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Anton Ludenhof

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Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie Empty Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie

Lun 9 Nov 2015 - 15:55
Bonjour à tous !

Je sais, j'ai commencé plusieurs récits, et je ne les ai pas toujours terminé... et je n'ai même pas pu participer au concours de récits... examens obligent. Mais comme une vielle rengaine, j'aimerais renouveler l'expérience. Ça me tente depuis plusieurs mois pour penser le projet suffisamment crédible pour vous le présenter Smile

Je vous propose donc de découvrir un récit que je souhaite somme toute assez court, dans un monde fanstastico-uchronique de ma création. Je sais qu'ici, plus qu'ailleurs, je peux trouver des critiques de grande qualité.

Et vous souhaite une très bonne lecture  Love


Mécaniques dynastiques






Solitaire technocratie








Chapitre I : Dédale décrétal





Le genre d’endroit qui ne passionnait que les ambitieux. Ou les fonctionnaires. Pour peu qu’ils puissent connaître des humeurs des passions.

Ces derniers étaient bien plus nombreux. Pour eux, les dorures et les marbreries en tout genre du Ministère de la Justice n’était qu’un décor parmi tant d’autres. De là à penser qu’ils étaient dépourvus de tout orgueil, ce serait un faux pas que seul un néophyte commettrait. Les agents de l’Etat bombaient certes le torse, le plus souvent fiers de servir sous le regard impassible de suzerains dont la peinture craquelait, mais ils l’étaient avant tout pour leur travail. Plus exactement, du travail qu’ils pensaient accomplir. C’était ceci qui les distinguait avant tout des politiques qui, eux, toisait en raison de leur seule personne.

Ce serait un lieu commun d’affirmer que l’environnement influe sur les habitudes de tout un chacun. Le gamin des ruelles observait tel un chat de gouttière, le ministre discourait sur ses projets avec éclat, mais sans réelle profondeur, s’effritant telle la dorure d’un cadre dès lors qu’on se prenait d’envie d’y gratter.

Dans ces couloirs au parquet grinçant,  parcourus par autant de courants d’airs que de bestioles à l’affût du moindre bout de papier, parsemés de fioritures, de bibelots, et autres décorations qu’un musée était parvenu habilement à esquiver, tout semblait se confondre.

Semblait seulement, car le commun ne saurait exister sans l’exception. Du moins, l’originalité.

Le bureau du secrétaire du sixième membre du cabinet ministériel.

Pour y parvenir, encore fallait-il supporter l’attente dans le corridor mal éclairé qui faisait office d’antichambre. Avec ce froid d’automne, le ciel d’obsidienne succédant brièvement au ciel de granit, tout était plus lugubre. C’était bien là un lieu où seuls des fonctionnaires pouvaient patienter sagement.

En l’occurrence, deux.

Clémenz Methronis fixait un clou apparent dans le plancher. Il se demandait ce qu’il se passerait si par mégarde il venait à y marcher dessus avec ses souliers. C’était sûrement pour ce genre de rencontres fortuites que les paires de bottes faisaient fureur depuis quelques temps parmi le corps des fonctionnaires. Clémenz en avait bien fait l’acquisition, mais après avoir tant peiné à les retirer le soir venu et constaté que le nectar qui y était renfermé n’était guère au goût de sa chère et tendre, il en était revenu à ses bons vieux souliers. Théodül, assis près de lui, et fixant lui aussi quelque objet dénué d’intérêt afin de tuer le temps, avait suivi la mode. Methronis s’interrogea l’espace d’un instant quant à savoir s’il était aisé de retirer les tâches de transpiration sur l’extrémité de bas en soie. Probablement, il fallait recourir à du jus de citron.

Il serait reçu à dix-neuf heures dix. Il était moins le quart.

-Je ne t’ai pas demandé comment allait Lisbeth ? demanda Théodül, dont la voix indiquait manifestement qu’il n’avait pas réussi à calmer sa tempérance à l’oisiveté.
-Et bien… plutôt pas trop mal. Nous avons aménagé ensemble il y a peu, et il y a de bonnes chances pour qu’elle obtienne un poste de comptable auprès de la fabrique Drehnz.
-Quoi ? Dans les câbles télégraphiques ?
-Je crois que l’on dit désormais « téléphoniques », non ?
-Sûrement. M’enfin, si j’avais voulu causer de ces choses-là, je n’en serais pas à gober de la poussière jurisprudentielle par paquet de seize, répliqua Théodül en haussant les épaules. Donc, ta p’tite femme dans la technologie ?
-Je vous ai dit la comptabilité, monsieur Belias. La comptabilité.
-Ah oui. Exact. Tu l’as dit.

Clémenz détestait que ses collègues le tutoient. Non pas qu’il était hautain, loin de là, souffrant souvent d’une certaine timidité, mais c’était le genre de jeune homme à apprécier que les choses soient faîtes dans l’ordre. Leur avait-il donné la permission pour cette familiarité ? Non. Déjà, parce qu’on ne lui avait pas demandé. Enfin, parce que ce n’était pas professionnel. Et comme il n’avait pas lui-même fait cette demande, il n’espérait pas avoir à tutoyer Théodül Belias, de plusieurs années son aîné.

Surtout  qu’il avait clairement la tête ailleurs.
Cette causerie sans intérêt l’avait réveillé d’une méditation ô combien intellectuelle, qui lui avait permis de s’écarter des flots angoissants auprès desquels les sous-secrétaires dans son genre ne pouvaient espérer s’écarter des rivages, dès lors qu’ils avaient un dossier complet à remettre à leur supérieur hiérarchique.

Clémenz se leva.

Il allait recommencer une fois encore à tourner en rond. Lorsqu’il était avocat, il s’était plu à comprendre pourquoi on avait nommé une salle « les pas-perdus ». Stagiaire, Methronis s’imaginait qu’il s’agissait d’un point d’information pour se retrouver dans le dédale du palais de justice. Avant sa toute première plaidoirie, il comprit son erreur.

C’était assurément le projet de décret le plus important qu’il s’apprêtait à remettre au secrétaire. Le ministre Vilnius Khendra, avait pu imposer sa politique au sein du gouvernement, celle d’une justice plus proche des sujets de la couronne. Pour cela, il avait chargé son cabinet, composé de huit hauts fonctionnaires, d’y travailler. Un d’eux, Eugehn Vazzart, fut désigné comme rapporteur. Et la chaîne hiérarchique descendait inexorablement. Confiant le soin à son secrétaire de rédiger ledit projet qu’il devait présenter devant le ministre, ce fut le sous-secrétaire Methronis qui reçut la patate chaude.

Voilà près de cinq mois que Clémenz voyait ce dossier grossir chaque jour d’avantage. Courriers, rapports, instructions, tableaux, bilans, retours d’expérience, et autres avis de commissions, certains facultatifs, d’autres obligatoires. Un travail colossal.

Travail qui l’avait replongé dans sa vocation première, son métier de robe, qu’il avait abandonné il y avait maintenant plus de trois ans.

Ce dossier l’avait obsédé. Au point que Lisbeth s’était fait du souci pour lui. En réalité, Clémenz vouait une grande admiration pour le ministre de la justice. La perspective de contribuer à la mise en place d’une politique en tous points conformes à sa propre vision de ce que devait être l’institution judiciaire était un véritable privilège, et il en était conscient.

Depuis trois semaines, cette grosse dinde de papier nourri en plein air se trouvait sur le bureau du secrétaire.

Ce soir, il allait en recevoir la critique.
Passant encore devant le grand miroir du miroir, Clémenz inspecta à nouveau sa tenue.

Lavallière verte olive, correcte.
Chemise à col haut, à relever un peu, mais correcte.
Culotte beige, bien repassée, correcte.
Gilet beige à carreaux, boutons bien cousus, correct.
Queue de pie verte olive, bien sise aux épaules, correcte.
Visage bien rasé, pas d’acné apparent, bien coiffé, raie sur le côté, correct.

Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie 688547jonathanstrangebyemininad56tl0e

Clémenz Methronis.
(Source : Jonathan Strange / Deviantart)



-Mais tu es très bien, t’as pas bientôt fini de te pavaner ?
-Là, je joue gros, Belias.
-L’aide juridictionnelle ? Oui, oui… « gros », vite dit. La réforme du référé, ça, ça c’est pas la gnognotte !

Clémenz plissa les yeux et dévisagea discrètement son collègue. Quel abruti.

-Ah, t’as pas mis de fleurs à ta queue de pie ?
-Euh… non, je n’en met pas, et n’en ai pas d’ailleurs.
-Tsss… mauvais point. Il adore ça.
-Pardon ?
-Eh, comme je te dis. Tu t’en souviens de cette histoire de taux de ressort pour le contentieux de bornage ? Ma femme me refile une ‘tite boutonnière à mettre en broche, il a adoré, et hop, un taux de ressort abaissé à dix mille écus seulement. Merci qui ? Merci maman ! continua Théodül, tout fier, bras croisés.
-Ah, mais… c’est trop tard là. Merci quand même… répondit le jeune sous-secrétaire, embarrassé.
-Tatata ! Le vieux Belias est là pour toi ! Au fond du couloir, tu descends deux étages par l’escalier G, tu continues tout droit et là tu devrais trouver un pot pourris. Je crois y avoir vu une rose blanche-beige, dans ces tons-là. T’irait comme un gant !

Methronis hésita.

-‘fin, bon, je te dis ça, hein, c’est pour toi.

Le sous-secrétaire se pinça la lèvre inférieure expirant par les narines, tel le bœuf perplexe moyen.

-‘serait quand même bête de ne pas mettre toutes les chances de ton côté, non ?

Et il avait encore dix minutes.

-Bon, je fais vite. Merci Belias ! lança Clémenz, entamant une petite foulée.

Le couloir.
Surtout, rester attentif à tout ce qui pourrait sortir de l’une de ces portes. Chariot d’archives ou café, pas le moment de se faire avoir. Ni le temps, ni la buanderie.

-De rien, mon couillon !

L’escalier. L’escalier G, il était où déjà ? B, H, J… G !

-Bonjour monsieur Methronis, pressé de rentrer à la maison à ce que je vois ? La petite femme du vendredi à retrouver ?
-Pas tout à fait, Vérö, pas tout à fait ! Je vous raconterai !

Un véritable ancêtre architectural.
Pareil colimaçon, Clémenz plaignait sincèrement tous ceux qui avaient à l’emprunter quotidiennement.
Descendant en pas chassés, afin de préserver sa veste de la pierre humide, il manqua plusieurs fois de perdre l’équilibre. Mais un fonctionnaire du ministère de la justice était naturellement dextre, contraint de choisir entre le chômage ou les acrobaties administratives.

-J’y compte bien !

Deux étages, qu’il a dit. Et aller tout droit.
Les bureaux des relations internationales du ministère. Il comprenait mieux pourquoi ils s’étaient retrouvés dans cette aile insalubre.

Le pot pourris !
Mais qui était le malade qui avait sérieusement espéré atténuer l’odeur d’eau croupie avec ?

Quoiqu’il en soit, il y avait bien la rose dont avait parlé Théodül. Curieux d’ailleurs qu’il en ait eu connaissance. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire dans ce coin perdu du Ministère ? Y avait-il seulement des gens qui y travaillaient ?

Un gémissement. Plusieurs même. Masculins.
Qui n’y travaillaient, certes non, mais l’ouvrage ne revêtaient-ils pas d’autres atours ?

Était-ce donc l’endroit glauque et lubrique auquel tous ses collègues faisaient allusion ? Le fameux trou à glotte ?

Juste après avoir pris la rose, il recula avec circonspection. Methronis se rendit compte que si jamais il venait à se faire voir en ces lieux, il pourrait dire adieu à ses espoirs normatifs. Qui écouterait le propos d’un obsédé, suffisamment idiot pour être remarqué ici.

Et il n’avait pas été particulièrement discret jusqu’ici.

Masculin ?! Ils venaient de cette porte.

Sans être pénaliste, Clémenz savait bien que l’homosexualité était constitutive d’un délit. Et de surcroît, d’une faute disciplinaire si commise à l’occasion des heures de travail, ainsi que l’avait confirmé la chambre criminelle dans un arrêt, il y avait environ…

« Rha ! Mais fous le  camp, gros débile ! »

Aussi discrètement que possible, sur la pointe de ses précieux souliers, le sous-secrétaire s’éloigna. Par chance, les soupirs des amants couvraient ses pas.

-Attendez, attendez, pas si fort…
-Si… tu l’as voulu !

Cette voix.
La première ne disait rien à Clémenz, au contraire de la seconde. Grave, puissante, au timbre rauque, caractéristique des fumeurs invétérés. Vazzart ?

Clémenz chassa cette idée de son esprit. D’autant que sa montre à gousset indiquait désormais qu’il était dix-neuf heures huit.

De retour dans le couloir des attentes, ayant réussi à esquiver les indiscrétions de Vérö tout en plaçant avec élégance ladite rose sur le revers de sa veste.
Tout de suite plus chic.

La porte du bureau s’ouvrit en grand, s’en allant frapper une énième fois le mur. Clémenz n’était pas encore devant. Quelque part, il s’était assuré de ne pas la recevoir à la figure. Il allongea la foulée.

-Methronis !

Le secrétaire devait être de bonne humeur…
Tentant de ralentir son approche, ses souliers glissèrent sur le parquet, et ce qui devait arriver arriva.
Ce fichu clou tant redouté était en position.

Methronis se mordit la joue pour ne pas échapper un cri de douleur qui aurait fini de témoigner de son manque de virilité. Théodül lui adressa un grand sourire.

-Pas trop retardé par le trou à glotte ?

« L’espèce de sale enf… ! »

Belias savait évidemment où il avait envoyé son collègue qu’il jalousait. Il détenait maintenant un élément pour le décrédibiliser, sans que Clémenz ne puisse le contrer.
Il lui balança toutefois la rose à la figure.

-Dites donc, il faut que je vienne vous chercher ?
-J’arrive, monsieur le secrétaire, j’arrive.

Essayant de chasser toutes les pensées qui l’asseyaient, tout à la fois impudiques et revanchardes, il entra sans le bureau.

-Fermez la porte derrière vous.

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Mar 10 Nov 2015 - 22:04
Je pensais pas te revoir sur ce forum Anton. On dirai bien que le forum des comtes vampires et un important carrefour de récits Happy
Dommage que tu n'ai pas pu participer au concours, j'ai pu lire que tu es un grand amateur de récits.

Expertise dans les récits qui se reflète dans ce magnifique texte que tu nous présentes.
L'ambiance des bureaux ministériels d'un univers inspiré de la fin de XIX siècle est très bien présentée. Le rythme du texte suit assez bien les actions, comme par exemple le dialogue soudain de Théodül brisant le paragraphe qui décrivait les pensés du personnage principal pour faire passer le temps.

J'ai particulièrement bien aimé l'expression "le ciel d’obsidienne succédant brièvement au ciel de granit" ^^

La fin du texte a eu bien plus d'événements et d'actions ce qui me pousse à dire "Vivement la suite !" Wink
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Mer 11 Nov 2015 - 10:15
Très touchant comme commentaire Love
Je regrette sincèrement de ne pas avoir pu faire partie du concours. Je passais alors pour la seconde fois mon examen pour devenir élève-avocat (que j'ai enfin réussi !).

Pour me faire pardonner, la suite ?


Chapitre II : S'il plaît, alors je plaiderai


Mähel Hidrethil était un vieux de la vieille. Et pour cause, c’était un elfe.

Les elfes étaient intégrés depuis des éons dans les sociétés humaines, et le Ryendül ne faisait pas exception. Appréciés pour leurs talents d’artistes, ils s’étaient également révélé de fins administrateurs, parfois de bons politiciens. Mêlés avec les autres races, ils avaient perdu l’essentiel de leurs distinctions. Á la plus grande joie des caricaturistes, les oreilles avaient été préservées.

Celles du secrétaire n’étaient cependant guère remarquables.

Si Hidrethil était considéré comme âgé, même parmi les siens, il n’avait pas deux siècles d’existence. Son arrière-grand-père en avait vécu le double.

Mähel était un de ces vétérans des labyrinthes normatifs, connu tant pour sa rigueur extrême que ses exigences maniaques. Mais comme la plupart des elfes, s’il avait des facilités évidentes pour certaines matières, il lui était très difficile d’en sortir.

La polyvalence demeurait un attribut humain.

Fils de fonctionnaire, lui-même fils de fonctionnaire, qui lui-même devait occuper cette fonction, il avait le métier de plume autant dans le sang que dans les tripes. Incorrigible, il dormait très peu et accordait une attention rare aux dossiers qui lui étaient soumis. D’ordinaire, une analyse, même approfondie, ne demandait qu’un survol à un administrateur rompu à l’exercice. Lui s’y refusait.

De ses yeux, juchés derrière des rides et des cernes, Hidrethil veillait à tout. Même à la ponctuation. C’était sûrement le seul hurluberlu du Ministère à employer encore des points-virgules.

Ce haut degré d’exigence faisait de lui un secrétaire privilégié. Son expérience aurait certainement pu lui faire obtenir une chaire à l’école de l’administration, mais il aimait son travail. Ou plutôt, le travail l’aimait.

Le Ministère ne serait plus vraiment le même sans ses colères aromatisées d’un café touillé à l’eau de vie.

C’était un fait notoire que Mähel Hidrethil picolait constamment. Mais ne disait-on pas que même les meilleures usines fonctionnaient à la crasse du charbon ?

-Restez debout, Methronis.

Clémenz savait tout ceci.
Son ancienne profession supposait qu’il puisse lire sur les cernes d’autrui. Il avait rédigé son projet de décret en conséquence.

Néanmoins, dans ce bureau quelque peu exigüe, sans chauffage, malgré la présence d’une cheminée bien trop volumineuse pour la pièce, et n’ayant pour éclairage que quelques faibles bougies, il se sentait comme pris au piège.

Un trou de grillon. C’était ça.
Et il se souvenait très bien comment son père lui avait appris, lorsqu’ils habitaient à la campagne, comment les faire sortir de leurs cachettes.
En l’espèce, mieux valait employer l’alcool que tout autre fluide corporel.

La prochaine fois, il n’aurait qu’à songer faire macérer son travail dans une bouteille. Une bonne grosse bouteille. Un peu comme ils faisaient dans les colonies avec les serpents ou les scorpions.

« Mais qu’est-ce que je raconte comme connerie moi… »

-Bon. Je suis un peu embêté pour tout vous dire. Désappointé même, continua le secrétaire, en fronçant les sourcils.

Le sang de Clémenz se glaça.
Et le pire, c’était que ce vieux schnock prenait plaisir à le faire attendre.

-Comment vous dire… c’est trop.

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Mähel Hidrethil.
(Source : Deviantart).


Les synapses du pauvre sous-secrétaire venaient à l’instant d’oublier leur prime fonction.
Il lui fallut penser ces mots pour en saisir la gravité.

« C’est trop. Mais comment ça trop ?».

-C’est complet. Mais beaucoup trop, en réalité. Ce n’est pas un projet de décret, c’est un projet de loi que vous m’avez rendu là. Vous aviez une consigne. Vous ne l’avez pas respectée.
-Si monsieur le secrétaire me perm…
-Je n’ai pas terminé. C’est du lyrisme administratif. Pire, un plaidoyer. Où vous croyez-vous ? insista Mähel, tapotant sur son bureau désordonné.
Clémenz ne sut pas ce qu’il devait répondre, si répondre il devait.

-Je vous écoute.
-Vous m’écoutez ?
-Puisque je me refuse à simplement me contenter de vous entendre, vous avez mon attention. Allez-y, plaider donc, cher maître.

Methronis eut comme un doute. Le secrétaire se moquait-il ?
Ce projet avait trop d’importance pour lui. Soit, s’il fallait en passer par là. Clémenz prit son inspiration.

Il maîtrisait très bien cet exercice.
Encore qu’il se savait un peu rouillé.

-Eh bien, monsieur le secrétaire, je dirais tout d’abord que ce projet de décret répond point par point aux exigences de monsieur le ministre de la justice. Si sa cause est bien de rapprocher l’institution judiciaire des justiciables afin de de concrétiser pour de bon ce lien indispensable que doit entretenir le régime politique actuel avec les Ryendüliens de ce jour et de demain, il leur faut encore pouvoir communiquer. La chose juridique étant ce qu’elle est, un entremetteur est indispensable. Seules les professions du droit, huissiers, greffiers, et avocats en premier lieu, peuvent jouer ce rôle. Mais encore faut-il que les justiciables puissent y avoir accès. Or, dans la crise sociale que nous traversons, marqué par le paupérisme et l’anémie, l’Etat doit les accompagner dans cette démarche. C’est le sens même de ce projet de décret.

Sans qu’il s’en rende vraiment compte, Methronis avait pris soin de ne pas employer des termes identiques à ceux dont il avait fait usage à l’écrit. De quoi présenter le même contenu, mais sous un autre angle.

Hidrethil eut l’air d’apprécier. Son silence laissa indiquer que Methronis pouvait poursuivre.

-Comment procéder, monsieur le secrétaire, pour atteindre ce que beaucoup peuvent considérer, parfois à juste titre, comme une utopie ? Ce projet de décret y répond.

Marquant un temps pour mieux accentuer son propos, Clémenz se rapprocha d’un pas.

-La meilleure approche est sans nul doute celle qui consiste à faire confiance aux corporations judiciaires. Aider uniquement de manière financière serait malvenue, et de toute façon, le budget de l’Etat ne pourrait se le permettre. Les honoraires pratiqués sont tels que puisqu’ils ne peuvent être exigés des misérables, ils ne doivent pas être exigés de l’Etat, qui ne doit avoir d’autre finalité que ces derniers. Il faut mettre ces professions à contribution. En leur demandant de se mettre au service des indigents dont les ressources auront été évaluées par une commission dépêchée auprès de chaque juridiction selon des critères actualisés, et en les indemnisant à juste mesure via un barème évolutif, les justiciables les plus pauvres auront enfin accès à la justice, aujourd’hui privilège de quelques-uns, poursuivit le sous-secrétaire, s’étant convaincu de pouvoir convaincre.

Le vieil elfe continua de fixer son subordonné.

-Etre pauvre ne doit pas être le seul critère. La situation du requérant doit faire l’objet d’une étude au cas par cas. Famille, emploi, réputation, tant d’éléments que les barreaux locaux auront à envisager. En d’autres termes, ce système est exceptionnel. Mais des exceptions au droit naturel que constitue la prospérité de tout un chacun, il suffit d’ouvrir les fenêtres ici même pour en être acculé ! Le Ryendül souffre, socialement, économiquement et même moralement. Et si la loi doit faire office d’opium pour les plus démunis, au moins il appartient à l’Etat de ne plus la rendre nocive en la rendant illusoire car ineffective du fait même de son inaccessible respect par le commun des sujets de Sa Majesté.

Hidrethil hocha la tête, lentement. Clémenz reprit de plus belle.

-Votre remarque est pertinente, monsieur le secrétaire. Oui, ce projet de décret est semblable à un projet législatif. Mais c’est parce que l’enjeu considéré est de l’ampleur d’une loi. Je suis d’avis qu’il fasse l’objet d’un examen parlementaire. Car il ne s’agit ni plus ni moins que de décider d’un modèle de société. Ce que monsieur le ministre Khendra entend entreprendre, c’est d’avoir le courage de confronter les dirigeants de ce pays aux idéaux qu’ils affichent être les leurs et qui ont été exigés par les armes citoyennes. Et c’est à vous, c’est à nous, qu’il revient de l’accompagner dans cette périlleuse, mais responsable, préoccupation.  

Mähel se pencha sur la table, tenant son visage sur son poing et dévisageant le sous-secrétaire.

-Monsieur Methronis, asseyez-vous.

Clémenz ne fut que trop ravi de recevoir cet insigne honneur.

-Quoique je m’étonne que vous employiez aussi bien les termes de sujets que de citoyens dans un pays qui a choisi de rétablir la monarchie, vous me voyez pleinement souscrire à votre analyse.

Le compliment fut bref.

-Mais une question demeure. Question que vous avez éludée. Délibérément ou non, encore c’eut été là un manque flagrant de compétence, ce dont je ne suis pas encore disposé à ne pas envisager à votre égard. Quid des corporations récalcitrantes ?
-Aurais-je dû repréciser ce que la désobéissance à la norme entraîne ?
-Vous traitez de modèle de société. Que vous proposiez de le changer ou d’approfondir celui qui existe, la sanction doit s’adapter. Où se trouve pareille adaptation dans votre projet ?

Le sous-secrétaire fut embarrassé. Le temps d’un instant, il ne savait trop quoi répondre. Il n’avait pas pour habitude d’envisager ces questions autrement que par le prisme des bienfaits apportés. Finalement, il se décida :

-Là où se trouve la latitude du pouvoir exécutif. La menace imprécise de la riposte légitime est plus efficace que la mise en place d’un système défini. Laissons la doctrine discourir et les magistrats faire œuvre de jurisprudence, ce sera à la fois craint et adapté. Á mon humble avis, se dépêcha de préciser Clémenz, se rendant compte qu’il était un peu trop à son aise.

Il n’était rien de moins certain qu’autrefois Methronis eut pu tenir des paroles de cette teneur. Mais si celles-ci avaient l’apparence d’être autoritaires, elles n’excluaient pas une pensée libérale.

Celle-là même qui l’habitait.

Astuce de gens de robes ?
Simplement la maîtrise du débat d’idées et de causes.
Ce à quoi l’elfe était totalement étranger. Mais non moins sensible.

-Vous employer le « nous » ? fit remarquer Hidrethil, suspicieux.
-N’avez-vous pas précisé que vous souscriviez à mon analyse ?

Le secrétaire fut retenu dans la phrase qu’il s’apprêtait à prononcer. Le gamin avait vu juste.

-Foutu avocat. Bien, alors monsieur Methronis, vous allez me rédiger un abstract complet avec toutes ces belles idées que vous venez de me pondre. Cela permettra d’y voir un peu plus clair et de lire votre projet à l’aulne de cette intention. Alors, je transmettrai votre travail à monsieur Vazzart. Donnez ça à Vérö, conclut Mähel, poussant avec énergie le gros dossier.
-Je vous prépare ça pour lundi à la première heure, monsieur le secrétaire !
-Á la première heure moins une, précisa-t-il, le ministre s’impatiente. Sur ce, rentrez chez vous. Et faîtes venir l’empaffé des référés qui vous sert de collègue. Ce sera tout, Methronis.
-Merci monsieur.

Clémenz se retira en s’inclinant. Manœuvre pour le moins délicate avec un soulier troué et un plancher irrégulier.

-Ah, et une dernière chose. La prochaine fois, soyez un peu plus gai. Je ne sais pas, soignez votre allure ou votre tenue. Les motifs floraux, tiens, voilà ce qu’il manque dans ce Ministère. Mettons-y un peu de gaieté, voulez-vous bien ?

Methronis fut à ce point interloqué que sans se redresser, il ajouta avec sarcasme :

-Vous me voyez pleinement souscrire à votre analyse.

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Mer 11 Nov 2015 - 23:32
Que dire ? Jamais vu le sujet de l'administration gouvernementale traité dans un texte sur le forum vampire...
HERETIQUE !!! AU  BUCHER !!!

Hum, j'applaudis ! Clap
J'ignore ce qui t'inspire autant, mais tu réussis à nous planter une ambiance sans que j'en aie vu de semblable. J'ai envie de sortir du ministère en te lisant, mais ton style captive, et tes personnages si finement présentés intriguent, m'obligeant à demeurer, pendu à ta plume, si j'ose détourner l'expression.
Seul bémol : quelques petites fautes de frappe se glissent dans le texte, et ça fait un peu l'effet du clou dans le plancher... D'une punaise, disons, mais tu m'as compris. Comprends que j'ai envie de jouir pleinement de ce que tu nous fais découvrir, et que c'est entièrement de ta faute si je me montre aussi pointilleux. Un grand niveau d'écriture implique une intransigeance orthographique... Ce détournement de citation... Bref, encore bravo pour le texte, je suis bluffé !

La suite ! Clap Clap
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Jeu 12 Nov 2015 - 1:08
Je suis venu voir, piqué par la curiosité et je l'avoue par les images. Mais après avoir lu je n'ai pas peur de dire que c'est un des meilleurs débuts de récit de cette section qu'il m'ait été donné de lire.

Tu arrives, à l'aide de phrases simples et d'un humour caustique à établir une ambiance très particulière et réaliste. Tes personnages sont hauts en couleur et en personnalité, comme l'a fait remarqué Von Essen. Ce début de récit fait paraître certains livres que j'ai lu pour des écrits d'un enfant de six ans.

Je t'accorde ainsi toutes mes félicitations pour ce travail, et t'enjoins à continuer sur cette voix. Clap

Arca, qui regarde le texte qu'il a pondu et se dit qu'il lui reste encore beaucoup à apprendre.

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Livre d'armée V8 : 8V/2N/3D

Le lien vers mon premier récit : l'Histoire de Van Orsicvun

Le lien vers mon second récit : la geste de Wilhelm Kruger tome 1
Anton Ludenhof

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Jeu 12 Nov 2015 - 6:17
Wow
'scusez, je vouais ramouasser ma machouare Sourire

Merci beaucoup ! Vraiment ! Je vais au plus vite checker cette histoire de fautes de frappe, et veiller à être plus prudent à l'avenir.
Merci encore pour votre accueil, je sais bien que ça n'a pas grand chose à voir avec le genre comte vampire, mais ce forum a une section littéraire a-do-rable Love

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Anton Ludenhof

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Sam 14 Nov 2015 - 11:45
Chapitre III : La faune volage




Il était magnifique.
Bel homme à la fine moustache, au torse fort et au regard d’acier. Le reflet de la lumière vacillant au gré du petit ruisseau de cette grotte mirifique le rendait angélique, et pourtant, le dessein des amants était bien matériel et assurément impudique.

Son souffle sur le cou de sa promise.
La poigne qu’elle ressentait sur ses hanches.
Ses yeux ! Ses lèvres ! Ah, et son parfum…
Et sa peau… !

« Je t’aime Cölinn ».


-Madame, huit heures a sonné.

Hëmil Genaud était parfois d’une régularité consternante.

Elle se réveilla en sursaut.
En sueur, à la fois frustrée et gênée devant son majordome, elle hocha la tête pour le remercier et le congédier. Voyant qu’elle ne pourrait se rendormir pour rejoindre le monde de ses fantasmes, elle se résigna.

Miroir. Peigne.
Il y avait de l’ouvrage.

Combien de fois avait-elle demandé une bonne ?
Et combien de fois son époux s’était montré économe sur ce point, là où il avait cédé sur tant d’autres.

Simonief était un vieillard incapable de la satisfaire, sinon de manière pécuniaire. Elle ne trouvait chaussure à son pied que dans ses quelques rêves, trop rares à son goût. Le subconscient, lui, ne pouvait se contrôler.

D’origine modeste, mais en rien prolétaire, l’union qu’elle s’était trouvé la placer dans le haut de la nouvelle bourgeoisie industrielle. Cölinn n’avait rien à envier aux aristocrates, bien consciente que la richesse foncière ne tarderait pas à plier face aux économies modernes.

Elles pouvaient bien rire, tiens. Mais la compagnie maritime de son époux était celle qui avait reçu le sceau de l’Etat, et en cela, ses commandes ne désemplissaient jamais. De quoi, autre bénéfice, éloigner ce crapaud squelettique qui lui servait de mari.

Cölinn Venör-Astributh savait jouer de ses charmes. La capture de Simonief Venör avait été d’une simplicité enfantine. Et il se trouvait qu’elle maniait ses atours depuis justement sa plus tendre enfance.

Jeune faune de vingt-huit ans, elle avait la grâce qui sied à celles de son espèce. Grande, fine, élancée, le regard de jade, et expérimentée, voilà qui comblait ceux qui désiraient en faire autant.

Ses cornes dépassaient à peine de sa chevelure, coiffée à la ryendülienne. Son pelage était d’une douceur inégalable chez le genre humain, mais qui nécessitait une attention constante. Cölinn était très à cheval sur ces questions-là. Elle l’était tout autant sur d’autres.

Non qu’elle était superficielle. Loin s’en faut.
Venör-Astributh savait quand il fallait faire la sage fille, écouter avec une attention faussée les grands de ce monde, les entendre discourir sur ce qu’ils n’avaient jamais étudié comme elle, et quand filer sur sa proie.

Que les hommes aimaient ses petits sabots !
Les pauvres femmes humaines pouvaient bien s’acharner à porter des talons, elles ne parviendraient jamais à pareilles courbes.

Ce n’était pas un jour où Cölinn devait briller plus que d’ordinaire. Le corsage, sophistiqué pour la plupart, n’avait pas à être exceptionnel. De même, la crinoline ne devait pas être volumineuse, le bal n’était pas pour ce soir.

Simple déjeuner, simple tenue. Encore que simplicité ne rimait par pour Cölinn avec spontanéité. C’était pensé.
Il y aurait tout de même Hanatol. Clémenz, aussi, mais lui était trop fidèle pour être une proie. Par ailleurs, elle le soupçonnait le juriste d’être un piètre amant.

Enfin, une épreuve à la fois. D’abord, le petit-déjeuner.
La robe de chambre conviendra. Elle verrait le reste après.

L’escalier de la demeure citadine évoquait le budget élevé du ménage. Spacieux, sans être monumental, décoré, mais sans ornements excessifs, il remplissait son office tout en laissant au visiteur le privilège d’apprécier les détails que Venör-Astributh avait méticuleusement placés.

L’art nouveau de la ferronnerie œuvrait à la réalisation de motifs élégants et discrets. Ci et là, des roses de cuivre, des abeilles de laiton ou encore du lierre de bronze oxydé. Rien à voir avec les vieux manoirs des nobles, poussiéreux, glacials et impropre à toute notion de confort.

Cölinn aimait à se sentir mécène avec les fonds de son époux. Et à le montrer.

Ici, on était bien.
Lui, oui, globalement aussi.
Elle, il lui fallait toujours quelque chose de plus.

-Hëmil, le café… il viendra à pied ?
-Sitôt levé, sitôt servi, madame. Puis-je vous recommander d’éviter le sucre ?
-Sitôt recommandé, vous êtes médecin ? Expliquez-vous. L’amertume n’est pas faîte pour s’entendre avec moi.
-Aucune prétention médicale de ma part. C’est qu’il a été importé des comptoirs de Cochichane, madame. Le sucre en abimerait l’arôme.
-Vous l’avez gouté ?
-Conformément à la qualité que monsieur votre époux attend de moi.
-Pas que lui, d’ailleurs. Et donc ?
-Madame, je vous le dis sans détours. Il n’est pas exquis. Il est é-tin-ce-lant.
-Hé bien servez. Á vos risques, néanmoins.
-Et ce sera de manière intrépide que je vous apporte de ce pas de quoi vous mettre en de bonnes dispositions pour cette belle matinée. Il fait très beau aujourd’hui, madame.

Hëmil eut sûrement fait un bon partenaire. Le temps d’un soir. Mais il était trop fidèle envers le maître de maison. C’eut été stupidement risqué.

Le désir, naturellement.
La prudence, évidemment.

En attendant, Cölinn pouvait jeter quelques regards discrets sur ses formes. La redingote pourpre lui allait à merveille. Dommage que celle-ci soit l’ancienne propriété de Simonief. Elle détestait cette vieille pratique consistant à vêtir les domestiques avec de l’usé.

Ils pouvaient bien s’en offrir de neuves avec le salaire reçu.

-Sied-t-il à madame ?

Qu’il attende un peu. Mâle impatient.
Moins amer, même pas du tout. Arômes variés. Senteurs orientales. Soupçons d’épices.
-Sans sucre, en effet. Mais vous m’apporterez un verre d’eau.
-Tiède ?
-Fraîche.
-Bien, madame.

Hëmil posa délicatement le plateau.
Il paraissait bien petit au vu de la table et de la salle à manger. Simonief était de la vieille école. Pour lui, le cœur de la maison devait être cette pièce.

Recevoir, toujours recevoir. Ah, et vanter. En témoignait l’immense portrait de sa personne.

« Mais qu’on me débarrasse de cette croûte, elle fait tellement 1497… »

Quand comprendrait-il que ce n’était pas lui qui était l’objet de tant de louanges ?  

Fine brioche, confiture de groseille, et pomme épluchée. Et ledit verre d’eau. Cela allait de soi.

Le quotidien « L’effervescence » avait été préalablement déposé et repassé. Hors de question que l’encre ne vient assombrir la pureté de ses mains.
Le journal était l’un des plus appréciés du pays, puisque ses chroniques intéressaient tant l’homme d’affaire que la femme au foyer. Encore que depuis peu, sa ligne éditoriale s’essayait à confondre ces genres.
Pour cause, Cölinn en était la journalise la plus en vogue.

« Ah, voilà. Pour une fois, la police est appropriée ! Enfin ! Et le cadre, c’est comme ça qu’on fait, bien disposé avec l’illustration ».

Á travers ce compliment intérieurement adressé à ses collègues, elle se félicitait surtout elle-même. Venör-Astributh les avait littéralement harcelés pour qu’ils effectuent ces changements, considérés comme mineurs.

« Et, messieurs, il vous faudra bien admettre que la vedette des lecteurs n’a pas de prostate. Sans regret, par ailleurs ».

-Monsieur votre époux a adressé une dépêche télégraphique, madame.
-Hum ?
-Il vous envoie ses meilleurs sentiments et espère que vous vous portez bien, précisa Hëmil en se penchant, espérant détourner Cölinn de sa lecture.
-Hum. Il attend une réponse ?
-Ce n’est pas précisé.
-Bon.

L’article qu’elle avait rédigé portait sur la tenue des ouvriers. Le bleu de travail s’était répandu en quelques mois dans la quasi-totalité des fabriques du Ryendül. Matière la moins chère à produire, elle ne manquerait pas d’entrer dans les mœurs.

La journaliste avait voulu dénoncer cette pratique, à peine née que déjà hégémonique.



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Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie Articl12



-Madame me permet-elle d’aller faire la chambre ?
-Faîtes Hëmil. Ah, et très bon le café. Vraiment. Et je vous en remercie.

C’était un peu inhabituel de sa part de faire montre d’une telle sympathie. Lire ses propres articles la rendait toujours de meilleure humeur.

-Je manque à tous mes devoirs, une cigarette, madame ?
-Monsieur Genaud, vous êtes le génie des petits déjeuners, acquiesça de plaisir la journaliste.

« Ah… que je ne puisse frotter sa lampe ».

La fumée bleutée emplissant petit à petit la pièce, Cölinn chassa ces idées. Elle s’en remit à sa lecture du matin.

Elle constatait que sa conception du journalisme, qu’elle ne dissociait pas de la conviction politique, ne faisait décidément pas l’unanimité au sein de la ligne éditoriale.
C’est ainsi qu’un de ses confrères, Haristide de Valeymöt, était un conservateur notoire. Son opposition farouche à l’extension du suffrage censitaire avait de quoi rendre folle de rage Cölinn.

« Le mâle n’existe-t-il qu’en état de domination ? Déjà que ça a été un miracle d’accorder le vote aux femmes, voilà qu’ils s’obstinent à ne pas l’étendre aux classes inférieures… ! »

Et quant à lui faire entendre quelque avis divergents des siens sur la légitimité du Triumvirat sur le continent, c’était peine perdu.
Le directeur avait beau lui répéter que c’était la diversité des opinions qui assurait au journal ses bons résultats, Venör-Astributh refusait le moindre compromis.
Non, mais, comment pouvait-il le laisser écrire une telle propagande ?



Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie Articl15



Le Triumvirat.
Les gouvernements avaient-ils déjà créé pareil ensemble ? Voué à lutter contre toute tentative de prise de pouvoir par les classes populaires, il étouffait la jeunesse des pays de Dran-Thelor. La Kistonie, pauvre petit pays de l'Est du continent, allait en subir la puissance. Ce jeune Empereur, ce Ferencz József, cet inconscient pétri de sentiments réactionnaires, était un danger permanent pour les amis de la liberté.

Le Vieux Monde ne connaîtrait pas une liberté semblable à celle qui existait au-delà de l’océan.
Pourtant, il n’y a pas si longtemps, il y avait goûté. Mais de maladresses en catastrophes, l’espoir démocratique s’était mû en une république dictatoriale. Celle-ci s’était encore transformée en un Empire, obsédé par la chose militaire. Le continent fut alors en guerre pendant plusieurs décennies, broyant par les armes ses jeunes jouets.

Cependant, pour ceux qui n’avaient pas connu cette période, la République, si ferme qu’elle eut été, demeurait bien meilleure que l’actuelle monarchie.

Certes, les libertés de pensées s’étaient développées sous l’égide des rois des Ryendüliens. Association, conscience, économie, et presse, bien sûr, étaient sortis du giron tout puissant de l’Etat. Mais qu’en était-il de la condition sociale ?
Les libertés publiques, comme la religion, n’étaient que du vent. Aussi longtemps que la question sociale resterait ignorée des politiques, la tyrannie demeurerait.

Tant qu’un misérable serait, Cölinn prendrait position contre le gouvernement et sa pensée rétrograde.
Elle clamait haut et fort son affiliation républicaine.
Ce qui la mettait autant en avant qu’elle était en danger.

Écrasant son mégot dans le cendrier, Cölinn reprit du café. Elle passa à un autre article, chantonnant un air qui l’enjouait.  


« Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs.
La terre n’appartient qu’aux hommes.
L'oisif ira loger ailleurs. »


Dernière édition par Anton Ludenhof le Sam 14 Nov 2015 - 16:30, édité 3 fois

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Sam 14 Nov 2015 - 12:18
Encore une fois un excellent texte, cette fois une présentation d'une femme moderne et intelligente, qui à travers sa condition de journaliste nous permet d'avoir un aperçu du monde dans lequel ton histoire se déroule.

Sans compter sa race. C'est une faune, une race dont on parle peu sur ce forum, ce qui rend ce choix intéressant.

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Sam 14 Nov 2015 - 12:30
un lecteur de plus!

je dois dire que d'habitude, je n'aime pas trop les récits dans des ambiances mi modernes-mi fantastiques, mais là, je suis harponné! les elfes et les faunes s'intègrent parfaitement à ton univers

j'attends la suite avec impatience

PS: l'idée de mettre des images et les articles comme ça est vraiment bonne, continue-là

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Ethgrì-Wyrda, Capitaine de Cythral, membre du clan Du Datia Yawe, archer d'Athel Loren, comte non-vampire, maitre en récits inachevés, amoureux à plein temps, poète quand ça lui prend, surnommé le chasseur de noms, le tueur de chimères, le bouffeur de salades, maitre espion du conseil de la forêt, la loutre-papillon…
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Mer 18 Nov 2015 - 22:35
Ça vous a plu ? Comtes Vampires, faîtes du bruiiiiiiit !!! Clap





Chapitre IV : Le hussard des faubourgs


Séphräl.
Elle n’était la capitale que depuis deux siècles. Fruit du délire ambitieux du roi Luÿs XVII, elle devait être la vitrine d’un pays ouvert et acquis aux forces du progrès.  

Ville moderne parmi les modernes du continent, Séphräl avait été conçu précisément pour accorder palais gouvernementaux et usines industrielles. C’était ainsi que son centre était un noyau de rutilances entouré de grandes cheminées, d’où sortaient continuellement une fumée noire et des ouvriers avides de boissons. Par chance, située sur le littoral de la Vërneil, le vent marin poussait cette pollution vers les terres intérieures, préservant la splendeur des grandes demeures. Evidemment, au détriment des banlieues.  

Fondée dans un but strictement politique, afin d’en finir avec les indépendances régionales du royaume, elle avait cependant échoué.

Le Ryendül n’était encore aujourd’hui qu’un conglomérat de petits États, aux identités bien marquées. La monarchie s’était essayer à les rassembler, la République et l’Empire y étaient parvenus par la force, mais ce ne fut que pour un temps.

Cités-états, duchés et comtés, certains s’arrogeant même le titre de royaume, elles entretenaient leurs identités propres. Il en allait de leur survie.

La tendance politique allait clairement vers un regroupement. Le mot de « nation » était de plus en plus employé, pour le grand malheur de ces petites entités fédérées. La situation semblait toutefois figée.  

Preuve en était le propre titre de Pherdinant-Héric de Milnn, roi des Ryendüliens. Et non pas roi du Ryendül. La distinction était significative. La branche royale cadette avait été appelée par le peuple à prendre le pouvoir suite au désastre impérial, mais les souverainetés locales n’avaient pas fait montre d’autant d’enthousiasme.

Un titre de compromis pour un pays de compromis. Une expression géographique, comme certains se plaisaient à dire en ricanant.

Là où le dessein politique Séphräl n’avait pu aboutir, elle s’en alla trouver sa prospérité ailleurs.

De tout le continent de Dran-Thelor, c’était la première scène artistique. Et pour cause, toute la diversité sociale du Ryendül y était concentrée. Au sein de la cité-état, les citadins se confondaient, qu’ils soient humains, orcs, elfes, nains, ou encore faunes. Les particularismes régionaux s’estompaient, ou mieux encore, rejaillissaient, mais sous une forme artistique unique en son genre.

Académisme, oui, mais pas uniquement. Monarque mécène, Pherdinant-Héric encourageait tout autant le théâtre que la sculpture, et se montrait toujours curieux envers les nouvelles expressions artistiques. Promoteur de son pays, il avait même commandé un opéra chanté en ryendülien, là où tous les compositeurs s’accordaient à dire que l’eltörrand était bien plus approprié.

Le suzerain avait bien compris que l’unité de son pays ne se ferait pas qu’à grands coups de décrets. L’élan artistique n’était qu’un signe, parmi tant d’autres, de l’ébullition culturelle de son pays. Sa dynastie était encore assez fragile dans l’opinion. C’était un levier à sa portée afin de la rendre encore un peu plus légitime.

Mais pareille ébullition avait ses travers.
Nationalisme, xénophobie, démagogie, anticléricalisme, parmi tant d’autres, s’exprimaient aussi. Même le choléra avait son mot à dire. Or, précisément, la famille de Milnn fondait son pouvoir sur la concorde nationale, et non pas la lutte interne. Quoiqu’il était tout de même politiquement très avantageux de faire un écart à la règle. Le roi s’y était déjà laissé tenter.

Les Séphrälais étaient une communauté de quartiers, de ruelles et de faubourgs. Le vrai mélange culturel avait lieu dans ces rues, ces rues populaires où les affaires du quotidien prévalaient sur les appartenances ethniques ou régionales.

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Au sein des palais, ou même au sein des églises, ce principe n’était que de façade. Et dans les grandes collectivités ouvrières, la crainte du chômage poussait la majorité humaine à mépriser les minorités, considérées comme étrangères et avides de prendre ce qui ne leur appartenait pas.

Les tensions n’étaient pas seulement horizontales, elles étaient aussi de violemment verticales. La richesse, la possession, la propriété, le capital, les nantis autant d’oriflammes qui enflammaient. Pas seulement les cœurs. Les émeutes étaient toujours accompagnées d’incendiaires.

Bien que ces tensions existassent aussi dans les quartiers populaires à l’aisance relative, l’ambiance y était plus détendue. Au carrefour de ces diversités et de ces regards, le commerce s’y faisait. Le temps d’une course, on oubliait celui que l’on méprisait, et à l’occasion d’un bal citadin, on rêvait à croire qu’il n’y avait pas tant de différences. Ou que s’il y en avait, c’était dû au mérite de tout un chacun.

Ici, les gens se saluaient comme ils dansaient. Même le curé se montrait conciliant, il lui suffisait de détourner le regard, tout sourire à la nouvelle vue qui s’offrait à lui. Quant au bourgeois, il était accueilli à bras ouverts dans quelques maisons closes, et le patron d’une brasserie présentait bien volontiers la chopine tout juste nettoyée au machiniste exténué.
Tous deux venaient pour remplir autant que pour vider.

La colère était de ces sentiments qui usaient. Et sans renoncer à leurs revendications, il était simplement bon de rire à l’occasion d’un évènement. Partager la joie, lisser les différences, oublier la journée et ne pas songer au lendemain, voilà de quoi étaient capables les faubourgs de Séphräl.

Ces deux rives sociales trouvaient avant tout leur reflet dans le fleuve estudiantin.
Bouillonnant d’idées et turbulent de ferveurs aussi diverses les unes que les autres, c’étaient là les héritiers, les premiers, de cette multitude d’époques qu’avait traversé le Ryendül.

Et ça se saluait en appelant « camarade » celui qui arborait la dernière montre à gousset à la mode.
Et ça dissertait sur la condition ouvrière, sans jamais s’être noircie la gorge.
Et ça discourait sur l’épopée républicaine, tout en reconnaissant les mérites du parlementarisme actuel.
Et ça remplissait les pintes au nom du progrès technique, et trinquait au maintien des traditions.
Le tout finissant dans quelques bras, intéressés ou amicaux, en formulant une dernière opinion sur le roi.

Impétueux, inconscients, et si braves, les étudiants étaient une menace permanente pour l’Etat. La jeunesse était prête à tout pour satisfaire à ses idéaux romantiques, quels qu’ils eussent été.

Les habitants se passaient des ouvrages clandestins, placardaient des affiches avant de les voir arrachées par la police, et surtout, ils murmuraient constamment. Les tracas restaient par chance leur principale occupation, mais le gouvernement en place était aux abois.

Peu importait sa couleur politique, il veillait à ce que le fleuve ne déborde pas. Le ministre de la guerre, Izidor Thenraënis, ne disait-il pas : « L’école doit être l’antichambre de la caserne ! » ?

C’est pourquoi étaient indissociables de ces quartiers de fortune les agents de police. Malgré les débats agités au sein de la Diète parlementaire, la peine de mort en matière politique existait toujours. Malheur à l’occiput de celui qui diffusait des idées controversées. Mais pour interpeller, fallait-il encore repérer. Ainsi, en uniforme ou sans, les yeux épiaient derrière les journaux conservateurs et sous des bicornes aussi larges que des moustaches.

Personne n’ignorait que les changements politiques du pays avaient été initiés par Séphräl.

Le cordonnier ? Son fils était un ancien émeutier, soi-disant repenti.
L’épicière ? Une informatrice de la préfecture.

Et il y avait tous les autres. Tous ceux-là, les indécis et les opportuns, gravitant autour de ce tourbillon de passions. Désignés et condamnés de part et d’autre, c’était bien eux qui représentaient la majorité, celle-là seule qui pouvait tout faire basculer.

Celui ou celle qui suivait le tricolore républicain, le lion impérial ou la rose monarchiste, était bien souvent motivé par d’autres raisons que la conviction. Á ces trois entités étaient associées respectivement le pain, la guerre ou bien la paix.  Tout dépendait alors de l’opinion.

Ces quartiers respiraient la vie, avec ce qu’elle avait d’opportunisme autant que de romantisme.
Il y avait quelque chose de sentimental à marcher sur ses pavés mal taillés au pied des murs où des affiches partisanes venaient fraîchement d’être collées. Ici, les gens n’étaient pas uniquement préoccupés par leurs tâches quotidiennes.

C’était jour de marché.

-Pataaaaaaates du Nouveau-Monde ! Hé, madame, je vous fais un prix ! 'devez pas hésiter à ce prix là !
-La Kistonie orientale en sursis ! Demandez l’ "Effervescence" !
-Touuuuutes dernières places, ce soir, on joue « Le Funambule » ! Toutes touuutes dernières places !
-Par ici les aubergines, c’est par ici les bonnes aubergines, oui môsieur, de la qualité, pour sûr. Allez, allez, promotion, promotion ! ‘en aura pas pour tout le monde !

Malgré tout, malgré tout ce qui pouvait les tracasser et les faire appréhender le lendemain, les chapeaux se baissaient et les mains se serraient. La vie des affaires.

Ce sentiment que finalement, peu importait le dessein, tant qu’on restait unis dans une idée commune. Une idée simple, qui avait par ailleurs fait l’objet d’un préambule constitutionnel entier au-delà de l’océan. La poursuite du bonheur.

Flottait dans l’air comme un parfum de cocarde, aux senteurs tout à la fois émouvantes et utopiques.
Et Hanatol Karleiln adorait ces ruelles.

Il était capitaine de cavalerie. Un grade somme toute assez commun. Certes, toujours remarquable, mais guère exceptionnel. Á ceci près que rares étaient les officiers aussi élégants. Et beau garçon avec ça.

Athlète, sa figure marquait toutes les jeunes filles. Sa petite moustache faisait toujours sensation. Et son sourire les faisait fondre.

Il était ravi d’être de retour.

-Hé ! Général, j’ai la bague qui faut pour votre fiancée !
-Faut-il encore que je la trouve !
-Ho, mais mon cousin, il a ça en stock !

Karleiln déclina au détour d’un sourire complice.

Le cavalier avait beau avoir passé son enfance dans une grande propriété agricole, sur le territoire du duché de Bërnz, il se sentait ici chez lui.

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Hanatol Karleiln.


Originaire de Preuß, royaume en devenir encore sous l’égide de l’Empire d’Elösterriche, son enfance avait été parcourue de regards méfiants et de commentaires peu flatteurs à cet égard.

Son nom était connoté d’une ombre aristocratique, étrangère qui plus est. Ses parents avaient fuis Votsdam pour s’établir ici, une terre qui affirmait alors les mêmes valeurs que les leurs. Ils participèrent avec succès à faire prospérer les environs que l’Empereur ryendülien de jadis leur avait confié. Leur duché fut rapidement marqué par une certaine prospérité économique. Il n’était pas inexact de dire qu’Imré Karleiln avait importé l’idée d’exportation des productions viticoles régionales. Il avait tenté d’initier son fils cadet à l’œnologie, sans y parvenir toutefois. Il n’avait d’yeux que pour le prestige militaire.

Néanmoins, tous ces efforts n’effaçaient pas leurs origines. Ils n’avaient en rien renoncé à leur fierté familiale.  Pourquoi auraient-ils eu honte de leurs hauts faits militaires, même si ce fut parfois contre le Ryendül ?

En définitive, la lignée des Karleiln restait fidèle à elle-même. Recevoir et servir en retour, c’était une chose, mais renoncer à leur fierté, impossible. Ils demeuraient profondément preussais.  

Ils avaient leur fierté. Ce n’était pas à eux d’avoir honte. L’autocrate d’Elösterriche devait assurément présenter des excuses pour les actes commis par son oncle contre la Preuß. Mais cela ne risquait guère d’arriver.  Il reprenait à son compte une politique sensiblement similaire à celle exercée par son prédécesseur.

Malgré cet héritage qu’il chérissait volontiers, Hanatol se sentait sincèrement faire partie du pays qui leur avait donné l’asile politique.

Il redoutait ces moments où ses collègues l’appelaient par son rang, les priant intérieurement de ne pas ajouter son nom de famille. Les regards suspects finissaient par l’agacer à la longue.

Et en même temps, Karleiln jouait bien volontiers sur ses origines. Les jolies filles étaient folles de son accent. Les charmantes sirènes de Séphräl constituaient un argument de poids pour un patriote tel que lui. Qu’importait l’accent dans ces moments là.  

D’ailleurs, il ne pouvait pas s’exprimer entièrement sans employer des mots eldörrands. Pour sa défense, sa famille ne s’exprimait pas en d’autres langues, sinon avec ceux qui y étaient extérieurs. Et de surcroît, le ryendülais était une langue aux consonances difficiles pour ceux qui n’y étaient pas bercés depuis leur plus tendre enfance.

Sauf pour sa sœur. Lisbeth avait toujours eu un don en la matière. Entres autres choses.

Soit, si Hanatol ne pouvait en avoir la langue, il en aurait le sabre. Et il était fier d’avoir versé son sang pour le royaume. Á défaut d’avoir pu le faire pour l’Empire du Ryendül.

Hussard de cavalerie, Karleiln méritait bien de revêtir le dolman gris souligné de fines lignes d’argent et la pelisse blanche à l’épaule. Appartenir à la sixième compagnie des hussards séphrälais était un honneur rare, surtout pour un étranger.

Et ce sabre qui scintillait sur le flanc de sa jument alezane n’était pas que d’apparat.

Á vingt-six ans, il avait déjà été de plusieurs campagnes coloniales. Certes, ces conquêtes n’avaient pas le prestige des guerres d’autrefois, mais demeuraient des périls desquels seuls les plus intrépides pouvaient être auréolés de gloire.

Le capitaine était de ceux-là.
Et pourtant, malgré son regard qui en disait long sur ce qu’il avait traversé en Cochichane, en Tabylagne ou encore au Mésoporique, il se dégageait de lui une fraîcheur à la fois juvénile et naïve.

Il ne considérait pas que son uniforme, et le respect singulier qui y était attaché, comme une forme de distance. Au contraire, si Hanatol devait définir ses fonctions, il emploierait volontiers des termes comme « patriotisme », « devoir » ou encore « secours ».

Ce qu’avaient rechigné à faire ses parents, lui, l’accomplirait. Nul ne contestera plus jamais la cause qui était la sienne. Celle du Ryendül. Qu’il ne parvenait guère à distinguer de la cause impériale.

Le café Doymier.
Un des nombreux bistrots des environs.

Célèbre pour ses tares flambées de l’est, il l’était tout autant pour ses vins. Parmi lesquels, cela allait de soi, ceux de son domaine de Bërnz. Ce n’était pas vraiment l’établissement le plus prisé de l’endroit. Pour cause, ses tarifs étaient plutôt élevés, sans doute en raison de la qualité de sa prestation. On y retrouvait ainsi surtout la petite bourgeoisie. Parmi lesquels, bien sûr, se trouvaient  des étudiants fauchés qui retrouvaient leurs parents salvateurs ou encore des officiers en âge s’essayant à la séduction de quelque jolie demoiselle choisies, entre autres, pour leur idiotie apparente. La facilité avait du bon.

Le gérant se trouvait à l’extérieur, croisant les bras, guettant le tout-venant. Il parvenait encore avec à faire le tour de son ventre. Quand il apercevait une connaissance ou un client potentiel, Gaston Doymier ne pouvait pas s’empêcher de l’aborder avec familiarité. Il était ainsi surprenant qu’il fut à la tête de cet établissement d’une certaine notoriété.

Et voilà justement quelqu’un qui lui était familier.

-Ha ! Monsieur le capitaine ! Fait bien plaisr d’vous r’voir tiens donc !
-Danke sehr Gaston, ravi de vous revoir, aussi. Et Charlïhn ? Elle se porte bien ?
-Herr Kapitän, hein, comme ça qu’on dit ? que oui qu’elle se porte bien ! Figurez-vous qu’elle va m’rendre papy !
-Oh ? ne sut trop quoi répondre Hanatol, déjà interpellé par le très mauvais accent de son interlocuteur.
-Hé, pardi ! C’est que ça grandit… bah, elle a trouvé quelqu’un qu’est pas si mal. ‘vous le présenterez à l’occasion !
-Mais très volontiers, je suis sûr qu’il doit bien prendre soin d’elle, comme elle le mérite.
-Q’vous dites ! Elle a le bidon qui passe plus la porte ! Faudra ‘tôt abattre un mur ! Et donc, vous reven… Hé ! Duschock, t’as l’intention de débarrasser monsieur Karleiln ?

Doymier s’adressait à un enfant, à la peau tannée. Hanatol en avait vu des centaines comme lui en Tabylagne. Mais c’était somme toute assez courant de les voir occuper de petits boulots en métropole.
Mettant pied à terre, il lui tendit poliment les rênes.

-Tu prendras bien soin de Saphyr ?
-Bien sûr, sadiq, bien sûr, répondit le garçon, s’empressant d’amener le magnifique destrier aux écuries attenantes au bistrot.
-Haaa ! Capitaine, vous n’avez pas idée d’tous les tracas que j’ai avec celui-là. Combien d’fois je t’ai dit de ne pas appeler le client avec tes mots de par chez toi, là ? Hein ?! Ici, on parle ryendülais ! On est pas à Beb al Oueb  ou je ne sais où, hein !

Hanatol se sentit mal à l’aise. La réprimande lui paraissait un tantinet sévère. Il se sentit obligé d’intervenir.

-Vous savez, cela me rappelle les belles heures du bivouac. Le gamin à l’œil. Saphyr est une jument arabéenne. Kein Problem, wirklich.
-Hum ? Ah, « pas de problème » ? Oui, oui, boh, ‘savez, je le gronde, mais c’est pour son bien. Hé ! Si je le paye que le quart d’un employé adulte, c’est parce qu’on attend de moi que je le forme au métier.
-Je me doute.
-Pour le coup, ces messieurs-dames du Parlement, ‘ont fait une bonne loi. J’aime bien l’idée, fit part le gérant, tout fier de sa philanthropie affichée.

Il y eu un instant de silence.  

-Oh, mais… bien sûr, où que j’ai la tête !
-Sûrement sur vos épaules ?
-Ça, j’aimerais ! D’jà que j’ai plus de cou ! Mais j’ai gagné un aut’ menton au change, vous m’direz ! Y’a votre sœur et son fiancé ! V’nez, v’nez, je vous conduis à eux.
-Toujours en avance décidément… !
-Ou vous en r’tard ?
-Nicht unmöglich.  
-Allez, s’vez-moi !

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Mer 18 Nov 2015 - 23:13
Encore un très bon texte. Je sais, je me répète, mais à chaque fois je me sens emporté dans ton univers délicieusement victorien (et peut-être steampunk, c'est assez dur à dire pour le moment).

Par contre, j'aurais une question sur ton univers. La cité de Séphräl, qui est décrite dans ce chapitre, tu la décrit comme une "cité état" à un moment, puis comme une capitale à un autre. Ça me semble un peu contradictoire non ?

EDIT : nom de la ville corrigé Blushing . Et oui, Sephraël c'est joli, je suis d'accord Sun glasses .


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Mer 18 Nov 2015 - 23:25
Ah, c'est joli Séphräel ! Mais c'est Séphräl Sourire

Merci beaucoup pour tous tes encouragements Love

Code:
Par contre, j'aurais une question sur ton univers. La cité de Séphraël, qui est décrite dans ce chapitre, tu la décrit comme une "cité état" à un moment, puis comme une capitale à un autre. Ça me semble un peu contradictoire non ?

Comme l'est Vienne ou encore Berlin Happy
Karl Franz est par exemple Comte Electeur du Reikland et Prince d'Altdorf. Les deux entités se distinguent subtilement Smile
Hoooo, le vil indice sur la situation politique !

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Sam 21 Nov 2015 - 22:04
Unglaublich ! Wunderschon !

Je ne peux que ressentir ma propre surprise à l'idée qu'il n'y a pas besoin d'intrigue directement envoyée pour suivre cette histoire. La qualité de la narration est telle que, comme le dit Arca, nous sommes emportés dans cet univers si particulier, à la fois distant et familier, rempli de clins d'oeil tout en affichant une apparence lisse et harmonieuse.
De plus, je ne peux que souligner la richesse du vocabulaire employé. Sans être un inconvénient, ce texte me semble plus difficile que la moyenne. Il demande de vastes connaissances, une certaine curiosité pour notre propre monde, tant dans le domaine politique que dans le domaine historique ou artistique. C'est pourquoi, quand il rencontre le bon public, il ne peut qu'être unanimement salué ! Tu manies des sujets subtils, reflétant la complexité de notre société, et tu le fais avec un brio que je ne peux qu'admirer ! Bravo et encore bravo !

Ton lien est intéressant. Peut-être vais-je m'inscrire au site.
(mes propres textes manquent de critiques... Sans en être frustré, j'ai envie de connaitre mes propres lacunes Rolleyes )

Un, deux, trois, LA SUITE ! Sourire
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Lun 23 Nov 2015 - 9:41
*Machouare qui tombe bis* Sourire
Ça, c'est du commentaire qui motive !

Disons que, je m'applique à essayer de retranscrire (encore que je modifie quelques trucs) au mieux la situation qui caractérisait l'Europe dans les années 1840'  Smile

Oh, flûte, j'ai laissé le lien à la fin du passage ! C'était pas voulu Gniié !
Mais oui, je t'invite vraiment sur ce forum, qui bouge énormément (peut-être même trop, y'a des arrivées tous les jours).
Pas mal d'activités, ateliers et concours, vraiment, c'est une belle opportunité ! (et tu me compteras dans tes lecteurs, sois en sûr !).

Je vous donne donc proprement le lien de ce forum (mais qu'il ne dépeuple pas les récits de notre forum, hein ! c'est un plus, rien d'autre ! Tongue ) => http://jeunesecrivains.superforum.fr/

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Jeu 26 Nov 2015 - 22:45
Chapitre V : Vaillantes retrouvailles



Il y avait déjà du monde.
Les serveurs s’activaient de toutes parts. Derrière le comptoir, les vétérans à la grise mine surveillaient du coin de l’œil les nouveaux, guettant l’instant où l’assiette chuterait. Cela allait inexorablement arriver, tôt ou tard. Et il le savait très bien. Même le pianiste le savait.

Les portes des cuisines ne cessaient de claquer. Le rythme avait beau être intense, il était somme toute assez commun. C’était seulement ainsi que la sueur des stagiaires finirait par devenir rides. Mais en attendant, il leur fallait se faufiler, des assiettes plein les bras, tout en restant d’une impeccable courtoisie. Ce dernier point relevait de l’exploit.

Et il n’était pas encore treize heures.

-Une fricassée, table 12 ! On s’active là-dedans !
-Bonjour monsieur Karleiln, un plaisir de vous retr… hé ! Qui a pris la panière à pains ?!
-Hep ! Garçon ! Le petit frère qui va bien !
-Excusez monsieur… merci monsieur… désolé monsieur… tout de suite monsieur…
-Elle est où cette panière ?!
-C’par ici, monsieur Karleiln, j’vous ai trouvé une bien bonne place !

Le café Doymier se vantait d’avoir des produits régionaux. Ci et là, des tableaux représentaient différents paysages de circonstance. De quoi, justement, dépayser le séphrälais. Pour Hanatol, il s’agissait le plus souvent de caricatures que de véritables peintures. Il doutait sérieusement qu’un seul fut réalisé devant les dunes de Bërnz. Les plages n’étaient pas jaunes, mais bien blanches. Et il était prêt à parier qu’il en était de même pour les autres tableaux.

Mais les clients ne venaient pas pour admirer ces croûtes. Les menus étaient composés afin de représenter la variété des cultures du Ryendül. Ce n’était pas évident de se procurer des herbes du Verhïl, car elles se desséchaient très vite. De même, importer du bœuf du Gerfürt exigeait certaines finances. Les prix sur la carte s’en ressentaient.

-Hanatol !

Lisbeth était radieuse.
Peut-être un peu pâle, mais rien d’inhabituel. Elle avait toujours eu le teint très clair. Aussi blond de cheveux que lui, les mêmes yeux d’azur, ses lunettes lui donnaient un air sérieux. Rondelette comme son fiancé, la comptable de la compagnie Drehnz avait l’apparence d’une poupée, mais le regard d’une lionne. D’un fort caractère, Lisbeth avait la dispute facile. Heureusement pour elle, et elle s’en rendait bien compte, Clémenz était d’un naturel diplomate.

-Ha ! Was für eine Schönheit ! Wie geht’s es dir ? s’empressa de dire le capitaine, serrant sa sœur dans ses bras.
-Viele Dinge zu dir ankündigen.
-Hum, hum, il y en a qui ne parle pas elösterrand ici, vous savez ?
-Clémenz, c’est bon de te voir !
-Réciproque, Hanatol, c’est réciproque.
-J’vous laisse r’garder les menus, hum,  faîtes le signe.
-Hé ! Sur le lac !
-Hum ?
-Ne faîtes pas attention… c’est son jour de congé… répondit Lisbeth, un peu gênée.

Clémenz Methronis souriait plus que d’ordinaire, en témoignait son calembour quelque minable. Il en avait presque l’air un peu bête. Ce n’était pas le retour du beau-frère prodigue qui les rendait tous deux si euphoriques, si ?

Le sous-secrétaire avait sorti son habit bleu marine du dimanche. Élégant, sans être dandy, il avait déjà l’allure d’un père de famille. Le bidon aussi.

Ils s’installèrent à table. La réservation ayant été faîte quelques jours auparavant, ils avaient eu droit à l’une des plus confortables. Proche du feu de la cheminée, assez proche de la fenêtre, c’était leur place fétiche. Karleiln remarqua que sa sœur et son fiancé commençaient à avoir leurs habitudes de couple. Ce qui ne manqua pas de faire sourire ce célibataire endurci.

-Alors ? Comptable ? Pour de bon ?
-Pour de bon.
-C’est ce que tu voulais ? Comment es ton patron ? Et c’est pas trop loin de chez vous ? Bien payé, au moins ?
-Hé ! Langsam !
-Tu es fiancée à un avocat, tu peux répondre à pleins de questions en même temps, non ?
-Hum, ex-avocat. Tu sais que je travaille pour le Ministère de la justice, maintenant.
-Ah ? J’y viens tout de suite après. Réponds moi, toi !
-Oui, c’est ce que je voulais, oui le directeur est très agréable, non ce n’est pas trop loin de chez nous, et…
-‘même temps, on a choisi l’appartement pour ça, petite biboue. Résultat des courses, c’est bibi qui est loin de mon travail…
-Et oui, c’est plutôt bien payé. Surtout que je ne finis pas trop tard. Non, vraiment, je suis contente, continua Lisbeth sans prêter attention aux remarques de son fiancé.
-Et c’est quoi les choses à m’annoncer ?
-On attend encore quelqu’un avant, répondit Methronis, faisant mine de regarder les plats du jour.
-Qui ça ?
-Allons.
-Tu sais très bien.
-Non… Père se joindrait à nous ?
-Ha ! Le jour où j’aurais les moyens de dîner à la table du Fürst !
-Ne dis pas ça Clémenz, papa t’apprécie beaucoup, tu le sais, non ?
-Oui, bien sûr bibounette. Hanatol, tu sais ce que ton père m’a balancé quand je lui ai dit que j’allais entrer au Ministère ?
-Oui, j’imagine. Il est un tantinet agacé par le gouvernement en place… qu’est-ce qu’il t’a dit ?
-J’en sais rien, justement, je te demande, c’était en eldörrand. Et ma chère et tendre refuse de me traduire !
-Il ne vaut mieux pas, ajouta Lisbeth, en regard son frère en souriant et en serrant la main de son fiancé. Il t’a fallu une semaine pour te remettre de sa réponse quand tu lui avais annoncé ton intention de m’épouser.
-Hé, tu as tout de même réussi ! Tu es meilleur plaideur que tu ne le penses, Clémenz.
-Hum. Moui. La dote que j’ai dû débourser a été de circonstance.
-C’était pas siiiii énorme.
-Ho ! À peine tiens donc, me voilà endetté sur cinq ans !
-La faute à ton patron, il ne te rémunère pas assez, voilà tout !
-On a pas à se plaindre de ce côté-là, les fonctionnaires de justice sont bien payés, sûrement pour les empêcher d’être tenté par quelque approche politique… hein, bibounet ?
-Tu vois, mon cher Hanatol, je bosse pour ton père et c’est ta sœur qui fait les comptes. Et toi, tu dépenses ? lança en riant Clémenz. ‘reusement, les cochons d’inde, eux, ne me demandent que mon amour !
-Ha non ! Tu ne vas pas commencer avec tes bestioles !
-C’est pas vrai ça ! s’il faut, Hanatol attend des nouvelles de Hiero et de Graou !
-De… ?
-Ses deux cochons d’inde. Je jure devant Dieu que si jamais je tiens celui qui te les offert, toi qui est accroc de ces boules de poils débiles, je les lui sers à table !
-Hé ! Mais… sont trop mimis… bibounette !

Un petit silence s’ensuivit. Hanatol eut beaucoup de mal à se retenir de rire. Ces deux-là étaient impayables.

Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie Lar8_b10
Le café Doymier

-Bon, moi, ça sera les asperges et… bon allez, non, tête de veau.
-La tête de veau ? interrogea Hanatol, vérifiant encore le prix du plat.
-Oui, tête de veau. Quand je suis content, en faisant abstraction des menaces qui pèsent sur mes petits protégés, c’est tête de veau. Et toi, bibounette ?
-Guère d’humeur encéphalobovinesque…
-Pourtant, elle est excellente ici.
-C’est toi qui invite ?
-Techniquement, si nous n’étions que nous trois, je présumerais que oui. Là, quatre, ça ferait beaucoup. Mais je paye pour toi, petite chérie.  
-Hum, je travaille, tu le sais ? Je peux aussi payer.
-Oui, mais on a été clairs là-dessus, je paye la dote, tu payes le loyer. Va commencer à aller maintenant, hein, ces bibous bancaires.
-On en reparle peut-être plus tard ?
-Non, non, chérie. Je sais que tu travailles très dur, et si ton père adoré a exigé de moi un effort pécuniaire, ce n’est que pour mieux te mériter, répondit Methronis, avec un sourire conciliateur.

Un autre silence. Moins gênant que prospectif.
Lisbeth lança un regard suspicieux à l’endroit de son époux qui continua à lui sourire. Elle se plongea dans la lecture de la carte.
Hanatol, quant à lui, en fit autant. Il prendrait sûrement comme à chaque fois. Encore que…

-Bon, et dites-moi, répondez moi, qui nous rejoint ?
-Notre déontologiquement admirable journaliste !
-Cölinn ?
-Tu en connais d’autres, liebe bruder ?
-Très chère sœur, j’ai connu des tas et des tas de femmes, parmi elles, des journalistes d’envergure.
-On ne parle pas de l’Envergure, mais de l’Effervescence ! c’est un autre journal, ça ! s’empressa d’ajouter le sous-secrétaire, trop heureux de faire un jeu de mot.
-Ça suffit, on a dit que tu arrêtais avec tes calembours !
-Mais… Hanatol, ça lui a plu.
-Non, ça ne lui a pas plu. N’est-ce pas ? lança Lisbeth, sur un ton qui ne laissait pas de place à la contradiction.
-Pas vrai ça… on est dimanche midi, et je ne peux pas faire mon calembour de la semaine ?
-C’est gênant. En public surtout.
-Oh, et puis hein… bon, les entrées… on boit quelque chose ?
-Peut-être attendre Cölinn, non ?
-Bien longtemps que je ne l’ai pas revu… pourquoi tu dis « admirablement déontologique » ?
-Parce que cette mégère a eu le bon goût de demander une entrevue anonyme avec des membres de la compagnie pour laquelle je travaille. Et trois jours après, hop, le nom de celle-ci apparait en gros titres !
-Allons, l’article n’était pas offensant, biboue.
-Qu’importe, anonyme, c’est anonyme. Si je la tiens, elle va m’entendre.
-Cela fera trois mois je pense que je ne l’ai pas revu…
-Comment ça trois mois ? La dernière fois que tu étais à Séphräl remonte à six mois.
-Chère frangine, tu n’ignores pas que son richissime époux…
-… qui a nettement moins galéré que moi à payer cette fichue dote…
-… a plusieurs comptoirs, notamment en Cochichane. Or, où était précisément ton frère adoré pendant tout ce temps ?
-Et elle s’y est rendue ?
-Mais oui, bibounette, je te l’ai dit. Pendant ce temps, nous étions en pleine recherche d’un appartement.

Gaston Doymier réapparut. Il avait enfilé un tablier bordeaux et avait un torchon à carreaux sur l’épaule. Sûrement pour être plus crédible. Tous remarquèrent qu’il n’avait pas besoin de notes pour prendre les commandes.  

-Bon, alors, ces messieurs, madame, ‘vont bien boire quelques bonnes bouteilles en attendant leurs amitiés ?
-Hanatol ?
-Toi qui t’y connais, beau-frangin. Futur beau-frangin, pardon. Reste à faire, sœurette, lança-t-il avec un clin d’œil complice.
-On ne va pas prendre un apéritif, il est quoi ? Treize heures et quart ! fit remarquer Clémenz en sortant sa montre à gousset. Oui, enfin, même temps, je ne sais même pas pourquoi je regarde l’heure, les apéritifs c’est le soir.
-‘pourriez aussi commencer par du bon vin ? J’dis ça.
-Sauf qu’il me faudrait connaître ce que mes chers amis et chérie voudraient prendre au déjeuner. Imaginez qu’ils prennent le poisson. ‘peux pas assumer pareille responsabilité.
-J’comprends. Du coup, j’prends les commandes ‘vec ?
-Alors pour moi, le menu du jour, me convient très bien.
-Parfait madame. ‘disons donc le tourteau effiloché et l’chevreuil sauce grand veneur. L’meilleur de la ville. M’en dirait des flatteries. Capitaine ?
-Hmmm… m’a l’air bien aussi.
-Deux… verdict, cher maître ?
-En ce cas, vin rouge. Il vous reste un dominiant 2478 ?
-J’crois que oui. Oui, oui, j’en ai vu hier matin. Hé, Edmond, ‘nous reste des dominiants ? s’écria le patron à un de ses serveurs.

Un d’eux, plutôt jeune, répondit tout en continuant de prendre les manteaux d’une table.

-2478 ou 2474, patron ?
-2478, te dis-je !
-Il en reste trois, patron !

Se retournant vers Methronis, Gaston répéta machinalement :
-L’en reste trois, cher maître.
-Alors, on est bon.
-Et tête de veau, j’présume ?
-Tête de veau.
-‘vous ramène ça illico-presto !

Doymier s’inclina et s’éloigna, vociférant un tas d’instructions à ses employés. Le fait qu’il vienne personnellement assurer le service plaçaient les trois clients parmi ses favoris.

-Vous m’excusez ? fit Lisbeth, en se retirant.
-Pas de souci, biboune.

Clémenz et Hanatol se retrouvèrent seuls.
Ce n’était pas la première fois, mais Methronis appréhendait toujours ces moments. Son futur beau-frère était un peu trop proche du Fürst à son goût. Comme si c’était son sbire. Pourtant, il savait qu’il avait pris ses distances à son égard. Son engagement dans l’armée royale avait eu de quoi fâcher quelque peu le paternel. Mais peut-être que ce qui l’embêtait avant tout, c’était qu’il n’ignorait pas l’obédience impériale qui caractérisait le hussard. Il lui fallait donc choisir ses sujets de conversation avec minutie.  

-La Cochichane, donc. J’imagine que ça n’a pas été facile.
-Nenein,  pas vraiment.
-Des révoltes à mater ?
-Non, non, le problème ne venait pas d’eux. Les accords passés avec leurs chefs ont été globalement respectés. C’est surtout le corps expéditionnaire britannien qui s’est comporté… qui s’est mal comporté, répondit Hanatol, le regard dans le vide.
-J’ai lu ça oui… sale affaire.

Evoquer l’incendie du Palais d’Été par les soldats de Britannie n’était d’évidence pas le meilleur thème de discussion. Il fallait que Lisbeth revienne. Vite.

-Je ne me souviens pas de cette médaille, elle est récente ?
-Laquelle ?
-L’étoile blanche avec le ruban bleu.
-Oui, j’ai été décoré par l’ambassadeur du Ryendül sur place.
-Drömerr, on parle bien du même ? Tu avais eu une mission diplomatique ?
-Je ne peux pas t’en dire d’avantage. Disons qu’on m’a envoyer parlementer avec un groupe rebelle. Ça aurait vraiment pu mal finir cette histoire.
-Et tu leur as fait entendre raison ?
-Leur cause était honorable. Mais elle ne valait pas une confrontation. Elle eut été... ungleimässig... inégale.
-C’était l’enjeu ? Vous alliez les combattre ?
-Oui. Glaub mir, Clémenz, là-bas… les hommes sont différents. On ne compte que sur nous, même tes alliés, tu ne peux pas leur faire confiance. Alors, quand tu as un risque insurrectionnel qui pèse sur la vie de tes hommes, je comprends qu’un général soit prêt à tous les extrêmes pour les protéger. Au moins, celui-ci m’a autorisé à faire de mon mieux pour éviter le pire, continua Hanatol, embarrassé.
-Le général en question, ce n’était pas… attends, c’était le duc ?
-Pardonne-moi, termina le hussard en détournant le regard.

Il ne pouvait en dire plus.
Mais Methronis savait bien que le commandant de l’expédition n’était autre que le frère cadet du roi. Luÿs-Rafaël de Milnn, duc de Bemür, connu pour être un proche des milieux ultraconservateurs. Il avait la réputation d’être un homme froid, calculateur, qui attendait que l’héritier ait quelque mauvais sort pour être le successeur au trône. Ou en attendant, d’en être le régent.

Ce que racontait Hanatol était un signe de clémence envers des peuplades autochtones. C’était très inhabituel dans le haut commandement, et Clémenz n’aurait sûrement pas pensé que le duc eut été capable d’en faire la démonstration. Surtout, aussi loin du contrôle de son frère aîné.

-Oh, madame, c’nous qui sommes honorés par votre présence. ‘pensez bien, vous êtes connue ! J’vous en prie, c’par ici !
-Ha ! Cölinn !
-Vous êtes a-do-rable, monsieur Doymier.
-Madame, s’vous pouviez m’accorder une faveur… oh je n’oserais…
-Faîtes donc, je ne refuse rien à mes admirateurs !
-Vous m’permettriez d’prendre un daguerréotype à vos côtés ?

La question fit sourire la journaliste. Et Gaston dut s’en contenter en guise de réponse.

Vêtue d’une élégante robe émeraude, Cölinn avait délaissé bijoux et autres artifices pour mettre en valeur ses petites cornes. Ses sabots brillaient et attiraient tous les regards masculins, au moins autant que le bas de son dos. Le bas du bas. Retirant ses gants à l’aide de ses canines, Cölinn admirait le physique de Hanatol. Avant de réaliser que Clémenz attendait qu’elle lui rende sa bise. Ce qu’elle fit, un peu décontenancée.

-Hé, bien, dans les nuages ?
-Oui, pardon. Comment vas-tu, très cher Clémenz ?
-Beaucoup de choses à t’annoncer, on t’attendait ! Tu te souviens de Hanatol, bien sûr ?
-Comment vous oublier… capitaine.
-Allons, on est entre amis, tutoyez moi… Cölinn, répondit le hussard, exécutant un méthodique baise main.
-Peut-être que nous ne sommes pas « que » entre amis… glissa Cölinn, espérant bien que le bel homme comprenne ses espoirs passionnels.
-Ah non, tu ne commences pas ! Lisbeth est ici, je t’interdis de la critiquer comme tu le fais d’ordinaire ! S’il te plaît ! Sois gentille. ‘te plaît.
-Ho, « bibounette d’amour » est là ? Tu aurais pu me le dire ! répliqua Venör-Astributh, visiblement agacée.
-C’est ma fiancée, c’est normal qu’elle soit à mes côtés.
-Une querelle entre vous ?
-Non, non, c’est juste qu’elle a toujours été jalouse de moi. Mais, bon, je la comprends, elle n’est que…
-C’est ma sœur.
-Ha ! Je… je l’ignorais. Vous vous ne ressemblez pas du tout, vous savez ? Vous êtes beaucoup plus…
-Assieds-toi au lieu d’offenser un officier, fit Clémenz en la prenant par le bras. Oh, ça sonne bien ça. « Offenser un officier ». Ferait pas un bon titre de journal ? Ha, chérie tu es là ! Hé ! Me regarde pas comme ça, ce n’était pas un calembour ! Promis ! N’est-ce pas ? Tout va bien, biboune ?

Lisbeth aurait volontiers répondu que oui.
La présence de Cölinn fit muer sa réponse en un silence sifflant, lui faisant oublier le comportement de son homme. Elle détestait ses manières. Aussi coquette que coquine, Venör-Astributh n’était qu’une hypocrite à ses yeux. Elle ne devait sa fortune qu’à son mariage d’intérêts et à sa démagogie littéraire. Pire encore, Lisbeth Karleiln pensait fermement que cette faune avait des vues sur son Clémenz.

Elle se rassit, se rapprochant de son fiancé. C’est à peine si elle salua Cölinn d’un hochement de tête, qui fut tout juste rendu.
-On leur annonce, chérie ? Lisbeth ? demanda Methronis, constatant que sa chère et tendre était ailleurs.
-Oui, oui… oui ! Hanatol doit bouillir d’impatience !
-Pas que lui, glissa Cölinn, sarcastique, souriant tel un carnassier. Dites-nous tout, on ne peut tenir en place.

Clémenz allait parler.
Mais il se ravisa. Parelle nouvelle devait s’annoncer avec dignité. Il choisit dès lors de se lever.

-Hanatol, Cölinn… toi, l’amie de mon enfance, et toi, le frère de l’être qui m’est le plus cher en ce monde… commença l’ancien avocat, en lançant un regard tendre vers sa promise, je vous annonce que… nous avons la date de notre mariage. Et ! et nous aimerions que vous soyez nos… nos témoins.

Clémenz laissa échapper une larme. Elle glissa le long de sa joue, avant de rejoindre un sourire sincère.

Il ne plaidait pas devant une cour.
Il chuchotait à son cœur.
Et son bonheur était partagé.

Lisbeth ne pleurait peut-être pas, mais elle n’avait d’yeux que pour lui.

Hanatol y vit une tendre question, celle qui était si commune à toutes les heureuses, et pourtant si unique : « Comment peut-il m’aimer autant ? ». Il en fut ému.

-Lieb' dich... du weisst es ?
-Je vais prendre ça comme un signe d'affection, future madame Methronis.

Même Cölinn fut touchée. Elle avait de tous les chagrins d’amour de Clémenz. C’était vrai qu’il était parfois ennuyeux, mais par moment, un sentiment profond lui revenait. Quelque chose de pur. Une amitié qui remontait des profondeurs que son paraître avait tant essayé de dissimuler. Malgré elle.

-‘aux jeunes mariés ! Hé, Francis ! ‘va m’chercher la bouteille des grandes ‘casions !

Methronis adressa un regard réprobateur au gérant. Ce n’était pas le moment.

Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie 2500x211
Lisbeth Karleiln

-… alors ? qu’est-ce que vous en dites ?

Hanatol hésita. Comment pouvait-il sérieusement lui demander de confirmer l’évidence ? Juriste qu’il était. Son accord, il le voulait par acte notarié ou quoi ?

-Bist du dumm ? Bien sûr que je le veux ! Je suis très heureux que Lisbeth ait pu trouver un homme comme toi, répondit Hanatol en serrant la main à son futur beau-frère. Félicitations à vous deux, vraiment.
-Merci… c’est, c’est important pour moi, pour nous…
-Tu l’as bien été pour moi, alors, cela va de soi que je te rende la pareille. Quelle date avez-vous choisi ? demanda Cölinn, s’efforçant de dissimuler son émotion.
-Fin février. Le manoir de Metterbrünn s’est libéré, répondit Lisbeth, serrant fort le bras de son fiancé.
-Ah… pas à Bërnz ? Vous n’irez pas chez père ?
-Non, non, on voudrait quelque chose d’assez simple, de modeste même, la famille, les proches amis, et voilà tout.

Hanatol fut quelque peu étonné. Se rapprochant de sa sœur, il lui dit :
-Hast du mit Vater gesprochen ?
-Na ja, es kann warten.
-Pardonnez-moi ?
-Hanatol me demande si nous en avons parlé à papa.
-Ha… ça ne saurait tarder ! Ne t’en fais pas.
-Je ne voudrais pas paraître rabat-joie, mais… Père n’est pas quelqu’un de… « modeste ».
-Ce n’est pas le seul, lança Cölinn, faisant signe à un garçon de venir à elle.
-Tu crois qu’il ne va pas accepter ?
-Disons qu’il a entrepris quelques travaux au manoir… wahrscheinlich en ayant en tête… je crois bien votre mariage.  
-Bon. Hé bien, j’irai le voir.

Même Venör-Astributh le fixa, les yeux écarquillée. Elle n’ignorait pas qui était le papounet en question. Ce n’était comme si être sa maîtresse n’avait pas été dans ses options. Il eut été plus facile de séduire un phacochère asthmatique !

C’est à peine si elle remarqua le serveur à ses côtés, apportant par ailleurs le dominiant 2476.

-Madame ?
-Je… je vais prendre quelqu’un de fort.
-Plaît-il ?
-Euh, quelque chose de fort. Un cognac, c’est nécessaire. Et pour le reste, comme… comme Lisbeth tiens, répondit Cölinn, toujours ébahi de ce qu’elle venait d’entendre.
-Tu es sérieux ?
-Il faut bien que j’aille le voir. Lisbeth et moi avons décidé de ce mariage, il est normal qu’il y soit convié, et s’il doit mal le prendre, alors je dois lui présenter la chose, conclut Clémenz en humant le vin qu’on venait de lui servir.
-Tu veux que je vienne avec toi ?
-Non, non, chérie, ton père est un vieux de la vieille. Il voudra parler entre mâles. Très bien, vous pouvez servir.

Cölinn sourit à l’idée que Clémenz se considérasse comme tel. Mais elle lui reconnaissait un certain courage. Si le Fürst méritait sa réputation d’acariâtre et d’irascible, son futur gendre celle d’idéaliste.

-À Lisbeth et à Clémenz, le brave ! lança-t-elle en toast.

Même la fiancée éclata de rire.

-Bon choix le vin, fit remarquer le capitaine, essayant de changer de sujet.
-Il faudra bien ça pour convaincre papa ! Encore que s’il râle, il ne viendra pas, et puis voi-là tout, ajouta Lisbeth en croisant les bras.
-Tu vas risquer le conflit avec père ? Tout de même pas ?
-Pour Clémenz ? Sans l’ombre d’un doute. Et puis tu ne t’es pas gêné pour prendre l’uniforme, tiens.
-Chauds chauds chauds, l’plats sont chauds !

Gaston Doymier était de retour, chargé de toutes parts. Soit il était particulièrement vigoureux sous son apparence de gros lourdaud, soit il voulait sérieusement avoir des problèmes de dos. Clémenz pourrait alors lui conseiller un excellent ostéopathe.

-La prochaine fois, on prendra le tartare. Vous ne vous brûlerez plus.
-J’vous l’recommande bien volontiers, cher maître. A ‘tention, votre couvert, capitaine… voilà.
-‘tschuldigung.
-‘vous en prie. ‘vous souhaitant la bonne d’gustation !
-Merci Gaston.

Alors qu’ils déplièrent les serviettes de concert, la porte du bistrot s’ouvrit tout à coup avec force, manquant de peu d’en briser le verre.

-Hé, non mais ho ! ‘va pas bien oui ?!
-Excusez-moi. Courrier de l’armée !

Une estafette.
Le soldat portait un univers semblable à celui de Hanatol Karleiln. A ceci près qu’il avait nettement moins de galons. Ce dernier s’excusa auprès de Doymier et à aller à la rencontre de son supérieur qui s’était déjà levé.

-Edmont, j’avais indiqué que je ne voulais pas être dérangé, je suis en famille. La prochaine fois, il faut que je m’exprime plus lentement pour que vous compreniez ? Ou c’est vous qui êtes lent à comprendre ?
-Pardonnez-moi, capitaine. L’enveloppe indique que c’est urgent.
-Donnez-moi ça, et fichez moi le camp.

Karleiln revint à table aussi vite que son subalterne refit claquer la porte. Ce qui enclencha une vague de jurons de la part du gérant. S’il eut employé un peu plus de consommes, il aurait pu être ennuyé avec les autorités.

-Excusez-moi. Ne faîtes pas attention.
-C’est une missive officielle ?
-Tu vois bien le sceau de l’Etat, ami sous-secrétaire. Tu dois le reconnaître.
-Le sceau de l’Etat… pas seulement, non ?

Methronis resta perplexe.
C’était le sceau d’un maréchal. Il ne pensait pas que son futur beau-frère puisse avoir de pareilles relations, et ce sans l’intermédiaire d’un officier. Comme il n’ignorait pas les accointances politiques de Hanatol, le fonctionnaire scruta le va et vient de ses yeux, espérant y voir quelque projet conspirateur. Le genre de projet qui pouvait le mettre en danger, lui et sa promise.

Karleiln referma la lettre, la mine préoccupée, mais en rien inquiète. Clémenz crut y déceler une certaine joie, toutefois accaparée par des tracas de nature pragmatique.

-Me permettrais-tu ?
-De… ?

Le sous-secrétaire avait posé sa question sur un ton qui n’entendait pas laisser de place à la contestation en indiquant clairement la missive. C’était très inhabituel de sa part. Il se pencha pour chuchoter.

-Je veux savoir de quoi il s’agit.
-Attends, chérie, à quoi tu pen… Hanatol ? tu m’avais dit que tu avais arrêté de lui écrire !
-Vous parlez de qui ? demanda Cölinn, curieuse comme à son habitude.
-Tu veux la lire, Clémenz ? C’est codé.
-Donne la tout de même, s’il te plaît.

Le hussard s’exécuta en haussant les épaules. Il n’avait rien à craindre du fiancé de sa sœur.

Ce dernier se mit à parcourir la lettre.

-Tu parviens à la lire ? interrogea encore Venör-Astributh, surprise d’un tel exploit.
-Les codes de l’Etat ont des similitudes. À la justice aussi, on en use. Je ne connais pas tous les termes, mais j’ai déjà eu à traiter d’une cour martiale…
-Si tu parviens à la décrire, c’est que tu méritais de la lire.

Karleiln ne bougea pas. Il n’avait pas honte du contenu de cette lettre. Il en était même honoré.

La lecture de Clémenz dura quelques minutes, une éternité pour sa sœur. Plissant les yeux, tournant la lettre, il s’acharnait à décoder l’essentiel du message. Ce n’était pas seulement une question d’alphabet. Selon les périodes et les sujets considérés, le code pouvait prendre des atours d’un véritable langage.

Lorsqu’il eut fini, il ne put se retenir de s’écrier :

-Oh… bordel !

Il jeta la missive à la figure de son futur beau-frère.

-Mais… quoi ?
-Tu sais lire le courrier militaire, toi, je t’embarque au journal ! J’ai des tonnes de lettres à te faire déchiffrer !
-Qu’est-ce que tu as lu, Clémenz ?

Il hésita.
C’était mettre en danger le frère de celle qu’il espérait bien pouvoir épouser, sans le moindre tracas politique ou encore correctionnel. Mais elle avait le droit de savoir. Quant à Cölinn, il lui faisait naturellement confiance. Hanatol ne semblait pas s’y opposer.

Alors chuchotant de plus belle, Clémenz reprit.

-De la haute trahison… le prince impérial compte s’évader.

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