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Arken

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Mer 22 Oct 2014 - 18:54
Moi je ne suis toujours pas satisfaite. Manon est toujours portée disparue Tongue

La suite ! Lol !

(Oui, j'avais dit demain... Mais après trois examens, je peux bien m'octroyer une petite pause Innocent )
Essen

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Seigneur vampire
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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Sam 25 Oct 2014 - 22:24
63e partie.





     J’enrageais d’être impuissant,
     D’être faible, et sans repères.
     Le retour à la poussière
     Dont m’avait sorti le sang.

     J’enrageais d’être l’esclave
     De ma soif et de mes vices
     Aussi brûlants que la lave,
     Tel un volcan de supplices.

     Et le sort se rit de moi :
     Ce n’est pas la soif de sang
     Qui me rend si moribond,

     Car si j’étais juste et bon,
     Noble, pieux et bien pensant,
     Je me tuerais sans émoi.


           ***


     La clarté de la noirceur
     Ne saurait être troublée
     En ce pays oublié,
     Antichambre du malheur.

     Même les malfrats notoires
     N’iraient pas s’y réfugier.
     Ils préfèrent le gibet
     Aux errances dans le noir.

     Moi, je suis enfant du noir,
     Je naquis dans la douleur,
     Condamné par l’un des leurs,
     Transformé par leurs pouvoirs.

     C’est un fruit empoisonné
     Que la pomme du pouvoir.
     Juste assez pour émouvoir
     Un vampire nouveau-né.

     Lorsqu’il lui faudra savoir
     Comment vivre dans la nuit,
     Il devra s’apercevoir
     Que ses espoirs sont trahis.

     Il n’est rien ! La basse engeance !
     Le larbin, le serf, le gueux !
     Un jour, j’aurai ma vengeance
     Sur ces maîtres orgueilleux !

     Pour l’instant, jour après jour,
     Je me vois criblé de tâches,
     Effectuant sans relâche
     Des allées et des retours.

     De forêts en catacombes
     Je ramasse des reliques
     Dont les effets bénéfiques
     Seront absorbés par l’Ombre.

     Je n’attends plus que ce jour
     Quand, au bout de mes efforts,
     Je verrai messire Ashur
     Revenir depuis les morts.

                 

                 Vampire at war : les temps maudits - Page 2 705433
Arken

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Dim 26 Oct 2014 - 9:04
Joli tout bien tout beau Smile

Elle est où la suite ? Mr. Green
Gilgalad

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Dim 26 Oct 2014 - 9:07
Je suis d'accord avec Arken. C'est très sympa, très joli, très cool, mais on n'a pas la suite. Et c'est un défaut récurrent chez toi je trouve Sourire

Du coup, vivement la suite respect
siegfried der blutdurstig

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Dim 26 Oct 2014 - 12:04
Tres joli Happy j aime beacuoup, mais euuuh... t aurais pas oublier de poster un truc ? Genre... la suite ? Innocent
(Sinon tres tres joli poeme Wink )
Essen

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Dim 26 Oct 2014 - 19:30
Deux raisons m'ont poussé à agir de la sorte : la première est que, au lieu de publier une suite trop courte, un long poème aurait à mon sens à peu près la même valeur Fou
La seconde raison est que si j'avais publié le poème ET la suite, le poème n'aurait pas pu être aussi pleinement apprécié par mes chers lecteurs et lectrices Innocent

Mais comme la petite semaine de vacances arrive, je devrais pouvoir me rattraper sous peu Wink
siegfried der blutdurstig

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Dim 26 Oct 2014 - 19:32
Malin...tres malin... il est fourbe ce von Essen en fait... Devil
Essen

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Mer 29 Oct 2014 - 18:55
Chose promise, chose due, messieurs-dames ! Je suis heureux de vous présenter cette suite, dont personnellement je suis plutôt fier (Innocent), et dont je brûle de connaitre votre avis  Shifty





***

     Le castel Templehof, édifice dominant la lande à des dizaines de lieues à la ronde, avait été restauré de fond en comble depuis quelques années, et les villageois de Templehof avaient quelquefois eu une impression de fierté par rapport aux autres sylvaniens. Une fierté stupide, celle qui surgit du flot commun de la misère, celle qui prétend qu’eux, au moins, vivaient sous la protection de maîtres dignes de ce nom, des châtelains résidant dans un lieu comparable aux castels des autres provinces. Mieux encore : les quelques familles nobles se virent proposer l’immense honneur d’avoir leur fils et filles comme laquais et femmes de chambre de « Sa Grâce », et ceux qui acceptèrent de servir furent grandement récompensés. En effet, la nouvelle comtesse semblait disposer de sources de nourriture d’origine inconnue, et rien en Sylvanie n’avait plus de valeur que le pain et la viande comestible. Lorsque les familles nobles virent leurs enfants revenir avec leurs premiers salaires, plus personne ne songea alors à douter de la bienveillance de Sa Grâce envers ses sujets.
     La plupart préférait douter, mais certains des nobles plus anciens savaient et ne se leurraient pas sur l’identité de cette soudaine providence : les comtes vampires avaient profondément marqué l’histoire et les coutumes de la province, et cette aristocrate inconnue n’essayait même pas de leur offrir la moindre trace détaillée de ses origines, statuant que sa lignée remontait à « Magnus lui-même ! »
     Ils hochèrent alors la tête et s’y résignèrent, comme tous les autres. Peu leur importait de se soumettre à un être impie, pourvu que leurs ventres fussent remplis et leur autorité sur les villageois restât intacte. Peu leur importait si, par malheur, l’un de leurs enfants souffre de pâleurs et de pertes de sang, voire disparaisse de temps à autres… La comtesse l’avait vu, et ils savaient qu’elle l’avait vu, aussi pendant de longs mois il en fut ainsi, et les nobles de Templehof prospérèrent.
     Nul d’entre eux, cependant, ne fut assez perspicace pour déceler un faible vent de révolte qui soufflait parmi les rejetons qu’ils avaient condamnés. Pris au piège par la volonté envoûtante de la comtesse von Carstein et la sourde insistance de leurs parents, ils ne pouvaient fuir leurs obligations, et devaient apprendre à combler les moindres désirs de leur maîtresse. Bien que cela ne leur laissait que peu de temps ne serait-ce que pour dormir, ils arrivaient à entretenir de brèves conversations, au cours desquelles la plupart du temps certains maudissaient leurs sorts, alors que d’autres essayaient de renoncer à l’évidence et de profiter des conforts terrestres que leur offrait la vie au château : la nourriture, la chaleur, et même deux jours de congé par mois pour partir où bon leur semblait.
     Parmi ceux-là, il s’en trouva deux qui firent le choix de rester au castel lors des deux jours fatidiques, et l’on sut par la suite qu’ils furent conviés par la comtesse pour un service « spécial » dans sa propre chambrée, l’accès à laquelle par ailleurs n’était permis qu’aux femmes de chambre… Les deux jeunes gens ne furent plus jamais revus.

     Les femmes de chambre étaient elles aussi de sang noble, aussi noble que puisse se prétendre l’aristocratie sylvanienne, et ce fut pour cela qu’elles furent « recrutées » au même titre que les fils des anciennes familles. Si des liens familiaux avaient jusqu’alors existé entre des frères et des sœurs, ou si des liens plus étroits et intimes encore avaient lié par hasard deux de ces jeunes gens, tous ces liens furent bien rapidement mis à l’épreuve par le service que devaient fournir les « femmes de chambre » à la nouvelle comtesse. Nulle d’entre elles ne fut enchantée par l’idée de devoir s’habituer aux tâches ménagères qu’exécutaient pour elles les servantes de basse extraction, mais lorsque leur maîtresse posa son regard insistant sur chacune d’entre elles, plus personne ne songea à rouspéter. Pire, les frères et les amants furent bientôt terrifiés par la soumission que leurs amies ressentaient désormais pour « Elle », et aucune de leurs paroles ne put les faire changer d’avis. Lentement, ils se rendirent compte qu’ils étaient tous asservis, corps et âme, à cette femme pour le moins étrange : il en émanait une impression que l’on pourrait qualifier de divine, si ce n’est qu’elle était au contraire l’incarnation-même de l’impiété et de l’intransigeance touchant parfois à la folie. Combien de fois avait-elle battu presque à mort l’une des servantes pour avoir mal nettoyé un parquet, ou  l’un des serviteurs pour avoir oublié de changer les bougies ? Et au dessus de leur situation qu’ils eurent alors crue digne de compassion - leurs familles, insensibles à leurs supplications de faire entendre raison à cette maîtresse par trop rigide et parfois même cruelle. Leur cauchemar fut total lorsque même auprès de leurs proches parents, ils trouvèrent porte close, des visages dissimulant la crainte de la disgrâce et des regards tantôt implorants, tantôt accusateurs : qu’ils se taisent ! Qu’ils continuent à nourrir leurs familles qui ont besoin d’eux !
     L’un des jeunes hommes eut un jour l’ingéniosité de proposer de découvrir d’où provenaient les vivres que fournissait la comtesse à leurs familles. Agacé de se voir approuver dans sa démarche, mais laissé seul pour agir, il déclara être décidé d’y arriver coûte que coûte, et quitta ses interlocuteurs avec fracas. Lui aussi, dès le lendemain, ne fut plus revu au castel. Depuis cette mésaventure, plus personne n’osa s’intéresser de près aux affaires privées de leur maîtresse.

     La vie du castel demeura ainsi pendant de longues années, et rien ne laissait présager une quelconque amélioration, ni par ailleurs le moindre changement. La comtesse était toujours aussi inflexible et sévère quant à la propreté de sa demeure, mais demeurait également toujours aussi prodigue en victuailles de qualité supérieure, qui lui assuraient la loyauté des doyens des familles nobles. Leurs fils et leurs filles finirent par être atteints de cette même torpeur résignée dont faisaient preuve leurs géniteurs, développant au fil du temps une certaine habitude de rigueur et d’organisation, afin de ne jamais déplaire en quoi que ce soit à leur maîtresse. Leur vie leur parut alors passable, voire agréable et permettant l’espoir, surtout lorsqu’il fut permis à un couple qui s’était formé parmi eux de se marier au sein-même du castel Templehof. Les jeunes époux virent leur bonheur terni uniquement par l’extrême réticence du prêtre du village à accomplir la cérémonie dans le lieu indiqué, mais quelques généreux dons des familles des mariés le firent prendre la bonne décision. Invité dans la foulée à passer la nuit au castel par la comtesse, il disparut au petit matin, sans laisser de traces, son hôtesse paraissant la première étonnée de son départ impromptu… Personne ne voulut savoir qu’il demeura introuvable au village.
     Un an plus tard, toutefois, un événement ébranla la fragile sérénité qui s’était invitée dans les cœurs des jeunes gens, pourtant habitués aux excentricités de leur maîtresse. Naturellement, et pour le plus grand bonheur des familles concernées, la jeune mariée tomba enceinte, et tout le monde s’accorda sur la bonhomie de la comtesse lorsque celle-ci lui accorda de ne plus travailler autant que les autres femmes de chambre afin de ne pas se surmener. Le petit enfant grandit paisiblement dans son ventre, et tout portait à croire que sa naissance aurait lieu sous les meilleurs augures et serait bénie par Sigmar.
     Le jour où les crampes indiquèrent que la mère était prête à accoucher, la comtesse stupéfia toute la maisonnée en ordonnant de porter la femme souffrante dans ses quartiers personnels, promettant qu’elle s’occuperait de tout et interdisant à quiconque de franchir le seuil de la chambre ou de s’en approcher.
     Les jeunes gens et les familles accourues entendirent néanmoins les premiers cris du nouvel être arrivé au monde, et quelques uns osèrent même féliciter le jeune père pour son premier enfant. Alors, un cri de femme déchira la quiétude de l’assemblée : un cri d’horreur, suppliant, suffoquant, qui fit perdre les moyens à la plupart d’entre eux, mais pas à l’époux de la mère. N’obéissant qu’à son courage, mais aussi à sa peur pour les siens, il fit une violente irruption dans les quartiers de la comtesse, trouva porte close, mais celle-ci ne résista pas à la vigueur de sa poussée.
     Il n’en revint pas vivant, pas plus que sa femme et son fils, que l’on fit par la suite sortir du castel dans des cercueils. La seule qui devait savoir tout sur la raison d’un tel drame fut formelle : l’épouse fit une fausse couche, et son mari ne supporta pas la vue de sa mort, et la vie le quitta sur le coup. Ce fut alors comme si elle défia ses sujets à tenter de l’accuser de mensonge ; personne, voyant le regard fuyant de son voisin, n’osa l’accuser de quoi que ce soit. Lorsque les femmes de chambre eurent à changer les draps le soir venu, ils ne purent que constater le peu de sang qu’il y avait sur le tissu. Bien trop peu.  

     Si la vie reprit alors malgré tout son train habituel, la prégnante impression de tromperie et de menace demeura dans la conscience des serviteurs et des servantes. Rien ne les empêchait à continuer comme si de rien n’était, si ce n’est le souvenir de la fin atroce que connut le jeune couple à qui l’on avait promis un bel avenir. Leurs familles, bien que frappées de grief, furent réduites au silence par la pression de leurs pairs, car bien plus forte que le chagrin et la colère était leur peur, la peur de l’inconnu, ou plutôt de l’inconnue que demeurait toujours pour eux leur aristocratique bienfaitrice.
     Plus personne ne songeait à se marier parmi les gens de la maisonnée, et si des relations intimes se tissaient encore, c’était dans l’ombre, loin de la connaissance de leur redoutable maîtresse. Lorsque toutefois la peur folle poussa l’un des hommes à l’excès envers celle avec qui il s’était acoquiné pour oublier leur peine commune, un autre événement eut lieu : la trahison. « La trahison », l’appelèrent ainsi les serviteurs lorsque la violence de l’homme fautif fut dénoncée par celle qui l’avait subie à la comtesse. Tous furent conviés dans la grande salle des festins, et subirent une heure insoutenable de remontrances qui devinrent de fil en aiguille des cris, puis des vociférations. A l’issue de l’heure pénible, aucun châtiment immédiat ne fut appliqué, mais la sentence prononcée par la comtesse s’avéra plus redoutable que le bâton ou le fouet : le coupable fut chassé de sa maisonnée, et telle fut l’opprobre que crut en subir sa famille qu’il fut déshérité, puis chassé de la maison familiale par son propre père.
     Cet homme, c’était Ulrich von Kriegz. Il avait alors vingt-neuf ans.

     La prudence parmi les serviteurs et les servantes atteint alors des extrémités dépassant le commun de l’imagination. Chacun préféra tout d’un coup à se cloitrer dans sa propre existence, refusant désormais de reconnaitre n’importe quel autre être humain à part soi-même, doutant même des liens familiaux qui devaient pourtant encore exister entre eux et leurs parents. Ils devinrent entièrement absorbés par leurs tâches quotidiennes, considérant cela comme l’obligation la plus sacrée et la plus immuable qui devait exister pour eux. Lorsque leur salaire leur fut confié, tous rencontrèrent soudainement une profonde hésitation à l’idée de partager la nourriture avec leurs proches, et durent être, chacun à sa manière, raisonnés, houspillés ou battus par leurs géniteurs pour qu’ils rapportent le fruit de leur labeur à la maison en entier. La confiance devient une chose rare, voire considérée comme suspecte parmi eux, parfois même comme un luxe qu’ils ne pouvaient plus se permettre. La méfiance devint leur seconde peau, toute velléité d’y repenser rapidement abattue par la banalité constamment éprouvante du quotidien, la comtesse ne tolérant toujours pas le moindre écart du parfait entretien du castel. Ce dernier devint leur seule réalité, leur maison, leur temple et leur sanctuaire à la fois, ils ne connaissaient rien d’autre au monde et ne voulaient plus rien connaître d’autre. Ce fut alors que l’un des serviteurs disparut, suivi quelques mois après par une des femmes de chambre. Les seules personnes qui y accordèrent quelque peu d’attention se virent opposer l’indifférence totale de la comtesse et de sa maisonnée. Personne ne chercha pas non plus à s’indigner sur le fait que les remplaçants qui vinrent prendre la place des disparus furent des fils de paysans de la plus basse extraction. En effet, le seul accueil qui leur fut accordé par les autres serviteurs fut une froideur teintée de mépris : ils ne connaissaient rien aux rouages du castel, et étaient donc des moins que rien à leurs yeux. Seule la peur des les voir provoquer d’autres calamités par leurs maladresses les fit prestement apprendre aux nouveaux tous les secrets et usages du métier.
     Dès lors, il ne devint plus étonnant que de temps en temps, une fois tous les six mois environ, l’un ou l’autre des hommes ou des femmes devinssent introuvables et se vissent sous peu remplacer par d’autres personnes. Celles-là devaient alors vite apprendre à vivre comme le désirait leur nouvelle maitresse, et gare à eux s’ils y manquaient… Non seulement la comtesse pouvait se montrer parfois extrêmement violente, et d’une force insoupçonnée, mais en plus de cela le fautif était certain de se faire copieusement injurier par ses pairs le soir venu. Une fois, une jeune fille du cru n’y survit pas, et son corps meurtri fut ramené à ses parents, avec à peine de quoi payer les plus pauvres funérailles. Tout cela n’inquiétait plus les serviteurs et les servantes : ils avaient un castel à maintenir en bon ordre, et même les noms de Sigmar ou de Morr résonnaient avec moins d’importance à leurs oreilles que les ordres de leur maîtresse.

     Leur quotidien fut peu modifié lorsque, de manière exceptionnelle, la comtesse reçut des invités autres que les habituels doyens des maisons nobles de Templehof. Trois hommes souriants, habillés de manière irréprochable et armés jusqu’aux dents, ne provoquèrent parmi les serviteurs, aux mieux, que des craintes supplémentaires quand à la survie de chacun d’entre eux. Il s’avéra alors que leurs craintes furent fondées : les disparitions devinrent plus fréquentes, et il fut naturellement plus ardu pour les survivants de former rapidement les remplaçants qui ne manquaient jamais.
     Un soir, toutefois, les choses ne se passèrent pas comme à leur habitude, lorsque lors d’un habituel festin avec les nobles doyens, le comte Viktor von Carstein trouva amusant de dégainer son épée pour perforer de part en part le serviteur qui s’occupait du vin. La cruche tomba à terre et se brisa en mille morceaux, le précieux nectar se mélangeant peu après au sang rouge de l’homme hébété et incrédule. Certains doyens se levèrent alors de leurs chaises, mais un seul regard de la comtesse suffit à les remettre à leur place. S’ensuivirent quelques brèves remontrances, la maitresse de la maisonnée faisant clairement entendre à son cher frère que chez elle il était interdit de s’attaquer directement à ses serviteurs. Quelque peu contrarié, l’intéressé lécha alors sa lame avec délectation et acquiesça sans rajouter mot.
     Tous furent soulagés lorsque le trio d’invités cessa leur séjour au castel, et repartit quelque part vers l’est, vers une destination que personne ne voulait connaitre.

     Tous tremblèrent de nouveau pour leurs vies lorsque deux événements successifs troublèrent le quotidien parfait auquel ils s’étaient tant habitués. Peu leur importait la pénombre qui avait envahi la contrée : la comtesse eut alors congédié sèchement ses jardiniers. Peu leur importaient les hurlements inhumains qui résonnaient quelquefois dans les landes ou dans la forêt au loin : ils étaient en sécurité au castel. Tout ce qui leur importait se déroulait au castel, et ce fut au castel que, fort de deux douzaines d’hommes de main, Ulrich von Kriegz revint alors, rempli de fureur. Tellement intimidante voire surnaturelle fut sa voix, qu’on lui ouvrit les portes d’entrée, à lui et à ses sbires, mais grande fut la panique lorsque ils entrèrent directement dans la salle des festins et commencèrent à la démolir de fond en comble ; le même serviteur qui leur avait ouvert se dévoua pour aller prévenir la comtesse, priant intérieurement que la menace soit assez conséquente pour qu’on ne le mette pas à mort par la suite.
     Personne n’assista aux terribles événements qui s’y déroulèrent ensuite, mais tous entendirent d’abominables hurlements rauques, des bruits de chairs mutilées et de tintement de métal. Les plus perspicaces firent enfin le lien entre les bruits de métal et la présence de cadavres desséchés au sein des armures de la grande allée. Lorsque toutefois les bruits furent étouffés, les serviteurs firent peu après la connaissance avec un autre « homme souriant », apparu, semblait-il, de nulle part, mais indubitablement susceptible lui aussi de faire disparaitre l’un d’eux en un clin d’œil. Toutefois, et comme pour toute autre chose, les serviteurs comme les femmes de chambre se résignèrent à ce nouveau résident, puisque manifestement il avait l’aval de leur bien-aimée maîtresse.
     Il se trouva que les femmes se mirent à disparaitre plus fréquemment.

     Le second événement prit lieu quelques mois plus tard, suite au retour inopiné du comte Viktor von Carstein et de ses deux compagnons. Toute la maisonnée redoubla de discrétion dans l’exécution de ses tâches quotidiennes, prudente à ne pas passer trop souvent à côté des « chers invités du castel ». Leur crainte indicible pour leurs vies dura quatre mois, à l’issue desquels leur furent donnés des ordres que jamais aucun d’entre eux n’avait entendu auparavant, même parmi la poignée qui avait miraculeusement survécu au sein du castel depuis sa rénovation : « Restez dans vos quartiers, et n’en sortez pas jusqu’à mon retour ».
     La plupart d’entre eux fut éberluée en entendant cela, mais suivit rapidement l’exemple des serviteurs les plus dégourdis qui s’inclinèrent et s’empressèrent de se retirer les premiers de la grande salle des festins. Des discussions à voix basse reprirent malgré tout dans leurs chambres, s’interrogeant sur les raisons du soudain départ de leur maîtresse, qui pourtant, ils le savaient, avait bien souvent été absente pendant un jour ou deux sans vraiment juger nécessaire des les en prévenir. L’ambiance générale exprimait la crainte, la crainte cette fois-ci du risque évident d’être abandonnés pour de bon, possibilité que certains envisageaient avec un effroi à peine étouffé, alors que d’autres refusaient même de l’évoquer. La plupart des femmes firent couler quelques larmes, prises soudainement par une intuition qui leur valut la réprobation unanime de la gent masculine de la maisonnée.
     Ainsi, de longues heures s’écoulèrent, aucun d’entre eux ne pouvant fermer l’œil, tous se prévalant de l’idée de rester éveillés jusqu’au retour de leur maîtresse bien-aimée, afin de lui préparer le meilleur accueil qui lui convienne sur le champ. Ceux qui, à bout de forces, s’effondrèrent dans un sommeil agité furent d’abord réveillés par les autres gens, mais ce zèle ne put résister longtemps à l’épreuve du temps qui continuait à s’écouler, et bientôt la plupart d’entre eux eut les paupières closes, seuls quelques hommes et femmes demeurant vigilants, luttant contre la fatigue avec une force qu’ils ne se soupçonnaient pas.

     Tous, toutefois, furent éveillés par les bruits de la tempête qui se déchaina plus loin, au nord : les hurlements du vent dépassaient tout ce qu’ils avaient pu entendre de leur vécu, et certains confondirent les roulements de tonnerre avec le fracas des canons, chose que pourtant ils ne pouvaient que s’imaginer à partir de bribes d’histoires anciennes qu’ils tenaient de leurs parents. Tous entendirent également le martèlement de la pluie, et se demandèrent si leur maîtresse eut songé à se mettre à l’abri d’une pareille intempérie. De longues heures d’attente reprirent, provoquant chez bien d’entre eux une étrange frayeur de cette tempête qui durait, paraissait-il, interminablement, et, lorsqu’une accalmie se déclara enfin, elle fut rapidement de nouveau assourdie par la reprise immédiate des grondements célestes. Les hommes et les femmes ne purent que se jeter des regards interrogateurs de part et d’autre, et prier pour certains.
     Enfin, le silence reprit ses droits, et l’attente reprit, avec une impression de soulagement. Quelque part, tous eurent la conviction que la tempête étant passée, toute menace qu’ils auraient pu jusque là soupçonner devait avoir été écartée, évanouie, tel un cauchemar enfantin, et que le beau temps qui s’ensuivrait présagerait le retour prochain de leur maîtresse…

     Une femme de chambre surprit toute l’assemblée en poussant un cri de joie, et affirmant qu’elle entendait du bruit à l’extérieur. La torpeur de la nuit passée prit du temps à s’estomper, et les regards qui se dirigèrent vers la femme furent partagés entre des airs d’espoir et de gratitude, et au contraire des mines renfrognées exprimant l’incrédulité, voire le reproche. Lorsque toutefois, tous entendirent nettement un pas de marche mesuré sur la terre boueuse, ils se précipitèrent vers les portes d’entrée, saisis d’une sorte de joie que connaissent les enfants lorsque leur parent revient à la maison après ce qui leur parait une longue absence.
     Leurs espoirs furent confirmés lorsqu’ils entendirent des voix à l’extérieur, et tous se mirent en rang en attendant que deux hommes ouvrent les portes avant même d’en entendre l’ordre nécessaire. Cependant, dès qu’il y eut un entrebâillement, l’assemblée toute entière se glaça d’effroi : les voix n’appartenaient nullement à celles qu’ils connaissaient depuis longtemps, aucune d’entre elles ne leurs paraissaient familières. Il était malheureusement déjà trop tard pour refermer les portes, lorsqu’une des voix, impérieuse, se fit entendre :

     « Ouvrez grand les portes, car votre ancienne maîtresse n’est plus ! Accueillez à présent celle à qui vous obéirez désormais : Delphine d’Essen, comtesse de Tempelhof ! »    


Dernière édition par Von Essen le Ven 31 Oct 2014 - 23:08, édité 1 fois
Arken

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Ven 31 Oct 2014 - 13:27
"mais quelques généreux dont des familles"
Je crois que tu voulais dire "dons" Tongue

C'est bien, on connait la situation des servants maintenant. Mais on a toujours pas la suite ! Lol !
siegfried der blutdurstig

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Ven 31 Oct 2014 - 14:35
J'aime ! J'aime beaucoup même ! Un excellent post à mon avis. Le développement et l'enchainement m'a bien entrainé et fait plonger à nouveau dans l'univers de ton récit Wink
La situation des serviteurs me fais penser à celle de l'héroine dans Origines de Arken Wink
Encore bravo pour ce splendide texte, j'attends la suite avec grande impatience... Vampire

PS: Et mon psychopate vampirique taré préféré aux multiples personalités confuses on le revoit quand ? Wink
Gilgalad

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Ven 31 Oct 2014 - 14:40
Je suis entièrement d'accord avec la modo. On n'a toujours pas la suite de l'histoire, et c'est la chose que l'on attend tous avec impatience. Surtout quand tu écris très bien.

Mais au moins on sait ce que les servants ont traversé comme épreuves. J'attends de voir comment Delphine va se comporter avec eux maintenant.
Essen

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Seigneur vampire
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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Dim 9 Nov 2014 - 18:13
Cette suite est un peu plus courte que les précédentes, mais... Bref, j'espère que vous en profiterez tout autant  Innocent





     
     
     Quelques instants plus tard, un cortège des plus étranges pénétra dans la cour du castel. Tous, hommes comme femmes, crurent que leurs yeux les trahissaient, que ce qu’ils voyaient et entendaient ne pouvait réellement avoir lieu ; cependant, chacun se rendait compte avec horreur que tous ne pouvaient partager la même illusion, et que le gouffre béant qui semblait s’être ouvert sous leurs pieds était une impression que tous partageaient en cet instant.
     Une cavalière au port altier et aux cheveux blonds ouvrait la marche, deux autres femmes protégeant chacun de ses flancs. Toutes avaient les cheveux et les vêtements trempés par la pluie, mais aussi par des taches rouge sombre dont peu doutèrent de la nature.
     La plupart des membres de la maisonnée crut leur vision s’obscurcir par ce spectacle, mais découvrirent simultanément que la peur avait définitivement pétrifié leurs membres, et qu’ils ne pourraient se détourner du spectacle qui s’offrait à eux. Ils étaient condamnés à voir, condamnés à observer la suite de la marche ; dans leur hébétement, peu virent que la monture de la cavalière n’avait pas d’yeux pour voir, et que sa respiration n’existait pas.
     Toutefois, lorsque quatre autres cavaliers engoncés dans des armures complètes et armés jusqu’aux dents franchirent le seuil des portes, tous virent que leurs destriers ne dégageaient aucune impression de vie, mais qu’au contraire leurs naseaux inertes respiraient la mort et la putréfaction. Dans la pénombre, les couleurs que portaient les chevaliers se confondirent avec des marques de sang, mais la vision ne s’arrêta pas là.
     A peine la place leur fut laissée, d’autres cavaliers, presque indiscernables par faute de lumière, s’avancèrent à travers l’ouverture de l’enceinte. Leur mouvement émettait de faibles grincements et des tintements de métal ; leurs montures, toutefois, se mouvaient avec une étrange légèreté, sans le moindre son… Elles n’avaient même plus de peau sur les os.

     Un premier cri assourdissant, bientôt suivi par d’autres, montrèrent que l’assemblée n’y tenait plus.
     Alors que cette brusque cacophonie de terreur enfin exprimée s’intensifiait, le cortège s’arrêta. Quelque part parmi les servantes, deux des femmes tombèrent par terre, mais leur entourage sombrait entièrement dans la panique pour s’en soucier. Soudain, poussant toujours des hurlements à glacer le sang, quelques hommes et femmes s’engouffrèrent dans l’ouverture de l’enceinte, saisis par un impitoyable instinct de survie, la raison écrasée par le désespoir. Ce qu’ils virent les fit immédiatement reculer ; acculés telles des bêtes, leur instinct céda subitement place à la résignation et à la folie, et ils s’effondrèrent à l’ombre du passage de l’enceinte, pleurant et attendant la mort.
     Ce fut inconscients que les morts les relevèrent et les trainèrent à leur suite, plus loin, dans la cour. Là-bas, un silence d’oppression avait été rétabli. La cavalière en personne haussa la voix, et dès que son regard tombait sur l’un ou l’autre résident de la maisonnée, celui-ci sentait sa gorge se nouer, son corps faiblir et sa volonté plier sous le pouvoir envoûtant des prunelles de la nouvelle comtesse.
     Cette dernière n’en perdit pas un air furieux face à tant d’insubordination. Son regard glissa une fois de plus sur les hommes et femmes rassemblés, comme pour raffermir son emprise sur eux une bonne fois pour toutes. Ils se sentirent alors comme pieds et poings liés : ils ne pouvaient désobéir à cette nouvelle venue, en dépit de toute la loyauté qu’ils avaient accumulés envers la comtesse von Carstein. Ils ne pouvaient fuir : la cour était désormais remplie d’une immense foule de sinistres silhouettes dont la présence seule suffisait à leur faire perdre tous leurs moyens.

     « TOI ! »            
     L’un des plus anciens serviteurs comprit qu’il avait été désigné. Subitement, il comprit qu’il ne pouvait faire autre chose que de s’avancer un peu, et de s’incliner profondément.
- Gracieuse comtesse, - s’entendit-il dire.
- Tu prendras deux autres serviteurs et tu emmèneras les chevaux aux écuries.
     Il n’y avait étrangement jamais eu de chevaux à mener aux écuries au castel. Les trois seuls invités de la comtesse von Carstein s’occupaient alors eux-mêmes de leurs montures dès leur arrivée, et ne laissaient personne s’en approcher sous peine de mort. Aussi les écuries étaient le seul lieu du castel que connaissaient les serviteurs qui n’ait jamais été sujet à un entretien rigoureux. Toutes ces pensées jaillirent tel un éclair dans l’esprit du vieil homme, mais une volonté autre que la sienne lui indiqua subitement qu’elles n’avaient aucune importance.
- J’entends et j’obéis, gracieuse comtesse, - déclama-t-il d’une voix monocorde.
     Il se releva ensuite, et attendit que sa maîtresse et les quatre chevaliers démontent, puis fit immédiatement exécuter les ordres qui lui furent donnés. Les cinq destriers furent emmenés en silence, et personne ne s’interrogea sur le fait que les chevaliers noirs aux montures squelettiques eurent échappé à la procédure. Immobiles, ils se tenaient parmi la foule des non-morts, foule que toute la maisonnée ne voulait pas voir, et qu’elle était incapable de voir : toutes les volontés étaient désormais soumises à celle de la nouvelle comtesse.
     Lorsque les trois serviteurs revinrent de leur besogne, tous furent immédiatement renvoyés dans leurs quartiers, avec l’interdiction d’en sortir jusqu’à nouvel ordre. En quittant la cour, personne d’entre eux ne put songer à se retourner.


***

     Friedrich von Nettesheim les observa s’éloigner, un poids sur le cœur. Il se sentait vieux et malade, terriblement malade tout d’un coup, comme si tous les maux du monde avaient guetté l’instant où sa volonté vacillerait pour se jeter sur lui. Tout lui répugnait soudain : lui-même, la nécromancie, les morts qui l’entouraient, le castel conquis, la comtesse. La comtesse, conquérante… Il réalisait que c’était la première fois qu’elle agissait et se comportait comme telle. Le nécromancien ne pouvait toutefois se décider sur les raisons exactes qui causaient son malaise : était-ce l’infortune de Manon, l’horreur des serviteurs à leur venue, l’attitude de la dame d’Essen à leur égard ? Le vieux maitre accorda à peine un regard à leur nouvelle demeure. Il sentait que la vampiresse ne s’arrêterait pas là, il en était convaincu ; il connaissait ‘leur’ nature.
     Peu lui importait toutefois qu’elle continue ou pas ; une plus grande inquiétude se mêlait à son chagrin. Cette attitude hautaine… ne tenait pas du bon sens. Certes, le dédain de la comtesse envers les mortels lui était familier, mais il ne s’agissait que d’un excès, d’une vanité, d’un surplus d’humeur quand vraiment l’occasion se présentait d’elle-même. Or, à présent, comment la dame d’Essen pouvait-elle se permettre des vanités alors qu’elle portait le deuil de sa fille adoptive ?
     Se remémorant les quelques paroles échangées avant leur départ au castel, von Nettesheim n’arriva à aucune conclusion satisfaisante, bien au contraire.
     Lorsque la comtesse lui adressa la parole au milieu de la cour macabre, il tressaillit de surprise :
- Maître ? Puis-je vous demander de dissimuler nos forces principales hors de l’enceinte ? Elles encombrent l’espace intérieur.

     Cette voix sonna à ses oreilles comme un glas dans le silence unanime des morts et l’obscurité quasi-totale de la cour. Le vieux maître ne put s’empêcher de constater une fois de plus qu’il ne se sentait pas chez lui, et encore moins en sécurité. Luttant contre son angoisse, il s’efforça de réagir :
- … Oui, comtesse.
     Il ne pouvait la distinguer nettement dans la pénombre, et en arrivait à se fier plus à sa vision aethyrique pour cerner sa position.
- Bien. Après cela, vous pourrez appeler Mina et Moka, elles sauront vous procurer tout ce dont vous aurez besoin.
     La platitude de sa voix, il la sentit telle de l’eau froide s’écoulant sur ses membres. Quelque chose n’allait pas, il le sentait, il le savait, mais il avait résolument peur de le découvrir.
- Ah, maître ! Prévenez-moi aussi quand Manon reviendra au castel.

     Par la force de l’habitude, von Nettesheim s’inclina en signe d’acquiescement. Puis se redressa aussi rapidement.
     Il était maître nécromancien, au milieu d’une foule de squelettes animés par des incantations dont il avait mémorisé la moindre syllabe afin de ne pas sombrer dans la folie. Il se tenait dans l’un des endroits les plus dangereux de l’Empire, un castel dominant une lande en proie à la famine et la dévastation. Pendant des années, il fut au service d’une vampiresse, combattit ses ennemis. Il lui arriva de mourir puis d’être ressuscité.
     Jamais, jamais en revanche il ne se crut autant frappé d’incompréhension, d’incrédulité et d’angoisse par rapport à ce qu’il venait d’entendre.
     Il devait avoir entendu faux, il le devait. Ou alors, il pouvait se tromper sur le ton de la dame d’Essen : peut-être s’efforçait-elle de maintenir un infime espoir, un fol espoir que sa fille serait un jour relâchée des griffes du Chaos, et reviendrait à eux saine et sauve… A cette pensée, lui-même ne put s’empêcher de se l’imaginer, et une part de lui-même continua à détester sa raison pour le ramener inexorablement vers ce qui devait être une évidence : leur existence en ce monde continuerait sans la demoiselle.
     Que diable signifiaient ces étranges propos, et le doute affreux qu’ils engendraient ? Il arriva à la conclusion qu’il devait dès lors en avoir le cœur net, sans perdre un instant.
- Comtes… - sa voix s’éteignit tout d’un coup.
     La vampiresse et ses deux servantes étaient parties, et lui-même était demeuré là, sans pouvoir déterminer le temps qu’il avait passé à réfléchir et à hésiter.
     Le nécromancien faillit en cracher de dépit. Il savait faire preuve de patience, mais cela dépassait toutes les bornes. Les squelettes attendraient son retour, il y avait plus urgent.

     « Comtesse ! » - il franchit les portes intérieures, pénétrant dans une sorte d’antichambre dénudée de la moindre décoration, de laquelle partaient trois couloirs dans trois directions différentes. Sa vision aethyrique ne laissa pas place au doute : il prit l’allée centrale. Au bout du passage, il aperçut trois regards rougeoyants qui s’étaient retournés vers lui.
     « Comtesse ! »  
     Ses pas se firent moins empressés. Il sentait que ce qu’il voulait dire pourrait être de nature à mettre son existence en danger. Son instinct de survie se remua en lui, mais le vieux maître le repoussa par la force de volonté : il n’était pas de ceux qui reculaient devant le péril, pas quand il croyait que la cause en était juste.
- Comtesse ! – il s’arrêta à seulement quelques pas de là où il devinait que se tenaient les trois dames.
     Quelques instants s’écoulèrent.
- Maître ?
     Le noir complet lui sembla détestable pour mener la conversation, mais il s’y résigna.
- Comtesse… - von Nettesheim sentit qu’il essayait fébrilement de trouver les bons mots pour aborder le sujet qui lui brûlait la langue, mais qu’il n’y parvenait pas.
- Eh bien, maître, parlez !
     Le nécromancien ne pouvait se fier qu’à son ouïe, et elle lui indiquait que la dame d’Essen exprimait une inquiétude certaine pour son problème, mais qu’elle n’en devinait résolument pas la source. Avait-elle vraiment perdu l’esprit ?
- Comtesse… - articula-t-il une énième fois. – Ma…demoiselle, votre fille, où… où est-elle partie selon vous ?
     Un autre instant de silence.
- Est-ce cela qui vous inquiète ? – von Nettesheim se figea de terreur en entendant sa voix paisible. – Ma foi, maître, je n’en sais rien, vous savez comme moi qu’elle ne nous le dit jamais.
     Le nécromancien déglutit, reprenant peu à peu ses moyens. Deux choses lui semblaient à présent certaines : la comtesse était inconsciente du terrible destin de sa fille, et lui, von Nettesheim, avait à présent le choix : la laisser planer dans le mensonge et l’oubli, ou essayer de la ramener à la réalité.
Subitement, il crut percevoir un hochement de tête négatif du côté de l’une des servantes. Elles aussi devaient avoir compris… Lui, toutefois, réalisa en lui-même qu’il ne l’entendrait pas de cette oreille.
- Comtesse, - le hochement désapprobateur se fit plus insistant, mais le vieux maître l’ignora, - madame, votre fille ne reviendra pas.
     Ce moment d’attente insoutenable, il l’avait pressenti, et le subissait à présent de bon gré.
- Comment, maître ? – la voix de la comtesse exprima l’incrédulité.
- Madame, avec tout mon respect qui est le votre, je vous somme de vous rappeler de la bataille qui vous remporta votre place auprès du comte von Carstein.

     Finalement, le noir absolu du couloir lui sembla le bienvenu ; seule sa voix, porteuse de la dure vérité, serait entendue, alors que son corps, qui exprimait tout entier la crainte d’un châtiment, demeurerait invisible. Delphine d’Essen ne devait pas se permettre d’oublier de telles choses. Sa fille ne le méritait pas. Certes, la victoire fut remportée, la soif de conquête fut assouvie, mais il serait criminel de rejeter dans le néant l’histoire de ceux qui périrent pour cela, ceux qui périrent pour la dame d’Essen.

- Je… Je n’y arrive pas… Pourquoi ?
     Le nécromancien fut pris de court en la sentant arriver, puis l’agripper subitement par le col. Les deux yeux qui le regardaient fixement étaient tels deux brasiers ardents dans l’obscurité.

- Pourquoi, maître ?
     Sa voix devint plus tranchante, trahissant un doute irrésolu, irrépressible. Elle exigeait une réponse. Il n’y en avait qu’une seule.
- Votre fille n’est plus, madame. Ainsi que votre amant.
- Je n’ai pas d’amant, maître ! – elle insista, mais le vieux maître sentait le doute monter en elle. – Où est Manon ?!
Il ne répondit pas.
- OÙ EST MA FILLE ?!
     Von Nettesheim empoigna la main qui le tenait, mais n’eut pas la force de la repousser. Il regarda la comtesse droit dans les yeux.
- Dans les désolations du chaos, madame, emportée par la tempête que feu votre amant a déchainée afin de détruire votre ennemi.

     Quelque chose se figea dans l’air. Elle savait qu’il n’avait aucune raison de lui mentir, et encore moins semblait-il atteint d’une quelconque folie. Elle n’avait pas d’amant, sa fille était partie sur son pégase mort-vivant, elle reviendrait tôt où tard, saine et sauve… Sa conviction tenace se heurta au voile d’ombre qui planait étrangement sur les événements survenus avant leur arrivée au castel. Quelque chose s’y était passé, quelque chose devait s’y être passé, mais pourquoi, pourquoi l’avait-elle oublié ?
- Maître, - elle appuya chaque mot qu’elle prononçait, - dites-moi tout.
Gilgalad

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Dim 9 Nov 2014 - 19:07
Mais c'est trop court, beaucoup trop court !! Thumb down
Je plaisante, mais c'est vrai que tu nous as habitué à beaucoup plus sur cette partie des aventures que tu écris. Enfin, cela n'en n'est pas inintéressant et mauvais pour autant, loin de là.

En fait, j'aime toujours autant. On se plonge avec bonheur dans ton histoire et on en ressort fou triste que le texte est déjà fini et qu'il va falloir attendre la prochaine fois.

Du coup, vivement la suite thumright
Arken

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Dim 9 Nov 2014 - 23:22
Je râlais toujours avec moi-même parce que tes suites étaient trop longues et que j'avais la flemme de les lire... Et maintenant que j'ai pris l'habitude, tu remets un texte court ! Fou

Je m'en vais bouder ! Crying

(la suiiiiteuuuh !)
siegfried der blutdurstig

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Dim 9 Nov 2014 - 23:34
Maieuuuuh ! Pourquoi nous donner si peu d'un aussi bon récit ??? Crying ( meme si on le dévore tout de meme tellement il est bien ! Fou )
la suite ! La suite ! Sourire
Nyklaus von Carstein

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Lun 17 Nov 2014 - 11:56
J'adore ce texte !!!
Comme les autres je le trouve super, mais il manque un petit quelque chose... la suite !
Essen

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Lun 17 Nov 2014 - 14:23
La suite, la voici Vampire



***


     Dans la cour du château planait toujours un silence de mort.
     Pour les quatre vampires qui y étaient demeurés, il n’était que trop facile d’entendre la conversation qui se déroulait à l’intérieur des murs de l’imposante édification, mais ils n’y prêtaient pas la moindre attention.

     « La victoire, nous ne la devons qu’à votre amant, madame. Tout autant que notre défaite. Bien que vous fussiez naguère âprement disposée à venir guerroyer selon votre propre caprice, ce fut le seigneur Ashur qui rendit la chose nécessaire et inévitable… »

     Ils avaient attendu qu’on les interpelle, qu’on leur donne des ordres ou qu’on les laisse disposer… en vain.

     « Ce fut son badinage avec les Puissances de la Ruine qui le rendit obligé envers eux. Pour conserver son pouvoir, ainsi que pour vous secourir d’un lamentable accident, il accepta leurs ordres : tuer Mannfred von Carstein. Vous et moi avions consenti à tenter avec lui cette folle entreprise. La bataille que nous avons essuyée n’en devait être que le commencement, mais elle en fut, je crois, la fin… »

     Tous les quatre maintenaient au-dessus du sol le corps de leur maître tombé au combat, Mauroy de Brionne. Le défunt chevalier portait encore son armure toute entière, quoiqu’endommagée, ainsi que son heaume ouvragé. Sa longue lance de cavalerie reposait auprès de lui, sur les épaules de deux de ses compagnons.

     « Oui, madame, je vous parle d’Ashur comme de votre amant… Pour l’heure, prenez ma parole comme une vérité qu’il m’est difficile de vous rappeler, et qu’il est encore moins aisé pour moi de vous raconter. Sachez seulement que sans son appui, jamais nous n’aurions obtenu notre présence en Sylvanie. Je ne saurais hélas dire si ce fut par sa faute ou par un terrible moyen du hasard que mademoiselle Manon fut emportée dans le Chaos… »  

     Les chevaliers s’impatientaient.
     Nul d’entre eux ne doutait que la conversation pourrait durer des heures, et seule leur discipline innée, mais aussi la solennité du moment leur permit de demeurer imperturbables face au temps qui s’écoulait. Une pluie très fine commença à se déverser, ajoutant encore à l’agacement durement réprimé des vampires. Ils appartenaient à l’Ordre des Chevaliers de Sang, ils étaient tous des bretteurs au-delà du commun de l’humanité, et avaient accompli maints exploits qui ne furent pour eux que les premiers pas vers la perfection martiale.
     Nul ne pouvait s’arroger le droit de les ignorer. Toutefois, et pour leur plus grande infortune, les dernières batailles qui les virent abaisser leurs lances sur l’ennemi furent également celles qui virent leurs lances se briser face à cet ennemi. Pire encore : si mourir au combat n’était point déshonorant face à un ennemi de taille, survivre à une pareille déchéance leur semblait plus comme une moquerie du destin, moquerie qu’ils ne pouvaient seulement racheter que par de sanglantes victoires qui les feraient eux-mêmes se rire du destin cruel. Dans leurs esprits, ils ne cessaient déjà de s’imaginer de nouveau sur un champ de bataille, leur bannière flottant au vent, leurs ennemis piétinés par leurs chevaux et empalés par dizaines sur leurs lances…

     « Et que voulez-vous que je vous dise, maître ? Que je suis devenue folle ? Non, ce n’est pas le grief qui m’habite ! Qui puis-je pleurer, si l’on me refuse le souvenir de leurs morts ? Que puis-je regretter, à part ma propre faiblesse ? Vous soupirez ! Vrai, maître, rien ne saurait mieux exprimer mon désarroi ! Si mon amant est mort par ma propre main, et si ma fille est condamnée à une éternité de souffrances, voila une vérité que je suis fort aise d’apprendre ! »
     « Madame, vous me l’auriez demandé tôt ou tard. »
     « Et j’en serais aussi désolée que vous me voyez maintenant ! Vous… Vous… Vous ne cesserez donc jamais de défier ma nature profonde, maître von Nettesheim ! Vous aimerez toujours jouer avec le feu ! »
     « Madame… »
     « Eh quoi ! »
     « Je tiens à vous plus qu’à ma vie. »
     « Ha ! Hahaha ! Souhaitez-vous donc tant mourir, pour me causer encore plus de peine ? Et que suis-je pour vous, maître ! Un objet de votre désir caché ? Une personne que vous souhaitez protéger plus que tout, que dis-je, posséder plus que tout ! »
     « Vous délirez. »
     « Allons, vous reculez, maître ? Où est donc passée toute votre bravoure ? Ne vous sentez-vous pas de taille à me défier une fois encore, à m’affronter, comme… »


     La conversation dont le ton haussé intrigua d’abord les chevaliers se coupa soudain. Toujours immobiles, ils se dévisagèrent mutuellement, constatant dans l’autre la même appréhension de ce qui allait suivre. Dans le même instant, remis de leur rêverie, ils ressentirent à nouveau leur impatience, aussi aiguisée qu’une épée.
     A l’intérieur, cependant, le silence se poursuivit encore un long moment. Puis, il cessa d’être.

     « Je… JE NE VOULAIS PAS ! »
     « C… Comtesse ! »


     La voix de la dame d’Essen s’éloigna sensiblement :

     « Je désire rester seule, maître… Seule ! »

     Et sa voix s’éteignit une fois encore. A l’extérieur, les quatre vampires demeurèrent interdits face à un tel dénouement, mais peu longtemps. Assez, toutefois, pour qu’au moment où ils décidèrent de franchir les portes de l’antichambre, ils entendirent parler le vieux nécromancien :
- Mesdemoiselles, il m’a été dit que vous seriez prêtes à me procurer tout ce que j’estimerai nécessaire. Si, comme moi, vous ne mettez pas la parole de notre dame en doute, veuillez partir sur le champ, et me rapporter le corps du seigneur Ashur.
     Peu de temps après, les fines silhouettes des servantes apparurent au départ du sombre couloir, face au quatuor funèbre des chevaliers de sang. Elles firent chacune une courte révérence silencieuse, puis se retirèrent vers l’extérieur sans ajouter mot.
     Leur apparition fut cependant suivie de peu de celle du maître Friedrich, qui, lui, ne se limita pas qu’à les saluer.
- Messeigneurs, excusez-moi de vous avoir fait attendre…
     Il fut brutalement interrompu par l’un des chevaliers qui lui faisaient directement face.  
- Épargnez ces politesses impériales aux gens de votre espèce, traitre !
     Son voisin à la voix quelque peu moins bourrue le rejoignit :
- Pardonnez la rudesse de messire de Moussillon, vieillard, mais notre estime ne revient qu’à ceux qui savent brandir une épée.
     Reprit le chevalier de Moussillon :  
- Nous jurâmes loyauté au seigneur Ashur ! Celui-là eut le culot de nous obliger à faire pareil avec cette femme ! Nous sommes les Chevaliers de Sang ! Seul un maître digne de ce nom saura nous faire plier le genou devant lui et souffrir pareilles injures !
     Le ton du nécromancien devint moins affable. Il ravala les railleries qu’il voulut alors ardemment faire pleuvoir sur ces rustres arrogants, mais n’en demeura pas moins plus menaçant dans ses propos.
- Comme vous l’entendez. Si c’est à Madame la comtesse que vous insistez que je fasse appel, je le ferai sans tarder, et elle vous fera souffrir une troisième humiliation de laquelle vous ne saurez, cette fois-ci, vous relever.
     Le chevalier de Moussillon voulut mettre la main à son fourreau, mais se souvint juste à temps du précieux fardeau qu’il partageait avec ses trois compagnons. Le premier à reprendre la parole fut toutefois son voisin, moins emporté :
- Nous ne saurons manquer de la mettre à l’épreuve, vieillard. Toutefois, nous devons d’abord trouver… - il formula ces mots avec réticence, - … une digne sépulture pour notre maître et guide, le sire Mauroy de Brionne.
     Von Nettesheim fut intérieurement soulagé de remettre ce nouveau tourment à plus tard.
- Je conçois que la terre de Sylvanie soit le pire endroit pour votre dessein. Vous êtes libres de trouver quelque endroit du castel à votre convenance, pourvu que Madame n’en soit pas dérangée, sinon ce ne sera plus de mon ressort.
- Fort bien. Sachez seulement, vieillard, que malgré le serment qui nous retient ici, nous exigerons de partir de la manière la plus imminente, afin d’emmener notre maître dans sa patrie. Notre patrie.
     Irrité par cet échange de palabres et d’insultes retenues, le vieux maître s’empressa des les assurer que la comtesse n’y verrait que peu d’inconvénient, et les laissa s’engouffrer dans le couloir central, disparaissant dans le noir.
     Lui-même sortit, revoyant une fois de plus le sinistre spectacle de la non-vie dans toute son horreur : des dizaines de cadavres entièrement décharnés, les doigts squelettiques crispés sur ce qui restait d’armes ou de n’importe quel objet susceptible de frapper ; des lambeaux de tissu, de cuir ou de mailles pendaient ça et là, alors que des boucliers dans un état inavouable complétaient la misérable protection des soldats relevés. Seul l’artifice de la nécromancie maintenait ces grotesques assemblages destinés à servir de chair à canon sur un champ de bataille, mais von Nettesheim désirait leur donnait bien plus d’utilité que celle d’épuiser l’ennemi. Des lances, - se dit-il rêveusement, - seraient à la fois des armes accessibles, mais également redoutables quand pointées vers l’ennemi en grand nombre. Ruminant ces pensées, cachant celles qui l’inquiétaient le plus dans un endroit isolé de son esprit, le vieux maître murmura les mots de pouvoir, et, telles d’innombrables marionnettes, les guerriers squelettes se mirent en mouvement.

 



64e partie


     Du velours. De la dentelle. De la broderie en fils dorés.
     Quelle importance !
     Des tapisseries bien entretenues, mais qui, faute de lumière, cesseraient bientôt d’embellir la grande allée.
     Dans le même couloir, les piédestaux placés à intervalles réguliers désormais vides, dénués des gardes silencieux qui s’y tenaient.
     Toujours, toujours moins de lumière, quasiment plus aucune couleur, plus qu’un teint uni, sombre et répugnant, plus rien n’attire l’œil.
     Seuls les pas résonnent dans les couloirs et dans les chambres, le bruissement du tissu de sa robe suivant la cadence. Ses mains ouvrent les portes, les coffres, les meubles ; effleurent les parures et les rubans, examinent les chandeliers, la vaisselle dorée.
     Mais tout cela n’a plus aucune importance.


     Des bruits de pas plus bas : le tintement sec du métal ne laisse pas de place à l’erreur : il s’agit d’êtres portant des armures. Les chevaliers de sang. Quelle importance, qu’ils aillent au diable !
     A l’extérieur, un bourdonnement étouffé : von Nettesheim s’occupe de ses pantins. Pourquoi s’en donner la peine ! Elle devrait annuler l’ordre donné !

     Des trophées de guerre. Mais cette guerre, elle l’avait perdue ! Qu’importait d’avoir vaincu, si tel en était le prix ! Tout ceci, ce n’était que vanité, orgueil, caprice ! Elle en avait voulu plus, plus que ce qu’elle avait déjà, et elle avait à présent tout perdu. Maintenant, elle passerait le restant de son existence parmi tous ces objets, et chacun d’entre eux lui rappellerait à quel point elle eut été stupide, stupide !


     Les yeux qu’elle avait, l’envie lui venait de se les arracher, pour ne plus jamais voir ce monde désormais devenu inutile, tout comme elle-même. Elle n’avait rien gagné, pire : elle n’avait plus de raison d’exister. Ce qu’elle avait perdu, elle l’avait perdu à jamais, et tout son passé s’effondrait à présent, révélant un avenir tout aussi noir que celui dans lequel était plongée la contrée qui l’avait acceptée.
     Stupide, n’est-ce pas ?


     Delphine d’Essen daigna enfin ouvrir les grandes portes qui se tenaient au bout de la grande allée : une brise glacée souffla à sa rencontre, remuant ses longues mèches blondes et les pans de sa robe. Quelques feuilles mortes roulèrent mollement sur les dalles de pierre. C’était un balcon.
     Elle avança de quelques pas, se figea devant la vision qui s’offrait à elle : le ciel était noir, et la seule lumière, persistante, ne provenait que du Nord, grisâtre, étouffée par quelque rempart invisible qui entourait la contrée. Ailleurs, l’horizon se confondait avec la terre. La terre. La terre elle-même se mourait, recouverte d’herbes pourries. Au loin s’entrevoyait la masse noire de la forêt, entièrement dénuée de feuilles. En s’appliquant, la comtesse put y distinguer les contours difformes d’une étrange ruine, dont la taille imposante dépassait celle des arbres.
     Lorsque son regard glissa vers le sud, elle entrevit ce qui devait être la ville de Templehof ; aucune lumière ne brillait, aucun signe de vie. Était-ce vraiment ce pourquoi elle s’était battue, ce pourquoi elle avait tant sacrifié ? Une lande morte !

     « En as-tu assez vu ? »
     Elle se retourna avec la vélocité d’une vipère ; ses pupilles se rétrécirent. Dans l’entrée du balcon se tenait une petite créature draconique, dont les écailles bleuâtres émettaient une faible lueur. Sa voix, tout comme son apparence, indéfinissable de prime abord, recelait quelque chose de profondément malsain, qui fit frissonner la comtesse ; elle en fut surprise tout autant que de l’apparition devant elle.  
     « Tu as du t’en rappeler à présent. Ce pourquoi je suis là. Ce pourquoi tu es là. »
     Subitement, un bruit provenant du contrebas se fit entendre : le crissement ignoble d’un archet sur les cordes d’un violon.
     Delphine eut un mouvement de tête involontaire, et vit sortir du castel la silhouette constamment mouvante du ménestrel fou. Il avançait sur le chemin boueux en sautillant, sans jamais lâcher son instrument ou interrompre sa musique démentielle, ignorant de tout ce qui l’entourait.
     « Vampire ! »
     Elle dut presque s’obliger à regarder de nouveau la créature, et réalisa que sa vision lui était encore plus détestable que celle du violoniste.
     « Si tu savais pourquoi nous sommes réapparus devant toi, tu ne seras pas aussi facilement distraite ! »
     Elle voulait à présent broyer cette apparition sordide entre ses mains. Dans son grief qu’elle croyait sans fond, cette chose osait prétendre à quoi que ce soit ! Tremblante de colère, elle se tint devant le dragonnet, gardant une main sur la poignée de son épée, appréhendant le moment où elle la sortirait de sa ceinture pour réduire cette créature en pièces. Le violon ne cessait d’agresser son ouïe.
- Parle ! – elle se retint à peine de crier.
- Nous savons où est la chose à laquelle tu tiens le plus. Nous pouvons te la rendre…

     Avant de s’en rendre compte, la comtesse fondit sur lui, mais le dragonnet se dissout avant-même que sa poigne ne puisse se refermer sur lui. Elle entendit alors derrière elle :
- Le fou, celui que l’on nomme Ashur dans le parchemin, paiera le prix de son incompétence. Mais toi, toi qui fus libérée de sa folie par notre maître, tu en paieras le prix au centuple, si jamais tu faillis.
     La créature était à présent assise sur le bord du balcon. Delphine serra les dents, prenant conscience que jamais elle n’arriverait à mettre la main sur lui, réalisant de même que sa capture ne lui apporterait rien, sinon pire. Elle se contenta de fixer la chose, ne voulant pas faire montre de son agitation par sa voix.
- Tu as vu ce que Mannfred von Carstein, le vampire, fera de ce monde s’il le remporte. Toi, la vampire, tu dois le tuer avant l’éclipse des deux lunes de l’an après l’an de cet an. Fais-le, et la chose à laquelle tu tiens te sera rendue. Fais-le, et tous tes désirs seront comblés.

     La comtesse ne put répondre de suite. Face à l’évidence de la décision qui s’imposait à elle, un rempart mêlé de dépit, de méfiance et d’orgueil se dressait. Ses propres limites, elle les connaissait bien assez. Jamais, jamais elle ne pourrait récupérer Manon par un autre moyen que le caprice des puissances qui l’ont emportée. Jamais, également, elle n’aurait la force ni l’adresse nécessaires pour abattre un seigneur aussi puissant et retors que Mannfred von Carstein. Cela, cependant, la créature devrait le savoir. Pourquoi lui proposer ce marché absurde ! Et quelle garantie avait-elle que le Chaos, substance dénuée de tout principe, tiendrait sa parole ! Sa voix trembla d’émotion lorsqu’elle prononça :
- Vous, - elle se surprit à rire, - vous devez être aussi fous qu’Ashur, non, plus fous que lui, pour croire que je pourrais accepter un pareil pacte ! Je sais qui se cache derrière cette voix : celui dont le changement est la seule satisfaction, la seule constante…
- Joliment formulé, - susurra le dragonnet, - maintenant…
     Peu à peu, les cieux au-dessus du castel furent secoués par des grondements de tonnerre, alors que des vents contraires gagnaient en vitesse, agitant la chape de plomb sylvanienne dans un indéfinissable tourbillon.
- … si nous changions les termes du contrat ? – quelque chose de moqueur se distingua dans cette voix, accentuant le mépris de la vampiresse, mais aussi son appréhension.

     Le bruit du vent se mua en un mugissement uni, tel le cri prolongé de quelque immense créature sauvage. Le tonnerre retentit une fois encore, suivi d’éclairs de plus en plus violents. Delphine n’osait lever la tête vers les cieux, gardant son regard fixé sur la créature, qui, elle aussi, semblait disposée à la toiser sans fin, alors que les éléments se déchainaient tout autour.
     « Comtesse ! » - la voix du maître nécromancien résonna depuis le fond du grand couloir du castel, faible, presque étouffée dans le vacarme grandissant.

     Von Nettesheim se mit à courir à toutes jambes ; il revenait de sa besogne quand les vents de magie changèrent de direction, choisissant pour épicentre l’endroit-même où il ressentit la présence aethyrique de la comtesse. Pressentant n’importe quoi, craignant une nouvelle catastrophe irréparable, il se rua alors à travers l’obscurité du labyrinthe que formaient les allées et venues du castel. Ce fut en ayant franchi une énorme salle obstruée par de grandes tables qu’il vit l’ouverture au bout du couloir, la silhouette de la comtesse se détachant à peine sur la pénombre extérieure.
- Comtesse ! – haleta-t-il en franchissant le seuil du balcon.
     Il la vit, tremblante, quelque chose d’indéfinissable dans le regard, quelque chose rappelant vaguement de l’espoir ; il ne comprit pas.
     Alors, l’éclair frappa.

     Dans un fracas assourdissant, une colonne de lumière bleutée se dressa juste devant le balcon, sans s’éteindre, illuminant toute la scène d’un halo quasiment agressif parmi les ombres auxquelles la comtesse et le vieux maître s’étaient habitués. Quelques instants après, des points noirs se firent voir dans la blancheur immaculée du phénomène impie, points qui rapidement devinrent des centaines et des centaines de bras, élargissant la faille. En plus de la fureur du cataclysme, une mélopée de rires, de pleurs et de hurlements éraillés se rajoutèrent à la cacophonie.
     « HAHA ! ELLE EST A NOUS ! HAHA ! Elle… Elle paie le prix ! Elle est des no… haha ! Des nôtres ! HAHAHA ! POURQUOI ! Nous… haaaa… Nous ne voulons pas qu’elle nous quitte ! Haha ! Non ! C’est trop ! »
     « Trop drôle ! »
     « Trop triste ! »
     « Trop… HAHA ! TROP TROP ! »

     D’autres mains apparurent, toutes maintenant quelque chose en suspens au dessus du vide, quelque chose d’élancé.

     « MANON ! »
     Les mains relâchèrent leur emprise, et ce qu’elles tenaient tomba rudement sur le bord du balcon, prêt à aller s’écraser en bas ; la comtesse s’en empara à la vitesse de la foudre. Immédiatement, elle réalisa que quelque chose n’allait pas, mais n’eut pas le temps de voir davantage.
     La faille demeura ouverte au milieu de la tempête. Soudain, les mains qui en maintenaient les bords s’en défirent, et, par dizaines, se mirent immédiatement à glisser puis à tomber ; toutes allèrent s’écraser en dessous du balcon, et immédiatement, un foule multicolore en sortit, s’éparpillant dans toutes les directions...

- Tu ne les verras pas t’attaquer, tant que tu serviras notre maître, - résonna la voix du dragonnet avec une étrange netteté au milieu du vacarme ambiant. - *Elle* sera notre contrat. *Elle* porte sa signature, et la tienne. Si tu faillis, *elle* te sera de nouveau retirée, ou malmenée tellement que tu préféreras couper tes cheveux et les apporter en sacrifice à notre maître, dans le fol espoir qu’une telle absurdité le fera changer d’avis. *Tue* Mannfred von Carstein, vampire, avant l’éclipse des deux lunes de l’an après l’an après cet an. *Tue-le* ! Tout doit être fait ! TOUT DOIT ETRE FAIT ! »
     Alors qu’il achevait sa tirade, un grondement tel retentit qu’un bruit de verre brisé indiqua que toutes les vitres du castel n’avaient pas survécu à la faille du Chaos. Un craquement sinistre de toutes parts montra que les murs eux-mêmes ne s’en étaient pas sortis indemnes. Puis, la faille s’amincit progressivement, jusqu’à devenir seulement un mince filament de lumière, qui lui-même s’éteignit en même temps que la force de la tempête. La créature elle-même s’évapora dans une fumée bleuâtre.
     Les derniers grondements du tonnerre s’évanouirent, plongeant à nouveau la lande et le castel dans un silence oppressant.

     Von Nettesheim sentait à peine son corps, et une torpeur l’empêchait d’esquisser le moindre geste. Un cri, cependant, lui rendit soudain tous ses moyens :
     « Manon ! MANON ! »              
Arken

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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Lun 17 Nov 2014 - 21:43
J'aime le point de vue pris par les dragons de sang Smile

MANON !!!! Wow Clap Wow

Et bien sûr, la suite !! banane banane
Essen

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Lun 24 Nov 2014 - 20:19
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     Il distingua la comtesse, penchée sur le corps immobile de la vampirette. Sa mère adoptive renouvela ses appels, encore et encore. Sa voix trahissait à la fois la passion qu’elle avait pour sa fille, sa surprise de la revoir entre ses bras, mais aussi sa peur, une peur universelle, une peur instinctive…
     Toutefois, à peine le vieux maître crut reprendre enfin ses esprits, il ressentit l’aethyr s’éveiller de nouveau. Au milieu de la poitrine de Manon, sous la gorge ; von Nettesheim sentit ses cheveux se dresser d’effroi. Les ténèbres de Drakenhof les entouraient, et dans cette pénombre, une seconde fois, une lumière inopportune s’immisça. Comme les appels de la comtesse eurent cessé, le nécromancien comprit qu’elle aussi venait d’apercevoir ce que lui ne pouvait que deviner : un sinistre symbole, sans doute la « signature » des dieux du chaos. La lumière qui en émanait augmenta graduellement, sans que la dame d’Essen ou le vieux maître osent proférer mot. En cet instant, leur angoisse, leur terreur face à cette lumière qui pouvait signifier tout et n’importe quoi leur ôta la moindre capacité de réaction.

- L’avis de notre maître a changé, - fit soudain la même voix mielleuse du dragonnet. - *Elle* ne te sera rendue qu’à l’accomplissement de ton devoir. *Elle* ne te sera rendue qu’à l’accomplissement de ton devoir.
     La lumière s’intensifia d’un seul coup, devenue aveuglante au point d’en paraitre douloureuse. Alors, Delphine comprit toute la bassesse de la manœuvre que l’ignoble créature lui faisait subir : perdue au milieu d’un désert sans fin, on venait de lui offrir à boire, puis, alors qu’elle tendait ses lèvres, on lui retirait cruellement la seule source de son salut.
     Elle n’y crut pas, elle se révolta, elle enserra sa fille inerte contre elle ; l’espace d’un instant, son étreinte étouffa l’impitoyable lueur de la marque du dieu corrupteur gravée dans la chair de la vampirette.

- … qu’à l’accomplissement de ton devoir… - siffla encore, tel un écho, la voix du dragonnet.
Ses bras se refermèrent soudain sur le vide, et la lumière ne parut plus.
- Non, non ! – son cri de détresse lui échappa sans qu’elle le voulut, alors que ses mains essayèrent aveuglement de saisir l’endroit où auparavant gisait Manon. – Non !

     Son esprit n’obéissait plus à la raison. Elle secouait la tête, scrutait avidement le moindre recoin du balcon ; elle se pencha par-dessus le bord, mais ne vit en bas qu’un gouffre béant là où s’était ouverte la faille aethyrique. Tel un animal pris en cage, elle était prête à secouer ciel et terre, soulever le moindre caillou afin de trouver une issue à l’abîme dans lequel elle se sentait plongée. Lorsque son regard s’arrêta enfin sur le vieux nécromancien, elle dut d’abord se figer un moment, le temps de comprendre qui il était et qu’est-ce qu’il représentait pour elle et pour sa fille. Ce dernier, curieusement avança sa paume face à elle.
     Delphine en réalisa immédiatement la cause alors qu’elle se jetait sur lui, sourde, aveugle, prête à le mettre en pièces s’il ne parvenait à lui rendre Manon sur le champ : le vieux maître venait de dresser un rempart invisible entre eux, sans doute pressentant quelque chose. Toutefois, bien qu’elle le vît en apparence inébranlable, elle entendit la voix éraillée d’un homme brisé lorsqu’il lui adressa la parole :
- Nous l’avons perdue, madame, et il n’y a rien que je puisse faire pour la faire revenir, - il hésita un instant avant d’ajouter, comme à contrecœur, -  je suis navré.
     Elle demeura immobile face à lui, interdite, assommée par ce verdict sans appel. S’apercevant de la confusion qui l’imprégnait toute entière, elle essaya de se ressaisir, en vain. Croyant sa fille morte, elle devait avoir été sur le point d’en faire le deuil résigné, mais celui qui règne sur le hasard des choses en eut décidé autrement, et voulut certainement se moquer d’elle. De plus en plus clairement, elle réalisait que croire sa fille morte était une souffrance infiniment plus douce que de la savoir en vie, mais loin des siens, inaccessible, aux mains de bourreaux entièrement inhumains. Lorsqu’elle essaya de s’imaginer les sévices qu’ils pouvaient lui infliger, promptement sa pensée s’en détourna, comme brûlée par la seule évocation de la torture. Manon était là-bas, quelque part, et n’avait aucune autre issue de cet enfer que le bon vouloir des démons qui s’y prélassaient. Et le prix à payer, le prix à payer était la vie du plus redoutable seigneur de la non-vie que la Sylvanie ait enfanté… Ce fut comme si Delphine ressentit le poids du ciel s’affaisser sur ses épaules ; perdant toute volonté, elle s’effondra à genoux, telle une marionnette dont on eut coupé les ficelles.
     Von Nettesheim se sentit révolté contre le cauchemar qui empirait.
- Comtesse !
     Elle ne lui prêta pas attention ; il insista :
- Madame !
     Il se perdit en conjectures de toutes sortes. La demoiselle n’était pas morte ; il s’en était douté, mais son apparition était pour lui comme une confirmation, comme le signe de cette chose insensée que l’on appelle l’espoir. Deux voies, deux voies pareillement désespérées pourtant, s’offrirent seulement à son esprit avisé : soit ils poursuivaient leur fol attentat sur le comte vampire, soit… Il n’y avait aucun espoir, aucune possibilité qui leur vaudrait ne serait-ce une survie provisoire si jamais ils essayaient de pénétrer les désolations du chaos. Objectivement, plier au chantage immonde semblait être la seule solution…

     Un bruit métallique et régulier se fit entendre dans le couloir, venant interrompre la réflexion agitée du nécromancien. Celui-ci, tiré de ses pensées, se résolut enfin à dissiper la barrière arcanique qui le séparait de la comtesse, toujours prostrée sur le sol du balcon, et silencieuse. A regret, von Nettesheim dut s’en détourner, pressentant puis apercevant l’arrivée d’un des quatre guerriers en armure écarlate. Le cliquetis de ses bottes de plaques s’arrêta lorsqu’il fut sur le seuil menant vers l’ouverture extérieure ; l’expression de son visage passa de l’irritation à l’étonnement soudain, avant de se terminer en grimace de mépris.
- Ai-je fait serment de loyauté à une chienne battue ? – fit-il en regardant directement la dame d’Essen.
     Sans attendre quelque indignation de la part du vieil homme qu’il considérait à peine, le chevalier dégaina lentement son épée, et la pointa vers celle à qui il s’adressait :
- Moi, Rohémond de Brionne, je défie la comtesse Delphine d’Essen en combat singulier. Dame, je mettrai un terme à vos souffrances sur champ si vous…
     La colère bouillonnante du vieux maître fit vibrer légèrement l’air autour de lui ; rien ne lui parut plus juste et plus évident que de couper violemment la parole à ce barbare aussi insolent qu’inopportun :
- Silence ! Basse engeance ! Pleutre ! Faquin arrogant ! – en quelques pas, il s’interposa entre la comtesse et le bretonnien. – Molester Madame de la sorte ne vous sera pas pardonné ! En garde !
     Il n’aperçut que la vive lueur rouge dans les prunelles du vampire courroucé et impatient de disposer du mortel qui osait se dresser sur son chemin. La dhar, toutefois, virevolta à la vitesse de la pensée du vieux maître, et vint s’écraser tel un bouclier contre la lame mortelle du chevalier. Nullement intimidé, ce dernier revint à la charge avec une vélocité telle que von Nettesheim suivit à peine ses mouvements ; détournant d’extrême justesse une estocade pointée à sa gorge, il fut entièrement surpris lorsque dans une volte-face fulgurante le chevalier trancha de bas en haut, infligeant à son ennemi une abominable entaille à la poitrine, l’envoyant tomber à la renverse, son habit déchiré et rapidement ensanglanté. Le vampire secoua vivement son épée, répandant par terre le liquide qui la souillait.
- Dernière chance, dame, - lança-t-il d’une voix calme. – Vous battrez-vous afin de prouver votre valeur, ou me laisserez-vous vous achever afin que nos sorts ne soient plus liés ?

     Lorsque le nécromancien s’écrasa à ses pieds, Delphine fut soudainement tirée de sa cage de désespoir : « Pas lui aussi, non, pas lui aussi ! » - résonna en écho dans sa tête. L’instant d’après, elle leva son regard, à la recherche de quelque bête abominable qui devait avoir infligé une pareille blessure au vieux maître ; un profond dédain la saisit lorsqu’elle s’aperçut de qui il s’agissait vraiment, étrange sentiment qui la détourna du chagrin. Cet insolent donnerait à sa sourde colère un exutoire inattendu… En vérité, ce fut la conviction que le combat serait trop court qui la fit retourner son regard de mépris au chevalier écarlate.
     Elle n’avait pas gardé d’épée depuis la bataille, et n’avait qu’un fourreau pendant inutilement à la ceinture. Qu’importe ! Il la vit bondir sur lui si brusquement qu’il n’eut pas le temps de lever sa garde. Alors, il écarquilla les yeux, sentant la force de l’impact, largement comparable à la sienne !
     Elle l’écrasa violemment contre le mur près de l’entrée du balcon, faisant voler en éclats quelques bouts de maçonnerie, une main le tenant à la gorge, l’autre – les deux doigts figés juste devant ses yeux.
- Si ma vue vous importune tant, - vociféra la comtesse, - je me ferai une joie de vous priver de ce qui vous cause ce tracas ! Que choisissez-vous ?!
     Rohémond dut faire appel à tout son sang-froid pour ne pas perdre la face ni céder stupidement aux railleries. Toujours étourdi par la rapidité de sa défaite, il se força à articuler qu’il choisissait de servir la dame d’Essen plutôt que de perdre sa vue.
     Elle se retint de lui cracher au visage, tellement elle se croyait dégoutée, puis, l’ayant relâché, elle lui ordonna de se retirer sur le champ, et d’aller conter à ses compagnons d’armes la manière dont elle traite les parjures. Dès qu’il disparut, Delphine se retourna vivement et accourut au secours du maître Friedrich, qui essayait péniblement de se relever après avoir cicatrisé sa plaie.


***


     La détresse dans laquelle se trouvait la vampirette se dressait devant eux, tel un tableau noir permanent. La courte altercation avec le chevalier de sang irrévérencieux ne fit qu’accentuer davantage l’aigreur que ressentait la comtesse : si redoutable, et pourtant si impuissante face à des forces qui la dépassaient ! Elle eut une soudaine envie de sustenter sa soif vampirique, et se retint avec irritation d’examiner le sang répandu du nécromancien. Ce dernier grogna de douleur lorsqu’elle le vit se remettre debout, s’appuyant immédiatement contre le rebord du balcon. Elle s’enquit de son bien-être, il répondit qu’il en avait vu pire ; tous deux sourirent amèrement, constatant encore une fois la cruelle privation qu’ils subissaient. Enfin, il lui exposa ses pensées quant aux folles issues qui s’offraient à eux, chacune comportant aussi peu d’espoir qu’il y avait de chaleur lors d’une nuit d’hiver enneigée.
- Dites-moi, maître. Pensez-vous que, si nous accomplissions l’impossible, ils nous rendraient notre Manon saine et sauve ?
     Il perçut la tristesse et l’ironie dans sa voix. Non, il ne le pensait pas, et son silence fut suffisant pour que la comtesse inclina sa tête en signe qu’elle l’avait compris.
- Cette fois-ci, maître, - dit-elle doucement, - je vous ordonne de disposer et de vous remettre entièrement. Trouvez les gens de la maison, ils ne vous désobéiront pas.
     Tout à coup, Delphine ressentit deux êtres familiers qui se rapprochaient d’eux, de l’extérieur. Elle se retourna, et vit courir au loin ses deux servantes, Mina et Moka, aussi rapides que des ombres. Ces chères demoiselles devaient être bien inquiètes pour elle, mais que faisaient-elles dehors ? La comtesse repoussa néanmoins ses questions pour plus tard, et s’adressa de nouveau au vieux maître, qui bredouillait quelques paroles de protestation.
- Depuis la bataille au moins, vous n’avez rien avalé, ni dormi. Votre obstination à refuser mon baiser de sang vous vaut ces désagréments, - lui rétorqua-t-elle avec une pointe d’amusement. – Je vous ordonne de reprendre des forces, maître, - elle mit une pause, puis ajouta sur un ton plus sec : - Quelle que soit ma décision, vous en aurez besoin. Disposez immédiatement, je vous en prie.  
     Von Nettesheim cessa d’insister, tout son corps criant intérieurement son approbation.

     Laissant la dame d’Essen au balcon, il s’en alla dans un couloir latéral, qui conduisait à l’aile où se trouvaient les serviteurs. Aucune torche ni aucune bougie n’éclairant son chemin, il dut bien souvent s’orienter au toucher, le long des murs, n’ayant pour objectif que l’endroit où la magie lui indiquait des êtres vivants. Il arriva enfin à un couloir plus mince, descendit un escalier avec la plus grande prudence, puis se retrouva dans un couloir semblable, où ses doigts lui indiquèrent une rangée de portes qui refermaient chacune une chambre abritant une ou deux personnes. Il ouvrit la première, et distingua deux silhouettes féminines, donc deux femmes de chambre ; leur révérence quasi-instantanée le coupa court dans sa requête.
     Il fut éclairé, amené dans une chambre d’hôte, et fut entièrement rasséréné lorsqu’elles l’assurèrent qu’un repas chaud lui serait servi à son réveil. Quelque part dans un coin de son esprit, sa conscience se révoltait contre l’air de soumission totale qu’il leur voyait, mais la fatigue l’emporta sur tout le reste ; il les congédia, puis s’effondra sur le grand lit couvert de laine, sans même se déshabiller, et s’endormit.


     Dans l’aile opposée du castel maudit, quatre vampires avaient également élu un lieu de repos : une grande salle rectangulaire, son unique fenêtre ouvrant sur l’horizon septentrional, où au loin s’arrêtait la chape de plomb sylvanienne, et le soleil perçait tant bien que mal à travers le gris des nuages. De nombreux meubles emplissaient l’espace de la salle : des étagères le long des murs surtout, et une grande table de bois, épaisse et oblongue, en occupait le milieu. Ce que tous ces meubles supportaient, toutefois, fut ramassé puis jeté sans pitié par la fenêtre : ils comptèrent des dizaines et des dizaines de crânes abjects, d’une étrange forme aplatie au sommet, aux pommettes saillantes et aux mâchoires carrées. La salle en fut entièrement nettoyée, et la table centrale servit pour y déposer le corps du chevalier tombé au combat, Mauroy de Brionne. Tout cela se fit dans le silence le plus complet et la solennité la plus totale. Alors, ses quatre compagnons survivants s’agenouillèrent à son chevet, joignirent les mains et entonnèrent une prière muette à la Dame du Lac.
     Tous les quatre furent violemment tirés de leur concentration lorsqu’un effroyable coup de tonnerre retentit. Immédiatement l’un d’eux quitta sa place, tacitement représentant leur fureur commune envers la cause de leur dérangement, quelle qu’elle fût. Sa décision ne fut pas prise au hasard : il était le kazstellan de leur groupe, et de surcroit le frère du défunt chevalier. Dès l’instant où ils avaient réalisé la mort de leur chef, son autorité fut reprise par son second, et personne n’eut osé discuter cela.
     Quelque temps après, Rohémond de Brionne revint, l’expression du visage inchangée, et se rassit silencieusement auprès de ses compagnons. Nul ne le questionna, car la prière devait durer jusqu’à l’aube prochaine ; ainsi le voulait la sainte tradition, et ainsi il serait fait. Son frère connaitrait le repos, puis serait enseveli loin de cette contrée maudite, dans la terre bénie de ses ancêtres.


***


     Si l’un d’eux avait alors regardé par la fenêtre en direction du Nord-est, il aurait vu un point noir se détacher subitement de l’épaisseur de la forêt, puis se rapprocher à vive allure du castel. Si l’une des chauves-souris peuplant les souterrains des von Carstein s’était subitement avisée de battre frénétiquement des ailes pour s’en rapprocher, elle aurait rapidement été martyrisée en plein vol à cause des violentes bourrasques qui paraissaient présager la progression de la chose. Si quelque paysan mal avisé s’était aventuré à ce moment-là aussi loin de son village sur la lande funeste, il aurait été glacé d’effroi par la vision cauchemardesque de l’étrange équipage qui roulait à pleine vitesse sur les herbes sèches.
     Dans la pénombre ambiante, aucune autre couleur à part le noir ne se distinguait sur sa carrosserie, sur les couvertures de son attelage et sur les habits de son cocher ; seule une vague lueur rouge dans les yeux de ce dernier, pareils à deux charbons fixés dans ses orbites, venait atténuer l’unicité de l’ensemble. Ces yeux-là se retournaient constamment vers l’intérieur du carrosse, puis s’en détournaient tout à coup, avant d’y revenir quelques instants après.
     Manifestement, le cocher ne cessait d’interroger l’occupant du carrosse…

- Monseigneur ! Il suffit de me crier dessus, je ne peux PAS aller plus vite !
- Vraiment ? Serais-tu de telle nature à rapidement avouer ta faiblesse ?
- Inutile de me railler, seigneur, ces montures n’iront pas plus vite ! Je m’échine déjà à maintenir leur galop et veiller à l’équilibre de l’équipage, mais exiger une vitesse supérieure tient de l’absurdité !
- Tu m’agaces, Von Essen. Toi qui désires le pouvoir plus que tout au monde, te voila bien prompt à te fixer des limites !
     Le vampire maniant frénétiquement les rênes grinça des dents. Ils s’étaient naguère enfoncés profondément dans une forêt exécrable, où chaque racine faisait rebondir l’équipage dans tous les sens et menaçait de le renverser à tout bout de champ. Son occupant ni vivant, ni mort ne faisait que de s’esclaffer à chaque fois qu’un énième cahot arrachait un grognement de rage à son cocher. Puis, tout d’un coup, ils entendirent un bruit semblable à celui d’un boulet de canon provenir du sens opposé à leur direction. Von Essen se jura à présent qu’il avait eu tort de décrire à son employeur ce qu’il entrevoyait à travers le filet de branches nues des arbres : une immense colonne de lumière bleutée, s’élevant jusqu’aux cieux, devant le castel Templehof. Sans explication aucune, Ashur lui eut alors ordonné de faire demi-tour ; saisissant son moment, l’ancien bourgmestre songea à y émettre une objection afin de marchander une meilleure prime pour ses services. Immédiatement, le seigneur vampire lui rappela que lui-même, Von Essen, avait tout intérêt à revenir au castel : n’était-ce pas là qu’il avait tout le sang qu’il voulait à sa disposition, et le confort dont il rêvait ?
     Ravalant sa fierté, le vampire se laissa de nouveau convaincre par les arguments affreusement pertinents de son employeur, et fit faire demi-tour au carrosse. Depuis, son occupant n’avait cessé de l’exhorter à accélérer, ce que Von Essen se permit de faire une fois sorti de la forêt, mais là encore, ce ne fut pas suffisant. Cette fois, le seigneur vampire avait fini par le pousser à bout.
- Et si vous-même, vous vous y essayiez, monseigneur tout-puissant ? – lança-t-il avec mépris.
     Un court silence suivit, puis la parole du vampire millénaire résonna de nouveau :
- Ce service sera déduit de ta prime, ô serviteur incompétent !
     Il éclata ensuite d’un rire malveillant, et Von Essen dut s’accrocher à son siège tandis que les bourrasques tout autour semblaient gagner en vitesse… Subitement, le carrosse lui-même fut comme catapulté en avant ; l’ancien bourgmestre écarquilla les yeux en voyant les orbites creuses et les sabots des montures cadavériques s’enflammer de langues verdâtres, et il sentit qu’il n’avait plus besoin de tenir les rênes, tout le contrôle de l’attelage étant pris par le seigneur vampire.
     Cela faisait un moment que la colonne bleutée avait cessé d’être ; de fait, elle avait disparu au moment-même où ils avaient quitté la forêt, dévoilant derrière elle les contours indistincts du castel Templehof, dominant l’horizon à des lieues à la ronde, bien que celui-ci se confondît souvent entre le ciel et la terre, tous deux d’un noir souillé par la lumière provenant du Nord. Le vampire millénaire avait néanmoins ordonné que leur progression endiablée se poursuive, et à présent ils avaient franchi la moitié de la lande qui les séparait de l’imposante construction. Von Essen put néanmoins saisir à travers le tumulte du vent et du bruit des sabots le murmure d’un courant de moins en moins éloigné, puis entrevit de pâles reflets sur des flots à présent pas si lointains… Sa crainte lui dicta ses mouvements avant ses paroles ; il tira violemment sur les rênes, aboyant « SEIGNEUR !! » d’une voix effarée.
- Imbécile ! – la voix de son employeur vrilla à ses oreilles avec plus de force que le sifflement des bourrasques et le crissement des essieux.
     Malgré les rênes tirés, le carrosse ne s’arrêta nullement, encore moins ne ralentit, et l’ancien bourgmestre crut même avec terreur qu’ils accéléraient encore. Plus que quelques centaines de pas jusqu’à la rivière, et ils allaient misérablement s’écraser dans l’eau…
- S-seigneur !! – fit-il encore d’une voix quasi-implorante. – On va… On va…
- Imbécile. N’oublie pas que c’est moi qui conduis cet attelage.
     Von Essen ne comprit pas. Il tira sur les rênes avec toute la force qu’il maîtrisait à présent, et glapit de stupeur lorsque les lanières de cuir cédèrent à son effort surnaturel, et rebondirent mollement entre ses mains. Il ne sut alors s’il valait mieux fermer les yeux, ou tenter de bondir hors du carrosse avant qu’il ne soit trop tard… Un haut-le-cœur le prit au ventre, alors qu’il sentit une légère poussée venir du dessous. Essayant de comprendre ce qui se passait, il scruta l’attelage à droite et à gauche, et ses yeux lui indiquèrent que l’herbe sur laquelle ils roulaient avait disparu quelque part… en dessous ?? Il n’eut que le temps d’apercevoir la mince bande d’eau qu’ils venaient de traverser par les airs, puis, se retournant enfin vers l’avant, se rendit compte qu’ils se rapprochaient en ligne droite du castel à une vitesse ahurissante. Sa mâchoire en retomba de surprise et d’ébahissement.
- S-s-s…
- Pas un mot, incapable, - trancha la voix du seigneur vampire. – Et lorsque nous arriverons, ne mentionne pas un mot de ma présence dans cet attelage, ni de ma survie en elle-même. Parce que je suis ton maître et que je viens de sauver ta misérable existence, tu tiendras ta langue et m’obéiras en tout point.
     Von Essen ravala sa langue, et son employeur sembla se contenter de son silence pour croire qu’il l’avait compris.
     Le castel grandissait à vue d’œil, l’ancien bourgmestre pouvant à présent distinguer le mur d’enceinte extérieure, les deux ailes rehaussées chacune de petites tours couvertes de toits coniques en tuiles, puis enfin la cour et l’entrée principale, au moment où, tout à son étonnement, la carrosse noir atterrissait. Le plus curieux encore fut que cet atterrissage se fit au fur et à mesure, perdant peu à peu de la vitesse, puis se posant sans grand bruit sur le pavage grossier de la cour. Tout autour se dressait le mur d’enceinte, mais plus pesante encore était la masse sombre du castel. Bien que familier avec le lieu, le vampire ne put s’empêcher de frissonner lorsqu’il descendit de sa place de cocher
     Un sixième sens lui indiqua qu’il devait bondir en arrière ; Von Essen prit appui, s’envola, et aperçut à se moment deux fines ombres atterrir là où il se trouvait juste avant, c'est-à-dire entre le carrosse et l’entrée principale. A présent, l’attelage le séparait de la menace. Une des ombres parut s’avancer vers sa cible, mais l’autre la retint. Puis, une voix féminine retentit :

- Mais Moka, tu vois bien que c’est ce bon Von Essen !
- Précisément ! Je lui dois, Mina, une bonne paire de claques !
- Mais regarde ce qu’il a rapporté ! Un beau carrosse pour notre maîtresse ! Et il vole en plus !
- Sottises ! Il l’a récupéré sur le champ de bataille, nous aurions pu faire de même ! Laisse-moi, Mina !

     Von Essen ne sut trop que dire ni que faire.
     Ashur se retint d’éclater d’un rire tonitruant, afin de ne pas révéler sa présence.
     Les servantes, enfin, semblèrent calmer leur dispute, et se contentèrent d’une révérence courtoise face à l’ancien bourgmestre, qui, assez étourdi par cet accueil mitigé, la leur rendit maladroitement. Quelques instants s’écoulèrent encore, sans que ni l’un, ni les autres n’osassent prononcer quoi que ce soit, craignait de rompre le gênant statu quo.
     Soudain, les grandes portes s’ouvrirent, leur grincement en faisant foi. Une troisième silhouette en sortit, elle aussi féminine, et le vampire la reconnut sur le champ.
- Bienvenue, monsieur le bourgmestre, - fit sa voix amusée. – Il me semble que ce que j’ai cru s’accomplit sous mes yeux : vous revenez à moi, plus fort et mieux entrainé que jamais.
     Même s’il faisait sombre, Von Essen ne douta point qu’elle souriait. Toutefois il discerna dans son ton quelque chose de morbide, de triste et d’oppressant à la fois, et sentit comme une aura de sombre majesté émaner de sa personne. Néanmoins, conscient que non seulement la dame d’Essen, mais aussi l’esprit de son employeur attendaient de lui la même chose, l’ancien bourgmestre contourna d’abord le carrosse, puis s’inclina.        


Dernière édition par Von Essen le Jeu 8 Jan 2015 - 23:14, édité 2 fois
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Lun 24 Nov 2014 - 20:23
Je la lirais plus tard mais je tiens tout de même à te dire que tu as un rythme de parution et d'écriture d'enfer donc bravo !
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Lun 24 Nov 2014 - 20:34
Merci, c'est un plaisir dont j'ai envie de jouir au moins une fois toutes les deux semaines Wink
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Lun 24 Nov 2014 - 20:36
Ah ! Enfin un peu d'action... Les personnages se retrouvent enfin... Dont la partie la plus intéressante sera... Tiens donc.. La suite ! Clap
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Lun 24 Nov 2014 - 20:41
Je viens de lire ces parties et je trouve qu'elles sont encore mieux que les précédentes même si je ne peux dire pourquoi. Je dois avouer que e m'attendais presque à ce que l'une des deux servantes embrasse Von Essen mais en fait non.

Du coup, vivement la suite Sourire
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Lun 24 Nov 2014 - 20:44
A l'embrasser ?! Moi je la voyais bien lui défoncer la tronche à coup de pelle même lol
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Lun 24 Nov 2014 - 20:52
Gilgalad a écrit:Je viens de lire ces parties et je trouve qu'elles sont encore mieux que les précédentes même si je ne peux dire pourquoi.
Très sérieusement, je suis du même avis, et puisqu'on en parle, je fais mention de ce qui me semble en être la raison : la lecture de Madame Bovary de G. Flaubert. Son style m'a tellement subjugué que je m'exerce à en adapter quelques aspects à mon récit. Je conseille cet ouvrage à tous ceux et celles qui passent par ici : c'est un chef d'œuvre de la langue française et de la narration.

Gilgalad a écrit:Je dois avouer que e m'attendais presque à ce que l'une des deux servantes embrasse Von Essen mais en fait non.
Soyons sérieux encore une fois, heu... Bref, soyons sérieux lol

Gilgalad a écrit:Du coup, vivement la suite
A toi comme à Arken et à tous ceux qui me lisent : je pense tenir un rythme de parution régulier Wink
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Lun 24 Nov 2014 - 21:31
Heu, je verrais pour le lire l'année prochaine car j'ai déjà 1984 et le Silmarillion à acheter et lire pour les vacances de Noël.

Sinon, quand on dit "vivement la suite" ça veut dire que l'on est impatient de l'avoir, pas que tu doives te dépêcher de la faire.
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Lun 24 Nov 2014 - 21:47
Un vampire nommé Gilgalad qui n'a pas encore lu le Silmarillion... Blink Je ne ressens plus de culpabilité d'être toujours dans l'ignorance quant à P. Bottero Sourire
Bande d'impatients, je sais que vous l'êtes, et vous m'en voyez ravi Cool
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Lun 24 Nov 2014 - 22:21
Bah oui, chacun ses tares. On ne peut pas passer sa vie à s'entraîner à devenir le meilleur guerrier possible et lire le Silmarillion. Mais comme je l'ai dit, c'est prévu.
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Dim 7 Déc 2014 - 19:48
65e partie.


     Delphine le regarda se relever, puis lui ordonna de rentrer au château avec les servantes, et de leur livrer tout ce qu’il savait sur ce lieu. Elle sentit alors des vibrations nouvelles dans sa propre voix, comme si elle parlait sous l’emprise de quelque maladie, à travers l’épuisement et la douleur, comme si elle était mourante. Mina, Moka et Von Essen se retirèrent de sa vue, elle les observa la croiser en silence et traverser le seuil d’entrée de l’antichambre. Seule, la comtesse leva son regard vers les cieux : ce fut comme si elle essayait de sonder les profondeurs d’un abysse. Un vent froid soufflait continuellement, mais la vampiresse se savait insensible à sa morsure. Morne, morne et affligeant lui paraissait ce qu’elle voyait : plus aucune lumière, plus aucune chaleur ne pouvaient être présentes sous ce voile de ténèbres, et elle pensa que l’ordre des choses en devenait inversé : les morts pouvaient désormais hanter cette terre à loisir, alors que les vivants n’y pouvaient que dépérir jusqu’au dernier. Sa conclusion ne se fit pas attendre : si les vivants venaient à cesser d’exister, que deviendraient ceux qui existaient par leur sang ? En vérité, - crut Delphine, - le fief qu’elle venait de gagner n’était en fait qu’un fruit pourri, un champ infertile, un arbre gangréné et sur le point de tomber en copeaux. Et à présent, - se disait-elle, - l’on essayait de la manipuler, la faire chanter pour un prix qu’elle ne serait jamais sure de récupérer même si par miracle elle venait à tuer le comte sylvanien. L’amertume persistait, et il semblait à la vampiresse qu’elle ne s’en déferait jamais. Dans la cour devant elle, elle aperçut sa garde rapprochée de chevaliers noirs, immobile, seuls les pans de tissu de la bannière et des caparaçons témoignant qu’il ne s’agissait pas de macabres sculptures. C’étaient eux, les véritables citoyens de ce royaume de la mort ! Elle, Delphine, voulait régner sur les vivants, et se voyait cruellement desservie. Elle, Delphine, ne souhaitait que de partager cette existence avec sa fille, et cela également lui avait été refusé. Tout ce qu’elle ferait désormais ne tiendrait plus de sa volonté propre, mais d’une immonde puissance extérieure qui tirerait toutes les ficelles. Elle, Delphine, n’était pas prête à accepter cela. Elle mourrait plutôt que d’accepter cela. Elle était moribonde, comme Ashur naguère, dont elle croyait à présent comprendre toute la pensée. Toute cette existence n’était qu’une malédiction, elle aurait du mourir communément et en paix il y a des siècles de cela… Son regard tomba sur le trou béant au milieu de la cour, cicatrice terrestre demeurée après l’ouverture de la faille du chaos. Sentant comme une faible attraction, une insignifiante envie, elle s’en approcha, pas à pas. Le vent ne cessait de souffler, et semblait également s’engouffrer dans la noirceur de la cavité, aussi large que le carrosse noir qui se tenait non loin.
     Elle s’arrêta au bord, prenant garde à la surface friable qui en faisait le contour. Lorsqu’elle regarda, l’abîme ne lui parut pas différent de la masse noire céleste qui pesait au dessus. Quel soulagement cela serait de plonger dedans, et d’oublier enfin toute cette souffrance ! D’ailleurs, il n’y avait plus d’avenir pour elle ici. L’abîme l’appelait.
     Elle se laissa tomber.
« NON ! »
     Elle n’entendit pas, n’y prêta pas attention, ne vit plus que le noir autour d’elle, et attendit la fin.


***


     « Delphine ! »
     Son cri résonna, se brisa en mille échos contre le mur d’enceinte et les lourds nuages noirs sylvaniens. Il avait été stupéfait ; jamais, jamais son esprit millénaire n’aurait pu s’imaginer pareil acte. Lorsqu’Ashur comprit que sa bien-aimée venait de se donner la mort sous son propre regard, il y eut une fureur aveugle, limpide, amalgame ultime de tous les sentiments humains et inhumains qui s’infligeaient à lui. Son hurlement torturé déchira les airs tout autant que naguère l’avait fait la faille du chaos, propageant une onde de choc et un effroyable tumulte dans les vents de magie. Une éternité après, l’instinct prit le dessus : il est encore temps ! Mettre un terme à sa chute, la ramener à la surface ! Obéissant à sa volonté frénétique, le carrosse s’embrasa tout entier de flammes maléfiques, fonça droit vers le gouffre.
     Suspendu au dessus du vide et totalement immobile, le dragonnet bleuté observa le carrosse arriver, verdâtre et ardent, tel un éclat de la lune maudite. Il sourit : le fou, celui que l’on nomme Ashur dans le parchemin, serait puni à la hauteur de son insuccès.
     Pareil à une gigantesque paupière qui se referme, le gouffre de la faille du chaos se scella en quelques instants, et toute trace disparut. Emporté par son élan, le carrosse dut poursuivre sa course surnaturelle, pour s’écraser dans un rugissement détonant contre le mur d’enceinte, dans une misérable explosion d’os et de bois.
     Le cercueil en fut éjecté, et des cris d’angoisse qui en provenaient inondèrent encore et encore la quiétude sépulcrale de la cour.

     Les servantes accoururent, stupéfaites, leurs sens ne décelaient plus la présence de leur maîtresse. Le hurlement qu’elles avaient entendu depuis les couloirs sombres du castel, puis le fracas du carrosse noir, rien ne faisait de sens. Une abominable lamentation s’élevait ; une mélopée rauque, entrecoupée de cris, dans une langue qu’elles ne connaissaient pas.
     La comtesse ne semblait se trouver nulle part. Au fond, au pied de l’épaisse muraille extérieure se tenaient les chevaliers noirs et leur roi, le métal terni de leurs armures ne reflétant aucune lumière. Quelque part au-delà de l’enceinte gisaient des dizaines et des dizaines de squelettes pourrissants, prêts à être relevés sous forme de guerriers insensibles. Dans les écuries, en recul, se tenaient les parodies de montures des chevaliers de sang, leurs crèches vides et recouvertes d’une épaisse couche de poussière. Au sein du castel palpitaient encore les cœurs des serviteurs mortels ; les deux vampiresses les sentaient, et leur soif latente ne les quittait pas.
     Le chant lugubre s’interrompit soudain, laissant place à un silence particulier, qui leur sembla étrange, même oppressant.
     « Vous ! »
     La même voix qui s’était tue il y a un instant les figea sur place. Brûlant de fureur et de dépit, Ashur tempêta longtemps, maudissant leurs noms, pestant et jurant contre leur incompétence, leur bêtise et leur manque de loyauté envers leur maîtresse. Toutes deux ne purent qu’écouter, abasourdies, interdites, accablées par les accusations qu’elles entendaient pleuvoir sur elles de nulle part. Elles saisirent toutefois une parole importante : ce fut lors de leur absence à ses côtés, aussi brève fût-elle, que la comtesse disparut. Disparut de ce monde. Sombra dans le néant, cessa d’exister.
     Ayant réalisé cela, elles demeurèrent sourdes à ce qui vint après, et, lorsque la voix s’éteignit enfin, son absence eut l’effet de les éveiller d’un affreux hébétement. Les mots ne leur vinrent pas. Ce fut le vampire millénaire qui reprit subitement la parole :
- Von Essen ! Montre-toi, serviteur d’infortune !

     Les servantes entendirent le bruissement d’un vêtement, puis un bruit de pas feutrés. Elles ne se retournèrent pas, alors que l’ancien bourgmestre n’osa pas se mettre auprès d’elles et demeura à quelque distance, au milieu de l’antichambre du castel. L’écho de la fureur du seigneur Ashur résonnait encore dans son esprit, et il n’avait qu’une seule envie : fuir.
- Tu es en vérité effroyablement lâche et abject, bourgmestre. Toutefois, ces demoiselles ne valent guère plus à mes yeux. Vous me dégoûtez, tous autant que vous êtes, jeunes et ignorants. Vous êtes risibles, mais aussi injustement favorisés par la fortune, car votre immortalité ne fait que commencer. Je ne porte aucun désir de suivre le cours de vos misérables existences, maintenant que la dame d’Essen a décidé de se donner la mort.
     Von Essen n’avait qu’une seule autre envie : faire taire cette voix arrogante et hautaine, lourde d’expérience, de clairvoyance et de cruauté. Il n’avait que faire du dénigrement de ce seigneur déchu, et seul l’appât du pouvoir l’avait maintenu à son service.
- Toutefois, je ne suis pas comme elle. Comme cela me fut dit il y a de cela des siècles, je verrai ce monde toucher à sa fin avant que n’arrive la mienne. Von Essen ! – directement interpellé, le vampire chercha des yeux son interlocuteur, pour constater de nouveau qu’il ne scrutait que le vide. – Je sais que tu attends toujours une récompense pour les services exceptionnels que tu m’as procurés. Comme je suis ton maître, j’exigerai de ta part encore plus de patience. Ecoute et obéis ! Mes pouvoirs te seront dévoilés au moment où je foulerai de nouveau cette terre maudite, mais pour cela, il faudra du temps, et une sécurité sans faille. Serviteur, tu porteras mon corps dans le souterrain le plus profond de ce château, que tu feras murer de toutes parts afin de s’assurer que mon repos ne soit dérangé. Si tu tiens à ta récompense, tu feras en sorte à ce qu’il ne le sera jamais. Maintenant, obéis !    
- Attendez !

     Mina tourna lentement son regard vers son amie, ne comprenant pas ce qu’elle allait dire. Moka reprit immédiatement ; sa voix tremblait :
- Qui parle ? Répondez ! – alors qu’aucune réponse ne venait, elle enchaina sur un flot de paroles sans retenue, sans s’arrêter. – Qui parle ? Où est notre maîtresse ? Que signifie cette situation insensée ?!
     Une fois encore, elle eut le bruit de vent glacial pour seule réponse. Rien ne bougea dans la pénombre : ni Von Essen, ni Mina, ni le castel, ni la cour. Tant que perdurait le silence, tout demeurait comme engourdi par le froid sylvanien.
- Von Essen ! – l’interpellé tressaillit de nouveau. – Obéis ! Tu leur expliqueras après !
     L’ancien bourgmestre s’avança, puis s’arrêta net, étourdi par une pensée : il ne savait rien de se qui s’était passé. Par quel miracle espérait-on de lui qu’il explique quoi que ce soit ?
- Obéis ! – tonna une fois encore la voix impérieuse. – Fais cette dernière tâche, et débarrasse-toi de moi une bonne fois pour toute ! N’est-ce pas ce que tu désires le plus ! Obéis !
     Moka ne céda pas. Le ton de la voix devenait presque implorant, comme si son possesseur n’aspirait plus qu’à éviter toute conversation qu’il ne supporterait pas, et s’emmurer avec ses secrets. Elle ne pouvait le laisser faire.
- Il ne bougera pas tant que vous n’aurez pas répondu à ce que j’exige que vous répondiez ! Il ne bougera pas ! – lança-t-elle dans le vide avec agressivité. – Qui parle ? Que s’est-il passé ? Où est notre maîtresse ?

     Von Essen se tint immobile, interdit, irrité par ce qu’il entendait. Pour qui se prenait cette servante, à ainsi décider de ce qu’il ferait où pas à sa place ! Il n’eut toutefois pas le temps d’arriver à une pensée concluante, interpellé davantage par les soudaines paroles du vampire millénaire.

- Le désespoir. La chance. Le hasard, la magie. Moi, le grand Ashur, trois fois millénaire, je ne peux que deviner ce qui déclencha cela. Je ne peux que me désoler que cela ait eu lieu, et plus grande encore est ma fureur quand je sais que rien ne pourra la faire revenir, votre maîtresse, mon caprice, ma folie. Moi, le grand Ashur, qui arriva ici pour empêcher pareille tragédie, je ne pus qu’en être le témoin impuissant, et assister à la chute de votre maîtresse, que la terre a engloutie. J’ai… failli, et je crois qu’on jugea propre à ce que ce fût celle qui nous réunissait qui en payât le prix. En vérité, mesdemoiselles, moi qui m’attendais à mourir pour elle, ce que je fis afin que von Carstein l’épargne, je l’ai précipitée vers sa propre perte. Je l’ai tuée. Pas de mes propres mains, mais par mon artifice. Vous… n’y êtes pour rien. Je l’ai poussée vers sa chute, elle n’a eu qu’à saisir le moment quand vous ne regardiez pas. A présent, vous en êtes privées, par ma faute, que cela soit su. Je suis mille fois coupable, et je n’aspire plus à rien. Il n’est pas en votre pouvoir de m’achever, car je suis immortel, mais je ne demande qu’à disparaître. Maintenant que je vous ai tout dit, j’exige que ma volonté soit faite, et qu’on me laisse perdurer loin des regards et du reste du monde.

     Moka explosa de colère.
- ALLEZ  AU  DIABLE ! ALLEZ  TROIS  FOIS  AU  DIABLE ! Croyez-vous vraiment être grand, tout d’un coup suppliant de la sorte qu’on vous laisse tranquille ?! Où est notre maîtresse ? Que s’est-il passé ici, à l’instant où elle nous a éloignées d’elle ! Où est-elle ?!
     Ashur méprisait qu’on le questionnât de la sorte, ne cessant de pester contre l’état pitoyable dans lequel il s’était lui-même mis, pour une vampiresse, sa propre enfant de sang, qui ne trouva rien de mieux que de rejeter ce don de vie qu’il lui avait faite il y a bien longtemps, et même son propre sacrifice n’ayant pas suffi à faire en sorte qu’elle survive. Il regrettait et méprisait en même temps celle qu’il vit sombrer. Tout ce qu’il venait de dire à l’instant, il le pensait, mais ne pouvait l’admettre. Pour lui comme pour cette insolente, tout cela n’avait absolument aucun sens, et seul subsistait l’intarissable soupçon que la puissance du Nord à qui il devait ses pouvoirs avait grandement contribué à sa déchéance. Il voulait à la fois oublier sa perte, et ruminer sa vengeance, songeant au moment où son corps finirait enfin à se régénérer. Des décennies ne suffiraient pas. Des siècles, peut-être. Tout ce temps devrait être passé dans l’isolement le plus total, afin que rien n’arrive à ce corps qui était le sien. Mais pour obtenir cela, il devait d’abord satisfaire la curiosité d’une impertinente vampiresse, qui ne devait avoir guère plus d’un siècle d’âge. Cela, il le méprisait.
- Tombée. Disparue de la surface de la terre. Les misérables restes de ce carrosse que vous voyez résultent de ma tentative de la sauver.
- Comment, tombée ? Il n’y a nulle part où elle aurait pu tomber ! Nulle part !
- Idiote. Alors même que je suis arrivé, il y avait une faille, un gouffre au beau milieu de cette cour.
     Sur le point de reprendre avec encore plus d’insistance, Moka fut soudain coupée court, se rappelant de leur retour auprès de leur maîtresse. Elle se souvint du gouffre ; sa maîtresse ne leur en parla pas, ni encore moins de la monstrueuse colonne bleue qui apparut devant le castel, ni de la foule d’horribles créatures bleuâtres qui en sortirent pour disparaître peu après, comme si elles n’avaient jamais existé. Toutes les explications leur furent alors refusées, la comtesse ne voulant résolument pas ne serait-ce qu’y songer. Ce fut alors que Mina et elle insistaient qu’apparut de nulle part le massif carrosse noir, et la comtesse parut alors satisfaite de pouvoir y reporter son attention.
     Tout se passa trop vite. Leur maîtresse eut agi comme si cela avait été prévu, se retrouvant seule, et ce gouffre se trouvant juste à côté… Mais pourquoi aurait-elle décidé d’agir ainsi ? Pourquoi le gouffre s’est-il refermé ? Comment tout cela a-t-il pu se passer !
- Ce silence m’exaspère. Finis-en, et qu’il soit enfin fait comme je le désire, car je ne désire plus rien d’autre.
- Comment expliquez-vous que le gouffre ne soit plus là, et que notre maîtresse soit disparue avec lui, et pas autrement ?
- Je l’ai vu, je l’ai entendu, je l’ai senti, prenez-le comme vous voulez de la part d’un esprit détaché de son corps. Quant au pourquoi de tout cela, je ne sais pas.
- Vous devez savoir !
- Je ne peux que deviner. Si maintenant, vous faites selon ma volonté, je vous dirai ce que j’en pense.
     La servante se tut de nouveau, surprise par ce chantage inattendu. Néanmoins, - se dit-elle, - il y avait une dernière chose qu’elle croyait et qu’elle devait dire.
- Vous… Elle n’est pas morte, n’est-ce pas ? Notre maîtresse n’est pas morte ! Sinon, Mina et moi l’aurions ressenti !
- Vraiment ? Le lien de sang avait été préservé entre vous ? – la voix se tut un moment, puis reprit. – Dans ce cas, sa destinée me semble bien pire que ce que j’en étais convaincu. Alors ils ont tout gagné. Alors *ma* destinée est scellée, car les connaissant, ils ne s’arrêteront pas en si bon chemin. Mesdemoiselles, je vous dirai tout, mais il faudra d’abord faire selon ma volonté. Cela vaut mieux pour vous, et vous le saurez bien assez tôt.




***


Dernière édition par Von Essen le Mer 20 Mai 2015 - 19:41, édité 3 fois
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Vampire at war : les temps maudits - Page 2 Empty Re: Vampire at war : les temps maudits

Dim 7 Déc 2014 - 20:26
Mes pouvoirs de seront dévoilés
Il y'a une petite coquille je crois Sourire

Mis-à-part cette coquille ci-dessus, c'est toujours aussi bien écris et raconté. J'ai été vraiment triste de la mort de la comtesse mais bon, ce sont des choses qui arrivent parfois.

Et bien sûr, vivement la suite Happy
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