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- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Feu et Sang
Sam 25 Jan 2014 - 23:54
Enfin eus le le courage de tout lire Car c'est limite désespérant une suite aussi longue
Mais bon, vu que c'est très bien écrit et super trop cool à lire, on ne dira rien
La bataille initiale semble être presque résolue, et je me demande ce que vont devenir tous ces petits personnages...
PS : les fautes les plus courantes (même s'il n'y en a pas beaucoup) sont les passés simples en -u-.
Mais bon, vu que c'est très bien écrit et super trop cool à lire, on ne dira rien
La bataille initiale semble être presque résolue, et je me demande ce que vont devenir tous ces petits personnages...
PS : les fautes les plus courantes (même s'il n'y en a pas beaucoup) sont les passés simples en -u-.
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Ceux qui ne croient pas en la magie ne la trouveront jamais.
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Re: Feu et Sang
Dim 26 Jan 2014 - 10:43
Bien bien, me voilà tout frais et bien reposé après une nuit passée en charmante compagnie...
Je commence d'abord par les points positifs : la trame du récit et les éléments scénaristiques. Deux lignées qui se haïssent, des humains qui y ajoutent leur grain de sel, démonologie, et dans tout ceci, chaque personnage est amplement présenté pour qu'on puisse se forger un avis sur chacun. Par ailleurs, je remarque également qu'aucun des personnages n'est foncièrement bon ou mauvais, disons que la possible bonne foi des humains est comme noyée dans la noirceur des vampires. Tout ceci rend ce récit admirablement fait et agréable à lire. Il me tarde à présent de m'attaquer au précédent texte qui nous explique les origines de Manesh'k.
Je passe à présent sur quelques détails concernant la forme : il y a du bon, et aussi des petites choses qui pourraient à mon avis être améliorées. C'est peut-être du à ma lecture si tardive, mais au niveau de l'action il y a eu des moments où je n'ai pas compris certains détails ; par exemple la libération du magus de feu qui est sous terre et qui soudain est secouru par les vampires ? Enfin, je dois peut-être avoir une piètre imagination spatiale, deux endroits distincts (ville et crypte) liés par un épais réseau de souterrains ont du me mettre en confusion.
Autre détail qui pique aux orteils de mon âme impie : un registre de langage qui me semble parfois incohérent avec l'univers médiéval. Autant je concède que les grossièretés peuvent se confondre, autant le mot "kidnappeur" j'ai du mal. Il devrait bien y avoir un bon synonyme...
Enfin quelques pensées de lecture que j'aimerais partager : l'ail agit sur les vampires, mais pas de manière à les brûler, enfin, c'est ce qu'ils disent dans Les Maîtres de la Nuit, extension du jdr warhammer, que je te conseille chaleureusement
Sinon au départ quand j'ai découvert le rituel, je me suis marré : quoi, tout ce mal pour un pauv' sanguinaire ? Mais quand j'ai vu que le bestiau était un hybride intuable, j'ai eu au contraire une grosse montée de respect pour le maitre Scleras ! Chapeau bas, grand necrarque !
Et je rejoins Gilgalad sur l'appréciation de l'exécution de Castille, à la nuance près : quel gâchis ! Si belle, si talentueuse, elle aurait été bien accueillie dans la communauté des vampires
Je commence d'abord par les points positifs : la trame du récit et les éléments scénaristiques. Deux lignées qui se haïssent, des humains qui y ajoutent leur grain de sel, démonologie, et dans tout ceci, chaque personnage est amplement présenté pour qu'on puisse se forger un avis sur chacun. Par ailleurs, je remarque également qu'aucun des personnages n'est foncièrement bon ou mauvais, disons que la possible bonne foi des humains est comme noyée dans la noirceur des vampires. Tout ceci rend ce récit admirablement fait et agréable à lire. Il me tarde à présent de m'attaquer au précédent texte qui nous explique les origines de Manesh'k.
Je passe à présent sur quelques détails concernant la forme : il y a du bon, et aussi des petites choses qui pourraient à mon avis être améliorées. C'est peut-être du à ma lecture si tardive, mais au niveau de l'action il y a eu des moments où je n'ai pas compris certains détails ; par exemple la libération du magus de feu qui est sous terre et qui soudain est secouru par les vampires ? Enfin, je dois peut-être avoir une piètre imagination spatiale, deux endroits distincts (ville et crypte) liés par un épais réseau de souterrains ont du me mettre en confusion.
Autre détail qui pique aux orteils de mon âme impie : un registre de langage qui me semble parfois incohérent avec l'univers médiéval. Autant je concède que les grossièretés peuvent se confondre, autant le mot "kidnappeur" j'ai du mal. Il devrait bien y avoir un bon synonyme...
Enfin quelques pensées de lecture que j'aimerais partager : l'ail agit sur les vampires, mais pas de manière à les brûler, enfin, c'est ce qu'ils disent dans Les Maîtres de la Nuit, extension du jdr warhammer, que je te conseille chaleureusement
Sinon au départ quand j'ai découvert le rituel, je me suis marré : quoi, tout ce mal pour un pauv' sanguinaire ? Mais quand j'ai vu que le bestiau était un hybride intuable, j'ai eu au contraire une grosse montée de respect pour le maitre Scleras ! Chapeau bas, grand necrarque !
Et je rejoins Gilgalad sur l'appréciation de l'exécution de Castille, à la nuance près : quel gâchis ! Si belle, si talentueuse, elle aurait été bien accueillie dans la communauté des vampires
Re: Feu et Sang
Dim 16 Fév 2014 - 12:24
merci à tout les trois pour vos encouragements, ainsi qu'à ceux qui ne sont pas sur ce forum mais qui me soutiennent quand même pour avancer dans cette histoire. Je vous assure que c'est le moteur principal qui me pousse à avancer.
ben ce n'est pas compliqué, comme tu as pu le voir lors des combats contre Manesh'k : tant que toute l'énergie qu'il accumule en absorbant du sang n'est pas épuisée... il est immortel ;..;
après, il n'a été exposé qu'à des dommages physiques : aucun magicien ou sorcier n'a été confronté à la bête.
dans ce cas je tâcherais de me mettre à jour sur ce point à l'avenir.
le sort tellurique de Scleras (le necrarque) à fait passer Tristofan (le mage de feu) à travers le sol du conduit, si bien qu'il a été "expulsé" dans une galerie plus profonde encore. Cependant, celle-ci était pratiquement innondée jusqu'au plafond et il y a erré pendant un bon moment en faisant preuve d'une volonté peu commune pour les mortels. C'est par hasard qu'il a trouvé une grille donnant sur un couloir supérieur, où, coup du sort, se trouvait également Luther, le vampire le moins discipliné du groupe, qui a été rejoins par Manesh'k avant le bain de sang.
je possède une version originale des maîtres de la nuit, mais je n'ai pas encore eu le courage de le lire en intégralité. Je devrais. Quand à la brûlure, ce n'est pas une combustion spontannée non plus : ce que ressent Luther est davantage l'effet qu'aurait du sel sur une plaie. En plus il ne faut pas oublier que lors de la détonation la balle est brulée par la poudre, et donc l'essence d'ail avec... il n'en a donc reçu que très peu.
he oui il ne fait pas les choses à moitié le coco. Les villageois ont d'ailleurs bien de la chance que les descendants d'Abhorash se soient pointé à ce moment là lors de leurs errances, car s'il avait eu le temps de créer davantage de ces créatures, inutile de dire qu'il aurait révolutionné l'art de la nécromancie. Enfin, son secret aura disparut avec lui. Seuls Manesh'k et Luther savent partiellement comment ils ont été concus grâce à Castille, et encore, elle ne savait pas tout...
En parlant de Castille... je trouve pas que cela soit un gâchis moi, elle était mignonne, apportait une touche de fraicheur féminine au texte, mais n'oublions pas qu'il s'agissait d'un monstre sans une once de remords : elle a réduis en charpies des adolescents au cairn (l'intro), s'est délectée du massacre causé dans les rangs de John (le répurgateur) plus tout ce qu'il s'est passé avant. Ils auraient pu la laisser en vie ou lui accorder le baiser de sang, effectivement. Mais j'avais tellement envie d'écrire une scène de ce genre . Et elle vous a beaucoup plus aussi d'après ce que j'ai compris.
La suite arrive, je la relis une dernière fois et je fais péter le double post dans l'après-midi.
Je me demande quelle est son espérance de vie dans une ville peuplée d'humains.
ben ce n'est pas compliqué, comme tu as pu le voir lors des combats contre Manesh'k : tant que toute l'énergie qu'il accumule en absorbant du sang n'est pas épuisée... il est immortel ;..;
après, il n'a été exposé qu'à des dommages physiques : aucun magicien ou sorcier n'a été confronté à la bête.
les fautes les plus courantes (même s'il n'y en a pas beaucoup) sont les passés simples en -u-.
dans ce cas je tâcherais de me mettre à jour sur ce point à l'avenir.
la libération du magus de feu qui est sous terre et qui soudain est secouru par les vampires ?
le sort tellurique de Scleras (le necrarque) à fait passer Tristofan (le mage de feu) à travers le sol du conduit, si bien qu'il a été "expulsé" dans une galerie plus profonde encore. Cependant, celle-ci était pratiquement innondée jusqu'au plafond et il y a erré pendant un bon moment en faisant preuve d'une volonté peu commune pour les mortels. C'est par hasard qu'il a trouvé une grille donnant sur un couloir supérieur, où, coup du sort, se trouvait également Luther, le vampire le moins discipliné du groupe, qui a été rejoins par Manesh'k avant le bain de sang.
l'ail agit sur les vampires, mais pas de manière à les brûler
je possède une version originale des maîtres de la nuit, mais je n'ai pas encore eu le courage de le lire en intégralité. Je devrais. Quand à la brûlure, ce n'est pas une combustion spontannée non plus : ce que ressent Luther est davantage l'effet qu'aurait du sel sur une plaie. En plus il ne faut pas oublier que lors de la détonation la balle est brulée par la poudre, et donc l'essence d'ail avec... il n'en a donc reçu que très peu.
quand j'ai vu que le bestiau était un hybride intuable, j'ai eu au contraire une grosse montée de respect pour le maitre Scleras !
he oui il ne fait pas les choses à moitié le coco. Les villageois ont d'ailleurs bien de la chance que les descendants d'Abhorash se soient pointé à ce moment là lors de leurs errances, car s'il avait eu le temps de créer davantage de ces créatures, inutile de dire qu'il aurait révolutionné l'art de la nécromancie. Enfin, son secret aura disparut avec lui. Seuls Manesh'k et Luther savent partiellement comment ils ont été concus grâce à Castille, et encore, elle ne savait pas tout...
En parlant de Castille... je trouve pas que cela soit un gâchis moi, elle était mignonne, apportait une touche de fraicheur féminine au texte, mais n'oublions pas qu'il s'agissait d'un monstre sans une once de remords : elle a réduis en charpies des adolescents au cairn (l'intro), s'est délectée du massacre causé dans les rangs de John (le répurgateur) plus tout ce qu'il s'est passé avant. Ils auraient pu la laisser en vie ou lui accorder le baiser de sang, effectivement. Mais j'avais tellement envie d'écrire une scène de ce genre . Et elle vous a beaucoup plus aussi d'après ce que j'ai compris.
La suite arrive, je la relis une dernière fois et je fais péter le double post dans l'après-midi.
Re: Feu et Sang
Dim 16 Fév 2014 - 13:53
Aller voici le chapitre 10. Un petit peu de calme après toutes ces émotions.
En revanche, je vous préviens dès maintenant, je n'ai plus de chapitre d'avance en stock, le chapitre 11 étant encore en cours d'écriture. Par conséquent j'ignore si je tiendrais mon rythme actuel d'un chapitre par mois.
Trêve de bavardages et bonne lecture ^^
Feu et Sang ch10
- Dave ! Leon!
John se redressa brutalement en rejetant ses draps. Haletant, il poussa un cri de douleur lorsque ses côtes brisées le ramenèrent à la réalité. Il n’était plus dans les souterrains de Grissenwald mais dans sa chambre. A l’auberge. L’un des soldats avait dû le ramener.
Lorsque la douleur se dissipa enfin, il lorgna ses vêtements et son manteau. Ils gisaient sur une chaise, soigneusement pliés. Ses brassards et le mécanisme de prise en main des revolvers se trouvaient sur le bureau, à côté d’une assiette de pain, de fromage et de la chandelle qui éclairait la pièce.
Le répurgateur grogna en se levant, lentement. La moindre respiration était un supplice, mais il en avait vu d’autres. Et il devait savoir. Son estomac qui hurlait famine attendrait.
Le silence tomba dans la salle principale lorsqu’il descendit la dernière marche avec précaution. Tous les clients avaient les yeux rivés sur cet homme qui dissimulait son regard sous un chapeau et se déplaçait tel un vieillard. Mais il n’en avait cure. Il posa péniblement les coudes sur le comptoir et aussitôt le barman lui fit face.
- Vous dési…
- Où sont les autres, coupa- t- il d’une voix rauque.
- Les…
- Le prêtre, le sorcier roux et les soldats de Nuln !
Si son ton était faible la lueur qui brûlait dans ses prunelles fit littéralement fondre le pauvre tenancier.
- Je… vous êtes le seul à être revenu, monsieur.
- … Il y a combien de jours ?
- Y’a trois jours, répondit une voix bourrue dans son dos.
Avec un regard noir, John se tourna vers le nain qui venait d’interrompre les deux hommes. Aussitôt l’aubergiste fila s’occuper d’un autre client, sans demander son reste.
- V’nez à ma table, déclara le barbu sans se dérober.
Après un instant, le répurgateur lui emboîta le pas. Il esquissa une grimace furtive en s’asseyant, puis baissa les yeux sur l’assiette de légumes fumants que lui tendait le nain.
- Mangez, vous préférez écouter j’pense. J’suis de s’t’espèce de campement d’nains au bord d’la ville, continua- t- il alors que John cédait finalement à l’appel de son estomac. Quand on a entendu le galion exploser, moi et mes fr…
- Un galion a explosé !? S’étrangla John en attirant à nouveau l’attention générale.
- Pour sûr. L’en reste que des poutres noircies.
Le répurgateur grimaça mais se contenta ensuite d’écouter. Il apprit que de la troupe venue de Nuln à ses côtés, il n’y avait pas un seul survivant. Sauf lui. Encore et toujours…
- Mon frangin et moi on a exploré les… souterrains, quand on a su qu’des gamins étaient manquants.
Dubitatif, John le laissa continuer. S’ils étaient tous deux ressortis de là vivant, c’est qu’il n’y avait plus grand chose à craindre sous terre. Quant à Dave et Léon, leur absence à cette table parlait pour eux
- J’lui ai dit d’se taire jusqu’à ce qu’j’vous parle. On a r’trouvé votre rouquin. Et il était pas beau à voir. Mais j’crois qu’il a quand même eu c’te saloperie que vous êtes venus chercher.
D’un simple regard John l’encouragea à poursuivre, mâchant lentement la nourriture. Il sentait que ce qui allait suivre ne lui plairait pas.
- Il était dans un genre d’maison souterraine, avec laboratoire, bibliothèque et pas mal de chose auxquelles j’préfère plus penser. Mais c’tait pas l’seul cadavre. Un autre corps calciné était aussi dans la pièce.
Le nain se pencha en avant et, après avoir vérifié qu’on ne les écoutait pas, poursuivit d’un ton conspirateur.
- Pour être franc avec vous, j’crois qu’y étaient pas seuls là- dessous. L’cramé avait la tête coupée alors que la gorge de votre ami, Morr le garde, était complètement arrachée. Comment qu’y auraient pu se faire ça tous les deux ? Non… y devaient pas être seuls.
Le répurgateur pris le temps d’avaler sa bouchée. Il reposa ses couverts et plissa les yeux. A qui appartenait ce second corps ?
- Ce corps, déclara John après avoir dévisagé le nain en silence. Etait- il vêtu d’une armure, de garde, de soldat de Nuln ou … autre ?
- Non rien qu’des fringues qui ont cramés avec c’t’horreur.
Baissant encore la voix il continua.
- J’vous ai dit, on n’a pas répété s’qu’on a vu. Mais pour sûr, votre vampire est mort pour de bon. J’me suis même ramené des souvenirs…
Piochant dans sa besace il vérifia une fois encore qu’on ne faisait plus attention à eux. Le nain déposa discrètement deux longues canines sur le bords de l’assiette. D’une main tremblante, John porta l’une des dents à hauteur d’yeux.
- Mon gars, poursuivit le barbu. Pourquoi z’etes pas venus chercher des gars d’mon peuple pour aller dans s’t’enfer ? On aurait été une dizaine a v’nir vous ouvrir la route !
John leva sur lui un regard nouveau. Le nain réprima un frisson. Ce n’était pas le regard qu’il s’attendait à voir chez le répurgateur blessé : c’était un regard dans lequel couvait une braise ardente qu’il venait de ranimer.
- Vous m’avez parlé avec honnêteté. Aussi je vais faire de même, mais j’aurais besoin de votre discrétion, à tous les deux.
Devant le silence du nain, il poursuivit :
- Il y avait probablement d’autres forces en présence lors de la mort de Tristofan et de cette créature. Allez chercher votre frère. Nous avons un travail à finir.
- Tu fais chier ! Ils ont tués Claster bordel ! Ton propre fils !
Pestant, le mort- vivant fit volte- face et frappa à plusieurs reprises le corps déjà méconnaissable qui gisait là.
- Et je l’ai vengé, répondit calmement Manesh’k. Le sorcier de feu a payé de sa vie. Même si tu n’as pu avoir ni le curé ni le chasseur, rappelle- toi que l’un est mort et que l’autre a perdu les deux gosses qui l’accompagnaient.
- Claster valait plus qu’eux, cracha Luther. Bien plus.
Sans prendre part au débat, Gilnash restait silencieux, accroupis à l’écart du charnier où évoluait Luther.
- Cette gamine… vous dites qu’en buvant ses souvenirs vous vous êtes accaparés ses pouvoirs ? demanda- t- il après de longues minutes, poussant de côté la dispute entre les deux vampires.
- Plus ou moins, tempéra Manesh’k en jetant un regard noir à leur cadet. Disons que c’était là, que nous ne le voyions pas. Lorsque nous avons gouté, nous avons aussi lus chacune des leçons de Scleras, comme il se faisait appeler.
Hochant la tête, Gilnash regarda la tête de l’humain rouler jusqu’à lui alors que Luther continuait à s’acharner sur son torse.
- C’est la même chose qu’avec Varison si je comprends bien.
- Sauf que je n’ai pas l’intention de perdre mes pouvoirs ! s’écria Luther, le visage bariolé de sang. J’ai bien l’intention de pratiquer cet art et de ne pas le laisser filer en même temps que l’essence de cette salope !
Joignant le geste à la parole, il devint totalement immobile, louchant presque alors qu’il scrutait intensément le cadavre ouvert. Un léger picotement parcouru la peau de Manesh’k alors qu’il le regardait faire. Le mort eu un premier soubresaut. Puis du sang gicla de la cage thoracique.
Il voyait ce qu’il se passait. Le vent s’enroulait autour de Luther comme il l’avait fait pour le nécrarque. Et les volutes suivaient son bras dressé pour s’immiscer dans la carcasse. La jambe trembla. Les épaules se crispèrent. Dans un craquement laborieux, le soldat décapité et éviscéré se redressa.
- Un vrai marionnettiste, commenta Gilnash sans paraître impressionné.
- Si tu voyais ce que cette fripouille a enseigné à la gamine, pouffa Luther en relâchant son emprise.
Le corps retomba en arrière avec un bruit flasque.
- Je ne préfère pas, déclara- t- il se détournant vers Manesh’k.
Devant le regard insistant de Gilnash, le vampire eu un sourire d’enfant qui ne peut plus se retenir de cacher son secret. Il leva la main et claqua des doigts. Dans une étincelle crépitante, une flammèche trembla au sommet de son index.
- Mon ami Tristofan a payé la dette de sang qu’il me devait, déclara- t- il avec un sourire.
Alors que Luther l’observait avec un regard emplit d’envie, il referma le poing et dissipa la flamme.
- En parlant de feu, reprit Manesh’k, vous n’avez toujours aucune idée concernant ce qui a fait apparaître ces… barils, dans le bateau ?
- Si le sorcier et la gamine ne sont pas liés à ça, et tu le sais de source sûre, seul Scleras aurait pu t’éclairer.
Luther éclata d’un rire moqueur, mais Gilnash lui garda son attitude sérieuse.
- Peut- être n’est- il pas lui- même à l’origine de ça, concéda Manesh’k. Enfin. Je crois que la pluie a cessé et il nous reste quelques heures avant l’aube.
- Il était temps. C’est vrai que nos invités tombaient à pic vu l’état dans lequel était la bête, déclara- t- il en s’attirant un regard noir de Gilnash qui enfilait la tenue d’un des soldats. Mais ils ne sont pas très causants.
Manesh’k leva les yeux au ciel, mais ne nia pas. Gilnash était en piteux état lorsque ce groupe de soldats, venus également pour s’abriter de la pluie, était entré dans la grotte où ils avaient trouvés refuge. Et en prime il avait à nouveau des vêtements, son pourpoint de cuir ayant volé en lambeaux lors de sa transformation.
Goutant l’air humide sans pour autant ressentir le besoin de respirer, Manesh’k suivit ses deux compagnons à l’extérieur. Mais un détail continuait à le troubler. Nulle part en plusieurs siècles d’errances il n’avait été confronté à un phénomène de ce genre. Pourtant il avait vu des choses bien surprenantes aux côtés de l’ancien commandant des troupes Lahmiannes. Le mystère de cette lumière qui avait bien faillit l’emporter restait entier.
- Le répurgateur est sur nos traces, déclara Gilnash alors que la chouette quittait son poignet pour reprendre sa chasse nocturne. Il a trouvé la grotte près de Dunkelberg.
Cela faisait quatre jours à présent qu’ils avaient laissés Grissenwald derrière eux. Par réflexe, Luther jeta un œil par- dessus son épaule avant de pousser un grognement.
- Il a deux nains avec lui, ils n’y étaient pas auparavant, ajouta le vampire en cherchant l’oiseau dans l’obscurité.
- Et qu’est- ce que changent deux nabots ? lâcha Luther avec une pointe de mépris.
- Pas grand- chose, lui accorda l’ornithologue. Il sait maintenant que nous remontons la Grissen, mais ils ne sont que trois…
- Ils ne représentent donc pas une menace, conclut Manesh’k en observant tranquillement les étoiles au- dessus d’eux. D’autant plus qu’ils nous chercheront à Dunkelberg… cessons de nous préoccuper d’eux…
- Menace ou pas, on s’en fou. Allons lui faire la peau, que ces humains sachent que nos affaires ne sont pas les leurs !
- Non Luther.
Se détournant du ciel dégagé, Manesh’k lui jeta un regard empreint d’autorité, mais le cadet ne cilla pas.
- Nous sommes venus ici parce que nous ignorions où aller, que faire de nos… vies, lui rappela Manesh’k d’un ton grave. Nous aurions très bien pu nous rendre à Kislev ou retourner au sud. Mais ces humains ont eu vent de notre présence et nous ont même vus à l’œuvre. Il est temps pour nous de nous faire oublier, de disparaître quelques temps.
Il laissa quelques instants le silence apaisant de la nuit retomber, puis repris :
- Nous ne répandons pas la mort comme les humains moissonnent le blé. Notre venue à Grissenwald et cette… échauffourée avec eux n’est que le fruit du hasard.
- Peuh… Ils sont dignes d’être tués ! Ils le méritent ! Mille fois plus que les pantins de l’autre nuit ! Père aurait été d’accord avec moi !
- Je ne crois pas non, intervint Gilnash en revenant dans leur conversation. Walach aurait approuvé notre choix.
- Et que sais- tu de la volonté de mon père ! s’écria soudain Luther en rattrapant l’ornithologue.
Empoignant Gilnash par l’épaule, il le força à se retourner et plongea son regard luisant de colère dans les prunelles écarlates de l’autre vampire.
- Tu n’as pas sa mémoire au fond de ton foutu crâne de piaf, tu ne sais rien de ce qu’il souhaite !
- Luther…
Mais Gilnash fit signe à son ami de ne pas intervenir. Cherchant ses mots, il répondit calmement :
- Il y a peut- être une raison si ton père t’a demandé de nous accompagner. Même si tu ne la vois pas.
Le cadet lâcha un soupir exaspéré en levant les yeux au ciel sans pour autant le relâcher. Gilnash poursuivit, implacable :
- Walach souhaitait bâtir quelque chose, diffuser sa propre vision des enseignements d’Abhorash. Cela tu le sais mieux que moi. Tu sais également que c’est la raison pour laquelle tu n’es pas à ses côtés.
- Prends garde, mon Oncle, le menaça Luther en plongeant à nouveau son regard dans celui de Gilnash.
Il avait soigneusement appuyé le lien de parenté reliant les deux morts- vivants.
- Tu étais trop fougueux, trop présent pour qu’il puisse se dévouer à cette tâche, ignora son vis à vis. Ta présence n’était pas un fardeau pour lui, comme tu sembles le croire.
Luther lâcha le col du vampire, mais celui- ci le retint par l’épaule, l’empêchant de fuir. Depuis trop longtemps ses colères agaçaient l’ornithologue. A présent qu’il avait ouvert cet abcès dont souffrait son neveu il comptait bien le vider complètement.
- S’il souhaitait que tu partes c’est parce qu’il savait que l’amour qu’il te porte l’aurait empêché de se dévouer corps et âme à la mission qu’il s’était imposé. Et tu le sais Luther, ne fais pas semblant de l’ignorer, le bouscula Gilnash alors que toute colère désertait les traits du cadet. Pourquoi d’ailleurs t’aurait- il fait don de la non- vie, à toi plus qu’un autre, s’il ne tenait pas à toi ?
- Tais- toi, lui intima Luther.
- Tu as encore beaucoup à apprendre, déclara Manesh’k avec sympathie en se portant à leur hauteur. Nous savons que tu es dans une situation inconfortable. Et, en ce qui concerne Claster qui était comme un frère pour toi, ne crois pas que je sois insensible à sa disparition. Je souffre également son départ. Mais j’estime que nous avons tous deux suffisamment honoré sa mémoire, même si l’un de ses meurtriers est toujours en vie. Le sorcier et l’apprenti étaient des proches pour cet homme qui a perdu bien plus encore de compagnons. Il souffrira bien assez comme cela dans les jours à venir. Laissons le sortir de notre vie.
Silencieusement, Luther acquiesça.
Manesh’k et Gilnash. Il appréciait ces deux aînés qu’il suivait sur les routes du vieux monde depuis plusieurs années déjà. Ils avaient toujours été honnêtes avec lui, bien plus que les vivants auxquels l’avait arraché son père dans la non- vie. Et il savait que c’était pour ce genre de raisons que Walach Harkon, premier fils d’Abhorash, lui avait conseillé de les accompagner. Pas seulement parce qu’il était proche du fils de Manesh’k. Mais parce qu’ils partageaient les mêmes liens. Ils étaient une famille.
Sirotant le fond de son outre, le soldat jeta un dernier regard fatigué aux ténèbres silencieuses. Ces patrouilles minaient son moral, mais il eut tout de même un sourire en songeant repos qu’il goûterait bientôt. Son quart était bientôt achevé et peut être aux pays des songes aurait- il la chance de retrouver son épouse et sa petite fille. Toute deux devaient paisiblement dormir, loin d’ici, chez lui à Dunkelberg. Et cette pensée lui redonna un peu de baume au cœur.
D’un pas plus léger il se glissa entre les couchages des autres gardes, cherchant celui qui prendrait la relève pendant qu’il se reposerait à son tour. Il s’agenouilla lorsqu’il le trouva et le secoua doucement pour le réveiller. L’autre grommela un moment mais finit par ouvrir les yeux.
- Ton tour mon vieux, déclara- t- il avec un sourire amusé.
Ronchonnant, son camarade grogna dans sa barbe mais finit par quitter sa couche.
- Quelqu’chose à signaler? l’interrogea- t- il par réflexe alors que le premier écartait quelques pierres d’une place au sol pour s’allonger à son tour.
De la tête il lui fit signe que non, puis positionna son sac de façon à en faire un oreiller.
Un glapissement strident les fit tout deux sursauter. En panique, un félin sauvage traversa leur clairière comme une balle, disparaissant dans la nuit aussi vite qu’il était apparu, sans cesser de pousser des cris aigus. Les deux soldats, tout à coup parfaitement réveillés, échangèrent un regard et bondirent sur leurs jambes.
- C’était quoi ça ? balbutia un troisième réveillé par le chahut.
Aucune des deux sentinelles n’était en mesure de le dire. Tous deux balayaient le sous- bois du regard, cherchant ce qui avait bien pu effrayer l’animal de la sorte.
- Réveillez- vous, déclara timidement le premier homme à ses compagnons, se glissant jusqu’aux braises de leur feu de camp. Il referma les doigts sur la hampe de son arme.
- Réveillez- vous…
Et il le vit. Immobile à la lisière de leur clairière, devant la marée de fougères. Il semblait frêle de carrure mais l’illusion était trompeuse. Une longue protubérance osseuse à l’arrière son crâne surmontait sa paire de cornes spiralées. Entre celles- ci dansait une langue démesurée qu’on aurait juré être un serpent en colère. Et son regard. Il brillait comme deux puits de métal en fusion qui transperça la peau des humains.
- C’est quoi ce truc ! s’écria l’un de ses compagnons qui batailla un instant avec son fourreau pour dégainer son épée.
Inclinant la tête de côté, la créature embrassa le camp qui prenait vie sous ses yeux. Elle darda sa longue langue encore quelques instants et huma le fumet qui s’agitait devant elle. Puis elle se replia légèrement sur elle- même, ses muscles recouverts d’écailles rouges et noires luisant faiblement sous le reflet des torches s’allumant.
Tous sursautèrent lorsque la créature se jeta brusquement en avant. Elle feula comme un tigre en bondissant à la gorge du premier homme à portée et tous deux roulèrent au sol dans un mélange confus de cape et d’écailles. Un voisin, pas complètement réveillé, fut aveuglé par une éclaboussure et la terreur déforma son visage alors qu’il portait les mains à ses joues maculées de fluides écarlates.
- Par Sigmar ! s’écria la sentinelle qui s’élança à l’aide du malheureux, hallebarde en avant.
Il embrocha violement la créature qui fut projetée de côté avec un grognement de rage. Roulant sur le ventre comme un insecte, elle releva la tête et feula dans sa direction, menaçant à nouveau de sa longue langue cet humain téméraire. Sa face squelettique et ses bras dégoulinaient des fluides qu’elle venait de répandre. Le coup qui aurait pourtant mis à terre un sanglier ne semblait qu’à peine l’avoir affecté.
Avec une certaine forme de majesté, le monstre se releva lentement et se dressa de toute sa stature, toisant les gardes de son regard incandescent.
- Ensembles les gars ! On va pourrir cet…
Interrompant l’humain, le démon leva brusquement les bras. Dans un bruissement feutré il fit apparaître de nulle part ses deux lames orangées. Ce fut suffisant pour que le peu de courage qu’avaient encore ces hommes ne s’effrite. La créature poussa un dernier grondement sauvage avant de se jeter à la curée.
- Il y a quelque chose de pas net avec ce rocher, déclara Luther en posant la main sur l’imposant morceau de granit. C’est comme si… du pouvoir, s’écoulait dedans.
Leur altercation remontait à plusieurs jours auparavant désormais. Tous les trois avaient quitté l’empire en traversant l’imposante chaîne de montagnes qu’étaient les Monts Gris, sans plus croiser de signe de civilisation depuis Dunkelberg.
- Tu parviens à le voir ? s’étonna Gilnash avec un regard surpris.
- Non, rien de visible. Juste… une sensation.
Restant légèrement en retrait, Manesh’k se contentait d’observer. Lui ne percevait rien de particulier, contrairement à ses deux compagnons. Pour lui, ce n’était d’un imposant menhir, une pierre qui culminait à plus de trois mètres de haut, plantée sur le bord du chemin. Un symbole à moitié effacé par le temps, gravé à hauteur d’homme, retenait vaguement son attention. Mais il ne s’y serait nullement attardé sans Luther et Gilnash.
Le cadet fit quelques pas sur le chemin s’enfonçant dans le bois, puis haussa les épaules.
- Quoi que ce soit, cela n’a pas une bien grande influence…
Ils passèrent donc l’imposante pierre sans s’y interesser davantage. Le monde recelait bien des secrets oubliés et il était monnaie courante qu’ils en croisent des restes à travers leurs décennies d’errances. Ce monolithe ne les interpella pas outre mesure.
Deux charniers a à peine à quelques jours d’écarts. Plus d’une trentaine de morts au total. John restait silencieux devant les flammes, se contentant d’observer la fumée que dégageaient les corps.
Il aurait souhaité faire davantage pour ces pauvres hommes, leur offrir des sépultures décentes. Mais ses proies ne l’attendraient pas. C’était la crémation ou laisser les corps se décomposer et risquer d’attirer des prédateurs. Et trop souvent des scènes comme celle- ci étaient le point de départ d’épidémies. C’était un choix dur à faire mais ce n’était pas la première fois auquel il y était forcé. Et sûrement pas la dernière…
- Nous n’étions pas la seule faction à nous intéresser aux disparitions, confirma- t- il enfin sans quitter les flammes des yeux.
Les frères se tournèrent vers John. Depuis le début de leur “chasse” il se refusait à leur donner les détails qu’il avait pourtant promis à l’ainé. Ce second bûcher semblait toutefois justifier qu’il leur révèle davantage sur leurs proies.
- Quatre vampires d’un autre groupe sont arrivés à Grissenwald en même temps que nous. Plus j’y pense et plus je me dis qu’ils auraient probablement nettoyés seuls les couloirs sous la ville s’ils l’avaient pu. Pour quelles raisons je n’en sais rien. J’ai éliminé l’un d’eux sans chercher à en savoir plus… et pourtant ils nous ont proposé leur aide pour purger cette ville.
- Vous avez pas…
- J’ai accepté, si, répondit- il en plongeant son regard dans celui du nain qu’il savait désormais porter le nom de Runtnar. Je pensais pouvoir les approcher, les éliminer et régler simplement cette histoire. Mais ce démon qu’ils affrontaient en pleine rue prouvait qu’il y avait autre chose. Lorsque les choses ont dégénérés avec les sorciers, j’ai commencé à douter. Pourquoi ont- ils luttés contre eux ? Ancienne querelles ? Rivalités territoriales ? Convoitise ? Où simplement par challenge ?
- Vous accordez bien des principes à des morts- vivants, commenta le barbu d’un air sombre. Vous auriez dû les laisser s’entre- tuer et achever le vainqueur…
- Sans doute. Mais plus j’y réfléchis… Pourquoi nous laisser cette piste sanglante, à Dunkelberg et ici ? Cela n’aurait- il pas été plus simple de nous attendre à la grotte et nous prendre en embuscade ?
Runtnar haussa les épaules. Ce genre de manigances était un peu trop complexe pour lui. Dans le doute, il préférait trancher à coups de pétoire.
- Ils en savent surement beaucoup plus sur ce qu’il se tramait là- dessous que je ne le saurais jamais, poursuivit John à voix haute. Tout ceci n’a pas de sens… Ils ne se livraient pas non plus une guerre de territoire, sinon… pourquoi seraient- ils reparti ainsi ?
Il grogna. Tellement de zones d’ombres, tellement de questions, tellement d’incohérences…
“J’ai l’impression de jouer avec seulement la moitié des cartes en main”, songea- t- il. “Nécromancie, démons, vampires et mort- vivants… quel est le lien entre tout ça ?”
- Qu’ca ai un sens ou pas, z’avez libéré la ville du mal qui la rongeait mon gars, lui déclara Runtnar avec un sourire amical.
Astiquant du pouce la crosse de son tromblon, il se retourna vers les flammes. Il ne détournait pas le regard, gravant ces visages brûlant dans sa mémoire.
- C’est vrai, mais à quel prix… jamais tous ces hommes ne seraient morts sans ça.
Il soupira et grimaça. Même ceci le faisait souffrir…
- Ces vampires… je ne sais pas pourquoi ils sont venus et nous ont aidés. Je comprends qu’ils nous aient ensuite trahi, nous savions que notre parodie d’alliance prendrait fin bien avant la fin de la nuit. Mais pourquoi ont-ils fui ainsi une fois tout ceci terminé ? Ils auraient pu me cueillir si facilement, mais ne l’ont pas fait…
- Pourquoi ont- ils tué ces gars dans ce cas ? posa Runtnar pour lui. Ces deux patrouilles de Dunkelberg n’étaient visiblement pas des menaces pour eux.
Il mettait visiblement le doigt sur un détail qui échappait à John. Celui- ci l’encouragea à poursuivre.
- Pour ce deuxième massacre, indiqua- t- il d’un mouvement de menton. Les corps ont été réduis en charpie, mais y’a rien qu’indique qu’ils s’soient nourris. Pas comme à la grotte où z’ont clairement fait la bringue.
Il ne put retenir un frisson en repensant aux corps. Tous, sans exceptions, avaient eu la gorge réduite en lambeaux…
- Y ont vraiment besoin de s’justifier ? déclara son frère, Hrugnir, avec un accent à couper au couteau. Ces monstres sèment la mort partout.
John se détourna du brasier pour jeter un œil au “frérot” enfin sorti de son mutisme. Il aurait facilement pu passer pour un tueur : avec une carrure pareille il ne lui manquait que la teinture rousse. A cela s’ajoutait les deux hachettes croisées dans son dos et le maillet qu’il trimballait à la main. Peut- être si un tel individu…
Le répurgateur secoua la tête et chassa ces sombres pensées de son esprit. Que quelqu’un comme Hrugnir ait été présent ou non sous Grissenwald n’aurait rien changé au massacre qui s’y était déroulé. Tous étaient morts et ce n’étaient pas ses remords qui les vengeraient ou les ramèneraient.
- Vous pensez qu’y vont continuer vers où à présent ? Repris Runtnar, le tirant de ses pensées. Jusque- là ces chiens ont tué des hommes et des femmes, des soldats, sans distinction. Y ont remonté l’Grissen et dépassé Dunkelberg. Mais de l’autre côté d’ces montagnes… c’est le bois.
- Le bois ? répéta John en fronçant les sourcils.
- Yep. S’pas pour rien que ces gars- là patrouillaient dans la région, lui expliqua Runtnar en indiquant à nouveau le brasier du menton. L’bois qu’y a là- bas est maudit. Des peaux- vertes ou des bêtes en ressortent de temps en temps. Et en général y sont pas beau à voir. S’pour s’assurer qu’y atteignent jamais l’autre côté d’la montagne qu’y a des patrouilles ici. Même les gars d’Grimaz surveillent ces cols.
- Le bois… répéta John, pensif.
Il n’était pas sans connaître la géographie de la région. Il savait de quel bois parlait Runtnar : une immense forêt, un espace boisé s’étendant à perte de vue. Un véritable océan de verdure s’étendant des racines des Montagnes Grises jusqu’aux Duchés, à des kilomètres et des kilomètres de là. Un bois qui dissimulait bien plus de choses que ne semblaient le réaliser les deux nains.
La question valait en effet la peine d’être posée : les morts- vivants s’aventureraient- ils dans la forêt de Loren ?
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Re: Feu et Sang
Dim 16 Fév 2014 - 21:02
C'est une suite vraiment très intéressante. Surtout que l'on voit bien le calme après la bataille.
La fuite ds vampires est vraiment bien faite. Tout comme l'introduction des nains. Et la dernière phrase augure très bien de la suite.
Bref, vivement la suite, même s'il faut attendre un mois et demi. Car après tout, tu peux avoir jusqu'au 31 mars pour poster non ?
La fuite ds vampires est vraiment bien faite. Tout comme l'introduction des nains. Et la dernière phrase augure très bien de la suite.
Bref, vivement la suite, même s'il faut attendre un mois et demi. Car après tout, tu peux avoir jusqu'au 31 mars pour poster non ?
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- EssenSeigneur vampire
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Re: Feu et Sang
Dim 16 Fév 2014 - 21:18
Je n'ai pas encore lu le texte, je m'y colle dès maintenant, mais des morts-vivants dans la forêt de Loren, je dis non, je leur déconseille (Gilgalad me comprend))
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Feu et Sang
Dim 16 Fév 2014 - 21:28
Je te comprends parfaitement et je le déconseille aussi. Athel Loren étant encore pire qu'Ulthuan. Disons que tu sais quand tu rentre mais tu ne sais pas quand tu sors. Et même si tu vas tout droit, tu peux ressortie au nord au lieu de l'Ouest. C'est plutôt amusant à essayer de traverser. Peut-être que je devai essayer un jour.mais des morts-vivants dans la forêt de Loren, je dis non, je leur déconseille (Gilgalad me comprend))
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- EssenSeigneur vampire
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Re: Feu et Sang
Lun 17 Fév 2014 - 9:16
Bon, je laisse tomber l'idée de retrouver les 1-2 fautes de frappe que j'avais vues hier, il y en a trop peu
Au niveau de la narration, je rejoins Gilgalad, l'histoire m'a l'air de bien suivre son cours, la lecture est agréable sur le fond et sur la forme, je n'en attendais pas moins
Deux petites remarques à présent : la première est que j'aimerais un petit peu plus de descriptions/mise en ambiance, juste un petit peu plus, histoire d'étoffer un peu les nombreux dialogues... J'ai eu le même souci dans mon récit, j'essaie actuellement d'y remédier dans le second cycle
Deuxième remarque concernant un léger souci de registre employé par-ci par-là : ça ne dérange peut-être que moi, mais j'ai comme l'impression de voir des mots "intrus" dans l'univers warhammerien : "ornithologue", "challenge" ; pour le coup je crois que c'étaient les deux seuls trucs qui me piquaient la vue, quoique j'en aie vu aussi dans les textes précédents. Encore une fois, ce n'est que mon point de vue (et il est parfois.. ), mais j'aurais mieux vu dans le texte "maître fauconnier" ou "prouesse martiale"...
La suite !!
Au niveau de la narration, je rejoins Gilgalad, l'histoire m'a l'air de bien suivre son cours, la lecture est agréable sur le fond et sur la forme, je n'en attendais pas moins
Deux petites remarques à présent : la première est que j'aimerais un petit peu plus de descriptions/mise en ambiance, juste un petit peu plus, histoire d'étoffer un peu les nombreux dialogues... J'ai eu le même souci dans mon récit, j'essaie actuellement d'y remédier dans le second cycle
Deuxième remarque concernant un léger souci de registre employé par-ci par-là : ça ne dérange peut-être que moi, mais j'ai comme l'impression de voir des mots "intrus" dans l'univers warhammerien : "ornithologue", "challenge" ; pour le coup je crois que c'étaient les deux seuls trucs qui me piquaient la vue, quoique j'en aie vu aussi dans les textes précédents. Encore une fois, ce n'est que mon point de vue (et il est parfois.. ), mais j'aurais mieux vu dans le texte "maître fauconnier" ou "prouesse martiale"...
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- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Feu et Sang
Lun 17 Fév 2014 - 18:23
Et encore un chapitre de lu
Pour les fautes, j'ai juste vu de nouveau deux passés simples en -u (on a trouvé ta bête noire ! ). Sinon rien à signaler.
Pour le récit, c'est bien que tu ais mis un passage calme. Le fait de raconter les massacres et non pas de les décrire nous permet d'avoir l'info sans avoir à lire une énième scène de massacre. On peut faire une pause par rapport au combat de la ville. D'ailleurs, je trouve que les faire sortir de la ville était une bonne idée. Personnellement cet air de huis-clos et de tension permanente commençait à essouffler ma lecture (mais je ne suis pas contre un peu d'action dans les prochaines suites, je dis juste que cette accalmie est la bienvenue )
Vivement le mois de mars ! Euh... J'espère
Pour les fautes, j'ai juste vu de nouveau deux passés simples en -u (on a trouvé ta bête noire ! ). Sinon rien à signaler.
Pour le récit, c'est bien que tu ais mis un passage calme. Le fait de raconter les massacres et non pas de les décrire nous permet d'avoir l'info sans avoir à lire une énième scène de massacre. On peut faire une pause par rapport au combat de la ville. D'ailleurs, je trouve que les faire sortir de la ville était une bonne idée. Personnellement cet air de huis-clos et de tension permanente commençait à essouffler ma lecture (mais je ne suis pas contre un peu d'action dans les prochaines suites, je dis juste que cette accalmie est la bienvenue )
Vivement le mois de mars ! Euh... J'espère
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Ceux qui ne croient pas en la magie ne la trouveront jamais.
Re: Feu et Sang
Mer 4 Juin 2014 - 21:30
Comme prévu, je (ne) tiens absolument (pas) mon rythme ! Et c'est donc avec presque (seulement ?) quatre mois de retard sur mon horaire, et 3 sur ma rédaction déjà publiée ailleurs (honte à moi) que je suis de retour (pour vous jouer un mauvais tour).
Oui, comme d'habitude bien que la plume ai trouvé l'encrier dans les temps, je ne suis pas venu partager mes écris. Honte à moi. Mais pour citer une chouette qui vient de me redonner le moral en ces jours grisâtres : It doesn't matter. Après tout, à l'heure ou non, l'aventure continue ^^
A combattre sans périls on triomphe sans gloire ^^
Hem hem... enfin, ne nous emballons pas je tiens à mes chevilles.
2 fautes seulement ? Je m'améliore on dirait. A moins que word ai amélioré son correcteur orthographique... Enfin, je vais sûrement me prendre un retour de bâton, mais j'ai particulièrement fait attention à ma conjugaison dans ce qui suivra
Je ne sais pas vraiment quoi répondre. En toute franchise, depuis mes tout premiers textes mon point fort est justement les parties descriptives. Cela doit vouloir dire que je m'endors sur mes lauriers... j'en prends note pour la suite. De même pour ce qui concerne le vocabulaire. Bien qu'ornithologue et challenge me semblent adaptés, je vais voir à ne pas trop déborder sur les époques en ajoutant des mots que je n'ai pas déjà utilisés.
Moi aussi, l'ambiance étouffante de la ville et des souterrains commençait à me lasser, et j'avais hâte d'atteindre la Loren et les plans que j'y ai échafaudé il y a presque deux ans à présent... comme quoi...
Un de mes souhaits concernant ce chapitre, et les quelques qui vont suivre, était de respecter l'environnement dans lequel mes personnages vont évoluer. J'ai fait au mieux, et j'espère que vous approuverez mes choix ^^
Aller, à présent, place au récit.
Oui, comme d'habitude bien que la plume ai trouvé l'encrier dans les temps, je ne suis pas venu partager mes écris. Honte à moi. Mais pour citer une chouette qui vient de me redonner le moral en ces jours grisâtres : It doesn't matter. Après tout, à l'heure ou non, l'aventure continue ^^
Von Essen a écrit:des morts-vivants dans la forêt de Loren, je dis non, je leur déconseille
Gilgalad a écrit:je le déconseille aussi. Athel Loren étant encore pire qu'Ulthuan
A combattre sans périls on triomphe sans gloire ^^
Hem hem... enfin, ne nous emballons pas je tiens à mes chevilles.
2 fautes seulement ? Je m'améliore on dirait. A moins que word ai amélioré son correcteur orthographique... Enfin, je vais sûrement me prendre un retour de bâton, mais j'ai particulièrement fait attention à ma conjugaison dans ce qui suivra
Von Essen a écrit:j'aimerais un petit peu plus de descriptions/mise en ambiance
Je ne sais pas vraiment quoi répondre. En toute franchise, depuis mes tout premiers textes mon point fort est justement les parties descriptives. Cela doit vouloir dire que je m'endors sur mes lauriers... j'en prends note pour la suite. De même pour ce qui concerne le vocabulaire. Bien qu'ornithologue et challenge me semblent adaptés, je vais voir à ne pas trop déborder sur les époques en ajoutant des mots que je n'ai pas déjà utilisés.
Moi aussi, l'ambiance étouffante de la ville et des souterrains commençait à me lasser, et j'avais hâte d'atteindre la Loren et les plans que j'y ai échafaudé il y a presque deux ans à présent... comme quoi...
Un de mes souhaits concernant ce chapitre, et les quelques qui vont suivre, était de respecter l'environnement dans lequel mes personnages vont évoluer. J'ai fait au mieux, et j'espère que vous approuverez mes choix ^^
Aller, à présent, place au récit.
Chapitre 11
Un sourire s’étira sur le visage tatoué de l'elfe qui dirigeait la file. Repoussant sa capuche en arrière, il leva les yeux sur la voûte loin au-dessus. Les branches des plus hauts arbres constituaient un immense plafond à la vaste clairière, les épines des pins se mêlant aux feuilles de chênes et de bouleaux. Le ciel n'était pas visible. Mais de petites lanternes étaient accrochées dans les hauteurs et diffusaient une douce lumière ambiante. Lumière qui luisait de jour comme de nuit, faussant facilement la notion de jour et de nuit pour qui n'y était pas habitué.
Un second elfe s'approcha, partageant son émerveillement.
- A chaque fois que nous revenons je trouve cette place un peu plus belle, déclara-t-il.
- Et demain soir nous fusionnerons avec elle, répondit le premier en jetant son paquetage.
Il s'approcha de l'imposant rocher couvert de mousses qui trônait au centre de cet espace. En plusieurs bonds agiles il se retrouva au sommet et embrassa le paysage du regard. Pas une feuille morte de traînait ici. Même en automne, cette petite partie de la forêt restait comme perdue dans le printemps. C'était l'une des raisons pour lesquelles il revenait régulièrement à cet endroit.
Il remarqua la troupe qui approchait des nouveaux venus et eu un pincement résigné. Une seconde raison, moins réjouissante. Sans hésiter il se propulsa en avant et effectua un salto parfait, ses cheveux tressés fouettant l'air dans son dos nu. Il se réceptionna avec la souplesse d'un félin et s'inclina respectueusement devant l'elfe en tête de procession.
- Père, déclara-t-il simplement.
- Gailrya ma soeur, qu'il est bon de te revoir, déclara l'elfe en gratifiant celle-ci d'une vigoureuse accolade.
Celle-ci grinça des dents lorsqu'il la relâcha mais ne fit pas de commentaires sur l'étalage d'affection de son petit frère. Telle une boule lumineuse, la silhouette féminine miniature qui voletait près d'eux entreprit une descente en spirale autour des deux elfes.
- Je suis moi aussi réjouie que tu sois parmi nous, assura-t-elle en chassant distraitement le farfadet de la main. Votre tournée c'est bien déroulée ?
- Assurément, répondit-il en effectuant une pirouette rapide. Il ne pouvait pas en être autrement, la majesté de Loren coule dans nos veines. Mais dis-moi ma sœur, notre père semble mieux se porter qu'à ma précédente visite.
- Oui ces dernières années lui ont réussi, déclara-t-elle en observant son frère parcourir distraitement sa chambre.
Il acquiesça tout en s'attardant sur l'éclat de cristal posé sur une étagère. Il pivota brusquement. Ses longues mèches tressées fouettèrent son visage et ses épaules nues, provoquant une nouvelle prise de vitesse du petit esprit lumineux.
- J'ai pris plaisir à te revoir ma sœur, déclara-t-il.
Puis, sans attendre sa réaction, il virevolta en sens inverse et sortit. L'elfe resta plusieurs longues minutes, immobile, à tel point que le farfadet vint voleter près de son visage et tendit une main miniature vers les cheveux de Gailrya. Son frère était reparti aussi soudainement qu'il avait débarqué. Elle soupira, puis lorgna l'entrée avec une mine résignée.
- Moi aussi je vais bien mon frère, répondit-elle à la question qu'il n'avait pas posée.
Elle offrit le creux de sa main à l'esprit qui s'y posa et entreprit d'imiter les pirouettes de son frère. Elle eut un sourire pincé devant cette performance, puis l'invita à reprendre son envol.
Elle sortit à son tour, dévala les branches permettant d'accéder à ses appartements au cœur d'un énorme résineux, dont la variété ne poussait qu'ici en Loren. L'esprit sur les talons, elle s'élança et courut telle une enfant vers une partie moins dense de la cité sylvaine. Les arbres y étaient particulièrement hauts et robustes, mais aussi espacés. De grands morceaux de ciel bleu étaient visibles, ce qui n'était pas le cas sous la canopée d'épines de pins.
Les yeux pétillants, elle inspira à plein poumons et se dressa sur la pointe des pieds en poussant un long sifflement. Flottant au-dessus de son épaule, l'elfe intangible singeait sa posture. Il l’exagéra même en plaçant ses petites mains en porte-voix.
Quelques secondes passèrent. Puis un cri aigu lui répondit. Se glissant habilement entre les branches hautes, un magnifique rapace fit son apparition et descendit jusqu'à Gailrya. Il poussa plusieurs autres cris aigus, puis freina sa chute en battant plus vigoureusement des ailes. La bourrasque fit claquer les cheveux de la visiteuse et emporta plus loin le farfadet surpris qui effectua un roulé-boulé dans les airs.
- Anok, déclara-t-elle en s'avançant vers l'oiseau qui la toisait d'une bonne tête.
Elle posa une main amicale sur le plumage de son torse sans chercher à le caresser. Cela aurait désordonné le complexe alignement de plumes. Avec tout autant d'affection, l'oiseau majestueux entoura l'elfe de ses ailes.
Avec malice elle leva le bras et glissa la main sous une touffe de plumes à la lisière de son col. Le faucon géant gloussa de plaisir alors qu'elle lui grattait le cuir. Habituellement, ils détestaient ce genre de caresses. Mais pas lui. Il les adorait même, ce qui avait toujours amusé Gailrya.
- Bothel et sa troupe sont revenus ! lui glissa-t-elle en riant.
Le bec ouvert, Anok inclina la tête de côté, dévisageant sa compagne de ses grands yeux noirs et jaunes.
- Ils vont danser demain soir pour Mabon. J'ai hâte de voir ce qu'ils nous ont préparés pour célébrer cela !
L'oiseau tourna sa grande tête vers le farfadet qui voletait prêt de son bec, levant vers lui un index tout en le couvrant de remontrances silencieuses. Rien dans les manifestations de l'oiseau n'indiquait qu'il avait compris l'esprit ou l'elfe. En revanche il était clair qu'il appréciait les caresses prodiguées.
- Il semble plus taciturne qu'à l'accoutumée, si cela est possible, remarqua l'elfe vêtue d'une longue robe composée de rubans verts et bruns. Et je ne pense pas que les prouesses de Bothel et ses danseurs amélioreront son humeur.
Elle ajouta cette remarque avec un regard entendu envers Helion, le souverain du domaine elfique. Souverain qui pourtant se gardait bien d'approcher la créature qui évoluait pesamment sous leurs yeux.
Ils se trouvaient à quelques kilomètres du cœur de la cité elfique, à la lisière d'une partie plus sombre de la forêt, l'un des plus anciens bosquets de tout Athel Loren. A part les deux elfes, aucune créature ne venait fouler l'épais matelas d'aiguilles et de feuilles mortes constitué au fil des siècles.
- J'espère juste qu'il ne va pas à nouveau aller rôder à la lisière de la forêt, commenta Helion avec une mine détachée. S'il venait à nouveau à réduire en charpie de simples voyageurs qui longent notre forêt cela finirait par inciter les humains à s'aventurer plus profondément...
Sa voisine ne répondit pas. Elle se contentait d'observer le gardien des lieux, se déplaçant lentement entre les énormes troncs, entouré par les ombres végétales qui ne le quittaient jamais. Elle pouvait percevoir la colère qui l'animait. Même aujourd'hui qui était un jour de fêtes et réjouissances, une rage latente couvait dans le cœur de la créature.
- Gusternum n'agira pas de la sorte, l'assura l'enchanteresse. Même s'il a soif de sève écarlate, il ne fera rien de tel. Il sait que Loren en souffrirait ensuite.
- Prions Isha que vous disiez vrai.
En silence, ils restèrent cotes à cotes à observer l'esprit incarné errer dans à travers le bosquet. A la différence de ses semblables, jamais il n'était entré dans l'état végétatif, proche de l’hibernation, dans lequel ils entraient parfois pour plusieurs années. Et visiblement ce n’était pas près de se produire...
- C'est étrange, nous sommes au milieu de la journée et cette pénombre ne se dissipe pas, commenta Manesh'k en s'exposant hors de l'ombre protectrice de la canopée.
D'abord dubitatif, les deux autres partagèrent son étonnement lorsqu'ils constatèrent que la lumière n’agressait pas le mort-vivant.
- Je... n'y comprends rien, avoua l'ornithologue en le rejoignant. Assurément ce n'est pas lié à Tristofan ou Castille. Et...
- Bhaa, peu importe, coupa cours le troisième individu. Nous n'avons plus à marcher dans ces foutues broussailles. C'est le plus important.
Manesh'k échangea un regard inquiet avec Gilnash, porteur de nombreuses questions. Mais celui-ci n'avait pas plus de réponses que lui.
Luther avançait d'un pas soutenu, à la fois réjoui de ce prodige et pressé de quitter la forêt. La forêt. Manesh'k en avait traversé plus qu'il ne saurait en compter au fil des siècles. Pourtant il avait le sentiment que quelque chose n'allait pas. Que plus ils avançaient, plus le bois pesait autour d'eux, que l'atmosphère stagnait sous les branches épaisses. Ajouté à cela la désagréable impression d'être épié, que chacun de leurs faits et gestes était observés depuis qu'ils avaient franchis la pierre dressée...
Un rouge-gorge sortit des frondaisons pour voleter près d'eux, et plus particulièrement Gilnash, ce qui ne surprit personne. Ils avaient beau n'avoir croisé ou entendu que très peu d'animaux, les volatiles restaient attirés par ce lien étrange qu'avait leur frère avec ces créatures. Avec un sourire sincère, Gilnash tendit doucement le bras vers lui. L'oiseau l'étudia un instant, puis se posa sur son index avec quelques sifflets enthousiastes. Alors que Luther levait les yeux au ciel, Manesh'k partagea en silence le plaisir de leur compagnon. Il était encore trop jeune. Trop jeune pour réaliser le privilège qu'avait Gilnash de pouvoir converser aussi librement avec des inconnus, aussi modestes soient-ils. Des inconnus qui ne fuyaient pas en découvrant sa véritable nature, qui ne l’agressaient pas, ne le jugeaient pas. Ils n'en avaient cure, étaient simplement heureux de partager un peu de leur temps. Secrètement il enviait ce don qu'avait le vampire...
- Encore un embranchement, soupira Luther, ce qui le tira de ses pensées.
Cherchant le soleil du regard, il ajouta avec ironie :
- Je n'aurais pas cru un jour avoir à nouveau à le chercher pour m'orienter...
Puis, ayant trouvé l'astre malgré le voile qui les en protégeait, il partit sur le chemin opposé, vers l'Ouest.
- Attends Luther, le stoppa Gilnash en fronçant les sourcils.
Celui-ci était visiblement en pleine discussion avec son ami à plumes.
- Désolé j'ai pas de graines à lui do...
- Prenons l'autre sentier, coupa-t-il leur cadet avec une mine préoccupée.
- Corrige-moi si je me trompe, mais les duchés, c'est à l'Ouest et le plus court chemin c'est la ligne droite. Vous y avez bien déjà été non ?
- Il y a longtemps, en passant par l'Anguille, précisa Manesh'k qui ne discutait plus ce genre d'indications de Gilnash depuis bien des années.
Luther fini par pousser un nouveau soupir, mais s'engagea tout de même dans la direction indiquée. Durant plusieurs heures ils marchèrent dans la même direction. L'oiseau ne quitta pas Gilnash, celui-ci affichant une mine de plus en plus sombre comme ils s'enfonçaient dans l'épaisse forêt.
- Un instant, finit-il par les arrêter, observant le sous-bois avec intensité.
- Que...
- Suivez-moi, reprit-il brutalement en reprenant sa marche, droit dans les broussailles.
Perplexes, les deux vampires s'attardèrent un instant sur les alentours, incapables de déterminer ce qu'avait vu leur ami. Luther fini par hausser les épaules et lui emboîta le pas avant qu’ils ne soient distancés.
Manesh'k resta interdit en remarquant un détail que Luther n'avait pas noté. Alors qu'ils progressaient dans la même direction depuis l'embranchement, le soleil couchant était à nouveau face à eux.
La troupe de danseurs enchaînait gracieusement les acrobaties. Ils rebondissaient sur le promontoire et se projetaient mutuellement en l'air pour gagner en détente avant de se réceptionner avec adresse. Autour d'eux la presque totalité de la cité était rassemblée, savourant le festin de pommes, noix et autres fruits secs. Mabon, l'équinoxe d'automne, était une fête annuelle célébrée ici uniquement. Les autres cité, plus au sud, se préparaient à l'hiver à venir et entraient dans un état léthargique suite à la fin de la Chasse Sauvage. Mais ici, au nord de Loren, les résineux ne perdaient pas leurs aiguilles et la vie ne suivait pas le même rythme que le reste de la forêt.
Captant une fluctuation au sein des bois, l'enchanteresse se tourna lentement vers la lisière de la cité. Quelque chose n'allait pas. Elle s'excusa brièvement auprès de ses voisins vêtus de bruns et d'orange, puis s'éloigna du spectacle de quelques pas.
Chaque jour ou presque des humains ou des nains dépassaient les pierres gardiennes qui délimitaient le domaine d'Athel Loren. Plus rarement, des aberrations du nord, des peau-vertes ou des adeptes des forces de la ruine. Plus rarement encore des mort-vivants. Lorsque ces intrus étaient peu nombreux, l'ancienne forêt les ramenait sur leurs pas sans qu'ils s'en rendent compte. Si des esprits gardiens se trouvaient dans les parages jamais ils ne quittaient le couvert des arbres.
Le matin-même, elle avait perçu l'approche des créatures contre-nature. Des pantins animés par la nécromancie, pas plus de deux ou trois. Elle avait senti la forêt retracer ses sentier pour les faire quitter son sein aussi vite que possible, aucun gardien n'étant proche de leur position. Gusternuum, le colosse végétal, devait l'avoir également senti. Probablement était-ce la raison de sa colère matinale : ces créatures étaient hors de sa portée et auraient quitté les lieux avant qu'il ne puisse les atteindre. Mais force était de constater qu'elles étaient toujours présentes. Pire. Elles progressaient de plus en plus profondément vers le cœur de Loren.
- Warda ? Il y a un problème ?
L'enchanteresse fit face à la jeune elfe, la fille d'Helion. Celle-ci avait perçu son trouble. Le farfadet qui ne la quittait jamais imitait sa posture inquiète, posté sur son épaule.
- Je crois que oui.
- Cette fichue forêt n'en finira donc jamais ! s'exclama Luther qui écarta sans ménagement un arbuste de son chemin.
Tout comme le cadet, Manesh'k commençait à se lasser de cette pénombre constante. Il en aurait presque regretté cet étrange soleil qui les éclairait quelques heures plus tôt. Car cela faisait plusieurs heures qu'ils progressaient difficilement dans les fougères, ronces et autre végétaux, évoluant entre des arbres de plus en plus volumineux. Des résineux pour la plupart, si bien que d’épais matelas d'aiguilles leurs dissimulaient fréquemment des racines sur lesquelles ils venaient trébucher.
Brusquement ils débouchèrent dans une trouée, les arbres et fougères disparaissant soudain pour laisser place à une herbe sauvage. Luther faillit chuter de surprise tant il avait enjambé de racines noueuses au cours de la soirée. Ébahis, tous les trois clignèrent un instant des yeux. Même Gilnash n'y comprenait rien. La seconde précédente le sous-bois et sa voûte de branches impénétrables s'étendait à perte de vue et à présent ils marchaient sous le ciel étoilé.
- Je... n'y comprends rien, déclara simplement l'ornithologue en cherchant ses mots. Il y a quelques pas nous étions... et maintenant nous sommes...
- Ce n'est pas naturel, commenta Manesh'k qui balaya la clairière du regard.
Celle-ci était vaste, plusieurs chaumières auraient pu y tenir aisément. Sur tout son contour la forêt laissait soudainement place aux herbes folles. Les brins leurs arrivaient mi-cuisses.
Au centre de l'espace déboisé trônaient plusieurs immenses pierres dressées, plus imposantes encore que celle qu'ils avaient dépassée en entrant dans le bois. Les menhirs, polis par les siècles, étaient plantés en un arc de cercle qui leur était opposé. Les trois mort-vivants s'approchèrent prudemment, étudiant autant l'antique monument que les ombres des conifères les entourant. De l'autre côté des pierres se trouvaient deux autres rochers sur lesquels un vaste plateau de roc était posé.
- Un... dolmen ? Ici ? commenta Luther.
Et de près de quatre mètres de haut, songea Manesh'k en croisant les bras. Tout ceci le laissait perplexe. A présent il était clairement évident qu'une magie était à l'œuvre ici. Une magie ancienne. Peut-être plus encore que Gilnash et lui ne l'étaient. Il ferma les yeux et concentra toute son attention en lui-même, fit totalement abstraction de son environnement. Il chercha quelques secondes dans les souvenirs dérobés à Castille et ses courtes expériences la sensation désirée. Avec un sourire satisfait il parvint à la retrouver. Le vampire s'ouvrit aux vents en même temps qu'il rouvrait les yeux. Le courant qui le frappa soudain fut si violent qu'il le fit chuter en arrière.
- Manesh'k !
Bouche-bé, il repoussa sans vraiment y faire attention la main que lui tendait son frère, un masque d'inquiétude peint sur le visage. Depuis qu'ils avaient arrachés ses pouvoirs à Castille, lui et Luther étaient capables de ressentir, voire discerner, les vents de magie. Pas aussi intensément que dans les heures qui avaient suivi la mort de la nécromancienne, et il n'avait pas la maîtrise dont son cadet faisait preuve. Il luttait pour conserver ce don, être capable de manipuler les vents, ses sensations s'amenuisant comme le pouvoir de Castille se dissipait en lui. Et là... En s'ouvrant à ces vents, il venait de prendre conscience qu'il baignait littéralement dedans. Sous son regards écarlate, les vents invisibles tourbillonnaient furieusement, le griffaient presque de leurs serres éthérées. Ils tourbillonnaient dans toute la clairière, rasant sa lisière, avant de s'enrouler autour des piliers et fuser droit dans les airs. En levant les yeux il les vit retomber ici et là au loin, se dispersant au-delà de son champ de vision.
- Qu'est-ce qu'il a ? s'inquiéta Luther de l'état apathique de son aîné.
- Il admire, répondit simplement Gilnash avec un sourire amusé.
- Admirer quoi ? l'interrogea-t-il avec un regard suspicieux.
- La majesté des vents. Prends la peine de t'y ouvrir et tu constateras cela par toi-même.
- C'est pas... dangereux ?
- Vu ses compétences, pas vraiment. Avec un pouvoir plus imposant il pourrait risquer de s'y noyer. Mais vu ses... talents en la matière il peut s'estimer heureux de pouvoir les apprécier.
- …Ah, répondit juste Luther.
Laissant là un Manesh'k quelque peu égaré dans sa contemplation, Luther et Gilnash s'approchèrent du cairn d'un pas tranquille. Tous deux en firent le tour, étudiant le granit dressé depuis des lustres.
- Crois-tu qu'ils aient été dressés par des hommes ? interrogea Luther.
- Honnêtement ? J'en doute, répondit franchement l'ornithologue. Ils m'ont l'air bien plus ancien. Quant à la magie qui coule à travers eux, elle est... comment dire...
- Sauvage ?
- Effectivement, approuva-t-il en s'approchant.
Il tendit le bras et effleura la roche du bout des doigts. Il ne fut pas surpris par le léger picotement qui remonta le long de son poignet. De la magie brute s'écoulait ici et dans toute cette étrange forêt.
Un remous attira l'attention de Manesh'k vers ses compagnons comme son frère entrait en contact avec le pilier du dolmen. Au-dessus du plateau plusieurs chatoiements d'énergie se matérialisèrent en agglomérant des particules du flux principal. De plus en plus étonné par ce lieu, il s'approcha de ses compagnons, les yeux rivés sur les amalgames iridescents au sein des vents de magie.
- Les gars...
Tous deux se tournèrent vers lui, puis découvrirent avec étonnement la manifestation en suivant son regard. L'air ondulait comme une surface d'eau troublée par un projectile. Le tissu de la réalité se distordait et laissait progressivement place à trois petites formes, mi-matérielles mi-éthérées.
- Qu'est-ce que c'est que ça, murmura Luther comme les apparitions descendaient à eux.
Elles s'immobilisèrent entre les trois morts-vivants, nimbées de halos de lumières chatoyantes jaunes et vertes. L'une d'elle flotta tranquillement vers Luther qui eut un mouvement de recul, mais ne leva pas la main lorsque l'entité commença simplement à onduler autours de lui sans l’agresser. De même, les deux autres s'approchèrent d'un Manesh'k dont la vision des courants se superposait à celle de la réalité. La première tournoya doucement autour de ses hanches, la seconde le long de son bras. Il leva celui-ci jusqu'à ce que l'esprit follet s'immobilise au creux de sa main.
Grace à sa double vision il pouvait parfaitement scruter la véritable apparence de la créature qui l'observait avec tout autant de curiosité. Hormis le tourbillon de lumière et de douces étincelles qui l'entourait, cette chose avait l'aspect d'une femme d'une quinzaine de centimètres dans le plus simple appareil. Non, pas une femme, réalisa-t-il comme elle se penchait en avant pour étudier son visage, ses cheveux translucides tombant sur sa poitrine. Une elfe.
Il baissa les yeux sur le second esprit qui remontait tranquillement le long de son épaule. Celui-ci avait une toute autre apparence. Des bras simiesques étaient rattachés à un corps qu'il aurait qualifié de batracien dans les proportions de son torse et ses membres inférieurs. Sauf que ses épaules et son dos étaient recouverts de piquants comme ceux d'un hérisson. Sa face était celle d'un renard dont il aurait écrasé le museau... Pour autant, même en comparaison avec le premier, il ne répugnait pas le vampire.
- Gilnash, appela-t-il sans cesser d'observer ses deux curieux. Que sont-ils ?
- Je n'en ai pas la moindre idée, avoua le concerné qui observait le compagnon de Luther, une sorte d'écureuil dépourvu de fourrure hormis sur la queue et doté d'ailes de libellule qui flottait au-dessus du front du cadet.
- Ils sont magnifiques, souffla le fils de Walach.
Manesh'k leva le second bras, un esprit dans chaque paume à présent. Quel était cet endroit qui recelait de si étranges créatures ?
Tous les trois pivotèrent brusquement lorsque le trait fusa, frôlant Manesh'k qui s'écarta de justesse. Aussitôt l'attitude des créatures changea comme ils bondissaient en retrait. Les cheveux de l'elfe se dressèrent sur son crâne et ses doigts se muèrent en griffes démesurées pour sa petite taille. Les piquants du second se redressèrent sur son dos, le transformant en véritable boule de pointes. Quant à l'écureuil, sa mâchoire devint aussitôt d'une ressemblance frappante avec celle des sanguinaires alors que ses ailes se recouvraient de cuir, ressemblant à présent à celles de chauve-souris. Mais ce n'était pas les trois esprits vers lesquels étaient tournés les morts-vivants : une bonne dizaine d'autres flèches jaillirent des sous-bois sans aucune sommation. Doués de réflexes dépassant de loin ceux des mortels, ils roulèrent à l’abri des menhirs de granit sans être touchés.
- Je ne les sens pas ! s'écria Luther, le front ouvert par un trait mieux ajusté que les autres.
- Ne te fies pas à ton odorat ! lui intima Manesh'k en fermant les yeux.
Repoussant vigoureusement l'état d'hébétude qui lui avait permis de communier avec le lieu, il s'imposa au calme. Ils ne les sentaient pas. Mais il était un détail qui ne trompait jamais les vampires. Un peu moins d'une dizaine de battements de cœurs était embusquée dans les fourrés. Il les entendait battre à ses oreilles, le doute d'avoir raté des proies si faciles venant bousculer leur assurance avec une légère accélération. Il rouvrit les yeux en souriant, la main sur le pommeau de son épée.
- Ne tuez aucun d'entre eux ! leur ordonna tout à coup Gilnash, un soupçon d'inquiétude dans la voix.
- Pardon ?
- Fais juste ce que je te dis ! insista-t-il auprès du cadet, agenouillé à ses côté sous le couvert du même menhir.
- On va encore en payer le prix avec ces conneries, grinça-t-il en jaillissant sans prévenir.
D'un bond, Manesh'k fut sur ses talons, Gilnash s'élançant en parallèle à quelques mètres d'eux.
Il encocha une nouvelle flèche d’un geste fluide et la décocha en prenant à peine le temps d’aligner sa cible. Ces créatures se mouvaient beaucoup trop vite pour n’être que de simples humains ! Il crispa la mâchoire en constatant que son trait avait encore raté l’envahisseur. Mais du coin de l’œil il remarqua qu’un de ses voisins avait eu plus de chance. Le choc de l’impact rejeta en arrière l’inconnu en armure qui s’étala dans les hautes herbes et disparut de son champ de vision, stoppé net en pleine charge.
Plus que deux, songea-t-il en décochant un nouveau trait que l’autre évita à nouveau de justesse ! Alors qu’il tirait une cinquième empenne de son carquois, son sang ne fit qu’un tour en apercevant le reflet métallique. Il plongea de côté et esquiva la dague qui se ficha dans le tronc de l’arbre dans son dos. Il se redressa en levant son arc, mais c’était désormais trop tard : un gantelet métallique le cueillit à la pommette et le projeta de côté.
- Des Elfes ! s’écria Luther après un bref regard à sa victime allongée dans les fougères.
Il plongea en avant sous une nouvelle flèche qui siffla dans ses cheveux et se retrouva sous ce nouvel ennemi. Il avait déjà lâché son arc et avait la main sur l’épée courte accrochée à sa hanche. Le mort-vivant fut toutefois plus vif. Il se redressa en tirant son épée du fourreau et asséna un coup de pommeau à la mâchoire de l’Elfe qui lâcha un craquement sinistre avant qu’il ne s’effondre.
Le vampire balaya le sous-bois du regard. Gilnash repoussait un autre opposant avec plusieurs giclées écarlates et laissait déjà dans son sillage trois autres corps. Pour quelqu’un qui ne souhaitait pas tuer ses ennemis il avait la main bien lourde… Un battement de cœur, beaucoup trop proche, le fit brusquement pivoter. Luther happa au vol le poignet de ce nouvel agresseur de sa main libre, l’empêchant de porter son coup d’épée. Il tenait une dague dans son autre main qu’il levait à son tour pour poignarder le flanc exposé du vampire à la garde croisée. Mais il en fallait davantage pour déstabiliser le mort-vivant qui frappa violemment les côtes de son adversaire, protégées par un léger pourpoint qui n’absorba pas vraiment le choc. L’Elfe hoqueta sous le choc et son coup perdit toute puissance, crissant sur l’épaulière d’acier de Luther sans plus de dommages. Il relâcha son poignet et le gifla avec force de son gantelet ce qui l’en débarrassa définitivement.
Luther pivota à nouveau mais fut cette fois prit de vitesse. La lame elfique l’écorcha de l’oreille à l’épaule avant de glisser sur son colletin avec quelques étincelles. Il poussa un juron puis glapit de surprise lorsque la seconde épée le frappa au bassin en arrachant une sangle d’armure. Il roula au sol et ne perdit pas un instant pour prendre ses distances. Ce nouvel ennemi le jaugea du regard, ses lames jumelles pointées vers le mort-vivant. Le vampire poussa un grognement méprisant tout en tâtant sa gorge. Il survivrait mais cette escarmouche lui laisserait une sacrée cicatrice. Avec un cri de guerre l’elfe chargea et au dernier moment tourbillonna sur lui-même, s’entourant d’un périmètre acéré et infranchissable. Avec des mouvements flous il se retrouva face à Luther et referma ses deux lames sur son cou, tel un ciseau géant. Mais son ballet fut stoppé net par l’épée du mort-vivant qui, pointe vers le bas, happa les deux armes dans sa garde et emporta les trois lames vers le sol. La stupeur était visible sur la face de l’elfe lorsque sa joue vint à son tour s’écraser contre le poing du vampire.
Il s’appuya contre un tronc en se relevant. Le sol ondulait autour de lui et la brulure de sa pommette ouverte lui faisait plisser l’œil.
- Ça s’appelle un Quillon sale bouffeur de salade ! entendit-il une voix crier.
A tâtons il retrouva son arc, puis lentement encocha une nouvelle flèche. Il inspira profondément et attendit une seconde que l’univers ne cesse de bouger, puis pivota précautionneusement. L’intrus était au-dessus d’un de ses camarades inconscients et continuait de l’insulter en faisant preuve d’une imagination douteuse. Il leva calmement son arc et le mit en joue. Un choc soudain à l’extrémité du manche dévia le trait qui siffla à un pouce du mort-vivant qui fit un bond de côté, surprit. L’elfe découvrit le premier ennemi à être tombé durant la charge, une flèche fichée dans l’épaulière. Celui-ci brisa la partie de l’arc qu’il avait en main d’une torsion du poignet avant d’envoyer l’elfe tenace rejoindre ses compagnons.
- Je l’avais vu, déclara Luther en relevant le menton avec assurance.
- Je n’en doute pas un instant, répondit juste Manesh’k en arrachant la flèche.
Il grimaça mais n’ajouta aucun juron. L’archer avait réussi à trouver une faille entre la cuirasse et l’épaulière. De plus la pointe était barbelée d’après la vive douleur qu’il ressentait à présent…
Gilnash se présenta à son tour. Plusieurs traits sanglants tâchaient sa tenue de soldat patrouilleur. Alors que le cadet ouvrait la bouche l’ornithologue devança sa remarque :
- Aucun commentaire. Il n’est pas mort. Et je n’avais pas le choix.
Luther se reprit puis leva les deux mains en signe de capitulation avant d’aller ramasser son arme.
- Des elfes ? Ici ? souleva tout de même Manesh’k après un instant.
- Peuh, ici ou ailleurs…
Se faisant, Luther qualifia l’épéiste d’un coup de botte bien sentit comme Gilnash étudiait le champ de bataille.
- Neuf, compta-t-il. Trop peu pour être un détachement et trop pour être de simples voyageurs.
- Une patrouille ? posa Manesh’k comme hypothèse.
Ce à quoi Gilnash hocha de la tête. Alors qu’ils se remettaient de leurs émotions, les trois farfadets refirent leur apparition, flottant entre les corps étendus. Celui de l’elfe et de l’écureuil ailé s’attardèrent près d’eux, jetant des regards noirs aux morts-vivants. Toutefois ils ne les agressèrent pas, se contentant d’aller de corps en corps.
- Tu as eu vent de tout ceci ? interrogea Manesh’k en faisant référence aux conversations de son ami avec les divers oiseaux rencontrés dans la journée.
- C’était confus dans leurs esprits, mais plusieurs d’entre eux ont déjà aperçu des elfes dans ces bois.
- T’aurais pu nous en parler plus tôt, reprocha Luther vers qui flottait la troisième créature éthérée.
Celle-ci désignait le vampire de ses bras trop grands pour son corps, les piquants de son dos ondulant à chaque mouvement. Elle croassait en silence, semblant injurier le combattant.
- C’est quoi ton problème à toi ? poussa-t-il avec mépris en gratifiant le farfadet d’une grimace de son cru.
La créature eu un mouvement de recul et cligna plusieurs fois des yeux, béate. Avant de revenir vers lui et reprendre son manège.
- Bon écoute je…
Tous les trois pivotèrent d’un bloc lorsque la branche morte craqua, dégainant déjà leurs lames. Mais il ne s’agissait là que d’un cerf, à une quinzaine de mètres. Il les observait, immobile. Ses ramures culminaient largement au-dessus des deux mètres de hauteur. Tous les quatre se considérèrent quelques secondes en silence, jusqu’à ce que Gilnash ne prenne la parole.
- Nous sommes encore loin des duchés. Ne restons pas ici. Plus vite nous laisserons ces bois derrière nous mieux nous nous porterons.
Ses deux compagnons acquiescèrent. Ils quittèrent les lieux sans tarder, laissant là leurs agresseurs inconscients et l’animal majestueux qui étonnamment ne semblait pas effrayé. Toutefois, à la surprise générale, la créature aux piquants s’entêta à importuner Luther et les suivit hors de la clairière aux monolithes.
Un second elfe s'approcha, partageant son émerveillement.
- A chaque fois que nous revenons je trouve cette place un peu plus belle, déclara-t-il.
- Et demain soir nous fusionnerons avec elle, répondit le premier en jetant son paquetage.
Il s'approcha de l'imposant rocher couvert de mousses qui trônait au centre de cet espace. En plusieurs bonds agiles il se retrouva au sommet et embrassa le paysage du regard. Pas une feuille morte de traînait ici. Même en automne, cette petite partie de la forêt restait comme perdue dans le printemps. C'était l'une des raisons pour lesquelles il revenait régulièrement à cet endroit.
Il remarqua la troupe qui approchait des nouveaux venus et eu un pincement résigné. Une seconde raison, moins réjouissante. Sans hésiter il se propulsa en avant et effectua un salto parfait, ses cheveux tressés fouettant l'air dans son dos nu. Il se réceptionna avec la souplesse d'un félin et s'inclina respectueusement devant l'elfe en tête de procession.
- Père, déclara-t-il simplement.
- Gailrya ma soeur, qu'il est bon de te revoir, déclara l'elfe en gratifiant celle-ci d'une vigoureuse accolade.
Celle-ci grinça des dents lorsqu'il la relâcha mais ne fit pas de commentaires sur l'étalage d'affection de son petit frère. Telle une boule lumineuse, la silhouette féminine miniature qui voletait près d'eux entreprit une descente en spirale autour des deux elfes.
- Je suis moi aussi réjouie que tu sois parmi nous, assura-t-elle en chassant distraitement le farfadet de la main. Votre tournée c'est bien déroulée ?
- Assurément, répondit-il en effectuant une pirouette rapide. Il ne pouvait pas en être autrement, la majesté de Loren coule dans nos veines. Mais dis-moi ma sœur, notre père semble mieux se porter qu'à ma précédente visite.
- Oui ces dernières années lui ont réussi, déclara-t-elle en observant son frère parcourir distraitement sa chambre.
Il acquiesça tout en s'attardant sur l'éclat de cristal posé sur une étagère. Il pivota brusquement. Ses longues mèches tressées fouettèrent son visage et ses épaules nues, provoquant une nouvelle prise de vitesse du petit esprit lumineux.
- J'ai pris plaisir à te revoir ma sœur, déclara-t-il.
Puis, sans attendre sa réaction, il virevolta en sens inverse et sortit. L'elfe resta plusieurs longues minutes, immobile, à tel point que le farfadet vint voleter près de son visage et tendit une main miniature vers les cheveux de Gailrya. Son frère était reparti aussi soudainement qu'il avait débarqué. Elle soupira, puis lorgna l'entrée avec une mine résignée.
- Moi aussi je vais bien mon frère, répondit-elle à la question qu'il n'avait pas posée.
Elle offrit le creux de sa main à l'esprit qui s'y posa et entreprit d'imiter les pirouettes de son frère. Elle eut un sourire pincé devant cette performance, puis l'invita à reprendre son envol.
Elle sortit à son tour, dévala les branches permettant d'accéder à ses appartements au cœur d'un énorme résineux, dont la variété ne poussait qu'ici en Loren. L'esprit sur les talons, elle s'élança et courut telle une enfant vers une partie moins dense de la cité sylvaine. Les arbres y étaient particulièrement hauts et robustes, mais aussi espacés. De grands morceaux de ciel bleu étaient visibles, ce qui n'était pas le cas sous la canopée d'épines de pins.
Les yeux pétillants, elle inspira à plein poumons et se dressa sur la pointe des pieds en poussant un long sifflement. Flottant au-dessus de son épaule, l'elfe intangible singeait sa posture. Il l’exagéra même en plaçant ses petites mains en porte-voix.
Quelques secondes passèrent. Puis un cri aigu lui répondit. Se glissant habilement entre les branches hautes, un magnifique rapace fit son apparition et descendit jusqu'à Gailrya. Il poussa plusieurs autres cris aigus, puis freina sa chute en battant plus vigoureusement des ailes. La bourrasque fit claquer les cheveux de la visiteuse et emporta plus loin le farfadet surpris qui effectua un roulé-boulé dans les airs.
- Anok, déclara-t-elle en s'avançant vers l'oiseau qui la toisait d'une bonne tête.
Elle posa une main amicale sur le plumage de son torse sans chercher à le caresser. Cela aurait désordonné le complexe alignement de plumes. Avec tout autant d'affection, l'oiseau majestueux entoura l'elfe de ses ailes.
Avec malice elle leva le bras et glissa la main sous une touffe de plumes à la lisière de son col. Le faucon géant gloussa de plaisir alors qu'elle lui grattait le cuir. Habituellement, ils détestaient ce genre de caresses. Mais pas lui. Il les adorait même, ce qui avait toujours amusé Gailrya.
- Bothel et sa troupe sont revenus ! lui glissa-t-elle en riant.
Le bec ouvert, Anok inclina la tête de côté, dévisageant sa compagne de ses grands yeux noirs et jaunes.
- Ils vont danser demain soir pour Mabon. J'ai hâte de voir ce qu'ils nous ont préparés pour célébrer cela !
L'oiseau tourna sa grande tête vers le farfadet qui voletait prêt de son bec, levant vers lui un index tout en le couvrant de remontrances silencieuses. Rien dans les manifestations de l'oiseau n'indiquait qu'il avait compris l'esprit ou l'elfe. En revanche il était clair qu'il appréciait les caresses prodiguées.
- Il semble plus taciturne qu'à l'accoutumée, si cela est possible, remarqua l'elfe vêtue d'une longue robe composée de rubans verts et bruns. Et je ne pense pas que les prouesses de Bothel et ses danseurs amélioreront son humeur.
Elle ajouta cette remarque avec un regard entendu envers Helion, le souverain du domaine elfique. Souverain qui pourtant se gardait bien d'approcher la créature qui évoluait pesamment sous leurs yeux.
Ils se trouvaient à quelques kilomètres du cœur de la cité elfique, à la lisière d'une partie plus sombre de la forêt, l'un des plus anciens bosquets de tout Athel Loren. A part les deux elfes, aucune créature ne venait fouler l'épais matelas d'aiguilles et de feuilles mortes constitué au fil des siècles.
- J'espère juste qu'il ne va pas à nouveau aller rôder à la lisière de la forêt, commenta Helion avec une mine détachée. S'il venait à nouveau à réduire en charpie de simples voyageurs qui longent notre forêt cela finirait par inciter les humains à s'aventurer plus profondément...
Sa voisine ne répondit pas. Elle se contentait d'observer le gardien des lieux, se déplaçant lentement entre les énormes troncs, entouré par les ombres végétales qui ne le quittaient jamais. Elle pouvait percevoir la colère qui l'animait. Même aujourd'hui qui était un jour de fêtes et réjouissances, une rage latente couvait dans le cœur de la créature.
- Gusternum n'agira pas de la sorte, l'assura l'enchanteresse. Même s'il a soif de sève écarlate, il ne fera rien de tel. Il sait que Loren en souffrirait ensuite.
- Prions Isha que vous disiez vrai.
En silence, ils restèrent cotes à cotes à observer l'esprit incarné errer dans à travers le bosquet. A la différence de ses semblables, jamais il n'était entré dans l'état végétatif, proche de l’hibernation, dans lequel ils entraient parfois pour plusieurs années. Et visiblement ce n’était pas près de se produire...
- C'est étrange, nous sommes au milieu de la journée et cette pénombre ne se dissipe pas, commenta Manesh'k en s'exposant hors de l'ombre protectrice de la canopée.
D'abord dubitatif, les deux autres partagèrent son étonnement lorsqu'ils constatèrent que la lumière n’agressait pas le mort-vivant.
- Je... n'y comprends rien, avoua l'ornithologue en le rejoignant. Assurément ce n'est pas lié à Tristofan ou Castille. Et...
- Bhaa, peu importe, coupa cours le troisième individu. Nous n'avons plus à marcher dans ces foutues broussailles. C'est le plus important.
Manesh'k échangea un regard inquiet avec Gilnash, porteur de nombreuses questions. Mais celui-ci n'avait pas plus de réponses que lui.
Luther avançait d'un pas soutenu, à la fois réjoui de ce prodige et pressé de quitter la forêt. La forêt. Manesh'k en avait traversé plus qu'il ne saurait en compter au fil des siècles. Pourtant il avait le sentiment que quelque chose n'allait pas. Que plus ils avançaient, plus le bois pesait autour d'eux, que l'atmosphère stagnait sous les branches épaisses. Ajouté à cela la désagréable impression d'être épié, que chacun de leurs faits et gestes était observés depuis qu'ils avaient franchis la pierre dressée...
Un rouge-gorge sortit des frondaisons pour voleter près d'eux, et plus particulièrement Gilnash, ce qui ne surprit personne. Ils avaient beau n'avoir croisé ou entendu que très peu d'animaux, les volatiles restaient attirés par ce lien étrange qu'avait leur frère avec ces créatures. Avec un sourire sincère, Gilnash tendit doucement le bras vers lui. L'oiseau l'étudia un instant, puis se posa sur son index avec quelques sifflets enthousiastes. Alors que Luther levait les yeux au ciel, Manesh'k partagea en silence le plaisir de leur compagnon. Il était encore trop jeune. Trop jeune pour réaliser le privilège qu'avait Gilnash de pouvoir converser aussi librement avec des inconnus, aussi modestes soient-ils. Des inconnus qui ne fuyaient pas en découvrant sa véritable nature, qui ne l’agressaient pas, ne le jugeaient pas. Ils n'en avaient cure, étaient simplement heureux de partager un peu de leur temps. Secrètement il enviait ce don qu'avait le vampire...
- Encore un embranchement, soupira Luther, ce qui le tira de ses pensées.
Cherchant le soleil du regard, il ajouta avec ironie :
- Je n'aurais pas cru un jour avoir à nouveau à le chercher pour m'orienter...
Puis, ayant trouvé l'astre malgré le voile qui les en protégeait, il partit sur le chemin opposé, vers l'Ouest.
- Attends Luther, le stoppa Gilnash en fronçant les sourcils.
Celui-ci était visiblement en pleine discussion avec son ami à plumes.
- Désolé j'ai pas de graines à lui do...
- Prenons l'autre sentier, coupa-t-il leur cadet avec une mine préoccupée.
- Corrige-moi si je me trompe, mais les duchés, c'est à l'Ouest et le plus court chemin c'est la ligne droite. Vous y avez bien déjà été non ?
- Il y a longtemps, en passant par l'Anguille, précisa Manesh'k qui ne discutait plus ce genre d'indications de Gilnash depuis bien des années.
Luther fini par pousser un nouveau soupir, mais s'engagea tout de même dans la direction indiquée. Durant plusieurs heures ils marchèrent dans la même direction. L'oiseau ne quitta pas Gilnash, celui-ci affichant une mine de plus en plus sombre comme ils s'enfonçaient dans l'épaisse forêt.
- Un instant, finit-il par les arrêter, observant le sous-bois avec intensité.
- Que...
- Suivez-moi, reprit-il brutalement en reprenant sa marche, droit dans les broussailles.
Perplexes, les deux vampires s'attardèrent un instant sur les alentours, incapables de déterminer ce qu'avait vu leur ami. Luther fini par hausser les épaules et lui emboîta le pas avant qu’ils ne soient distancés.
Manesh'k resta interdit en remarquant un détail que Luther n'avait pas noté. Alors qu'ils progressaient dans la même direction depuis l'embranchement, le soleil couchant était à nouveau face à eux.
La troupe de danseurs enchaînait gracieusement les acrobaties. Ils rebondissaient sur le promontoire et se projetaient mutuellement en l'air pour gagner en détente avant de se réceptionner avec adresse. Autour d'eux la presque totalité de la cité était rassemblée, savourant le festin de pommes, noix et autres fruits secs. Mabon, l'équinoxe d'automne, était une fête annuelle célébrée ici uniquement. Les autres cité, plus au sud, se préparaient à l'hiver à venir et entraient dans un état léthargique suite à la fin de la Chasse Sauvage. Mais ici, au nord de Loren, les résineux ne perdaient pas leurs aiguilles et la vie ne suivait pas le même rythme que le reste de la forêt.
Captant une fluctuation au sein des bois, l'enchanteresse se tourna lentement vers la lisière de la cité. Quelque chose n'allait pas. Elle s'excusa brièvement auprès de ses voisins vêtus de bruns et d'orange, puis s'éloigna du spectacle de quelques pas.
Chaque jour ou presque des humains ou des nains dépassaient les pierres gardiennes qui délimitaient le domaine d'Athel Loren. Plus rarement, des aberrations du nord, des peau-vertes ou des adeptes des forces de la ruine. Plus rarement encore des mort-vivants. Lorsque ces intrus étaient peu nombreux, l'ancienne forêt les ramenait sur leurs pas sans qu'ils s'en rendent compte. Si des esprits gardiens se trouvaient dans les parages jamais ils ne quittaient le couvert des arbres.
Le matin-même, elle avait perçu l'approche des créatures contre-nature. Des pantins animés par la nécromancie, pas plus de deux ou trois. Elle avait senti la forêt retracer ses sentier pour les faire quitter son sein aussi vite que possible, aucun gardien n'étant proche de leur position. Gusternuum, le colosse végétal, devait l'avoir également senti. Probablement était-ce la raison de sa colère matinale : ces créatures étaient hors de sa portée et auraient quitté les lieux avant qu'il ne puisse les atteindre. Mais force était de constater qu'elles étaient toujours présentes. Pire. Elles progressaient de plus en plus profondément vers le cœur de Loren.
- Warda ? Il y a un problème ?
L'enchanteresse fit face à la jeune elfe, la fille d'Helion. Celle-ci avait perçu son trouble. Le farfadet qui ne la quittait jamais imitait sa posture inquiète, posté sur son épaule.
- Je crois que oui.
- Cette fichue forêt n'en finira donc jamais ! s'exclama Luther qui écarta sans ménagement un arbuste de son chemin.
Tout comme le cadet, Manesh'k commençait à se lasser de cette pénombre constante. Il en aurait presque regretté cet étrange soleil qui les éclairait quelques heures plus tôt. Car cela faisait plusieurs heures qu'ils progressaient difficilement dans les fougères, ronces et autre végétaux, évoluant entre des arbres de plus en plus volumineux. Des résineux pour la plupart, si bien que d’épais matelas d'aiguilles leurs dissimulaient fréquemment des racines sur lesquelles ils venaient trébucher.
Brusquement ils débouchèrent dans une trouée, les arbres et fougères disparaissant soudain pour laisser place à une herbe sauvage. Luther faillit chuter de surprise tant il avait enjambé de racines noueuses au cours de la soirée. Ébahis, tous les trois clignèrent un instant des yeux. Même Gilnash n'y comprenait rien. La seconde précédente le sous-bois et sa voûte de branches impénétrables s'étendait à perte de vue et à présent ils marchaient sous le ciel étoilé.
- Je... n'y comprends rien, déclara simplement l'ornithologue en cherchant ses mots. Il y a quelques pas nous étions... et maintenant nous sommes...
- Ce n'est pas naturel, commenta Manesh'k qui balaya la clairière du regard.
Celle-ci était vaste, plusieurs chaumières auraient pu y tenir aisément. Sur tout son contour la forêt laissait soudainement place aux herbes folles. Les brins leurs arrivaient mi-cuisses.
Au centre de l'espace déboisé trônaient plusieurs immenses pierres dressées, plus imposantes encore que celle qu'ils avaient dépassée en entrant dans le bois. Les menhirs, polis par les siècles, étaient plantés en un arc de cercle qui leur était opposé. Les trois mort-vivants s'approchèrent prudemment, étudiant autant l'antique monument que les ombres des conifères les entourant. De l'autre côté des pierres se trouvaient deux autres rochers sur lesquels un vaste plateau de roc était posé.
- Un... dolmen ? Ici ? commenta Luther.
Et de près de quatre mètres de haut, songea Manesh'k en croisant les bras. Tout ceci le laissait perplexe. A présent il était clairement évident qu'une magie était à l'œuvre ici. Une magie ancienne. Peut-être plus encore que Gilnash et lui ne l'étaient. Il ferma les yeux et concentra toute son attention en lui-même, fit totalement abstraction de son environnement. Il chercha quelques secondes dans les souvenirs dérobés à Castille et ses courtes expériences la sensation désirée. Avec un sourire satisfait il parvint à la retrouver. Le vampire s'ouvrit aux vents en même temps qu'il rouvrait les yeux. Le courant qui le frappa soudain fut si violent qu'il le fit chuter en arrière.
- Manesh'k !
Bouche-bé, il repoussa sans vraiment y faire attention la main que lui tendait son frère, un masque d'inquiétude peint sur le visage. Depuis qu'ils avaient arrachés ses pouvoirs à Castille, lui et Luther étaient capables de ressentir, voire discerner, les vents de magie. Pas aussi intensément que dans les heures qui avaient suivi la mort de la nécromancienne, et il n'avait pas la maîtrise dont son cadet faisait preuve. Il luttait pour conserver ce don, être capable de manipuler les vents, ses sensations s'amenuisant comme le pouvoir de Castille se dissipait en lui. Et là... En s'ouvrant à ces vents, il venait de prendre conscience qu'il baignait littéralement dedans. Sous son regards écarlate, les vents invisibles tourbillonnaient furieusement, le griffaient presque de leurs serres éthérées. Ils tourbillonnaient dans toute la clairière, rasant sa lisière, avant de s'enrouler autour des piliers et fuser droit dans les airs. En levant les yeux il les vit retomber ici et là au loin, se dispersant au-delà de son champ de vision.
- Qu'est-ce qu'il a ? s'inquiéta Luther de l'état apathique de son aîné.
- Il admire, répondit simplement Gilnash avec un sourire amusé.
- Admirer quoi ? l'interrogea-t-il avec un regard suspicieux.
- La majesté des vents. Prends la peine de t'y ouvrir et tu constateras cela par toi-même.
- C'est pas... dangereux ?
- Vu ses compétences, pas vraiment. Avec un pouvoir plus imposant il pourrait risquer de s'y noyer. Mais vu ses... talents en la matière il peut s'estimer heureux de pouvoir les apprécier.
- …Ah, répondit juste Luther.
Laissant là un Manesh'k quelque peu égaré dans sa contemplation, Luther et Gilnash s'approchèrent du cairn d'un pas tranquille. Tous deux en firent le tour, étudiant le granit dressé depuis des lustres.
- Crois-tu qu'ils aient été dressés par des hommes ? interrogea Luther.
- Honnêtement ? J'en doute, répondit franchement l'ornithologue. Ils m'ont l'air bien plus ancien. Quant à la magie qui coule à travers eux, elle est... comment dire...
- Sauvage ?
- Effectivement, approuva-t-il en s'approchant.
Il tendit le bras et effleura la roche du bout des doigts. Il ne fut pas surpris par le léger picotement qui remonta le long de son poignet. De la magie brute s'écoulait ici et dans toute cette étrange forêt.
Un remous attira l'attention de Manesh'k vers ses compagnons comme son frère entrait en contact avec le pilier du dolmen. Au-dessus du plateau plusieurs chatoiements d'énergie se matérialisèrent en agglomérant des particules du flux principal. De plus en plus étonné par ce lieu, il s'approcha de ses compagnons, les yeux rivés sur les amalgames iridescents au sein des vents de magie.
- Les gars...
Tous deux se tournèrent vers lui, puis découvrirent avec étonnement la manifestation en suivant son regard. L'air ondulait comme une surface d'eau troublée par un projectile. Le tissu de la réalité se distordait et laissait progressivement place à trois petites formes, mi-matérielles mi-éthérées.
- Qu'est-ce que c'est que ça, murmura Luther comme les apparitions descendaient à eux.
Elles s'immobilisèrent entre les trois morts-vivants, nimbées de halos de lumières chatoyantes jaunes et vertes. L'une d'elle flotta tranquillement vers Luther qui eut un mouvement de recul, mais ne leva pas la main lorsque l'entité commença simplement à onduler autours de lui sans l’agresser. De même, les deux autres s'approchèrent d'un Manesh'k dont la vision des courants se superposait à celle de la réalité. La première tournoya doucement autour de ses hanches, la seconde le long de son bras. Il leva celui-ci jusqu'à ce que l'esprit follet s'immobilise au creux de sa main.
Grace à sa double vision il pouvait parfaitement scruter la véritable apparence de la créature qui l'observait avec tout autant de curiosité. Hormis le tourbillon de lumière et de douces étincelles qui l'entourait, cette chose avait l'aspect d'une femme d'une quinzaine de centimètres dans le plus simple appareil. Non, pas une femme, réalisa-t-il comme elle se penchait en avant pour étudier son visage, ses cheveux translucides tombant sur sa poitrine. Une elfe.
Il baissa les yeux sur le second esprit qui remontait tranquillement le long de son épaule. Celui-ci avait une toute autre apparence. Des bras simiesques étaient rattachés à un corps qu'il aurait qualifié de batracien dans les proportions de son torse et ses membres inférieurs. Sauf que ses épaules et son dos étaient recouverts de piquants comme ceux d'un hérisson. Sa face était celle d'un renard dont il aurait écrasé le museau... Pour autant, même en comparaison avec le premier, il ne répugnait pas le vampire.
- Gilnash, appela-t-il sans cesser d'observer ses deux curieux. Que sont-ils ?
- Je n'en ai pas la moindre idée, avoua le concerné qui observait le compagnon de Luther, une sorte d'écureuil dépourvu de fourrure hormis sur la queue et doté d'ailes de libellule qui flottait au-dessus du front du cadet.
- Ils sont magnifiques, souffla le fils de Walach.
Manesh'k leva le second bras, un esprit dans chaque paume à présent. Quel était cet endroit qui recelait de si étranges créatures ?
Tous les trois pivotèrent brusquement lorsque le trait fusa, frôlant Manesh'k qui s'écarta de justesse. Aussitôt l'attitude des créatures changea comme ils bondissaient en retrait. Les cheveux de l'elfe se dressèrent sur son crâne et ses doigts se muèrent en griffes démesurées pour sa petite taille. Les piquants du second se redressèrent sur son dos, le transformant en véritable boule de pointes. Quant à l'écureuil, sa mâchoire devint aussitôt d'une ressemblance frappante avec celle des sanguinaires alors que ses ailes se recouvraient de cuir, ressemblant à présent à celles de chauve-souris. Mais ce n'était pas les trois esprits vers lesquels étaient tournés les morts-vivants : une bonne dizaine d'autres flèches jaillirent des sous-bois sans aucune sommation. Doués de réflexes dépassant de loin ceux des mortels, ils roulèrent à l’abri des menhirs de granit sans être touchés.
- Je ne les sens pas ! s'écria Luther, le front ouvert par un trait mieux ajusté que les autres.
- Ne te fies pas à ton odorat ! lui intima Manesh'k en fermant les yeux.
Repoussant vigoureusement l'état d'hébétude qui lui avait permis de communier avec le lieu, il s'imposa au calme. Ils ne les sentaient pas. Mais il était un détail qui ne trompait jamais les vampires. Un peu moins d'une dizaine de battements de cœurs était embusquée dans les fourrés. Il les entendait battre à ses oreilles, le doute d'avoir raté des proies si faciles venant bousculer leur assurance avec une légère accélération. Il rouvrit les yeux en souriant, la main sur le pommeau de son épée.
- Ne tuez aucun d'entre eux ! leur ordonna tout à coup Gilnash, un soupçon d'inquiétude dans la voix.
- Pardon ?
- Fais juste ce que je te dis ! insista-t-il auprès du cadet, agenouillé à ses côté sous le couvert du même menhir.
- On va encore en payer le prix avec ces conneries, grinça-t-il en jaillissant sans prévenir.
D'un bond, Manesh'k fut sur ses talons, Gilnash s'élançant en parallèle à quelques mètres d'eux.
Il encocha une nouvelle flèche d’un geste fluide et la décocha en prenant à peine le temps d’aligner sa cible. Ces créatures se mouvaient beaucoup trop vite pour n’être que de simples humains ! Il crispa la mâchoire en constatant que son trait avait encore raté l’envahisseur. Mais du coin de l’œil il remarqua qu’un de ses voisins avait eu plus de chance. Le choc de l’impact rejeta en arrière l’inconnu en armure qui s’étala dans les hautes herbes et disparut de son champ de vision, stoppé net en pleine charge.
Plus que deux, songea-t-il en décochant un nouveau trait que l’autre évita à nouveau de justesse ! Alors qu’il tirait une cinquième empenne de son carquois, son sang ne fit qu’un tour en apercevant le reflet métallique. Il plongea de côté et esquiva la dague qui se ficha dans le tronc de l’arbre dans son dos. Il se redressa en levant son arc, mais c’était désormais trop tard : un gantelet métallique le cueillit à la pommette et le projeta de côté.
- Des Elfes ! s’écria Luther après un bref regard à sa victime allongée dans les fougères.
Il plongea en avant sous une nouvelle flèche qui siffla dans ses cheveux et se retrouva sous ce nouvel ennemi. Il avait déjà lâché son arc et avait la main sur l’épée courte accrochée à sa hanche. Le mort-vivant fut toutefois plus vif. Il se redressa en tirant son épée du fourreau et asséna un coup de pommeau à la mâchoire de l’Elfe qui lâcha un craquement sinistre avant qu’il ne s’effondre.
Le vampire balaya le sous-bois du regard. Gilnash repoussait un autre opposant avec plusieurs giclées écarlates et laissait déjà dans son sillage trois autres corps. Pour quelqu’un qui ne souhaitait pas tuer ses ennemis il avait la main bien lourde… Un battement de cœur, beaucoup trop proche, le fit brusquement pivoter. Luther happa au vol le poignet de ce nouvel agresseur de sa main libre, l’empêchant de porter son coup d’épée. Il tenait une dague dans son autre main qu’il levait à son tour pour poignarder le flanc exposé du vampire à la garde croisée. Mais il en fallait davantage pour déstabiliser le mort-vivant qui frappa violemment les côtes de son adversaire, protégées par un léger pourpoint qui n’absorba pas vraiment le choc. L’Elfe hoqueta sous le choc et son coup perdit toute puissance, crissant sur l’épaulière d’acier de Luther sans plus de dommages. Il relâcha son poignet et le gifla avec force de son gantelet ce qui l’en débarrassa définitivement.
Luther pivota à nouveau mais fut cette fois prit de vitesse. La lame elfique l’écorcha de l’oreille à l’épaule avant de glisser sur son colletin avec quelques étincelles. Il poussa un juron puis glapit de surprise lorsque la seconde épée le frappa au bassin en arrachant une sangle d’armure. Il roula au sol et ne perdit pas un instant pour prendre ses distances. Ce nouvel ennemi le jaugea du regard, ses lames jumelles pointées vers le mort-vivant. Le vampire poussa un grognement méprisant tout en tâtant sa gorge. Il survivrait mais cette escarmouche lui laisserait une sacrée cicatrice. Avec un cri de guerre l’elfe chargea et au dernier moment tourbillonna sur lui-même, s’entourant d’un périmètre acéré et infranchissable. Avec des mouvements flous il se retrouva face à Luther et referma ses deux lames sur son cou, tel un ciseau géant. Mais son ballet fut stoppé net par l’épée du mort-vivant qui, pointe vers le bas, happa les deux armes dans sa garde et emporta les trois lames vers le sol. La stupeur était visible sur la face de l’elfe lorsque sa joue vint à son tour s’écraser contre le poing du vampire.
Il s’appuya contre un tronc en se relevant. Le sol ondulait autour de lui et la brulure de sa pommette ouverte lui faisait plisser l’œil.
- Ça s’appelle un Quillon sale bouffeur de salade ! entendit-il une voix crier.
A tâtons il retrouva son arc, puis lentement encocha une nouvelle flèche. Il inspira profondément et attendit une seconde que l’univers ne cesse de bouger, puis pivota précautionneusement. L’intrus était au-dessus d’un de ses camarades inconscients et continuait de l’insulter en faisant preuve d’une imagination douteuse. Il leva calmement son arc et le mit en joue. Un choc soudain à l’extrémité du manche dévia le trait qui siffla à un pouce du mort-vivant qui fit un bond de côté, surprit. L’elfe découvrit le premier ennemi à être tombé durant la charge, une flèche fichée dans l’épaulière. Celui-ci brisa la partie de l’arc qu’il avait en main d’une torsion du poignet avant d’envoyer l’elfe tenace rejoindre ses compagnons.
- Je l’avais vu, déclara Luther en relevant le menton avec assurance.
- Je n’en doute pas un instant, répondit juste Manesh’k en arrachant la flèche.
Il grimaça mais n’ajouta aucun juron. L’archer avait réussi à trouver une faille entre la cuirasse et l’épaulière. De plus la pointe était barbelée d’après la vive douleur qu’il ressentait à présent…
Gilnash se présenta à son tour. Plusieurs traits sanglants tâchaient sa tenue de soldat patrouilleur. Alors que le cadet ouvrait la bouche l’ornithologue devança sa remarque :
- Aucun commentaire. Il n’est pas mort. Et je n’avais pas le choix.
Luther se reprit puis leva les deux mains en signe de capitulation avant d’aller ramasser son arme.
- Des elfes ? Ici ? souleva tout de même Manesh’k après un instant.
- Peuh, ici ou ailleurs…
Se faisant, Luther qualifia l’épéiste d’un coup de botte bien sentit comme Gilnash étudiait le champ de bataille.
- Neuf, compta-t-il. Trop peu pour être un détachement et trop pour être de simples voyageurs.
- Une patrouille ? posa Manesh’k comme hypothèse.
Ce à quoi Gilnash hocha de la tête. Alors qu’ils se remettaient de leurs émotions, les trois farfadets refirent leur apparition, flottant entre les corps étendus. Celui de l’elfe et de l’écureuil ailé s’attardèrent près d’eux, jetant des regards noirs aux morts-vivants. Toutefois ils ne les agressèrent pas, se contentant d’aller de corps en corps.
- Tu as eu vent de tout ceci ? interrogea Manesh’k en faisant référence aux conversations de son ami avec les divers oiseaux rencontrés dans la journée.
- C’était confus dans leurs esprits, mais plusieurs d’entre eux ont déjà aperçu des elfes dans ces bois.
- T’aurais pu nous en parler plus tôt, reprocha Luther vers qui flottait la troisième créature éthérée.
Celle-ci désignait le vampire de ses bras trop grands pour son corps, les piquants de son dos ondulant à chaque mouvement. Elle croassait en silence, semblant injurier le combattant.
- C’est quoi ton problème à toi ? poussa-t-il avec mépris en gratifiant le farfadet d’une grimace de son cru.
La créature eu un mouvement de recul et cligna plusieurs fois des yeux, béate. Avant de revenir vers lui et reprendre son manège.
- Bon écoute je…
Tous les trois pivotèrent d’un bloc lorsque la branche morte craqua, dégainant déjà leurs lames. Mais il ne s’agissait là que d’un cerf, à une quinzaine de mètres. Il les observait, immobile. Ses ramures culminaient largement au-dessus des deux mètres de hauteur. Tous les quatre se considérèrent quelques secondes en silence, jusqu’à ce que Gilnash ne prenne la parole.
- Nous sommes encore loin des duchés. Ne restons pas ici. Plus vite nous laisserons ces bois derrière nous mieux nous nous porterons.
Ses deux compagnons acquiescèrent. Ils quittèrent les lieux sans tarder, laissant là leurs agresseurs inconscients et l’animal majestueux qui étonnamment ne semblait pas effrayé. Toutefois, à la surprise générale, la créature aux piquants s’entêta à importuner Luther et les suivit hors de la clairière aux monolithes.
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Re: Feu et Sang
Jeu 5 Juin 2014 - 19:33
J'adore les quelques clichés superbement présentés sur les elfes
J'ai vu une ou deux coquilles, mais j'ai la flemme de les retrouver
En ce qui concerne ton "problème" de description, je n'y trouve rien à redire. Développement sur le paysage d'Athel Loren, fait !
La suite !
J'ai vu une ou deux coquilles, mais j'ai la flemme de les retrouver
En ce qui concerne ton "problème" de description, je n'y trouve rien à redire. Développement sur le paysage d'Athel Loren, fait !
La suite !
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- EssenSeigneur vampire
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Re: Feu et Sang
Ven 6 Juin 2014 - 0:07
Et vive la réédition du livre des sylvains !
_ sortit
toiser = regarder de haut, mais ça devient moins évident de deviner la taille du rapace
_ la seconde
Je crois que je vais mettre le même commentaire pour toutes les belles suites que j'ai vues aujourd'hui : I WANT MOOOORE !
Puis, sans attendre sa réaction, il virevolta en sens inverse et sorti.
_ sortit
_ lorgna l'entréeElle soupira, puis lorgna vers l'entrée avec une mine résignée.
_ sortitElle sorti à son tour
_ Avis personnel : des appartements au cœur d'un arbre ? Les elfes sylvains ne sont ils jamais sensés blesser un arbre ? A moins qu'il ne s'agisse d'un creux natureldévala les branches permettant d'accéder à ses appartements au cœur d'un énorme résineux, dont la variété ne poussait qu'ici en Loren.
_ qui la dépassait d'une bonne tête (?)- Anok, déclara-t-elle en s'avançant vers l'oiseau qui la toisait d'une bonne tête.
toiser = regarder de haut, mais ça devient moins évident de deviner la taille du rapace
_ sortitUn rouge-gorge sorti des frondaisons pour voleter près d'eux,
_ Bretonnie et "Corrige-moi" (sans "s" à l'impératif)- Corriges-moi si je me trompe, mais la Brettonie
_ danseursa troupe de danseur
La première tournoya doucement autour de ses hanches, la second le long de son bras.
_ la seconde
_ inconscientsL’intrus était au-dessus d’un de ses camarades inconscient
_ Bretonnie- Des elfes ? Ici en Brettonnie ? souleva tout de même Manesh’k après un instant.
Je crois que je vais mettre le même commentaire pour toutes les belles suites que j'ai vues aujourd'hui : I WANT MOOOORE !
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Feu et Sang
Ven 6 Juin 2014 - 9:20
Toujours aussi bien écris, raconté et tout le blabla habituel.
J'ai particulièrement aimé le passage avec les descriptions des elfes et les impressions des vampires. Mais je trouve néanmoins surprenant que vu leur âge, ils ne savent pas qu'ils sont dans la forêt d'Athel Loren, ils en auraient forcément entendu parler ne serait-ce que dans les légendes humaines.
Mais j'attends avec impatience la suite.
J'ai particulièrement aimé le passage avec les descriptions des elfes et les impressions des vampires. Mais je trouve néanmoins surprenant que vu leur âge, ils ne savent pas qu'ils sont dans la forêt d'Athel Loren, ils en auraient forcément entendu parler ne serait-ce que dans les légendes humaines.
Mais j'attends avec impatience la suite.
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Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
Re: Feu et Sang
Ven 6 Juin 2014 - 21:46
C'est corrigé. Apparemment il y a encore des progrès à faire (foutu verbe sortir, il fait mal lui )
merci pour la relecture
Ravi que les impressions des visiteurs ainsi que le décor vous plaisent
Quant à la suite, elle est en bonne marche. Je promet que Juillet ne sera pas oublié !
merci pour la relecture
Ravi que les impressions des visiteurs ainsi que le décor vous plaisent
yep. Pas taillé dedans à coup de hache cependant. Ni dans une souche. Je voyais plutôt une demeure comme celles présentées dans Eragon : les elfes chantent pour les arbres et les nourrissent via la magie véhiculée. En remerciement (et sous l'influence de la magie) ils poussent en adoptant les formes pratiques, comme une grande cavité dans le tronc pour y loger un elfe ^^Von Essen a écrit:des appartements au cœur d'un arbre ?
Pas tellement, selon moi. Après tout, il on beau être trèèès vieux, ce n'est pas pour autant qu'ils ont vu tout ce qu'il y avait à voir, loin de là. Après tout, tout les nains des monts gris ne savent pas qu'l y a des elfes ici, tout les villageois de bretonnie de savent pas que ces bois abritent tout un peuple. Après, ce n'est pas parce que des légendes de fées ou sorcières circulent sur le lieu qu'elles sont fondées. Beaucoup dans le vieux monde circulent et ne sont que des histoires. Et, avec l'âge, on ne les néglige pas, mais on devient moins sensible au folklore local. Mais cela reste mon avis.Gilgalad a écrit:je trouve néanmoins surprenant que vu leur âge, ils ne savent pas qu'ils sont dans la forêt d'Athel Loren
Quant à la suite, elle est en bonne marche. Je promet que Juillet ne sera pas oublié !
Re: Feu et Sang
Dim 13 Juil 2014 - 11:04
Promesse tenue ! Juillet me voici avec le chapitre 12 pour un double-poste du bonheur
J'ai pas mal développé ce texte, certaines parties avec les conseils d'un ami elfe sylvain irl. J'espère que tout cela vous plaira !
Quand à la suite en revanche, le redouté nombre 13... Août risque d'être très compromis. Bonne lecture à tous.
- Ils vont payer ! Ces rejetons du mal ont profanés les bois sacrés ! Ils doivent payer pour ce sacrilège !
L’elfe fulminait. Il faisait des aller-retour à la lisière du cairn et jetait des regards noirs à tout individus osant l'approcher. Les autres des danseurs des arbres gardaient le silence, n'osant attirer l'attention de leur compagnon.
La patrouille d’éclaireurs était encore sous le choc lorsqu’ils étaient arrivés. Plusieurs d’entre eux étaient blessés. L’un d’entre eux ne pourrait plus marcher pendant plusieurs mois…
- Comment cela a-t-il pu se produire ? s'interrogea Helion.
Il se tourna vers la prêtresse qui évita son regard. Elle-même avait sous-estimé ces créatures.
- Le chant de Loren évoquait une poignée de créatures, répondit-elle sans lui faire face. Nous ne nous doutions pas qu'il s'agissait de… ça.
Bothel capta la discussion au vol. Il faillit un instant crier sur l'elfe vêtu d'une robe diaphane, mais se ravisa au dernier instant. Une enchanteresse s’exprimait au nom de Loren. La bousculer, c’était agresser la forêt elle-même.
- Jamais nous n'avons étés confrontés à ça, insista-elle en se tournant enfin vers eux.
Helion soupira. Ce n'était pas la première fois que des morts pénétraient la forêt. Cependant, jamais en effet ils n'avaient eût un tel comportement...
- Des morts, des sorciers qui profanent les cadavres, même des vampires comme les appellent les hommes, résuma-t-il à voix haute. Mais ça...
- Un vampire ? Qu'est-ce donc ? Intervint cette fois l'elfe tatoué.
Ses sourcils fins traçaient une ligne horizontale. Il arborait une mine perplexe. Deux autres danseurs de la troupe s’approchèrent, intéressés par le fil de la conversation.
- Des sorciers, commença Warda avec un regard absent en direction des pierres dressés. Des morts qui s'accrochent aux vents et refusent de rendre à la terre ce qui lui appartient. Ils se nourrissent...
Elle hésita en grimaçant.
- Ils se nourrissent du sang des mortels. Se sont de piètres combattants qui rôdent la nuit. Ils ne sont jamais plus d'un et...
- Arrêtez avec ces contes d'hommes.
Tous trois, ainsi que l'intégralité des elfes présents, se tournèrent vers l'individu qui avait pris la parole en coupant celle de Warda. La peau de son corps ondulant à chacun de ses pas comme la chair en-dessous se remodelait, une créature indescriptible s'avança. La fourrure se détachait par poignées de sa poitrine, ses membres inférieurs étaient pourvus de sabots et les supérieurs de mains tremblantes. Sa tête, difforme, se résorbait sur elle-même alors que son museau devenait une vraie mâchoire. Ses bois s'enfonçaient dans son crâne et y disparaissaient en produisant des remous sur son front, comme s'ils plongeaient dans une glaise rose et malléable. -Une chevelure brune et emmêlée se dégagea de l'échine, quelques mèches retombèrent même sur son visage de plus en plus raffiné. Lorsqu'enfin ses pieds furent pourvus d’orteils, c'est un elfe nu et de forte carrure qui se tenait devant eux, s'étirant la nuque avec de nombreux craquements.
- Anos, souffla Helion en reconnaissant le changeforme. Cela faisait longtemps...
Celui-ci accorda un rapide signe de la tête au seigneur. L’un des farfadets du bosquet apparut brusquement, sorte d’écureuil translucide, et dévisagea l’étrange elfe. Il reprit :
-Les trois mort-vivant étaient des vampires, tous. Et il s'agissait d'excellents guerriers, insista-t-il avec gravité.
Bothel croisa les bras et inclina la tête de côté. Cet individu dans le plus simple appareil, plus excentrique que lui-même, commençait déjà à l’intéresser.
- Ils avaient des armures faites par les hommes. Ils n'ont fait qu'une bouchée des forestiers.
- Des guerriers dis-tu ? Insista Bothel, une lueur de défi dans le regard.
Anos dévisagea un moment le danseur de guerre avec un regard blasé. Il le détailla des pieds à la tête, avant de revenir à Helion sans répondre à l’elfe tatoué
- Des guerriers, oui. Et ils ont sciemment choisis de ne tuer personne.
- Qu'en sais-tu l'animal ? Le bouscula le danseur de guerre.
Il avait finalement revu son jugement. Finalement, son dédain palpable l’énervait.
- Je le sais, j'étais présent, je l'ai vu. Ils n’ont rien pu faire.
- Et pourqu...
- Je sais également dans quelle direction ils sont partis, reprit-il.
Se faisant il doucha l'agressivité du danseur tout en ravivant son intérêt. Il se tourna vers Helion et Warda.
- Les morts vont droit sur la Mortourbe.
Le seigneur elfe grimaça. Si ces sorciers des morts n’avaient tués personne, n’avaient commis d’autres sacrilèges qu’être présents et se défendre, ce lieu allait sûrement changer la donne.
- La Mortourbe ? Qu'est-ce donc ? Demanda-t-elle à son compagnon plus en hauteur.
- Tu es encore bien jeune, sans quoi tu saurais ce qu’est cet endroit.
Alors qu'il disait ces mots, sa propre monture, un aigle immense, descendit à hauteur de Gailrya et son faucon. Son rapace était un peu plus grand qu'Anok. Mais celui-ci n’avait rien à envier à son congénère.
Il étudia l’horizon au fil des battements d’aile de sa monture, cherchant ses mots.
- Même ton père, le seigneur Helion, était jeune à cette époque. Il n’était d’ailleurs pas encore ‘seigneur’. La forêt ne nous acceptait depuis peu en son sein et n’avait qu’une confiance limitée en notre espèce.
Un soubresaut l’interrompit. Gaylria attendit patiemment qu’il reprenne, caressant le plumage d’Anok. La forêt d’émeraude défilait à toute allure quelques mètres plus bas.
« Cette année-là une harde d’hommes-bêtes c’était engagée dans la forêt. Au beau milieu de l’hiver, la Loren était apathique et n’a réagi que tardivement à leur présence. Ils purent pénétrer en profondeur et arrivèrent jusqu’à un étang gelé. Ils y surprirent un groupe d’elfes qui étaient venus danser sur la glace en compagnie des rares farfadets alors enclins à les rejoindre.
Le carnage fut sans appel et la glace teintée de rouge. Lorsqu’Helion et les premiers éclaireurs sont arrivés à l’étang, celui-ci avait changé. Changé pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Il n’y avait plus de glace, mais des lentilles sombres et des feuilles mortes recouvraient la surface. Lorsqu’ils les balayèrent, ils constatèrent que l’eau autrefois claire comme le cristal était trouble, imprégnée de vase et de mousses d’eau. Nous n’avons jamais retrouvés les elfes. Le mystère fut plus épais encore lorsqu’ils découvrirent les traces des hommes-bêtes. »
Bouche-bée, Gaylria buvait ses mots. Jamais Helion ne lui avait parlé de cette histoire.
- Mais… et les enchanteresses ? Elles ont bien dû trouver ce qu’il c’est…
- Nous ne communions pas encore avec Loren comme nous le faisons aujourd’hui, répondit-il avec tristesse. Et lorsque ce fût le cas… la forêt refusa de répondre à leurs requêtes, comme elle refuse encore.
La fille d’Helion garda le silence. Une telle catastrophe était difficile à digérer.
- Ce qui est sûr, reprit-il, c’est que des cadavres se trouvent encore au fond de l’eau. Des hommes-bête. Mais aussi des elfes.
Le regard de Gaylria revint à l’horizon. La Mortourbe… quel nom injuste. Si des elfes étaient vraiment morts là-bas, il faudrait honorer leur mémoire, pas en faire un lieu… hanté.
- Qu’est-ce que c’est que cet endroit ?
Sous les yeux de Luther s’étendait un marais, recouvert de brume malgré l’heure avancée de la journée. Pas un oiseau de chantait, pas un batracien ne coassait, pas un animal ne donnait signe de vie. Aucun être vivant ne se trouvait là.
- Voilà qui est bien différent avec la clairière aux Dolmens, accorda Manesh’k.
Il chassa de la main l’esprit immatériel aux piquants qui s’entêtait à les suivre depuis l’aube. Il se tourna vers Gilnash, comme toujours lorsqu’il ne savait à quoi il avait à faire. Mais celui-ci semblait plus perturbé par la brusque disparition de ses compagnons volants. Pas une hirondelle, buse ou moineau ne répondait à son appel. L’ancien dresseur d’oiseaux ne ressentait… que le vide. Un vide que ses frères ne pouvaient combler.
- Quittons vite cet endroit, je n’y sens rien de bon, grimaça-t-il en étudiant les branchages.
Manesh’k acquiesça. Lui aussi n’était pas à l’aise. Et il commençait à en avoir assez de cette marée verte s’étirant à perte de vue.
- Quelle ironie, commenta Luther. Les mortels nous associent toujours à ce genre de lieux, lugubres à souhait. Et pourtant lorsqu’au fin fond du monde nous en trouvons un, nous n’avons qu’une envie : déguerpir…
- Même les elfes évitent cet endroit, l’averti Gilnash. Pour une raison que j’ignore, eux non plus ne l’apprécient pas.
- On se demande pourquoi…
Les elfes… ne pas les dépecer sur place avait été pénible. Cela l’avait été davantage de retenir son neveu de le faire. Mais, sur les indications floues de Gilnash, ils les avaient abandonnés là. Inconscients, mais vivants. Manesh’k se tourna à nouveau vers son frère. Pourquoi ne les avait-il pas avertis qu’ils n’étaient pas seuls dans cette maudite forêt ? Pourquoi protéger ainsi des elfes ? Pourquoi se priver d’un festin ? Il y en avait bien assez pour que tous les trois soient repus… Le nectar elfique, si délicat et enivrant à la fois… Il grimaça. Qu’avait vu Gilnash qu’il refusait de leur dire ?
- Partons, déclara l’ornithologue avec un dernier regard aux eaux troubles.
Manesh’k lui emboîta le pas, pensif.
- Attendez…
Luther avait les yeux rivés sur la surface de l’eau. Rien ne bougeait si ce n’était les fumerolles issues de la tourbe tiède et quelques bulles qui remontaient des profondeurs. Ses volutes ondulaient, immatériels.
- Qu’y a-t-il ?
- Dans l’eau… murmura le cadet, fasciné.
Lentement, il retroussa ses lèvres et révéla ses crocs. Il semblait aux anges. Le regarde de Manesh’k allait de son neveu à la surface, sans comprendre. Puis un frisson le parcouru alors que l’esprit désincarné qui les accompagnait s’agitait brusquement. Il s’écarta d’eux en feulant en direction de Luther, les piquants hérissés de colère.
- Le vent… comprit-il enfin.
Pas un souffle ne venait troubler le lieu. Mais en étendant ses sens au-delà de sa propre enveloppe, il prit la mesure de l’agitation qui régnait. Luther émerveillé, Gilnash lui aussi prit de cours, l’esprit agité… et ce qui venait à leur rencontre.
Lentement, sa main vint se poser sur le pommeau de son arme. Une onde vint troubler la surface, se propageant doucement à travers l’étang. Puis une autre… et une ombre se discerna sous l’eau.
Le vampire plissa le regard, prêt à réagir à toute menace. Avec une lenteur mesurée, un entremêlement de branchages et de racines s’extirpa du marais. Dégoulinant d’eau croupie et de vase nauséabonde, la chose difforme se traîna dans leur direction. Elle n’avait ni jambes ni tête. Son corps n’était qu’écorce imbibée, bois moisi et racines semblables à des lianes. Cette… chose, était à la végétation ce qu’ils étaient aux êtres vivants. Un amas de créatures mortes, animées par quelques sorcelleries… Et qui avançait péniblement dans leur direction.
Gilnash était tout aussi incrédule. Il ne comprenait pas ce qu’il avait sous les yeux. Il avait vu les elfes par les yeux de plusieurs créatures à plumes. Mais jamais une créature de ce genre. Comment était-ce possible ?
Jamais au cours de leurs errances, les trois vampires n’avaient été confrontés à pareille étrangeté. Et pourtant, celle-ci continuait d’avancer, des racines souples comme des tentacules la remorquait mètres après mètres jusqu’à la rive, jusqu’à eux. Et pourtant, ce n’était même pas cet être qui les laissait pantois. C’était leur nombre. Comme si, lentement, l’étang tout entier s’animait, agitant ses entrailles pour leur régurgiter à la figure.
Malgré leur situation inédite, Luther trouva le moyen d’éclater de rire. Sans comprendre, Manesh’k et Gilnash le virent s’approcher au bord de l’eau tandis que le mort-vivant végétal se rapprochait toujours plus.
- Il y a des morts là-dedans, déclara-t-il en tendant la main.
Il ferma les yeux et les deux vampires sentirent l’énergie qu’il déployait, sa volonté qui pliait Shyish à ses caprices. Et le vent pourpre de la mort se laissa docilement manipuler. Tel un linceul il drapa la créature et referma sa poigne sur ses entrailles.
La chose eu un sursaut et s’immobilisa face à Luther alors qu’il usait de tout le pouvoir dont il disposait, sa volonté s’opposant à celle de l’autre créature.
- Des ossements, dans la vase... devina Manesh’k.
Liés par les racines et mêlés aux branches, des ossements et articulations usés par le temps composaient en partie le squelette de cette chose. Et appliquant sa griffe sur ces derniers, Luther arrivait à stopper son avancée malgré son contrôle approximatif de la nécromancie. Tremblant, dégoulinant de boue et de feuilles mortes, la chose ne pouvait plus progresser en avant.
- J’adore la magie ! jubila Luther en insistant encore, obligeant petit à petit la créature à se tordre, s’écorcher en plusieurs branches. Et il y en a tellement d’autre !
Il tendit son second bras en direction des eaux troubles qui étaient c’étaient mises à bouillir à l’instant où il était entré en contact avec l’esprit végétal. A ses côtés, l’animal féérique aux piquants feulait et crachait dans sa direction sans oser faire davantage.
- J’adore…
La flèche se ficha à travers sa main avec un léger sifflement. Poussant un cri de surprise et de douleur, il eut un mouvement de recul. Lames déjà dégainées, les deux autres vampires s’abritèrent aussitôt à l’ombre des arbres.
Avec un gargouillis inintelligible, la créature de limon s’effondra sur elle-même, rouée par le traitement infligé par Luther. Tenant au poignet son membre blessé, il balaya le sous-bois du regard.
- Sales mangeurs de fougères ! Montrez-vous ! Je sais que c'est vous qui...
Avant qu'il ne finisse sa phrase un elfe apparut brusquement devant lui, comme tombé du ciel. Et avant qu'il ne puisse en saisir davantage, il fut opposé à un mur d'acier qui l'obligea à bondir en retrait pour ne pas être lacéré. Le mort-vivant se retrouva en équilibre précaire sur le bord de l'eau, agitant les bras pour ne pas chuter. Sans hésiter un instant son adversaire le projeta dans l'eau d'un violent coup de pied dans l'estomac.
Aussitôt d'autres attaquants jaillirent des branches et buissons, s'interposant entre l'étang et les deux autres vampires.
- D'où ils sortent ? s'écria Manesh'k qui se voûta pour éviter une lame avant de bondir sur son agresseur.
Plus vif que son adversaire, il lui happa le poignet au vol et le projeta violemment sur l'un de ses compagnons. Mais plutôt que le renverser, le second l'évita d'une roulade avisée. Son arme ricocha sur celle du mort-vivant avec une pluie d'étincelles. Manesh'k parvint à parer et l'envoyer bouler dans une nouvelle direction. Du coin de l'œil il remarqua que son premier ennemi était déjà sur ses appuis et prêt à revenir à la charge.
Il fit volte-face lorsqu'un nouvel individu se laissa tomber derrière lui, mais retint sa lame en avisant sa tenue.
- C'est qui ces types ? grinça Manesh'k que se colla dos à dos avec lui.
- Aucune idée, répondit Gilnash. Je ne les ai jamais vus.
- Mmh ?
- Jamais, vraiment, insista-t-il. Mes compagnons n'ont jamais vu d'elfes bouger comme eux. On dirait plus des acrobates que des combattants. Ou des danseurs, aussi...
Manesh'k balaya lentement le groupe d'une dizaine d'individus qui encerclait les deux frères d'armes.
- Nous ne sommes pas ici pour nous battre, commença Gilnash. Nous ne voulons aucun mal à…
Une flèche siffla entre eux, Manesh'k tirant son frère avec lui. Il chercha un instant l’auteur de ces tirs. En vain. Il grimaça.
- A présent, MOI je vous veux du mal, énonça-t-il sombrement avant de bondir dans la mêlée.
Luther se redressa et s'ébroua en projetant de l'eau partout. Immergé jusqu'à la poitrine, il prit enfin le temps d'étudier son agresseur. L'elfe vêtu d'un simple pagne le toisait depuis la rive. Il était plus grand que le vampire, fait rare pour un elfe. Tout comme l'un des forestiers battu la veille, il se battait avec deux épées. Mais surtout, il arborait les tatouages de loups jumeaux étalés sur le torse. Des feuilles de lierre remontaient ses cuisses et s'enroulaient autours de ses bras jusqu'à ses mains. Des plumes stylisées étaient aussi peintes sur l'une de ses joues.
Guère impressionné, le vampire prit le temps de cracher un peu d'eau en lui jetant un regard noir.
- Pour ça tu vas payer l'elfe. Pour toi je vais faire une exception. Ma lame va rouiller, mais si je la trempe dans du sang d’elfe...
- Je demande à voir, répondit-il, immobile alors que Luther dégainait son arme.
Il poussa un cri de colère et s'élança vers cet elfe effronté. Mais alors qu'il allait s'extraire de l'étang, l'eau trouble recommença soudain à bouillonner autour de lui.
- Que...
Des racines noueuses jaillirent brusquement de l'eau et dans de grandes éclaboussures se jetèrent à l'assaut du vampire. Avant qu'il ne comprenne l'origine de ce nouvel assaut, les tentacules d'écorces s'enroulaient autours de ses chevilles, de ses hanches et ses poignets. Étranglé par un collet végétal, il disparut dans les profondeurs, entraîné dans les ténèbres.
- Luther !
Repoussant brutalement l'elfe qui lui faisait face, Manesh'k se fraya un chemin jusqu'à la rive, plusieurs lames venant rebondir sur sa cuirasse. Lorsque deux autres guerriers elfes jaillirent devant lui, il poussa un grondement de haine.
- Du vent !
D'un pas de côté il évita le troisième individu venant de derrière. Il s'écroula comme une masse sous le coup de pommeau que le vampire lui infligea. Celui-ci ne reviendrait plus à l’assaut après une nouvelle roulade.
- J'en ai plus qu'assez, laissez-moi où je vous saigne jusqu'au dernier !
Afin d'appuyer sa menace, il se mit en garde, prêt à bondir, sa lame en avant. Au-dessus des combattants le farfadet aux piquants observait la lutte du mort-vivant. Il oscillait ici et là, hésitant sur la démarche à suivre.
- Il me plait celui-là.
Les deux combattants jetèrent un œil furtif derrière eux, ne quittant pas Manesh'k des yeux, à raison. Celui qui avait parlé avait jeté Luther à l'eau. L’esprit aux piquants se tournait à son tour vers lui. Le vampire serra la poignée de son arme encore un peu plus fort.
- C'est une juste fin que la noyade pour votre sacrilège, déclara-t-il avec un sourire féroce.
- Noyade ? répéta Manesh'k du bout des lèvres.
- Lorsqu'une Lémure emmène un corps, jamais il ne remonte à la surface, ajouta l’elfe avec un sourire moqueur.
Puis il fit quelques moulinets à l'aide de ses deux épées avant d'imiter la position du vampire.
- N'ai crainte, tu le retrouveras dans quelques instants.
- Si tu savais...
Tous deux bondirent simultanément alors que les autres elfes s'écartaient de la lutte à venir.
Esquive, parade, roulade, esquive à nouveau... ses trois adversaires étaient doués. Très doués mêmes. Mais Gilnash se battait depuis l'aube de la civilisation humaine. Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’il combattait en sous-nombre. Mais lorsqu'une lame elfique lui entailla le flanc, il se fit une raison. Aussi doué soit-il, il ne pourrait pas continuer ce ballet mortel éternellement. Il profita d'un temps de répit entre deux assauts et jeta un regard alentour. Manesh'k ferraillait avec un autre elfe à moitié nu, entourés par plusieurs de ces étranges combattants. Aucun signe de Luther. Pas non plus d'archer en vue. Quoique. La flèche qu'avait reçue le cadet ne venait pas de l'un de ces guerriers. Aucun ne portait d'arc ou de carquois.
Du coin de l'œil le mort-vivant remarqua tout à coup une ombre glisser par-dessus les feuillages. En même temps que ses sens s'emballaient et que ses ennemis revenaient à la charge, il bondit vers le haut. Le vampire s'accrocha à la première branche venue. S’appuyant d’une main et du coude pour son bras armé, il se hissa sans perdre un instant. Les elfes ne tarderaient pas à l'imiter.
Un brassement d'air. Son instinct ne l'avait pas trompé. Sautant d'une branche à une autre, il remonta une ramification tel un funambule et, proche de la cime, prit son élan... pour se retrouver face à un simulacre de visage, tout composé de ronces !
- Que...
Avant qu'il ne réalise quel était ce nouvel assaut, la chose le balaya. L'instant suivant, il plongeait dans le vide.
Le choc sur la terre ferme fut douloureux. Avec mille précautions Gilnash roula sur le côté. Il avait perdu l’épée lahmienne dans la chute mais qu'importe, il avait toujours ses dagues, accrochées à ses hanches. Alors qu'il se relevait pesamment, il remarqua que les elfes n'approchaient pas. Ils restaient à une distance plus que raisonnable du vampire secoué.
Gilnash fit volte-face lorsqu’un gémissement rauque jaillit dans son dos. D’un pas de côté il évita le fouet végétal qui l'avait propulsé dans les airs. Sans perdre un instant, il s’écarta de cette chose tout en conservant les elfes dans son champ de vision. Mais ils avaient leurs armes baissées, se contentaient d’observer le mort-vivant et le nouveau venu. Par conséquent, il se tourna vers ce nouvel ennemi qu’il étudia d’un regard méfiant.
Cette... créature, ressemblait étrangement à la chose dans l'étang. Si ce n'est qu'elle avait clairement la silhouette d'un humanoïde. Ses jambes étaient composées de racines, semblables à celle d'un arbre des mangroves, tout entremêlées de ronces. Son torse était de l'écorce creuse où aucun cœur n'était visible. Il remarqua que le bras droit possédait une épaule mais se ramifiait en fouet de ronces entremêlées, celui qui l’avait fait chuter de si haut. Le droit, lui, n'était composé que d'écorce noire et lisse, clairsemé d'épines et se terminant par trois serres acérées.
D'un mouvement fluide, Gilnash dégaina ses dagues. Il grimaça lorsque la créature chargea : d'autres spécimens variés venaient d'apparaître derrière la première. Cela allait des roses aux roseaux en passant par divers aspects d’écorces… Ses milles ans d'existence allaient peut-être lui être entièrement nécessaire...
- Anok, mais qu'y a-t-il ?
Juchée sur son faucon, l'elfe avait le plus grand mal à contrôler son ami à plumes. Dès l'instant où ils s'étaient approchés de la Mortourbe, il avait commencé à se comporter bizarrement. Jamais lors de leurs combats contre des hommes-bêtes ou des peaux vertes il ne s'était comporté ainsi. Il refusait catégoriquement de s'approcher de la cime des arbres. Mais dès que Gailrya tentait de l'orienter dans une nouvelle direction, il revenait survoler les combats.
Non loin, elle voyait que l'aigle de l'autre chevaucheur posait les mêmes problèmes qu’Anok. Quelque chose, en bas, perturbait les deux volatiles. Chose qui l’encourageait elle davantage à se joindre au combat ! Bothel, son frère, avait lui-même jeté l'un des vampires entre les griffes mortelles des lémures. Puis il avait engagé le combat avec un second. Combat qui durait encore d'après les éclats métalliques qui lui parvenaient. Elle sera le bois de son arc à s'en blanchir les phalanges. Qu'est-ce qui en bas pouvait pousser leurs rapaces à refuser le combat, mais également les obstiner à rester sur le champ de bataille ?
Il n'y avait plus que deux ennemis, le troisième mangeant les nénuphars par les racines. L'un d'entre eux en étaient réduit à affronter un groupe de dryades à la dague. Le dernier affrontait son fils en combat singulier. Les autres danseurs de la troupe s'étaient écartés et formaient un cercle autour des belligérants, près à embrocher le mort-vivant s'il tentait de fuir.
Un détail dérangeait toutefois le seigneur elfe, entouré de Warda et Anos. Lorsque le premier vampire avait disparu sous la surface, cet individu c'était précipité à son secours, s'était fait violence pour se frayer un chemin parmi les guerriers. Mais après avoir échangés quelques mots avec son fils, son comportement avait radicalement changé. Il... s'amusait. C'était le mot qu’il emploierait. Alors même qu'il livrait un combat mortel avec Bothel, l'un des plus dangereux guerriers qu'il ait été donné à Helion de voir, il ne portait aucun coup mortel. Rien ne trahissait ce sentiment sur son visage impassible. Il portait des coups ravageurs à l'elfe. Mais plus le combat durait, plus il avait le sentiment d'avoir raison.
- Tu es fort, le monstre, le harangua Bothel entre deux passes d'armes. Mais je te découperais quand même en morceaux !
Et il effectua une nouvelle rotation que le vampire évita d'un bond en arrière, s'arrêtant à une longueur d'épée du danseur.
- Tu n'es pas mauvais non plus mon garçon, répondit Manesh'k en s'écartant face à une nouvelle charge de l'elfe tatoué.
Helion grimaça en voyant que plusieurs danseurs durent s'écarter de l'arc de cercle décrit par la lame elfique pour ne pas le gêner. Le calme évident de l'intrus, en comparaison avec la haine déployée par Bothel, ne faisait qu'appuyer son impression. Il grimaça davantage en entendant la suite.
- Je... ne... suis... pas... ton garçon ! rugit-il en ponctuant chaque syllabe de moulinets rageurs.
Il effectua brusquement une roulade en avant et se redressa aussitôt, prenant de vitesse le vampire dont la cuirasse encaissa le coup.
- J'ai vu passer plus de cinq cent hivers, déclara l'elfe avec un sourire mesquin.
Reniflant, Manesh'k examina rapidement sa tenue. Un impact de lame parmi tant d'autres... Il jeta un œil critique à l'elfe confiant.
- Je vais te faire une confidence, commença-t-il en esquissant à son tour un sourire qui révéla des canines surdéveloppées. J'ai plus de deux milles ans.
- Pardon ? hoqueta Helion de sa position en retrait.
Et le vampire, éclatant de rire, chargea à son tour un Bothel qui avait aussitôt cessé de rire.
- Cette chose aurait deux milles ans ? Ce monstre ment ! Cela ne peut pas être possible !
Anos se contenta de hausser les épaules, gardant les bras croisés. La forêt elle-même regorgeait de secrets encore bien plus anciens. Que ces choses soient si âgées l'étonnait, mais n'avait rien d'impossible.
Warda quant à elle n'observait pas le même combat. Elle était tournée vers le vampire aux dagues, bien plus en difficulté face à la dizaine de dryades auxquelles il faisait face. Sa tenue était en lambeaux et plusieurs plaies s'étalaient sur son visage et ses bras. Mais il continuait le combat sans une interruption. Tel un danseur il évita un assaut venu de derrière lui. A peine réceptionné il se pencha en arrière pour éviter un membre de bois plus pointu qu'une lance et d'un mouvement sec il le sectionna. Il se laissa brusquement tomber au sol pour éviter une troisième attaque à hauteur d'épaules et en profita pour balayer la dryade blessée d'un mouvement circulaire des jambes.
- Quelque chose ne va pas, murmura-t-elle.
- Oui, Bothel aurait déjà dû en finir depuis...
- Je ne parle pas de ça, coupa l'enchanteresse. Les dryades...
Anos et Helion se tournèrent vers elle, intrigués.
- Les dryades ? répéta le changeur de peau.
- D'habitude elles résident loin de cette partie de la forêt...
- Je ne vois pas en quoi...
Un véritable cataclysme bouscula soudain plusieurs arbres, menaçant de les déraciner. Le sol trembla alors que la masse imposante du nouvel et immense belligérant heurtait le sol. Plusieurs danseurs s'écartèrent aussitôt, manquant de justesse d'être réduis en purée écarlate. Manesh'k comme Bothel firent plusieurs pas en retrait, dominés par ce béhémot d’un autre âge. Même les dryades interrompirent leurs assauts.
Se tassant sur lui-même, le colosse exulta avec un grondement rauque, semblable au fracas d'une avalanche. Il dominait largement les humanoïdes, ses plus hautes branches côtoyant les cimes locales. Personne ne réalisa le moindre geste. L'arrivée fracassante avait littéralement gelé les combats.
- Par Isha... murmura Anos.
- Gusternum... d'où...
- C'est un esprit, souffla Warda, tout aussi abasourdie. Bien qu'incarné, il connaît mieux les sentiers secrets que n'importe quel asrai !
Le regard vert étincelant de la créature était rivé sur le mort-vivant. Elle beugla à nouveau et arma une frappe titanesque d’un membre droit. Manesh'k comme Bothel plongèrent de part et d’autre pour éviter le coup qui fit trembler le sol sous leurs pieds. Les yeux écarquillés, Manesh'k le vit ramener à lui l'amalgame de lianes qui l'aurait violemment écrasé. Pesamment, le monstre se redressa, faisant glisser ses branches souples comme des tiges de saule. Elles laissèrent des sillons profondément creusés dans l'humus.
- Bothel sort de là ! s'écria Helion comme son fils restait à côté du vampire.
Mais le danseur n'en eût pas le temps. La bête d'écorce enchaîna brusquement avec une nouvelle attaque. Elle les utilisait comme des fouets surdimensionnés et chacun de ses coups provoquaient de nouvelles secousses. Celles-ci dessinaient des cercles concentriques à la surface de l'eau comme la colère primale s'acharnait sur sa cible.
Entre deux coups le danseur de guerre parvint à rouler en-dehors de l'aire de combat redessinée par ce gigantesque combattant. Hébété, il observa son adversaire continuer à esquiver les attaques de l'homme-arbre. Puis il se tourna vers l'homme-arbre lui-même. Il avait déjà eu l'occasion de voir et même combattre au côté d'un de ces esprits vénérables. Mais les quelques secondes passées face à lui avaient suffis à Bothel pour comprendre qu'il n’avait rien à voir avec ses semblables. Jamais un autre gardien de la forêt n'aurait bousculé de jeunes pousses pour arriver au combat, n'aurait attaqué un elfe pour blesser un ennemi ni ne mutilerait ainsi aveuglément le sol. Il connaissait le nom de cet homme-arbre et l'histoire de son incarnation végétale. Mais voir sa colère de ses propres yeux était une tout autre chose. Gusternum...
Il continuait à marteler le sol à l’aide des branches épaisses ressemblant vaguement à des bras, deux de chaque côté du tronc. Mais le vampire était vif, Bothel l’avait lui-même découvert à ses dépens. Gusternum n’arriverait pas à le faucher ainsi et il dû s’en rendre compte car il cessa. Il fit un pas raide en avant, les racines entourant son pied s’enfonçant aussitôt dans le sol. Si on pouvait appeler cela un pied : ses jambes n’étaient que le tronc souple de l’arbre dans lequel Gusternum s’était incarné, fendu en deux afin de pouvoir arpenter le monde… Il gronda à nouveau avant de se redresser avec une multitude de craquements. Le mort-vivant leva sa lame, paré à toute éventualité.
- Reculez ! ordonna soudain Helion d’une voix effrayée comme son fils les rejoignait.
Manesh’k jeta un œil rapide à l’elfe en entendant le ton de son ordre avant de se reconcentrer sur son ennemi. Dans un panache orangé, celui-ci éructa en l’air une fine poudre qui retomba rapidement sur le mort-vivant, désormais seul face à l’homme-arbre. Piégé, il balaya la clairière dégagée du regard, attendant les effets de la substance qui le recouvrit commet une pluie fine. Son énorme adversaire s’immobilisa sans le quitter du regard.
- Père, qu’est-ce ? interrogea Bothel sans ciller.
- Des spores dévoreuses de métal, murmura-t-il simplement.
- Des quoi ?
- Lorsqu’il y a plusieurs siècles, Gusternum c’est incarné pour repousser des bucherons nains, il les a affrontés avec ce procédé, répondit Anos sans prendre la peine de se tourner vers le danseur.
Une sangle se détacha brusquement du harnois de Manesh’k. Il baissa le regard et vit son épaulière suivre le même chemin. Puis son fourreau tomba à son tour. C’est avec des yeux ronds qu’il vit l’une de ses genouillères brusquement craquer en deux avant de rejoindre le reste. Observant la scène d’un œil absent, Anos reprit son récit :
- Les cottes de mailles et les lames des combattants sont tombés en poussière. Pas un n’a approché Gusternum avec une arme en métal. Et pas un n’est rentré à son foyer…
- Belle histoire que voilà.
Le changeforme fit volte-face et détourna le poignet du vampire dont le poignard ne trancha que du vent.
- Beau réflexes, l’elfe, commentât Luther en lui assenant un crochet de son autre main tout en l’aspergeant d’eau.
Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est qu’en encaissant le coup, l’elfe le saisirait de sa propre seconde main. Il amplifia son mouvement et souleva du sol le vampire abasourdit.
- Mais… il devrait être… commença Bothel dont le regard glissa jusqu’à la surface de l’eau.
- …mort ? Compléta Luther en se redressant, un sourire mesquin se dessinant sur ses traits. Je suis déjà mort. Tu espérais sérieusement noyer quelqu’un comme moi, dans une fosse pleine d’ossements ?
Et il chargea les quatre individus. Mais ce ne fut ni Bothel, ni Anos, ni Helion qui répliqua. Prenant le mort-vivant de cours, Warda se dressa sur son chemin, les bras grands écartés. Elle révéla l’intérieur du voile diaphane qui recouvrait sa tenue échancrée. Avant que Luther ne réagisse, une nuée d’ailes, de griffes et de piquants le pris à la gorge, l’aveuglant et déchirant la peau de son visage et ses bras. Il roula au sol en hurlant comme l’essaim d’esprits en tous genres s’acharnait sur lui.
- Je n’en crois pas mes yeux, il est ici !
- Qui ?
- Le gardien du bosquet ! s’écria Gailrya en abaissant son arc.
Alors qu’elle pressait Anok d’approcher elle put apercevoir la scène par une trouée : l’homme-arbre face à l’intrus désemparé et encerclé par les danseurs. D’un revers herculéen l’esprit le projeta en-dehors de son champ de vision. Cela en faisait un de moins. Elle vit également son frère et son père devant un autre ennemi recouvert de farfadets et gesticulant comme un diable. Puis son regard coula vers le dernier du groupe, incapable d’approcher, complètement cerné par les dryades. La scène était irréelle. Tant de moyens pour seulement trois individus ! Elle glissa son arc dans le carquois à son épaule, désœuvrée. Leur présence dans les airs n’était pas nécessaire avec une telle démonstration de force.
Avec douceur, elle intima à Anok de descendre un peu plus encore. Sans qu’elle sache pourquoi, sa réticence était repartie aussi brusquement qu’elle était venue. Battant vigoureusement des ailes, il descendit progressivement jusqu’à la trouée, imitée par son voisin sur un aigle géant. L’oiseau poussa tout à coup un cri strident en faisant une embardée.
- Manesh’k !
Le vampire fit mine de le rejoindre, mais aussitôt un mur de ronces vivantes et racines noueuses lui barrèrent la route, le défiant d’approcher. Sifflant, Gilnash répliqua sans perdre un instant et arracha des morceaux d’écorces à leurs propriétaires à coups de poignards. Mais les créatures de bois et de sève ne flanchèrent pas et au contraire, commencèrent à étouffer le mort-vivant sous leur seul nombre. A coup de griffes et d’épines les créatures végétales réduisaient progressivement la tenue frontalière en lambeaux…
Le cri qui résonna dans les frondaisons eu l’effet d’un éclair sur le mort-vivant. Il se redressa brusquement et repoussa sauvagement ses assaillants avant de se tourner vers son auteur. La masse imposante du rapace troua les branchages et écrasa plusieurs des créatures végétales avant de s’immobiliser à quelques mètres. Gilnash se précipita vers la créature à terre, bousculant les choses de ronces, se détournant du combat, de ses frères et de la menace des elfes. A cet instant précis, seul ce faucon immense importait. Lâchant ses dagues, il posa ses mains sur le plumage déjà poisseux alors que le corps était agité de spasmes. Il évita un coup d’aile sans y penser, heurté par l’agonie de l’oiseau. Puis il s’immobilisa. L’aile retomba et le sang cessa de gicler par la plaie béante.
Il entendait les cris de douleurs de ses compagnons. Il devinait les esprits de bois prêts à le réduire en pièces sous le regard des elfes. Il voyait la personne au carquois qui se relevait en titubant à côté de lui. Mais Gilnash n’avait d’yeux que pour l’auteur de cet acte atroce. Cet auteur qui se laissa tomber à son tour et le dévisagea d’un regard incandescents. Il fouetta l’air de sa longue langue dégoulinante d’humeur avant de lever ses deux lames rougeoyantes.
D’une roulade Gilnash évita le ciseau du démon tatoué. Avec un hurlement de rage il plongea les mains dans le torse composé d’écorce de la créature la plus proche. Celle-ci qui tentait justement de l’agresser fut projetée sans sommation à la face du monstre écarlate qui la trancha en deux avant de charger en feulant de haine.
- Qu’est-ce que c’est que… cette chose ! s’écria un elfe.
- Impossible…
C’était tout bonnement impossible. Un sanguinaire ne pouvait pas se trouver dans cette forêt. Pas ici. Pas aussi loin. Pas sans que Warda et la forêt elle-même ne l’aient perçus. Et pourtant il était là, se frayant un chemin mortel à travers les dryades pour atteindre le vampire. Vampire qui s’efforçait de rester en vie sous les lames de cette aberration contre-nature.
Même Gusternum se détourna de son ennemi à terre, sonné. Sa tenue était en miettes, mais par quelques magies son épée avait échappé au massacre. Secouant la tête, le mort-vivant suivit le regard émeraude et découvrit à son tour le démon qui venait semer la zizanie dans leur bataille. L’homme-arbre revint vers lui, puis à nouveau vers le démon écarlate. Manesh’k restant allongé par terre, il opta finalement pour ce nouvel ennemi. D’un pas lourd où la colère était perceptible, il se dirigea vers ce quatrième intrus.
Gilnash entendit l’approche plus qu’il ne la vit. Il manqua être balayé par la frappe sourde qui projeta son poursuivant hors de son champ de vision. Lui-même enchaîna par une seconde roulade pour se mettre hors de portée et évita de justesse les griffes d’une nouvelle créature des ronces. Il la repoussa et chercha le colosse des yeux, avant de constater que dans la confusion il était revenu à côté du cadavre de l’oiseau géant. L’ancien fauconnier grimaça de douleur. Une douleur qui n’avait rien de physique. En relevant la tête il constata que l’elfe qui chevauchait ce prince du ciel était face à lui. Une flèche en main. Des larmes plein les yeux. Elle poussa un cri de haine et de douleur puis se jeta sur lui. Le vampire n’eut qu’à faire un pas de côté pour l’éviter, puis fut éclaboussé en pleine figure.
Il cligna plusieurs fois des yeux avant de pouvoir réaliser ce qu’il venait de se passer. Tout devenait fou. Des pointes noires dépassaient du dos de cette nouvelle ennemie. En le chargeant à corps perdu, tout à son désespoir, elle venait de s’empaler sur les griffes d’une dryade qui s’apprêtait à embrocher le mort-vivant !
- Pour quelqu’un qui ne voulait pas tuer…
L’œil hagard, Gilnash se tourna vers son neveu méconnaissable. La peau de son visage avait été lacérée et son armure, déjà malmenée à Grissenwald, était en piteux état. Il maintenait Manesh’k debout, le bras passé autour de son épaule, à peine en meilleure forme. Ce dernier traînait son épée d’une main. Et juste au-dessus d’eux flottait encore et toujours la bête simiesque hérissée de piquants, étudiant passivement les deux mort-vivants. Derrière eux accouraient plusieurs combattants qui hésitaient visiblement sur la démarche à suivre : achever les vampires ou se joindre au colosse sur lequel le démon se jeta sans hésiter ?
- Gailrya !
Faisant des moulinets rapides avec ses lames, l’elfe tatoué se précipita à l’autre bout du champ de bataille. Il passa devant l’enchanteresse elle aussi dépassée par les évènements. Elle avait rappelé sa nuée de farfadets, laissant libre le premier vampire, et hésitait à présent à les envoyer harceler le démon. Mais elle ne comprenait toujours pas. Mais comment avait-il put arriver jusqu’ici ?
- Warda ! Bannissez-le !
- Quoi ?
- Bannissez-le ! répéta Helion, incrédule. Vous ! N’approchez ni les vampires ni le démon ! cria-t-il aux danseurs qui s’arrêtèrent en pleine charge.
Le flanc complètement écorché par le fouet aux feuilles acérées, le sanguinaire tatoué se relevait à nouveau, cicatrisant à vue d’œil.
- C’est impossible, réalisa Anos en sortant de sa réserve. Il ne peut pas se relever à nouveau ! Pas avec de telles blessures ! Il devrait repartir au néant !
- Bannissez-le ! Insista le seigneur.
Avec un beuglement sauvage, la bête écarlate bondit par-dessus un nouveau coup de fouet et parvint jusqu’à Gusternum. Sans cesser de mugir, elle traça deux sillons sur son tronc et arracha plusieurs plaques d’écorces au passage.
- Ecartez-vous d’elle ! Tout de suite ! hurla Bothel.
D’un bond agile il passa par-dessus les dryades tétanisées par la blessure soudaine du titan. Elles se détournèrent de Gilnash et s’avancèrent vers les duellistes, laissant seul l’elfe et les vampires. Mais le danseur n’en fut nullement affecté. Sa sœur et les restes d’une dryade gisaient aux pieds de Luther. Un sourire se dessina sur sa face méconnaissable.
- C’est d’elle que tu parles ? le provoqua-t-il en prenant le corps par la gorge.
Sans peine apparente, il souleva le corps inanimé, ses pieds ne touchant plus le sol.
- Tu…
Une détonation coupa brutalement l’elfe. L’explosion sépara le sanguinaire de l’arbre vivant et les jeta tous deux au sol. Alors que Manesh’k, dépassé par les événements, se tournait vers eux, il ne put qu’être éblouit par le flash qui s’ensuivit. Puis plus rien.
Lorsque, le regard plissé, Bothel recouvra la vue, les trois vampires et sa sœur avaient… disparus. Purement et simplement. Il fit volte-face, incrédule, alors que l’enchanteresse découvrait avec horreur le résultat de son sort.
- Ca… Ca… Ca a rebondit… bégaya-t-elle alors qu’Helion comme Anos ne réalisaient pas encore ce qu’il venait de se produire.
D’un bond agile, le héraut de Khorne se releva et balaya l’assemblée du regard, cherchant ses proies. Son regard lumineux s’attarda un instant sur Warda qui eut un hoquet en découvrant la rune de métal sombre qui pendait à son cou. Puis, avant que l’homme-arbre massif ne se remette sur pieds lui aussi, il s’élança en direction du sous-bois en emportant ses deux lames. Ni les elfes ni les dryades ne tentèrent de le poursuivre.
- Que vient-il de se passer ? demanda un danseur de guerre à son voisin tout aussi perdu que lui.
Les vampires s’étaient tout bonnement volatilités.
J'ai pas mal développé ce texte, certaines parties avec les conseils d'un ami elfe sylvain irl. J'espère que tout cela vous plaira !
Quand à la suite en revanche, le redouté nombre 13... Août risque d'être très compromis. Bonne lecture à tous.
Chapitre 12
- Ils vont payer ! Ces rejetons du mal ont profanés les bois sacrés ! Ils doivent payer pour ce sacrilège !
L’elfe fulminait. Il faisait des aller-retour à la lisière du cairn et jetait des regards noirs à tout individus osant l'approcher. Les autres des danseurs des arbres gardaient le silence, n'osant attirer l'attention de leur compagnon.
La patrouille d’éclaireurs était encore sous le choc lorsqu’ils étaient arrivés. Plusieurs d’entre eux étaient blessés. L’un d’entre eux ne pourrait plus marcher pendant plusieurs mois…
- Comment cela a-t-il pu se produire ? s'interrogea Helion.
Il se tourna vers la prêtresse qui évita son regard. Elle-même avait sous-estimé ces créatures.
- Le chant de Loren évoquait une poignée de créatures, répondit-elle sans lui faire face. Nous ne nous doutions pas qu'il s'agissait de… ça.
Bothel capta la discussion au vol. Il faillit un instant crier sur l'elfe vêtu d'une robe diaphane, mais se ravisa au dernier instant. Une enchanteresse s’exprimait au nom de Loren. La bousculer, c’était agresser la forêt elle-même.
- Jamais nous n'avons étés confrontés à ça, insista-elle en se tournant enfin vers eux.
Helion soupira. Ce n'était pas la première fois que des morts pénétraient la forêt. Cependant, jamais en effet ils n'avaient eût un tel comportement...
- Des morts, des sorciers qui profanent les cadavres, même des vampires comme les appellent les hommes, résuma-t-il à voix haute. Mais ça...
- Un vampire ? Qu'est-ce donc ? Intervint cette fois l'elfe tatoué.
Ses sourcils fins traçaient une ligne horizontale. Il arborait une mine perplexe. Deux autres danseurs de la troupe s’approchèrent, intéressés par le fil de la conversation.
- Des sorciers, commença Warda avec un regard absent en direction des pierres dressés. Des morts qui s'accrochent aux vents et refusent de rendre à la terre ce qui lui appartient. Ils se nourrissent...
Elle hésita en grimaçant.
- Ils se nourrissent du sang des mortels. Se sont de piètres combattants qui rôdent la nuit. Ils ne sont jamais plus d'un et...
- Arrêtez avec ces contes d'hommes.
Tous trois, ainsi que l'intégralité des elfes présents, se tournèrent vers l'individu qui avait pris la parole en coupant celle de Warda. La peau de son corps ondulant à chacun de ses pas comme la chair en-dessous se remodelait, une créature indescriptible s'avança. La fourrure se détachait par poignées de sa poitrine, ses membres inférieurs étaient pourvus de sabots et les supérieurs de mains tremblantes. Sa tête, difforme, se résorbait sur elle-même alors que son museau devenait une vraie mâchoire. Ses bois s'enfonçaient dans son crâne et y disparaissaient en produisant des remous sur son front, comme s'ils plongeaient dans une glaise rose et malléable. -Une chevelure brune et emmêlée se dégagea de l'échine, quelques mèches retombèrent même sur son visage de plus en plus raffiné. Lorsqu'enfin ses pieds furent pourvus d’orteils, c'est un elfe nu et de forte carrure qui se tenait devant eux, s'étirant la nuque avec de nombreux craquements.
- Anos, souffla Helion en reconnaissant le changeforme. Cela faisait longtemps...
Celui-ci accorda un rapide signe de la tête au seigneur. L’un des farfadets du bosquet apparut brusquement, sorte d’écureuil translucide, et dévisagea l’étrange elfe. Il reprit :
-Les trois mort-vivant étaient des vampires, tous. Et il s'agissait d'excellents guerriers, insista-t-il avec gravité.
Bothel croisa les bras et inclina la tête de côté. Cet individu dans le plus simple appareil, plus excentrique que lui-même, commençait déjà à l’intéresser.
- Ils avaient des armures faites par les hommes. Ils n'ont fait qu'une bouchée des forestiers.
- Des guerriers dis-tu ? Insista Bothel, une lueur de défi dans le regard.
Anos dévisagea un moment le danseur de guerre avec un regard blasé. Il le détailla des pieds à la tête, avant de revenir à Helion sans répondre à l’elfe tatoué
- Des guerriers, oui. Et ils ont sciemment choisis de ne tuer personne.
- Qu'en sais-tu l'animal ? Le bouscula le danseur de guerre.
Il avait finalement revu son jugement. Finalement, son dédain palpable l’énervait.
- Je le sais, j'étais présent, je l'ai vu. Ils n’ont rien pu faire.
- Et pourqu...
- Je sais également dans quelle direction ils sont partis, reprit-il.
Se faisant il doucha l'agressivité du danseur tout en ravivant son intérêt. Il se tourna vers Helion et Warda.
- Les morts vont droit sur la Mortourbe.
Le seigneur elfe grimaça. Si ces sorciers des morts n’avaient tués personne, n’avaient commis d’autres sacrilèges qu’être présents et se défendre, ce lieu allait sûrement changer la donne.
- La Mortourbe ? Qu'est-ce donc ? Demanda-t-elle à son compagnon plus en hauteur.
- Tu es encore bien jeune, sans quoi tu saurais ce qu’est cet endroit.
Alors qu'il disait ces mots, sa propre monture, un aigle immense, descendit à hauteur de Gailrya et son faucon. Son rapace était un peu plus grand qu'Anok. Mais celui-ci n’avait rien à envier à son congénère.
Il étudia l’horizon au fil des battements d’aile de sa monture, cherchant ses mots.
- Même ton père, le seigneur Helion, était jeune à cette époque. Il n’était d’ailleurs pas encore ‘seigneur’. La forêt ne nous acceptait depuis peu en son sein et n’avait qu’une confiance limitée en notre espèce.
Un soubresaut l’interrompit. Gaylria attendit patiemment qu’il reprenne, caressant le plumage d’Anok. La forêt d’émeraude défilait à toute allure quelques mètres plus bas.
« Cette année-là une harde d’hommes-bêtes c’était engagée dans la forêt. Au beau milieu de l’hiver, la Loren était apathique et n’a réagi que tardivement à leur présence. Ils purent pénétrer en profondeur et arrivèrent jusqu’à un étang gelé. Ils y surprirent un groupe d’elfes qui étaient venus danser sur la glace en compagnie des rares farfadets alors enclins à les rejoindre.
Le carnage fut sans appel et la glace teintée de rouge. Lorsqu’Helion et les premiers éclaireurs sont arrivés à l’étang, celui-ci avait changé. Changé pour devenir ce qu’il est aujourd’hui. Il n’y avait plus de glace, mais des lentilles sombres et des feuilles mortes recouvraient la surface. Lorsqu’ils les balayèrent, ils constatèrent que l’eau autrefois claire comme le cristal était trouble, imprégnée de vase et de mousses d’eau. Nous n’avons jamais retrouvés les elfes. Le mystère fut plus épais encore lorsqu’ils découvrirent les traces des hommes-bêtes. »
Bouche-bée, Gaylria buvait ses mots. Jamais Helion ne lui avait parlé de cette histoire.
- Mais… et les enchanteresses ? Elles ont bien dû trouver ce qu’il c’est…
- Nous ne communions pas encore avec Loren comme nous le faisons aujourd’hui, répondit-il avec tristesse. Et lorsque ce fût le cas… la forêt refusa de répondre à leurs requêtes, comme elle refuse encore.
La fille d’Helion garda le silence. Une telle catastrophe était difficile à digérer.
- Ce qui est sûr, reprit-il, c’est que des cadavres se trouvent encore au fond de l’eau. Des hommes-bête. Mais aussi des elfes.
Le regard de Gaylria revint à l’horizon. La Mortourbe… quel nom injuste. Si des elfes étaient vraiment morts là-bas, il faudrait honorer leur mémoire, pas en faire un lieu… hanté.
- Qu’est-ce que c’est que cet endroit ?
Sous les yeux de Luther s’étendait un marais, recouvert de brume malgré l’heure avancée de la journée. Pas un oiseau de chantait, pas un batracien ne coassait, pas un animal ne donnait signe de vie. Aucun être vivant ne se trouvait là.
- Voilà qui est bien différent avec la clairière aux Dolmens, accorda Manesh’k.
Il chassa de la main l’esprit immatériel aux piquants qui s’entêtait à les suivre depuis l’aube. Il se tourna vers Gilnash, comme toujours lorsqu’il ne savait à quoi il avait à faire. Mais celui-ci semblait plus perturbé par la brusque disparition de ses compagnons volants. Pas une hirondelle, buse ou moineau ne répondait à son appel. L’ancien dresseur d’oiseaux ne ressentait… que le vide. Un vide que ses frères ne pouvaient combler.
- Quittons vite cet endroit, je n’y sens rien de bon, grimaça-t-il en étudiant les branchages.
Manesh’k acquiesça. Lui aussi n’était pas à l’aise. Et il commençait à en avoir assez de cette marée verte s’étirant à perte de vue.
- Quelle ironie, commenta Luther. Les mortels nous associent toujours à ce genre de lieux, lugubres à souhait. Et pourtant lorsqu’au fin fond du monde nous en trouvons un, nous n’avons qu’une envie : déguerpir…
- Même les elfes évitent cet endroit, l’averti Gilnash. Pour une raison que j’ignore, eux non plus ne l’apprécient pas.
- On se demande pourquoi…
Les elfes… ne pas les dépecer sur place avait été pénible. Cela l’avait été davantage de retenir son neveu de le faire. Mais, sur les indications floues de Gilnash, ils les avaient abandonnés là. Inconscients, mais vivants. Manesh’k se tourna à nouveau vers son frère. Pourquoi ne les avait-il pas avertis qu’ils n’étaient pas seuls dans cette maudite forêt ? Pourquoi protéger ainsi des elfes ? Pourquoi se priver d’un festin ? Il y en avait bien assez pour que tous les trois soient repus… Le nectar elfique, si délicat et enivrant à la fois… Il grimaça. Qu’avait vu Gilnash qu’il refusait de leur dire ?
- Partons, déclara l’ornithologue avec un dernier regard aux eaux troubles.
Manesh’k lui emboîta le pas, pensif.
- Attendez…
Luther avait les yeux rivés sur la surface de l’eau. Rien ne bougeait si ce n’était les fumerolles issues de la tourbe tiède et quelques bulles qui remontaient des profondeurs. Ses volutes ondulaient, immatériels.
- Qu’y a-t-il ?
- Dans l’eau… murmura le cadet, fasciné.
Lentement, il retroussa ses lèvres et révéla ses crocs. Il semblait aux anges. Le regarde de Manesh’k allait de son neveu à la surface, sans comprendre. Puis un frisson le parcouru alors que l’esprit désincarné qui les accompagnait s’agitait brusquement. Il s’écarta d’eux en feulant en direction de Luther, les piquants hérissés de colère.
- Le vent… comprit-il enfin.
Pas un souffle ne venait troubler le lieu. Mais en étendant ses sens au-delà de sa propre enveloppe, il prit la mesure de l’agitation qui régnait. Luther émerveillé, Gilnash lui aussi prit de cours, l’esprit agité… et ce qui venait à leur rencontre.
Lentement, sa main vint se poser sur le pommeau de son arme. Une onde vint troubler la surface, se propageant doucement à travers l’étang. Puis une autre… et une ombre se discerna sous l’eau.
Le vampire plissa le regard, prêt à réagir à toute menace. Avec une lenteur mesurée, un entremêlement de branchages et de racines s’extirpa du marais. Dégoulinant d’eau croupie et de vase nauséabonde, la chose difforme se traîna dans leur direction. Elle n’avait ni jambes ni tête. Son corps n’était qu’écorce imbibée, bois moisi et racines semblables à des lianes. Cette… chose, était à la végétation ce qu’ils étaient aux êtres vivants. Un amas de créatures mortes, animées par quelques sorcelleries… Et qui avançait péniblement dans leur direction.
Gilnash était tout aussi incrédule. Il ne comprenait pas ce qu’il avait sous les yeux. Il avait vu les elfes par les yeux de plusieurs créatures à plumes. Mais jamais une créature de ce genre. Comment était-ce possible ?
Jamais au cours de leurs errances, les trois vampires n’avaient été confrontés à pareille étrangeté. Et pourtant, celle-ci continuait d’avancer, des racines souples comme des tentacules la remorquait mètres après mètres jusqu’à la rive, jusqu’à eux. Et pourtant, ce n’était même pas cet être qui les laissait pantois. C’était leur nombre. Comme si, lentement, l’étang tout entier s’animait, agitant ses entrailles pour leur régurgiter à la figure.
Malgré leur situation inédite, Luther trouva le moyen d’éclater de rire. Sans comprendre, Manesh’k et Gilnash le virent s’approcher au bord de l’eau tandis que le mort-vivant végétal se rapprochait toujours plus.
- Il y a des morts là-dedans, déclara-t-il en tendant la main.
Il ferma les yeux et les deux vampires sentirent l’énergie qu’il déployait, sa volonté qui pliait Shyish à ses caprices. Et le vent pourpre de la mort se laissa docilement manipuler. Tel un linceul il drapa la créature et referma sa poigne sur ses entrailles.
La chose eu un sursaut et s’immobilisa face à Luther alors qu’il usait de tout le pouvoir dont il disposait, sa volonté s’opposant à celle de l’autre créature.
- Des ossements, dans la vase... devina Manesh’k.
Liés par les racines et mêlés aux branches, des ossements et articulations usés par le temps composaient en partie le squelette de cette chose. Et appliquant sa griffe sur ces derniers, Luther arrivait à stopper son avancée malgré son contrôle approximatif de la nécromancie. Tremblant, dégoulinant de boue et de feuilles mortes, la chose ne pouvait plus progresser en avant.
- J’adore la magie ! jubila Luther en insistant encore, obligeant petit à petit la créature à se tordre, s’écorcher en plusieurs branches. Et il y en a tellement d’autre !
Il tendit son second bras en direction des eaux troubles qui étaient c’étaient mises à bouillir à l’instant où il était entré en contact avec l’esprit végétal. A ses côtés, l’animal féérique aux piquants feulait et crachait dans sa direction sans oser faire davantage.
- J’adore…
La flèche se ficha à travers sa main avec un léger sifflement. Poussant un cri de surprise et de douleur, il eut un mouvement de recul. Lames déjà dégainées, les deux autres vampires s’abritèrent aussitôt à l’ombre des arbres.
Avec un gargouillis inintelligible, la créature de limon s’effondra sur elle-même, rouée par le traitement infligé par Luther. Tenant au poignet son membre blessé, il balaya le sous-bois du regard.
- Sales mangeurs de fougères ! Montrez-vous ! Je sais que c'est vous qui...
Avant qu'il ne finisse sa phrase un elfe apparut brusquement devant lui, comme tombé du ciel. Et avant qu'il ne puisse en saisir davantage, il fut opposé à un mur d'acier qui l'obligea à bondir en retrait pour ne pas être lacéré. Le mort-vivant se retrouva en équilibre précaire sur le bord de l'eau, agitant les bras pour ne pas chuter. Sans hésiter un instant son adversaire le projeta dans l'eau d'un violent coup de pied dans l'estomac.
Aussitôt d'autres attaquants jaillirent des branches et buissons, s'interposant entre l'étang et les deux autres vampires.
- D'où ils sortent ? s'écria Manesh'k qui se voûta pour éviter une lame avant de bondir sur son agresseur.
Plus vif que son adversaire, il lui happa le poignet au vol et le projeta violemment sur l'un de ses compagnons. Mais plutôt que le renverser, le second l'évita d'une roulade avisée. Son arme ricocha sur celle du mort-vivant avec une pluie d'étincelles. Manesh'k parvint à parer et l'envoyer bouler dans une nouvelle direction. Du coin de l'œil il remarqua que son premier ennemi était déjà sur ses appuis et prêt à revenir à la charge.
Il fit volte-face lorsqu'un nouvel individu se laissa tomber derrière lui, mais retint sa lame en avisant sa tenue.
- C'est qui ces types ? grinça Manesh'k que se colla dos à dos avec lui.
- Aucune idée, répondit Gilnash. Je ne les ai jamais vus.
- Mmh ?
- Jamais, vraiment, insista-t-il. Mes compagnons n'ont jamais vu d'elfes bouger comme eux. On dirait plus des acrobates que des combattants. Ou des danseurs, aussi...
Manesh'k balaya lentement le groupe d'une dizaine d'individus qui encerclait les deux frères d'armes.
- Nous ne sommes pas ici pour nous battre, commença Gilnash. Nous ne voulons aucun mal à…
Une flèche siffla entre eux, Manesh'k tirant son frère avec lui. Il chercha un instant l’auteur de ces tirs. En vain. Il grimaça.
- A présent, MOI je vous veux du mal, énonça-t-il sombrement avant de bondir dans la mêlée.
Luther se redressa et s'ébroua en projetant de l'eau partout. Immergé jusqu'à la poitrine, il prit enfin le temps d'étudier son agresseur. L'elfe vêtu d'un simple pagne le toisait depuis la rive. Il était plus grand que le vampire, fait rare pour un elfe. Tout comme l'un des forestiers battu la veille, il se battait avec deux épées. Mais surtout, il arborait les tatouages de loups jumeaux étalés sur le torse. Des feuilles de lierre remontaient ses cuisses et s'enroulaient autours de ses bras jusqu'à ses mains. Des plumes stylisées étaient aussi peintes sur l'une de ses joues.
Guère impressionné, le vampire prit le temps de cracher un peu d'eau en lui jetant un regard noir.
- Pour ça tu vas payer l'elfe. Pour toi je vais faire une exception. Ma lame va rouiller, mais si je la trempe dans du sang d’elfe...
- Je demande à voir, répondit-il, immobile alors que Luther dégainait son arme.
Il poussa un cri de colère et s'élança vers cet elfe effronté. Mais alors qu'il allait s'extraire de l'étang, l'eau trouble recommença soudain à bouillonner autour de lui.
- Que...
Des racines noueuses jaillirent brusquement de l'eau et dans de grandes éclaboussures se jetèrent à l'assaut du vampire. Avant qu'il ne comprenne l'origine de ce nouvel assaut, les tentacules d'écorces s'enroulaient autours de ses chevilles, de ses hanches et ses poignets. Étranglé par un collet végétal, il disparut dans les profondeurs, entraîné dans les ténèbres.
- Luther !
Repoussant brutalement l'elfe qui lui faisait face, Manesh'k se fraya un chemin jusqu'à la rive, plusieurs lames venant rebondir sur sa cuirasse. Lorsque deux autres guerriers elfes jaillirent devant lui, il poussa un grondement de haine.
- Du vent !
D'un pas de côté il évita le troisième individu venant de derrière. Il s'écroula comme une masse sous le coup de pommeau que le vampire lui infligea. Celui-ci ne reviendrait plus à l’assaut après une nouvelle roulade.
- J'en ai plus qu'assez, laissez-moi où je vous saigne jusqu'au dernier !
Afin d'appuyer sa menace, il se mit en garde, prêt à bondir, sa lame en avant. Au-dessus des combattants le farfadet aux piquants observait la lutte du mort-vivant. Il oscillait ici et là, hésitant sur la démarche à suivre.
- Il me plait celui-là.
Les deux combattants jetèrent un œil furtif derrière eux, ne quittant pas Manesh'k des yeux, à raison. Celui qui avait parlé avait jeté Luther à l'eau. L’esprit aux piquants se tournait à son tour vers lui. Le vampire serra la poignée de son arme encore un peu plus fort.
- C'est une juste fin que la noyade pour votre sacrilège, déclara-t-il avec un sourire féroce.
- Noyade ? répéta Manesh'k du bout des lèvres.
- Lorsqu'une Lémure emmène un corps, jamais il ne remonte à la surface, ajouta l’elfe avec un sourire moqueur.
Puis il fit quelques moulinets à l'aide de ses deux épées avant d'imiter la position du vampire.
- N'ai crainte, tu le retrouveras dans quelques instants.
- Si tu savais...
Tous deux bondirent simultanément alors que les autres elfes s'écartaient de la lutte à venir.
Esquive, parade, roulade, esquive à nouveau... ses trois adversaires étaient doués. Très doués mêmes. Mais Gilnash se battait depuis l'aube de la civilisation humaine. Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’il combattait en sous-nombre. Mais lorsqu'une lame elfique lui entailla le flanc, il se fit une raison. Aussi doué soit-il, il ne pourrait pas continuer ce ballet mortel éternellement. Il profita d'un temps de répit entre deux assauts et jeta un regard alentour. Manesh'k ferraillait avec un autre elfe à moitié nu, entourés par plusieurs de ces étranges combattants. Aucun signe de Luther. Pas non plus d'archer en vue. Quoique. La flèche qu'avait reçue le cadet ne venait pas de l'un de ces guerriers. Aucun ne portait d'arc ou de carquois.
Du coin de l'œil le mort-vivant remarqua tout à coup une ombre glisser par-dessus les feuillages. En même temps que ses sens s'emballaient et que ses ennemis revenaient à la charge, il bondit vers le haut. Le vampire s'accrocha à la première branche venue. S’appuyant d’une main et du coude pour son bras armé, il se hissa sans perdre un instant. Les elfes ne tarderaient pas à l'imiter.
Un brassement d'air. Son instinct ne l'avait pas trompé. Sautant d'une branche à une autre, il remonta une ramification tel un funambule et, proche de la cime, prit son élan... pour se retrouver face à un simulacre de visage, tout composé de ronces !
- Que...
Avant qu'il ne réalise quel était ce nouvel assaut, la chose le balaya. L'instant suivant, il plongeait dans le vide.
Le choc sur la terre ferme fut douloureux. Avec mille précautions Gilnash roula sur le côté. Il avait perdu l’épée lahmienne dans la chute mais qu'importe, il avait toujours ses dagues, accrochées à ses hanches. Alors qu'il se relevait pesamment, il remarqua que les elfes n'approchaient pas. Ils restaient à une distance plus que raisonnable du vampire secoué.
Gilnash fit volte-face lorsqu’un gémissement rauque jaillit dans son dos. D’un pas de côté il évita le fouet végétal qui l'avait propulsé dans les airs. Sans perdre un instant, il s’écarta de cette chose tout en conservant les elfes dans son champ de vision. Mais ils avaient leurs armes baissées, se contentaient d’observer le mort-vivant et le nouveau venu. Par conséquent, il se tourna vers ce nouvel ennemi qu’il étudia d’un regard méfiant.
Cette... créature, ressemblait étrangement à la chose dans l'étang. Si ce n'est qu'elle avait clairement la silhouette d'un humanoïde. Ses jambes étaient composées de racines, semblables à celle d'un arbre des mangroves, tout entremêlées de ronces. Son torse était de l'écorce creuse où aucun cœur n'était visible. Il remarqua que le bras droit possédait une épaule mais se ramifiait en fouet de ronces entremêlées, celui qui l’avait fait chuter de si haut. Le droit, lui, n'était composé que d'écorce noire et lisse, clairsemé d'épines et se terminant par trois serres acérées.
D'un mouvement fluide, Gilnash dégaina ses dagues. Il grimaça lorsque la créature chargea : d'autres spécimens variés venaient d'apparaître derrière la première. Cela allait des roses aux roseaux en passant par divers aspects d’écorces… Ses milles ans d'existence allaient peut-être lui être entièrement nécessaire...
- Anok, mais qu'y a-t-il ?
Juchée sur son faucon, l'elfe avait le plus grand mal à contrôler son ami à plumes. Dès l'instant où ils s'étaient approchés de la Mortourbe, il avait commencé à se comporter bizarrement. Jamais lors de leurs combats contre des hommes-bêtes ou des peaux vertes il ne s'était comporté ainsi. Il refusait catégoriquement de s'approcher de la cime des arbres. Mais dès que Gailrya tentait de l'orienter dans une nouvelle direction, il revenait survoler les combats.
Non loin, elle voyait que l'aigle de l'autre chevaucheur posait les mêmes problèmes qu’Anok. Quelque chose, en bas, perturbait les deux volatiles. Chose qui l’encourageait elle davantage à se joindre au combat ! Bothel, son frère, avait lui-même jeté l'un des vampires entre les griffes mortelles des lémures. Puis il avait engagé le combat avec un second. Combat qui durait encore d'après les éclats métalliques qui lui parvenaient. Elle sera le bois de son arc à s'en blanchir les phalanges. Qu'est-ce qui en bas pouvait pousser leurs rapaces à refuser le combat, mais également les obstiner à rester sur le champ de bataille ?
Il n'y avait plus que deux ennemis, le troisième mangeant les nénuphars par les racines. L'un d'entre eux en étaient réduit à affronter un groupe de dryades à la dague. Le dernier affrontait son fils en combat singulier. Les autres danseurs de la troupe s'étaient écartés et formaient un cercle autour des belligérants, près à embrocher le mort-vivant s'il tentait de fuir.
Un détail dérangeait toutefois le seigneur elfe, entouré de Warda et Anos. Lorsque le premier vampire avait disparu sous la surface, cet individu c'était précipité à son secours, s'était fait violence pour se frayer un chemin parmi les guerriers. Mais après avoir échangés quelques mots avec son fils, son comportement avait radicalement changé. Il... s'amusait. C'était le mot qu’il emploierait. Alors même qu'il livrait un combat mortel avec Bothel, l'un des plus dangereux guerriers qu'il ait été donné à Helion de voir, il ne portait aucun coup mortel. Rien ne trahissait ce sentiment sur son visage impassible. Il portait des coups ravageurs à l'elfe. Mais plus le combat durait, plus il avait le sentiment d'avoir raison.
- Tu es fort, le monstre, le harangua Bothel entre deux passes d'armes. Mais je te découperais quand même en morceaux !
Et il effectua une nouvelle rotation que le vampire évita d'un bond en arrière, s'arrêtant à une longueur d'épée du danseur.
- Tu n'es pas mauvais non plus mon garçon, répondit Manesh'k en s'écartant face à une nouvelle charge de l'elfe tatoué.
Helion grimaça en voyant que plusieurs danseurs durent s'écarter de l'arc de cercle décrit par la lame elfique pour ne pas le gêner. Le calme évident de l'intrus, en comparaison avec la haine déployée par Bothel, ne faisait qu'appuyer son impression. Il grimaça davantage en entendant la suite.
- Je... ne... suis... pas... ton garçon ! rugit-il en ponctuant chaque syllabe de moulinets rageurs.
Il effectua brusquement une roulade en avant et se redressa aussitôt, prenant de vitesse le vampire dont la cuirasse encaissa le coup.
- J'ai vu passer plus de cinq cent hivers, déclara l'elfe avec un sourire mesquin.
Reniflant, Manesh'k examina rapidement sa tenue. Un impact de lame parmi tant d'autres... Il jeta un œil critique à l'elfe confiant.
- Je vais te faire une confidence, commença-t-il en esquissant à son tour un sourire qui révéla des canines surdéveloppées. J'ai plus de deux milles ans.
- Pardon ? hoqueta Helion de sa position en retrait.
Et le vampire, éclatant de rire, chargea à son tour un Bothel qui avait aussitôt cessé de rire.
- Cette chose aurait deux milles ans ? Ce monstre ment ! Cela ne peut pas être possible !
Anos se contenta de hausser les épaules, gardant les bras croisés. La forêt elle-même regorgeait de secrets encore bien plus anciens. Que ces choses soient si âgées l'étonnait, mais n'avait rien d'impossible.
Warda quant à elle n'observait pas le même combat. Elle était tournée vers le vampire aux dagues, bien plus en difficulté face à la dizaine de dryades auxquelles il faisait face. Sa tenue était en lambeaux et plusieurs plaies s'étalaient sur son visage et ses bras. Mais il continuait le combat sans une interruption. Tel un danseur il évita un assaut venu de derrière lui. A peine réceptionné il se pencha en arrière pour éviter un membre de bois plus pointu qu'une lance et d'un mouvement sec il le sectionna. Il se laissa brusquement tomber au sol pour éviter une troisième attaque à hauteur d'épaules et en profita pour balayer la dryade blessée d'un mouvement circulaire des jambes.
- Quelque chose ne va pas, murmura-t-elle.
- Oui, Bothel aurait déjà dû en finir depuis...
- Je ne parle pas de ça, coupa l'enchanteresse. Les dryades...
Anos et Helion se tournèrent vers elle, intrigués.
- Les dryades ? répéta le changeur de peau.
- D'habitude elles résident loin de cette partie de la forêt...
- Je ne vois pas en quoi...
Un véritable cataclysme bouscula soudain plusieurs arbres, menaçant de les déraciner. Le sol trembla alors que la masse imposante du nouvel et immense belligérant heurtait le sol. Plusieurs danseurs s'écartèrent aussitôt, manquant de justesse d'être réduis en purée écarlate. Manesh'k comme Bothel firent plusieurs pas en retrait, dominés par ce béhémot d’un autre âge. Même les dryades interrompirent leurs assauts.
Se tassant sur lui-même, le colosse exulta avec un grondement rauque, semblable au fracas d'une avalanche. Il dominait largement les humanoïdes, ses plus hautes branches côtoyant les cimes locales. Personne ne réalisa le moindre geste. L'arrivée fracassante avait littéralement gelé les combats.
- Par Isha... murmura Anos.
- Gusternum... d'où...
- C'est un esprit, souffla Warda, tout aussi abasourdie. Bien qu'incarné, il connaît mieux les sentiers secrets que n'importe quel asrai !
Le regard vert étincelant de la créature était rivé sur le mort-vivant. Elle beugla à nouveau et arma une frappe titanesque d’un membre droit. Manesh'k comme Bothel plongèrent de part et d’autre pour éviter le coup qui fit trembler le sol sous leurs pieds. Les yeux écarquillés, Manesh'k le vit ramener à lui l'amalgame de lianes qui l'aurait violemment écrasé. Pesamment, le monstre se redressa, faisant glisser ses branches souples comme des tiges de saule. Elles laissèrent des sillons profondément creusés dans l'humus.
- Bothel sort de là ! s'écria Helion comme son fils restait à côté du vampire.
Mais le danseur n'en eût pas le temps. La bête d'écorce enchaîna brusquement avec une nouvelle attaque. Elle les utilisait comme des fouets surdimensionnés et chacun de ses coups provoquaient de nouvelles secousses. Celles-ci dessinaient des cercles concentriques à la surface de l'eau comme la colère primale s'acharnait sur sa cible.
Entre deux coups le danseur de guerre parvint à rouler en-dehors de l'aire de combat redessinée par ce gigantesque combattant. Hébété, il observa son adversaire continuer à esquiver les attaques de l'homme-arbre. Puis il se tourna vers l'homme-arbre lui-même. Il avait déjà eu l'occasion de voir et même combattre au côté d'un de ces esprits vénérables. Mais les quelques secondes passées face à lui avaient suffis à Bothel pour comprendre qu'il n’avait rien à voir avec ses semblables. Jamais un autre gardien de la forêt n'aurait bousculé de jeunes pousses pour arriver au combat, n'aurait attaqué un elfe pour blesser un ennemi ni ne mutilerait ainsi aveuglément le sol. Il connaissait le nom de cet homme-arbre et l'histoire de son incarnation végétale. Mais voir sa colère de ses propres yeux était une tout autre chose. Gusternum...
Il continuait à marteler le sol à l’aide des branches épaisses ressemblant vaguement à des bras, deux de chaque côté du tronc. Mais le vampire était vif, Bothel l’avait lui-même découvert à ses dépens. Gusternum n’arriverait pas à le faucher ainsi et il dû s’en rendre compte car il cessa. Il fit un pas raide en avant, les racines entourant son pied s’enfonçant aussitôt dans le sol. Si on pouvait appeler cela un pied : ses jambes n’étaient que le tronc souple de l’arbre dans lequel Gusternum s’était incarné, fendu en deux afin de pouvoir arpenter le monde… Il gronda à nouveau avant de se redresser avec une multitude de craquements. Le mort-vivant leva sa lame, paré à toute éventualité.
- Reculez ! ordonna soudain Helion d’une voix effrayée comme son fils les rejoignait.
Manesh’k jeta un œil rapide à l’elfe en entendant le ton de son ordre avant de se reconcentrer sur son ennemi. Dans un panache orangé, celui-ci éructa en l’air une fine poudre qui retomba rapidement sur le mort-vivant, désormais seul face à l’homme-arbre. Piégé, il balaya la clairière dégagée du regard, attendant les effets de la substance qui le recouvrit commet une pluie fine. Son énorme adversaire s’immobilisa sans le quitter du regard.
- Père, qu’est-ce ? interrogea Bothel sans ciller.
- Des spores dévoreuses de métal, murmura-t-il simplement.
- Des quoi ?
- Lorsqu’il y a plusieurs siècles, Gusternum c’est incarné pour repousser des bucherons nains, il les a affrontés avec ce procédé, répondit Anos sans prendre la peine de se tourner vers le danseur.
Une sangle se détacha brusquement du harnois de Manesh’k. Il baissa le regard et vit son épaulière suivre le même chemin. Puis son fourreau tomba à son tour. C’est avec des yeux ronds qu’il vit l’une de ses genouillères brusquement craquer en deux avant de rejoindre le reste. Observant la scène d’un œil absent, Anos reprit son récit :
- Les cottes de mailles et les lames des combattants sont tombés en poussière. Pas un n’a approché Gusternum avec une arme en métal. Et pas un n’est rentré à son foyer…
- Belle histoire que voilà.
Le changeforme fit volte-face et détourna le poignet du vampire dont le poignard ne trancha que du vent.
- Beau réflexes, l’elfe, commentât Luther en lui assenant un crochet de son autre main tout en l’aspergeant d’eau.
Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est qu’en encaissant le coup, l’elfe le saisirait de sa propre seconde main. Il amplifia son mouvement et souleva du sol le vampire abasourdit.
- Mais… il devrait être… commença Bothel dont le regard glissa jusqu’à la surface de l’eau.
- …mort ? Compléta Luther en se redressant, un sourire mesquin se dessinant sur ses traits. Je suis déjà mort. Tu espérais sérieusement noyer quelqu’un comme moi, dans une fosse pleine d’ossements ?
Et il chargea les quatre individus. Mais ce ne fut ni Bothel, ni Anos, ni Helion qui répliqua. Prenant le mort-vivant de cours, Warda se dressa sur son chemin, les bras grands écartés. Elle révéla l’intérieur du voile diaphane qui recouvrait sa tenue échancrée. Avant que Luther ne réagisse, une nuée d’ailes, de griffes et de piquants le pris à la gorge, l’aveuglant et déchirant la peau de son visage et ses bras. Il roula au sol en hurlant comme l’essaim d’esprits en tous genres s’acharnait sur lui.
- Je n’en crois pas mes yeux, il est ici !
- Qui ?
- Le gardien du bosquet ! s’écria Gailrya en abaissant son arc.
Alors qu’elle pressait Anok d’approcher elle put apercevoir la scène par une trouée : l’homme-arbre face à l’intrus désemparé et encerclé par les danseurs. D’un revers herculéen l’esprit le projeta en-dehors de son champ de vision. Cela en faisait un de moins. Elle vit également son frère et son père devant un autre ennemi recouvert de farfadets et gesticulant comme un diable. Puis son regard coula vers le dernier du groupe, incapable d’approcher, complètement cerné par les dryades. La scène était irréelle. Tant de moyens pour seulement trois individus ! Elle glissa son arc dans le carquois à son épaule, désœuvrée. Leur présence dans les airs n’était pas nécessaire avec une telle démonstration de force.
Avec douceur, elle intima à Anok de descendre un peu plus encore. Sans qu’elle sache pourquoi, sa réticence était repartie aussi brusquement qu’elle était venue. Battant vigoureusement des ailes, il descendit progressivement jusqu’à la trouée, imitée par son voisin sur un aigle géant. L’oiseau poussa tout à coup un cri strident en faisant une embardée.
- Manesh’k !
Le vampire fit mine de le rejoindre, mais aussitôt un mur de ronces vivantes et racines noueuses lui barrèrent la route, le défiant d’approcher. Sifflant, Gilnash répliqua sans perdre un instant et arracha des morceaux d’écorces à leurs propriétaires à coups de poignards. Mais les créatures de bois et de sève ne flanchèrent pas et au contraire, commencèrent à étouffer le mort-vivant sous leur seul nombre. A coup de griffes et d’épines les créatures végétales réduisaient progressivement la tenue frontalière en lambeaux…
Le cri qui résonna dans les frondaisons eu l’effet d’un éclair sur le mort-vivant. Il se redressa brusquement et repoussa sauvagement ses assaillants avant de se tourner vers son auteur. La masse imposante du rapace troua les branchages et écrasa plusieurs des créatures végétales avant de s’immobiliser à quelques mètres. Gilnash se précipita vers la créature à terre, bousculant les choses de ronces, se détournant du combat, de ses frères et de la menace des elfes. A cet instant précis, seul ce faucon immense importait. Lâchant ses dagues, il posa ses mains sur le plumage déjà poisseux alors que le corps était agité de spasmes. Il évita un coup d’aile sans y penser, heurté par l’agonie de l’oiseau. Puis il s’immobilisa. L’aile retomba et le sang cessa de gicler par la plaie béante.
Il entendait les cris de douleurs de ses compagnons. Il devinait les esprits de bois prêts à le réduire en pièces sous le regard des elfes. Il voyait la personne au carquois qui se relevait en titubant à côté de lui. Mais Gilnash n’avait d’yeux que pour l’auteur de cet acte atroce. Cet auteur qui se laissa tomber à son tour et le dévisagea d’un regard incandescents. Il fouetta l’air de sa longue langue dégoulinante d’humeur avant de lever ses deux lames rougeoyantes.
D’une roulade Gilnash évita le ciseau du démon tatoué. Avec un hurlement de rage il plongea les mains dans le torse composé d’écorce de la créature la plus proche. Celle-ci qui tentait justement de l’agresser fut projetée sans sommation à la face du monstre écarlate qui la trancha en deux avant de charger en feulant de haine.
- Qu’est-ce que c’est que… cette chose ! s’écria un elfe.
- Impossible…
C’était tout bonnement impossible. Un sanguinaire ne pouvait pas se trouver dans cette forêt. Pas ici. Pas aussi loin. Pas sans que Warda et la forêt elle-même ne l’aient perçus. Et pourtant il était là, se frayant un chemin mortel à travers les dryades pour atteindre le vampire. Vampire qui s’efforçait de rester en vie sous les lames de cette aberration contre-nature.
Même Gusternum se détourna de son ennemi à terre, sonné. Sa tenue était en miettes, mais par quelques magies son épée avait échappé au massacre. Secouant la tête, le mort-vivant suivit le regard émeraude et découvrit à son tour le démon qui venait semer la zizanie dans leur bataille. L’homme-arbre revint vers lui, puis à nouveau vers le démon écarlate. Manesh’k restant allongé par terre, il opta finalement pour ce nouvel ennemi. D’un pas lourd où la colère était perceptible, il se dirigea vers ce quatrième intrus.
Gilnash entendit l’approche plus qu’il ne la vit. Il manqua être balayé par la frappe sourde qui projeta son poursuivant hors de son champ de vision. Lui-même enchaîna par une seconde roulade pour se mettre hors de portée et évita de justesse les griffes d’une nouvelle créature des ronces. Il la repoussa et chercha le colosse des yeux, avant de constater que dans la confusion il était revenu à côté du cadavre de l’oiseau géant. L’ancien fauconnier grimaça de douleur. Une douleur qui n’avait rien de physique. En relevant la tête il constata que l’elfe qui chevauchait ce prince du ciel était face à lui. Une flèche en main. Des larmes plein les yeux. Elle poussa un cri de haine et de douleur puis se jeta sur lui. Le vampire n’eut qu’à faire un pas de côté pour l’éviter, puis fut éclaboussé en pleine figure.
Il cligna plusieurs fois des yeux avant de pouvoir réaliser ce qu’il venait de se passer. Tout devenait fou. Des pointes noires dépassaient du dos de cette nouvelle ennemie. En le chargeant à corps perdu, tout à son désespoir, elle venait de s’empaler sur les griffes d’une dryade qui s’apprêtait à embrocher le mort-vivant !
- Pour quelqu’un qui ne voulait pas tuer…
L’œil hagard, Gilnash se tourna vers son neveu méconnaissable. La peau de son visage avait été lacérée et son armure, déjà malmenée à Grissenwald, était en piteux état. Il maintenait Manesh’k debout, le bras passé autour de son épaule, à peine en meilleure forme. Ce dernier traînait son épée d’une main. Et juste au-dessus d’eux flottait encore et toujours la bête simiesque hérissée de piquants, étudiant passivement les deux mort-vivants. Derrière eux accouraient plusieurs combattants qui hésitaient visiblement sur la démarche à suivre : achever les vampires ou se joindre au colosse sur lequel le démon se jeta sans hésiter ?
- Gailrya !
Faisant des moulinets rapides avec ses lames, l’elfe tatoué se précipita à l’autre bout du champ de bataille. Il passa devant l’enchanteresse elle aussi dépassée par les évènements. Elle avait rappelé sa nuée de farfadets, laissant libre le premier vampire, et hésitait à présent à les envoyer harceler le démon. Mais elle ne comprenait toujours pas. Mais comment avait-il put arriver jusqu’ici ?
- Warda ! Bannissez-le !
- Quoi ?
- Bannissez-le ! répéta Helion, incrédule. Vous ! N’approchez ni les vampires ni le démon ! cria-t-il aux danseurs qui s’arrêtèrent en pleine charge.
Le flanc complètement écorché par le fouet aux feuilles acérées, le sanguinaire tatoué se relevait à nouveau, cicatrisant à vue d’œil.
- C’est impossible, réalisa Anos en sortant de sa réserve. Il ne peut pas se relever à nouveau ! Pas avec de telles blessures ! Il devrait repartir au néant !
- Bannissez-le ! Insista le seigneur.
Avec un beuglement sauvage, la bête écarlate bondit par-dessus un nouveau coup de fouet et parvint jusqu’à Gusternum. Sans cesser de mugir, elle traça deux sillons sur son tronc et arracha plusieurs plaques d’écorces au passage.
- Ecartez-vous d’elle ! Tout de suite ! hurla Bothel.
D’un bond agile il passa par-dessus les dryades tétanisées par la blessure soudaine du titan. Elles se détournèrent de Gilnash et s’avancèrent vers les duellistes, laissant seul l’elfe et les vampires. Mais le danseur n’en fut nullement affecté. Sa sœur et les restes d’une dryade gisaient aux pieds de Luther. Un sourire se dessina sur sa face méconnaissable.
- C’est d’elle que tu parles ? le provoqua-t-il en prenant le corps par la gorge.
Sans peine apparente, il souleva le corps inanimé, ses pieds ne touchant plus le sol.
- Tu…
Une détonation coupa brutalement l’elfe. L’explosion sépara le sanguinaire de l’arbre vivant et les jeta tous deux au sol. Alors que Manesh’k, dépassé par les événements, se tournait vers eux, il ne put qu’être éblouit par le flash qui s’ensuivit. Puis plus rien.
Lorsque, le regard plissé, Bothel recouvra la vue, les trois vampires et sa sœur avaient… disparus. Purement et simplement. Il fit volte-face, incrédule, alors que l’enchanteresse découvrait avec horreur le résultat de son sort.
- Ca… Ca… Ca a rebondit… bégaya-t-elle alors qu’Helion comme Anos ne réalisaient pas encore ce qu’il venait de se produire.
D’un bond agile, le héraut de Khorne se releva et balaya l’assemblée du regard, cherchant ses proies. Son regard lumineux s’attarda un instant sur Warda qui eut un hoquet en découvrant la rune de métal sombre qui pendait à son cou. Puis, avant que l’homme-arbre massif ne se remette sur pieds lui aussi, il s’élança en direction du sous-bois en emportant ses deux lames. Ni les elfes ni les dryades ne tentèrent de le poursuivre.
- Que vient-il de se passer ? demanda un danseur de guerre à son voisin tout aussi perdu que lui.
Les vampires s’étaient tout bonnement volatilités.
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Re: Feu et Sang
Dim 13 Juil 2014 - 14:33
Encore une très belle scène !
Fais juste attention. Depuis le début nous comprenons que ton style penche pour le côté confusion des scènes, mais seulement pour les personnages. Ici, la confusion arrive au lecteur avec un peu trop de gêne. Quelques fautes syntaxiques avec des mots qui manquent ou qui sont en trop.
Et je viens de repérer un détail, après je n'ai pas fait gaffe dans les autres textes... En fait, ta description des lieux est très bien, celle des personnages et de leurs actions aussi, mais il y a un léger manque sur la description logique/scénique. Autrement formulé, les descriptions qui font avancer l'histoire et qui donnent un lien logique entre les différentes actions.
Par exemple : la sortie de l'eau de Luther. Je sais que le but c'est de créer la surprise de son retour, surtout qu'on sait qu'il ne s'est pas noyé, et que le mystère repose sur le moment ou il revient. Mais tu passes du coq à l'âne en une fois, d'une réplique à l'autre, sans savoir ce qu'il se passe. Certes, tu fais souvent comme ça, mais d'habitude avec plus de subtilité. Ici, j'ai lu cinq-six lignes, je ne comprenais rien, j'ai fait machine arrière pour voir si ce n'était pas une nouvelle scène, j'ai relu, et c'est encore quelques lignes plus bas que j'ai compris que Luther était sorti de l'eau et avait coupé la parole à l'elfe en l'attaquant.
Bref, j'espère que tu comprends ce que je veux dire. Un style qui utilise subtilement la confusion, c'est super cool, mais ça demande aussi une concentration constante durant l'écriture
Et bien sûr, j'attends la suite !
Fais juste attention. Depuis le début nous comprenons que ton style penche pour le côté confusion des scènes, mais seulement pour les personnages. Ici, la confusion arrive au lecteur avec un peu trop de gêne. Quelques fautes syntaxiques avec des mots qui manquent ou qui sont en trop.
Et je viens de repérer un détail, après je n'ai pas fait gaffe dans les autres textes... En fait, ta description des lieux est très bien, celle des personnages et de leurs actions aussi, mais il y a un léger manque sur la description logique/scénique. Autrement formulé, les descriptions qui font avancer l'histoire et qui donnent un lien logique entre les différentes actions.
Par exemple : la sortie de l'eau de Luther. Je sais que le but c'est de créer la surprise de son retour, surtout qu'on sait qu'il ne s'est pas noyé, et que le mystère repose sur le moment ou il revient. Mais tu passes du coq à l'âne en une fois, d'une réplique à l'autre, sans savoir ce qu'il se passe. Certes, tu fais souvent comme ça, mais d'habitude avec plus de subtilité. Ici, j'ai lu cinq-six lignes, je ne comprenais rien, j'ai fait machine arrière pour voir si ce n'était pas une nouvelle scène, j'ai relu, et c'est encore quelques lignes plus bas que j'ai compris que Luther était sorti de l'eau et avait coupé la parole à l'elfe en l'attaquant.
Bref, j'espère que tu comprends ce que je veux dire. Un style qui utilise subtilement la confusion, c'est super cool, mais ça demande aussi une concentration constante durant l'écriture
Et bien sûr, j'attends la suite !
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Re: Feu et Sang
Dim 13 Juil 2014 - 15:07
Je rejoins Arken : il s'agit en effet d'une très belle scène, décrivant une situation des plus improbables, et riche en rebondissements de surcroît.
J'ai aussi vu plus de descriptions, Von Essen content maintenant , et je constate que tu es toujours aussi friand des descriptions de scènes de combat prolongé
Beaucoup de questions restent en suspens dans ce nouveau chapitre : où sont passés les vampires ? Comment sanguinosaure a-t-il réussi à passer inaperçu, qui plus est explicitement là où se trouvent les vampires ? Il n'y a pas de "treize" qui tienne, tu as intérêt à nous expliquer tout ça dans la suite !
J'ai remarqué quelques fautes par-ci par-là, donc je te conseille juste une relecture (j'ai décidé dorénavant de ne plus faire mon auto-correcteur, c'est long et ce n'est souvent pas ce qui intéresse l'auteur du texte )
En revanche, je peux paraître têtu, voire trop subjectif, mais je maintiens mon avis sur les mots "intrus" dans la narration : "ornithologue" me semble toujours un terme scientifique qui n'a pas sa place dans un monde médiéval-fantastique, et pareil pour les spores "oxydantes". Je reste persuadé que des mots plus simples pourraient les remplacer. Autre terme qui m'a piqué au vif : "protagoniste" pour désigner l'homme arbre. Pour moi, il s'agit d'un mot compliqué, voire technique, utilisé plus pour expliquer une mise en scène, mais hors narration.
Léger souci de fluff (mais c'est peut-être encore mon côté perfectionniste) : les vampires et les elfes sylvains parlent la même langue ? Cela m'étonne... légèrement, on va dire
Ah, et pour finir, je ne peux m'empêcher de penser que ça fait beaucoup de vampires millénaires sur ce forum mais nous savons parfaitement que c'est bien leur puissance insensée qui nous fait leur tresser des louages et narrer leur non-vie !
La suite !
J'ai aussi vu plus de descriptions, Von Essen content maintenant , et je constate que tu es toujours aussi friand des descriptions de scènes de combat prolongé
Beaucoup de questions restent en suspens dans ce nouveau chapitre : où sont passés les vampires ? Comment sanguinosaure a-t-il réussi à passer inaperçu, qui plus est explicitement là où se trouvent les vampires ? Il n'y a pas de "treize" qui tienne, tu as intérêt à nous expliquer tout ça dans la suite !
J'ai remarqué quelques fautes par-ci par-là, donc je te conseille juste une relecture (j'ai décidé dorénavant de ne plus faire mon auto-correcteur, c'est long et ce n'est souvent pas ce qui intéresse l'auteur du texte )
En revanche, je peux paraître têtu, voire trop subjectif, mais je maintiens mon avis sur les mots "intrus" dans la narration : "ornithologue" me semble toujours un terme scientifique qui n'a pas sa place dans un monde médiéval-fantastique, et pareil pour les spores "oxydantes". Je reste persuadé que des mots plus simples pourraient les remplacer. Autre terme qui m'a piqué au vif : "protagoniste" pour désigner l'homme arbre. Pour moi, il s'agit d'un mot compliqué, voire technique, utilisé plus pour expliquer une mise en scène, mais hors narration.
Léger souci de fluff (mais c'est peut-être encore mon côté perfectionniste) : les vampires et les elfes sylvains parlent la même langue ? Cela m'étonne... légèrement, on va dire
Ah, et pour finir, je ne peux m'empêcher de penser que ça fait beaucoup de vampires millénaires sur ce forum mais nous savons parfaitement que c'est bien leur puissance insensée qui nous fait leur tresser des louages et narrer leur non-vie !
La suite !
Re: Feu et Sang
Dim 13 Juil 2014 - 19:01
Merci pour vos réactions rapides et encourageantes
Je m'attendais à vos remarques et vais les étudier avec minuetie. Ce chapitre n'a pas été facile à rédiger : un environnement dont je ne suis pas familier, de nombreux personnages qui entrent en scène et doivent être introduit, toute la seconde partie du texte basée sur le combat et que j'essaie de conserver dynamique... oui ce chapitre a été l'un des plus complexes à réaliser depuis bien longtemps.
Désolééé...
Sur ce, j'ai de la relecture à faire. Je vais essayer d'éditer tout cela dans la soirée.
edit : done. J'ai retravaillé les différents sauts de personnages et entrées en scènes ce qui devrait rendre la compréhension des événements plus limpide. Egalement j'ai identifié et corrigé quelques mots manquants et modifié des mots "modernes". Fini l'ornithologue. Dommage qu'il n'existe pas de synonymes exacts xD.
La perfection ça n'existe pas. Mais on peut toujours s'en rapprocher. Pour ce texte ca fait une marche de passée. Il en reste beaucoup mais c'est déjà çà
Je pense pas que vous aurez le courage de relire les 13pages words, mais merci pour vos conseils, pour moi et pour les futurs visiteurs ^^
Je m'attendais à vos remarques et vais les étudier avec minuetie. Ce chapitre n'a pas été facile à rédiger : un environnement dont je ne suis pas familier, de nombreux personnages qui entrent en scène et doivent être introduit, toute la seconde partie du texte basée sur le combat et que j'essaie de conserver dynamique... oui ce chapitre a été l'un des plus complexes à réaliser depuis bien longtemps.
je plaide coupable et vais scanner mon texte (à nouveau ) afin de chasser ces intrus de mes lignesArken a écrit:Quelques fautes syntaxiques avec des mots qui manquent ou qui sont en trop.
il s'agit du reflet de ce que j'expliquais. Et l'exemple que tu met en avant va me permettre de retravailler cela (et surtout ce passage puisqu'il est celui qui t'a le plus marqué. Dommage car je souhaitais justement mettre le doute sur l'origine de ce combattant sorti de nulle part).Arken a écrit:il y a un léger manque sur la description logique/scénique
Arken a écrit:ça demande aussi une concentration constante durant l'écriture
Désolééé...
Hehehe, ça c'est l'une des clées pour la suite, par conséquent je resterais muet à ce sujet.Von Essen a écrit:où sont passés les vampires ? Comment sanguinosaure a-t-il réussi à passer inaperçu
Dans ce cas je vais retaper ce point également et appliquer un bon lifting à ce chapitreVon Essen a écrit:je maintiens mon avis sur les mots "intrus" dans la narration
de mémoire (j'ai lut "les gardiens de la foret" il y a très longtemps, les sylvains savent parler le bretonnien , bien qu'avec quelques lacunes et réticences. Les vampires y ont séjourné un moment, ils en parlent dans le chapitre précédent. Après d'ici à parler la même langue dès qu'ils se rencontrent... JOKERVon Essen a écrit:les vampires et les elfes sylvains parlent la même langue ?
Prem'sVon Essen a écrit:ça fait beaucoup de vampires millénaires sur ce forum
Sur ce, j'ai de la relecture à faire. Je vais essayer d'éditer tout cela dans la soirée.
edit : done. J'ai retravaillé les différents sauts de personnages et entrées en scènes ce qui devrait rendre la compréhension des événements plus limpide. Egalement j'ai identifié et corrigé quelques mots manquants et modifié des mots "modernes". Fini l'ornithologue. Dommage qu'il n'existe pas de synonymes exacts xD.
La perfection ça n'existe pas. Mais on peut toujours s'en rapprocher. Pour ce texte ca fait une marche de passée. Il en reste beaucoup mais c'est déjà çà
Je pense pas que vous aurez le courage de relire les 13pages words, mais merci pour vos conseils, pour moi et pour les futurs visiteurs ^^
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Re: Feu et Sang
Dim 10 Aoû 2014 - 22:30
Je viens de rattraper le retard que j'avais. Vu qu'il se fait un peu tard et que j'ai encire quelques textes à lire, je serai court.
En gros c'est toujours aussi bien. Ta description aussi bien des lieux que des différentes actions est extrêmement bien faite, comme toujours je peux dire.
J'attends avec impatience la suite de ton histoire je dois dire.
En gros c'est toujours aussi bien. Ta description aussi bien des lieux que des différentes actions est extrêmement bien faite, comme toujours je peux dire.
J'attends avec impatience la suite de ton histoire je dois dire.
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Veuillez à ne pas insulter les Hauts Elfes, sans quoi il vous en cuira. Le risque est un démembrement très rapide suivit d'une décapitation.
Re: Feu et Sang
Mar 16 Déc 2014 - 14:47
Après quelques mois de retard, me revoici pour le chapitre 13. Nos trois larrons ont-ils succombé au bannissement de l'enchanteresse ? Qu'adviendra-t-il des elfes et du démons de Sclèras ?
- Je répète que j'ignore ce qui s’est produit !
Le guerrier poussa un cri de rage avant de pointer un index accusateur sur Warda.
- Tout ceci est ta faute enchanteresse ! Si tu avais vu que ces vampires étaient aussi dangereux, si tu nous avais prévenu qu'un démon les servait, si tu n'avais pas abusé de tes...
- Bothel ! Assez.
L'ordre de son père était cinglant. Le ton comme le regard employé n'admettaient pas de protestations.
- Elle a tué Gailrya sous tes yeux ! s'écria-t-il toutefois, nullement intimidé. Elle vient de bannir ma sœur dans les bosquets perdus, ta propre fille a été...
Il s'interrompit soudain alors que le seigneur elfe allait répliquer. Une lueur lui traversa le regard et dans la seconde il fit volte-face, se penchant sur l'enchanteresse.
- Envoies moi là-bas ! Je la ramènerais !
- Que...
L'elfe recula de quelques pas, sa robe diaphane voletant derrière elle. Elle secoua la tête.
- Ce n'est pas possible...
- Bien sûr que si ! Tu as bien été capable d'y expédier ma sœur ! En quoi m'y envoyer serait différent ?
Warda soupira puis se tourna vers Helion en quête de soutien. Cependant, il n'était pas en mesure de lui apporter cette aide. Lui-même brûlait de lui réclamer cette faveur. Si elle n'était pas en mesure de décourager le danseur, il suivrait son fils dans cette folie.
- Ce n'est pas sans raison qu'il ne faut pas s'éloigner lorsque nous arpentons les sentiers secrets. Au-delà, Kurnous lui-même ne serait plus en sécurité.
Elle prit le temps de reprendre son souffle. Père et fils étaient pendus à ses lèvres.
- L'endroit où j'ai malencontreusement envoyé Gailrya se trouve au cœur de ces bois perdus. Elle ne peut...
- Envoies moi là-bas, réclama à nouveau Bothel. Je ne crains pas les esprits sauvages de Loren. Je...
- Tu n'auras aucun moyen de revenir, coupa-t-elle à son tour. Seul un adepte serait capable de revenir de cet endroit sans utiliser un passage. Or il est impossible d'en créer de nouveau ou de ramener quelqu'un depuis notre monde, sans quoi Gailrya serait déjà de retour parmi nous. Je suis désolée mais il n'y a aucun moyen de la ramener.
Bothel prit quelques secondes pour digérer ces informations. Mais déjà il revint à la charge :
- Dans ce cas viens avec moi. Tu pourras ainsi nous ramener tous les trois.
- Je...
- Cela ne serait qu'un juste tribut après ce que tu...
- Bothel ! s'écria Helion.
Celui-ci s'interrompit, rouge de colère.
- Père ! Elle...
- Elle ne peut quitter notre cité alors qu'un démon rôde dans nos bois !
- Ce ne serait l'affaire que de quelques minutes ! opposa-t-il. J'ai déjà arpenté les sentiers cachés, je sais que le temps s'y écoule différemment ! Chaque seconde que nous perdons sont des heures qui exposent Gailrya à...
- Sors.
L'ordre était sévère. Le regard du seigneur lourd de menaces.
- Mais père ! Elle est aveugle aux déplacements de cette créature ! Elle n'est ici d'aucune...
- Sors ! cria-t-il soudain.
L'espace de quelques instants le souverain sembla avoir gagné en stature. Il dominait à présent son fils pourtant bien bâtit. Sa tunique finement ciselée se soulevait au rythme de ses inspirations. Mais son poignet ne tremblait pas alors qu'il désignait fermement la sortie.
- Sors, répéta-t-il pour la troisième fois.
Fulminant, Bothel se précipita à l'extérieur de la demeure. Ce n'est qu'après une minute qui sembla durer des siècles que Warda rompit le silence.
- Helion...
- J'en ai assez entendu. Ce qui est fait... est fait. Trouve cette abomination.
La douleur était palpable dans la voix de cet elfe qui semblait maintenant bien moins imposant, écrasé par le poids du destin.
La mâchoire aux crocs acérés claqua dans le vide. Puis la bête retomba sur ses appuis et fit volte-face, prête à bondir à nouveau. Une lame Lahmienne vint toutefois la clouer au sol. L'acier lui traversait la gueule de part en part, pourtant celle-ci continua de gigoter pour s'en défaire. Il fallut s'acharner quelques instants et projeter des échardes dans toutes les directions pour qu'enfin la chose ne cesse de bouger.
- Cinq pattes, une gueule grande comme les trois quart du corps. Garnie de dents. Le reste est recouvert d'écailles... Cette chose est vraiment... en bois ?
Manesh'k s'agenouilla pour examiner le cadavre. Il esquissa une grimace puis se redressa. La réponse était positive...
Prudemment, il revint auprès des deux autres mort-vivants. Dans chaque direction, une lumière latente émanait des sous-bois, comme un coucher de soleil ayant lieu dans chaque direction, ou un incendie les ayant encerclé. Sauf que cette lueur ne tremblait pas comme l'auraient fait des flammes. Elle était diffuse, comme une sorte de brume s'étalant aux frontières de leur champ de vision. Et où qu'ils aillent, ces bêtes de ronces les traquaient et les agressaient sans relâche. Abattre leurs congénères ne les dissuadait pas vraiment de revenir à l'assaut...
Il posa le regard sur ses deux camarades. Tous les trois étaient en piteux états. La tunique impériale de Gilnash était en lambeaux et l'armure de Luther n'avait que peu à lui envier. Quant à Manesh'k il ne portait plus que des loques : à l'exception de son épée, tous les éléments de son équipement en métal étaient tombés en poussière. Jusqu'à sa boucle de ceinture et les ornements de son fourreau.
Mais, plus que leur état lamentable ou le fait qu'ils ignorent où ils étaient : l'elfe était avec eux, mourante. Mais bel et bien vivante. Les battements faiblissants du cœur logé dans sa poitrine résonnaient à leurs oreilles comme des coups de massue.
Gilnash leva la tête sur l’épéiste, hagard. Il devinait de quoi souffrait son ami. Depuis qu’ils avaient atterris dans cet endroit ils n’avaient pas entendu un bruit, hormis les bêtes de ronces. Pas un seul animal, pas le moindre chant d’oiseau. Ces bois nuisaient à l’ornithologue, coupé de ses compagnons à plumes. Plus longtemps ils resteraient là et plus Gilnash s’éloignerait d’eux. Manesh’k le savait. Ils avaient déjà été confrontés à ce genre d’isolement par le passé. Plus tôt ils quitteraient cette foret mieux se serait.
Venant brusquement voleter à hauteur du regard de Manesh’k, l'esprit translucide lui rappela que lui aussi avait été piégé. Agitant ses bras simiesques, trop long pour son corps trapu, il blâmait le mort-vivant pour quelque chose qu'il se fichait de savoir. Distraitement il le chassa de la main comme s'il s'agissait d'un insecte indésirable. Les piquants qui lui hérissaient le dos s'allongèrent comme il pestait de plus belle...
- Après ce qu'ils nous ont fait cela n'est que justice ! protesta à nouveau Luther. Si tu refuses de la saigner tant pis pour toi. Je me ferais un plaisir de m'en occuper !
Se nourrir aurait soulagé leurs blessures, à défaut de les régénérer. Mais malgré cela Gilnash refusa d'un signe de la tête. Le corps inanimé dans les bras, il percevait juste sous ses doigts les battements de cœur de plus en plus espacés. A seulement quelques centimètres sous la peau froide...
- Mais regarde la, cette chose de bois lui a fichu les tripes à l'air ! C'est gâcher de la nourri...
- Assez, soupira Gilnash alors que Manesh'k se laissait tomber, profitant de ces quelques instants de répit. Regarde autours de toi, ouvre tes sens. Nous ne sommes plus dans la forêt des elfes. Et de plus...
Il eut un rictus ironique.
- Nous ne souffrons pas de la soif. C'est la gourmandise et les années écoulées depuis notre malédiction qui te poussent...
- Pardon ?
Si Manesh'k avait encore eu un cœur, celui-ci aurait probablement raté un battement. Qu'est-ce que l'ornithologue lui sortait là ? Ils étaient écorchés, lacérés, les côtes brisées... Des mortels auraient été cloués au sol, auraient cessés de se battre... Et pourtant il réalisa que Gilnash disait vrai. Son regard alla de son ami à ses paumes de main. Luther était aussi bousculé que lui. Lui dont la peau du visage avait été arrachée, plus que ses aînés, aurait dû succomber à sa bête intérieure. Tous les trois, dans leurs états respectifs, n'auraient pas dû avoir à tergiverser sur une proie offerte comme celle-ci. Elle devrait déjà n'être qu'une carcasse exsangue depuis des heures. Or elle continuait d'agoniser entre leurs mains, bel et bien vivante.
- Où est-ce qu'on est ? s'interrogea une fois de plus le cadet à voix haute.
- Je crains qu'il n'y ait qu'elle qui puisse nous répondre, répondit Gilnash dans un souffle.
Se faisant il écarta une mèche de cheveux bruns, collés au front de la mourante par la transpiration. Elle était glacée sous ses doigts. Son regard était désolé.
- Tu n'y penses pas j'espère...
- Bien au contraire. Elle pourra nous apporter les réponses que nous cherchons plutôt que des brides de souvenirs dérobés au hasard, répliqua Gilnash.
- Mais... la malédiction affecte les elfes ? s'étonna Luther. Je croyais que Varison n'avait pas réussi à...
- Son infant était une bête dégénérée digne des rejetons d'Ushoran, expliqua Manesh'k sans quitter Gilnash du regard. Il était incapable de contrôler sa soif, c'est pourquoi il l'a lui-même abattu.
- Ah... Je vois. Mais alors...
Gilnash détourna le regard.
- Il espère que cet endroit atténuera sa soif comme il atténue les nôtres, devina Manesh'k à voix haute.
Du regard il balaya l'océan de fougères, songeur. Il s'attarda sur la lumière jusqu'à ce que l'esprit hérissé de piquants ne vienne à nouveau voleter dans son champ de vision. C'était un pari osé. Tous les trois avaient eu des réactions des plus violentes en embrassant la non-vie Mais avaient-ils seulement le choix ?
Assis en tailleur sur la branche basse d'un résineux, dénuée d'épines, le changeforme observait. En silence. L'immense homme-arbre était agité. Cela n'avait rien de nouveau. Mais les événements de la veille n'avaient de toute évidence rien arrangés. A plusieurs reprises, l'esprit vénérable avait brusquement disparut du bosquet pour réapparaître sans prévenir d'un autre côté. Même la suite de buissons incarnés et de dryades qui ne le quittaient jamais ne parvenait pas à le suivre. Ils entraient dans une frénésie confuse puis se ruaient vers l'homme-arbre lorsque celui-ci réapparaissait. A l'heure actuelle, Gusternum ne faisait probablement plus de distinction entre homme, elfe et mort-vivant. Aussi lorsqu'il entendit approcher l'enchanteresse, bien avant qu'elle ne soit en vue, il vint à sa rencontre. Se faisant, il contourna avec précaution les esprits de la forêt.
- Père et fils sont furieux, soupira-t-elle comme introduction.
- Ils ne sont pas les seuls, répondit Anos avec un nouveau coup d'œil au sous-bois. Allons plus loin.
Elle acquiesça. Ce n'est que lorsqu’ils se furent suffisamment éloignés au goût de l'elfe solitaire qu'il reprit :
- Il les recherche. La forêt est agitée de ses allées et venues entre ici et les sentiers.
- Oui, je le sens aussi. Mais je doute qu'il ne retrouve jamais Gaylria.
Anos la scruta, l'air surpris.
- Gusternum n'a que faire de la cavalière, fut-elle la fille d'Helion. Il n'a d'yeux que pour les vampires.
Elle hocha la tête en signe de résignation. Anos admettait déjà ce que ni elle ni sa famille refusaient d'accepter : Gaylria était morte à l'instant où le bannissement avait frappé la fille d'Helion.
- Je n'arrive pas à comprendre... murmura-t-elle. Comment tout ceci a-t-il put arriver...
Anos inclina la tête de côté, attendant de voir où l'enchanteresse voulait en venir.
- Le bannissement n'a eu aucun effet sur cette chose rouge et peinturlurée, pourtant Gaylria et les vampires ont disparus dans l'instant. Et puis... comment est-il arrivé jusqu'ici ? Si les vampires étaient capables de dissimuler sa présence, pourquoi ne l'ont-ils pas fait pour eux-mêmes ? Et comment ? Comment ont-ils fait et comment continuent-ils de le rendre invisible même aux yeux de Loren ! C'est impossible !
Se passant la langue sur les lèvres, Anos fit quelques pas, avant de revenir à l'enchanteresse.
- Je crois que nous prenons le problème à l'envers.
- A l'envers ?
- J'étais présent aux monolithes. Il n'y avait nulle trace du démon. Pourtant sa présence n'aurait pas été de trop. Et il n'était pas avec eux à la Mortourbe lorsque nous les avons pris en embuscade. Il n'est arrivé qu'ensuite.
- Où veux-tu en venir ? interrogea-t-elle en croisant les bras.
- Je ne pense pas que ces vampires contrôlent ou aient contrôlés le démon. Je pense qu'ils n'en ont pas même le pouvoir.
- Tu te trompes, deux d'entre eux ont manipulés...
- Les vents brun et sombre. Ce n'est pas suffisant pour invoquer un tel serviteur. De plus, celui-ci arborait un collier.
Devant la mine perplexe de son interlocutrice, Anos balaya du pied les feuilles mortes et révéla le terreau sous celles-ci. Du gros orteil, il traça grossièrement le symbole qu'il avait remarqué au cou de la bête. Un chiffre humain "huit", stylisé et déformé. Le regard de Warda s'éclaira aussitôt. Elle avait en effet vu le pendentif, mais sur le coup n'y avait accordé aucune importance.
- La rune du fléau...
Elle se tourna vers Anos qui prenait le temps de soigneusement effacer le dessin impie.
- Ce sanguinaire portait le symbole de Khorne lui-même ! C'est un élu de la ruine ! Il est...
La vérité semblait si évidente à présent...
Bothel se laissa tomber de la branche. Il s'approcha lentement de la dépouille, ses épaules s'affaissant à chaque pas. Les plaies à moitiés cautérisée fumaient encore avec la fraîcheur matinale. Le meurtre était tout récent, mais il était parfaitement conscient que traquer la bête serait vain. Les éclaireurs comme l'enchanteresse de son père étaient aveugles aux mouvements de cette créature. Lui, simple guerrier, n'avait que peu de chances de la retrouver.
Le combat avait dû être rude : la corne de l'animal était tachée d'un sang qui n'était pas le sien. Mais cela c'était révélé insuffisant… Au moins, l'agonie de la licorne ne s'était pas éternisée.
Poings crispés, il ravala un hurlement de rage. Son impuissance le rendait malade. Il ne pouvait pas sauver sa sœur. Il ne pouvait pas protéger la forêt du démon assoiffé de sang. Il ne pouvait pas passer sa colère sur les mort-vivants responsables de ce chaos.
Le regard sombre, il chercha quelle direction pouvait avoir empreinté la bête. En vain...
Délicatement, l'ornithologue déposa le corps par terre. Maintenant, il fallait attendre. Attendre que la malédiction fasse effet. Que cette elfe dont ils ignoraient tout les rejoigne dans la non-vie. Les trois vampires échangèrent plusieurs regards. Il n'y avait pas besoin de paroles. Ayant remarqué leur changement de comportement, l'esprit aux piquants vint voleter entre eux, mais ils n'y prêtèrent pas attention. Pas même lorsqu'il vint voleter près du visage de l'elfe, blême.
- Que...
Tous trois pivotèrent dans la direction qu'indiquait Luther. Quelqu'un les avait rejoints. A une dizaine de mètres d'eux, une autre elfe les dévisageait, impassible. Elle semblait apparue de nulle part, trompant les sens affûtés des mort-vivants
- C'est toi ! s'écria le cadet. C'est toi la truie qui nous a envoyé ici !
Mais l'enchanteresse ne répliqua pas, se contentant de les observer. Sa robe diaphane voletait autour d'elle. Pourtant il n'y avait aucun vent pour la soulever.
Levant son épée entre eux deux, Manesh'k fit quelques pas prudents vers elle.
- Elfe, commença-t-il. Nous ne vous voulons aucun mal. Ce qui est arrivé à cette malheureuse est un...
Sans prévenir l'elfe fut remplacé par une nouvelle créature végétale. A l'instant où l'illusion fut dissipée, elle ouvrit grand une gueule garnie d'épines. La chose projeta ses membres en avant et comme s'il s'agissait de lassos ils vinrent s'enrouler autour du vampire prit au dépourvu. Avant qu'il ne puisse réagir elle le traînait déjà à lui, des anneaux de lianes et de lierres se resserrant autour du mort-vivant. Son épée tomba au sol, inutile.
- Manesh'k !
Brandissant sa propre épée, Luther se précipita en avant. Il dû cependant se raviser : tel un monstrueux serpent, la bête de bois gobait tout entier son aîné. Etouffé et comprimé, il ne pouvait trancher à coup d'épée sans blesser la victime.
Il poussa un juron et attrapa sa dague. Le corps de Manesh'k était agité de spasmes incontrôlés. Même sa nature de mort-vivant ne pourrait supporter longtemps un tel traitement. Tirant sur un lien, Luther entreprit de le sectionner, mais celui-ci était recouvert d'une écorce sur laquelle sa lame ne faisait que glisser. De plus...
- Merde !
Il bondit en arrière, secouant sa main blessée. Ébahi il constata que des épines aussi longues que son index avaient instantanément jaillit du tentacule verdâtre. Elles avaient traversé son gantelet comme du papier. La mâchoire serrée, il chercha à toute allure comment aider le vampire. Il consulta l'ornithologue du regard, mais celui-ci n'avait pas de réponse à lui fournir, pris de cours...
Un cri inhumain fit brusquement sursauter Luther. Sous leurs yeux ébahis, la chose végétale... hurlait de douleur. Elle se tortilla en tous sens, visiblement en proie à une souffrance insoutenable. Ses tentacules glissèrent sur eux-mêmes jusqu'à révéler deux braises incandescentes. Les anneaux étrangleurs se resserrèrent plus encore, évitant soigneusement les sphères brûlantes. La bête avait l'intention d'en finir. Mais la manifestation arcanique entra en mouvement, venant s'apposer sur les plus gros anneaux.
Luther et Gilnash étaient pétrifiés. Tous deux étaient debout, face à ce prodige. Les boules de feu allaient et venaient, mutilant sans pitié l'incarnation végétale qui ne cessait de hurler. Uns à uns les tentacules tombaient au sol, noircis par les flammes. Jusqu'à ce que les anneaux ne se desserrent et que la créature ne roule pitoyablement au sol.
Devant eux, inspirant à pleins poumons, se tenait le vampire, secoué mais entier. Au creux de ses paumes étaient lovées les flammes salvatrices qui continuaient de brûler, alimentée par la rage du mort-vivant. Le souffle rauque, alors que celui-ci n'avait pas besoin de respirer de par sa nature, il les laissa progressivement se consumer. Sa peau ne portait même pas la trace des cendres du sortilège.
Les compagnons restèrent incrédules.
- Alors celle-là !
Manesh'k jeta à son cadet un regard fatigué. Il trébucha et sans Luther se serait pitoyablement étalé au sol.
- C'était incroyable ! Comment as-tu fait pour manipuler ces flammes ? le questionna-t-il sans se préoccuper de l'état du vampire.
- Laisse le récupérer une seconde, intervint Gilnash. Moi je vais t'expliquer.
Luther amena Manesh'k près du corps de l'elfe où il se laissa tomber de tout son poids.
- Mon gars, ça fait quatre jours que tu nous fais poireauter ici. Tes oiseaux de mort-vivants ont foutus le camp, qu'ils se soient engagés dans c'te forêt ou pas. Et j'voudrais aussi qu'tu nous explique pourquoi on doit faire ça.
Runtnar insista bien sur ce dernier mot, désignant l'assiette posée au milieu de la route, à quelques pas seulement de l'imposant menhir. Depuis leur arrivée, tous les trois campaient à l'orée de la forêt et laissaient une assiette de nourriture se gâter, au grand désarroi des deux nains. Tous deux n'étaient pas stupides et avaient bien compris qu'il s'agissait d'une offrande ou d'une sorte d’invitation. Ils savaient Loren hantée. Mais l'acharnement du répurgateur mettait leur patience à rude épreuve...
John garda le silence. Il n'avait pas vraiment de réponses à offrir. Si ce n'est qu'en pénétrant les bois sans invitation tous les trois ne trouveraient que la mort. Il soupira. La piste était froide à présent. Et les vampires avaient, selon toutes vraisemblances, disparus dans le sous-bois. Jamais ils n'en ressortiraient.
- Vous avez raison, soupira John qui tourna les talons. Nous n'avons plus rien à faire ici. Rentrons.
- Comment ? Attends bonhomme.
Runtnar vint se poster entre le répurgateur et son paquetage, fermement campé sur ses appuis.
- Tu vas plier les geôles, comme ça et rentrer prendre une tisane à Aldorf ? Après nous avoir fait cavaler à travers les cols et poireauter devant un tas d'fougères ? Juste parce que tu as les foies d'entrer dans c'te forêt ? Attends si j'me rappelle bien ces gars-là ont tués tes potes et massacrés deux patrouilles qui...
Il s'interrompit. Le rictus de haine qui c'était lentement dessiné sur le visage de John Grenaille le laissa sans voix. Plusieurs veines de son front pulsaient dangereusement au-dessus de ses yeux écarquillés. Il souffla intensément à plusieurs reprises, puis se détourna du nain. Il le contourna puis se pencha sur son paquetage.
- Messieurs.
John et Runtnar se tournèrent vers le second nain qui, comme à son habitude, était resté un témoin silencieux de toute la scène. Hrugnir c'était levé et, serrant le manche de son maillet, observait la route en plissant les yeux.
Un individu se trouvait entre le menhir et la gamelle. Seul, vêtu d'un pagne et armé d'une épée pointée vers le sol. Son torse, sa jambe et son bras droit étaient recouverts de tatouages de loups et végétaux, tandis qu'un rapace était dessiné sur sa joue. Son regard perçant était encadré de mèches de cheveux tressés. L'elfe était bien plus musclé que la plupart de ceux que John avait eu l'occasion de rencontrer.
- Allons bon, grogna Runtnir en attrapant son fusil.
- Baissez vos armes, intima John en s'avançant, les mains bien en vue. Faites-le ! insista-t-il comme tout deux restaient stoïques.
A contrecœur, Runtnar s'exécuta, ensuite imité par son frère.
- Veuillez accepter... commença John.
- Que venez-vous faire ici ? Questionna l'elfe sans détour, interrompant le répurgateur.
Les deux nains tiquèrent, mais John ne releva pas l'offense. Il délaissa l'offrande et les rituels dont on lui avait autrefois parlé pour entrer dans le vif du sujet.
- Nous sommes à la poursuite de trois fugitifs. Nous pensons qu'ils se sont enga...
La mine de l'elfe paru brusquement s'assombrir comme il avançait vers eux d'un pas énergique. Se faisant il releva sa lame d'un air menaçant. Runtnar le mit aussitôt en joue alors que Hrugnir se rapprochait de John.
- Vous allez me dire tout ce que vous savez, tout de suite !
Le sourire joyeux de Bothel et nos courses-poursuites au cœur de la foret faisait toujours fulminer notre père, Helion. Nous savions qu’il était interdit de venir dans ces bosquets. C’était précisément pour cela que ne venions qu’ici…
Le bonheur de vivre découvrir ces créatures fabuleuses. Les marchands les retiennent dans des cages parce qu’ils chantent, mais ils ne méritent pas d’être emprisonnés. Ces idiots ne comprennent même pas les mélodies : ce sont des prières d’espoir, de liberté, pas de vulgaires sons issus d’instruments humains.
Retiens attentivement mes paroles car je sais que tu les entendras. Mon nom est Gilnash et je suis né de l’autre côté du continent il y a des centaines d’années.
- Attends, je récapitule, stoppa Luther en se pinçant le front.
Il inspira puis repris mécaniquement :
- Pas le même monde, pas les mêmes flux d’énergie. Le feu de Tristotruc… le mage, n’a pas trouvé à s’alimenter. Donc il a puisé dans les réserves de Manesh’k. J’ai bon ?
- Plus ou moins, soupira Gilnash après une seconde. Mais l’idée est là.
Un craquement en hauteur les fit brusquement sursauter. Un nouvel ennemi venait de se laisser tomber des branches. Luther eu juste le temps de rouler de côté en emportant le corps de l’elfe pour ne pas qu’il soit découpé par un fouet végétal, hérissé d’épines. Jurant, Manesh’k se mit à genoux. Il était une cible facile dans son état.
Attrapant l’épée Lahmienne de son frère, Gilnash repoussa la bête. Mais celle-ci ne renonça pas et revint aussitôt à l’assaut.
La colère de père fut sans précédents lorsque Bothel partit. Même mon rite initiatique parmi les cavaliers du vent fut évincé. Pourtant je fus la première à souffrir de son départ : depuis toujours mon grand-frère avait été là. Et aujourd’hui il m’avait abandonnée.
Battre des ailes, crier sa joie à pleins poumons, sentir le vent sur ses plumes… Jamais je ne pourrais vivre de sensations plus intenses que partager le vol d’un prince des airs. C’est du moins ce que je croyais. En une nuit, la soif de sang a tout fait basculer.
Je sais que mes souvenirs défilent sous tes yeux en ce moment. Les souvenirs ne mentent pas. C’est pour cela que tu dois avoir confiance : nous ne sommes pas vos ennemis.
Le lien s’enroula autour de la lame. D’un coup sec elle fut projetée de côté. Toutefois la poigne du vampire ne céda pas et il suivit avec. Son corps se fracassa contre un tronc proche avant de disparaître sous les fougères.
La chose de ronces se tourna à présent vers ses victimes suivantes. Levant sa propre épée, Luther s’interposa entre elle et les deux blessés.
- Toi tu vas voir de quel bois je me chauffe, grogna-t-il, prêt à bondir au moindre mouvement de son ennemi.
Nullement intimidée la créature se jeta en avant et s’empala jusqu’à la garde. D’un mouvement rapide Luther arracha une partie entière de son corps, sans plus d’effet. Il roula à son tour de côté, touché à la tête par un membre bardé d’épines.
Se relevant péniblement, Gilnash vit leur ennemi se pencher sur Manesh’k, offrant son corps en bouclier à l’elfe inconsciente. Tous deux allaient être réduits en charpie s’il n’intervenait pas !
La coquille tremble sous mes doigts. Il est sur le point d’éclore. Et quelque minute plus tard, des étoiles pleins les yeux comme une petite fille, je découvre ce frêle animal. Non, il est bien plus qu’un animal. Aujourd’hui, ce n’est qu’un nouveau-né, mais demain il sera le seigneur du ciel. Il sera mon compagnon. Mon ami. Il sera Anok !
Combattre la soif pour chaque cœur battant à proximité, lutter contre la bête intérieure pour ne pas succomber à la folie. Les préceptes d’Abhorash sont inhumains. Ils sont trop durs à suivre… Mais il le faut. Car au fond de moi je sais qu’il s’agit de la seule chose à faire. Sinon s’ôter définitivement la vie. Pour mes frères des cieux et mes frères de sang, je serais fort, je saurais résister.
Je ne vais pas te cacher que le réveil sera douloureux. Tu as mortellement été touchée et je n’avais qu’un seul moyen de te sauver. A la soif viendras s’ajouter ta blessure. Il va te falloir réaliser l’impossible. Il va falloir que tu résistes. De toute façon, il n’y a pas d’hôtes ici pour te contenter.
Feulant avec plus de violence que jamais, l’esprit simiesque fusa de nulle part. Il traversa littéralement la bête de ronces avant de virevolter, gesticulant comme un diable. L’effet fut immédiat. Leur agresseur recula, affecté par l’animal intangible d’une quelconque façon. Il s’arc-bouta et poussa une série de grincements menaçants. Mais leur compagnon au dos de porc-épic ne se laissa pas intimider et continua de protester. Et, aussi incroyable que cela paraisse, il repoussait la créature. Beuglant des sons inarticulés, il continua de molester son adversaire jusqu’à ce que finalement il ne tourne les talons.
Bouches-bé, les trois vampires suivirent la bête de ronces du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans les ombres. Puis revinrent à l’esprit translucide.
- Par le feu du dragon, qu’est-ce qu’il vient de se passer ? jura Luther.
Aujourd’hui nous sommes assez forts. Père est enfin fier de nous et n’a plus besoin de nous comparer à Bothel. Lui-même est envieux de mon statut, il me l’a confessé lors d’une visite. Anok nous a emmenés tout deux sous les étoiles. A présents nous sommes réunis. Bothel, Anok et moi. Rien ne pourrait être plus merveilleux.
Il l’a fait. Père y est parvenu. La dépouille du monstre s’est fracassée devant nous, tandis qu’Abhorash était enfin libéré de la malédiction. C’est à peine croyable. Après tant de décennies, nous savons qu’il existe une transcendance à notre état. Et j’entends bien y parvenir moi aussi. C’est avec mes frère, Manesh’k et Walach que nous entamons notre propre quête. Nous trouverons nous aussi des adversaires à notre mesure. Nous vaincrons une fois pour toute la soif écarlate.
Les paupières de Gaylria se soulevèrent. Ses prunelles de jade étaient striées de rubis. Du plus profond de ses entrailles monta un cri d’agonie. Elle se redressa brusquement et laissa sa souffrance éclater à pleins poumons.
Chapitre 13
- Je répète que j'ignore ce qui s’est produit !
Le guerrier poussa un cri de rage avant de pointer un index accusateur sur Warda.
- Tout ceci est ta faute enchanteresse ! Si tu avais vu que ces vampires étaient aussi dangereux, si tu nous avais prévenu qu'un démon les servait, si tu n'avais pas abusé de tes...
- Bothel ! Assez.
L'ordre de son père était cinglant. Le ton comme le regard employé n'admettaient pas de protestations.
- Elle a tué Gailrya sous tes yeux ! s'écria-t-il toutefois, nullement intimidé. Elle vient de bannir ma sœur dans les bosquets perdus, ta propre fille a été...
Il s'interrompit soudain alors que le seigneur elfe allait répliquer. Une lueur lui traversa le regard et dans la seconde il fit volte-face, se penchant sur l'enchanteresse.
- Envoies moi là-bas ! Je la ramènerais !
- Que...
L'elfe recula de quelques pas, sa robe diaphane voletant derrière elle. Elle secoua la tête.
- Ce n'est pas possible...
- Bien sûr que si ! Tu as bien été capable d'y expédier ma sœur ! En quoi m'y envoyer serait différent ?
Warda soupira puis se tourna vers Helion en quête de soutien. Cependant, il n'était pas en mesure de lui apporter cette aide. Lui-même brûlait de lui réclamer cette faveur. Si elle n'était pas en mesure de décourager le danseur, il suivrait son fils dans cette folie.
- Ce n'est pas sans raison qu'il ne faut pas s'éloigner lorsque nous arpentons les sentiers secrets. Au-delà, Kurnous lui-même ne serait plus en sécurité.
Elle prit le temps de reprendre son souffle. Père et fils étaient pendus à ses lèvres.
- L'endroit où j'ai malencontreusement envoyé Gailrya se trouve au cœur de ces bois perdus. Elle ne peut...
- Envoies moi là-bas, réclama à nouveau Bothel. Je ne crains pas les esprits sauvages de Loren. Je...
- Tu n'auras aucun moyen de revenir, coupa-t-elle à son tour. Seul un adepte serait capable de revenir de cet endroit sans utiliser un passage. Or il est impossible d'en créer de nouveau ou de ramener quelqu'un depuis notre monde, sans quoi Gailrya serait déjà de retour parmi nous. Je suis désolée mais il n'y a aucun moyen de la ramener.
Bothel prit quelques secondes pour digérer ces informations. Mais déjà il revint à la charge :
- Dans ce cas viens avec moi. Tu pourras ainsi nous ramener tous les trois.
- Je...
- Cela ne serait qu'un juste tribut après ce que tu...
- Bothel ! s'écria Helion.
Celui-ci s'interrompit, rouge de colère.
- Père ! Elle...
- Elle ne peut quitter notre cité alors qu'un démon rôde dans nos bois !
- Ce ne serait l'affaire que de quelques minutes ! opposa-t-il. J'ai déjà arpenté les sentiers cachés, je sais que le temps s'y écoule différemment ! Chaque seconde que nous perdons sont des heures qui exposent Gailrya à...
- Sors.
L'ordre était sévère. Le regard du seigneur lourd de menaces.
- Mais père ! Elle est aveugle aux déplacements de cette créature ! Elle n'est ici d'aucune...
- Sors ! cria-t-il soudain.
L'espace de quelques instants le souverain sembla avoir gagné en stature. Il dominait à présent son fils pourtant bien bâtit. Sa tunique finement ciselée se soulevait au rythme de ses inspirations. Mais son poignet ne tremblait pas alors qu'il désignait fermement la sortie.
- Sors, répéta-t-il pour la troisième fois.
Fulminant, Bothel se précipita à l'extérieur de la demeure. Ce n'est qu'après une minute qui sembla durer des siècles que Warda rompit le silence.
- Helion...
- J'en ai assez entendu. Ce qui est fait... est fait. Trouve cette abomination.
La douleur était palpable dans la voix de cet elfe qui semblait maintenant bien moins imposant, écrasé par le poids du destin.
La mâchoire aux crocs acérés claqua dans le vide. Puis la bête retomba sur ses appuis et fit volte-face, prête à bondir à nouveau. Une lame Lahmienne vint toutefois la clouer au sol. L'acier lui traversait la gueule de part en part, pourtant celle-ci continua de gigoter pour s'en défaire. Il fallut s'acharner quelques instants et projeter des échardes dans toutes les directions pour qu'enfin la chose ne cesse de bouger.
- Cinq pattes, une gueule grande comme les trois quart du corps. Garnie de dents. Le reste est recouvert d'écailles... Cette chose est vraiment... en bois ?
Manesh'k s'agenouilla pour examiner le cadavre. Il esquissa une grimace puis se redressa. La réponse était positive...
Prudemment, il revint auprès des deux autres mort-vivants. Dans chaque direction, une lumière latente émanait des sous-bois, comme un coucher de soleil ayant lieu dans chaque direction, ou un incendie les ayant encerclé. Sauf que cette lueur ne tremblait pas comme l'auraient fait des flammes. Elle était diffuse, comme une sorte de brume s'étalant aux frontières de leur champ de vision. Et où qu'ils aillent, ces bêtes de ronces les traquaient et les agressaient sans relâche. Abattre leurs congénères ne les dissuadait pas vraiment de revenir à l'assaut...
Il posa le regard sur ses deux camarades. Tous les trois étaient en piteux états. La tunique impériale de Gilnash était en lambeaux et l'armure de Luther n'avait que peu à lui envier. Quant à Manesh'k il ne portait plus que des loques : à l'exception de son épée, tous les éléments de son équipement en métal étaient tombés en poussière. Jusqu'à sa boucle de ceinture et les ornements de son fourreau.
Mais, plus que leur état lamentable ou le fait qu'ils ignorent où ils étaient : l'elfe était avec eux, mourante. Mais bel et bien vivante. Les battements faiblissants du cœur logé dans sa poitrine résonnaient à leurs oreilles comme des coups de massue.
Gilnash leva la tête sur l’épéiste, hagard. Il devinait de quoi souffrait son ami. Depuis qu’ils avaient atterris dans cet endroit ils n’avaient pas entendu un bruit, hormis les bêtes de ronces. Pas un seul animal, pas le moindre chant d’oiseau. Ces bois nuisaient à l’ornithologue, coupé de ses compagnons à plumes. Plus longtemps ils resteraient là et plus Gilnash s’éloignerait d’eux. Manesh’k le savait. Ils avaient déjà été confrontés à ce genre d’isolement par le passé. Plus tôt ils quitteraient cette foret mieux se serait.
Venant brusquement voleter à hauteur du regard de Manesh’k, l'esprit translucide lui rappela que lui aussi avait été piégé. Agitant ses bras simiesques, trop long pour son corps trapu, il blâmait le mort-vivant pour quelque chose qu'il se fichait de savoir. Distraitement il le chassa de la main comme s'il s'agissait d'un insecte indésirable. Les piquants qui lui hérissaient le dos s'allongèrent comme il pestait de plus belle...
- Après ce qu'ils nous ont fait cela n'est que justice ! protesta à nouveau Luther. Si tu refuses de la saigner tant pis pour toi. Je me ferais un plaisir de m'en occuper !
Se nourrir aurait soulagé leurs blessures, à défaut de les régénérer. Mais malgré cela Gilnash refusa d'un signe de la tête. Le corps inanimé dans les bras, il percevait juste sous ses doigts les battements de cœur de plus en plus espacés. A seulement quelques centimètres sous la peau froide...
- Mais regarde la, cette chose de bois lui a fichu les tripes à l'air ! C'est gâcher de la nourri...
- Assez, soupira Gilnash alors que Manesh'k se laissait tomber, profitant de ces quelques instants de répit. Regarde autours de toi, ouvre tes sens. Nous ne sommes plus dans la forêt des elfes. Et de plus...
Il eut un rictus ironique.
- Nous ne souffrons pas de la soif. C'est la gourmandise et les années écoulées depuis notre malédiction qui te poussent...
- Pardon ?
Si Manesh'k avait encore eu un cœur, celui-ci aurait probablement raté un battement. Qu'est-ce que l'ornithologue lui sortait là ? Ils étaient écorchés, lacérés, les côtes brisées... Des mortels auraient été cloués au sol, auraient cessés de se battre... Et pourtant il réalisa que Gilnash disait vrai. Son regard alla de son ami à ses paumes de main. Luther était aussi bousculé que lui. Lui dont la peau du visage avait été arrachée, plus que ses aînés, aurait dû succomber à sa bête intérieure. Tous les trois, dans leurs états respectifs, n'auraient pas dû avoir à tergiverser sur une proie offerte comme celle-ci. Elle devrait déjà n'être qu'une carcasse exsangue depuis des heures. Or elle continuait d'agoniser entre leurs mains, bel et bien vivante.
- Où est-ce qu'on est ? s'interrogea une fois de plus le cadet à voix haute.
- Je crains qu'il n'y ait qu'elle qui puisse nous répondre, répondit Gilnash dans un souffle.
Se faisant il écarta une mèche de cheveux bruns, collés au front de la mourante par la transpiration. Elle était glacée sous ses doigts. Son regard était désolé.
- Tu n'y penses pas j'espère...
- Bien au contraire. Elle pourra nous apporter les réponses que nous cherchons plutôt que des brides de souvenirs dérobés au hasard, répliqua Gilnash.
- Mais... la malédiction affecte les elfes ? s'étonna Luther. Je croyais que Varison n'avait pas réussi à...
- Son infant était une bête dégénérée digne des rejetons d'Ushoran, expliqua Manesh'k sans quitter Gilnash du regard. Il était incapable de contrôler sa soif, c'est pourquoi il l'a lui-même abattu.
- Ah... Je vois. Mais alors...
Gilnash détourna le regard.
- Il espère que cet endroit atténuera sa soif comme il atténue les nôtres, devina Manesh'k à voix haute.
Du regard il balaya l'océan de fougères, songeur. Il s'attarda sur la lumière jusqu'à ce que l'esprit hérissé de piquants ne vienne à nouveau voleter dans son champ de vision. C'était un pari osé. Tous les trois avaient eu des réactions des plus violentes en embrassant la non-vie Mais avaient-ils seulement le choix ?
Assis en tailleur sur la branche basse d'un résineux, dénuée d'épines, le changeforme observait. En silence. L'immense homme-arbre était agité. Cela n'avait rien de nouveau. Mais les événements de la veille n'avaient de toute évidence rien arrangés. A plusieurs reprises, l'esprit vénérable avait brusquement disparut du bosquet pour réapparaître sans prévenir d'un autre côté. Même la suite de buissons incarnés et de dryades qui ne le quittaient jamais ne parvenait pas à le suivre. Ils entraient dans une frénésie confuse puis se ruaient vers l'homme-arbre lorsque celui-ci réapparaissait. A l'heure actuelle, Gusternum ne faisait probablement plus de distinction entre homme, elfe et mort-vivant. Aussi lorsqu'il entendit approcher l'enchanteresse, bien avant qu'elle ne soit en vue, il vint à sa rencontre. Se faisant, il contourna avec précaution les esprits de la forêt.
- Père et fils sont furieux, soupira-t-elle comme introduction.
- Ils ne sont pas les seuls, répondit Anos avec un nouveau coup d'œil au sous-bois. Allons plus loin.
Elle acquiesça. Ce n'est que lorsqu’ils se furent suffisamment éloignés au goût de l'elfe solitaire qu'il reprit :
- Il les recherche. La forêt est agitée de ses allées et venues entre ici et les sentiers.
- Oui, je le sens aussi. Mais je doute qu'il ne retrouve jamais Gaylria.
Anos la scruta, l'air surpris.
- Gusternum n'a que faire de la cavalière, fut-elle la fille d'Helion. Il n'a d'yeux que pour les vampires.
Elle hocha la tête en signe de résignation. Anos admettait déjà ce que ni elle ni sa famille refusaient d'accepter : Gaylria était morte à l'instant où le bannissement avait frappé la fille d'Helion.
- Je n'arrive pas à comprendre... murmura-t-elle. Comment tout ceci a-t-il put arriver...
Anos inclina la tête de côté, attendant de voir où l'enchanteresse voulait en venir.
- Le bannissement n'a eu aucun effet sur cette chose rouge et peinturlurée, pourtant Gaylria et les vampires ont disparus dans l'instant. Et puis... comment est-il arrivé jusqu'ici ? Si les vampires étaient capables de dissimuler sa présence, pourquoi ne l'ont-ils pas fait pour eux-mêmes ? Et comment ? Comment ont-ils fait et comment continuent-ils de le rendre invisible même aux yeux de Loren ! C'est impossible !
Se passant la langue sur les lèvres, Anos fit quelques pas, avant de revenir à l'enchanteresse.
- Je crois que nous prenons le problème à l'envers.
- A l'envers ?
- J'étais présent aux monolithes. Il n'y avait nulle trace du démon. Pourtant sa présence n'aurait pas été de trop. Et il n'était pas avec eux à la Mortourbe lorsque nous les avons pris en embuscade. Il n'est arrivé qu'ensuite.
- Où veux-tu en venir ? interrogea-t-elle en croisant les bras.
- Je ne pense pas que ces vampires contrôlent ou aient contrôlés le démon. Je pense qu'ils n'en ont pas même le pouvoir.
- Tu te trompes, deux d'entre eux ont manipulés...
- Les vents brun et sombre. Ce n'est pas suffisant pour invoquer un tel serviteur. De plus, celui-ci arborait un collier.
Devant la mine perplexe de son interlocutrice, Anos balaya du pied les feuilles mortes et révéla le terreau sous celles-ci. Du gros orteil, il traça grossièrement le symbole qu'il avait remarqué au cou de la bête. Un chiffre humain "huit", stylisé et déformé. Le regard de Warda s'éclaira aussitôt. Elle avait en effet vu le pendentif, mais sur le coup n'y avait accordé aucune importance.
- La rune du fléau...
Elle se tourna vers Anos qui prenait le temps de soigneusement effacer le dessin impie.
- Ce sanguinaire portait le symbole de Khorne lui-même ! C'est un élu de la ruine ! Il est...
La vérité semblait si évidente à présent...
Bothel se laissa tomber de la branche. Il s'approcha lentement de la dépouille, ses épaules s'affaissant à chaque pas. Les plaies à moitiés cautérisée fumaient encore avec la fraîcheur matinale. Le meurtre était tout récent, mais il était parfaitement conscient que traquer la bête serait vain. Les éclaireurs comme l'enchanteresse de son père étaient aveugles aux mouvements de cette créature. Lui, simple guerrier, n'avait que peu de chances de la retrouver.
Le combat avait dû être rude : la corne de l'animal était tachée d'un sang qui n'était pas le sien. Mais cela c'était révélé insuffisant… Au moins, l'agonie de la licorne ne s'était pas éternisée.
Poings crispés, il ravala un hurlement de rage. Son impuissance le rendait malade. Il ne pouvait pas sauver sa sœur. Il ne pouvait pas protéger la forêt du démon assoiffé de sang. Il ne pouvait pas passer sa colère sur les mort-vivants responsables de ce chaos.
Le regard sombre, il chercha quelle direction pouvait avoir empreinté la bête. En vain...
Délicatement, l'ornithologue déposa le corps par terre. Maintenant, il fallait attendre. Attendre que la malédiction fasse effet. Que cette elfe dont ils ignoraient tout les rejoigne dans la non-vie. Les trois vampires échangèrent plusieurs regards. Il n'y avait pas besoin de paroles. Ayant remarqué leur changement de comportement, l'esprit aux piquants vint voleter entre eux, mais ils n'y prêtèrent pas attention. Pas même lorsqu'il vint voleter près du visage de l'elfe, blême.
- Que...
Tous trois pivotèrent dans la direction qu'indiquait Luther. Quelqu'un les avait rejoints. A une dizaine de mètres d'eux, une autre elfe les dévisageait, impassible. Elle semblait apparue de nulle part, trompant les sens affûtés des mort-vivants
- C'est toi ! s'écria le cadet. C'est toi la truie qui nous a envoyé ici !
Mais l'enchanteresse ne répliqua pas, se contentant de les observer. Sa robe diaphane voletait autour d'elle. Pourtant il n'y avait aucun vent pour la soulever.
Levant son épée entre eux deux, Manesh'k fit quelques pas prudents vers elle.
- Elfe, commença-t-il. Nous ne vous voulons aucun mal. Ce qui est arrivé à cette malheureuse est un...
Sans prévenir l'elfe fut remplacé par une nouvelle créature végétale. A l'instant où l'illusion fut dissipée, elle ouvrit grand une gueule garnie d'épines. La chose projeta ses membres en avant et comme s'il s'agissait de lassos ils vinrent s'enrouler autour du vampire prit au dépourvu. Avant qu'il ne puisse réagir elle le traînait déjà à lui, des anneaux de lianes et de lierres se resserrant autour du mort-vivant. Son épée tomba au sol, inutile.
- Manesh'k !
Brandissant sa propre épée, Luther se précipita en avant. Il dû cependant se raviser : tel un monstrueux serpent, la bête de bois gobait tout entier son aîné. Etouffé et comprimé, il ne pouvait trancher à coup d'épée sans blesser la victime.
Il poussa un juron et attrapa sa dague. Le corps de Manesh'k était agité de spasmes incontrôlés. Même sa nature de mort-vivant ne pourrait supporter longtemps un tel traitement. Tirant sur un lien, Luther entreprit de le sectionner, mais celui-ci était recouvert d'une écorce sur laquelle sa lame ne faisait que glisser. De plus...
- Merde !
Il bondit en arrière, secouant sa main blessée. Ébahi il constata que des épines aussi longues que son index avaient instantanément jaillit du tentacule verdâtre. Elles avaient traversé son gantelet comme du papier. La mâchoire serrée, il chercha à toute allure comment aider le vampire. Il consulta l'ornithologue du regard, mais celui-ci n'avait pas de réponse à lui fournir, pris de cours...
Un cri inhumain fit brusquement sursauter Luther. Sous leurs yeux ébahis, la chose végétale... hurlait de douleur. Elle se tortilla en tous sens, visiblement en proie à une souffrance insoutenable. Ses tentacules glissèrent sur eux-mêmes jusqu'à révéler deux braises incandescentes. Les anneaux étrangleurs se resserrèrent plus encore, évitant soigneusement les sphères brûlantes. La bête avait l'intention d'en finir. Mais la manifestation arcanique entra en mouvement, venant s'apposer sur les plus gros anneaux.
Luther et Gilnash étaient pétrifiés. Tous deux étaient debout, face à ce prodige. Les boules de feu allaient et venaient, mutilant sans pitié l'incarnation végétale qui ne cessait de hurler. Uns à uns les tentacules tombaient au sol, noircis par les flammes. Jusqu'à ce que les anneaux ne se desserrent et que la créature ne roule pitoyablement au sol.
Devant eux, inspirant à pleins poumons, se tenait le vampire, secoué mais entier. Au creux de ses paumes étaient lovées les flammes salvatrices qui continuaient de brûler, alimentée par la rage du mort-vivant. Le souffle rauque, alors que celui-ci n'avait pas besoin de respirer de par sa nature, il les laissa progressivement se consumer. Sa peau ne portait même pas la trace des cendres du sortilège.
Les compagnons restèrent incrédules.
- Alors celle-là !
Manesh'k jeta à son cadet un regard fatigué. Il trébucha et sans Luther se serait pitoyablement étalé au sol.
- C'était incroyable ! Comment as-tu fait pour manipuler ces flammes ? le questionna-t-il sans se préoccuper de l'état du vampire.
- Laisse le récupérer une seconde, intervint Gilnash. Moi je vais t'expliquer.
Luther amena Manesh'k près du corps de l'elfe où il se laissa tomber de tout son poids.
- Mon gars, ça fait quatre jours que tu nous fais poireauter ici. Tes oiseaux de mort-vivants ont foutus le camp, qu'ils se soient engagés dans c'te forêt ou pas. Et j'voudrais aussi qu'tu nous explique pourquoi on doit faire ça.
Runtnar insista bien sur ce dernier mot, désignant l'assiette posée au milieu de la route, à quelques pas seulement de l'imposant menhir. Depuis leur arrivée, tous les trois campaient à l'orée de la forêt et laissaient une assiette de nourriture se gâter, au grand désarroi des deux nains. Tous deux n'étaient pas stupides et avaient bien compris qu'il s'agissait d'une offrande ou d'une sorte d’invitation. Ils savaient Loren hantée. Mais l'acharnement du répurgateur mettait leur patience à rude épreuve...
John garda le silence. Il n'avait pas vraiment de réponses à offrir. Si ce n'est qu'en pénétrant les bois sans invitation tous les trois ne trouveraient que la mort. Il soupira. La piste était froide à présent. Et les vampires avaient, selon toutes vraisemblances, disparus dans le sous-bois. Jamais ils n'en ressortiraient.
- Vous avez raison, soupira John qui tourna les talons. Nous n'avons plus rien à faire ici. Rentrons.
- Comment ? Attends bonhomme.
Runtnar vint se poster entre le répurgateur et son paquetage, fermement campé sur ses appuis.
- Tu vas plier les geôles, comme ça et rentrer prendre une tisane à Aldorf ? Après nous avoir fait cavaler à travers les cols et poireauter devant un tas d'fougères ? Juste parce que tu as les foies d'entrer dans c'te forêt ? Attends si j'me rappelle bien ces gars-là ont tués tes potes et massacrés deux patrouilles qui...
Il s'interrompit. Le rictus de haine qui c'était lentement dessiné sur le visage de John Grenaille le laissa sans voix. Plusieurs veines de son front pulsaient dangereusement au-dessus de ses yeux écarquillés. Il souffla intensément à plusieurs reprises, puis se détourna du nain. Il le contourna puis se pencha sur son paquetage.
- Messieurs.
John et Runtnar se tournèrent vers le second nain qui, comme à son habitude, était resté un témoin silencieux de toute la scène. Hrugnir c'était levé et, serrant le manche de son maillet, observait la route en plissant les yeux.
Un individu se trouvait entre le menhir et la gamelle. Seul, vêtu d'un pagne et armé d'une épée pointée vers le sol. Son torse, sa jambe et son bras droit étaient recouverts de tatouages de loups et végétaux, tandis qu'un rapace était dessiné sur sa joue. Son regard perçant était encadré de mèches de cheveux tressés. L'elfe était bien plus musclé que la plupart de ceux que John avait eu l'occasion de rencontrer.
- Allons bon, grogna Runtnir en attrapant son fusil.
- Baissez vos armes, intima John en s'avançant, les mains bien en vue. Faites-le ! insista-t-il comme tout deux restaient stoïques.
A contrecœur, Runtnar s'exécuta, ensuite imité par son frère.
- Veuillez accepter... commença John.
- Que venez-vous faire ici ? Questionna l'elfe sans détour, interrompant le répurgateur.
Les deux nains tiquèrent, mais John ne releva pas l'offense. Il délaissa l'offrande et les rituels dont on lui avait autrefois parlé pour entrer dans le vif du sujet.
- Nous sommes à la poursuite de trois fugitifs. Nous pensons qu'ils se sont enga...
La mine de l'elfe paru brusquement s'assombrir comme il avançait vers eux d'un pas énergique. Se faisant il releva sa lame d'un air menaçant. Runtnar le mit aussitôt en joue alors que Hrugnir se rapprochait de John.
- Vous allez me dire tout ce que vous savez, tout de suite !
Le sourire joyeux de Bothel et nos courses-poursuites au cœur de la foret faisait toujours fulminer notre père, Helion. Nous savions qu’il était interdit de venir dans ces bosquets. C’était précisément pour cela que ne venions qu’ici…
Le bonheur de vivre découvrir ces créatures fabuleuses. Les marchands les retiennent dans des cages parce qu’ils chantent, mais ils ne méritent pas d’être emprisonnés. Ces idiots ne comprennent même pas les mélodies : ce sont des prières d’espoir, de liberté, pas de vulgaires sons issus d’instruments humains.
Retiens attentivement mes paroles car je sais que tu les entendras. Mon nom est Gilnash et je suis né de l’autre côté du continent il y a des centaines d’années.
- Attends, je récapitule, stoppa Luther en se pinçant le front.
Il inspira puis repris mécaniquement :
- Pas le même monde, pas les mêmes flux d’énergie. Le feu de Tristotruc… le mage, n’a pas trouvé à s’alimenter. Donc il a puisé dans les réserves de Manesh’k. J’ai bon ?
- Plus ou moins, soupira Gilnash après une seconde. Mais l’idée est là.
Un craquement en hauteur les fit brusquement sursauter. Un nouvel ennemi venait de se laisser tomber des branches. Luther eu juste le temps de rouler de côté en emportant le corps de l’elfe pour ne pas qu’il soit découpé par un fouet végétal, hérissé d’épines. Jurant, Manesh’k se mit à genoux. Il était une cible facile dans son état.
Attrapant l’épée Lahmienne de son frère, Gilnash repoussa la bête. Mais celle-ci ne renonça pas et revint aussitôt à l’assaut.
La colère de père fut sans précédents lorsque Bothel partit. Même mon rite initiatique parmi les cavaliers du vent fut évincé. Pourtant je fus la première à souffrir de son départ : depuis toujours mon grand-frère avait été là. Et aujourd’hui il m’avait abandonnée.
Battre des ailes, crier sa joie à pleins poumons, sentir le vent sur ses plumes… Jamais je ne pourrais vivre de sensations plus intenses que partager le vol d’un prince des airs. C’est du moins ce que je croyais. En une nuit, la soif de sang a tout fait basculer.
Je sais que mes souvenirs défilent sous tes yeux en ce moment. Les souvenirs ne mentent pas. C’est pour cela que tu dois avoir confiance : nous ne sommes pas vos ennemis.
Le lien s’enroula autour de la lame. D’un coup sec elle fut projetée de côté. Toutefois la poigne du vampire ne céda pas et il suivit avec. Son corps se fracassa contre un tronc proche avant de disparaître sous les fougères.
La chose de ronces se tourna à présent vers ses victimes suivantes. Levant sa propre épée, Luther s’interposa entre elle et les deux blessés.
- Toi tu vas voir de quel bois je me chauffe, grogna-t-il, prêt à bondir au moindre mouvement de son ennemi.
Nullement intimidée la créature se jeta en avant et s’empala jusqu’à la garde. D’un mouvement rapide Luther arracha une partie entière de son corps, sans plus d’effet. Il roula à son tour de côté, touché à la tête par un membre bardé d’épines.
Se relevant péniblement, Gilnash vit leur ennemi se pencher sur Manesh’k, offrant son corps en bouclier à l’elfe inconsciente. Tous deux allaient être réduits en charpie s’il n’intervenait pas !
La coquille tremble sous mes doigts. Il est sur le point d’éclore. Et quelque minute plus tard, des étoiles pleins les yeux comme une petite fille, je découvre ce frêle animal. Non, il est bien plus qu’un animal. Aujourd’hui, ce n’est qu’un nouveau-né, mais demain il sera le seigneur du ciel. Il sera mon compagnon. Mon ami. Il sera Anok !
Combattre la soif pour chaque cœur battant à proximité, lutter contre la bête intérieure pour ne pas succomber à la folie. Les préceptes d’Abhorash sont inhumains. Ils sont trop durs à suivre… Mais il le faut. Car au fond de moi je sais qu’il s’agit de la seule chose à faire. Sinon s’ôter définitivement la vie. Pour mes frères des cieux et mes frères de sang, je serais fort, je saurais résister.
Je ne vais pas te cacher que le réveil sera douloureux. Tu as mortellement été touchée et je n’avais qu’un seul moyen de te sauver. A la soif viendras s’ajouter ta blessure. Il va te falloir réaliser l’impossible. Il va falloir que tu résistes. De toute façon, il n’y a pas d’hôtes ici pour te contenter.
Feulant avec plus de violence que jamais, l’esprit simiesque fusa de nulle part. Il traversa littéralement la bête de ronces avant de virevolter, gesticulant comme un diable. L’effet fut immédiat. Leur agresseur recula, affecté par l’animal intangible d’une quelconque façon. Il s’arc-bouta et poussa une série de grincements menaçants. Mais leur compagnon au dos de porc-épic ne se laissa pas intimider et continua de protester. Et, aussi incroyable que cela paraisse, il repoussait la créature. Beuglant des sons inarticulés, il continua de molester son adversaire jusqu’à ce que finalement il ne tourne les talons.
Bouches-bé, les trois vampires suivirent la bête de ronces du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans les ombres. Puis revinrent à l’esprit translucide.
- Par le feu du dragon, qu’est-ce qu’il vient de se passer ? jura Luther.
Aujourd’hui nous sommes assez forts. Père est enfin fier de nous et n’a plus besoin de nous comparer à Bothel. Lui-même est envieux de mon statut, il me l’a confessé lors d’une visite. Anok nous a emmenés tout deux sous les étoiles. A présents nous sommes réunis. Bothel, Anok et moi. Rien ne pourrait être plus merveilleux.
Il l’a fait. Père y est parvenu. La dépouille du monstre s’est fracassée devant nous, tandis qu’Abhorash était enfin libéré de la malédiction. C’est à peine croyable. Après tant de décennies, nous savons qu’il existe une transcendance à notre état. Et j’entends bien y parvenir moi aussi. C’est avec mes frère, Manesh’k et Walach que nous entamons notre propre quête. Nous trouverons nous aussi des adversaires à notre mesure. Nous vaincrons une fois pour toute la soif écarlate.
Les paupières de Gaylria se soulevèrent. Ses prunelles de jade étaient striées de rubis. Du plus profond de ses entrailles monta un cri d’agonie. Elle se redressa brusquement et laissa sa souffrance éclater à pleins poumons.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Feu et Sang
Mar 16 Déc 2014 - 15:42
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- GilgaladMaître floodeur
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Re: Feu et Sang
Mar 16 Déc 2014 - 15:50
Cette suite est vraiment très bien mais elle a un défaut. En effet, c'est plutôt confus quand on la lit et on ne comprend pas toujours bien ce qui se passe jusqu'à la fin. Cela dit, les descriptions et autres sont toujours aussi bien que d'habitude.
J'espère donc ne pas attendre presque cinq ZIP pour la prochaine suite
J'espère donc ne pas attendre presque cinq ZIP pour la prochaine suite
- EssenSeigneur vampire
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Re: Feu et Sang
Mar 16 Déc 2014 - 16:00
Ah bon ?? Je pense avoir tout compris pour le coup... De quel(s) passage(s) parles-tu ?Gilgalad a écrit:Cette suite est vraiment très bien mais elle a un défaut. En effet, c'est plutôt confus quand on la lit et on ne comprend pas toujours bien ce qui se passe jusqu'à la fin.
- GilgaladMaître floodeur
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Re: Feu et Sang
Mar 16 Déc 2014 - 16:12
En fait c'est à ZIP du premier tiers. Les paragraphes s'enchainent (ce qui est normal) mais parfois je ne comprends pas le début du paragraphe et il faut un petit temps d'adaptation pour comprendre où se passe l'action. De plus, parfois les paragraphes sont assez courts (du moins par rapport à d'habitude) ce qui fait que je m'imprègne moins facilement de l'ambiance du récit.
Après ce n'est peut-être qu'une impression personnelle et ce n'est peut-être absolument pas le cas.
Après ce n'est peut-être qu'une impression personnelle et ce n'est peut-être absolument pas le cas.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Feu et Sang
Mar 16 Déc 2014 - 16:19
Il me semble que je vois alors de quoi tu parles. vg11k pourra me corriger si j'ai faux, mais je pense que passer de cette manière d'une situation à une autre fait partie de son style. Une scène se termine, et pour garder le lecteur en haleine, l'auteur nous fait passer directement à la scène suivante, sans ralentir le rythme pour une transition à proprement parler entre les deux parties. Être un peu perdu au début peut passer pour le petit inconvénient de ce procédé
Re: Feu et Sang
Mar 16 Déc 2014 - 19:15
heu... ZIP?
Voila pour ma minute de déballage
Après... 5 mois c'est beaucoup et j'espère être plus actif par la suite. J'ai un titre à assumer après tout. La suite est entamée en tout cas.
Gilgalad a écrit:je ne comprends pas le début du paragraphe et il faut un petit temps d'adaptation pour comprendre où se passe l'action.
Effectivement, ce n'est pas la première fois qu'on me fait le reproche d'être évasif sur mes entrées de sections au sein d'un même texte. Et effectivement c'est quelque chose que j'aime bien. Ou plutôt c'est le revers de quelque chose que je n'aime pas : ficher les lieux dès le premier mot d'une section. Du style :Von Essen a écrit:je pense que passer de cette manière d'une situation à une autre fait partie de son style
J'exagère ici, mais l'idée est là. En général pour éviter justement les confusions de scènes qui perturbent Gilgalad, je case dans les deux premières phrases une référence qui va permettre de déduire le lieu : une description, un nom de personnage ou son statut...John Doe a écrit:
Au port :
Le marin pesta contre le navire parti trop tot. blablabla
Sur le bateau :
Le capitaine regrettait d'être parti sans attendre sa recrue, mais blablabla
Voila pour ma minute de déballage
Après... 5 mois c'est beaucoup et j'espère être plus actif par la suite. J'ai un titre à assumer après tout. La suite est entamée en tout cas.
- ArkenMaîtresse des fouets
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Re: Feu et Sang
Mer 17 Déc 2014 - 16:47
+ 1 pour Von Essen et Vg11k. Notre cher auteur a toujours procédé de cette manière, et c'est justement cette particularité qui donne toute sa saveur au texte. De toutes les suites que j'ai lues, je ne me souviens que d'une seule qui était vraiment trop ésotérique pour la comprendre
Juste une :
Donc il puisé dans les réserves de Manesh’k.
Et j'attends la suite !
Juste une :
Donc il puisé dans les réserves de Manesh’k.
Et j'attends la suite !
_________________
Ceux qui ne croient pas en la magie ne la trouveront jamais.
Re: Feu et Sang
Sam 4 Juil 2015 - 11:12
Attention après ces multiples mois de silence voici enfin la.... non s'pas la suite en fait.
Ok, ce la fait une éternité que je suis plus actif sur le forum, spas vraiment digne du Comte de la Crypte... En parlant de ce titre, je cherchais justement l'inspiration du thème de cette année. Et en passant furtivement je me rends compte que je n'ai pas partagé l'un de mes textes parallèles écrit en Mars.
Autant faire d'une pierre deux coups, partager celui-ci et assurer à tout le monde que le concours de récits 2015 aura bien lieu ^^
Voici donc le-dit texte. Attention il n'est pas la suite chronologique du chapitre précédent.
Ce texte se situe loin loin loin après les événements de Feu et Sang mais avant ceux relatés dans Résurrection (pour le anciens du fofo il s'agit des événements de Mordheim)
Sur ce, bonne lecture ^^
Le soleil disparaissait lentement à l'horizon et éclairait encore le chemin. Celui-ci sombrait lentement, grignoté par les herbes folles. Toutefois le phénomène s'inverserait d'ici quelques semaines, lorsque leurs travaux seraient terminés. Le jeune homme s'étira péniblement les épaules et lâcha un bâillement qui fit déguerpir un petit animal, quelque part dans les fourrés. Il n'aspirait qu'à deux choses : un repas digne de ce nom et une bonne nuit de sommeil.
Le travail avec le charpentier local l'épuisait, mais c'était une tâche gratifiante qui l'assurait de pouvoir remplir son assiette le soir. Il n'en demandait pas davantage. Ou peut-être de pouvoir aussi nourrir sa sœur sans qu'elle n'ait besoin d'être serveuse dans la taverne du coin. Elle avait toujours pris soin de lui durant leur enfance et il aurait souhaité lui rendre la pareille à présent. Difficile toutefois compte tenu du caractère de celle-ci. Mais tous deux étaient heureux, et c'était l'important.
Il ouvrit grand la mâchoire pour lâcher un nouveau bâillement et manqua s'étrangler dans un hoquet. Au loin une fumée sombre venait d'apparaître, droit dans la direction du village. Bien trop importante pour n'être qu'un feu de camp. La peur au ventre il commença à courir, prenant le risque de se tordre la cheville dans une ornière qu'il n'aurait pas vu. Quelque chose était arrivé au village.
Ses craintes s'accentuèrent lorsqu'il dévala les quelques ruelles, l'incendie montant des bâtiments à l'opposé. Là où se trouvait l'auberge. L'ensemble du village était rassemblée là, du moins ce qu'il en restait. Une chaîne humaine avait visiblement été mise en place jusqu'au ruisseau non loin. Mais les pompiers improvisés étaient visiblement résignés face aux décombres fumants. Il n'y avait plus rien à sauver là-dessous.
- Que s’est-il passé ? S'écria-t-il comme les villageois s'écartaient à son approche.
- Florion ! S'écria un vieil homme, le visage maculé de suie. Tu es sauf !
- J'étais à la bâtisse de Gontrand au village d'à côté, justifia-t-il. Il y a des blessés ? Où est Carmen ? Questionna-t-il en cherchant sa sœur du regard.
L'autre balbutia quelques mots avant de détourner le regard, la mine sombre.
- Où est Carmen ? Insista-t-il. Où est ma sœur ?
- Florion, plusieurs personnes ont disparues, dont…
- Comment ça disparues ? Que… Charles !
Se frayant à son tour un chemin, l'intéressé vint se poster devant le charpentier avant de chercher son souffle, mains sur les genoux. Le tenancier de l'auberge n'était que l'ombre de lui-même. Grand et mince, il était réputé pour sa bonne humeur et son ton imposant. Toutefois c'est d'une voix cassée qu'il répondit aux interrogations de Florion.
- ‘rien pu faire. 'arrivé trop vite. Ils ont tués Bill et Fabien… 'ont mis le feu à la baraque et emmené les filles…
- Quoi ! Qui a tué… où sont-ils allés ? Et toi où étais-tu, tu…
- 'partis chercher de la bidoche, toussa-t-il en levant les mains pour se défendre.
Mais Florion n'insista pas. Il était connu dans le bourg que Charles réalisait lui-même la majorité des commissions de l'auberge. Quant au qui…
- Florion, déclara sombrement un jeune homme qu'il reconnut comme l'un des trappeurs faisant régulièrement halte dans la région. C'était des hommes à face de bouc.
Le charpentier s'apprêtait à lui demander s'il se payait sa tête, mais plusieurs autres acquiescèrent sombrement.
- Des hommes-bêtes… par Sigmar !
- Doucement mon gars, le retint un voisin comme il chancelait.
De tels monstres n'avaient plus été vus dans la région depuis plus d'une décennie. Lui-même n'avait jamais cru à l'existence même de ces créatures… Et Carmen, sa Carmen, avait été enlevée par…
- Il faut aller les chercher s'exclama-t-il en se redressant si vite qu'il fit sursauter l'aubergiste. Dans quelle direction ont-ils filés ?
- Vers le champ du vieux, déclara un gamin au premier rang en indiquant la direction du pouce. J'les ai vu, y sont entrés dans la forêt !
Florion hocha la tête.
- Combien étaient-ils ?
La colère qui brûlait dans son regard laissa le gosse sans voix, incapable de répondre. C'est le trappeur qui répondit :
- Ils étaient une bonne vingtaine et le plus petit d'entre eux faisait ta taille.
Florion prit le temps de déglutir. Plus de vingt ? Ils se feraient massacrer ! Aucune des personnes présentes ne savait se battre, voire n'avait d'arme. Quelques arcs et couteaux à lapins au plus…
Quelqu'un au dernier rang lâcha un glapissement de surprise qui fit sursauter toutes les personnes présentes. A nouveau les villageois s'écartèrent comme un seul homme ce qui permit à Florion de découvrir l'origine de ce nouveau chahut.
Un individu se tenait là. Il les toisait en silence, peu dérangé d'être devenu le centre d'attention. Il était bien bâti mais la cape tachée de boue, qui s'enroulait autour de ses épaules et lui tombait sur les genoux, dissimulait sa tenue. Toutefois au vu de ses bottes renforcées et de l'excroissance à sa hanche, son accoutrement restait facile à déterminer.
- Qui êtes-vous ? Questionna Charles, l'aubergiste, prenant finalement la parole.
L'étranger posa son regard sur lui. Il était écarlate, totalement injecté de sang. Mais également emplit d'un détachement qui faisait froid dans le dos. La partie inférieure de son visage était dissimulée par une écharpe sombre, aussi personne ne put voir ses lèvres bouger lorsqu'il répondit enfin :
- Un voyageur.
Sans rien ajouter, il s'approcha, tout le monde reculant à son approche. Son regard se posa sur les décombres qui finissaient de brûler, indéchiffrable. Florion s'apprêtait à l'interpeller lorsqu'il déclara d'une voix fatiguée :
- Des têtes de boucs, c’est bien cela ?
Doucement il pivota pour faire face à l'assemblée.
- Par où se trouve cette forêt ?
- Quoi ?
Florion avait peine à croire ce qu'il voyait et entendait. Les voyageur étaient rare dans cette partie de la Sylvanie, alors là… C'est le même enfant qui leva un doigt tremblant. L'inconnu hocha légèrement la tête, puis fendit à nouveau la foule dans la direction indiquée.
- Attendez, vous allez où comme ça ? S'écria Florion sans oser le rattraper. Seul et avec cette obscurité ils vont vous mettre en pièce !
- Qui a dit que j'allais à la rencontre de ces animaux ? Lança l'autre sans prendre la peine de se retourner.
Le charpentier jura et tourna les talons. Tout le monde avait les yeux rivés sur lui, à présent que l'étranger avait disparu au coin d'une maison. La mâchoire crispée, il abandonna là le reste du village et se précipita à la petite chaumière qu'il partageait avec sa sœur, héritée de leurs parents. Il avait toujours son vieil arc de chasse.
Pas question qu'il abandonne Carmen à ces monstres. Ni d'entraîner qui que ce soit d'autre que lui dans cette folie. Leur village venait de subir un drame suffisamment terrible.
- Quelle connerie que nous sommes en train de faire.
Florion préféra garder le silence. Avec le ciel étoilé pour seul témoins, Charles, le trappeur et lui-même traversaient le champ en friche les séparant du bois. Malgré ses protestations, tous deux avaient insisté pour l'accompagner. Au moins ils n'avaient pas tenté de le dissuader. Deux arcs de chasses, trois couteaux et une petite masse… jamais ils ne verraient l'aube.
Tel un immense béhémot, la forêt se dressait face à eux, sombre, imposante, menaçante. Enfin arrivés à sa lisière, tous mes trois s'arrêtèrent, hésitant à faire un pas de plus. Un oiseau coassa dans les ténèbres, puis un craquement sur le côté les fit sursauter. Probablement un petit animal…
- J'y vois pas à trois mètres, murmura Charles, bien moins confiant que lorsqu'il l'avait intercepté pour venir.
- J'ai une torche, déclara le trappeur qui ajouta en devinant la désapprobation de Florion : crois-moi ils nous sentiront bien avant de voir la lumière. Autant nous, y voir quelque chose.
Il n'opposa aucun argument. Le chasseur gratta son briquet à amadou jusqu'à enflammer un tissu imbibé d'huile. Et soudain un craquement déchira l'obscurité. Pas besoin d'être chasseur pour deviner que celui-ci n'avait pas été causé par un lapin mais par une créature bien plus massive. Le trappeur jura en laissant tomber le tout et chercha maladroitement à se saisir de son arc. Florion avait déjà encoché une flèche en retint son souffle, sondant le sous-bois à la lueur tremblante de la flamme.
- Merde merde merde…
Accroché à sa massue à s'en blanchir les phalanges, l'aubergiste était à deux doigts de tourner les talons, tremblant comme une feuille. Florion le chassa de ses pensées. Seul comptait sa cible, droit devant, sur le point d'apparaître…
- Florion !
Il faillit lâcher le trait alors qu'une femme jaillissait de l'obscurité. Quelqu'un poussa un juron dans son dos. Abandonnant toute précaution, il jeta son arc et se précipita dans les bras de sa sœur.
- Que… balbutia Charles.
- Carmen ! S'écria Florion. J'ai cru t'avoir perdue !
Il remarqua alors les deux autres filles manquantes, elles aussi accourant. Toutes les trois avaient leurs vêtements en lambeaux, les cheveux en pagailles et les bras couverts de bleus et d'égratignures. Mais étaient en vie. Elles se précipitèrent jusqu'à eux. L'une d'elle fondit en larmes en s'effondrant dans les bras de Charles, à bout de forces.
Caressant les longs cheveux noirs de sa sœur, Florion inspecta rapidement les ténèbres, immobiles. Aucune trace des hommes-bêtes.
- Carmen, se reprit-il en plongeant son regard dans celui embué de sa sœur.
Carmen comment… que s’est-il passé ? Où sont les…
A ces mots elle ouvrit grand les yeux et fit volte-face, scrutant à son tour le sous-bois. Il jeta un regard aux autres filles, et visiblement il n'en tirerait pas plus de réponses. Toutefois, elles ne semblaient nullement effrayée malgré ce qu'elles avaient vécues et les monstres rodant dans les parages. Elles semblaient… soulagées. A bout de nerfs, mais soulagées.
- Carmen…
Le sang de Florion se glaça dans ses veines comme il serrait sa sœur contre lui. Son regard était rivé sur le sous-bois où deux braises venaient d'apparaître, un regard lumineux les scrutant avec intensité.
- Reste derrière moi, s'écria le charpentier en passant devant sa sœur.
Armé de son poignard, il fit face, prêt à en découdre.
- Non ! s’écria Carmen en le retenant.
Il tenta de se dégager, mais celle-ci insista jusqu’à capter son regard. Elle avait peur. Mais pas de la chose des bois. Elle avait peur pour lui. En douceur, elle lui fit baisser le poignet, jusqu’à ce qu’il retrouve une posture plus pacifique. D’un même mouvement, ils se tournèrent vers le sous-bois. Lentement, une silhouette se détacha des ombres et vint se dresser devant eux, silencieuse. L’inconnu les toisait de toute sa hauteur. Il faisait preuve d’un calme déplacé pour cette situation. Sa cape était imbibée de sang et gouttait à ses pieds. Le regard de Florion détailla le combattant, la mâchoire à deux doigts de tomber par terre. Ses deux compagnons étaient tout aussi hébétés que lui.
Sans avoir prononcé un mot, leur sauveur pivota et fit quelques pas.
- Attendez !
Délaissant son frère, Carmen accouru et faillit attraper le bras de l’inconnu. Elle s’abstint : le tissu était semblable à une éponge écarlate. L’individu posa sur elle un regard étonné et s’immobilisa. La jeune femme n’était nullement impressionnée par ses prunelles rouges, luisant dans la semi-pénombre comme ceux d’un chat.
- Venez avec nous, au village, déclara-t-elle simplement en posant sa paume sur l’étoffe au niveau de sa poitrine.
Les autres villageois retinrent leur souffle, comme il baissait la tête sur son torse, les bras ballants. Son visage restait indescriptible, à moitié dissimulé par sa cape. Mais le guerrier grogna et secoua la tête. Cependant elle insista avant qu’il ne tourne à nouveau les talons.
- Je vous en prie. Au moins, dites-moi quel est votre nom.
- Carmen !
Elle ignora Florion, rivant son regard dans celui de son interlocuteur avec détermination. Il l’étudia quelques secondes, avant de pousser un soupir et lâcher d’un ton résigné :
- Je m’appelle Mane… appelez-moi Mandrak, se reprit-il.
- Une autre choppe !
Les lèvres pincées, Carmen chercha conseil dans le regard de Charles qui hocha imperceptiblement la tête.
- Je regrette, cela ne va pas être possible, répondit-elle simplement.
- Quoi ? J’suis dans une taverne flambant neuve et j’peux pas me rincer l’gosier ? beugla l’individu, passablement éméché.
Les trois autres hommes à sa table restèrent imperturbables, attendant de voir comment la serveuse gérerait cette situation. Ils étaient les derniers clients de la soirée.
- Monsieur, je vais vous demander de partir, insista-t-elle avec autorité.
- Non ! beugla-t-il en se levant.
Il tituba un instant, s’appuya sur le bord de la table, puis leva un index accusateur vers la jeune femme :
- J’partirais pas, j’veux à boire et j’veux…
Il fit un pas incertain de côté, détaillant Carmen de haut en bas. S’en était assez.
- Messieurs, intervint calmement Charles. Je vais vous demander de quitter…
- Toi tu te tais, cria soudain le poivrot qui dégaina une dague et la pointa vers le propriétaire. J’suis un soldat impérial et j’vais pas me laisser marcher dessus par des gueux !
Charles considéra un moment la menace. Bien que saoul il restait dangereux. Et ses amis semblaient s’amuser de cette situation, refusant d’intervenir. Il soupira.
- Ecoutez, si je vous offre un dernier verre vous…
- Non ! Tu m’as énervé et maintenant j’suis en colère.
Il se tourna à nouveau vers Carmen qui leva les deux mains en signe de reddition.
- Toi notamment tu m’as énervé. Et les filles comme toi qui m’énervent, voilà ce que je leur fait !
D’un revers il gifla soudain la serveuse. Celle-ci trébucha et renversa une chaise. Mais ne poussa pas le moindre cri.
- Carmen !
Charles tenta de s’avancer, mais il se retrouva à nouveau face à l’arme du soldat en civil.
- Reste où tu es si tu veux pas que j’m’occupe aussi de toi ! cracha-t-il.
- Laisse, déclara Carmen en le devançant, je m’en occupe.
Prenant sur elle-même, la jeune femme se releva et fit à nouveau face au perturbateur. La colère couvait dans son regard alors qu’un filet rouge perlait à sa lèvre fendue. Elle s’essuya du coude et contempla son sang quelques secondes, avant de refaire front.
- C’est ce que tu fais aux filles qui t’énervent ? Et que dirais-tu de faire davantage ?
- Que… commença Charles.
L’autre éclata de rire, rapidement imité par deux de ses compagnons. Cependant, elle resta impassible et attendit. Lorsqu’il réalisa qu’elle était sérieuse, il la considéra sous un autre angle.
- Attends toi pas à être payée ma jolie ! J’vais te montrer de quel bois je me chauffe.
Un sourire se dessina sur le visage de Carmen, que Charles devina n’être qu’une façade. Il la suivit du regard alors qu’elle invitait le poivrot à la suivre à l’extérieur. Puis remarqua que la nuit était déjà tombée. Deux autres soldats se levèrent à leur tour pour les suivre.
- Je reviens vite, déclara Carmen avec un regard entendu, les lèvres rouges.
Il hocha sombrement la tête. Et tous les quatre sortirent dans l’obscurité. Il resta ainsi immobile durant de longues minutes, scrutant la porte. Puis le dernier soldat l’interpella, réclamant un nouveau verre. Celui-ci était sobre et semblait différent de ses compagnons. Il sirota tranquillement sa boisson, le regard vague.
De retour derrière son comptoir, le tavernier recommença à scruter l’extérieur avec inquiétude. Dehors tout était calme.
Jusqu’à ce qu’un hurlement ne déchire le silence. Aussitôt le soldat fut sur ses pieds. Il jeta un œil à Charles, puis à la porte. Le cri s’interrompit brusquement. Le tavernier fut interrogé du regard.
- Tu devrais partir, conseilla-t-il d’une voix grave.
L'épée antique reposait dans son fourreau, adossée à la commode. Le cuir fatigué portait les traces d'enluminures à présent disparues. D'une main décidée, Carmen s'en empara. Toutefois au moment de la lever, le poids de l'arme la fit vaciller.
- Elle est bien plus lourde que je ne l'aurais cru, confessa-t-elle.
Mandrak se contenta de sourire. Allongé dans le lit de la jeune femme, il contemplait cette mortelle passer le ceinturon à ses hanches nues. Et, tentant d'afficher une mine sérieuse, elle dégaina l'arme puis fit quelques gestes lents avec celle-ci.
Elle se tourna vers le vampire et le menaça de la pointe. Il conserva son sourire amusé, ses yeux carmin rivés dans ceux de la femme.
- Cela semblait si facile pour toi ces deux nuits là, dans la forêt et derrière la taverne, soupira-t-elle en se détournant. Alors qu'il m'est difficile de la soulever…
- J'ai quelques années d'expérience, déclara-t-il simplement.
- Combien ?
Un instant il s'apprêta à répondre plus d'un millénaire, mais s'abstint.
- J'ai perdu le compte passé la vingtaine.
- Mmh.
Maladroitement, elle parvint à glisser l'arme dans son fourreau. Puis elle le rejoignit.
- Je voudrais te demander quelque chose…
- Je t'écoute.
- Qui est Gilnash ?
Ses doigts glissés dans les longs cheveux noirs de Carmen s'immobilisèrent aussitôt. Instinctivement, elle se tourna vers lui. Le regard du vampire, d'ordinaire si serein était brusquement agité par quelque chose qui lui était totalement inconnu.
- Je… t'ai entendu murmurer ce nom dans ton sommeil, expliqua-t-elle.
Il cilla et posa son regard sur l'épée, posée sur la table. Que pouvait-il lui révéler ? Qu'il était son frère de par la malédiction ? Que tous deux avaient parcourus le monde, connus et bien au-delà ? Qu'un démon haut comme une montagne l'avait tranché en deux sous ses yeux ?
Elle renonçait à sa question quand il répondit toutefois :
- C’est une personne qui m'est chère. Doté d'une grande sensibilité et d'une intelligence rare. Pendant des années…
Des siècles songea-t-il.
- … nous avons voyagé ensemble. Je ne saurais dire combien d'aventures nous avons partagés.
Allongée sur lui et la tête sur son torse blafard, elle buvait ses paroles. Ses grands yeux verts plongés dans les siens.
- Où est-il ?
- …
En cendres quelque part au nord de Kislev.
- Parti. Je ne pense pas le revoir avant un long moment.
Il n’ajouta rien de plus, se contentant d’observer vaguement les poutres du plafond. Elle soupira et se laissa aller contre lui. La chaumière resta silencieuse de longues minutes. La bougie qui éclairait la pièce, faisait danser les ombres sur le mur opposé. Tous deux profitaient mutuellement de ce calme apaisant.
- Je te connais si peu, glissa-t-elle finalement. Tu ne parles jamais de ton passé, tu ne réponds pas à nos questions…
Il garda le silence, se contentant d’étudier la chandelle diminuer lentement. S’il ne parlait pas de ces années à parcourir le monde, ce n’était pas sans raison. De plus, comment répondre à leurs interrogations lorsqu’il pouvait à peine soutenir le regard de ses frères ?
Shiing. Claster. Gilnash. Gailrya et tous les autres… A peine fermait-il les yeux que leurs visages revenaient hanter sa vision. Chacun de ses frères et sœurs disparut. Mandrak ne pouvait les oublier. Ils ne prononçaient nuls jugements ou accusations à son encontre, et d’une certaine façon il aurait préféré que cela soit le cas. Non, ils se contentaient de l’observer en silence, suivant la « vie » qu’il menait et qu’ils n’auraient jamais. Lui avait survécu tandis qu’ils étaient tombés. Et pourquoi ? En quoi avait-il mérité plus qu’eux de continuer à arpenter le monde ?
- Je sais que tu m’as sauvé à deux reprises, commença-t-elle brusquement en le tirant de ses pensées, que tu as aidé à rebâtir la taverne, que tu protèges la région des bêtes féroces…
Il cligna des yeux un instant et s’apprêta à répliquer mais s’abstint. Qu’avait-elle pu lire sur son visage quelques secondes auparavant ? Impossible à dire. Elle esquissa un sourire.
- Ne crois pas que je sois si idiote que cela. Avant ton arrivée les voyageurs parlaient de créatures terribles, rencontrées une fois la nuit tombée. Et je ne parle pas que des ours. Tu ne me feras pas croire tes vagabondages nocturnes n’ont rien à voir avec cela.
Mandrak se força à sourire à son tour. Elle disait vrai. Toutefois, mieux valait qu’elle continue à ignorer les horreurs qu’il avait terrassé dans la région. Qu’elles restent enfouies au plus profond de lui. Avec les visages de ses compagnons.
Il garda donc le silence mais celui-ci était équivoque aux yeux de Carmen. La jeune femme se rallongea et poursuivit, parcourant sa peau fraiche du bout des doigts :
- Le soir de ton arrivée, tu souhaitais disparaître. Aujourd’hui je crois comprendre pourquoi. Tu t’imagines être l’un de ces monstres que tu chasses au clair de lune. Mais à mes yeux tu es bien plus. Et ce quel que soit ton passé.
Elle se redressa et l’obligea cette fois à plonger son regard dans le sien, encadrés par ses cheveux en cascade. Les deux prunelles écarlates luisaient faiblement dans cette ombre. Son visage était à seulement quelques centimètres du sien. Elle pouvait sentir l’absence de souffle à ses lèvres.
- Tu as beau avoir les yeux rouges et voir dans les ténèbres, posséder la force de dix hommes et un cœur qui ne bat pas, fuir la lumière et ne pas manger ou boire, je te vois tel que tu es. Tu es quelqu’un de bien. Et mon avis est partagé par les autres villageois.
Sauf que je me nourris du sang qui coule dans vos veines, songea-t-il avec un rictus. Et cela personne ne l’a encore découvert…
- Pourquoi me dis-tu cela ? répondit-il après un instant.
- Parce que je suis capable de voir ce que tu caches au fond de ce regard. De la solitude, et non de la colère comme tu veux le faire croire avec tes airs de guerriers.
Il détourna le regard, ce qui la fit rire comme une enfant. Elle lui caressa le menton et repris avec espièglerie :
- Ici, avec moi, tu ne peux le cacher. Sinon, pourquoi serais-tu resté ?
Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais ne prononça aucun son. Cette jeune mortelle ignorait de quoi elle parlait. Même si elle était témoin de son tourment, Carmen ne voyait pas ses frères comme lui les voyait. De plus elle ne pouvait appréhender les siècles passés et l’éternité à venir, c’était au-delà de sa vision.
Toutefois… il pouvait lui décrire. Ou même lui offrir cette éternité à ses côtés.
A peine cette pensée l’eu-t-elle traversé qu’il la rejeta avec force et secoua la tête. Il n’était pas question qu’il répande à nouveau sa malédiction ! Encore moins ici, où il c’était trouvé un…
- Qu’y a-t-il ? s’inquiéta-t-elle en le voyant s’agiter.
A nouveau il se plongea dans son regard de jade. Si belle et si généreuse. Après tant d’années, il n’aurait pas cru rencontrer quelqu’un comme elle. Quelqu’un capable de comprendre ses émotions sans même être immortel. Quelqu’un pour qui il serait prêt à rengainer son épée. Quelqu’un qui ravivait la flamme éteinte au creux de sa poitrine.
Et il n’était pas question de la blesser. Le regard effrayé de Carmen ne fit que renforcer sa détermination. Il se redressa et la prit dans ses bras, la faisant sursauter. Mais après quelques secondes elle s’abandonna à son étreinte.
- Je vous protégerais, déclara-t-il en lui caressant cheveux. De mes démons comme de ceux à l’extérieur. Cet endroit le mérite, c’est un havre de paix comme je n’en ai vu depuis des décennies, c’est…
… mon foyer, osa-t-il penser.
Carmen doutait avoir compris sens de sa déclaration, mais peu importait. Ils étaient là, ensemble. C’est tout ce qui comptait.
- Mandrak ?
Pas de réponse. Doucement, Florion ouvrit la porte et entra dans l’ancienne chaumière. Personne. Avec précaution il referma et se retrouva dans l’obscurité, les fenêtres était calfeutrées derrières leurs rideaux.
Puis deux lueurs rougeoyantes émergèrent face à lui. Il resta immobile, bien que mal à l’aise en présence de l’amant de sa sœur. Puis un claquement de doigts le fit sursauter. La seconde suivante, Mandrak déposait une chandelle allumée dans une coupole prévue à cet effet. Il n’avait ni silex ni briquet à la main, mais Florion ne s’attarda pas sur ce détail.
- Les soldats sont revenus, lâcha-t-il sans détour.
- En quoi cela me concerne-t-il ? répondit-il après quelques secondes, invitant le menuisier à s’asseoir.
Florion secoua la tête en déclinant.
- Ils voulaient venger leurs camarades et sont allés à la taverne, révéla-t-il en soutenant le regard de Mandrak.
L’expression du vampire se crispa soudain. Aussitôt l’humain fit un pas en retrait. Il avait le même regard que cette nuit, lorsqu’il avait libéré Carmen des hommes-bêtes…
- Continues, grogna-t-il en serrant les poings.
- Ils… voulaient savoir qui avait fait ça, expliqua-t-il en cherchant ses mots. Ils…
- Et qu’avez-vous répondus ? interrogea le vampire, l’impatience palpable dans sa voix.
- Rien. Personne au village n’a parlé de toi.
La colère de Mandrak sembla baisser l’espace d’une seconde. Puis il leva sur Florion un regard glacial.
- Il y a quelque chose que tu ne me dis pas…
Le charpentier eu un hoquet. Comment ?
- L’un des soldats du Comte a reconnu Charles et Carmen ! ajouta-t-il.
- … Et ?
- Comme personne ne voulaient leur répondre, ils les ont emmenés. C’était il y a une heure à peine.
Mandrak étudia attentivement la mine du charpentier, son regard semblant le traverser. Puis il se détourna.
- Ton cœur me dit que tu n’as plus rien à m’apprendre, grinça-t-il en se détournant.
Mon cœur ? Songea Florion sans comprendre.
- Je devine que personne ne s’est interposé, pensa-t-il à voix haute. Et je ne vous en tiens pas rigueur : vous n’êtes pas des combattants. Ont-ils fait du mal à quelqu’un ?
Florion secoua la tête et le vampire soupira. De soulagement ou d’agacement ? Difficile à dire.
- Tu es sûr que personne ne leur a parlé de moi ?
- Certain.
Mandrak hocha la tête. L’effet de surprise serait un atout de poids. Carmen et le tavernier seraient de retour à l’aube.
- Ils… ont pris la route du sud pour rejoindre Drakenhof, l’informa Florion en s’adossant à la porte, soulagé d’un poids.
- La demeure du Comte ?
L’autre confirma d’un signe de tête.
- Vlad von Carstein, ajouta-t-il.
- Vlad ? répéta Mandrak. En es-tu sûr ?
- Pour autant que je sache, oui, en quoi…
- Vlad était déjà Comte de Sylvanie lorsque Walach a fondé son ordre et chassé Luther, murmura-t-il sans s’adresser à l’humain. Cet homme a plus de deux cent ans…
Les noms de Walach et Luther étaient totalement inconnus aux oreilles de Florion. Tout comme l’air inquiet qu’arborait son compagnon.
- Il n’est pas rare dans la noblesse de vivre jusqu’à un âge…
- Aucun humain ne peut régner aussi longtemps, coupa Mandrak, plongé dans ses réflexions. Combien de temps reste-t-il avant que le soleil ne se couche ?
- Une heure ou deux, tout au plus, répondit Florion.
Le vampire hocha la tête. Il devrait ronger son frein jusque-là. Puis la traque commencerait.
- Retourne informer les villageois qu’ils ne doivent pas s’inquiéter. Je les ramènerais avant l’aube.
Florion poussa un soupir de soulagement, puis sortit sans demander son reste. Il ne remarqua pas le rai de lumière qui éclaira Mandrak l’espace d’un instant, mais celui-ci resta stoïque. Son esprit était déjà loin, tourné vers la nuit à venir. Il avait déjà perdu ses proches une première fois et le visage de la jeune femme ne viendrait pas les rejoindre. De simples mortels ne lui arracheraient pas Carmen.
- Patiente encore quelques heures, murmura-t-il d’une voix solennelle. J’arrive.
Ok, ce la fait une éternité que je suis plus actif sur le forum, spas vraiment digne du Comte de la Crypte... En parlant de ce titre, je cherchais justement l'inspiration du thème de cette année. Et en passant furtivement je me rends compte que je n'ai pas partagé l'un de mes textes parallèles écrit en Mars.
Autant faire d'une pierre deux coups, partager celui-ci et assurer à tout le monde que le concours de récits 2015 aura bien lieu ^^
Voici donc le-dit texte. Attention il n'est pas la suite chronologique du chapitre précédent.
Ce texte se situe loin loin loin après les événements de Feu et Sang mais avant ceux relatés dans Résurrection (pour le anciens du fofo il s'agit des événements de Mordheim)
Sur ce, bonne lecture ^^
Carmen
Le soleil disparaissait lentement à l'horizon et éclairait encore le chemin. Celui-ci sombrait lentement, grignoté par les herbes folles. Toutefois le phénomène s'inverserait d'ici quelques semaines, lorsque leurs travaux seraient terminés. Le jeune homme s'étira péniblement les épaules et lâcha un bâillement qui fit déguerpir un petit animal, quelque part dans les fourrés. Il n'aspirait qu'à deux choses : un repas digne de ce nom et une bonne nuit de sommeil.
Le travail avec le charpentier local l'épuisait, mais c'était une tâche gratifiante qui l'assurait de pouvoir remplir son assiette le soir. Il n'en demandait pas davantage. Ou peut-être de pouvoir aussi nourrir sa sœur sans qu'elle n'ait besoin d'être serveuse dans la taverne du coin. Elle avait toujours pris soin de lui durant leur enfance et il aurait souhaité lui rendre la pareille à présent. Difficile toutefois compte tenu du caractère de celle-ci. Mais tous deux étaient heureux, et c'était l'important.
Il ouvrit grand la mâchoire pour lâcher un nouveau bâillement et manqua s'étrangler dans un hoquet. Au loin une fumée sombre venait d'apparaître, droit dans la direction du village. Bien trop importante pour n'être qu'un feu de camp. La peur au ventre il commença à courir, prenant le risque de se tordre la cheville dans une ornière qu'il n'aurait pas vu. Quelque chose était arrivé au village.
Ses craintes s'accentuèrent lorsqu'il dévala les quelques ruelles, l'incendie montant des bâtiments à l'opposé. Là où se trouvait l'auberge. L'ensemble du village était rassemblée là, du moins ce qu'il en restait. Une chaîne humaine avait visiblement été mise en place jusqu'au ruisseau non loin. Mais les pompiers improvisés étaient visiblement résignés face aux décombres fumants. Il n'y avait plus rien à sauver là-dessous.
- Que s’est-il passé ? S'écria-t-il comme les villageois s'écartaient à son approche.
- Florion ! S'écria un vieil homme, le visage maculé de suie. Tu es sauf !
- J'étais à la bâtisse de Gontrand au village d'à côté, justifia-t-il. Il y a des blessés ? Où est Carmen ? Questionna-t-il en cherchant sa sœur du regard.
L'autre balbutia quelques mots avant de détourner le regard, la mine sombre.
- Où est Carmen ? Insista-t-il. Où est ma sœur ?
- Florion, plusieurs personnes ont disparues, dont…
- Comment ça disparues ? Que… Charles !
Se frayant à son tour un chemin, l'intéressé vint se poster devant le charpentier avant de chercher son souffle, mains sur les genoux. Le tenancier de l'auberge n'était que l'ombre de lui-même. Grand et mince, il était réputé pour sa bonne humeur et son ton imposant. Toutefois c'est d'une voix cassée qu'il répondit aux interrogations de Florion.
- ‘rien pu faire. 'arrivé trop vite. Ils ont tués Bill et Fabien… 'ont mis le feu à la baraque et emmené les filles…
- Quoi ! Qui a tué… où sont-ils allés ? Et toi où étais-tu, tu…
- 'partis chercher de la bidoche, toussa-t-il en levant les mains pour se défendre.
Mais Florion n'insista pas. Il était connu dans le bourg que Charles réalisait lui-même la majorité des commissions de l'auberge. Quant au qui…
- Florion, déclara sombrement un jeune homme qu'il reconnut comme l'un des trappeurs faisant régulièrement halte dans la région. C'était des hommes à face de bouc.
Le charpentier s'apprêtait à lui demander s'il se payait sa tête, mais plusieurs autres acquiescèrent sombrement.
- Des hommes-bêtes… par Sigmar !
- Doucement mon gars, le retint un voisin comme il chancelait.
De tels monstres n'avaient plus été vus dans la région depuis plus d'une décennie. Lui-même n'avait jamais cru à l'existence même de ces créatures… Et Carmen, sa Carmen, avait été enlevée par…
- Il faut aller les chercher s'exclama-t-il en se redressant si vite qu'il fit sursauter l'aubergiste. Dans quelle direction ont-ils filés ?
- Vers le champ du vieux, déclara un gamin au premier rang en indiquant la direction du pouce. J'les ai vu, y sont entrés dans la forêt !
Florion hocha la tête.
- Combien étaient-ils ?
La colère qui brûlait dans son regard laissa le gosse sans voix, incapable de répondre. C'est le trappeur qui répondit :
- Ils étaient une bonne vingtaine et le plus petit d'entre eux faisait ta taille.
Florion prit le temps de déglutir. Plus de vingt ? Ils se feraient massacrer ! Aucune des personnes présentes ne savait se battre, voire n'avait d'arme. Quelques arcs et couteaux à lapins au plus…
Quelqu'un au dernier rang lâcha un glapissement de surprise qui fit sursauter toutes les personnes présentes. A nouveau les villageois s'écartèrent comme un seul homme ce qui permit à Florion de découvrir l'origine de ce nouveau chahut.
Un individu se tenait là. Il les toisait en silence, peu dérangé d'être devenu le centre d'attention. Il était bien bâti mais la cape tachée de boue, qui s'enroulait autour de ses épaules et lui tombait sur les genoux, dissimulait sa tenue. Toutefois au vu de ses bottes renforcées et de l'excroissance à sa hanche, son accoutrement restait facile à déterminer.
- Qui êtes-vous ? Questionna Charles, l'aubergiste, prenant finalement la parole.
L'étranger posa son regard sur lui. Il était écarlate, totalement injecté de sang. Mais également emplit d'un détachement qui faisait froid dans le dos. La partie inférieure de son visage était dissimulée par une écharpe sombre, aussi personne ne put voir ses lèvres bouger lorsqu'il répondit enfin :
- Un voyageur.
Sans rien ajouter, il s'approcha, tout le monde reculant à son approche. Son regard se posa sur les décombres qui finissaient de brûler, indéchiffrable. Florion s'apprêtait à l'interpeller lorsqu'il déclara d'une voix fatiguée :
- Des têtes de boucs, c’est bien cela ?
Doucement il pivota pour faire face à l'assemblée.
- Par où se trouve cette forêt ?
- Quoi ?
Florion avait peine à croire ce qu'il voyait et entendait. Les voyageur étaient rare dans cette partie de la Sylvanie, alors là… C'est le même enfant qui leva un doigt tremblant. L'inconnu hocha légèrement la tête, puis fendit à nouveau la foule dans la direction indiquée.
- Attendez, vous allez où comme ça ? S'écria Florion sans oser le rattraper. Seul et avec cette obscurité ils vont vous mettre en pièce !
- Qui a dit que j'allais à la rencontre de ces animaux ? Lança l'autre sans prendre la peine de se retourner.
Le charpentier jura et tourna les talons. Tout le monde avait les yeux rivés sur lui, à présent que l'étranger avait disparu au coin d'une maison. La mâchoire crispée, il abandonna là le reste du village et se précipita à la petite chaumière qu'il partageait avec sa sœur, héritée de leurs parents. Il avait toujours son vieil arc de chasse.
Pas question qu'il abandonne Carmen à ces monstres. Ni d'entraîner qui que ce soit d'autre que lui dans cette folie. Leur village venait de subir un drame suffisamment terrible.
- Quelle connerie que nous sommes en train de faire.
Florion préféra garder le silence. Avec le ciel étoilé pour seul témoins, Charles, le trappeur et lui-même traversaient le champ en friche les séparant du bois. Malgré ses protestations, tous deux avaient insisté pour l'accompagner. Au moins ils n'avaient pas tenté de le dissuader. Deux arcs de chasses, trois couteaux et une petite masse… jamais ils ne verraient l'aube.
Tel un immense béhémot, la forêt se dressait face à eux, sombre, imposante, menaçante. Enfin arrivés à sa lisière, tous mes trois s'arrêtèrent, hésitant à faire un pas de plus. Un oiseau coassa dans les ténèbres, puis un craquement sur le côté les fit sursauter. Probablement un petit animal…
- J'y vois pas à trois mètres, murmura Charles, bien moins confiant que lorsqu'il l'avait intercepté pour venir.
- J'ai une torche, déclara le trappeur qui ajouta en devinant la désapprobation de Florion : crois-moi ils nous sentiront bien avant de voir la lumière. Autant nous, y voir quelque chose.
Il n'opposa aucun argument. Le chasseur gratta son briquet à amadou jusqu'à enflammer un tissu imbibé d'huile. Et soudain un craquement déchira l'obscurité. Pas besoin d'être chasseur pour deviner que celui-ci n'avait pas été causé par un lapin mais par une créature bien plus massive. Le trappeur jura en laissant tomber le tout et chercha maladroitement à se saisir de son arc. Florion avait déjà encoché une flèche en retint son souffle, sondant le sous-bois à la lueur tremblante de la flamme.
- Merde merde merde…
Accroché à sa massue à s'en blanchir les phalanges, l'aubergiste était à deux doigts de tourner les talons, tremblant comme une feuille. Florion le chassa de ses pensées. Seul comptait sa cible, droit devant, sur le point d'apparaître…
- Florion !
Il faillit lâcher le trait alors qu'une femme jaillissait de l'obscurité. Quelqu'un poussa un juron dans son dos. Abandonnant toute précaution, il jeta son arc et se précipita dans les bras de sa sœur.
- Que… balbutia Charles.
- Carmen ! S'écria Florion. J'ai cru t'avoir perdue !
Il remarqua alors les deux autres filles manquantes, elles aussi accourant. Toutes les trois avaient leurs vêtements en lambeaux, les cheveux en pagailles et les bras couverts de bleus et d'égratignures. Mais étaient en vie. Elles se précipitèrent jusqu'à eux. L'une d'elle fondit en larmes en s'effondrant dans les bras de Charles, à bout de forces.
Caressant les longs cheveux noirs de sa sœur, Florion inspecta rapidement les ténèbres, immobiles. Aucune trace des hommes-bêtes.
- Carmen, se reprit-il en plongeant son regard dans celui embué de sa sœur.
Carmen comment… que s’est-il passé ? Où sont les…
A ces mots elle ouvrit grand les yeux et fit volte-face, scrutant à son tour le sous-bois. Il jeta un regard aux autres filles, et visiblement il n'en tirerait pas plus de réponses. Toutefois, elles ne semblaient nullement effrayée malgré ce qu'elles avaient vécues et les monstres rodant dans les parages. Elles semblaient… soulagées. A bout de nerfs, mais soulagées.
- Carmen…
Le sang de Florion se glaça dans ses veines comme il serrait sa sœur contre lui. Son regard était rivé sur le sous-bois où deux braises venaient d'apparaître, un regard lumineux les scrutant avec intensité.
- Reste derrière moi, s'écria le charpentier en passant devant sa sœur.
Armé de son poignard, il fit face, prêt à en découdre.
- Non ! s’écria Carmen en le retenant.
Il tenta de se dégager, mais celle-ci insista jusqu’à capter son regard. Elle avait peur. Mais pas de la chose des bois. Elle avait peur pour lui. En douceur, elle lui fit baisser le poignet, jusqu’à ce qu’il retrouve une posture plus pacifique. D’un même mouvement, ils se tournèrent vers le sous-bois. Lentement, une silhouette se détacha des ombres et vint se dresser devant eux, silencieuse. L’inconnu les toisait de toute sa hauteur. Il faisait preuve d’un calme déplacé pour cette situation. Sa cape était imbibée de sang et gouttait à ses pieds. Le regard de Florion détailla le combattant, la mâchoire à deux doigts de tomber par terre. Ses deux compagnons étaient tout aussi hébétés que lui.
Sans avoir prononcé un mot, leur sauveur pivota et fit quelques pas.
- Attendez !
Délaissant son frère, Carmen accouru et faillit attraper le bras de l’inconnu. Elle s’abstint : le tissu était semblable à une éponge écarlate. L’individu posa sur elle un regard étonné et s’immobilisa. La jeune femme n’était nullement impressionnée par ses prunelles rouges, luisant dans la semi-pénombre comme ceux d’un chat.
- Venez avec nous, au village, déclara-t-elle simplement en posant sa paume sur l’étoffe au niveau de sa poitrine.
Les autres villageois retinrent leur souffle, comme il baissait la tête sur son torse, les bras ballants. Son visage restait indescriptible, à moitié dissimulé par sa cape. Mais le guerrier grogna et secoua la tête. Cependant elle insista avant qu’il ne tourne à nouveau les talons.
- Je vous en prie. Au moins, dites-moi quel est votre nom.
- Carmen !
Elle ignora Florion, rivant son regard dans celui de son interlocuteur avec détermination. Il l’étudia quelques secondes, avant de pousser un soupir et lâcher d’un ton résigné :
- Je m’appelle Mane… appelez-moi Mandrak, se reprit-il.
- Une autre choppe !
Les lèvres pincées, Carmen chercha conseil dans le regard de Charles qui hocha imperceptiblement la tête.
- Je regrette, cela ne va pas être possible, répondit-elle simplement.
- Quoi ? J’suis dans une taverne flambant neuve et j’peux pas me rincer l’gosier ? beugla l’individu, passablement éméché.
Les trois autres hommes à sa table restèrent imperturbables, attendant de voir comment la serveuse gérerait cette situation. Ils étaient les derniers clients de la soirée.
- Monsieur, je vais vous demander de partir, insista-t-elle avec autorité.
- Non ! beugla-t-il en se levant.
Il tituba un instant, s’appuya sur le bord de la table, puis leva un index accusateur vers la jeune femme :
- J’partirais pas, j’veux à boire et j’veux…
Il fit un pas incertain de côté, détaillant Carmen de haut en bas. S’en était assez.
- Messieurs, intervint calmement Charles. Je vais vous demander de quitter…
- Toi tu te tais, cria soudain le poivrot qui dégaina une dague et la pointa vers le propriétaire. J’suis un soldat impérial et j’vais pas me laisser marcher dessus par des gueux !
Charles considéra un moment la menace. Bien que saoul il restait dangereux. Et ses amis semblaient s’amuser de cette situation, refusant d’intervenir. Il soupira.
- Ecoutez, si je vous offre un dernier verre vous…
- Non ! Tu m’as énervé et maintenant j’suis en colère.
Il se tourna à nouveau vers Carmen qui leva les deux mains en signe de reddition.
- Toi notamment tu m’as énervé. Et les filles comme toi qui m’énervent, voilà ce que je leur fait !
D’un revers il gifla soudain la serveuse. Celle-ci trébucha et renversa une chaise. Mais ne poussa pas le moindre cri.
- Carmen !
Charles tenta de s’avancer, mais il se retrouva à nouveau face à l’arme du soldat en civil.
- Reste où tu es si tu veux pas que j’m’occupe aussi de toi ! cracha-t-il.
- Laisse, déclara Carmen en le devançant, je m’en occupe.
Prenant sur elle-même, la jeune femme se releva et fit à nouveau face au perturbateur. La colère couvait dans son regard alors qu’un filet rouge perlait à sa lèvre fendue. Elle s’essuya du coude et contempla son sang quelques secondes, avant de refaire front.
- C’est ce que tu fais aux filles qui t’énervent ? Et que dirais-tu de faire davantage ?
- Que… commença Charles.
L’autre éclata de rire, rapidement imité par deux de ses compagnons. Cependant, elle resta impassible et attendit. Lorsqu’il réalisa qu’elle était sérieuse, il la considéra sous un autre angle.
- Attends toi pas à être payée ma jolie ! J’vais te montrer de quel bois je me chauffe.
Un sourire se dessina sur le visage de Carmen, que Charles devina n’être qu’une façade. Il la suivit du regard alors qu’elle invitait le poivrot à la suivre à l’extérieur. Puis remarqua que la nuit était déjà tombée. Deux autres soldats se levèrent à leur tour pour les suivre.
- Je reviens vite, déclara Carmen avec un regard entendu, les lèvres rouges.
Il hocha sombrement la tête. Et tous les quatre sortirent dans l’obscurité. Il resta ainsi immobile durant de longues minutes, scrutant la porte. Puis le dernier soldat l’interpella, réclamant un nouveau verre. Celui-ci était sobre et semblait différent de ses compagnons. Il sirota tranquillement sa boisson, le regard vague.
De retour derrière son comptoir, le tavernier recommença à scruter l’extérieur avec inquiétude. Dehors tout était calme.
Jusqu’à ce qu’un hurlement ne déchire le silence. Aussitôt le soldat fut sur ses pieds. Il jeta un œil à Charles, puis à la porte. Le cri s’interrompit brusquement. Le tavernier fut interrogé du regard.
- Tu devrais partir, conseilla-t-il d’une voix grave.
L'épée antique reposait dans son fourreau, adossée à la commode. Le cuir fatigué portait les traces d'enluminures à présent disparues. D'une main décidée, Carmen s'en empara. Toutefois au moment de la lever, le poids de l'arme la fit vaciller.
- Elle est bien plus lourde que je ne l'aurais cru, confessa-t-elle.
Mandrak se contenta de sourire. Allongé dans le lit de la jeune femme, il contemplait cette mortelle passer le ceinturon à ses hanches nues. Et, tentant d'afficher une mine sérieuse, elle dégaina l'arme puis fit quelques gestes lents avec celle-ci.
Elle se tourna vers le vampire et le menaça de la pointe. Il conserva son sourire amusé, ses yeux carmin rivés dans ceux de la femme.
- Cela semblait si facile pour toi ces deux nuits là, dans la forêt et derrière la taverne, soupira-t-elle en se détournant. Alors qu'il m'est difficile de la soulever…
- J'ai quelques années d'expérience, déclara-t-il simplement.
- Combien ?
Un instant il s'apprêta à répondre plus d'un millénaire, mais s'abstint.
- J'ai perdu le compte passé la vingtaine.
- Mmh.
Maladroitement, elle parvint à glisser l'arme dans son fourreau. Puis elle le rejoignit.
- Je voudrais te demander quelque chose…
- Je t'écoute.
- Qui est Gilnash ?
Ses doigts glissés dans les longs cheveux noirs de Carmen s'immobilisèrent aussitôt. Instinctivement, elle se tourna vers lui. Le regard du vampire, d'ordinaire si serein était brusquement agité par quelque chose qui lui était totalement inconnu.
- Je… t'ai entendu murmurer ce nom dans ton sommeil, expliqua-t-elle.
Il cilla et posa son regard sur l'épée, posée sur la table. Que pouvait-il lui révéler ? Qu'il était son frère de par la malédiction ? Que tous deux avaient parcourus le monde, connus et bien au-delà ? Qu'un démon haut comme une montagne l'avait tranché en deux sous ses yeux ?
Elle renonçait à sa question quand il répondit toutefois :
- C’est une personne qui m'est chère. Doté d'une grande sensibilité et d'une intelligence rare. Pendant des années…
Des siècles songea-t-il.
- … nous avons voyagé ensemble. Je ne saurais dire combien d'aventures nous avons partagés.
Allongée sur lui et la tête sur son torse blafard, elle buvait ses paroles. Ses grands yeux verts plongés dans les siens.
- Où est-il ?
- …
En cendres quelque part au nord de Kislev.
- Parti. Je ne pense pas le revoir avant un long moment.
Il n’ajouta rien de plus, se contentant d’observer vaguement les poutres du plafond. Elle soupira et se laissa aller contre lui. La chaumière resta silencieuse de longues minutes. La bougie qui éclairait la pièce, faisait danser les ombres sur le mur opposé. Tous deux profitaient mutuellement de ce calme apaisant.
- Je te connais si peu, glissa-t-elle finalement. Tu ne parles jamais de ton passé, tu ne réponds pas à nos questions…
Il garda le silence, se contentant d’étudier la chandelle diminuer lentement. S’il ne parlait pas de ces années à parcourir le monde, ce n’était pas sans raison. De plus, comment répondre à leurs interrogations lorsqu’il pouvait à peine soutenir le regard de ses frères ?
Shiing. Claster. Gilnash. Gailrya et tous les autres… A peine fermait-il les yeux que leurs visages revenaient hanter sa vision. Chacun de ses frères et sœurs disparut. Mandrak ne pouvait les oublier. Ils ne prononçaient nuls jugements ou accusations à son encontre, et d’une certaine façon il aurait préféré que cela soit le cas. Non, ils se contentaient de l’observer en silence, suivant la « vie » qu’il menait et qu’ils n’auraient jamais. Lui avait survécu tandis qu’ils étaient tombés. Et pourquoi ? En quoi avait-il mérité plus qu’eux de continuer à arpenter le monde ?
- Je sais que tu m’as sauvé à deux reprises, commença-t-elle brusquement en le tirant de ses pensées, que tu as aidé à rebâtir la taverne, que tu protèges la région des bêtes féroces…
Il cligna des yeux un instant et s’apprêta à répliquer mais s’abstint. Qu’avait-elle pu lire sur son visage quelques secondes auparavant ? Impossible à dire. Elle esquissa un sourire.
- Ne crois pas que je sois si idiote que cela. Avant ton arrivée les voyageurs parlaient de créatures terribles, rencontrées une fois la nuit tombée. Et je ne parle pas que des ours. Tu ne me feras pas croire tes vagabondages nocturnes n’ont rien à voir avec cela.
Mandrak se força à sourire à son tour. Elle disait vrai. Toutefois, mieux valait qu’elle continue à ignorer les horreurs qu’il avait terrassé dans la région. Qu’elles restent enfouies au plus profond de lui. Avec les visages de ses compagnons.
Il garda donc le silence mais celui-ci était équivoque aux yeux de Carmen. La jeune femme se rallongea et poursuivit, parcourant sa peau fraiche du bout des doigts :
- Le soir de ton arrivée, tu souhaitais disparaître. Aujourd’hui je crois comprendre pourquoi. Tu t’imagines être l’un de ces monstres que tu chasses au clair de lune. Mais à mes yeux tu es bien plus. Et ce quel que soit ton passé.
Elle se redressa et l’obligea cette fois à plonger son regard dans le sien, encadrés par ses cheveux en cascade. Les deux prunelles écarlates luisaient faiblement dans cette ombre. Son visage était à seulement quelques centimètres du sien. Elle pouvait sentir l’absence de souffle à ses lèvres.
- Tu as beau avoir les yeux rouges et voir dans les ténèbres, posséder la force de dix hommes et un cœur qui ne bat pas, fuir la lumière et ne pas manger ou boire, je te vois tel que tu es. Tu es quelqu’un de bien. Et mon avis est partagé par les autres villageois.
Sauf que je me nourris du sang qui coule dans vos veines, songea-t-il avec un rictus. Et cela personne ne l’a encore découvert…
- Pourquoi me dis-tu cela ? répondit-il après un instant.
- Parce que je suis capable de voir ce que tu caches au fond de ce regard. De la solitude, et non de la colère comme tu veux le faire croire avec tes airs de guerriers.
Il détourna le regard, ce qui la fit rire comme une enfant. Elle lui caressa le menton et repris avec espièglerie :
- Ici, avec moi, tu ne peux le cacher. Sinon, pourquoi serais-tu resté ?
Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais ne prononça aucun son. Cette jeune mortelle ignorait de quoi elle parlait. Même si elle était témoin de son tourment, Carmen ne voyait pas ses frères comme lui les voyait. De plus elle ne pouvait appréhender les siècles passés et l’éternité à venir, c’était au-delà de sa vision.
Toutefois… il pouvait lui décrire. Ou même lui offrir cette éternité à ses côtés.
A peine cette pensée l’eu-t-elle traversé qu’il la rejeta avec force et secoua la tête. Il n’était pas question qu’il répande à nouveau sa malédiction ! Encore moins ici, où il c’était trouvé un…
- Qu’y a-t-il ? s’inquiéta-t-elle en le voyant s’agiter.
A nouveau il se plongea dans son regard de jade. Si belle et si généreuse. Après tant d’années, il n’aurait pas cru rencontrer quelqu’un comme elle. Quelqu’un capable de comprendre ses émotions sans même être immortel. Quelqu’un pour qui il serait prêt à rengainer son épée. Quelqu’un qui ravivait la flamme éteinte au creux de sa poitrine.
Et il n’était pas question de la blesser. Le regard effrayé de Carmen ne fit que renforcer sa détermination. Il se redressa et la prit dans ses bras, la faisant sursauter. Mais après quelques secondes elle s’abandonna à son étreinte.
- Je vous protégerais, déclara-t-il en lui caressant cheveux. De mes démons comme de ceux à l’extérieur. Cet endroit le mérite, c’est un havre de paix comme je n’en ai vu depuis des décennies, c’est…
… mon foyer, osa-t-il penser.
Carmen doutait avoir compris sens de sa déclaration, mais peu importait. Ils étaient là, ensemble. C’est tout ce qui comptait.
- Mandrak ?
Pas de réponse. Doucement, Florion ouvrit la porte et entra dans l’ancienne chaumière. Personne. Avec précaution il referma et se retrouva dans l’obscurité, les fenêtres était calfeutrées derrières leurs rideaux.
Puis deux lueurs rougeoyantes émergèrent face à lui. Il resta immobile, bien que mal à l’aise en présence de l’amant de sa sœur. Puis un claquement de doigts le fit sursauter. La seconde suivante, Mandrak déposait une chandelle allumée dans une coupole prévue à cet effet. Il n’avait ni silex ni briquet à la main, mais Florion ne s’attarda pas sur ce détail.
- Les soldats sont revenus, lâcha-t-il sans détour.
- En quoi cela me concerne-t-il ? répondit-il après quelques secondes, invitant le menuisier à s’asseoir.
Florion secoua la tête en déclinant.
- Ils voulaient venger leurs camarades et sont allés à la taverne, révéla-t-il en soutenant le regard de Mandrak.
L’expression du vampire se crispa soudain. Aussitôt l’humain fit un pas en retrait. Il avait le même regard que cette nuit, lorsqu’il avait libéré Carmen des hommes-bêtes…
- Continues, grogna-t-il en serrant les poings.
- Ils… voulaient savoir qui avait fait ça, expliqua-t-il en cherchant ses mots. Ils…
- Et qu’avez-vous répondus ? interrogea le vampire, l’impatience palpable dans sa voix.
- Rien. Personne au village n’a parlé de toi.
La colère de Mandrak sembla baisser l’espace d’une seconde. Puis il leva sur Florion un regard glacial.
- Il y a quelque chose que tu ne me dis pas…
Le charpentier eu un hoquet. Comment ?
- L’un des soldats du Comte a reconnu Charles et Carmen ! ajouta-t-il.
- … Et ?
- Comme personne ne voulaient leur répondre, ils les ont emmenés. C’était il y a une heure à peine.
Mandrak étudia attentivement la mine du charpentier, son regard semblant le traverser. Puis il se détourna.
- Ton cœur me dit que tu n’as plus rien à m’apprendre, grinça-t-il en se détournant.
Mon cœur ? Songea Florion sans comprendre.
- Je devine que personne ne s’est interposé, pensa-t-il à voix haute. Et je ne vous en tiens pas rigueur : vous n’êtes pas des combattants. Ont-ils fait du mal à quelqu’un ?
Florion secoua la tête et le vampire soupira. De soulagement ou d’agacement ? Difficile à dire.
- Tu es sûr que personne ne leur a parlé de moi ?
- Certain.
Mandrak hocha la tête. L’effet de surprise serait un atout de poids. Carmen et le tavernier seraient de retour à l’aube.
- Ils… ont pris la route du sud pour rejoindre Drakenhof, l’informa Florion en s’adossant à la porte, soulagé d’un poids.
- La demeure du Comte ?
L’autre confirma d’un signe de tête.
- Vlad von Carstein, ajouta-t-il.
- Vlad ? répéta Mandrak. En es-tu sûr ?
- Pour autant que je sache, oui, en quoi…
- Vlad était déjà Comte de Sylvanie lorsque Walach a fondé son ordre et chassé Luther, murmura-t-il sans s’adresser à l’humain. Cet homme a plus de deux cent ans…
Les noms de Walach et Luther étaient totalement inconnus aux oreilles de Florion. Tout comme l’air inquiet qu’arborait son compagnon.
- Il n’est pas rare dans la noblesse de vivre jusqu’à un âge…
- Aucun humain ne peut régner aussi longtemps, coupa Mandrak, plongé dans ses réflexions. Combien de temps reste-t-il avant que le soleil ne se couche ?
- Une heure ou deux, tout au plus, répondit Florion.
Le vampire hocha la tête. Il devrait ronger son frein jusque-là. Puis la traque commencerait.
- Retourne informer les villageois qu’ils ne doivent pas s’inquiéter. Je les ramènerais avant l’aube.
Florion poussa un soupir de soulagement, puis sortit sans demander son reste. Il ne remarqua pas le rai de lumière qui éclaira Mandrak l’espace d’un instant, mais celui-ci resta stoïque. Son esprit était déjà loin, tourné vers la nuit à venir. Il avait déjà perdu ses proches une première fois et le visage de la jeune femme ne viendrait pas les rejoindre. De simples mortels ne lui arracheraient pas Carmen.
- Patiente encore quelques heures, murmura-t-il d’une voix solennelle. J’arrive.
- EssenSeigneur vampire
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Re: Feu et Sang
Mar 7 Juil 2015 - 19:57
Du grand art, comme tu le fais toujours !
Superbe ambiance pour décrire le fardeau du temps qui pèse sur les épaules du vampire.
Seul bémol de goût personnel : le vampire est trop gentil Mais vu que j'ai lu l'histoire de Mordheim, je sais comment ça se termine
Superbe ambiance pour décrire le fardeau du temps qui pèse sur les épaules du vampire.
Seul bémol de goût personnel : le vampire est trop gentil Mais vu que j'ai lu l'histoire de Mordheim, je sais comment ça se termine
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Re: Feu et Sang
Jeu 12 Nov 2015 - 2:20
Un texte bien profond, qui nous rend presque aussi triste que le personnage. Du coup, je ne sais pas quoi demander. La suite du texte original ou de celui-ci ? Tiens, je vais demander les deux !
PS: Une petite relecture et ça sera parfait
PS: Une petite relecture et ça sera parfait
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