « C’est bienn ça ! Je l’ai toujours dit : de la dis-ci-pline. C’est toujours c’qui vous manque à vous les umgi. C’est bien, très bien tout ça ! »

     Le rire commun du nain et du vampire résonna quelques temps dans les ruelles pour l’instant calmes de la cité en ruine.


* * *
Essen

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La Route d'Eldorado - Page 2 Empty Re: La Route d'Eldorado

Mar 4 Mai 2021 - 9:57
* * *

     Fiodor sentait le vent lui caresser le visage, et se perdit un instant dans la contemplation de la cité d’or qui s’étendait devant lui. Plus d’or qu’il n’en verrait jamais plus, il s’en doutait, avant très longtemps dans sa non-vie. Ces bâtiments, ces rues, ces ponts et ces tours, tous pavés du métal précieux dont la seule évocation pouvait faire briller les yeux de la plupart des êtres doués de raison dans ce monde. Humains, nains, elfes, halflings, et même dragons, tous vouaient un certain culte au métal doré dont la cité de Chaqua était constituée. Cette même cité qu’ils quittaient à présent. Près de lui, Flouz, à la barre du « Corbeau Centenaire », avait même l’air satisfait pour une fois. Satisfait à la pensée que leurs cales étaient pleines à craquer d’une cargaison de pavés et de briques qui étaient tout autant de lingots. La récolte avait été bonne. Désormais, ils s’en retournaient à l’océan. Notamment pour recruter de nouveaux marins. Et aussi pour enfin quitter ses trois compagnons vampiriques. Thrond, assis à la poupe, regardait ostensiblement vers la rive, la fumée de son cigare s’échappant en volutes irrégulières. Il avait les traits tirés dans une expression purement naine, c’est-à-dire renfrognée à l’extrême, et ce depuis que Sargath et Heinrich étaient remontés à bord.

     Désormais seul sur son langschiff tracté par le navire de Fiodor, Von Essen rêvassait sans un seul regard en arrière. L’aventure avait été belle, mais elle touchait à son terme. Il en avait plus qu’assez de la jungle, de ses insectes, de ses arbres à pertes de vue, de sa faune et de sa population qui manquait cruellement de distinction. Le chroniqueur vampire se languissait de sa terre natale, de ses villes et des multiples distractions qu’elles offraient. Et il en avait assez de tous ces gêneurs qui pullulaient çà et là, partout sur ce satané fleuve. En son for intérieur, il savait que la présence de l’un d’eux lui permettrait, à l’occasion, de se défouler, mais dans le cas présent, ça ne suffirait pas. Pour se défouler, il lui faudrait un exutoire autrement plus populeux. Il avait noté la présence du nain à bord du « Corbeau Centenaire », et avait souri à part lui, notant qu’il n’était manifestement pas le seul vampire à avoir un ami originaire de ce peuple.

     Perché sur la proue du « Corbeau Centenaire », Sargath gardait les yeux rivés vers l’avant. Son visage était fermé, ses traits tirés, et ses bras croisés. Parfaitement immobile malgré les cahots du fleuve, le vampire lahmian ressassait de sombres pensées. Son expédition s’était soldée par un demi-succès pour le moment, car s’il ramenait de l’or en pagaille, son honneur était bafoué. Bafoué, car il n’avait pas pu remettre la main sur ces elfes. Ces satanés elfes dont la seule image lui fit serrer les dents avec suffisamment de force pour broyer une barre d’acier. Mais il avait l’éternité devant lui, et cette dette, il comptait bien la leur faire payer, au centuple. Son second était à la cale, avec ce revenant, Marcel de Parravon. Tous deux étaient en train de comptabiliser la quantité d’or qu’ils avaient récupérée au cours de la journée. Sargath n’avait pas daigné adresser la parole à Thrond quand ils s’étaient aperçus, de loin. Un représentant des annu-horesh, les seigneurs des montagnes, était toujours le bienvenu, mais il avait immédiatement compris qu’il n’était pas en odeur de sainteté pour celui-là. Bah, encore un impudent. Cette parodie de navire attirait toute sorte de racaille. Désormais, le crépuscule tombait sur la jungle, mais Sargath s’en moquait, étant capable de voir la nuit comme en plein jour.

     Et soudain, il vit une silhouette.
     « Bateau en vue ! » Se contenta-t-il de hurler. Il n’en fallait pas plus. Un battement de cils plus tard, Fiodor le non-mort se trouva à côté de lui, le visage tout aussi fermé que le sien, mais l’œil bien plus brillant. Ce vampire n’était pas seulement un aventurier aux yeux de Sargath. Il était affamé d’aventures. Et cela le rendait bien plus méprisable. Mais pour l’heure, il devait admettre qu’il était d’une aide précieuse. Et soudain Sargath eut la surprise de voir Fiodor esquisser un sourire.

     « Vous allez pouvoir vous amuser je crois, lahmian. Ce sont des elfes. »

     Puis, retournant vers l’arrière de son bateau, Fiodor hurla des ordres.

     « Monsieur Flouz, donnez-moi la barre. Monsieur de Parravon, sur le pont immédiatement ! Nous les prenons en chasse. »

     Bientôt ce fut l’effervescence à bord, alors que les zombies d’elfes et d’amazones, dont l’état laissait de plus en plus à désirer alors que la pourriture s’installait, s’activaient de plus belle pour déployer les voiles et sortir les canons. Thrond, toujours immobile, s’était tourné, faisant face à l’action, tout en tirant une bouffée sur son cigare. Le bateau du vampire, léger et maniable, n’avait pas la vélocité d’un navire elfique en haute mer, mais le terrain ici était tout autre. Sans attendre, Fiodor se dirigea vers la poupe pour s’adresser à Von Essen, dont le bateau constituait un poids supplémentaire.

     « Herr Von Essen ! Navire elfique en vue. Et si je veux le rattraper, il va me falloir…lâcher du lest. »

     Il y eu un craquement sonore alors que Von Essen brisait la rambarde sur laquelle il s’était appuyé. Des elfes ! À portée de main ? De dents ? Mais bien sûr, allez-y Herr Fiodor. Lâchez tout le lest que vous voulez. Et plus encore, pour faire bonne figure.

     « Faites comme bon vous semble ! J’arrive ! »

     Ce fut sa seule réponse. D’un bond, il parcourut la distance qui séparait leurs deux bateaux tandis que Fiodor coupait la corde qui rattachait le langschiff vide à son propre navire. Le chroniqueur avait le visage d’un homme tenaillé par l’impatience. Le massacre forcé de ses revenants, la fuite de Chaqua où il avait souhaité rester plus longtemps pour en admirer les splendeurs, tout cela l’avait considérablement frustré. Il rejoignit Sargath qui avait la main crispée sur la poignée de son épée. Thrond, lui, était resté à la poupe, refusant ostensiblement de se mêler à ces zangunaz. Il avait espéré ne pas les côtoyer pendant ces quelques jours, et la perspective de se battre à leurs côtés lui était insupportable. Devant eux, le navire elfique – druchii en apparence – se rapprochait désormais peu à peu. Le nain cracha par-dessus bord. Maudits krut’elfi qui étaient vraiment toujours là pour les déranger. À la barre, loin de partager sa frustration, le capitaine non-mort partit d’un grand rire sardonique.

     « Hahaha, ils ne peuvent nous semer. Observez messieurs, observez comment on mène un abordage ! »

     Fiodor n’avait toutefois pas fini de se donner en spectacle. Il voulait en mettre plein les yeux de ses alliés, mais aussi plein les oreilles. Levant la main droite, il claqua des doigts. Aussitôt, certains des morts-vivants présents sur le pont arrêtèrent ce qu’ils faisaient, et se rendirent en file indienne dans les profondeurs du bateau.

     « Mais euh…que faites-vous ? » Interrogea Sargath en faisant quelques pas vers le pont supérieur. « Nous allons avoir besoin de toutes nos forces contre ces impudents. »

     Fiodor ne cessa pas de rire, et les deux vampires s’aperçurent que Flouz tenait à nouveau la barre, et que Fiodor tenait à présent à la main…une baguette blanche ?

     « Toutes nos forces ? Ces pantins n’auraient aucune utilité au combat. Mais, si je puis me permettre, j’ai la grande joie de vous proposer, en avant-première mondiale et en interprétation directe, le tout nouveau concerto pour musique de chambre de Fiodor Luckner, j’ai nommé ‘la fin du Solland !’ »

     Et alors, devant le regard hébété des deux autres vampires, Fiodor se mit à faire de grands gestes dans les airs avec sa baguette, un air d’intense satisfaction sur le visage. Puis soudain un premier son surgit de la droite, puis un autre de la gauche. Des notes de musique, jouées sur des instruments…invisibles ?

Spoiler:

     Ils s’aperçurent bien vite qu’il n’en était rien, car ces sons sortaient par différents orifices discrets répartis un peu partout sur le bateau. Là-dessous, les morts-vivants jouaient, ils jouaient de l’orgue, du métallophone, du violon, de l’alto, du violoncelle, du tambour ou du piano, et profitaient des nombreuses caisses de résonances idéalement placées sur le « Corbeau Centenaire ». Le navire entier était devenu une boîte à musique géante.

     Thrond jeta un œil surpris à son ami dont il ne connaissait pas cette facette. Il avait bien vu des instruments de musique dans le navire, et entendu Fiodor en jouer, mais c’était tout autre chose de voir - et d’entendre - une scène pareille. Le nain esquissa un sourire alors que le grandiose de la symphonie retentissait autour de lui. Ces umgis, il fallait toujours qu’ils en fassent des caisses. Plus bas, Sargath aurait poussé un soupir atterré si ses poumons avaient encore une quelconque utilité. C’en était fini du potentiel élément de surprise, et en plus voilà que leurs troupes en étaient réduites à jouer de la musique, et tout ça pour flatter l’ego de ce Fiodor. Vraiment, quelle décadence était celle de ces nordistes. Heinrich, qui avait fini par remonter lui-aussi, n’était visiblement pas de cet avis, car il se mit à hocher la tête en rythme, appréciant visiblement ce qu’il entendait.

     Mais les pensées de Sargath furent interrompues par un violent applaudissement. À côté de lui, Von Essen, un sourire ravi vissé sur le visage, tapait dans ses mains à tout rompre.

     « Bravo ! Wunderbar ! Splendide, splendide ! Herr Fiodor, vous nous offrez une nuit de toute beauté ! Je n’aurais pas pu espérer meilleure manière d’annoncer notre venue ! »

     Puis, se dirigeant vers l’avant, il adressa un salut au navire elfique désormais tout proche.

     « Entendez-vous cela, les longues oneilles ? Est-ce que vous m’entendez ?! Non ?!! Vous avez de la chance ! Ce soir, les plus illustres vampires de la jungle vous feront l’honneur de vous massacrer !! Mais en plus, vous aurez droit à un requiem ! Profitez-en bien car après, c’est une éternité de servitude à bord du navire !! »

     Devant la barre, Fiodor dirigeait son orchestre invisible à la baguette, semblant comme en transe. Sur le vaisseau elfique, l’effervescence était désormais visible, les hommes courant dans tous les sens, un semblant d’ordre tentant sans doute de se faire à l’approche soudaine et sonore du navire vampirique. Il y eut plusieurs détonations, parfaitement rythmées avec la musique, alors que les canons du « Corbeau » tiraient leur première salve. Mais les artilleurs zombies n’avaient visiblement pas l’habileté de leurs homologues vivants, car un seul des boulets atteignit sa cible, et encore, il se contenta de faire sauter quelques échardes dans le bois du reaver, et la tête d’un des marins. Mais les vampires à bord du bâtiment aux voiles noires n’en avaient cure. Pour eux, l’important, c’était d’approcher.

     Dans les secondes qui suivirent, les elfes noirs du « Rêve d’Atharti » virent en effet s’approcher d’eux un sombre bateau peu peuplé. Divers individus s’activaient mollement à bord, manipulant voiles et cordages. Etrangement, une intense musique s’en échappait, une symphonie qui n’en finissait pas de résonner aux alentours, effaçant tous les autres sons par son intensité. Mais surtout, leurs regards fut attiré par quatre silhouettes qui se dressaient en ligne sur le long du navire. Quatre silhouettes aux armes dégainées. Sur le pont du navire elfique, Phy’lis était éberlué. Et enchanté. Il courut à l’arrière du navire, empoigna les gréement de la voile et y grimpa pour avoir une meilleure vue sur la merveille musicale qui fondait sur lui :

« Quelle musique ! Quel éclat ! Quelle entrée en matière !
Je voudrais qu’à chaque fois ainsi s’annonce le fer !
Cela fait presque un mois qu’aucun son, aucun air
N’a su sonner le glas d’aussi belle manière !
J’étais tant aux abois dans cette jungle si austère,
L’appel que tu m’envoies par sa splendeur éclaire
Cette absence d’apparat, pour moi pire que l’enfer !
Merci pour l’opéra au cœur de ma misère.
Ces do, ces sol, ces la, mon oreille les vénère.
Je m’incline devant toi, musical va-t’en guerre
Et t’offre l’esprit en joie cette volée de vers
Quel dommage que ta voix il me faille la faire taire
Sitôt qu’elle s’offrira à ma furie guerrière…

Marins écoutez ça ! C’est mieux qu’or ou même chaire !
Faites ramer nos forçats jusqu’à la mort des hères
Qu’ils retardent le combat et nous gardent au parterre !
Prolongez l’opéra tant que peut la galère ! »

     Alors que la musique partait en crescendo, les corsaires du « Rêve d’Atharti » attendaient, prêts à l’attaque imminente, les yeux rivés sur le « Corbeau Centenaire ». Mais, contre toute attente, cette attaque ne vint pas. Les silhouettes présentes à bord se contentaient de bouger mécaniquement, sans faire attention à leur présence, et sur les quatre qui avaient paru menaçantes, une seule restait. Une seule ? Elle était imposante, portant une armure et un heaume humain. Plusieurs elfes s’en amusèrent, ravis d’avoir affaire à l’un de ces imbéciles persuadés de pouvoir les affronter ‘à la loyale’, à un contre un. Les trois autres devaient avoir fui. Cette impression fut renforcée quand il dégaina son épée et s’avança lentement vers le bastingage, révélant une armure rouillée et une cape déchirée. Malgré ce piteux état, sa stature était haute et fière.

     « Bien, bande de cancrelats dégénérés, lequel d’entre vous sera le premier à rencontrer ma lame pour que me taille un collier avec ses vertèbres ? »

     La provocation fit sourire plusieurs corsaires, qui ne répondirent que par des ricanements et des injures bien senties. Puis, l’un d’entre eux, en arrière ligne, se frotta les yeux. Une légère brume lui cacha momentanément la vue.

     « Ne vous a-t-on pas appris, à vous autres pirates, de frapper par derrière ? »

     Le corsaire se retourna, et eut un hoquet de surprise. Et de douleur. Une lame s’était soudain plantée dans son torse. Lame tenue par un homme d’une pâleur extrême et aux longs cheveux blancs, arborant un sourire narquois. Von Essen, encore à moitié brumeux, le saisit par la nuque et le projeta sur ses congénères. Ceux-ci n’eurent pas le loisir de réagir. À cet instant précis, deux autres silhouettes surgirent au beau milieu de l’équipage, tombant du ciel avec une aisance et un aplomb surnaturel. Sargath avait le visage de la mort, et Heinrich souriait de la revanche à venir.

     « Pour Lahmia ! » Fut le seul cri de guerre entonné par le disciple d’Abhorash. D’un même geste, il dégaina son épée et trancha le premier corsaire à sa portée. Les elfes noirs réagirent immédiatement, brandissant leurs propres lames, des armes courbes aux multiples pointes, et s’élancèrent au combat contre les trois intrus.

     Autant envoyer des agneaux à l’abattoir. Von Essen, moitié brume, moitié semeur de mort, était insaisissable. Les coups de taille et d’estoc qui le visaient ne fendaient que du vent, et les attaquants n’avaient pas l’occasion de recommencer. Un elfe crut pouvoir le prendre à revers, mais au moment où il perça la chair du seigneur vampire, il se rendit compte que ce dernier n’était déjà plus là, et qu’il enfonçait sa lame dans le corps d’un de ses congénères. Qui avait fait de même avec lui. Leurs derniers regards n’exprimaient que la surprise. De son côté, Sargath était inarrêtable. Virevoltant dans tous les sens, avec une vitesse phénoménale, il enchaînait les attaques précises et fatales, cueillant ici un poignet non protégé, là une gorge trop visible. Plusieurs elfes parvinrent à tromper sa garde en l’attaquant à plusieurs, mais ils tombaient généralement sous les coups d’Heinrich, qui surveillait ses arrières. Les quelques coups qui l’atteignirent ne firent que rebondir sur son armure. Et le rendaient plus enragé encore. « Nefer-na izzar ! » hurla-t-il à l’encontre des elfes qui avaient eu le malheur de le courroucer. « Gloire à la mort ! »

     Sur le « Corbeau Centenaire », Marcel de Parravon se rapprocha de Fiodor, toujours plongé dans la direction de son orchestre.

     « Capitaine, on devrait peut-être leur filer un coup de main ? Et ça me démange de broyer ces buveurs d’eau. »

     Près de lui, Thrond avait son lance-flamme à la main, posé sur son épaule. Sa voix rocailleuse s’ajouta aux demandes du maître d’équipage.

     « Hrmm, pas que je veuille aider les autres zangunaz, mais ces saletés de kolelgi sont hors de portée de mon lance-flamme. C’est intolérable. »

     Le capitaine vampire ouvrit les yeux, presque contrit d’être obligé de se mêler d’une conversation alors que son art se révélait au grand jour. Sans une parole, il jeta un regard sur le pont du reaver. Les elfes étaient nombreux, même si plus d’une douzaine d’entre eux étaient déjà morts. La partie ne semblait pas gagnée d’avance. Les cris de guerre de Sargath, les rires de Von Essen et les ordres hurlés par les officiers elfiques n’arrivaient pas à couvrir sa musique, mais s’y mariaient au contraire très bien. Les lunes éclairaient la scène d’une façon presque irréelle. Malgré tout, Marcel et Thrond avaient raison, il leur fallait se joindre au combat.

     Fiodor rangea sa baguette. Autour de lui, le concert ne cessa pas pour autant. Le vampire agrippa son maître d’équipage d’une main ferme et le nain de l’autre.

« Allons-y, Thrond, monsieur de Parravon. Il est temps de diriger l’orchestre depuis le public. »

     Et d’une impulsion surnaturelle, Fiodor les projeta dans les airs jusque sur le « Rêve d’Atharti », atterrissant sur le crâne d’un corsaire qui s’effondra au sol en un craquement affreux de sa colonne vertébrale. Le revenant bretonnien se mit aussitôt en garde, et bloqua la riposte d’un elfe qui se trouvait non-loin, avant de lui envoyer son bouclier dans le visage. Thrond tituba un peu de cette arrivée si soudaine, peu habitué à voyager par les airs, mais il récupéra rapidement. À la vue de tous les elfes noirs qui l’entouraient, son visage devint aussi grave qu’une rancune, et il déclencha le mécanisme de son arme favorite. « Goûtez-ça, krut’elfi » leur asséna-t-il. Aussitôt, une gerbe de flammes jaillit de l’orifice conique, accueillant en enfer les trois corsaires qui l’avaient pris pour cible. Leurs hurlements de douleur firent reculer les suivants. Fiodor ne regarda pas la suite de ce combat, profitant de l’élément de surprise pour égorger un autre elfe noir. Un troisième lui fonça dessus, suivi par deux de ses congénères. Quelques passes d’armes plus tard, le premier n’avait plus de bras droit, et le second gisait au sol, le torse lacéré. Seul le troisième restait debout, mais il reculait à présent. Une lame émergea soudain de son œil droit, et se retira prestement. L’elfe s’effondra au sol, et Fiodor adressa un signe de tête à Von Essen, qui essuyait à présent sa dague.

     « Vous en avez mis du temps, Herr Fiodor. Votre démonstration musicale vous avait accaparée, alors nous avons pris les devants. »

     Fiodor bloqua l’attaque d’un autre corsaire qui tentait de profiter de leur conversation pour les surprendre. Tout en lui faisant sauter l’épée des mains par une botte, il répondit d’un ton sans émotions.

     « C’est tout naturel de laisser les invités se servir d’abord. Vous n’avez pas à vous excuser. » Il ne précisa pas que Von Essen n’avait pourtant présenté aucune excuse. La situation l’amusait. Alors que son attaquant s’effondrait, le corps transpercé, Fiodor s’aperçut qu’une porte non-loin menait vers l’intérieur du bateau.

     « Herr Von Essen, que diriez-vous d’une petite visite du bâtiment de nos hôtes ? Il serait de mauvais ton de ne pas faire le tour du propriétaire. »

     L’intéressé jeta au sol sa victime suivante, dont il avait arraché la gorge d’un coup de griffe. Son costume était à présent maculé de sang, et l’expression de joie malsaine sur son visage lui aurait donnait l’air terrifiant en une autre compagnie. Les flammes qui surgissaient de l’arme de Thrond l’éclairaient par intermittence, accentuant ce phénomène.

     « Mais bien volontiers. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut faire des visites culturelles chez les druchiis. »

     Un autre corsaire tomba devant Fiodor, qui rangea son pistolet désormais vide.

     « Herr Sargath ! Le capitaine Fiodor et moi allons voir en-dessous. Nous vous laissons gérer le pont ! »

     Le vampire Lahmian ne répondit pas, mais à la surprise d’Heinrich il sourit de toutes ses dents. On le laissait faire preuve de ses talents martiaux. Il n’allait pas les décevoir.

***

     À peine le chroniqueur et le Non-Mort eurent-ils disparu à l’intérieur du vaisseau qu’une explosion de fumée âcre se produisit à quelques pas seulement de Sargath ; il n’eut alors que le temps de lever sa garde ; l’ombre qui surgit du nuage artificiel l’assaillit avec une vélocité à couper le souffle. Le héraut des Mille Lames comprit qu’il avait affaire à ce même style de combat, à cette même nature meurtrière qui naguère lui avait tant coûté ; hélas, il avait eu beau retourner le problème dans tous sens au cours des quelques moments de calme qu’il avait eus depuis, jamais il n’avait trouvé la parade à un tel assaut frontal. Submergé par un nombre incalculable de feintes, le vampire Lahmian fut finalement touché en plein cœur, glaçant dans son esprit une fureur chauffée à blanc. (Phy’lis : tests réussis ! 4T, 3B, 3 PV !!!)

     Heinrich, jamais guère loin de son seigneur, fut alors à son tour l’objet de l’assaut rapproché du comédien. Or, seul, il comprit qu’il ne ferait guère le poids aussitôt qu’il fût renversé à terre avant d’être aveuglé, non pas par de la fumée mais par l’index et le majeur de l’elfe noir qui s’enfoncèrent dans ses globes oculaires sans la moindre hésitation, jetant le sylvanien dans un enfer de douleur et de ténèbres tel que même son long emprisonnement dans un sarcophage pâlissait à côté. Le vampire ne savait pas encore que sa régénération surnaturelle le guérirait à l’issue de quelques heures.

     Le fautif, cependant, continuait sur sa lancée : la facilité avec laquelle les ultimes membres de son équipages avaient été massacrés lui restait en travers de la gorge, la seule poésie qui habitait son être était désormais la poésie du meurtre. L’ombre avait pris l’ascendant sur le comédien. Cependant, lorsqu’il dévisagea le reste des assaillants qui lui faisaient face, à savoir un revenant presque seul mais lourdement équipé, et un nain aux allures de démon infernal, il décida de déléguer cette pénible corvée à ses derniers acolytes :

« Si quelqu’un est encore en état de se battre,
Démembrez ce nabot, massacrez ce pantin !
Quant à moi, druchii, je me charge d’abattre
Quelques horripilants passagers clandestins ! »

     Ce quatrain confirma aux derniers corsaires survivants qu’ils avaient bien affaire à la même personne qui leur paraissait si souvent pathétique ; le contraste entre le tueur et l’artiste n’avait de cesse de leur couper le souffle, même maintenant, lorsqu’ils tenaient à peine debout. Phy’lis n’attendit pas de voir leurs réactions et s’engouffra à l’intérieur du Rêve d’Atharti, à la recherche des deux autres vampires, une prière à Khaïne sur les lèvres. Derrière lui, la voix de Thrond, qui l’avait reconnu, le tançait vainement. « Approche, varrkhulg, que j’t’envoie voir tes ancêtres une bonne fois pour toutes ! » Mais Phy’lis l’avait aussi reconnu, et n’avait aucune envie de se frotter à nouveau à cet affreux nabot.

     À bord du Corbeau Centenaire, Monsieur Flouz vit le nain et le maître d’équipage se faire encercler à trois contre un. Sans un mot, le pirate dégaina son arme et fonça leur prêter main-forte...

***

     Dans la cabine de Kielmir, Sarquindi et le médecin entendirent soudain une musique étrange. Un cri retentit au-dessus d’eux. En quelques instants le navire elfe noire s’agita tout autour de la cabine. Des bruits de pas indiquaient la course de dizaines de corsaires sur le pont, dans les couloirs, dans les escaliers. Les coups de fouets claquèrent sous leurs pieds et les gémissements des rameurs montèrent, comme le bruit d’une machinerie malsaine.

     « Le navire bouge, constata Kielmir.

     - Je dois aller voir ! »

     Sarquindi tenta de se lever, mais le vieil elfe l’arrêta.

     « Attendez quelques instants. J’ai presque terminé, mais si vous partez maintenant ça sera comme si je n’avais rien fait.

     - Alors hâtez-vous ! pesta le capitaine. Je veux savoir ce qu’il se passe sur mon navire ! »

     Quelque chose tomba sur le pont, juste au-dessus de leur tête. Des bruits de bataille se firent entendre. Des cris de douleur, le fracas des armes. D’autres chocs contre le pont.

     « On se bat sur mon navire ! Kielmir, par Khaine, Hekarthi et même Hoeth si il le faut, soigne moi plus vite !

     - Je fais de mon mieux, s’agaça le médecin. Laissez-moi finir de recoudre cette entaille, sinon je ne garantis pas que vous parviendrez seulement à atteindre le combat.

     Comme pour confirmer les dires du médecin, Sarquindi, en s’agitant, se piqua sur l’aiguille de Kielmir. Sa main se crispa sur le manche de son épée. Il plongea son regard plein de colère dans celui du vieil elfe.

     - Soit ! Cinq minutes ! Tu as cinq minutes ! »

     Kielmir essuya la goutte de sueur qui perlait sur sa tempe et hocha de la tête. Il détourna les yeux vers la dernière blessure de son chef. Sa main, tremblante, accelera néanmoins. Sarquindi battait la mesure des secondes de son épée sur le plancher. Les cinq minutes passèrent, la bataille ne baissait pas en intensité.

     « C’est fini ! s’exclama Kielmir en reculant d’un pas.

     - Enfin ! »

     Sarquindi se mit sur pied d’un coup. Il contempla son torse et son ventre, tous deux zébrés de traits rouges autour desquels tournaient les fils des points de suture. Tout son corps, les loques de ses vêtements, les draps de la couchette et les bras du médecin étaient rouge sombre. Kielmir tendit une bouteille rouge au capitaine, que celui-ci prit et regarda avec un regard circonspect.

     « Vous avez perdu beaucoup trop de sang, vous devez boire ceci. C’est… »

     Un bruit dans le couloir interrompit le médecin. Un éclat de voix. Des…vers ?

« Où donc te caches-tu, petite chauve-souris ?
Je t’ai vu te glisser au fond de ce navire
Est-ce mon arrivée qui t’a mis en détresse ?
Es-tu à cet étage ? Te terres-tu par ici ?
J’aurai à te tuer le plus grand des plaisirs
Si jamais je te trouve en ouvrant…

     La porte de la cabine fut éventrée d’un violent coup de pied

                             - …cette pièce ? »

     Sarquindi, Phy’lis et Kielmir se regardèrent tous les trois, stupéfiés. Dans un silence de plomb, le comédien entra lentement, pas à pas. Il se tourna vers le médecin et lui ordonna de quitter la pièce d’un mouvement de tête. Kielmir ne se fit pas prier et s’échappa vers le couloir. Phy’lis ferma la porte.

     « Je pense que pour le bien de notre entrevue, il est mieux que ne nous soyons pas dérangés.

     - Je me vois mal faire durer la discussion très longtemps, répondit Sarquindi les dents serrées

     - Je dois dire que je ne pensais pas vous trouver ici. Je cherchais d’autres oiseaux qui se sont perdus.

     - J’en un devant moi, tout emplumé, et qui n’aurais jamais dû poser le pied sur Mon navire

     - Très amusant, très amusant. Je vois que votre organe de l’humour, s’il existe, n’a pas été endommagé par ces derniers jours. C’est étonnant quand on voit à quel point vous avez été charcuté, se moqua Phy’lis en pointant le corps du corsaire d’une de ses dagues.

     - Je compte bien mettre encore cet organe et les autres à risque aujourd’hui. Vous avez montré autant d’incompétence pour garder mon navire que vous n’en avez montré pour garder le vôtre, et encore une fois c’est à moi de recoller les morceaux.

     - Vous aussi vous avez remarqué ces invités ? Nous pourrions reporter à plus tard le règlement de nos affaires le temps de nous occuper d’eux. Ensuite nous aurions toute la liberté d’échanger nos opinions sur le dilemme qui nous oppose, nous entoure et nous fait flotter sur ce fleuve. Dilemme nommée « Rêve d’Atharti »

     - Non. Seul le capitaine du Rêve quittera cette pièce en vie.

     - Je vois que nous partageons le même regard sur la situation. Auriez-vous accepté mon offre que je vous aurais poignardé en passant la porte de la cabine, avoua Phy’lis en haussant les épaules.

     Accompagnant ses mots, le comédien pointa son poignard entre les yeux de son concurrent. Sarquindi fit claquer sa langue plusieurs fois. Cet échange s’éternisait. Le corsaire se mit en garde et fit un pas vers son interlocuteur.

     - Je vais avoir du ménage à faire…  Tellement de vermine sur mon navire ! Des mutins, un abordage, et par-dessus le marché, un beau parleur qui a misérablement échoué à voler le Rêve d’Atharti derrière mon dos. Phy’lis le décevant, aimez-vous ce nom ?

     Alors que Phy’lis allait prendre la parole pour rétorquer, Sarquindi plongea visant la gorge. Le comédien fut surpris par tant de reflexes de la part du blessé et ce n’est que de justesse qu’il parvint à se jeter au sol. Il évita la lame du corsaire qui vint se planter dans la porte. Phy’lis, à terre, jeta son dernier fumigène. La pièce se remplit aussitôt d’une fumée violette épaisse, et du rire fou du comédien. Le corsaire jura. Il se mit dos au mur et attendit l’attaque.

     Sarquindi entendit le bois du plancher craquer sur sa gauche (Sarquindi test réussi). Il abattit son épée dans la direction du bruit, fendant la brume mauve. Il vit une ombre esquiver le coup en roulant, et la lame ne rencontra qu’une des commodes de Kielmir qui vola en éclat (Sarquindi 1T 1B 1invu). Le corsaire n’avait cependant pas perdu l’ombre des yeux. Il vit l’éclat du fer briller et plongea en avant pour éviter le couteau qui traversa la fumée. L’arme, tranchante, fit voler quelques cheveux (Phy’lis 2T, 1T annulée, 0B).

     Le corsaire se releva en s’appuyant sur la couchette. Une douleur lui déchira le flan, il retomba au sol, un de ses points de suture venait de lâcher, et les autres menaçaient d’en faire autant (Sarquindi perd 1Pv). Sa main trembla.

     « Ces petites choses ne vous tueront pas, Sarquindi. Je vous aurai égorgé bien avant avec tout le plaisir imaginable »

     L’elfe habillé de plumes apparut au milieu des vapes. Il tenait son poignard devant lui, une main sur le manche, l’autre sur le pommeau. Il se jeta sur son adversaire. Réunissant ses forces, Sarquindi leva son épée. Phy’lis parvint à planter son arme dans le cou du corsaire, celui-ci ne sauvant sa jugulaire que d’un cheveu. Emporté par son élan, le comédien s’était cependant empalé sous les côtes sur la lame de Sarquindi (Sarquindi test réussi, 4T 4B 4Pv !!!!; Phy’lis 2T 2B 2Pv !! les deux repartent à 1Pv) Le comédien empoigna l’épée à pleines mains et la maintint en place pendant qu’il glissait le long de celle-ci. Il retira la lame et tomba en arrière. Les deux elfes s’appuyèrent sur les meubles autour d’eux pour se redresser. Phy’lis ressentit un goût de sang en bouche. Ses vêtements étaient définitivement ruinés, ses plumes tombaient au sol.

     Petit à petit, la fumée retomba. Dès qu’il se sentit suffisamment relevé, Sarquindi attaqua Phy’lis avec un cri. Le comédien, trop occupé à chercher un autre fumigène sur lui, reçut le coup dans l’épaule (Sarquindi, test réussi, 3T,3B, 3pv !). La lame lui arracha un cri, cri de douleur qui se mua en cri de rage et il plongea son poignard dans le bas-ventre de Sarquindi (Phy’lis 2T, 1B, 1pv !). Il fit tourner sa lame lentement dans la plaie, souriant de voir son adversaire grimacer. Le corsaire repoussa le comédien d’un coup de poing dans le plexus et tituba jusqu’au mur opposé. Phy’lis posa la main sur son épaule et tomba à genoux (les deux repartent à 1pv). Il déclara :

     « Vous savez, Sarquindi, je n’ai jamais apprécié notre relation. Votre mépris voilé, votre radicalité barbare, votre manque de pourpre, votre absence de superflu. J’ignore encore pourquoi je n’ai pas pris votre navire plus tôt.

     - Vous aviez trop peur de moi… souffla Sarquindi avec un rictus.

     - J’ai envisagé cette possibilité. Sottise. J’ai eu peur, autrefois à Karond Kar, quand dans la rue des assassins vengeurs me suivaient l’arbalète à la main pour une phrase criée sur la mauvaise place, à propos de la mauvaise personne. Mais aujourd’hui, je n’ai peur de personne, et surtout pas d’une raclure des mers à moitié mourante qu’une chance insolente a gardé en vie jusqu’à aujourd’hui.

     Le corsaire jeta un regard à son corps sanguinolent. Il rit à voix basse :

     - Assez de chance pour rester en vie, trop peu pour rester intact.

     - Ce qu’il ne faut cependant pas oublier avec la chance, Messire Sarquindi, c’est qu’elle est comme le vent des mers. Elle finit toujours par tourner, souvent au pire moment. Et je serai pour vous la girouette qui dit quand le vent tourne.

     Les deux combattants se remirent en garde. Ils restèrent ainsi figés plusieurs secondes, à l’affût de la moindre faille. Au-dessus d’eux, le tumulte des combats s’était calmé. Soudain, Phy’lis aperçu une brèche dans la garde de son adversaire. Il projeta tout son corps en avant, visant le cœur. Sarquindi ramena sa main et para le poignard avec la garde de son épée (Phy’lis 2T, 2B, 2Svg!). Ses yeux cruels croisèrent le regard surpris du comédien. Le corsaire déploya son bras d’un coup, sabrant son adversaire de la hanche au front. Phy’lis tomba à terre et le plancher se couvrit rapidement de sang (Sarquindi, test réussi, 2T, 2B, 2pv!!).

     Sarquindi s’accroupit au-dessus du corps du comédien et lâcha, comme une épitaphe :

     « Ce fut une bien belle représentation. »

     Les jambes du corsaire le lâchèrent. Il tomba et se rattrapa de justesse sur un meuble. Il se rappela de la fiole que lui avait passée Kielmir avant de s’enfuir. Sarquindi chercha la potion sur le sol. Il la trouva rapidement, elle avait roulé contre le mur. Il la déboucha. La fiole dégageait une forte odeur de sang, et d’herbe coupée. Le corsaire la but et sentit un petit peu de ses forces lui revenir lentement. Soudain, il remarqua que le corps de Phy’lis bougeait. Le comédien blessé tendit le bras et se traîna en direction de la porte. Sarquindi lui jeta un regard désolé

     « Tiens ! Un revenant… Je n’ai même pas réussi à vous tuer. Devrais-je terminer le travail ?

     Phy’lis tourna la tête vers le corsaire. Son visage était traversé par une entaille et son visage était couvert de sang. Il répondit dans un souffle :

     - Que je meure sur ce navire ou que je ne meurs pas… Tout cela ne change rien, je serai quand même un jour debout devant vous… Ceux qui m’ont pris le Rêve y veilleront.

     - Le Rêve n’est pas perdu. Il est à moi.

     - Entendez-vous un cri de victoire de vos marins ? Ou bien comme moi seulement le chuchotement malsain de la Mort… »

     Sarquindi se tut. Effectivement, il n’entendait rien. Quelques bruits de pas, des éclats de voix dans une langue étrangère.

     « Qui est sur le navire ?

     Phy’lis ne répondit pas. Toujours rampant, il pointa la porte :

     - Ouvrez moi…

     - NON ! répondit brutalement Sarquindi. Dites-moi qui. Qui vous a pris le Rêve d’Atharti ?

     - Ouvrez-moi… et je vous le dirai…

     - Idiot ! Tu n’as rien à demander! Je vais t’achever sur le champ et j’irai ensuite chasser ces impudents quels qu’ils soient !

     - Dans votre état ? se moqua Phy’lis.»

     Le corsaire dût admettre que le comédien avait raison. Il n’était pas en état de se lancer dans un nouvel affrontement. Pas sans y laisser la vie. Sarquindi sentit la colère monter en lui, ainsi que la frustration. Il ne pouvait pas récupérer le Rêve d’Atharti avec autant de blessures. Il ressassa pendant quelques instants toutes les expéditions qu’il avait vécu sur le reaver, tous les pillages, tous les butins que le bâtiment avait transportés, tous les équipages, toute sa vie finalement. Tout cela perdu à cause d’un seul traitre...

     « Phy’lis, je vais vous tuer pour tout ce que vous m’avez fait perdre. Je…

     - Des vampires, le coupa l’elfe au sol. Ce sont des vampires qui sont sur le Rêve. Tuez-moi, et ils le sentiront, maintenant que plus rien ne les occupe. Et ils viendront ici. Et vous mourrez aussi. »

     Le comédien blessé se retourna sur le côté et nargua d’un sourire le corsaire. Ses dents étaient rouges. De sa bouche sabrée coulait du sang. Sarquindi détourna le regard. Le souvenir de la morsure que lui avait infligée le non-mort de l’autre jour lui revint en mémoire. Délicieux souvenir, dangereux souvenir.

     « Vous devriez partir, Sarquindi. Ils vont entendre votre cœur battre, et venir ici vous l’arracher. Non pas que je ne le souhaite pas, mais alors je risque d’y passer aussi, ce qui me dérange bien plus.»

     Le corsaire se releva. Il ne savait pas quelle était la part de vérité dans ce que disait Phy’lis, mais il tenait trop à la vie pour la risquer. Il décocha un coup de pied dans le ventre de son adversaire qui se plia en deux et gémit au sol. Sarquindi ouvrit la porte et sortit. Avant de partir, il lança à Phy’lis :

     « Essayez de vous en sortir. Je vous dois une mort. »

     Puis il s’élança dans le couloir. Le bruit des pas de Sarquindi se turent quand il rentra dans le passage secret. Alors, Phy’lis se remit à ramper vers le couloir, laissant une traînée vermeille sur le plancher.


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Essen

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Mer 5 Mai 2021 - 9:56
     Von Essen fit brusquement irruption dans la cabine relativement spacieuse, bien que momentanément encombrée de ce qui devaient être pêle-mêle des instruments de torture et des plaques d’or massif de tailles et d’épaisseurs différentes. Ce qui expliquait cependant l’empressement du vampire à pénétrer à cet endroit précis du reaver était autre chose, il l’aperçut aussitôt à l’autre bout de la cabine. C’était une cage contenant un prisonnier, non, une prisonnière, dont l’odeur de sang récemment versé avait signalé sa présence au chroniqueur comme si la prisonnière avait appelé à l’aide. Quelques instants plus tard, Fiodor le Non-Mort rentra à sa suite, à la fois agacé et intrigué. La vue de l’or entassé à droite comme à gauche lui soutira toutefois un rictus approbateur. Von Essen ne l’attendit guère davantage : il se rapprocha en quelques enjambées de la cage étroite et se pencha pour examiner la personne recroquevillée à l’intérieur : c’était une elfe, une prisonnière asure, dont un signe distinctif était son front ensanglanté, comme si elle s’était récemment affairée à le fracasser cruellement contre les barreaux de sa prison. Du sang s’était également coagulé par endroits à ses longs cheveux argentés, étrangement coupés par endroits. Elle semblait soit endormie, soit inconsciente.

     Fiodor se rapprocha puis, soudainement fronçant les sourcils, se pencha à son tour : ce visage lui était familier. Trop familier, même. Familier au point de faire craquer ses phalanges lorsqu’il serra le poing en se remémorant la douleur que cette furie lui avait fait subir naguère. Von Essen, qui n’avait guère remarqué cette détérioration d’humeur du Non-Mort, huma une nouvelle fois le bouquet du sang de l’elfe et se releva, satisfait.

     « Emballé, c’est pesé, mein Freund ! Vous prenez l’or, je prends la prisonnière ! Pas d’objections, je suppose ?
     -          Vous importunerait-il que je fasse fondre quelques lingots et lui verse une généreuse rasade de ce précieux métal dans la glotte ?
     Von Essen fit une moue de surprise et de dépit : il ne s’attendait nullement à des complications aussi soudaines et se permit un ultime espoir qu’il s’agissait d’une plaisanterie.
     -          Je n’ai jamais essayé de mélanger sang et or ! Permettez que j’essaie plutôt à mon retour au pays, là je préférerais m’abstenir aux usages bien connus.
     -          Cette elfe a failli avoir ma peau. Je tiens à l’écorcher pour faire bonne mesure… Herr von Essen ! Je suis navré de contrevenir ainsi à notre accord mais il n’existe pas de torture sur terre comme sur mer que je ne souhaiterais pas infliger à cette elfe. Mes espoirs ont déjà été déçus une fois lorsque nous avons récupéré le Corbeau Centenaire et je ne tiens pas à laisser la vengeance m’échapper une seconde fois. »

     Le chroniqueur eut toutes les envies du monde d’invoquer les flammes noires de la dhar pour clouer le bec à ce pirate capricieux. Entre l’or et la vengeance, il pourrait bien mettre une croix sur l’un des deux, non ? Il ne voulait cependant surtout pas entrer dans un conflit direct avec un allié. Le souvenir de Haakonson et de Gust le Cruel étaient encore trop vifs dans son esprit tourmenté. Il leva donc les yeux au ciel et fit comprendre au Non-Mort qu’il s’en retrouvait extrêmement contrit (ce qui était vrai) mais qu’il n’allait pas s’opposer à l’accomplissement de sa vengeance sur la prisonnière.

     Tout en assurant le chroniqueur qu’il se souviendrait de ce geste de bonne foi, Fiodor s’empara alors de la cage pour la transporter hors de la cabine et vers l’extérieur. Ce fut ce mouvement qui éveilla la prisonnière qui, aussitôt, n’en crut presque pas ses yeux en voyant à la place de ses geôliers de naguère deux individus aux faciès patibulaires. Lorsqu’en plus elle se souvint dans quelles circonstances elle eut croisé chacun des deux, la princesse lut alors son verdict dans les remarques malveillantes des deux vampires et sut qu’elle n’en avait probablement guère plus pour longtemps. Dès lors, elle décida au moins de consacrer ses derniers instants à répondre du tac au tac à ses deux bourreaux maudits :
     « … j’ai déjà essayé sur des skinks, je me demande à présent ce que ça donnerait sur des elfes !
     -          Vous étiez fou avant ou l’êtes-vous devenu après que j’aie confié votre corps aux flammes ?
     -          Herr von Essen, aidez-moi à trouver d’autres idées de torture, j’en ai trop et n’arrive point à fixer mon attention sur une seule !
     -          Vous ne pouvez guère faire mieux que maintenant, vous écouter est véritablement le pire sort que je puisse m’imaginer !
     Quelques moments plus tôt, il avait semblé à Von Essen d’avoir entendu du bruit dans un autre recoin du vaisseau, cependant la joute verbale entre la prisonnière et le capitaine était bien trop entrainante pour ne pas oublier tout le reste :
     -          Vous mériteriez que je vous coupe les oreilles, tiens, vipère ! J’ai entendu dire qu’on ne peut plus jamais marcher droit après ça !
     -          Je marcherais toujours plus droit qu’une torche humaine qui tombe lamentablement par-dessus-bord ! »
     Ils franchirent ainsi le court espace qui les séparait du pont et constatèrent qu’à la lumière rougeoyante du crépuscule, le sang versé des elfes noirs se confondait avec la couleur des planches illuminées. L’instant d’après, les deux vampires furent forcés de constater que quelques éléments du tableau n’allaient pas du tout.

     Le Non-Mort laissa tomber la cage sans ménagement et fonça droit vers son navire en hélant les restes de son équipage ; Von Essen franchit l’espace qui le séparant d’un Heinrich prostré au milieu des cadavres druchii (faisait-il le mort ?) et entonna un chant interdit pour concentrer la dhar environnante vers le sylvanien mal en point. Au bout de quelques pénibles instants, ce dernier retrouva l’usage de la vue, comprit à qui il devait cette guérison miraculeuse et se répandit en remerciements que le chroniqueur accepta distraitement : il venait de s’occuper de celui-là, alors où était l’autre ? Ils n’eurent cependant guère à chercher longtemps le héraut des Mille Lames, étalé seulement à quelques pas de son serviteur. Von Essen retira la dague qui le paralysait, s’esquivant aussitôt sur le côté lorsque le vampire Lahmian bondit tel un animal sauvage affamé, prêt à tordre le cou à n’importe quelle créature qui se trouvait à proximité de sa poigne redoutable. Ce fut ainsi qu’alors que Fiodor se concertait avec Monsieur Flouz au sujet des blessures que ce dernier était en train de soigner tant bien que mal (les infections en pleine jungle étaient doublement redoutables), Sargath manqua de faire subir son courroux à son subordonné et n’y renonça que lorsque Von Essen lui apprit l’existence d’esclaves bien vivants (bien qu’à moitié morts d’épuisement) qui se trouvaient vraisemblablement enchaînés à l’étage intermédiaire du reaver. Ah, sans doute avaient-ils espéré qu’une défaite druchii serait pour eux une chance…

     La lumière décroissait rapidement, laissant place à un clair-obscur de velours propre aux latitudes et aux cieux dégagés lustriens. Là où il n’y avait eu qu’un bleu pastel tirant de plus en plus vers le rose, l’orange et le rouge-vif, la disparition définitive de l’astre du jour laissa place à l’infinie multitude des étoiles. Le chroniqueur respira plus librement. Après tout, évoluer durant le jour était une marche constante au bord d’un précipice, dont il avait su au gré des années garder ses distances par mille astuces, cependant c’était la nuit qui avait véritablement une sorte d’attention presque maternelle envers son engeance impie. Au bruissement de la végétation au loin se rajoutèrent les cris et les râles d’agonie que provoquait Sargath parmi les rangs des esclaves galériens ; sans doute avait-il l’intention d’en faire usage à titre de pantins de chair et d’os, bien moins pénibles à gérer que les loques que les elfes noirs avaient miraculeusement maintenu en vie durant toute cette traversée. En parlant d’elfes noirs, Von Essen n’avait point eu l’indélicatesse de demander par quel malheureux hasard le sieur Sargath et son sous-fifre s’étaient retrouvés défaits, cependant la question persistait. Un coup en traître d’un quidam désormais au fond du fleuve ? Un coup de maître d’un corsaire qui se dissimulait encore quelque part à proximité ?

     Le retour du Non-Mort à bord du reaver interrompit le cours des pensées du chroniqueur. Il se souvint soudain de la prisonnière en cage, considéra une fois de plus le conflit ouvert avec le capitaine du Corbeau Centenaire, y renonça. Son propre caprice valait autant que celui de son allié mais guère plus. Enfin, à défaut d’avoir son propre loisir avec cette charmante elfe, il verrait au moins le sort peu enviable que semblait lui réserver le pirate. N’étaient-ils pas répandus comme les tortionnaires les plus inventifs ? Il pensait avoir entendu cela quelque part…

     Fiodor, cependant, revenait véritablement de loin : pendant l’espace d’un instant, il avait cru qu’un revers de la fortune l’avait définitivement privé de ses deux derniers membres d’équipage et il avait été sincèrement soulagé en les retrouvant mal en point, mais victorieux : Thrond Ventre-de-Fer et Marcel de Parravon avaient fait la majorité du sale boulot, Monsieur Flouz s’acquittant seulement de la besogne relativement ardue de rester en vie face à un assaut de corsaires parmi les plus vicieux. Le nain, lui, s’en était mieux tiré, mais avait dû finir le travail au corps-à-corps, marteau aux mains. Le Non-Mort eut alors personnellement veillé à ce que quelques pansements sommaires fussent appliqués sur les blessures de son second. Le sang, après tout, était une denrée précieuse.

     La vue de la prisonnière en cage, de cette donzelle aux longues oreilles qui était désormais à sa merci lui redonna du poil de la bête ; Fiodor sourit de toutes ses dents, savourant pleinement le regard mauvais dont le gratifiait l’asure. Il eut une idée.

     « Gente dame, vous avez de la chance, je me sens soudain magnanime, annonça-t-il. Eh, quoi, pour de vrai, femelle de peu de foi ! ajouta-t-il en voyant la mine méprisante de la prisonnière.
     -          S’il y a ne serait-ce qu’une once de vérité dans ce que vous dites, je saurai vous en être gré. Mais je n’en crois pas un seul mot, articula péniblement l’asure.
     -          Parbleu, puisque je vous dis que je vais vous relâcher et m’en aller sans rien vous demander d’autre ! »

     Le Non-Mort finit par réaliser que l’elfe ne le croirait que s’il joignait le geste à la parole. Bah ! Il pensait encore faire durer la comédie mais, finalement, il la prendrait au mot, cette femelle arrogante ! Lui-même ne voulait guère s’attarder davantage sur ce fleuve de malheur, aussi la libération de sa prisonnière allait être… expéditive.

     Thrond s’approcha de lui, le marteau sur l’épaule.
     « Qui c’est elle ? » Grogna-t-il en la désignant du manche. « On fait des prisonniers maintenant ? »

     Fiodor répondit d’un ton où transparaissait une joie malsaine.

     « Pas du tout, je lui dois un bain forcé, alors je m’en vais lui rendre la pareille. » Le vampire eut un silence, puis reprit soudain : « mais, tu la connais Thrond. Quand nous l’avons rencontrée, tu as arrosé son bateau de flammes. »

     À ces mots, le nain et la princesse se dévisagèrent, passant de l’incrédulité au mépris, puis à la haine. Un flot d’insultes jaillit de part et d’autre, qui auraient fait s’évanouir n’importe quel habitué de la cour d’Yvresse. Mais Fiodor n’écoutait pas.

     « Maître d’équipage ?
     -          Capitaine ?
     -          J’aurai besoin de votre assistance. Prenez la cage de notre invitée par l’autre bout. »

     L’intéressée tourna un regard paniqué vers lui alors que le revenant obéissait.

     « Qu’allez-vous faire ? Qu’allez-vous faire ?!
     -          À vos ordres, capitaine.
     -          Puisque vous semblez si peu disposée à me croire sur parole, mécréante, je m’en vais (avec l’aide du sire Marcel) vous prouver que vous avez eu tort de douter de moi. Nous allons vous relâcher séance tenante, et bonne chance pour la suite ! »

     Sargath était remonté sur le pont du reaver après une débauche de sang dans la plus pure tradition de Lahmia. Il profitait à la fois du spectacle auquel s’adonnait son allié et de l’absence de ce bon à rien d’Heinrich dans son champ de vision. Il comprit que le pirate allait « relâcher » sa prisonnière droit dans le fleuve, où elle aurait toute la liberté de mourir noyée dans sa cage et servir de nourriture aux poissons. Un règlement de comptes somme toute assez bref, dont les cris de la victime avant qu’elle soit envoyée vers son macabre destin constituaient tout le sel de la vengeance. Ils avaient d’ailleurs échangé des regards entendus à ce sujet avec « l’autre allié », ce « chroniqueur » avec lequel ils régleraient sans doute leurs comptes beaucoup plus tard. Pour l’heure, tous deux observaient la scène qui allait s’achever sous leur yeux avec un intérêt malsain. De son côté, Thrond Ventre-de-Fer observait lui aussi la scène sans ajouter un mot. Une mise à mort, ce n’était jamais beau à voir, mais il n’allait pas pleurer pour une varrkhulg krut’elgi, pas quand celle-ci avait ordonné sa mort. Au moment fatidique, cependant, un voile d’ombre s’enroula autour de « l’autre allié » tel un cocon ; le chroniqueur quitta brusquement l’endroit où il se tenait.

     Fiodor, transporté de joie cruelle à peine ses doigts eurent lâché la cage et son occupante, lui décocha un « Bonne chance ! » totalement superficiel et donc d’autant plus indispensable. La cage s’envola pendant quelques infimes instants, puis le pirate sentit un courant d’air glacé survoler sa tête ; une forme large et bien plus noire que la nuit se retrouva alors sur la trajectoire de la cage et sembla l’agripper puis s’éloigner avec. La massive forme parut déployer alors de grandes ailes tout aussi noires qu’elle-même et les remua avec force, s’éloignant de plus en plus avec la prisonnière qui n’avait de cesse de hurler de panique mais qui semblait désormais arrachée au trépas qui lui avait été destiné. Fiodor n’en crut pas ses yeux, cela ressemblait beaucoup à un mauvais rêve duquel il allait se réveiller, mais la persistance des cris de l’asure, qui allaient decrescendo au fur et à mesure qu’elle s’éloignait, et les bruits environnants de la jungle, soudainement devenus très nets, confirmaient qu’il s’agissait bien de la réalité. La cruelle réalité. Que diable était-ce ?! Quel démon malfaisant s’était ainsi interposé entre lui et sa vengeance pour la seconde fois ?! Une bête locale ?!  

* * *

     Alors que les morts-vivants de Sargath ligotaient fermement les derniers esclaves vivants du rêve d’Atharti, Sargath et son fidèle serviteur von Carstein montaient à bord du navire et, à ce moment-là, Sargath songea en descendant dans la cale remplie de plaques d’or que leur éclat était pareil à celui des dunes de Nehekara, mais avant de se laisser sombrer dans la nostalgie il remonta sur le pont en direction de la cabine. Il commença par y déposer les artéfacts et livres précieux dérobés dans les ruines de sa cité puis fouilla l’endroit de fond en comble pour y trouver des cartes afin de planifier sereinement le voyage du retour. Il bouillait intérieurement de rage contre les deux autres vampires, il avait bien vu comme Fiodor le regardait de haut ! Et il méprisait à présent le chroniqueur, ce lâche se cache derrière des artifices et de la fumée ! Il est presque tombé aussi bas que le pitoyable comédien elfe noir qui lui avait infligé une défaite. Mais, par Ptra, il quittera bientôt le seul méprisable individu qui n’est pas déjà envolé pour revenir à son pays natal. Bientôt, la gloire de Lahmia sera restaurée et il en sera l’instigateur ! Bientôt sa reine pourra se proclamer officiellement reine des vampires et marcher sur les faibles prêtres rois ayant détruit sa cité ! Sa frustration fit vite place à de la jubilation et il donna un ordre mental aux zombies afin qu’ils se hâtent autant qu’il lui tardait de mettre ses plans à exécution.



***
***
***



     Kielmir, dès qu’il sentit enfin le fond du fleuve sous ses pieds, fit quelques derniers pas en avant et tomba à genoux sur l’humus de la rive de l’Amaxon. La jungle devant lui était mur sombre qui recouvrait la moitié du ciel endormi. Il fut alors brutalement bousculé ; le fautif perdit son équilibre, trébucha aussitôt et s’étala de tout son long, se tortillant encore de manière chaotique et respirant comme s’il étouffait. Pourquoi avait-il accepté d’emmener cet autre mourant, déjà ? Ah oui, parce que c’était le seul druchii qui restait sous le coude, et le médecin avait besoin de distraire ses pensées de sa situation déjà peu enviable. Que ce pseudo-comédien fût parvenu à nager avec de telles blessures jusqu’à la rive tenait déjà du miracle : maintenant, il fallait qu’il ne meure pas dans la nuit. Son sang ne risquait-il pas d’ailleurs d’attirer les prédateurs plus facilement ? Bah, ils n’étaient pas à ça près.

     Lorsque Phy’lis entrouvrit ses paupières, il fut aveuglé par la lumière d’un minuscule feu allumé devant… son sauveur ? C’était encore trop tôt pour le dire, la mort sembla à l’elfe bien plus proche que toute autre forme d’avenir, à cet instant précis. Tiens, les flammes devenaient rouges, non, la fumée devenait rouge ? Non… C’était sans doute le sang qui lui voilait sa vision, le sang…

     Il était dans le noir complet mais sentait son corps balloté dans tous les sens, comme s’il était allongé sur une monture lancée au galop, comme un sac…

* * *

     « Se réveille-t-il ?
     - Il ne devrait pas.
     - Hein ? Il faut donc le tuer ?
     - Non, magnifique seigneur, je veux dire qu’il devrait se reposer.
     - Oh. Eh bien… »


* * *

     Phy’lis fut brutalement arraché à son sommeil par un vacarme qui lui sembla infernal : c’était strident, c’était abrutissant, c’était douloureux. Il perdit de nouveau connaissance.

     Quand il comprit qu’il se réveillait, qu’il sortait de ce long et obscur tunnel où il avait cru entendre les murmures des démons lui promettre mille délices et mille souffrances pour l’éternité, le comédien se força à s’extirper d’une torpeur qui étreignait ses membres et alourdissant son esprit. Il ressentait désormais chaque fibre de son corps s’étirer à chaque inspiration, il ressentait également le bout de ses doigts et le creux de ses paumes, comme s’ils le suppliaient de s’équiper de quelque objet coupant qui lui permettrait de se défendre, de ne pas se laisser mourir de nouveau. Se laisser mourir. Sarquindi ! Le Rêve d’Atharti ! Les vampires !!
     Retrouvant subitement son sang-froid, le comédien tendit l’oreille : le bruit de la jungle environnante était le même que celui dont il se souvenait mais il n’y avait rien d’autre. Quant à sa vision, il peinait en réalité à croire ce qu’il apercevait : un plafond en toile. Une tente, il était dans une tente de taille qui devait être respectable. Il n’y avait jamais eu de tentes aussi grandes à bord du Rêve…
     Phy’lis tourna prudemment la tête pour en savoir plus : il faisait jour, c’était désormais une certitude, il voyait de fugaces rayons à travers les fentes de l’ouverture… Ce n’était pas n’importe quelle toile, où avait-il déjà vu un tissu semblable ? Et puis… quelle était cette incommensurable opulence, digne des plus riches druchii, qu’il voyait dans le moindre objet qui parsemait l’intérieur de son sanctuaire ? Or, argent, ivoire… Le tissu de la tente, c’était de la soie de Cathay ! Était-ce là l’enfer ou le paradis que les démons lui avaient promis ?! Tiens, sur une couche avoisinante (d’ailleurs, lui-même était allongé sur une couche, et on avait pansé ses blessures, et on avait ôté son haut, et…) sur l’autre couche avoisinante, n’était-ce pas ce médecin de bord qui dormait à poings fermés ? Il n’allait tout de même pas partager l’au-delà avec ce sinistre individu !
     Toujours était-il que, pour un « au-delà », c’était bien trop beau pour être vrai. C’était même ressemblant à ce qu’il aurait acheté s’il était parvenu à abattre Sarquindi… Enfin, c’était sans compter sur toutes les monstruosités qui avaient massacré l’intégralité de l’équipage. Enfin, quelle était donc cette diablerie ?! Devait-il réveiller le médecin pour comprendre ce qui venait de lui arriver, de leur arriver ? Peut-être au contraire devait-il fuir…
     Comme il réfléchissait, un druchii fit irruption dans la tente. Phy’lis ferma immédiatement les yeux. Un affrelance. Un soldat. Un campement ? Quel campement ? Dans ce trou perdu ? Dans le territoire le plus hostile qu’il pouvait s’imaginer après une zone de vingt pas autour du capitaine Sarquindi ? Feignant le sommeil du mieux qu’il le pouvait, le comédien entendit la sentinelle s’approcher du médecin et, vraisemblablement, le réveiller avec toutes les marques de respect qu’il devait à… un invité ? Phy’lis comprit que le soldat demandait au médecin de l’accompagner pour une faveur personnelle. Allons donc, quel manque de discipline parmi la soldatesque ! Des faveurs ! Où regardaient donc les officiers ! Kielmir, cependant, avait accepté, prétextant cependant qu’il était affamé et souhaiterait recevoir de prime abord quelque chose à manger. À cet instant exact, le comédien fut victime de la dernière trahison à laquelle il aurait pu s’attendre : son ventre émit un gargouillement qui lui parut plus sonore que le rugissement d’un public dans une arène à Karond Kar.
     « Je pense que lui aussi aura besoin de quelque chose », glissa sèchement le médecin au soldat, qui s’empressa de l’assurer qu’il obtiendrait le nécessaire.

* * *

     Les environs de la tente avaient été complètement nettoyés de la végétation luxuriante qui poussait normalement au pied des arbres majestueux de la jungle. Le campement était vaste, bien vaste que tout ce que le comédien sauvé par le médecin aurait pu imaginer. Les soldats qui le peuplaient, cependant, étaient ailleurs. Au loin, des rugissements bien réels retentissaient. Une bataille faisait rage…

     L'état-major druchii supervisait les manœuvres depuis une plateforme surélevée, bâtie à la hâte mais avec une précision toute elfique ; un dais en soie pourpre avait été rajouté à la dernière minute sur ordre du seigneur suprême des armées, celui qui prenait plaisir à se faire connaître par son seul titre : "L'élu de Slaanesh." Le dynaste, qui favorisait également la soie de Cathay dans ses atours, menait la conversation à son comparse de toujours, le général Mran. Intraitable, guindé et pince-sans-rire, Mran était également celui dont la coopération lui assurait la quasi-totalité de leurs victoires sur les champs de bataille...

     « … et alors, comme il ne savait plus quoi faire, il se jeta sur les affaires du médecin ! Quel acte de bravoure ! Croyez-vous que j’oserais, moi, ingurgiter toutes sortes de substances qui pourraient très bien être du poison ou du somnifère ?
     - Vous avez ingurgité bien pire. Engagez les sang-froid de Shahirrim sur le flanc droit !
     - À vos ordres, général ! le cavalier noir salua et partit au galop.
     - Shahirrim ? Mais pensez-vous seulement qu’il n’a pas déjà engagé l’ennemi, audacieux que ce rejeton de Naggarond me semble être ?
     - Non, je ne pense pas.
     - J’oubliais que vous aussi, Mran, êtes natif de notre glorieuse capitale. Je disais donc : il était aux portes de la mort, et vous savez ce qu’il finit par trouver ? Des feuilles qu’il mâche avant de les gober ! Et ça marche ! Le vieux Kielmir avait récupéré quelques feuilles de koka sur son chemin ! Et notre bel elfe reprend tout d’un coup du poil de la bête !
     - Général ! Rapport sur le flanc droit : Shahirrim est retardé par une attaque de téradons sur son propre flanc !
     - Qu’il s’en sorte ! Ce n’est pas avec des lances que mes elfes abattront un stégadon !
     - À vos ordres, général ! le cavalier noir salua et repartit au galop déréchef.
     - Vous m’écoutez, Mran ? C’est quand-même grâce à ce médecin que nous sommes ici aujourd’hui.
     - Je ne vois pas en quoi l’histoire de son associé-surprise puisse m’intéresser.
     - Mais il est tellement beau !
     - Cela m’indiffère.
     - C’est un artiste, à ce que Kielmir m’a rapporté !
     - Je suis en train de pratiquer mon art, vous permettez ?
     - Mran !
     - Général : Rapport sur le flanc droit ! Un stégadon a percé la ligne et menace de déborder sur nos réserves !
     - Et Shahirrim ?!
     - La cavalerie sur sang-froid est toujours retardée par les téradons, mon général.
     - Mais quels bons à rien, par Khaine ! Et nos balistes ?
     - Je l’ignore, mon général !
     - Alors allez voir.
     - À vos ordres, général !
     L'élu de Slaanesh fusilla le cavalier noir du regard alors qu'il s'éloignait une fois encore.
     - « Général, général… » Mran, vous êtes généralement injoignable depuis que cette bataille a débuté !
     - Pourquoi n’allez-vous pas faire causette avec le seigneur Fellheart ? Je l’ai envoyé sur le flanc gauche et il n’a pas donné de nouvelles depuis.
     - Couvert de sang qu’il doit être à l’heure qu’il est, j’aurai bien du mal à le distinguer parmi la mêlée… »

     Au-delà d’épaisses broussailles, cela faisait bientôt deux heures qu’un vaste contingent de corsaires avait effectué le contact avec un tout aussi vaste contingent de skinks armés de lances et épaulés par de redoutables kroxigors, massives créatures hautes comme des ogres et aux mâchoires autrement plus redoutables. Nullement intimidés par ces ennemis, les corsaires tranchaient allègrement ces ennemis de longue date auxquels ils vouaient une haine que l’on pouvait presque qualifier de cordiale. Les mercenaires de Lokhir Fellheart, le célèbre seigneur-corsaire de Karond-Kar, avaient une longue histoire de pillages de temples et de massacres de ses gardiens. En ce jour, ils s’attaquaient simplement à un morceau bien plus juteux : une cité dont ils avaient aperçu les sommets au loin. Des sommets couverts d’or. Quand le druchii au masque doré eut entendu la proposition du général Mran et de l’Elu de Slaanesh, il fut presque forcé d’accepter. C’en fût presque humiliant qu’il n’avait guère eu vent de l’existence de la cité avant ses pitoyables alliés !
     Ils avaient dès lors opté pour un chemin différent : au lieu de longer l’Amaxon et s’étendre à la queue leu leu pour être coulés les uns après les autres, ils avaient longé la « Côte des Vampires » (curieusement déserte) vers le sud, avant de débarquer pile à l’est de la cité dorée. Le chemin à travers la jungle avait été douloureux. Or, ils étaient là à présent. Tout ce qui se tenait devant eux désormais, c’étaient quelques créatures inférieures… Qu’il était bon de les tuer, qu’il était bon de les massacrer !!

***

     Combattant dans ce même régiment de skinks, en rangs serrés parmi les siens, Tixyxyon comprenait désormais pourquoi ils n’avaient pas reçu l’ordre d’attaquer pendant si longtemps.
     Les intrus sur l’Amaxon n’étaient que des parasites isolés.
     Là, ils faisaient face à une véritable invasion de pucerons.
     Dans leur histoire partagée avec la race indigne des héritiers des Anciens, un nouveau chapitre était en train de s’écrire.
Encore une fois, c’était un chapitre de guerre totale.


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